" La pierre précieuse, voire de grand prix aux yeux de certains, qu'est l'émeraude, se voit insultée par un morceau de verre habilement truqué, s'il ne se rencontre personne qui soit capable de procéder à un examen et de démasquer la faute. Et lorsque de l'airain a été mêlé à l'argent, qui donc, s'il n'est connaisseur, pourra aisément le vérifier ? "(Saint Irénée, Contre les hérésies)


mercredi 27 août 2014

Nazisme et christianisme (2/2) : une vive inquiétude

Les évêques allemands ont condamné le nazisme. Certains d'entre eux n'ont pas hésité à excommunier les chrétiens qui en faisaient partie. Rome aussi a parlé de manière claire et nette. Le 21 mars 1937, le jour du dimanche des Rameaux, jour de grande influence dans les églises, l’encyclique Mit Brennender Sorge est lue en chaire dans toutes les églises allemandes. C’est un appel à la prudence, un rappel aux principes fondamentaux de la foi, une exhortation au combat. Les mots sont durs, clairs et précis. Pie XI va à l’essentiel. Si le terme de nazisme n’est jamais explicitement évoqué, il ne fait absolument aucun doute qu’il est l’objet du texte. Il s’adresse au pays et au peuple « auxquels saint Boniface a porté autrefois le lumineux message, la bonne nouvelle du Christ et du Royaume de Dieu. »[1]. Chose rarissime, l'encyclique s’adresse en allemand « sur la situation de l’Église catholique dans le Reich germanique ». En colère, Hitler fait saisir l'encyclique dans toute l’Allemagne. Elle est applaudie en Europe…
Il est bon de relire ce document, surtout en notre temps où la confusion est grande, où le découragement peut conduire certains d’entre nous à embrasser de mauvaises causes. Notre article a pour but de relever dans l'encyclique ce qui peut relever du « christianisme positif » tel qu'il est décrit par les grands pontifes du nazisme. Nous ne traiterons ni des violations du concordat que Pie XI dénonce comme une préméditation à « une guerre d’extermination », ni des violences que l’État nazi commet contre les chrétiens.
Pour bien comprendre l'intention du Pape Pie XI, il faut remette l'encyclique dans un ensemble de textes particuliers. Elle est en effet incluse dans une série de documents officiels. Deux jours avant sa publication, Pie XI a diffusé l’encyclique Divini Redemptoris qui condamne le communisme. L’Église condamne tout totalitarisme, tout « ennemi de toute vérité et de toute justice »[2]. Cette encyclique est suivie d’une autre, Firmissimam Constantiam, qui condamne la persécution religieuse au Mexique. C’est un ensemble de condamnations de toute politique antichrétienne menée par les États.
Un appel à la résistance
Après un rappel sur l’origine du Concordat et une dénonciation des violations commises par l’État allemand, l’encyclique définit ce qu’est la foi, ce qui lui permet de définir clairement les points du nazisme directement opposés à la foi. Il dénonce en particulier l’idolâtrie de la race et de l’État et la volonté de substituer le christianisme par une religion nationale, bien humaine. Tout cela s’oppose fondamentalement à l’universalité de l’Église et de la Rédemption et à la primauté du Pape. Dans une deuxième partie, l’encyclique rappelle le véritable sens des concepts chrétiens que des discours tentent de falsifier. Il est rappelé le fondement de la morale et le droit naturel inaliénable que Dieu a inscrit dans le cœur de l’homme et qu’aucun État ou puissance n’a le droit de toucher. Enfin, Pie XI s’adresse aux prêtres et aux religieux, à la jeunesse et aux parents, à tous les fidèles pour les appeler et les encourager à résister contre le mensonge et les pressions de l’État et à proclamer la vérité.
Appel à la vigilance et à la méfiance
Conscient des dangers du mal terrible qui frappe l’Allemagne, Pie XI souligne avec force « la gravité impressionnante de la situation et l’angoisse sans exemple des consciences chrétiennes, le souci du salut des âmes »(7). Dans son encyclique, le Pape décrit la situation difficile de l’Église sous le régime nazi et les agressions dont sont victimes les fidèles par un État fondamentalement antichrétien. Il met surtout en garde les fidèles qui seraient de tenter de rejoindre le nazisme qui sait employer des discours suffisamment pervers pour les tromper. Des chrétiens ont en effet déjà succombé. « Prenez garde, Vénérables Frères, à l’abus croissant, dans la parole comme dans les écrits, qui consiste à employer le nom de Dieu trois fois saint comme une étiquette vide de sens que l’on place sur n’importe quelle création, plus ou moins arbitraire, de la spéculation et du désir humain. »(13) Le fidèle doit bien entendre les discours et ne croire « celui-là seulement qui à ce mot sacré unit le vrai et digne concept de la divinité. »[9] Au-delà des mots, nous devons saisir le véritable sens qu’ils portent dans le discours. Pie XI demande aux évêques et aux prêtres de veiller « d’un œil particulièrement attentif, […], à ce que les concepts religieux fondamentaux ne viennent pas à être vidés de leur contenu essentiel et détournés vers un sens profane. » (27)
Le péché capital : idolâtrie de la race et de l’État
Le Christ en croix
A. Van Dyck
Pie XI dénonce le vice fondamental de la doctrine nazie : « quiconque prend la race, ou le peuple, ou l’État, ou la forme de l’État, ou les dépositaires du pouvoir, ou toute autre valeur fondamentale de la communauté humaine – toutes choses qui tiennent dans l’ordre terrestre une place nécessaire et honorable, – quiconque prend ces notions pour les retirer de cette échelle de valeurs, même religieuses, et les divinise par un culte idolâtrique, celui-là renverse et fausse l’ordre des choses créé et ordonné par Dieu : celui-là est loin de la vraie foi en Dieu et d’une conception de la vie répondant à cette foi. »(12)
Ainsi réduire Dieu à une nation ou à une race, tel qu’entend le nazisme, est une impiété terrible. « Seuls des esprits superficiels peuvent tomber dans l’erreur qui consiste à parler d’un Dieu national, d’une religion nationale »(15). Pie XI parle à plusieurs reprises de blasphème. Ses expressions ne sont pas choisies au hasard. Quiconque adhère à des principes du nazisme [3] « n’est pas celui qui croit en Dieu »(11), « ne peut pas prétendre à être mis au nombre de ceux qui croient en Dieu »(10), « est loin de la vraie foi en Dieu et d’une conception de la vie répondant à cette foi »(12). Elles ressemblent bien aux formules d’anathèmes…

Le Christ bénissant
Icône du Sinaï
VIe siècle
L’idolâtrie de l’État et de la race va à l’encontre de l’universalité de la religion. « Ce Dieu a, en souverain maître, donné ses commandements. Ils valent indépendamment du temps et de l’espace, du pays et de la race. De même que le soleil de Dieu luit sur tout visage humain, de même sa loi ne connaît ni privilège ni exception. Gouvernants et gouvernés, couronnés et non-couronnés, grands et humbles, riches et pauvres sont également soumis à sa parole. De la totalité de ses droits de Créateur découle naturellement la totalité de son droit à être obéi par les individus et par les communautés de toute espèce.»(14) Cela va donc à l’encontre de l’universalité de la Rédemption. « L’Église fondée par le Rédempteur est une, la même pour tous les peuples et pour toutes les nations»(14).
Certes l’Église reconnaît la diversité des peuples, leurs particularités et leur génie propre mais « elle sait aussi qu’à cette liberté des limites sont tracées par la majesté du commandement divin qui a voulu et fondé cette Église essentiellement une et indivisible. Qui touche à cette unité et à cette indivisibilité enlève à l’Épouse du Christ un des diadèmes dont Dieu lui-même l’a couronnée. Il assujettit sa structure divine, qui repose sur des fondements éternels, aux critiques et aux retouches d’architectes que le Père des cieux n’a pas autorisés à bâtir. »(14)
S’attacher à une église nationale au détriment de l’Église catholique c’est-à-dire universelle est une véritable trahison. « Si des hommes qui ne sont pas même unis dans la foi au Christ viennent vous présenter la séduisante image d’une Église nationale allemande, sachez que ce n’est autre chose qu’un reniement de l’unique Église du Christ, l’évidente trahison de cette mission d’évangélisation universelle à laquelle, seule, une Église mondiale peut suffire et s’adapter. »(26) Pie XI rappelle quelle est notre première patrie. « Qui chante l’hymne de la fidélité à la patrie terrestre ne doit pas, par l’infidélité à son Dieu, à son Église, devenir un déserteur et un traître à sa patrie céleste. »(44)
Esprit d’orgueil : la négation du plan de Dieu

