" La pierre précieuse, voire de grand prix aux yeux de certains, qu'est l'émeraude, se voit insultée par un morceau de verre habilement truqué, s'il ne se rencontre personne qui soit capable de procéder à un examen et de démasquer la faute. Et lorsque de l'airain a été mêlé à l'argent, qui donc, s'il n'est connaisseur, pourra aisément le vérifier ? "(Saint Irénée, Contre les hérésies)


mardi 25 février 2014

Une pluralité relative de la « sharî’a »

La dhimmitude a été une réalité et a engendré un conditionnement de la population. Humiliés et rabaissés dans les sociétés musulmanes, les non-musulmans ont fini par croire qu’effectivement ils étaient inférieurs aux musulmans. Ils ont aussi été victimes de violences, de pillages et de massacres. En dépit des faits avérés, certaines voix tentent de relativiser ou de rejeter cette réalité de l’Islam dans l'espoir d'établir et de maintenir le dialogue entre les religions.
Il n’est pas rare d’entendre que les crimes prétendus commis au nom de l’Islam ne viendraient pas de vrais musulmans mais d’une de ses branches les plus radicales, d’un fanatisme obscur, d’une incompréhension de ce qu’est finalement le véritable Islam. Cette religion est ainsi innocentée en faisant retomber le poids de ses crimes sur l’ignorance et la bêtise humaine. Pour répondre à une telle argumentation, nous allons décrire ce que sont les différentes branches juridiques de l’Islam. Cela nous permettra aussi de mieux connaître la pensée juridique de l’Islam.  Car «  il est impossible de pénétrer la structure de la société musulmane sans en connaître le système juridique, c'est-à-dire la Loi prise dans son acception la plus large »[1]. Nous découvrirons notamment un nouveau dogme musulman : l’infaillibilité de la communauté des croyants.
Quand nous parlons des différentes interprétations de l’Islam, nous faisons allusions, non pas à ses divisions religieuses qui ont conduit principalement au sunnisme et au chiisme mais aux différentes « écoles de droit » que compte le sunnisme.
La « sharî’a »
L’Islam comprend un ensemble de normes réglant d’une part la doctrine musulmane et d’autre part le comportement des musulmans. Les règles qui définissent ce qu’ils doivent croire forment l’« aquida » et celles qui prescrivent la manière de vivre forment la « sharî’a», c’est-à-dire la voie.  « La sharî’a est la voie indiquée par Dieu pour le salut de ses créatures. Elle comprend, de ce fait, des commandements qui relèvent tout autant du culte, que de la morale et du droit. C’est un tout intelligible par sa fin »[2].


La « sharî’a » nous intéresse principalement. Elle prend sa source dans le Coran et dans la Sunna, considérés comme les deux sources fondamentales du « droit de l’Islam ». Environ 550 versets sur 6 219 du Coran présentent un intérêt juridique dans différents domaines (droit civil, droit constitutionnel, statut personnel, droit pénal, etc.). « Le Coran, nous dit Ibn Khaldoun, a été révélé phrase par phrase, verset par verset, selon les occasions, soit pour manifester la doctrine de l'unité de droit, soit pour indiquer les obligations auxquelles les hommes doivent se soumettre en ce monde »[3]. Mais il est difficile de distinguer dans l’ensemble du Coran ce qui constitue la « sharî’a », compte tenu de l’entremêlement des différents niveaux de discours. La Sunna, sous forme d’entretiens (« hâdiths »), apparaît comme un complément du Coran. Mais ces deux sources ne suffisent pas pour répondre aux cas pratiques. « Cet ensemble ne constitue pas encore un système législatif complet, énonçant explicitement les dispositions légales applicables à tous les cas » [4]. Viennent alors les sources secondaires du droit islamique.
Le « fiqh » », « la science de l’intelligence de la charia » [5]
Pour répondre aux questions auxquelles ne peuvent répondre le Coran et la Sunna, les musulmans ont développé le « fiqh », qui « peut être défini comme un ensemble de qualifications ou jugements […] des comportements et actions humaines » [6]. Il se présente en effet comme un ensemble de qualifications de comportements précis[7]. Il s’agit de « poser les normes de l’exégèse du Coran, les conditions de validation ou d’authentification d’une Tradition du Prophète, les conditions de validité de l’idjmâ‘ (consensus) ainsi que les règles de déduction, par raisonnement analogique, des qualifications légales non évoquées par les sources sacrées, à partir de celles qui sont évoquées par ces sources » [8]. Il répond aussi à une volonté politique des premiers califes d’organiser un nouvel empire. Au contact de nombreuses autres États, ils ne pouvaient ignorer les différents droits existants (romain, persan, hébraïque).  
Le « fiqh » a été élaboré à partir de l’« idjtihàd », c’est-à-dire de l’effort intellectuel qu’ont mené des maîtres juridiques à partir de l’exégèse du Coran et de la Sunna. Cette science s’est construite à partir de deux sources : l’« idjmâ'»[9], qui correspond à l’accord unanime des docteurs de la loi, et le « kiyâs», qui est un raisonnement par analogie à partir d’un élément de la loi.

