" La pierre précieuse, voire de grand prix aux yeux de certains, qu'est l'émeraude, se voit insultée par un morceau de verre habilement truqué, s'il ne se rencontre personne qui soit capable de procéder à un examen et de démasquer la faute. Et lorsque de l'airain a été mêlé à l'argent, qui donc, s'il n'est connaisseur, pourra aisément le vérifier ? "(Saint Irénée, Contre les hérésies)


dimanche 30 décembre 2012

La douloureuse question de l'autorité dans l'islam

A la mort de Mahomet, son successeur, Abu Bakr, doit affronter des rebellions avant de partir conquérir des terres (1). Cette période de sécession, faite de guerres, de tractations et de diplomaties, est appelée « rida », c'est-à-dire apostat. Mais, avant de retrouver l'unité si rapidement perdue, les disciples de Mahomet doit résoudre un problème encore plus critique. En effet, rien n'est prévu pour sa succession. Nous pouvons être frappés de cette imprévoyance de la part d'un prophète. Nous avons déjà été surpris de la même imprévoyance dans la transmission et la sauvegarde de sa doctrine religieuse. Tout fait finalement penser que rien n'était prévu pour que l’œuvre de Mahomet se poursuit après sa mort. Il n'a jamais vraiment songé à l'avenir. Or, cette imprévoyance est lourde de conséquences. Elle donnera lieu à la première « fitna », c'est-à-dire au premier désordre de l'islam, encore visible aujourd'hui. Nous pourrions l'appeler aussi la plus grande division de la communauté musulmane. 

Comment choisir le successeur de Mahomet ? Telle est la question que se posent les « musulmans » quand leur prophète meurt en 632 à Médine. Aucune de ses paroles ne précisent les conditions de succession. Nous permettons de rappeler que le Coran n'est pas retranscrite à cette époque. Il n'existe donc que dans la mémoire de ses compagnons. Or, tous sont muets à ce sujet. Le Coran aujourd'hui demeure encore silencieux sur ce point. L'autre difficulté est l'absence d'héritier mâle. Il n'est donc pas possible de transmettre son autorité à un descendant. 


Finalement, les compagnons de Mahomet se réunissent et choisissent Abou Bakr. Ce dernier est un de ses fidèles compagnons de première heure, qui a vécu l'exil de La Mecque. En outre, Mahomet, affaibli, l'aurait désigné pour dire la prière à sa place. Il appartient en outre à la noble tribu de Mahomet. Ainsi Abu Bakh est choisi comme « khalife », c'est-à-dire « successeur ». 

Mais, en 634, Abou Bakh meurt à son tour. La question de la succession se repose. Les compagnons survivants de Mahomet se retrouvent de nouveau pour choisir un autre calife. Mais, les compagnons sont moins nombreux. Certains sont morts dans les combats qui ont opposé les « musulmans » et les rebelles. Avec eux, une partie de la mémoire des premiers temps de l'islam disparaît. Or, c'est à partir de cette mémoire que le Coran et les hadiths seront écrits plus tard. Leur disparition oblige alors les premiers califes à écrire le Coran avant que ne succombent les derniers compagnons de Mahomet. Nous en déduisons donc nécessairement que le Coran ne peut qu'être incomplet. Certes, les compagnons morts ont pu transmettre et écrire ce qu'ils ont entendu mais au moment de la transcription du Coran, ils n'étaient pas présents pour juger... Revenons à notre sujet. Le choix de la succession se porte sur Omar. Il présente les mêmes qualités que celles de son prédécesseur. 

Les deux premiers califes sont très respectés. Ils répriment sans trop de difficultés les tribus qui s'agitent avant de se lancer dans la conquête des richesses du monde. C'est en leur nom que les généraux gouverneurs maintiennent l'ordre dans chaque région conquise, disent la prière du vendredi, lèvent le tribut auprès des infidèles et la dîme auprès des musulmans. Leur prestige est grand. 

Certes, leur succession n'est pas unanimement reconnue. Il existe une faible contestation sur la légitimité de leur élection. Abu Bahr est considéré par certains comme usurpateur imposé par Omar avant qu'il ne prenne lui-même la tête des tribus. On lui reproche aussi les sanglants exploits d'un de ses généraux, Khâlid ibn al-Walîd, responsable du massacre d'une tribu. 

Othman est le troisième calife, Mais, le prestige du calife commence à se dégrader. Médine et La Mecque se jalousent. Othman représente plutôt la seconde quand ses prédécesseurs étaient attachés à la première. Il est aussi accusé de nombreux maux : destruction des versions successives du Coran pour imposer la sienne, établissement d'une aristocratie, accaparement du pouvoir au profit de son clan, la « Banu Umayya ». Il nomme ses membres à la tête des provinces conquises. Enfin, avec ses proches, il mène une vie luxueuse, profitant des richesses de la conquête. Il est finalement assassiné en 656 lors d'une révolte à Médine. Les révoltés et les partisans d'Othman proclament alors Ali comme nouveau calife... 


Ali est le gendre du prophète, gros homme sans bravoure et sans caractère. Il appartient au clan des Hachémites (« Banu Hashim »), rivales de celui des Omeyyades (« Banu Umayya »). Leur rivalité existe bien avant la naissance de Mahomet. Ali revendique le califat sous prétexte de ses liens de sang avec Mahomet et de l'élection divine dont bénéficie sa famille. 

Rapidement, Ali doit faire face à un ennemi acharné en la personne d'Aïcha, une des épouses de Mahomet. Deux proches parents de Mahomet quittent Ali pour la rejoindre. En effet, ils prétendent avoir autant de droits que lui au califat. Ensemble, à la tête d'une petite armée, ils affrontent Ali dans la bataille dite du chameaux mais ils échouent et meurent... 

Puis, Ali se heurte à l'opposition du gouverneur de Syrie, Moawiya. A peine arrivé au pouvoir, il demande à certains des membres du clan Omeyyade de quitter leur poste de gouverneurs. Moawiya refuse de se soumettre. Mais, Ali apparaît vite faible, notamment dans sa répugnance à venger le meurtre d'Othman. On finit par l'accuser d'en avoir été l'instigateur. Moawiya en profite. Il demande vengeance. 


Ali et Moawiya s'affrontent dans la bataille de Sifin en 657 pendant plusieurs mois. Le combat est indécis et s'enlise. Des représentants d'Ali et de Moawiya se rencontrent pour trouver un compromis. Selon certaines sources, les négociations échouent mais le représentant de Moawiya semble comprendre qu'Ali est démis de ses fonctions (2). Selon d'autres, Moawiya aurait été nommé calife (3). Au lendemain de cet arbitrage, aucune solution n'est trouvée. Au contraire, la situation s'empire... 

Mais, la situation d'Ali est plus difficile. En effet, selon une rumeur, Ali aurait démissionné lors de l'arbitrage. Une partie de ses partisans fait alors sécession et se retourne contre leur ancien chef. Ce sont les kharidjites. Ali les écrase, ce qui achève encore de le discréditer. Moawiya apparaît de plus en plus comme le seul chef capable de ramener l'ordre et l'unité. Son prestige ne cesse de grandir. Finalement, en 661, Ali est assassiné par un kharidjite. Les fils d'Ali reprennent le combat. Mais, les uns après les autres finissent par abdiquer ou par être assassinés. 

En 680, Moawiya meurt, son fils Yazid lui succède. La succession devient alors héréditaire. La dynastie des Omeyyades est née. Cette succession fait naître une forte opposition, menée par Hussein, un des fils d'Ali, et par un compagnon du prophète, Abd-Allah Ibn Al-Zubayr. A Kerbala, Yazid massacre la famille d'Ali. Pour les partisans d'Ali, cette ville deviendra un lieu de pèlerinage... Mais, pendant de nombreuses années, les califes omeyyades devront combattre des descendants d'Ali, toujours prétendants au califat, jusqu'au jour où une nouvelle dynastie, celle des Abbassides, viendra la supplanter... 

Durant le conflit entre Ali et Moawiya, l'islam apparaît divisé entre plusieurs tendances
  • les « vieux-musulmans ». Ils tentent de maintenir la communauté musulmane telle que Mahomet l'a organisée, une communauté essentiellement religieuse ; 
  • les partisans d'Ali, les chiites (4). Ils pensent que la famille de Mahomet a une vertu particulière, et revendiquent donc pour son gendre et sa famille l'héritage spirituel du prophète pour guider la communauté (5). Ils prêchent l'apparition imminente d'un mahdi qui viendra rétablir le règne de la justice ; 
  • les kharidjites, « ceux qui sont sortis de la lutte ». Ils pensent que la conduite d'Ali, lors de l'arbitrage, a disqualifiée lui et sa famille et donc que tout croyant sincère et pieux est qualifié pour succéder au prophète à la tête de la communauté. Ils se réfugient aux confins de la Mésopotamie et envoient des missionnaires pour gagner des adeptes ; 
  • le parti des « jeunes musulmans », des politiques, qui ont pris goût aux pouvoirs et qui veulent organiser un État. 
La division de la communauté musulmane s'explique aussi par des changements de pouvoir entre différents pôles du jeune empire. L'accession de Moawiya au califat conduit à élever Damas au rang de capitale de nouvel empire. L'Arabie perd désormais un rôle politique tout en maintenant néanmoins son rôle spirituel. Pour contrebalancer probablement son autorité religieuse, les Omeyyades construisent le dôme du rocher sur l'esplanade des mosquées à Jérusalem qui deviendra un lieu de pèlerinage. 