Le Sacrifice d'Isaac

Caravage


Nous ne pouvons pas non plus renier le rôle des Juifs dans l’œuvre de la Rédemption sans compromettre notre foi. C’est ne rien comprendre au christianisme. C’est commettre encore une véritable impiété, un véritable blasphème. « Qui veut voir bannies de l’Église et de l’école l’histoire biblique et la sagesse des doctrines de l’Ancien Testament blasphème le Nom de Dieu, blasphème le plan de salut du Tout-Puissant, érige une pensée humaine étroite et limitée en juge des desseins divins sur l’histoire du monde. Il renie la foi au Christ véritable, tel qu’il est apparu dans la chair, au Christ qui a reçu son humaine nature d’un peuple qui devait le crucifier. Il demeure sans rien y comprendre devant le drame universel du Fils de Dieu, qui opposait au sacrilège de ses bourreaux la divine action sacerdotale de sa mort rédemptrice, donnant ainsi, dans la nouvelle alliance, son accomplissement, son terme et son couronnement à l’ancienne. »(20)
Finalement, Pie XI nous rappelle encore que nul n’a le droit de fonder le christianisme à sa convenance hors de Notre Seigneur Jésus-Christ. Aucune force aussi puissante soit-elle ne peut le pervertir. « Aucun homme, quand même toute la science, tout le pouvoir, toute la force extérieure du monde seraient incarnés en lui, ne peut poser un fondement autre que celui qui a déjà été posé : le Christ »(22).
Une mauvaise solution
Certains chrétiens voient peut-être dans le nazisme une solution aux problèmes du temps. Mais ce n’est qu’une illusion. La solution ne réside pas dans une telle idéologie comme dans toute pensée qui nous éloigne ntde Dieu. Pie XI rappelle en effet la source d’où doit émaner toute solution : « toute réforme vraie et durable, en dernière analyse, a eu son point de départ dans la sainteté, dans des hommes qui étaient enflammés et poussés par l’amour de Dieu et du prochain »(22).
Abbé Franz Stock
1904 -1948

Il ne faut pas non plus se décourager. Le « levain du christianisme » n’est pas « affadi ». Le chrétien peut changer le monde. « […] Il est apte et tout prêt à apporter aux hommes d’aujourd’hui, prisonniers du doute et de l’erreur, plongés dans l’indifférence et l’abandon, las de croire et éloignés de Dieu, le renouvellement et le rajeunissement spirituel dont ils ont – qu’ils en conviennent ou non – un besoin plus pressant que jamais. Une chrétienté ayant repris conscience d’elle-même dans tous ses membres, rejetant tout partage, tout compromis avec l’esprit du monde, prenant au sérieux les commandements de Dieu et de l’Église, se conservant dans l’amour de Dieu et l’efficace amour du prochain, pourra et devra être pour le monde, malade à mort, mais qui cherche qu’on le soutienne et qu’on lui indique sa route, un modèle et un guide, si l’on ne veut pas qu’une indicible catastrophe, un écroulement dépassant toute imagination ne fonde sur lui. »(23)

Mais comment ce monde est-il devenu « malade à mort » ? Cette maladie est la conséquence inéluctable de son impiété. Si sa morale ne se fonde pas sur Dieu, elle s’écroule. « Toutes les tentatives pour ôter à la morale et à l’ordre moral le fondement, solide comme le roc, de la foi et pour les établir sur le sable mouvant des règles humaines, conduisent tôt ou tard individus et sociétés à la ruine morale. »(35) Seul un retour à la véritable foi est la solution. Il est donc faux et illusoire de chercher dans une pensée quelconque ou dans une force humaine la fin de la corruption. « Aucune puissance coercitive de l’État, aucun idéal purement humain, si noble et si élevé soit-il en lui-même, ne sera jamais capable de remplacer en fin de compte les suprêmes et décisives impulsions que donne la foi en Dieu et au Christ. »(35)
Le nazisme va même à l’encontre de la force véritable. Il détourne le peuple allemand des véritables sources de toute rénovation et de tout véritable progrès. « L’abandon [...] des éternels principes d’une morale objective, pour l’éducation des consciences, pour l’ennoblissement de tous les domaines et de toutes les organisations de la vie, c’est un péché contre l’avenir du peuple, un péché dont les générations futures devront goûter les fruits amers. »(35)
Contre le droit naturel
Il détourne aussi le peuple allemand du droit naturel. C’est un mal qui touche toutes les sociétés et qui les conduise à la misère. « C’est d’après les commandements de ce droit de nature que tout droit positif, de quelque législateur qu’il vienne, peut être apprécié dans son contenu moral, et, par là même, dans l’autorité qu’il a d’obliger en conscience. Des lois humaines qui sont en contradiction insoluble avec le droit naturel sont marquées d’un vice originel qu’aucune contrainte, aucun déploiement extérieur de puissance ne peut guérir.»(36)

Saint Ambroise et l'Empereur Théodose

A. Van Dyck

Ambroise interdit à l'empereur
l'entrée de l'église
Or l’État ne peut obliger ses citoyens à suivre des lois pour répondre à ses besoins si elles sont contraires aux droits que Dieu a définis. Les intérêts de l’État ou de la nation ne sont pas supérieurs à ceux de l’individu lorsqu’ils touchent à ses droits naturels. Il y a en effet « le fait fondamental, que l’homme, en tant que personne, possède des droits qu’il tient de Dieu et qui doivent demeurer vis-à-vis de la collectivité hors de toute atteinte qui tendrait à les nier, à les abolir ou à les négliger. Mépriser cette vérité, c’est oublier que le véritable bien commun est déterminé et reconnu, en dernière analyse, par la nature de l’homme, qui équilibre harmonieusement droits personnels et obligations sociales, et par le but de la société, déterminé aussi par cette même nature humaine. »(37)  
La société a été fondée pour le bien de l’ensemble de ses membres. Elle « est voulue par le Créateur comme le moyen d’amener à leur plein développement les dispositions individuelles et les avantages sociaux que chacun, donnant et recevant tour à tour, doit faire valoir pour son bien et celui des autres. »(37) Dieu a aussi imprimé des droits inaliénables à la société. « Quant aux valeurs plus générales et plus hautes, que seule la collectivité, et non plus les individus isolés, peut réaliser, elles aussi, en définitive, sont, par le Créateur, voulues pour l’homme, pour son plein épanouissement naturel et surnaturel et l’achèvement de sa perfection. S’écarter de cet ordre, c’est ébranler les colonnes sur lesquelles repose la société, et donc compromettre la tranquillité, la sécurité et l’existence même de la société. »(37)
Parmi ces droits naturels, se trouve la liberté de professer sa foi et de vivre comme elle veut être vécue. « Des lois qui étouffent ou rendent difficiles la profession et la pratique de cette foi sont en contradiction avec le droit naturel. »(38) Et c’est le rôle de l’Église « de garder et d’expliquer le droit naturel »(39).
Appel au véritable héroïsme
Au temps du nazisme, le véritable chrétien fait l’objet d’intimidations, d’agressions et de séductions considérables. Mais « dès l’instant où il y va des suprêmes et des plus hauts intérêts, où il s’agit de se sauver ou de se perdre, le croyant n’a devant lui qu’une voie du salut, celle du courage héroïque. »(25)
Et comme toute doctrine volontariste, le nazisme  dénigre l’héroïsme chrétien. « On vous parle beaucoup de la grandeur héroïque, que l’on oppose consciemment et mensongèrement à l’humilité et à la patience évangéliques. »(44). Il loue la force physique, l’agressivité, la violence. Nous sommes loin de l’héroïsme chrétien qui se fonde sur la charité. « Cette charité, arme indispensable de l’apôtre, surtout dans le monde d’aujourd'hui bouleversé et égaré par la haine. »(45)