Ainsi le droit musulman se fondent sur 4 sources :
  • le Coran ;
  • les hadiths ;
  • l’« idjmâ'» ;
  • le « kiyâs» ;
selon la règle de validité qu'est le fiqh.

Selon la tradition sunnite, la construction du « droit musulman » s’est constituée en deux étapes, la première durant la durée de la vie de Mahomet puis la seconde jusqu’au Xe siècle.
Des maîtres en droit ont ainsi développé le « fiqh » et ont constitué des écoles dont  certaines d’entre elles, appelées « madhhab », ont été reconnues comme une voie correcte d’interprétation des sources traditionnelles du droit.
Les écoles du droit musulman
Le sunnisme reconnaît quatre grandes écoles : 
  • le hanafisme ;
  • le malékisme ;
  • le shafisme ;
  • l’hanbalisme [10] ;
du nom de leur fondateur : Abû Hanîfa Annu‘mân (699-767), Mâlik Ibn Anas (709/716-796), Muhammad Ibn Idriss Ash-shâfi‘î (767-820) et Ahmad Ibn Hanbal (780-855).
Ces écoles se reconnaissent mutuellement. « Chaque musulman peut suivre l’école de son choix ou en changer sans aucune formalité ; il peut même, si cela lui convient, ou pour toute autre raison qui lui est propre, à propos d’un acte ou d’une transaction particulière, choisir la doctrine d’une école autre que celle qu’il suit habituellement » [11]. Elles acceptent leurs divergences tant qu’elles ne touchent pas aux fondements du droit : « les ahkâm (qualifications) doivent impérativement être rattachés à la volonté divine » [12].
Les écoles ont néanmoins quelques particularités : « le hanafisme est caractérisé par le recours de son fondateur à la libre opinion (ra‘y) et à l’istihsân alors que le malékisme est marqué par la place prépondérante qu’il accorde aux Traditions du Prophète, à la coutume de Médine, ville du Prophète, ainsi qu’au consensus (ijmâ‘) des docteurs de Médine. Le shâfi‘isme est généralement présenté comme une voie médiane entre les deux premières doctrines. Le hanbalisme est marqué par la place essentielle qu’il accorde aux Traditions du Prophète, par sa méfiance à l’égard de l’analogie et sa conception restrictive de l’ijmâ‘ réduit à l’accord des seuls compagnons du Prophète » [13]. Une de leurs principales divergences repose sur leur position par rapport au rôle que jouent la libre opinion (ahl al-r‘ayet la tradition (ahl al-hadîth). Nous constatons aussi l’importance des aires géographiques à partir desquelles les écoles se sont développées.
Les quatre écoles
L’école hanafite est surtout caractérisée par l’importance donnée au raisonnement par analogie et à l’opinion personnelle. C’est pourquoi elle est souvent considérée comme une école rationaliste et la plus libérale. Elle se caractérise par l’emploi d’une méthode rigoureuse pour accepter ou rejeter un hadith [14] et par son habitude à discuter des problèmes hypothétiques. Elle établit enfin des critères et une norme hiérarchique pour définir les différents sources du droit musulman. 
Né en Irak, l’hanafisme a eu l’appui de l’Empire Ottoman d’où son importance en Turquie et dans l’ancien empire ottoman. Elle est répandue de nos jours à l’Est de l’Iran (Afghanistan, Inde, Pakistan), en Syrie, en Russie et en Chine. Elle touche donc principalement le monde non arabophone.
L’école malékite se fonde principalement sur la Sunna, c’est-à-dire sur l’avis des compagnons du Prophète, sur la pratique des Médinois et sur l’intérêt général de la société s’ils ne s’opposent pas aux sources principales du droit. 
La plupart des disciples de l’Imâm Mâlik sont partis en Afrique du nord et en Espagne. Cette école s’est répandue en Andalousie, au Maghreb, en Afrique subsaharienne, aux Émirats, au Koweït, à Bahreïn, au Soudan, et au Khurâsân (Nord-Est de l'Iran).
L’école shaféite est un équilibre entre les deux écoles précédentes. Le fondateur, qui a vécu à La Mecque avant de partir en Irak puis en Égypte, a étudié le « fiqh » d’abord selon l’école malékite puis selon l’école hanafite. Elle valorise la Sunna et l’« idjmâ‘»
Cette école s’est répandue en Égypte, au Yémen, et dans certains pays de l’Asie comme l’Indonésie, la Malaisie et la Thaïlande.
L’école hanbalite se caractérise par une certaine méfiance à l’égard du « kiyâs» comme source de droit. L’opinion personnelle est rejetée. Seuls comptent le Coran et la Sunna dans leur interprétation apparente. 
Elle s’est surtout répandue dans le nord de l’Iran. Un des maîtres de l’école, Ibn Taymiyya, a donné naissance au salafisme en radicalisant certaines positions de l’école hanbalite. Cette tendance au rejet du « kiyâs» s’est radicalisée en Arabie Saoudite au XIXe siècle avec l’apparition du salafisme wannabite.
Selon l’Islam, les fondateurs des écoles ont prévu toutes les questions et ont posé toutes les solutions les plus justes. Dans chaque cas douteux, selon les principes établis par leur maître, leurs disciples doivent alors rechercher les points de similitude ou de différence qui leur permettent de le rattacher à un cas résolue ou de l’en distinguer absolument. Cette méthode d’assimilation et de différenciation est l’outil juridique. C’est donc à partir de cette « science » que se construit l’orthodoxie de l’Islam en absence d’autorité législative.