Le déplacement du pouvoir à Damas n'est pas anodin. Le calife est désormais installé au centre des anciennes civilisations orientales. Il en subit naturellement l'influence. Progressivement, en effet, soucieux aussi d'organiser le nouvel État, les Omeyyades adoptent les traditions des empires orientaux : caractère absolu et personnalisation du pouvoir, mise en place d'une cour selon la pompe byzantine, mécénats artistiques, luxures, … Les califes finissent par s'éloigner de la communauté musulmane. Dans les provinces orientales (Iran, Irak), ils doivent faire face à des révoltes continuelles. En 750, ils seront finalement remplacés par les Abbassides, c'est-à-dire par des Iraniens. Ce sera la fin de la domination arabe au profit des non-arabes... 

De ces conflits interminables, nous pouvons conclure trois points essentiels. 

Derrière ce problème de succession, se révèlent de nouveau le problème de la notion d'autorité dans l'islam. Cette autorité cumule deux fonctions, religieuse et politique. Le calife est en effet le guide religieux de la communauté dont il doit assurer l'unité. Il est aussi le gardien de la religion. Le calife est également le chef chargé de diriger l'empire, de le défendre et de l'administrer. La querelle des successions n'est donc pas seulement d'ordre politique mais aussi religieux. Or, nous savons qu'un schisme aboutit souvent à une hérésie. Les chiites et les kharidjites développeront naturellement une doctrine et une conception de l'islam propres. 

Le fondement de l'autorité politique et religieuse de l'islam n'est aucunement défini dans l'islam. Est-il élective ou héréditaire ? Dépend-il de ses liens avec le fondateur ou de ses qualités de croyants ? L'absence d'autorité dûment et clairement définie par Dieu ne peut conduire qu'à des désordres et à des divisions. Certes, l'histoire du christianisme montre qu'elle n'est pas une condition suffisante pour garantir la paix et l'unité mais elle révèle aussi qu'elle est amplement nécessaire. 

Enfin, seuls le prestige et la force ont garanti le pouvoir des califes. Sans crédibilité, ils finissent par succomber. Othman est apparu affaibli et donc contesté. C'est parce qu'Ali a été perçu comme faible qu'il n'a pas pu se maintenir sur le trône. Moawiya est apparu l'homme fort de la situation, le seul capable de garantir l'unité et la force de l'empire aux yeux des « notables ». Le prestige soutenu par la force reste le seul garant de l'autorité politique et religieuse auprès de la communauté musulmane. Malheurs aux faibles !... 





1. Émeraude, novembre 2012, article « La conquête arabe ». 
2. Lisa Romero, article « Califat : origine, rôle et évolution dans l'histoire », publié le 14 janvier 2011, sur le site Les clés du Moyen-Orient
3. Ralph Stehly, professeur d'histoire des religions, université Marc Bloch, Strasbourg, article « Abû Bahr ». 
4. Chiisme ou shi'ite vient de « shiat Ali » qui signifie « partisan d'Ali ». 
5. Les chiites sont eux-mêmes divisés entre plusieurs tendances selon le nombre d'imams qu'ils reconnaissent. On appelle imam les descendants d'Ali.

vendredi 28 décembre 2012

L'évolutionnisme philosophique et religieux

Depuis plus de 50 ans, certains clercs catholiques ont développé une pensée religieuse surprenante, innovante, révolutionnaire. Par leur audace et par leur imprudence, souvent mêlées d'indélicatesse et d'insolence, ils ont troublé les fidèles au point qu'un grand nombre d'entre eux ont décidé de quitter l’Église, avec tristesse et colère. Les catholiques ont été profondément méprisés et trahis. Le doute s'est alors installé en eux. Leur identité construite patiemment, parfois avec beaucoup de sacrifices, a été brusquement reniée. Leurs connaissances ont perdu toute valeur. Leur âme a été cruellement touchée. Ce traumatisme a conduit à la désertion des églises et à la perte de la foi. Les hommes d’Église ont alors fini par perdre toute crédibilité au moment même où le monde offrait de plus grandes séductions. Quand nous pensons à cette histoire récente, nous ne pouvons que penser avec peine et peut-être avec colère à la lourde responsabilité de ces hommes et de ces femmes qui ont contribué à détruire les paroisses chrétiennes, à dissoudre les communautés religieuses, à rejeter des fidèles dans l'incroyance et dans l'ignorance. Ils ont dénigré le trésor de l’Église pour des chimères. Aujourd'hui, nous éprouvons toute la douleur de ce drame. Mais, nous ne devons pas nous arrêter à cette profonde tristesse. Nous devons comprendre ces nouvelles théologies qui poursuivent leur influence et dominent aujourd'hui encore davantage les pensées. 


« L'inscription de l'humanité dans le grand arbre de la vie, retracé grâce à la théorie scientifique de l'évolution, entraîne une rupture avec la philosophie de l'homme qui a dominé la pensée européenne » (1). Rupture, telle est le terme significatif de l'une de ces pensées religieuses, responsables de la crise actuelle. Mais, il ne s'agit pas simplement d'une rupture. Nous pouvons parler de reconstruction. L'évolutionnisme a bouleversé la conception de l'homme et plus globalement la conception du monde. Il s'est répandu dans le domaine philosophique et religieux. Essayons de décrire cette nouvelle conception… 

L'homme est représenté comme un être vivant parmi d'autres, soumis aux mêmes lois. Son histoire s'inscrit alors dans celle des êtres vivants, elle-même dans une histoire où progressivement les espèces évoluent, au grès du hasard et de la sélection naturelle. Néanmoins, l'homme a une particularité : son intelligence et sa conscience ont lentement émergé et continuent à évoluer depuis les origines. Chez les premiers hommes, « la liberté est là, implicite et s'exercent de manière encore enrobée » (2). 

Alors, peu à peu, à travers le temps, l'homme se construit, se développe. Il y a une « hominisation » progressive de l'homme. Et cette hominisation correspond à une autonomie de plus en plus grande, « toujours moins instinctuelle et toujours plus authentiquement libre » (3). Plus l'homme évolue, plus sa liberté est grande, plus il se détache de la nature...

Mais la nature est vue aussi comme une lutte permanente depuis le commencement. L'évolution est le fruit d'une sélection naturelle où le meilleur l'emporte sur les plus faibles. Ce combat est donc perçu comme naturel, et non plus comme le fruit d'une déchéance. Dans le cycle du temps, les uns disparaissent, les autres dominent. La mort est étroitement liée à la vie depuis les premiers jours. Et ceux qui survivent sont les meilleurs. L'avenir conduit donc à un progrès inévitable... Se trouve ainsi justifié le mythe du progrès : l'évolution, tant dans la nature que dans l'homme, est directionnelle. 

Nous avançons donc progressivement vers un monde meilleur. Toujours selon cette pensée, l'ultime fin de l'évolution est le Christ... Il est le point Omega, le point de convergence de tous ces mouvements... Tout concourt inéluctablement vers ce point, qui attire tout à lui. C'est le sens même de l'évolution... 

Comment apparaît alors le mal ? « Le mal, comme imperfection naturelle d'une créature finie, est donc inhérente à notre vie humaine temporelle. Le mal est inhérent à une histoire humaine inachevée. Le mal, de ce point de vue, est l'imperfection naturelle d'un monde en voie d'évolution » (4). Le mal s'explique donc par l'inachèvement de l'homme. Il appartient à la nature de l'homme tant qu'il y a encore un chemin à parcourir. Ce n'est donc pas un châtiment mais le signe de sa finitude. « Le mal est une nécessité statistique de désordre à l'intérieur d'une multitude en voie d'organisation » (5). Le mal est donc inhérent à notre nature. Et le mal n'est pas permanent. Un jour, il cessera puisque progressivement, l'homme avance vers sa perfection... 

Ainsi, combattre le mal revient à ne pas suivre la nature, mais à « transgresser sa loi de la nature, si cette loi entrave l'accomplissement de la personne humaine » (6). Combattre le mal revient à favoriser l'évolution de l'homme. Il ne doit donc pas hésiter à enfreindre les lois naturelles pour avancer sur la voie du progrès. Il y a finalement opposition entre la nature et le perfectionnement de l'homme... 

S'il a progrès dans l'évolution, il n'y a pas de restauration à accomplir. Or, « l'histoire de la religiosité humaine a plus souvent été celle d'une nostalgie pour une perfection passée imaginée que celle de l'anticipation d'une nouvelle création. Même dans les religions qui descendent de l'environnement abrahamique qui regarde vers un futur encore indéterminé ouvert par le Dieu de la promesse » (7). L'homme doit se porter vers l'avenir au lieu de s'attacher à la nostalgie d'un passé à restaurer. Il ne s'agit pas de retrouver un état perdu, mais un état à créer. Le temps nous est donné pour cela... Et les voies sont multiples pour y parvenir et ne cessent de se multiplier au fil du temps. 

On introduit ainsi la contingence historique. « Nous sommes désormais dans un monde pluriel, d'où aucune instance ne peut se revendiquer seule détentrice de la vérité » (8). Car, « la vérité, c'est qu'il existe une pluralisme authentique dont l'homme est finalement incapable d'opérer la réduction absolue, celle-ci devant être abandonnée à Dieu, si bien que la synthèse de ce complexe qu'est l'existence humaine demeure, pendant le temps de sa brève durée, une tâche à parfaire indéfiniment » (9). Ce qui est vrai à un moment ne l'est plus plus tard puisque le temps apporte un approfondissement de l'être et une multiplicité des possibilités. L'homme est alors voué à la recherche permanente d'un approfondissement de son humanité. Nul ne peut donc prétendre à détenir la vérité en perpétuelle reconstruction... 