Conclusion
Après cette rapide lecture, nous retrouvons les principes du nazisme incompatibles avec le christianisme tel que nous les avons définis dans l’article précédent. Ils sont au nombre de trois :
  •          idolâtrie de l’État et de la race au point de créer une religion de race ;
  •         rejet de l’universalité de la Rédemption ;
  •          refus de l’Ancien Testament et de tout apport du judaïsme dans le christianisme.
S’ajoute à cela :
  •         la violation du droit naturel d’origine divine.
Le chrétien ne peut pas trouver dans le nazisme ou dans le mythe qu’il a fait naître une solution ou une consolation aux temps difficiles dans lequel nous tentons de vivre chrétiennement. Il s’abîme dans l’illusion. Le véritable remède réside en Dieu. Cette erreur marque surtout un manque cruel de foi et d’espérance. Elle s’oppose aussi à la véritable nature de l’héroïsme chrétien qui est aux antipodes de l’héroïsme antique que vantent tant les nazis et les fascistes.
Le 13 avril 1938, lors de la visite d’Hitler à Rome, Pie XI résume en huit points les erreurs du national-socialisme en vue de souligner « les doctrines pernicieuses, faussement colorées du nom de scientifiques, dans le but de pervertir les esprits et d’en arracher à la vraie religion »[4]. Il s’attaque de nouveau au racisme et au culte de l’État qui mènent à une véritable apostasie.






Références
[1] Toutes les citations proviennent de l’encyclique Mit Brennender Sorge, Sur la situation de l'Eglise catholique dans le Reich allemand, 15 mars 1937, www.doctrine-social-catholique.fr. Nous indiquons pour chaque citation le numéro du paragraphe.
[2] Pie XI lors de l’ouverture de l’exposition mondiale de la presse catholique de 1936, cité dans Daniel-Rops, Un Combat pour Dieu. Pie XI identifie le nazisme au bolchevisme, tous les deux considérés comme « ennemis de la vérité et de la justice ».
[3] Pie XI énumère la confusion entre Dieu et le monde (panthéisme), le remplacement de Dieu par le destin impersonnel, l’idolâtrie de État et de la race.

[4] Pie XI cité dans la lettre Instruction sur les erreurs du racisme du Cardinal Ernest Ruffuni, secrétaire de la Congrégation pour les Séminaires et les Universités, adressés aux universités allemandes, 13 avril 1938 dans les Actes de S.S. Pie XI, tome XVIII, années 1938-1939, www.liberius.net. Cette lettre rappelle une allocution de Pie XI aux cardinaux et prélats de la Curie romaine à la veille de Noël 1937. 

lundi 25 août 2014

Nazisme et christianisme (1/2) : le "christianisme positif"

Aujourd'hui, nous avons tellement tendance à voir partout des manipulations et des mensonges que nous refusons parfois de reconnaître la véracité de certains faits historiques. Au lieu de nous soumettre à la réalité surtout passée, nous restons sur nos convictions erronées en dépit de toutes les preuves contraires et de toutes les contradictions qu'il serait possible de nous présenter. Toutes les raisons sont alors évoquées pour contester les vérités historiques. Nous finissons par construire un mythe dans le but probable de nous mettre à l’abri d’un présent peu reluisant. Nous y puisons des idées fortes dans lequel nous trouvons quelques satisfactions ou espérances. Ces idées nous attirent et nous mobilisent. Elles nous nourrissent d’images et de rêves. Ce sont de puissantes forces qui attisent nos passions et réveillent nos énergies les plus profondes. Elles guident nos pensées et nous éloignent finalement de la vérité historique. 

Le mythe de l’ordre 



Un événement historique s’enrichit habituellement de puissantes images et de symboles forts. De cette représentation mentale, nous en tirons parfois un trait que nous grossissons au point qu’il demeure à nos yeux une de ses caractéristiques substantielles. C’est ce trait revêtu d’images et de symboles, enrichi de toutes nos aspirations conscientes ou non qui devient une idée forte, une idée mobilisatrice. Tiré de l’histoire, il s’échappe du passé pour être intemporel. Il exalte par sa puissante évocation. 

Et quand cet événement historique fait l’objet de toutes les attaques de la part d’une société affligeante et discréditée, au lieu de s’éteindre, le mythe prend de la force et s’enracine davantage dans les esprits. Le nazisme est un de ces mythes

De manière générale, pour ses partisans, le nazisme est symbole de puissance, d’ordre et d’efficacité. Il a su rendre l’Allemagne forte et puissante. Il 'a élevée au-dessus de toutes les nations après avoir connu les humiliations de la défaite et la misère de la crise. Il porte de nombreuses images : Hitler galvanisant son peuple et l’unissant contre ses ennemis ; peuple en marche terrassant les États décadents ; nation vaillante luttant contre les puissants du jour. Vigoureuses images qui évoquent la puissance et la force d’une nation. Il s'en dégage une grandeur et une fierté nationales. Notre temps ne fait pas le poids devant un tel mythe… 

Parmi les adeptes de ce mythe, certains sont des chrétiens. Le nazisme lui-même a attiré en son temps des chrétiens allemands en dépit des déclarations répétées et claires d’évêques et d’autres autorités ecclésiastiques. Il est très probable que certains chrétiens ne voient dans le nazisme que l’idée de puissance et d’ordre, négligeant finalement ses autres aspects. 


Signature Concordat
entre l'Allemagne et le Saint Siège
le 20 juillet 1933
Cette attirance peut être compréhensible en 1930. Hitler pouvait apparaître comme l’homme du destin, l’homme providentiel pour des « Allemands humiliés par la défaite, aigris par la misère, promettant la paix et la grandeur »[1] . Lors de son accession au pouvoir, il semblait avoir apaisé sa position à l’égard du christianisme. Son gouvernement « respectera les contrats établis entre elles et les divers pays allemands ; en aucun cas il ne sera porté atteinte à leurs droits ». Comment des chrétiens ne pouvaient-ils pas être séduits par de tels discours très apaisants et tolérants [2] ? Après de rapides et légitimes mises en garde et condamnations, l’épiscopat allemand est devenu plutôt optimiste. Il finit par abandonner ses condamnations. Le Concordat signé entre l’Église et le gouvernement allemand pouvait encore faire croire à un gouvernement politiquement correct. Aujourd'hui, la tempête du passé ayant enlevé le voile du mensonge, cette séduction ne peut être qu’incompréhensible, voire scandaleuse. 

Comment la foi peut-elle en effet subsister avec ce mythe si radicalement opposé à l’idée même du christianisme ? L’un exalte la force qui écrase par la puissance de la parole et des armes quand l’autre vainc le mal par la lumière et par la faiblesse. L’un recherche son bonheur dans la domination et la jouissance quand l’autre marche vers une terre qui n’est pas de ce monde. L’un ne voit en lui que la source de ses succès quand l’autre le remet à Celui qui peut tout. L’un abaisse son ennemi quand l’autre l’élève. L’un a été vaincu, l’autre demeure … 

La force apparente du nazisme semble donc attirer quelques chrétiens. Pourtant le nazisme nous apparaît comme un point de convergence de nombreux mouvements responsables de la situation actuelle. La volonté de puissance et de construire un État totalitaire n’est pas le fruit du hasard ou l’idée d’un groupe de fanatiques. Le totalitarisme est la conséquence logique de principes mauvais, qui durent encore et sèment la confusion, bouleversent l’ordre naturel, blessent l’âme et dénature l’homme. Il a aussi contribué à accentuer la pression du mal, responsable de nos malheurs. Il est donc paradoxal de recourir au nazisme pour fuir notre société alors qu'ils sont issus des mêmes principes et que cette idéologie porte une certaine responsabilité dans le drame que nous vivons … 

Au-delà des manifestations de la puissance et de l’ordre, diverses dans leurs applications et variables selon les agents qui les exercent, il est essentiel d’en voir les principes sur lesquels nous pouvons porter un jugement sûr et indépendant des circonstances toujours contestables. 