Le refus du droit naturel
Dans l’élaboration de l’orthodoxie, deux tendances se sont affirmées en parallèle : celle du raisonnement et celle de la tradition. L’une est incarnée par Abu Hanîfa, l’autre par Malîk. Elle a donné lieu à de nombreux débats et à des hérésies, notamment celle des « mu‘tazilites » qui défendaient le rôle de la raison dans la capacité de qualifier les choses en toute autonomie.
Dans le hanafisme [15], la libre opinion n’est en fait que le résultat d’un raisonnement analogique qui tire ses résultats des seules sources autorisées. Aucun jugement n’est accepté s’il n’est pas établi qu’il relève des sources fondamentales. Cela signifie qu’il n’y a pas droit naturel dans l’Islam. « Il n'y a donc ni nature stable, ni science certaine, ni raison ayant une portée objective dans l'ordre des faits naturels. Le dogme est dans le Coran et la Sunna, qui sont le donné scripturaire. L'extension de ce dogme n'est pas une œuvre de la raison » [16]. La rationalité du hanafisme est donc à relativiser. Cette école est en effet libérale par rapport à l’hanbalisme…
Quatre écoles : unité ou division ?
Finalement, les quatre écoles ne sont pas si différentes que cela au niveau des principes.« Dans une version unanimiste des choses, les écoles de fiqh sont réduites à des nuances d’une seule couleur, une sorte de dégradé de l’intervention des Traditions du Prophète et du quiyâs : ainsi l’on passe insensiblement du hanbalisme au malékisme, au shâfi‘isme, au hanafisme dans une ambiance bon enfant d’accord profond » [17].
Il est ainsi légitime que les musulmans atténuent dans leur discours la division des écoles. Les sites Web musulmans que nous avons visités tentent tous d’en montrer les bienfaits et les vertus. Ils soulignent la richesse de la multitude d’écoles au point de la dériver de la liberté. « Chez les anciens prophètes avant Mohammed, chacun d’eux apportait une loi religieuse et un commandement unique. L’étroitesse de leur loi était telle qu’il n’y avait plus beaucoup de choix à propos des questions de détails lesquels sont largement prévus dans notre loi »[18]. Cette différence « illustre une sagesse parfaite et la clémence de Dieu envers ses serviteurs »[19]. En fait il n’y a pas de profondes différences entre ces écoles sur les principes même si les divergences peuvent être plus grandes dans la pratique et dans l’esprit.
Certains spécialistes du droit musulman soulignent néanmoins la pluralité des écoles. Elles « expriment des désaccords substantiels sur la portée respective des sources du droit islamique […], ainsi que sur les modalités du raisonnement juridique »[20]. Mais le même spécialiste rajoute aussitôt « le principe de soumission des juristes à ces quatre écoles ». Cela revient à dire que ces quatre droits interprètent correctement la « sharî’a ». Il n’y a pas de divergence de fond.
La règle d’une école ne devient pourtant loi que si elle obtient l’accord unanime des légistes reconnus par la communauté et par conséquent de la communauté elle-même. L’« idjmâ » serait-elle la « vox populi » ? « En définitive, l'idjmâ, vox populi, consentement infaillible de la Communauté, sagesse émanée de Dieu, prolongeant et suppléant l'inspiration du Prophète ; l'idjmâ' qui a fixé le texte du Livre, défini le hadîth authentique ; l'idjmâ' qui a donné sa formule à l'orthodoxie musulmane ; l'idjmâ' est le fondement même de l'Islam » [21]