Cette vision de la vie et de l'homme est née de l'évolutionnisme, où plutôt de la volonté de certains théologiens de faire plier la foi à cette théorie. « il faut reconnaître que nous sommes passés dans un autre espace de représentation que celui dans lequel nos grands textes religieux ont été rédigés. C'est dans cet espace que la foi chrétienne doit s'exprimer aujourd'hui » (10). Inévitablement, « cela nécessite des révisions dans la manière de dire la doctrine ». Car selon le même auteur, « le christianisme, au moins dans le monde catholique, s'est longtemps exprimé dans le cadre métaphysique d'Aristote », étroitement lié à la cosmologie fixiste. Or, tout cela est une imposture à double titre. 

D'une part, cette vision du monde et de l'homme impose non pas une nouvelle façon de dire la doctrine ou d'exprimer sa foi mais un changement radical de la doctrine et de la foi elle-même. Ce n'est plus une question de mots mais de sens. Le péché originel n'a plus aucun sens dans ce cadre évolutionniste. En outre, la cosmologie créationniste est inhérente à la doctrine chrétienne. Elle est née bien avant l'influence de l'aristotélisme. ... 

D'autre part, si l'évolutionnisme a développé un nouveau cadre conceptuel, ce sont ces théologiens qui l'ont infusé et développé dans l’Église au lieu de la combattre par les armes même de la science. Leur doctrine a balayé l'ancienne vision pour en édifier une autre, plus conforme à l'évolutionnisme. Ils ont fait plié la foi à la théorie. Comment pouvons-nous supporter l'impertinence de ces théologiens qui osent déformer la foi pour la rendre conforme à une théorie contestable ? 

Cette conception de la vie que nous venons brièvement de décrire est peut-être une des causes de l'adhésion de nos contemporains à de nombreuses déviations morales. Si l'homme se construit et évolue en quête d'hominisation, d'une plus grande autonomie, y compris contre les lois de la nature, la théorie du gender, l'homosexualité, l’euthanasie, l'amour libre et d'autres tendances sont alors largement justifiés. 


1. Jean-Michel Maldamé, Création par évolution, Cerf. 
2. G. Martelet, Libre réponse à un scandale : la faute originelle, la souffrance et la mort, édition du Cerf, 1986, cité par le Père André Boulet, Création et Rédemption à l'épreuve de l'évolution
3. François Euvé, Darwin et le christianisme, vrais et faux débats, édition Buchet-Chastel, 2010. 
4. Jacques Bur, Le péché originel, ce que l'Eglise a vraiment dit, édition du Cerf, 1988, cité par le Père André Boulet, Création et Rédemption à l'épreuve de l'évolution, édition Téqui, 2009. 
5. Le Père Teilhard de Chardin. 
6. François Euvé, Darwin et le christianisme, vrais et faux débats, édition Buchet-Chastel, 2010. 
7. J. Haught, Is Nature enough ? Cité par François Euvé, Darwin et le christianisme, vrais et faux débats. 
8. F. Euvé, Darwin et le christianisme, vrais et faux débats
9. K. Rehner, Est-il possible aujourd'hui de croire ? Cité par F. Euvé, Darwin et le christianisme, vrais et faux débats
10. F. Euvé, Darwin et le christianisme, vrais et faux débats.

lundi 24 décembre 2012

Les créationnismes

L'unité et la diversité de la vie peuvent s'expliquer de deux manières : soit par évolution des espèces, soit par création. Les espèces sont considérées, dans le premier cas, mutables, dans le second, fixes. Ainsi, s'opposent l'évolutionnisme et le créationnisme. Comme le premier domine les pensées en tant que dogme, le second apparaît comme une hérésie, donc à combattre. Mais, cette dualité clairement affichée notamment par les médias cache une réalité, la diversité des doctrines créationnistes et leur confusion. En regroupant tous ses adversaires dans un même terme, l'évolutionnisme peut plus aisément diaboliser leurs adversaires. Nous allons donc tenter de rétablir un peu de vérité... 

Globalement, le terme de "créationnisme" désigne toute doctrine qui reconnaît que le monde a été créé. Tout chrétien est donc créationniste. Celui qui prétend ne pas l'être ne peut en effet réciter le premier article du Credo. 

Et pourtant, des théologiens tentent de montrer que l'évolutionnisme est conciliable avec la foi, comme les partisans du teihlardisme. La création est plutôt vue comme une relation continue entre le Créateur et ses créatures. Ils parlent de "création continue". Ils adaptent le sens des Écritures et les dogmes selon les résultats de la "science". Cette tendance est souvent appelée "créationniste théiste". Mais, en réalité, il s'agit d'une véritable théorie évolutionniste... 

On a tendance à faire naître le créationnisme aux États-Unis, dans les milieux protestants, à la fin du XIXème siècle. Ces derniers l'auraient développé en réaction aux progrès et à la domination de l'évolutionnisme. Or, la plupart des scientifiques étaient déjà fixistes avant la publication du livre de Darwin. John Ray, le "père de l'histoire naturelle britannique", Carl Linné, le "père de la taxinomie moderne", Georges Cuvier, fondateur de la paléontologie, étaient créationnistes tout en étant de véritables scientifiques. Leur foi s'accordait avec la science sans difficulté. La communauté des scientifiques était donc créationniste. A cette époque, on employait plutôt le terme de fixisme. Aujourd'hui, ils seraient considérés comme non-scientifiques. 

Aux États-Unis, néanmoins, apparaît un créationnisme plus virulent et radical. Contre le progrès de la théorie de l'évolution, défendue par les libéraux, certains protestants réagissent et parviennent à interdire l'enseignement de l'évolutionnisme. Ce créationnisme entre dans le cadre des missions protestantes pour le réveil de la foi et la lutte contre la décadence morale. Ce groupe de pasteurs élabore une catéchèse appelée "Fundamentals", d'où on tirera le terme de fondamentalistes. L'un des initiateurs, le pacifiste William Bryan, secrétaire du président américain Wilson jusqu'en 1917, trouve la source de la guerre et de la violence dans le darwinisme. Il veut donc le combattre. Le 28 janvier 1925, il parvient à interdire l'enseignement de la théorie évolutionniste. L’État du Tenesse met en place le Butler act qui déclare qu'il est "illégal pour tout enseignant [...], d'enseigner toute théorie qui nie l'Histoire de la Création divine de l'homme comme enseigné dans la Bible, et d'enseigner à la place que l'homme est descendu d'un ordre inférieur des animaux" (1). 15 États sur 25 l'interdisent. Dans les débats, on finit par opposer la science et la religion, les valeurs traditionnelles à celles des libéraux et du progrès. Certains anti-évolutionnistes considèrent le darwinisme comme une justification de l'exploitation des travailleurs et du capitalisme. Les protestants combattent les idéologies dérivées du darwinisme. En 1969, les lois anti-évolutionnistes sont déclarées anticonstitutionnelles. 

Ce premier créationnisme américain s'appuie surtout sur une lecture plus ou moins littérale de la Bible pour s'opposer à l'évolutionnisme. Il récuse et dénigre les résultats de la science. On distingue "les créationnistes Terre jeune" qui croient en la création du monde en six jours, et les "créationnistes Terre veille" qui conçoit que l'origine de l'univers remonte à des millions, voire à des milliards d'années. Les premiers sont appelés "littéralistes", les seconds, "concordistes". 

En 1941, des chrétiens évangélistes diplômés se rassemblent pour répondre aux difficultés des relations entre la science et la foi. En 1963, l'un d'eux, Henri Morris (1918-2006) lance le créationnisme scientifique pour combattre l'évolutionnisme sur son propre terrain. Il s'agit maintenant de montrer que la Bible est une source de vérités scientifiques et que sa lecture littérale peut être prouvée scientifiquement. Ce créationnisme continue donc de s'appuyer sur la Bible, présentée comme "historiquement et scientifiquement vraie dans le texte original" (2), tout en montrant les failles de l'évolutionnisme au moyen de la science. Le darwinisme est toujours présenté comme une menace de l'ordre social. "En considérant l'homme comme un animal, [la théorie de l'évolution] prône des comportements animaux comme l'amour libre, l'éthique situationnelle, les drogues, le divorce, l'avortement et une foule d'idées qui contribuent à conduire l'homme d'aujourd'hui vers la futilité et le suicide" (3). 

Un nouveau créationniste apparaît encore à la fin du XXème siècle : l'"intelligent design", ou encore en français, le « dessein intelligent ». Désormais, le créationnisme ne s'appuie plus sur des références religieuses explicites. Les principaux auteurs de ce mouvement sont le juriste Philipp Johnson, né en 1940, le biologiste Michael Behé, né en 1952 et le mathématicien William Dembsi, né en 1960. 

Ils montrent que les processus physico-chimiques ne peuvent seuls expliquer la diversité de la vie, compte tenu de sa complexité. "Pour expliquer la vie, il est nécessaire de supposer l'action d'une intelligence qui n'a pas évolué " (4). Le mot "design" signifie projet ou idée qui préside à sa réalisation. La science peut en effet apporter son appui pour montrer l'existence d'un "designer", d'une intelligence. Ces créationnistes s'opposent alors au postulat scientifique qui refuse d'expliquer les phénomènes naturels par une intervention non naturelle. Ils considèrent que cette limite est incompatible avec l'étude des organismes vivants, et finalement ils refusent le matérialisme dans les sciences. Le retour d’éléments de spiritualité dans la démarche scientifique est aussi l'objectif d'un autre mouvement proche du créationnisme, qui s'exprime en France par l'intermédiaire de l'Université Interdisciplinaire de Paris. 

Le créationnisme touche aussi le monde musulman, surtout en Turquie, Indonésie, Malaisie. Il a donné lieu à une œuvre, « la fondation pour la recherche scientifique » de Harun Yahia (1991). Très présent sur Internet et dans les médias, puissant prédicateur, il tente de démontrer les failles de l'évolutionnisme en s'appuyant sur des faits apparemment scientifiques. Il montre aussi la responsabilité de l'évolutionnisme dans les idéologies violentes du XXème siècle. Le Coran est enfin présenté comme un ouvrage scientifique ultime de référence. Ce créationnisme est parfois appelé "néocréationnisme musulman". 