Cardinal von Faulhaber (1869-1952)
Archevêque de Munich
Condamne le nazisme dès 1930
Incompatibilité entre le christianisme et le nazisme 

Il est indéniable que le christianisme et le nazisme sont clairement incompatibles. « L’adhésion au Parti national-socialiste d'Hitler est inadmissible pour une conscience catholique. » [3] C’est pourquoi, dès septembre 1930, l’évêque de Mayence exclut des sacrements et des offices les chrétiens appartenant à ce parti en considération de « la contradiction qui existe entre le national-socialisme et le christianisme »[4]. Ils sont publiquement et à plusieurs reprises excommuniés par des évêques allemands. La condamnation est notamment rendue publique à l’Observatore Romano [23]. 




Mgr Von Galen (1878-1946)
Évêque de Munster
Principal opposant au régime nazi
Plusieurs points du nazisme s’opposent en effet à la doctrine de l’Église. Certains évêques dénoncent la politique raciale définie par le parti et sa mise en pratique dès son accession au pouvoir. Elle va en effet à l’encontre de l’amour du prochain et de l’unité du genre humain. A plusieurs reprises, le Pape XII dénonce les théories qui nient l’unité du genre humain et déifie l’État. Le nazisme est donc contraire au commandement de Dieu. Ils stigmatisent aussi le totalitarisme de l’État nazi qui au nom d’un faux nationalisme prétend suivre la voie de la raison. Il prône non seulement une religion de sang mais une religion où l’État est premier principe devant lequel tous doivent se soumettre, y compris la foi. 





Enfin, les évêques dénoncent le christianisme faussé que prétend défendre le nazisme, un christianisme qui se fonde sur la race et sur l’État, un véritable néo-paganisme comme le dénonce ouvertement Mgr Von Galen. Dans sa lettre pastorale de Noël 1930, le cardinal Bartman dénonce « une mystification religieuse à laquelle il faut s’opposer avec la plus grande énergie »[5]. 

Le christianisme positif, un ersatz du christianisme

Hitler a défini sa position à l’égard de toute religion le 24 février 1920 à Munich dans le programme du parti ouvrier allemand, repris ensuite par le parti national-socialiste. « Nous exigeons la liberté au sein de l'État de toutes les confessions religieuses, dans la mesure où elles ne mettent pas en danger son existence ou n'offensent pas le sentiment moral de la race germanique. » Est ainsi présenté le principe supérieur qui doit régir la liberté religieuse, à savoir « le sentiment moral de la race germanique ». 

Le nazisme semble être favorable au christianisme. « Le Parti en tant que tel défend le point de vue d'un christianisme positif, sans toutefois se lier à une confession précise. » En quoi ce christianisme est-il positif ? Hitler lui-même le définit : « il combat l'esprit judéo-matérialiste à l'intérieur et à l'extérieur, et est convaincu qu'un rétablissement durable de notre peuple ne peut réussir que de l'intérieur, sur la base du principe : l'intérêt général passe avant l'intérêt particulier. »[6] Double principe : épurer du christianisme toute attache au judaïsme et primauté de l’État sur l’individu. 


Rosenberg et Hitler
Ce programme est radicalisé par Rosenberg dans Le Mythe du XXe siècle, la « somme théologique » [7] du national-socialisme. Il élabore une doctrine censée remplacer le christianisme. Notre Seigneur serait issu d’un peuple nordique. La religion qu’Il a instituée aurait été déformée par Saint Paul. Le christianisme contiendrait ainsi une « base spirituelle juive », le « côté talmudique oriental de l’église romaine, mais aussi de l’église luthérienne »[8]. Il existerait donc dans le christianisme deux religions qui s’affronteraient au cours de l’histoire : « les christianismes positifs et négatifs », l’un d’origine germanique, l’autre juive. « Les christianismes négatif et positif sont depuis toujours en lutte et se combattent aujourd'hui avec encore plus d’acharnement qu’autrefois. Le côté négatif se réclame de la tradition syro-étrusque, de dogmes abstraits et des rites consacrés, le positif réveille de nouveau les forces du sang nordique, consciemment et naïvement, comme autrefois les premiers Germains, quand ils envahirent l’Italie et offrirent leur vie pour fertiliser la terre inculte »[9]. Le gnostique Marcion aurait ainsi défendu le christianisme positif. 

Contraire à l’esprit germanique, le christianisme négatif doit être abandonné au profit du christianisme positif. « Nous comprenons aujourd'hui que les valeurs suprêmes des églises catholique et protestante, en tant que christianisme négatif, ne conviennent pas à notre âme, qu’elles barrent la route aux forces organiques des peuples de race nordique, qu’elles ont à leur faire place et doivent se réformer dans le sens d’un christianisme germanique »[10]. En 1941, Rosenberg élabore une véritable religion d’État, l’Église Nationale du Reich, entièrement incorporée au régime nazi et indépendante de toute entité internationale. Mais le « christianisme positif » n’est qu’une « religion transitoire » entre le christianisme et le paganisme germanique, c’est-à-dire le culte aryen. 

Fables pour les ignorants 

Rosenberg (1893-1946)
Comment le christianisme positif ainsi décrit par Rosenberg peut-il séduire un chrétien tant il paraît bien contraire à ce qu’il doit croire et savoir ? Comment pouvons-nous en effet croire que Saint Paul a judaïsé le christianisme quand il n’a jamais cessé de s’opposer au judéo-christianisme et ouvert l’apostolat aux convertis païens ? Il est donc surprenant d’accuser Saint Paul de « judaïser » le christianisme, lui l’Apôtre des Gentils et l'adversaire des judéo-chrétiens. 

Étrange aussi cette croyance en Notre Seigneur venu d’un peuple aryen. Cette idée viendrait en fait de Houston S. Chamberlain. En 1899, il a en effet émis l’hypothèse que Jésus était « aryen d’inspiration »[11]. L’idée aurait été reprise par Dietrich Eckart, un des hommes influents d’Hitler. Heschel « aryanise » également le Christ. 


L’évocation de Marcion est judicieuse. Comme nous l’avons évoqué dans de précédents articles, les Pères de l’Église ont dû combattre le gnosticisme qui rejetait l’Ancien Testament, prétendue œuvre du mal, et ont défendu l’idée de Dieu auteur des deux Testaments. Rosenberg rattache ainsi le christianisme positif à une tradition très ancienne et donc tente d’asseoir la légitimité de la vision nazie du christianisme. Mais encore une fois quelle manipulation de l’histoire ! 

Les gnostiques rejettent l’Ancien Testament car ils considèrent l’Ancien Testament comme l’œuvre du mal, d’un démiurge qui emprisonne l’esprit dans la matière. D'autres hérétiques le rejettent car ils voient une incompatibilité entre l’Ancien et le Nouveau Testament. Or les nazies le rejettent pour d’autres raisons propres à leur idéologie : il incarne en quelque sorte le peuple juif et la dilection de Dieu à son égard, ce qu’ils ne peuvent accepter compte tenu de leur antisémitisme effréné. 

Par ailleurs, que comprennent-ils de la Sainte Écriture puisque cette haine du juif oriente leur interprétation ? Dans Mein Kampf, Hitler voit le Christ comme un adversaire du peuple juif. Son interprétation de l’épisode du Temple est un exemple de son aversion. « Celui-ci n'a jamais fait mystère de l'opinion qu'il avait du peuple juif, qu'il a usé, lorsqu'il le fallut, même du fouet pour chasser du temple du Seigneur cet adversaire de toute humanité »[12]. Selon l'interprétation nazie, les Juifs sont l’Antéchrist annoncé comme le pense Dietrich Eckart et bien d’autres théologiens allemands protestants et catholiques. 

Cette distinction dans le christianisme est aussi pertinente car elle peut par des discours ambigus ne pas choquer les chrétiens allemands surtout lors des campagnes électorales. En outre, Hitler ne suit pas ouvertement les positions de Rosenberg. Seuls certains radicaux osent s’opposer ouvertement aux catholiques ou aux protestants. La situation changera progressivement vers une radicalisation du discours. 