Elle traduit finalement un dogme de l’Islam : « l’infaillibilité de la Communauté musulmane ». Nous en déduisons donc que la « sharî’a » est selon l’Islam même l’expression de la volonté des musulmans et non d’un courant plus ou moins radical.
Poursuite du développement du droit musulman
Si le développement du « fiqh » a cessé au Xe siècle, le droit a poursuivi son développement par plusieurs moyens :
  •         la mashhûr, opinion dominante des docteurs ;
  •          les fatwas, recueils de jurisprudence formulés par les juges (« qâdhi ») ;
  •          les coutumes qui ont surtout été rédigées sous le califat turc à partir du XIVe siècle.
Toutes ces décisions sont jugées incertaines et ne prétendent pas se substituer à la « sharî’a ». Ils ne visent qu’à la réformer et la compléter sur des points particuliers. Ces derniers changements introduisent néanmoins des principes nouveaux qui rompent avec le droit traditionnel. D’autres changements ont eu lieu avec l’arrivée des puissances européennes et la décolonisation.
De cette rapide étude, nous pouvons déjà dire que la « sharî’a » n’est pas l’interprétation d’une école mais bien de l’ensemble des quatre écoles [22] reconnues comme étant toutes légitimes. Elles excluent toutes le droit naturel et prend comme seules sources principales les textes sacrés. Il est donc inapproprié et faux de se fonder sur les diversités des écoles pour justifier l’inégalité de traitement des non-musulmans en terres musulmanes. Cette erreur naît d’une terrible erreur de jugement et de compréhension de ce qu’est le « droit musulman ». En calquant notamment notre pensée juridique sur celle de l’Islam, nous pouvons commettre un horrible non-sens.
La dhimmitude n’est donc pas une interprétation de l'Islam selon un courant ou un mouvement de l’Islam. Elle est bien un de ses principes essentiels, quelle que soit son interprétation pratique sur le terrain. La « sharî’a » « est le résumé de la pensée islamique, la manifestation la plus typique du genre de vie islamique, le cœur et le noyau de l’Islam lui-même »[23]. Elle s’appuie sur « l’infaillibilité de la communauté des musulmans », dogme qui privilégie un esprit de supériorité du musulman à l’égard du non-musulman. La dhimmitude est bien une propriété intrinsèque de l’Islam.