Les témoins de Jéhovah, la scientologie et d'autres sectes encore développent aussi des créationnismes particuliers. 

Nous pouvons donc distinguer : 
  • le créationnisme métaphysique, philosophique ; 
  • le créationnisme chrétien ; 
  • le créationnisme concordiste, de type théiste ; 
  • le créationnisme littéraliste ; 
  • le créationnisme scientifique, finaliste ; 
  • les créationnismes sectaires. 
Ces mouvements très divers cherchent à combattre l'évolutionnisme, parfois à l'aide d'arguments scientifiques et logiques séduisantes. C'est pourquoi il est parfois intéressant de les entendre tout en veillant à confirmer leurs propos par des sources plus objectives. Il serait difficilement compréhensible de refuser de les écouter sous prétexte qu'ils sont créationnistes. 

Néanmoins, les créationnistes littéralistes et scientifiques s'appuient sur des erreurs philosophiques ou religieuses graves, notamment sur la pure littéralité de la Sainte Écriture et sur une conception erronée de son autorité. Nous retrouvons les erreurs du protestantisme. Pour le créationnisme de type théiste, nous ne pouvons qu'être encore plus critiques et opposés. Il change le contenu de la doctrine pour qu'elle soit conforme à l'évolutionnisme. C'est de l'évolutionnisme déguisé. Ne parlons guère des créationnismes sectaires qui s'égarent dans des conceptions très lointaines de la foi et de la raison ... 

Ainsi, il n'existe pas un seul créationnisme. Certes, tous ces mouvements adhèrent à l'idée d'une création divine et à la fixité des espèces, mais cela ne suffit pas pour les rassembler sous un seul terme, encore moins pour les confondre. C'est néanmoins très pratique pour diaboliser celui qui ose croire en un Dieu, Créateur de toutes choses. Pratique très courante pour discréditer son adversaire et pour obliger les hommes à choisir entre deux principes, l'évolutionnisme et le créationnisme, l'un prétendu bon, rationnel et moderne, l'autre apparemment mauvais, déraisonnable et rétrograde. Les média se nourrissent de ce manichéisme si simpliste, source de terribles confusions. Rassembler tous les créationnismes, y compris ceux qui sont radicalement différents, sous un seul et même terme, permet aussi de montrer l'incohérence de l'idée de la Création et d'établir des filiations entre eux. Tout cela est faux. Ainsi, évitons d'employer ce terme si galvaudé. Proclamons avec fierté notre foi en un Dieu Créateur. 



1. Butler Act, Wikipédia, article "Créationnisme", www.law.umkc.edu/faculty/projects/ftrials/scopes/tennstat.htm
2. Charte du mouvement créationniste cité dans J. Arnoud, Les Créationnistes, édition du Cerf, 1996, dans Darwin et le christianisme, vrais et faux débats, de F. Fuvé. 
3. Tim Lahaye, cité dans J. Arnoud, Les Créationnistes, dans Darwin et le christianisme, vrais et faux débats
4. W. Demski, M. Ruse, Debating System: from Darwin to DNA , Cambridge University Press, 2001 cité dans Darwin et le christianisme, vrais et faux débats, de F. Fuvé.

vendredi 21 décembre 2012

Micro-évolution, macro-évolution


Forts des conclusions de notre étude, nous pouvons avec justice et sans crainte rejeter les théories de l'évolution ou plus simplement l'évolutionnisme. Cependant, nous restons un peu perplexes. Car nous ne pouvons pas ignorer un fait incontestable : des êtres ont évolué au point de créer de nouvelles espèces (au sens scientifique (1)). Les évolutionnistes peuvent en effet nous présenter des cas avérés d'évolutionnisme soit dans notre monde contemporain, soit dans un passé éloigné, pour justifier leur théorie. Sur des cas précis, nous ne pouvons guère en effet les récuser. D'où vient alors l'apparente contradiction ?... 


Nous allons vous présenter la thèse séduisante de Denton, un créationniste avéré. L'idée n'a pourtant rien d'originale car elle a été déjà énoncée au XVIIIème siècle, notamment par Buffon (2). Denton distingue dans l’œuvre même de Darwin deux théories : une théorie restreinte et une théorie étendue, qui n'est que l'extension de la théorie restreinte à l'ensemble des organismes vivants. Il distingue finalement la micro-évolution de la macro-évolution. Dans le premier cas, des espèces peuvent évoluer par processus naturel sous l'action de la sélection naturelle. Des espèces ne seraient donc pas toutes immutables. Darwin se justifie par de nombreuses observations et des cas précis. Mais ensuite, il extrapole la possibilité de variations sur l'ensemble des espèces. Il en conclut qu'aucune espèce n'est fixe. Il va encore plus loin. Comme les espèces évoluent et qu'elles disposent suffisamment de temps pour évoluer, elles a nécessairement donné naissance à de nouvelles espèces. Par l'évolution, des espèces ont donc engendré de nouvelles espèces, ce qui explique que les mammifère viendraient des reptiles, eux-mêmes des poissons, etc. Le raisonnement est simple. Selon donc Darwin, ce qu'il se passe sur une petite échelle est possible à grande échelle, pour toutes les évolutions, quel que soit leur ordre de grandeur... 

En reprenant des résultats scientifiques obtenus depuis 1859, Denton justifie la théorie restreinte : « la sélection naturelle a été directement observée et il ne fait plus aucun doute aujourd'hui qu'il se crée de nouvelles espèces dans la nature » (3). Mais, il rejette son extrapolation : « même si la théorie restreinte de Darwin a été confirmée, son application généralisée reste aussi peu fondée qu'il y a cent vingt ans. La réussite du modèle darwinien à l'échelle de la micro-évolution ne sert qu'à souligner sa défaillance à l'échelle de la macro-évolution » (4). 

Que dit finalement Denton ? Il précise deux choses. D'une part, l'évolutionnisme n'est plus possible à partir d'un certain degré de complexité. D'autre part, l'évolution sur une petite échelle est possible mais n'est pas obligatoire. Nous sommes dans le cadre d'une possibilité et non d'une obligation. 

La démarche de Darwin, consistant à extrapoler un cas restreint à l'ensemble des espèces, ne tient plus devant les découvertes de la science. Nous avons en effet pu entrevoir l'impossibilité et l'improbabilité d'une création ou d'une modification importante d'un organe à partir de processus naturel. Mais, par mutation génétique, il est possible de concevoir la modification d'une couleur d'une peau sans remettre en cause le fonctionnement de l'organisme. Une modification de couleur peut apporter un avantage à l'espèce mutée, ce qui peut alors favoriser son développement. Prenons un exemple. 


Il y a plus d'un siècle, il semblerait que tous les papillons de la variété « géomètre du bouleau », encore appelé phalène, étaient de couleur claire, comme ils le sont dans les régions rurales. Cette couleur est adaptée aux arbres clairs ou aux rochers couverts de lichens, sur lesquels les papillons passaient la journée au repos. Or, aujourd'hui, dans les villes anglaises, prédomine une variété de papillons de couleur sombre, bien mieux camouflés dans un paysage où les arbres et les rochers sont noircis par la pollution. Cette variété de papillon a donc évolué. Cette évolution est en outre plus adaptée à son environnement. Ainsi, peut-il mieux échapper aux prédateurs et donc mieux survivre. L'évolution est donc possible et elle correspondait à un avantage réelle. 


Un autre exemple, souvent évoqué. A partir de fossiles et de formes intermédiaires, des paléontologues ont déterminé une évolution concevable du cheval dans le temps. On passe de l'Eohippus jusqu'au cheval moderne, en précisant les changements dans la structure des membres et du crâne. Certes, cette évolution n'est pas parfaite et fait l'objet de critiques de la part de scientifiques, mais cet exemple a l'avantage de représenter clairement une séquence évolutive naturelle convaincante. Cependant, cette séquence se déroule sur une courte période et sur des évolutions minimes. 

Or, la modification du système respiratoire nécessaire pour passer du milieu aquatique au milieu terrestre, la transformation de nageoires en ailes, et bien d'autres encore transformations aussi vitales et fondamentales, est d'une complexité plus considérable que le changement d'une couleur ou de la longueur d'un bec. Nous sommes sur une autre échelle de grandeur. Aujourd'hui, la science peut encadrer davantage l'évolutionnisme dans des limites raisonnables au lieu de se laisser manipuler dans une dogmatisation outrancière. Nous pouvons faire le parallèle entre la théorie de Newton et la théorie de la relativité, la première étant vraie jusqu'à une certaine limite pour laisser sa place à la seconde... 

La théorie restreinte n'est pas en outre une loi générale mais une explication possible de cas observés pour des évolutions mineures. Elle répond à des observations avérées et donne des conclusions cohérentes et très probables. La génétique a confirmé cette possibilité. Il est donc difficile de la remettre en question dans l'explication de certains cas d'évolution d'espèces. Ainsi, nous pouvons la considérer comme une possibilité naturelle sans toutefois la considérer comme une obligation, applicable à toutes les espèces. Ce n'est qu'une capacité donnée à certains êtres vivants pour survivre. 

Il est très raisonnable de croire que Dieu n'a pas créé toutes les variétés de papillons en imaginant toutes les couleurs possibles de leurs ailes. Cela ne contredit pas le sens biblique du terme « espèce ». A l'origine, Dieu n'a pas non plus isolés les espèces sur des espace confinés. Comme l'homme, elles se sont répandues sur toutes la Terre. Certaines d'entre elles ont pu s'isoler, ce qui a alors favorisé à des évolutions mineures de faire évoluer une espèce. Dieu aurait ainsi laissé une certaine "liberté" ou "marge de manœuvre" à son œuvre pour qu'elle se développe et s'adapte aux nouvelles circonstances environnementales. Sans degré de "liberté", toute œuvre complexe dans un monde fluctuant est en effet vouée à disparaître... 