Un christianisme purement humain

Dans Mein Kampf, nous retrouvons l’idée d’un « christianisme positif », sous-entendu vrai et bon. Parlant du Juif, Hitler écrit : « sa vie n’est que de ce monde et son esprit est aussi profondément étranger au vrai christianisme que son caractère l’était, il y a deux mille ans, au grand fondateur de la nouvelle doctrine [celle du Christ] ». Hitler parle souvent d’« une foi chrétienne-judaïque »[13]. La judaïté de sa foi se manifeste notamment par sa « morale de la compassion » qu’il trouve méprisable, contrairement à la notion qu’il a de Dieu, d’un Dieu probablement wagnérien. Nous retrouvons les critiques d’un Celse ou d’autres païens qui refusaient toute compassion ou même attention envers les faibles. Cette prétendue faiblesse est folie. Elle est à leurs yeux signe d’impuissances et donc l’aveu de l’origine purement humaine du christianisme. La vie des faibles n’a pas de valeurs …

Un christianisme de dupe 

Pour consolider son pouvoir et poursuivre son ascension, Hitler a besoin des voix des chrétiens dans un pays à majorité protestante. Ses discours à l’égard du christianisme sont donc apaisants, voire séduisants. « Le gouvernement national protégera fermement le christianisme comme base de notre morale commune. »[14] Il présente les thèses de Rosenberg comme une opinion personnelle qui n’engage pas le parti. Avant le vote des pleins pouvoirs au Reichstag, il promet au parti catholique de protéger les œuvres catholiques et de favoriser les relations avec le Saint Siège. Ce discours est encourageant dans un pays qui a fortement réduit les pouvoirs de l’Église à la fin du XIXe siècle. A la conférence de Fulda, le cardinal Bertram, soucieux d’apaisement et plutôt convaincu du danger du communisme, publie une déclaration qui lève « les interdictions et les mises en garde » tout en rappelant les erreurs doctrinales du nazisme. 

Mais tous les évêques ne sont pas dupes des discours d’Hitler. « Le christianisme des nazis n’est plus le christianisme du Christ »[15]. C’est une nouvelle religion beaucoup plus dangereuse que le marxisme et le capitalisme. 

Dès 1934, les masques tombent. Le Mythe du XXe siècle est inscrit au programme de formation des maîtres d’école. Rosenberg devient le responsable de la formation des cadres du parti national-socialisme. Et les attaques contre l’Église se multiplient. Le cardinal Pacelli, futur Pape Pie XII, n’a qu’un mot pour dénoncer le jeu d’Hitler : « une canaille indigne de confiance », « une personne fondamentalement mauvaise »[16]. Aucun compromis avec le nazisme n’est possible

Un christianisme national 


Ludwig Muller (1883-1945)
Le programme d’Hitler préconise la liberté religieuse nonobstant les intérêts de l’État et les sentiments de la nation allemande. Mais rapidement, il présente la division confessionnelle comme une menace pour la communauté allemande. Hitler prône donc l’unité religieuse. Dès 1933, il souhaite réunir l’ensemble des églises protestantes en une seule église sous la direction d’un évêque luthérien. Un « parti des chrétiens allemands » se constitue au sein des protestants avec le soutien du parti national-socialiste. Un de leurs articles de foi est « la prééminence de l’État national-socialiste ». Une de leur volonté est de constituer une église de race aryenne. Suite à des élections au sein des églises protestantes, Hitler nomme un Reichsbishof, évêque d’état, en la personne de Ludwig Müller, ancien luthérien, pasteur militaire. L’élément essentiel du christianisme positif devient alors la foi du peuple-souverain, la foi de la nation. Ainsi quand il brandit des symboles chrétiens, le régime nazi ne songe qu’au christianisme positif et à cette religion nationale. « Le national-socialisme ambitionnait de remplacer toutes les religions puisqu’il entendait se proposer comme un succédané de la religion. Avec le temps, dans les intentions d’Hitler, son Église politique aurait remplacé toutes les Églises. »[17] 

Le « christianisme positif » est la religion révélée du peuple allemand. « Le parti s’appuie sur le fondement du christianisme positif qu’est le national socialisme. Ce dernier résulte de la volonté de Dieu, révélée dans le sang germanique. Dire que le christianisme consiste dans la foi en Christ, fils de Dieu, me fait rire. Le vrai christianisme est représenté par le parti, et le peuple germanique est appelé par le Führer à appliquer un christianisme authentique et concret. Le Führer est le protagoniste d’une nouvelle révélation. »[18]

Race aryenne, la source du salut 

Hitler ne voit dans le catholicisme ou le protestantisme qu'une religion utile pour la race allemande. « Le gouvernement nation considère les deux confessions chrétiennes comme les facteurs les plus importants pour la conservation morale de notre personnalité ethnique. » Tout doit en effet se ramener à la race aryenne. L’individu n’existe pas en tant que tel. Le nazisme conduit à la destruction de l’individu, de la personnalité humaine. Comment le christianisme peut-il alors apporter à la personne humaine les biens surnaturels dont elle a besoin quand l’individu n’existe plus ? 

L’individu n’existe en fait que par rapport à la race à laquelle il appartient. « La source première et la règle première de toute organisation sociale, de tout l’ordre juridique est l’instinct racial. »[20] Et comme l’aryen est aux yeux des allemands le « créateur de la plus haute civilisation humaine », « la solution de tous les problèmes est dans la vocation d’une race suprême, d’un peuple de seigneurs disposant des ressources et des possibilités du globe tout entier ». La source du salut de l’humanité est donc dans la réalisation de cette vocation. Elle n’est donc pas dans le christianisme mais dans la race aryenne. La puissance n’est donc qu’un moyen pour réaliser cette vocation. 

Ainsi l’adhésion au « christianisme positif » revient à fonder la foi sur l’antisémitisme et sur le totalitarisme étatique. Il va à l’encontre de l’enseignement de l’Église. Il s'oppose notamment à l’origine divine de l’Ancien Testament et à l’universalité de la Rédemption que l’Église n'a cessé d'enseigner. Il prône aussi un christianisme indépendant de Rome et incorporé à un État, idée particulièrement combattue par l'Eglise au cours des siècles. Elle a toujours affirmé que l’État ou tout ce qui le symbolise n’étaient pas au-dessus de Dieu. Il y a donc incompatibilité entre le christianisme et le nazisme. « Aucun catholique ne pouvait accepter [le programme national-socialiste] sans renier sa foi sur des points capitaux »[21]. Hitler n’est pas dupe : « on est chrétien ou allemand, pas les deux à la fois »[22]. 

Ceux qui recherchent un remède à notre société malade devront donc se détourner du mythe nazi car la puissance de cette idéologie est bâtie sur des principes fondamentalement mauvais. Elle ne peut qu’apporter impiété, désordre et destruction. Le Tentateur a offert à Notre Seigneur les royaumes de ce monde, c’est-à-dire la puissance sur les hommes. C’est à ce moment là qu’Il l’a jeté et qu’Il l’a vaincu. Résistons à cette tentation. Soyons héroïques. Dieu n’a jamais vaincu le monde par les armes du monde. Faisons confiance en Notre Seigneur Jésus-Christ…



Références

[1] André François-Poucel, ambassadeur de France en Allemagne cité par Daniel-Rops, Un Combat pour Dieu, 1870-1939, Chapitre IX, éditions Fayard, 1963. 
[2] Les chrétiens pouvaient aussi être séduits par le combat que mène Hitler contre le communisme considéré à cette époque comme ennemi n°1 de l’Église. En outre, la craindre de se passer pour « mauvais allemands » ou « mauvais patriotes » a sans-doute aussi poussé les chrétiens à se taire.
[3] Lettre pastorale de Mgr Gfoellner, évêque de Linz.
[4] Mgr Hugo cité dans Jean Sévilla, Historiquement incorrect, Le Livre de Poche, Fayard, 2011.
[5] Jean Sévilla, Historiquement incorrect, Le Livre de Poche, Fayard, 2011.
[6] Hitler, Mein Kampf, 
www.abbc3.com/historia/hitler/mkampf/fra.
[7] Daniel-Rops, Un Combat pour Dieu.
[8] Rosenberg, Le Mythe du vingtième siècle.
[9] Rosenberg, Le Mythe du vingtième siècle.
[10] Rosenberg, Le Mythe du vingtième siècle.
[11] H. S. Chamberlain, La genèse du XIXe siècle, 1899.
[12]Hitler, Main Kampf, Tome Ier, 11.
[13] Hitler, Main Kampf, Tome Ier, 11.
[14] Hitler, 1er février 1930, première déclaration gouvernementale citée dans Jean Sévilla, Historiquement incorrect.
[15] Cardinal Faulhaber, mémorandum adressé au Pape le 17 mars 1933 cité dans Jean Sévilla, Historiquement incorrect.
[16] Cardinal Pacelli dans une audience accordée à Alfred Klieforth, ancien consul des États-Unis à Berlin cité dans Jean Sévilla, Historiquement incorrect.
[17] Franco Cardini, Le Dieu d'Adolf Hitler, 31 décembre 2005, voxnr.com.
[18] Hans Kehrl, ministre chargé des affaires ecclésiastique, cité dans Les 12 000 martyrs chrétiens de la seconde Guerre mondiale de Louis Guerche, revue L’histoires des Papes et des Saints, n°3.
[19] Hitler devant le parlement allemand cité par Daniel-Rops, Un Combat pour Dieu.
[20] Daniel-Rops, Un Combat pour Dieu.
[21] Évêque de Munster cité dans Daniel-Rops, Un Combat pour Dieu.
[22] Daniel-Rops, Un Combat pour Dieu.