Références


[1] Louis Millot, professeur à la Faculté de Droit de Paris, La pensée juridique de l’Islam dans  la Revue internationale de droit comparé, Vol. 6,  N°3, Juillet-septembre 1954, www.persee.fr.
[2] Slim Laghmani, Les écoles juridiques du sunnisme.
[3] Cité dans Louis Millot, La pensée juridique de l’Islam.
[4] Louis Millot, professeur à la Faculté de Droit de Paris, La pensée juridique de l’Islam dans  la Revue internationale de droit comparé, Vol. 6,  N°3, Juillet-septembre 1954, www.persee.fr.
[5] Slim Laghmani, Les écoles juridiques du sunnisme.
[6] Slim Laghmani, Les écoles juridiques du sunnisme.
[7] Les qualifications (ahkâm) sont au nombre de cinq : l’obligatoire (fardh), le recommandé (mandûb), le licite ou permis (mubâh), le désapprouvé (makrûh) et l’interdit (mahdûr).
[8] Slim Laghmani, Les écoles juridiques du sunnisme.
[9] L’« idjmâ'» est soit explicite quand la décision est prise par un groupe de savants qui se prononce à l’unanimité, soit tacite quand elle correspond à une opinion communément admise. L’« idjmâ'» explicite est irrévocable. L’« idjmâ'» implicite est révisable comme elle peut être confirmée ou infirmée par l’« idjmâ'» explicite.
[10] Le chiisme a aussi ses écoles : le jafarisme, le zaydisme, l’ismaélisme. Le kharidjisme : l’ibadisme, les azraqites, les sufrites, les nekkarites.
[11] Slim Laghmani, Les écoles juridiques du sunnisme.
[12] Slim Laghmani, Les écoles juridiques du sunnisme.
[13] Slim Laghmani, Les écoles juridiques du sunnisme.
[14] Les hadiths se sont considérablement développés au grès du temps. La plupart d’entre eux ne sont pas considérés comme authentiques par le droit musulman. Voir Émeraude, novembre 2012, article "Les hadiths : confusion et erreurs".
[15] Voir Slim Laghmani, Les écoles juridiques du sunnisme.
[16] Louis Millot, professeur à la Faculté de Droit de Paris, La pensée juridique de l’Islam dans  la Revue internationale de droit comparé, Vol. 6,  N°3, Juillet-septembre 1954, www.persee.fr.
[17] Slim Laghmani, Les écoles juridiques du sunnisme.
[18] Maître Simozrag, Les écoles juridiques et leur philosophie (1), Nouveau dialogue Musulman-Chrétien, Introduction, 18 septembre 2011
[19] Les Quatre Écoles juridiques, avril 2007, Ministères des Habous et des Affaires Islamique du Maroc, www.bladi.net.
[20]  Joseph Schacht, islamologue et spécialiste du droit musulman, cité dans  La shari’a : passé et devenir d’un corpus juridique de JeanPhilippe BRAS, février 2008.
[21] Louis Millot, professeur à la Faculté de Droit de Paris, La pensée juridique de l’Islam dans  la Revue internationale de droit comparé, Vol. 6,  N°3, Juillet-septembre 1954, www.persee.fr.
[22] Nous rappelons que nous ne parlons que du sunnisme qui représente la très grande majorité de l’Islam.
[23]  Joseph Schacht, islamologue et spécialiste du droit musulman, cité dans  La shari’a : passé et devenir d’un corpus juridique de JeanPhilippe BRAS.

vendredi 21 février 2014

Principes de la physique quantique

Lorsque nous voulons connaître sérieusement la physique quantique, un des plus grandes difficultsé est de distinguer dans tous les livres, revues, manuels ce qui constitue véritablement les principes qui la régissent. Car rapidement, nous constatons au cours de nos recherches que ce qui peut apparaître comme principe n’est finalement qu’une de ses interprétations et ne relève pas à proprement parler de la physique quantique. Le Monde quantique nous oblige alors à nous poser de réelles questions de fond, notamment de distinguer dans un discours scientifique ce qui est théorie et interprétation

Toutefois, en dépit de cette difficulté, nous allons tenter de définir les principes de la physique quantique tout en prenant bien conscience que parfois, ils peuvent correspondre à une interprétation. 

Discontinuité dans le monde quantique

Dans la physique classique, les grandeurs physiques (vitesse, énergie, intensité de courant, etc.) permettent de décrire des aspects de la réalité observable ou encore mesurable. Un objet réel constitue un système qui à un instant donné se trouve dans un état, c’est-à-dire sous une forme particulière que revêt la réalité, sa manière d’être en quelque sorte. Un état d’un système nous est alors connu si nous avons effectué un certain nombre de mesures et si nous avons obtenu ses grandeurs caractéristiques. Une des grandeurs d’un solide en mouvement est par exemple sa vitesse, celle d’une onde, sa longueur d’onde ou sa fréquence. En physique classique, les grandeurs que nous pouvons connaître par mesure ou observation nous permettent donc de décrire objectivement un objet.

Ces grandeurs physiques ont une valeur continue. Si un solide se déplace d’un point A à un point B, nous savons qu’il est passé par des points successifs uniques selon une ligne commençant par A et finissant par B. Avant d’atteindre sa cible, une flèche doit atteindre au moins la moitié de la distance qui la sépare de son objectif. Dans le monde quantique, ce n’est pas le cas.