Il est donc pertinent de distinguer fermement les deux niveaux d'échelles d'évolution. La théorie restreinte ne semble pas remettre en cause la foi, entrant parfaitement dans le modèle créationniste et donnant encore plus de vigueur à notre foi en un Dieu providentiel. Néanmoins, encore faut-il préciser que cette évolution est une capacité et non une loi. La théorie générale est une erreur incontestable... 

En conclusion, l'évolutionnisme n'est pas une science mais bien une idéologie qui, à partir d'une théorie possible et réservée à des cas particuliers, tente d'expliquer toute la vie. Les mécanismes d'évolution dans notre monde ne sont que des mécanismes de faible ampleur, une des solutions pour garantir au système sa solidité et sa persistance. 

Les mécanismes d'évolution n'explique donc pas l'unité et la diversité des espèces... 


1. Voir Émeraude, juillet-août, article « Qu'est -ce qu'une espèce au sens scientifique ? ». 
2. Voir Émeraude, juillet-août, article « L'évolutionnisme n'est pas aussi évidente que cela ». 
3. Denton, Évolution, une théorie en crise, chap. IV, édition Flammarion, traduit de l'anglais par Nicolas Balbo, 1992, de Evolution, a Theory in crisis, ed. Burnett Books Ldt, 1985.
4. Denton, Évolution, une théorie en crise, chap. XV.

lundi 17 décembre 2012

[Synthèse] l'évolutionnisme, une imposture...

Le darwinisme et ses avatars s'opposent à la foi en un Dieu Créateur. Il ne s'agit pas encore d'opposer science et religion, mais deux conceptions du monde radicalement opposées. Ce ne sont pas des faits qui sont contestés mais les hypothèses à partir desquels on interprète ces faits et évidemment les interprétations elles-mêmes. Si on adhère à leurs principes, on ne peut qu'alors accepter leurs conclusions logiques, si évidemment elles sont le résultat d'un raisonnement correct et rigoureux. Mais, si leurs conclusions s'avèrent contraires aux faits, objectivement interprétés, ces hypothèses sont alors erronées. C'est le classique raisonnement par l'absurde. Ce n'est ni la logique, ni les faits qui sont alors contestables mais bien les principes de la théorie. Et c'est contre ces principes que nous devons combattre... 

Depuis quelques mois, nous avons étudié l'évolutionnisme sans d'autre but que d'éclairer notre jugement et le vôtre. Ainsi, avons-nous exploré l'histoire de l'évolutionnisme, la génétique, la paléontologie, la stratigraphie et bien d'autres choses encore. En voici les conclusions... 

  • Les théories évolutionnistes sont nécessairement empreintes d'une philosophie de la nature, dans laquelle la nature est elle-même cause et moteur d'elle-même, contraire à la conception d'un Dieu créateur et d'un homme fait de l'union d'une âme et d'un corps, contraire donc à la foi chrétienne (1).
  • Elles s'opposent radicalement à la Sainte Écriture. Certes, on a tendance à relativiser cette opposition, en n'y voyant qu'un problème de sens, mais cette opposition dépasse la simple question de mot (2).
  • Bien qu'elles soient séduisantes par leur cohérence, elles sont confrontées à des contradictions philosophiques (nominalisme/universalisme) qu'elles ne cherchent pas à résoudre. Elles en jouent... 
  • Elles sont aussi séduisantes par leur logique mais demeurent impossibles, faute de temps, et improbable, compte tenu du caractère fortement aléatoire des mutations génétiques et de la complexité de plus en plus claire du fonctionnement de l'être vivant (4). 
  • Elles s'appuient sur un principe de continuité dans le temps, qui s'oppose à un autre principe, celui de la discontinuité. L'absence des chaînons intermédiaires entre les espèces fragilise considérablement le principe de continuité. La discontinuité apparaît aujourd'hui beaucoup plus vraisemblable. (5)
  • Elles croient que l'évolution des êtres équivaut à leur complexification et à leur progrès dans le temps. Or, rien ne le prouve. La présence de « fossiles vivants » tend à démentir ce principe, peu vraisemblable, compte tenu de l'aspect aléatoire des mutations génétiques. (6)
  • Elles méconnaissent profondément l'unité fondamentale de l'être vivant. Il n'est pas un simple composé d'organes ou de membres, capables d'évoluer de manière indépendante, mais bien une unité extraordinairement cohérente, précise, efficacement complexe. C'est pourquoi une modification d'un de ses composants peut conduire inévitablement à la mort, ou plus probablement à rien de fiable. (7)
  • Elles s'appuient sur une chronologie relative et une datation absolue qui peuvent légitimement être remises en cause, ou du moins être conditionnelles. Or, on oublie souvent de mentionner les limites des principes et des outils utilisés pour les obtenir. L'incertitude prend toutes les apparences de la vérité. (8)
  • Elles confondent la cause (mutation) et les conséquences (sélection naturelle). La sélection naturelle n'a aucun sens si l'évolution n'a pas déjà œuvré. (9)


Il ne s'agit pas d'établir un réquisitoire contre la science, mais contre ceux qui ont abusé de la science de manière imprudente ou pour des raisons idéologiques. Ce n'est pas la science qui a édifié l'évolutionnisme, mais des théoriciens aux principes contestables. Ils ont certes le droit de construire un modèle, capable de leur apporter des instruments de calcul ou de simuler des interprétations, bref de donner une visibilité et une existence à la théorie elle-même. L'évolutionnisme a en effet cette capacité de pouvoir être modélisé et donc d'être scientifiquement intéressante. Mais, faut-il encore préciser ses limites. Faut-il aussi ne pas utiliser ce modèle pour justifier l'évolutionnisme ! Il est surtout scandaleux de le présenter comme une réalité incontestable. Dans nos recherches, nous n'avons pas toujours vu l'objectivité et l'honnêteté nécessaires. En outre, le modèle apparaît très éloigné de la réalité. A-t-il même un sens ? C'est pourquoi les théories évolutionnistes ne peuvent pas être érigées en vérité ! 

La dogmatisation de l'évolutionnisme est un fait avéré (10). Nous avons montré des tentatives de manipulations et nous avons été témoins de la propagande évolutionniste. Comment alors d'autres modèles peuvent-ils naître et se développer selon d'autres principes ? Comment la science et la compréhension de la nature peuvent-elles se développer dans de bonnes conditions ? 

Aujourd'hui, nous sommes convaincus que les théories évolutionnistes ne sont pas de véritables théories scientifiques comme l'histoire n'est pas véritablement une science mais une démarche qui rationnelle. Comme l'histoire, elles utilisent de nombreuses résultats scientifiques pour argumenter leurs hypothèses et conduire leur raisonnement mais elle n'est aucunement une science. C'est pourquoi nous voyons souvent s'affronter les historiens, par exemple des historiens de gauche avec ceux de droite, chacun jugeant les faits selon leurs principes. Les évolutionnistes aussi connaissent les divisions internes. Car nous sommes dans un domaine où rien n'est vérifiable directement, où tout est supposition, hypothèse, interprétation, et donc contestable. Enfin, comme l'histoire, l'évolutionnisme ne peut pas prévoir les évènements futurs contrairement aux sciences. 

On pourrait nous répondre que nous ignorons ce qu'est véritablement la science. On peut aussi nous critiquer sur notre incompréhension de ce qu'est une théorie. Ce sont en effet les critiques les plus souvent reprises contre tous ceux qui dénoncent l'évolutionnisme (11). Mais comment peuvent-ils prétendre que l'évolutionnisme est une science ?... Certes, il est vrai pour certains, ce n'est plus une hypothèse mais déjà un fait avéré ! 

Ainsi, forts de notre étude, nous pouvons sereinement nous opposer à l'évolutionnisme, non seulement en tant que chrétiens puisqu'il contredit fondamentalement notre foi, mais aussi en tant qu'hommes raisonnables puisqu'il s'oppose à la raison et à une démarche scientifique objective. La foi et la raison s'unissent donc pour refuser cette prétendue vérité et dénoncer son imposture. 

1. Émeraude, Art. "L'évolutionnisme, une idée aussi vieille que le monde", "Giordano Bruno et la matière opératrice", "Lamarck et l'ordre des choses", septembre, "L'évolutionnisme, une conciliation encore impossible", octobre 2012.
2. Émeraude, Art. "La notion d'espèce dans la Sainte Ecriture", "La notion d'espèce au sens scientifique", septembre 2012.
3.
4. Émeraude, Art. "Évolutionnisme et réalisme", "L'évolution des espèces, une théorie réaliste ?", "Évolutionnisme, une théorie probable", octobre 2012.
5. Émeraude, Art. "Les arbres phylogénétiques", "Uniformitarisme et catastrophisme", novembre 2012.
6. Émeraude, Art. "Principes d'identité paléontologique", novembre 2012.
7. Émeraude, Art. "L'ADN, la clé de la vie", "Les mutations, mécanismes d'évolution de l'ADN", octobre 2012.
8. Émeraude  Art. "Les limites de l'horloge moléculaire", "Superposition et horizontalité", "Principes d'identité paléontologique", novembre 2012.
9. Émeraude, Art. "L'évolutionnisme est-il si évident que cela ?", septembre 2012.
10. Émeraude,  Art. "98% de bonobos en nous", septembre 2012, "La scandaleuse affaire de l'homme de Piltdown", novembre, "La dogmatisation de l'évolutionnisme", décembre 2012.
11. Lecointre, dans www.cnrs.fr, a notamment établi la liste des arguments créationnistes contre l'évolutionnisme.

vendredi 14 décembre 2012

La dogmatisation de l'évolutionnisme

La théorie synthétique de l'évolution est une théorie en crise. Depuis de nombreuses années, les scientifiques y dénoncent les contradictions. Dans nos recherches, nous avons pu les identifier comme nous avons pu résumer ses plus grandes erreurs et ses principales limites sans oublier la fausseté de ses principes, imprégnés d'idéologies. Pourtant, la théorie synthétique de l'évolution continue d'être le système dominant dans lequel évoluent certaines sciences. Le darwinisme historique est certes abandonné mais ses principes perdurent. Comment pouvons-nous expliquer cette contradiction ? 