[23] Journal officiel du Vatican.

jeudi 21 août 2014

L'Arianisme et le Symbole de Nicée : les exigences de la foi (2/2)

Le Symbole de Nicée est une profession solennelle de la foi. Il condamne clairement l’erreur d’Arius et tous ceux qui ne croient pas en la divinité de Notre Seigneur Jésus-Christ. Cependant, il n’est pas suffisant pour faire taire les hérétiques. Au contraire, il semble désormais être le point de départ d’une nouvelle crise au sein de l'Église. Le Concile de Constantinople (381) mettra définitivement fin à ces divisions en proclamant un nouveau symbole plus précis. Ce fait historique pourrait alors nous faire croire en un progrès possible du dogme. Les adversaires du christianisme mettent aussi en exergue cet exemple pour montrer la stupidité et la puérilité des chrétiens qui se battent dans de vaines disputes [14]. Il peut alors s’avérer comme un redoutable argument contre l’Église et notre foi. Mais resituée dans son contexte et hors de tout parti pris, cette histoire est un bon exemple de ce qu’est le développement d’un dogme. C’est pourquoi il est utile de la connaître afin d'approfondir notre connaissance et de faire taire toutes les fables …
L’arianisme


Saint Athanase (298-373)
Evêque d'Alexandrie
Père de l'Eglise
Adversaire de l'arianisme
Arius défend fermement l’idée que Notre Seigneur Jésus-Christ est une créature de Dieu, certes éminente mais créée par Dieu. Il est convaincu qu’Il est Fils de Dieu de manière adoptive et non de manière naturelle. Il serait ainsi le produit de la volonté extérieure de Dieu. Arius confond en fait les termes de « créé » et de « engendré ». Or un être engendré diffère essentiellement d’un être créé du fait qu’il reçoit intégralement la substance de celui qui lui a donné la vie, sans division et changement, sans altération et sans diminution, tout en étant distincts. Ainsi le Fils et le Père ont même substance. Si le Père est Dieu, le Fils l'est aussi.
Pour s’opposer à l’erreur d’Arius, les Pères du Concile de Nicée insistent particulièrement sur sa génération naturelle. Il est « né du Père », « Dieu de Dieu », « vrai Dieu de vrai Dieu », « n’a pas été fait, mais engendré ». Dans l’appendice du symbole, ils condamnent ceux qui déclarent que le Fils de Dieu est d’une autre substance ou essence de Dieu le Père. Ainsi le Fils de Dieu est Dieu comme Dieu le Père.

Le terme de « homoousio », source de malentendus
Pour bien marquer cette vérité de foi, les Pères du Concile de Nicée utilisent le mot grec « homoousio ». Il est tiré de « homo »  et d’« ousia », c’est-à-dire de même essence. Selon Tixeront[1], il viendrait du latin « consubstantialis », de même substance, en usage à Rome. Le Fils de Dieu est consubstantiel au Père…

Saint Hilaire (300-368)
Évêque de Poitiers

Père de l'Eglise
autre adversaire de l'arianisme
Or à cette époque, ce terme pose difficulté pour trois principales raisons. D'abord, il n’appartient pas à la terminologie biblique, contrairement à tous les autres termes importants du Symbole. Parmi les adversaires du terme « homoousio », certains s’opposent en effet uniquement à l’emploi du terme et non à la vérité qu’ils expriment. Ils leur semblent scandaleux d’utiliser un terme non biblique pour exprimer une vérité de foi.
Le terme se ramène à la notion d'hypostase qui est à cette époque imprécise et équivoque, donc source d’incompréhensions et de malentendus. Au III et IVe siècle, il n’est pas en effet parfaitement défini dans toutes les communautés chrétiennes. Certaines usent du mot « hypostase » pour désigner l’essence quand d’autres lui donnent le sens de personne. Ainsi quand certains disent que le Fils est de même « hypostase » que le Père pour indiquer une identité d’essence, d’autres le comprennent comme une négation de la distinction des Personnes divines. C’est pourquoi certains défendent l’expression « trois hypostases en Dieu » quand d’autres y voient une hérésie. Il met en jeu deux vérités de foi : l'Unité de Dieu et la Sainte Trinité, pouvant accentuer l'une au détriment de l'autre. Cette incertitude terminologique est clairement perçue dans la lettre synodale d’Alexandrie, appelée Tome aux Antochiens (362)
Enfin, pour certaines communautés, il est lié à un contexte inquiétant et donc défavorable. Les gnostiques du IIe siècle et Paul de Samosate l’ont utilisé pour répandre leurs erreurs, même si le sens qu’ils lui ont donné est différent de celui du Symbole de foi. Paul de Samosate l’emploie soit dans le sens de « personne » dans le but de renier la distinction des Personnes divines dans la Sainte Trinité, soit dans un sens matériel pour montrer que le Père et le Fils proviennent d’une même substance préexistante. En 268, le Concile d’Antioche a fini par condamner son usage. Cette inquiétude est très vive surtout lorsque des défenseurs de la foi finissent à ne plus distinguer les Personnes divines.
L’emploi de « homoousio » inquiète donc les communautés orientales qui craignent un retour d’une ancienne hérésie, le sabellianisme. Elles craignent qu’en insistant davantage sur l’unité de l’essence, on en vient à supprimer la distinction des Personnes divines. Finalement, l’emploi du terme « homoousio » est source de rejet de la part de nombreux chrétiens parfaitement orthodoxes. Sa réception s’avère donc difficile.
Pourtant, « homoousio » est  bien approprié
Les adversaires de l’emploi d’« homoousio » proposent alors d’autres termes très proches dont «  homoiousios »[2] ou « homoios ».
Saint Basile (329-379)
Évêque de Césarée

Père de l'Eglise
Adversaire de l'arianisme
« Homoiousios » est employé de manière courante pour désigner des choses qui se ressemblent ou plus exactement ont une forme identique (couleur, taille, poids, etc.), ce qui revient à dire que le Père et le Fils se ressemblent en essence sans bien préciser ce que cette ressemblance signifie. Il est employé pour distinguer les Personnes divines. « Homoios » est encore plus vague. Il signifie « semblable », sans bien préciser en quoi ils sont semblables. Ces termes ne contentent guère toutes les parties.
A l’origine, les Pères de Nicée voulaient définir que « le Verbe est de Dieu, la vertu vraie de Dieu, l’image du Père, parfaitement semblable au Père, immuable et toujours sans division dans le Père »[3]. Mais ils s’aperçurent que les ariens trouvaient moyen de ramener ces expressions à leur sentiment. D'où le choix des termes du symbole « comme ne donnant lieu à aucune ambiguïté »[4]. Le terme d’« homoousia » a été pris comme étant la meilleure et la plus opportune expression de la foi contre les ariens.
L’Église rejette donc les termes d'«  homoiousios » et d'« homoios ». Ils sont bien insuffisants pour définir la vérité de foi qu’elle veut défendre : le Père et le Fils sont deux Personnes divines distinctes tout en étant de même substance divine. Ce point est fondamental dans le christianisme. Dieu est un et trine...