Le premier principe du Monde quantique est en effet la présence d’une certaine discontinuité. Certaines grandeurs physiques, qui classiquement prennent une valeur continue en physique classique, n’ont que de valeurs discrètes en physique quantique. Une grandeur physique peut instantanément prendre une valeur particulière. Pour passer d’un état 1 à un état 2, une particule ne passe pas automatiquement par les valeurs intermédiaires. Elle doit suivre une trajectoire unique et précise. Ce passage peut être instantané.

Les particules émettent et reçoivent de l’énergie que par paquets. Les échanges d’énergie ne s’effectuent pas de manière continue. Elle correspond à un multiple d’un seuil minimal d’énergie, appelé quantum, d’où l’origine du terme de quantique. Ce quantum est une constante invariable, produit d’une constante invariable, appelée constante de Planck, et d’une longueur d’onde. La quantification de l’énergie est le point de départ de toute l’aventure de la physique quantique

Chaque état de particule est défini par une quantité d’énergie. Elle change donc d’état en absorbant ou en émettant un quantum d’énergie. Comme cet échange se fait par paquet d'énergie, une particule passe donc subitement, instantanément d’un état à un autre, sans aucune continuité [1]. C’est le saut quanta. Ce changement d’état ne se produit en outre sans aucune raison. « Il n’existe aucun moyen de dire quand cette transition interviendra »[2]. Il existe ainsi une certaine indétermination dans ces sauts. L’outil statistique [3] est alors utilisé pour étudier les états des particules. Le Monde quantique est alors décrit par des lois statistiques.

Nous retrouvons cette discontinuité dans la lumière. Einstein a introduit le quantum de rayonnement, appelée photon, pour décrire la lumière et expliquer les effets photoélectriques. Le photon a une énergie qui se détermine à partir de la longueur d’onde et de la pulsation de la lumière selon des fonctions non continues. Sa théorie est en contradiction avec les équations de la physique classique qui n’admet que des fonctions continues dans le temps et dans l’espace. Einstein propose de considérer ces fonctions comme des moyennes dans le temps. 

Dualité onde / particule



En physique classique, les termes d’ondes et de particules ont des propriétés différentes, voire totalement opposées. Un corps solide est notamment localisable par la détermination de sa position dans un espace en trois dimensions. Lorsqu'il est en mouvement, il occupe une succession de points formant alors une trajectoire. La connaissance de la vitesse du corps et de sa trajectoire permet ainsi l’étude complète de son mouvement. C’est le principe même de la physique classique depuis Newton. La situation est différente avec une onde. Elle n’est jamais au repos et emplit tout l’espace dans lequel elle est diffusée. Elle n’est pas vraiment localisable en un point. Les deux notions ne sont pas conciliables en physique classique, contrairement au monde quantique.

L’autre principe de la physique quantique est la dualité onde / particule. Constatant que la lumière se présente sous forme de paquets de lumière (photons) ayant le même paquet d’énergie, Einstein comprend rapidement que la lumière doit être décrite en termes de particules et d’ondes. Il songe alors à une fusion entre la théorie corpusculaire et la théorie ondulatoire pour décrire la lumière[4]. Le physicien Campton (1892-1962) montrera dans une expérience toute la pertinence de la dualité onde / particule dans le cas de la lumière. A son tour, de Broglie propose de décrire les particules en associant la théorie des ondes à celles des corpuscules : « j'arrivais à associer au mouvement de tout corpuscule la propagation d'une onde »[5]. Plusieurs expériences [6] confirment sa thèse. Selon l'interprétation la plus commune, la physique ondulatoire et la physique corpusculaire sont aussi valables l’une que l’autre pour décrire la même réalité. Ce sont deux descriptions complémentaires pour un même objet.

L’équation de Schrödinger

La théorie quantique se traduit sous deux versions équivalente : la mécanique ondulatoire, la plus utilisée, et la théorie des matrices, d’usage plus complexe. Dans la mécanique ondulatoire, l’état d’une particule est défini par une solution, appelée fonction d’onde, d’une équation, appelée équation de Schrödinger. L’équation de Schrödinger est la « pierre angulaire de la physique quantique moderne ». C’est une formule qui "décrit" le comportement d’une particule selon la double dualité corps / corpuscule. La signification de cette fonction d’onde est différente selon les interprétations…

Elle présente quelques traits caractéristiques importants. Il existe d'abord plusieurs fonctions d’onde solutions de l’équation. Chaque fonction d’onde est probable selon un taux qu’il est possible de calculer à partir de la fonction d’onde elle-même [7].