Car il n'y a pas d'autres théories capables de proposer un modèle aussi englobant, un cadre de travail et d'étude aussi efficace pour les scientifiques. Elles sont capables d'expliquer de nombreux faits, de justifier des observations, de donner une certaine rationalité à des phénomènes complexes. Par sa logique et sa cohérence d'ensemble, elle n'est pas totalement absurde. 


La théorie synthétique de l'évolution a aussi et surtout la particularité d'unir de nombreux domaines scientifiques relatifs à l'étude de la terre et de l'homme : la géologie, la paléontologie, la stratigraphie, l'anatomie comparée, la zoologie, la biologie, la génétique, ... Elle donne donc de la cohérence dans des savoirs variés, en perpétuel approfondissement. Elle est probablement la seule théorie capable aujourd'hui d'une telle globalité. Cette cohérence est rassurante et donne l'impression que l'homme est capable de résoudre un des plus grands mystères de la vie. Il n'existe pas non plus d'autres modèles présentant une telle puissante espérance dans la science. C'est pourquoi tant qu'une autre théorie aussi efficace n'est pas capable de la supplanter, elle dominera certainement pour longtemps encore la communauté scientifique... « Une théorie scientifique ne sera déclarée sans valeur que si une théorie concurrente est prête à prendre sa place. L'étude historique du développement scientifique ne révèle aucun processus ressemblant à la démarche méthodologique qui consiste à éprouver une conclusion comme fausse par comparaison directe avec la nature […]. L'acte de jugement qui conduit les savants à rejeter une théorie antérieurement acceptée est toujours fondé sur quelque chose de plus qu'une comparaison de cette théorie avec l'univers ambiant. Décider de rejeter un paradigme est toujours simultanément décider d'en accepter un autre […] » (1).

Mais, être capable d'encadrer des sciences de manière cohérente ne signifie pas que la théorie de l'évolution est vraie. Depuis plus d'un siècle, on ne cesse pourtant de nous faire croire que ces sciences ont réussi à la démontrer et qu'elles continuent d'apporter des preuves supplémentaires. « La suprématie écrasante du mythe a créé l'illusion très répandue que la théorie de l'évolution a presque été démontrée il y a cent ans, et que toutes les recherches biologiques subséquentes (en paléontologie, en zoologie, et dans les nouvelles branches de la génétique et de la biologie moléculaire) ont apporté toujours plus de preuves à l'appui de la théorie darwinienne » (2). 

Grande galerie de l'évolution
(Paris)
Le darwinisme apparaît à une époque où de nouvelles pensées commencent à s'affirmer : l'uniformitarisme  (3) dans la géologie, la doctrine malthusienne, le libéralisme. Toutes ces idées ont influencé Darwin. La continuité dans le temps, la lutte pour la survie, la recherche du progrès sont les fondements de l'évolutionnisme comme ils le sont dans l'uniformitarisme, le malthusianisme, le libéralisme. La théorie de l'évolution conforte, sous couvert de la science, des tendances qui s'affirment dans la société

Enfin, la théorie synthétique a une dernière particularité : rejetant toute idée de Dieu dans la nature, elle adhère à la pensée dominante contemporaine, imprégnée de rationalisme et d'athéisme. Elle s'oppose aux religions et à leur influence. Elle donne des arguments pour rejeter la foi dans la superstition et les clercs loin de l'enseignement. Elle est probablement une des théories les plus puissantes pour façonner la conception du monde et de l'homme, et donc pour laïciser les esprits. Ce n'est pas un hasard si elle s'est développée au moment où une lutte s'engage contre la domination des églises dans l'enseignement. 

Ainsi, en dépit de ses erreurs et de ses contradictions, la théorie synthétique de l'évolution continue à dominer les esprits. Elle est inéluctable pour tous ceux qui étudient la science de la vie et de la terre. Toutes les théories actuelles et toutes les recherches y sont fortement imprégnées. Un chercheur perd toute crédibilité s'il ne travaille pas dans ce cadre. Et tout fait qui ne s'intègre pas dans ce modèle est aussi écarté. Mais des contradictions demeurent incontestables et ne pouvant les écarter, on complexifie l'évolutionnisme, on invente des options qui s'affrontent.


Dans les écoles, les enseignants diffusent aussi la bonne parole, oubliant, faute de temps ou de savoir, de préciser ses limites et ses incohérences, de proposer d'autres possibilités. Parler de création, c'est s'opposer à la sacro-sainte laïcité. Parler d'évolutionnisme, c'est embrasser la laïcité. La théorie apparaît comme une certitude. Elle n'a donc plus implicitement le statut de théorie mais de vérité. Parallèlement, dans les médias et les musées, sur les ondes comme dans les revues, on vulgarise les sciences, on simplifie des résultats d'études très complexes, on confond les notions, on distille les concepts, on affirme implicitement des hypothèses... Finalement, dans les esprits, l'évolutionnisme n'apparaît plus comme une théorie qu'il faut justifier, vérifier, argumentée. On oublie ses faiblesses, ses contradictions. Plus besoin de démontrer quoi que ce soit. Elle a atteint le rang de dogme.

Donc, toute pensée contraire à l'évolutionnisme, toute étude qui n'intègre pas les principes évolutionnistes, tout science qui s'écarte de cette idéologie sont considérées comme des hérésies à combattre. Tout scientifique qui n'y adhère pas est un hérétique. Discrédité, rejeté, ignoré, il a alors besoin de beaucoup de courage et de persévérance pour suivre une autre voie que celle toute tracée de l'évolutionnisme. Comment alors d'autres théories peuvent naître et se développer dans une société si emprise d'une telle pensée totalisante ? Les évolutionnistes peuvent alors sourire. Aucune théorie ne peut concurrencer la leur... « Comment peut-on tester, ou surpasser, la vérité d'une théorie si elle est construite de telle manière que tout événement concevable peut être décrit, expliqué, dans le cadre de ses principes ? La seule façon de sonder des principes d'une telle omnipotence est de les comparer à un autre jeu de principes aussi omnipotents – mais cette voie a été exclue dès le départ » (4). Telle est la force de l'évolutionnisme... 


1. Kuhn, La Structure des révolutions scientifiques, Flammarion, 1972, cité dans L’Évolution, une théorie en crise (Denton). 
2. Denton, L'évolution, une théorie en crise, chapitre 3, édition Flammarion, traduit en anglais par Nicolas Balbo, 1992 de Evolution, a Theory in crisis, éd. Burnett Books Ldt, 1985..
3. Voir Emeraude, novembre, article "uniformitarisme et catastrophisme".
4. P. Feyerabend, Problems of Empiricism, 1965, in Beyond the Edge of Certainty, éd. R.G. Colodny. 

lundi 10 décembre 2012

Le diable, un ennemi déjà vaincu, mais encore à combattre

« Par l'envie du diable, la mort est entrée dans le monde. » (Sag., II, 24). 

La Sainte Écriture donne une réponse à l'existence du mal : le diable. Dans la Genèse, il est représenté sous la forme d'un serpent. Car « serpent » signifie « rusé ». « A cause de son corps long et visqueux, de sa langue acérée et dangereuse, de sa souplesse insidieuse, de ses attaques brusque, le serpent était le symbole de l'astuce, de la médisance, de la méchanceté » (1). La Bible témoigne aussi de son existence à plusieurs reprises dans l'histoire sainte : il attaque Job, accuse Josué, incite David, tente Notre Seigneur Jésus-Christ. Les auteurs sacrés mentionnent souvent son existence et sa puissance. Dans le Nouveau Testament, il est encore plus présent. Il l'est tout naturellement chez les Pères de l’Église ... 

Une des origines du mal est en effet le fruit d'une volonté de nuisance, d'un être concret, réel, puissant, doué d'une intelligence élevée. Il use du mensonge, excite l'orgueil, trompe les hommes. Cette intelligence a une finalité. Le diable veut séparer les hommes de leur Créateur, ce qui aboutira à leur ruine. Le diable cherche donc à les corrompre. « Je crains que comme le serpent séduisit Ève par son astuce, ainsi vos esprits ne se corrompent » (II.Cor.XI.3). Il cherche à prendre la place de Dieu. « Tous ses efforts tendent-ils à se faire adorer par les hommes et à les porter à lui offrir des sacrifices […] il se délecte dans les marques de respect qu'on lui témoigne, comme s'il était Dieu même » (2).

Le diable est un ange, donc un esprit, mais un mauvais ange. Il n'est pas seul à chercher la perte de l'homme. A côté de lui, apparaît en effet une légion de démons qui s'efforce de perdre les hommes. Mais, dans la Sainte Écriture, le diable se détache clairement de ces mauvais esprits. Souvent mentionné par Notre Seigneur, il est un mauvais esprit bien déterminé qui paraît comme le maître des autres. Il est le prince d'un royaume qui s'oppose au royaume de Dieu. Il est le prince de « l'empire de la mort », que servent les démons (Hebr.II, 14). Il est « le prince de ce monde » (Jean, XII, 31). 