Saint Grégoire de Nazianze
(329-390)
Évêque de Constantinople

Père de l'Eglise
Adversaire de l'arianisme
Sans ce dogme, que devient notre foi ? La distinction des Personnes divine et l’indivisibilité de leur substance, telles sont les vérités que l’Église veut en effet enseigner, vérité de foi sans laquelle il n’est pas possible de professer la divinité de Notre Seigneur Jésus-Christ et donc proclamer le salut de l’homme. Notre salut aurait été impossible si Notre Rédempteur avait été une créature même la plus héroïque et vertueuse. Entre la divinité et l’humanité, il y a un abîme que rien ne peut combler. « L’homme, rattaché à une créature, n’aurait pas été divinisé, si le Fils n’avait pas été Dieu véritable… Voilà pourquoi une telle union est advenue : pour unir celui qui est homme à celui qui appartient par nature à la divinité, pour que son salut et sa divinisation soient assurés […] De même l’homme n’aurait point été divinisé si ce n’était pas le Verbe né du Père par nature, véritable et propre au père, qui était devenu chair »[5]. Notre Seigneur ne pourrait donc sauver l’homme s’Il n’était pas de nature divine afin de combler l’abîme qui sépare Dieu et sa créature, comme Il ne pourrait ramener l’homme vers son Créateur s’Il n’était pas non plus de nature humaine. Derrière le terme d'« homoousio » (ou de « consubstantiel ») se trouve donc la foi en Notre Seigneur Jésus-Christ, Personne divine en deux natures, l'une divine, l'autre humaine, sans confusion, sans changement, sans division et sans séparation comme le définira le Concile de Chalcédoine (451). 
Saint Grégoire (335-394)
Évêque de Nysse, 
Père de l'Eglise
Adversaire de l'arianisme

L’opposition aux termes proposés (« Homoiousios », « Homoios ») est donc parfaitement légitime et inévitable pour les chrétiens soucieux de défendre les vérités de foi et de préserver l’intégrité du dépôt sacré. Il ne s’agit pas d’une vaine dispute entre des savants enfermés dans leur savoir. Ce combat engage le fondement même de la foi. De simples chrétiens s'en sont rapidement aperçus. Ce sont eux qui ont appelé l'attention de leur évêque et souligné les dangers des discours que prononçait Arius. Croire que Notre Seigneur Jésus-Christ n’est qu’un homme même suréminent ou héroïque vide la foi de son véritable contenu. Au sens qu’a défini le Concile de Nicée, le terme d'« homoousio » (ou de « consubstantiel ») est assez précis pour exprimer que le Fils de Dieu est Dieu comme le Père tout en étant distinct. La génération du Fils est naturelle.

Un mot non biblique mais de sens biblique
Pour définir sa profession de foi, l’Église use d’un mot non biblique, ce qui provoque un scandale dans certaines communautés chrétiennes. Il correspond cependant à une réalité que nous retrouvons dans les Saintes Écritures. Les défenseurs de la foi vont donc montrer que si le mot n’est pas biblique, la vérité qu’il signifie est bien révélée dans la Sainte Bible. « Si quelqu'un fait une étude attentive, il reconnaîtra que, même si ces mots ne sont pas ainsi dans les Écritures, du moins la doctrine qu’ils expriment s’y trouve réellement »[6]. Une formulation dogmatique a pour but de définir la vérité avec des mots appropriés et justes. Il faut donc vérifier et démontrer qu’elle corresponde fidèlement à ce que la Saint Écriture exprime avec d’autres mots sans rien ajouter ni diminuer. L'Eglise justifie donc l'emploi de termes non bibliques pour définir une vérité de foi tant qu'ils signifient ce que veut signifier la Sainte Ecriture.
Saint Ambroise (337-397)
Évêque de Milan

Père de l'Eglise
Adversaire de l'arianisme
Une profession de foi intégrale
Le terme de « homoousio » est caractéristique. Sa définition a évolué dans le temps et n’est pas défini de la même façon dans toutes les communautés chrétiennes. Autrefois employé pour exprimer une erreur, il est désormais utilisé dans un sens orthodoxe. Comment reconnaître alors le véritable sens qu’il exprime ? 
Isolé du texte dans lequel il s’inscrit, il peut encore vouloir énoncer une erreur, d’où une certaine réticence et finalement son rejet. Mais inséré dans la profession de foi, bien encadré par les affirmations du Symbole, il devient clair et précis. Il n'est plus source de malentendus. Car c’est ce texte en son entier qu'il faut accepter et non le mot seul. Ainsi est-il défini comme il doit l’être. La formulation dogmatique n’est compréhensible que dans sa totalité. Elle doit être interprétée et comprise selon le sens qu'a défini l'Eglise.

Réactions face à la formulation de foi
La profession de foi provoque en fait quatre types de réactions :
  • certains adhèrent sans problème au mot « homoousio » car ils perçoivent ce que les Pères du Concile veulent signifier. A travers le mot, ils défendent la vérité de foi. Ils cherchent donc à en montrer la conformité avec la Sainte Écriture ;
  • d’autres refusent ce terme car ils y voient une erreur. Ce sont les ariens ou anoméens [8]. Ils isolent le terme de son contexte et profitent des difficultés de compréhension pour élever et accentuer les oppositions ;
  • d’autres le rejettent de crainte d’user un mot illégitime tout en adhérant à la vérité de foi qu'il renferme. Ils sont en outre sensibles aux erreurs qu’il énonçait autrefois, notamment le sabellianisme ;
  • enfin, certains tentent d’apaiser les difficultés en remplaçant ce mot par un autre afin de complaire toutes les « sensibilités », mais toutes les tentatives, nombreuses, aboutissent à des échecs car les mots trouvés ne parviennent pas à exprimer la vérité de foi. Ils ne correspondent pas finalement à la profession de foi des Pères de Nicée.

Le terme de « consubstantiel » ou d’« homousious » n’est peut-être pas à l’origine de ces nombreuses divisions. Il les éclaire et les oblige à sortir de l'ombre. Il a rendu impossibles les doctrines ou les pensées incompatibles avec la foi. Bien avant le Concile de Nicée et l’arianisme, quelques hésitations épisodiques et des déviations doctrinales étaient déjà perceptibles. L’Église a choisi un mot d’origine philosophique, un mot décisif, précis, qui garantit désormais l’orthodoxie de la foi et évite tout échappatoire sur les relations entre Dieu le Père et le Dieu le Fils. Il n'y a plus d'hésitation et de doute mais certitude et sérénité.
Néanmoins, il unifie tous les opposants au Concile de Nicée. Un grand parti composé d’éléments hétérogènes s’est formé. Il les unit par cette opposition même. Les adversaires du Concile de Nicée élaborent alors de nombreuses professions de foi. Aucune ne donne satisfaction. Elles n'ont pas les qualités qu'exige la foi. « On pourrait les qualifier plus exactement de tendancieuses et d’anti-nicéennes, et encore davantage par ce qu’elles omettent que par ce qu’elles affirment. »[7]


Icône de la Sainte Trinité
Saint André l'Iconographe
Trois anges apparus à Abraham
aux chênes de Mambré,
que Saint André considère comme la
figure du mystère de la Sainte Trinité
Le Combat de la foi
Il serait bien long et difficile d’évoquer les années de combats qu’ont du mener les défenseurs du Concile de Nicée contre les ariens et les semi-ariens. Des noms évocateurs surgissent de cette longue période de lutte. Lutteurs infatigables que sont Saint Athanase et Saint Hilaire de Poitiers sans oublier Saint Basile de Césarée, Saint Grégoire de Nazianze et Saint Grégoire de Nysse, etc. L’Église a connu de nouveaux martyrs, de nouvelles persécutions mais cette fois de la part de chrétiens.
L’empereur avec toute son autorité et sa force est intervenu pour plier les consciences, commettant persécution et dommage. Funeste et désastreuse alliance quand le Roi de la Terre se prend pour le Roi des Cieux. Cette période est triste de compromission, d’opportunisme, de clientélisme, de querelles de personnes mais elle est aussi riche de sacrifices, de courages et de profonds traités théologiques. Une histoire bien humaine avec ses taches et ses gloires. Une histoire qui a aussi failli mal tourné. Le monde a failli être arien comme le disait Saint Jérôme… Malgré quelques défaillances, la foi a tenu bon.