 Ces mauvais anges ne sont pas restés fidèles à Dieu. Ils ne sont pas demeurés dans la vérité. Les prophètes nous décrivent le diable comme un ange autrefois lumineux (Is.XIV.12), vivant dans les délices du divin paradis (Ez., XXVIII, 13) et marchant sans tâche (Ez., XXVIIII, 15). Depuis leur infidélité, le diable et les démons demeurent dans une hostilité éternelle à l'égard de Dieu. 

« Comment es-tu tombé du ciel, Lucifer […] ? Qui disais dans ton cœur : […] Je serai semblable au Très-Haut » (Is., XIV, 12-15). Si le prophète parle surtout du roi de Babylone, les Pères de l’Église y ont vu le diable. Saint Jude nous donne une information importante : les anges « ne conservèrent pas leur première dignité », ils « abandonnèrent leur propre demeure » (Jude, I, 6). Ils ont perdu leur fonction d'anges et se sont exclus de la hiérarchie angélique. Ils ont quitté la place que Dieu leur avait fixée. Saint Irénée de Lyon précise que : « cet ange fut apostat et ennemi, du jour où il jalousa l'ouvrage modelé par Dieu et entreprit de le rendre ennemi de Dieu » (3). Il est ainsi devenu « cause d'apostasie pour lui-même et pour les autres » (4). Ainsi, est-il écrit : « le diable pèche dès le commencement », non pas dès l'instant de sa création, mais dès le début de son orgueil. 

Le diable et les démons ont été créés bons comme toutes créatures de Dieu. Dieu est bien leur Créateur. Il a créé toutes choses visibles et invisibles. Or, le vice est postérieur à la nature, car le vice corrompt la nature. « Le diable et les démons ont été créés par Dieu bons par nature ; mais ce sont eux qui se sont rendus eux-mêmes mauvais » (5). Saint Augustin peut donc affirmer avec certitude : « en aucune manière et en aucun temps, les esprits que nous appelons anges n'ont commencé par être ténèbres ; mais, à l'instant même de leur création, ils ont été lumière ; créés non pour être ou vivre simplement, mais encore illuminés pour vivre sages et heureux. Plusieurs, se détournant de cette lumière, ont été déshérités de la vie par excellence, la vie sage et heureuse, qui n'est autre que la vie éternelle avec la confiance et la certitude de l'éternité » (6). Ainsi, « dès son principe, infidèle à la vérité, retranché de la bienheureuse société des saints anges, obstiné dans sa révolte contre son créateur, lève une tête superbe, fier de cette puissance privée qui le trompe lui-même » (7).

Pourquoi le diable voulait-il la perte d'Adam et cherche-il à nous perdre ? « Comme son apostasie avait été mise à jour par le moyen de l'homme et que l'homme avait été la pierre de touche de ses dispositions intimes, il se dressa de plus en plus violemment contre l'homme, envieux qu'il était de la vie de celui-ci et résolu à l'enfermer sous sa puissance apostate » (8). C'est l'envie qui est la source de la méchanceté des démons. « Leur malice fait un mauvais usage de la bonté de la nature » (9)... 

Le diable est donc celui qui divise, qui sépare Dieu de ses créatures humaines. C'est la signification même de son nom. Il est le père du mensonge et des menteurs. Il est le terrible séducteur qui sait se camoufler en ange de lumière. Il est l'instigateur de trahison. Satan est l'autre nom du diable. Il signifie « adversaire » ou « accusateur ». Il est en effet par excellence l'ennemi qui sème l'ivraie dans le champ du père de famille, qui enlève la bonne semence des âmes en qui elle est tombée, qui s'efforce d'ébranler les ministres de Dieu. Il oppose des obstacles à l'enseignement de Notre Seigneur et combat l’Église. Dans le cas de la possession, il pénètre dans les hommes et les possède pour en devenir un véritable tyran... 

Pour nous aider à ne pas être victime de ses artifices diaboliques, Dieu nous a décrit ses modes d'actions et ses objectifs. Les Apôtres nous mettent ainsi en garde contre le démon : « soyez sobres et veillez, car votre adversaire, le diable, comme un lion rugissant, rôde autour de vous, cherchant qui il pourra dévorer » (I. Pier.,V, 8). Notre Seigneur est venu aussi en ce monde pour anéantir ses œuvres. Il nous a fourni des moyens pour s'opposer au diable et à ses démons, et pour nous relever de nos blessures. Tout est prêt pour sortir victorieux de ce combat. Et le diable est déjà condamné... 

Mais il faut avant tout renoncer à Satan et à son empire : « le prêtre vous fait dire : je renonce à toi, Satan, à tes fastes, à ton service et à tes œuvres. […] [Le prêtre] à nouveau vous fait dire : « Je m'attache à toi, Christ ! » […] De toi, il n'a reçu que tes paroles, et il te confie un si grand trésor de réalités ! » (10). En effet, « vous ne pouvez avoir part à la table du Seigneur et à la table des démons » (I.Cor.X, 22). Notre vie apparaît alors claire. Notre existence ici-bas n'a pas d'autre fin que de nous unir peu à peu à Dieu par Notre Seigneur Jésus-Christ. 

Ainsi, une lutte est engagée entre le diable et les démons, d'un côté, Notre Seigneur et l’Église, de l'autre. Les démons font la guerre aux enfants de Dieu. Mais, le triomphe de Dieu est déjà assuré. Notre Seigneur Jésus-Christ l'a déjà vaincu et sous sa bannière, nous ne pouvons qu'être victorieux. « Soyez donc soumis à Dieu et résistez au diable, et il s'enfuira de vous » (Jacq., IV.7). Mais, l'ennemi reste redoutable, la lutte difficile. Lorsque nous croyons être en paix et à l'abri de ses coups, nous assistons misérablement à notre chute, à une déplorable défaite, et nous ne pouvons que gémir de notre blessure. La victoire n'est donc jamais assurée. A tout moment, nous pouvons abandonner notre Seigneur ou encore le combat. Or, le diable tente tout pour nous écarter de notre vocation. Cette histoire, qui est celle de notre vie, se retrouve dans le drame vécu et historique d'Adam et d’Ève... 

La Sainte Écriture nous raconte une histoire réelle qui s'est produit à un moment précis dans l'histoire. Elle est même le commencement de l'Histoire. Le mal a été introduit par la désobéissance d'un homme, excité et trompé par la ruse du diable. Adam aurait pu ne pas entendre le diable et rejeter la tentation pour rester fidèle à Dieu. Il en avait les moyens. Il en avait la liberté. Seul, le diable ne peut en effet rien faire. La faute provient nécessairement d'Adam. Elle vient nécessairement de nous, même si nous sommes incités par les forces du mal. Il faut un « fiat » de notre part pour que l’œuvre diabolique réussisse. Le malheur commence en nous avant de commettre ses ravages et ses désordres hors de nous ... 

Notre vie commence donc là où Adam l'a laissée, hors du jardin des délices, dans la séparation de Dieu. Pour atteindre le bonheur, elle doit alors s'achever dans l'union tant désirée. Notre Seigneur Jésus-Christ a tracé notre voie, semé la bonne Parole, guéri notre infirmité, renforcé notre âme. Notre bonheur est donc à notre portée. Notre vie n'est pas le fruit du hasard, notre destinée n'est pas une girouette livrée au vent et au caprice du temps, notre véritable joie n'est pas dans une liberté livrée à elle-même. Le bonheur est à gagner avec l'aide de Dieu. Car sans Dieu, l'homme est incapable de l'atteindre. Mais, que d'obstacles sur ce chemin de retour de l'enfant prodigue !... Le diable en est un... 


L'influence du diable ne doit pas cependant être exagérée. Sa science et sa puissance sont limitées. « Il peut tout juste faire ce qu'il a fait au commencement, c'est-à-dire séduire et détourner l'esprit de l'homme, pour qu'il transgresse le commandement de Dieu, et aveugler peu à peu les cœurs de ceux qui l'écoutent, pour qu'ils oublient le vrai Dieu et l'adorent lui-même comme Dieu » (11). Il ne peut pas nous forcer au péché. Il n'y a pas de péché sans liberté. Il peut cependant exercer une influence sur notre sensibilité et notre imagination, profiter de toutes nos faiblesses, mais il ne peut rien faire sans notre consentement

N'oublions pas, non plus, qu'il n'est pas notre seul ennemi. Nous sommes aussi tentés par la chair et par le monde. Le diable est en effet dit cause des péchés car c'est par lui qu'Adam a chuté mais il n'est pas l'unique cause des péchés... 

Ainsi, l’Église nous enseigne l'existence et la puissance dangereuse du diable et de ses démons, sans cependant nous faire oublier que la cause première du péché demeure l'homme. Nous devons le combattre pour gagner notre vie éternelle. Cependant, l'erreur funeste qui nous guette est soit d'exagérer leur influence dans le but inavouable de couvrir notre responsabilité ou pour combler notre ignorance, soit de la minimiser au point de l'oublier. La meilleure ruse de Satan est de nous faire croire qu'il n'existe pas... 

De la doctrine chrétienne, nous pouvons retenir des certitudes. Le diable et les démons sont d'abord des mauvais esprits, qui, bons de nature, se sont rendus infidèles à Dieu et demeurent depuis dans une hostilité permanente contre leur Créateur. Depuis le commencement, ils cherchent à écarter l'homme de sa vocation. Nous avons donc à lutter « contre les princes de ce monde et les puissances, contre les dominateurs de ce monde de ténèbres [...] C'est pourquoi, prenez l'armure de Dieu […], prenant surtout le bouclier de la foi, dans lequel vous puissiez éteindre tous les traits enflammés du malin » (Éph., VI, 12-16). Le diable et les démons jouent donc un rôle dans l'histoire des hommes comme dans notre propre histoire. Ainsi, apparaissent deux voies, celle de la vie et celle de la mort. A l'homme de choisir la bonne voie ... Mais, nous savons que le diable et les démons sont déjà condamnés ; nous, non... 