Le Concile de Constantinople (381)
Au Concile de Constantinople, l’Église adopte un nouveau symbole tout en proclamant sa fidélité au Symbole de Nicée. Les Pères conciliaires précisent en effet de manière unanime,  « on ne doit pas abroger la foi des trois cent dix-huit Pères réunis à Nicée de Bithynie, mais elle doit demeurer en vigueur »[9].  Il élabore une profession de foi qui inclut celle de Nicée. Il reprend encore le terme d’ « homousious ». Si l’expression «  c’est-à-dire de la substance du Père » est retiré, c’est pour la simple raison que l’« homousious », désormais compris, l’implique nécessairement. Et le 1er canon logiquement dénonce les hérésies qui s’opposent à la foi de Nicée. Le Concile de Constantinople met ainsi un point final à l’arianisme. Ce dernier n’a survécu que dans les peuples ostrogoths et wisigoths. Le même canon condamne les erreurs qui confondent les Personnes divines comme le sabellianisme et d’autres doctrines très proches.

1er Concile de Constantinople
Peint sur un mur
de l'église de Stavropoleos
Bucarest (Roumanie)
Mais ce symbole est aussi nouveau. Il s’étend davantage sur la Troisième Personne divine dont la divinité a été aussi l’objet d’attaque de la part des ariens et certains adversaires du Concile de Nicée. Car en refusant la consubstantialité du Père et du Fils, ils ont rejeté celle des Trois Personnes divines que sont le Père, le Fils et le Saint Esprit. Dans les discussions, certains ariens et semi-ariens finissent par affirmer que le Saint Esprit est une créature au même titre que le Fils de Dieu. D'autres ont admis la divinité du Fils tout en refusant celle du Saint Esprit. Telle sont les hérésies macédonienne et pneumatomaque. Les questions qu’avaient soulevées Arius ont naturellement rebondi sur la définition de la Troisième Personne, qui, auparavant n’avait pas donné lieu à des traités ou à des études particulières. De nouvelles hérésies sont donc à l’origine d’une explicitation de la profession de foi. 
Conclusion
L’arianisme et les autres hérésies ont ainsi obligé l’Église à mieux préciser sa profession de foi, n’hésitant pas à user d’un vocabulaire particulier tout en demeurant fidèle au dépôt sacré. Il y a un développement du dogme pour gagner en précision et en fermeté dans l’expression de la foi. Le but de la profession de foi est bien d’encadrer les esprits afin de préserver et de renforcer la communion de foi. 
Le travail des défenseurs de la vérité est de rappeler les vérités de foi en soulignant notamment les enjeux qu’elles soulèvent et de montrer la légitimité des formulations utilisées sans chercher le moindre consensus qui pourrait porter atteinte aux vérités. Leur objectif n’est pas de contenter tout le monde pour réduire les difficultés, notamment en effaçant les points durs, mais au contraire d’expliquer, d’enseigner, de combattre les malentendus et de dénoncer les erreurs. Un effort d’explication et d’enseignement a donc été nécessaire pour expliquer le véritable sens du mot d’« homoousio » et de le faire accepter tel qu’il a été compris par les Pères de Nicée. Ce mot est finalement le plus propre à exprimer le mystère de la Sainte Trinité. Sans cet effort, peut-il encore être compris et entendu comme l’Église l’a toujours enseigné ? Ne cherchons-nous pas souvent la facilité des mots consensuels pour éviter un combat nécessaire ?
Si le Concile de Nicée a défini les termes d'« homoousio » ou de « consubstantiel » pour exprimer notre foi et condamner les erreurs et si tant de Pères de l’Église se sont tant battus pour les garder, c’est pour la simple raison que ce sont les mots les plus adaptés pour définir notre foi. Les Pères de l’Église ont ainsi refusé tout terme de compromis, tout mot incomplet ou imprécis. « Pour refuser un iota, on a su en ce temps-là souffrir la persécution et la mort. »[10] Si ces termes ne sont plus aujourd'hui compris, il est alors le devoir des évêques et des prêtres d’instruire les fidèles au lieu de les faire disparaître des catéchismes et de la liturgie par des mots plus communs mais plus propres à l'erreur, au doute. Un tel remplacement entraîne inéluctablement à un appauvrissement de la foi, à des confusions et à des déviations doctrinales, sans parler de mépris à l’égard des fidèles de Dieu… Car l'enseignement de la foi exige de la clarté, de l’honnêteté et de la fermeté. « Le peuple n’est jamais vulgaire ; il déteste plutôt qu’on affecte la vulgarité dans l’espoir de lui faire plaisir. »[11]
C’est donc pour défendre les vérités de foi et éclairer les fidèles que l’Église a formulé de manière solennelle sa profession de foi. L’hérésie est un des moteurs qui l’obligent à exprimer de manière plus précise et approfondie ce qu'elle veut enseigner. Et ce n’est pas l’expérience ou l’intelligence de la foi qui l’obligent à de tels efforts… Ce n’est pas non plus le « sens de la foi du peuple chrétien » qui permet ce développement.
« L’Église […] formule ainsi par écrit les articles de foi, avec des mots auxquels tout chrétien doit adhérer tout comme à ceux de l’Écriture. » [12] Elle enseigne les vérités révélées « en les scellant par un jugement définitif et universel auquel la foi la plus totale lui est due. » [13]






Références

[1] Tixeront, Histoire des Dogmes, Tome II, Chap.I, 2, librairieV. Lecoffre, 1909. 
[2] Un seul « i » (« iota ») les différencie d’où l’expression bien connue. 
[3] Tixeront, Histoire des Dogmes, Tome II, Chap.I, 2. Voir Histoire ecclésiastique de Socrate et de Théodoret
[4] Voir Saint Athanase, De decretis et Epist. ad Afros, selon Tixeront, Histoire des Dogmes
[5] Saint Athanase, Traités contre les Ariens, II, 70. 
[6] Saint Athanase, Lettre sur les décrets de Nicée, n°21.
[7] Ignacio Ortiz de Urbina, Nicée et Constantinople, Histoire des Conciles Œcuméniques, Chapitre VI, Fayard, 1963. 
[8] « Anomoios » signifie inégal car les ariens faisaient le Fils inégal au Père. Les semi-ariens sont partagés entre les « homéousiens » et les « homéens » selon le terme qu’ils utilisent pour comparer le Père et le Fils. 
[9] 1er canon du Concile de Constantinople cité dans Nicée et Constantinople, Histoire des Conciles Œcuméniques, Constantinople, chap. IV. 
[10] Jacques Maritain, Œuvres complètes, vol. XVI, Fribourg, Paris, 2000, Mémorandum adressé à Paul VI, suite au remplacement du mot « consubstantiel » dans le Credo utilisé en France dans la liturgie par « de même nature ». Comme d’autres écrivains et philosophes chrétiens, il y a une perte de sens profond dans ce remplacement. Ce changement a été décidé dans les années 60 sous prétexte que le terme de « consubstantiel » était incompris par les fidèles. Sans être hérétique, il est dangereux dans ce qu’il omet de dire. Car deux êtres peuvent être de deux natures et êtres distincts. L’unicité de la Trinité peut donc être remise en cause. Nous avons appris qu’aux États-Unis, les missels avaient repris le terme de « consubstantiel » en 2013. Moins scrupuleux, les anglais n’ont pas changé de formule.
[11] Etienne Gilson, La société de masse et sa culture, Paris, 1967. 
[12] Ignacio Ortiz de Urbina, Nicée et Constantinople, Histoire des Conciles Œcuméniques, Nicée, Chapitre VI.
[13] Ignacio Ortiz de Urbina, Nicée et ConstantinopleHistoire des Conciles ŒcuméniquesNicée, Chapitre VI.
[14] C’est à cette occasion que les chrétiens se sont battus en apparence pour un "iota", c'est-à-dire pour une différence de lettre (la lettre i grec appelé "iota") comme nous le verrons dans cet article.