Références
1. Dictionnaire de la Bible, André-Marie Gérard, Bouquins, 1989, article « Serpent ». 
2. Saint Thomas d'Aquin, Le Credo, Art.I, 20, Nouvelles Éditions latines, 1991. 
3. Saint Irénée de Lyon, Contre les Hérésies, IV, 40, 3, édition du Cerf, 2001. 
4. Saint Irénée de Lyon, Contre les Hérésies, IV, 41, 2. 
5. IVème concile de Latran, chap. I, La foi catholique, Denz.800. 
6. Saint Augustin, La Cité de Dieu, Livre XI, XI, Points, volume 2, 1994. 
7. Saint Augustin, La Cité de Dieu, Livre XI, XIII. 
8. Saint Irénée de Lyon, Contre les Hérésies, V, 24, 3. 
9. Saint Augustin, La Cité de Dieu, Livre XI, XVII. 
10. Saint Jean Chrysostome, Huit Catéchèses Baptismales, II, 20-21 cité dans Les Signes du Salut par H. Bourgeois, B. Sesboüe et P. Tihon, , chap. II, édition Desclée, 1995. 
11. Saint Irénée de Lyon, Contre les Hérésies, V, 24, 3.

vendredi 7 décembre 2012

Adam et Ève, la faute...

Dans le monde ici-bas, les malheurs et les drames ne manquent pas. Chaque jour, les journaux nous envoient leurs litanies de maux : guerres, famines, épidémies, attentats, suicides, etc. Le XXème siècle est probablement l'une des pires périodes de notre histoire. Que de millions de morts sous les coups du communisme et du nazisme au lendemain des révolutions trompeuses ! Et n'oublions pas les drames de la misère qui accablent tant de familles et d'individus si faibles devant le libéralisme effréné ! Chacun d'entre nous a éprouvé des chagrins qui traversent notre vie comme une dard qu'on enfonce dans la poitrine. Qui n'a pas été confronté à des situations de détresse et de désarroi ? Qui n'a pas été atteint par la maladie ou la mort d'un proche survenue subitement ? … La question du mal est au cœur de notre existence. Nous ne pouvons pas nous interroger sur la vie sans nous interroger sur ce mal si présent autour de nous et en nous. Cette question est assurément au centre de tout rapport avec Dieu. Elle est donc au cœur de toute apologétique... 

Dans l'histoire de l'homme, il y a eu une rupture. Adam et Ève ont vécu dans le jardin des délices, dans l'amitié de Dieu. Notre Créateur les a créés bons, dans un état privilégié, revêtus de dons d'incorruptibilité et d'immortalité. Mais, en un instant, cette situation idyllique a changé, tout a été bouleversé de manière radicale. 

« Le Seigneur Dieu prit donc l'homme et le mit dans le jardin de délices pour le cultiver et le garder. Et il lui commanda, disant : mange des fruits de tous les arbres du paradis ; mais quant au fruit de l'arbre de la science du bien et du mal, n'en mange pas ; car au jour où tu en mangeras, tu mourras de mort » (Gen., II, 15-17). 

Adam a été conçu comme un être libre, capable d'obéir et de désobéir, capable de choisir, d'accepter ou de refuser. Mais, cette liberté a une contre-partie. Elle implique une responsabilité. L'homme est donc par nature un être responsable. Si l'homme n'était pas libre, l'ordre divin serait absurde. 

Cependant, cette liberté est limitée. Dieu interdit en effet à Adam et à Ève de se nourrir de l'arbre de la connaissance du bien et du mal. Que signifie cet ordre en apparence surprenant ? Il devrait en effet connaître ce qui est bien et ce qui est faux sinon comment peut-il assumer sa liberté et donc sa responsabilité ? 

Dans le langage biblique, « connaître » signifie « prendre possession de », « faire l'expérience de ». Or, Adam et Ève connaissent déjà le bien. Il leur serait donc défendu d'expérimenter le mal. Manger du fruit de l'arbre, et donc désobéir à Dieu, c'est faire cette première expérience. L'âme « voit par expérience combien diffère le bien qu'elle a délaissé du mal où elle est tombée. C'est, pour elle, avoir mangé du fruit de l'arbre de la science du bien et du mal » (1). Nous pouvons aussi penser que la connaissance du bien et du mal peut correspondre à toute connaissance. Il ne serait pas bon à l'homme de tout connaître. La science peut en effet l'enivrer. Enfin, nous pouvons entendre par « connaissance » le droit de statuer sur les objets en cause. Il serait interdit à l'homme de juger souverainement ce qu'est bien et ce qu'est mal. Ce privilège ne lui appartient pas. Il lui serait donc interdit d'ériger et de suivre sa propre loi morale à l'encontre de celle de Dieu. Manger du fruit de l'arbre de la science du bien et du mal pourrait signifier « se détourner de Dieu pour se tourner vers soi-même » (2). 

La Genèse nous décrit comment Adam et Ève ont chuté. Tout vient d'un mensonge. Une voix malicieuse interpelle Ève : « pourquoi Dieu vous a-t-il commandé de ne pas manger du fruit de tous les arbres du paradis ? ». La voix est très habile car Dieu ne présente aucune raison. Et Il n'a pas besoin d'en fournir. Son autorité seule suffit. Elle tente déjà d'ébranler l'autorité divine. Pourquoi Dieu impose-il en effet à l'homme une limite à sa faim ? Ève ne lui donne pas de réponse mais lui répète l'ordre divin et la sanction en cas de désobéissance. Mais, la voix contredit Ève, et donc Dieu : « vous ne mourrez pas de mort. Car Dieu sait qu'en quelque jour que ce soit que vous en mangiez, vos yeux s'ouvriront ; et vous serez comme des dieux, sachant le bien et le mal ». Être comme des dieux ! ... 

Cette interdiction pourrait apparaître comme une injustice ou une perversité. La voix prête à Dieu une intention mauvaise. Elle semble en effet suggérer à Ève que son état sublime n'est pas complet. L'homme est face à une double réalité : sa dépendance envers son Créateur et sa situation privilégiée envers la Création. Nous retrouvons aussi cette dualité dans l'homme : une union entre une âme immortelle, tendue vers les ciel, et un corps périssable, promis à la poussière. Cette situation semble paradoxale. L'homme serait capable d'être dieu mais Dieu l'empêcherait d'atteindre pleinement sa vocation pour éviter qu'il soit indépendant et donc un rival. Dieu enfermerait donc volontairement l'homme dans un état d'infériorité alors que sa divinité serait à portée de main. Manger du fruit de la science du bien et du mal reviendrait donc à gagner une liberté pleine et entière. Ils deviendront ce qu'ils devraient être, c'est-à-dire des dieux. Telle est la suggestion de la voix diabolique... 

Or, Dieu soumet Adam et Ève par des liens très fragiles. L'autorité divine est seule cause d'obéissance. Point de raisonnement, ni de démonstration de force. Ils consentent simplement à obéir. Or, la voix diabolique présente l'obéissance comme le moyen de maintenir la subordination de l'homme, considérée comme un joug, une oppression. La transgresser reviendrait alors à se libérer, c'est-à-dire à vivre comme des dieux, à ne dépendre de personne, telle serait donc la vocation de l'homme. Pour réaliser sa vocation pleine et entière, il faudrait donc refuser d'obéir, ce qui revient finalement à rejeter l'autorité divine. La liberté commencerait donc par une révolte intérieure contre Dieu … 



La voix maléfique a suggéré à Ève une idée pernicieuse. Elle réussit à l'atteindre, à la troubler. La suggestion provoque un plaisir sensible. Elle « vit que le fruit de l'arbre était bon à manger, beau à voir et d'un aspect qui excitait le désir ». Ève voit désormais différemment le fruit de l'arbre, indépendamment de la loi divine, sous le seul aspect du plaisir. Le fruit est vu en lui-même, hors de Dieu. L'esprit a déjà rompu ses liens avec son Créateur. La révolte est commencée. Elle conduit inévitablement à un désordre intérieur. 


Les fruits l'attirent. Les sens guident désormais son action. Ève finit par succomber : « elle en prit, en mangea et en donna à son mari » (Gen., III, 6). Elle entraîne donc Adam dans sa révolte. A son tour, Adam désobéit à Dieu. O imprudente Ève ! Tu a été conçue pour être son aide, et tu l'entraînes dans sa faute ! La vocation de la femme a été pervertie. La voix diabolique a réussi à perturber l’œuvre divine... 

« Leurs yeux s'ouvrirent ; et lorsqu'ils eurent connu qu'ils étaient nus, ils entrelacèrent des feuilles de figuier, et s'en firent des ceintures » (Gen., III, 7). Ils jugent donc que leur nudité n'est pas bonne. Ils portent déjà un jugement sur l’œuvre de Dieu. Ils sont aussi conscients qu'ils ont perdu leur innocence. Ils ont perdu leur état premier. En goûtant au mal, le bien apparaît plus clairement. Ainsi, sont-ils honteux de leur faute et de leur misère. 

« Et lorsqu'ils eurent entendu la voix du Seigneur, Dieu […], Adam et Ève se cachèrent » (Gen., III, 8). Dieu n'apparaît plus comme un ami mais comme un juge. La voix diabolique est parvenue à ses fins. La rupture est consommée … 


1. Sant Augustin, De la Genèse contre les Manichéens, Livre II, chapitre IX, 11, trad. Abbé Tassin. 
2. Sant Augustin, De la Genèse contre les Manichéens, Livre II, chapitre XVI, 116.