L’autre caractéristique importante est sa linéarité. Si des fonctions d’onde sont des solutions de l’équation, alors l’ensemble de ces fonctions est aussi solution. Un ensemble de fonctions d’onde est appelé « paquet d’onde », chacune correspondant à un état. Et tous ces paquets peuvent alors s’interférer de la même manière que des ondes. L’expérience de Young que nous avons décrite traduit cette interférence lorsqu’il n’y a pas de mesure au niveau des fentes.

Selon l’équation de Schrödinger, il y a donc une superposition de paquets d’onde et donc une superposition d‘états différents. Il est difficile d’imaginer ce qu’il se passe réellement. Nos observations et nos mesures donnent pourtant pour un système donné des grandeurs uniques, un état unique et non pas un ensemble de résultats différents. Nous connaissons donc uniquement une solution particulière parmi les solutions possibles, l’ensemble des autres solutions étant inconnaissables ou ayant disparu. Ce processus, quand il est accepté, est appelé « effondrement» ou  « réduction de la fonction ondulatoire ». Une des questions fondamentales de la physique quantique est de comprendre comment s'effectue le passage d'une superposition d'états à un seul état observable.

Selon l’interprétation de Copenhague, « la transition du « possible  » au « réel » […] a lieu pendant l'acte d'observer »[8]. Selon cette logique, l’acte d’observer a donc un rôle dans les résultats d’observation. Nous sommes alors aux antipodes de la physique classique. En effet, dans cette dernière, l’objet d’étude est isolé de tout et surtout de l’observateur qui reste extérieur à l’expérience. L’indépendance entre l’objet étudié et l’observateur est fondamentale dans la physique classique. Elle garantit l'objectivité de la connaissance. La difficulté est alors de donner un sens à ces états superposés qui semblent n’exister qu’en dehors de toute mesure. Selon l’interprétation d’Everett, dite encore interprétation des mondes multiples, on pense que ces superpositions d’état désignent des mondes réels qui se superposent dans une extra-réalité…

Principe d’incertitude

L’aspect probabilistique, que nous avons déjà identifié à plusieurs reprises – saut des particules, mécanique ondulatoire - est un des principes fondamentaux de la physique quantique. « La mécanique quantique est une théorie intrinsèquement probabiliste »[9]. Cet aspect probabilistique se traduit surtout par la formule d’Heisenberg, dite encore principe d’incertitude qu’Heisenberg a énoncé en 1927. Cette formule est le principe intrinsèque du Monde quantique selon l’interprétation la plus classique. Elle montre qu’il n’est pas possible de connaître simultanément la localisation d’une particule et son impulsion ou encore sa vitesse. La notion de trajectoire qui associe position et vitesse n’a donc pas de sens en physique quantique. C’est une impossibilité naturelle, fondamentale, non liée à l’imperfection de nos moyens de mesures. Selon l'interprétation la plus commune, il est ainsi fondamentalement impossible de connaître de manière précise et simultanée des paires de propriétés, l’une associée à l’aspect corpusculaire de la particule, l’autre à l’aspect ondulatoire ( théorie de la complémentarité). Plus nous avons de l’information sur l'un des deux aspects, moins nous en avons sur l’autre. 

Intrication quantique et non-localité

Dans le Monde quantique, lorsque deux "objets" interagissent, leurs propriétés se couplent et restent corrélées même après que l’interaction soit terminée. Ainsi dans un système à deux particules, en mesurant une des propriétés de l'une, il est possible de connaître la valeur de la même propriété pour l’autre particule. L’autre conséquence encore plus étrange est que la modification de l’une par l’observation modifie la seconde même si elles sont éloignées l'une de l'autre. En clair, il y a interaction entre les éléments d’un même système quelles que soient leurs distances spatiales et temporelles. Ce principe d’intrication et de non-localité n’est pas reconnu par toutes les interprétations. Il est néanmoins le plus souvent enseigné.


Nous avons essayé de décrire simplement et le plus clairement possible les principes de la physique quantique en essayant de supprimer ou d’identifier ce qui peut relever d’une interprétation. Cette description peut paraître simpliste pour les initiés mais elle semble suffisante pour appréhender le Monde quantique et comprendre combien il est bien difficile de le comprendre et même de l’imaginer. Cette description nous paraît suffisante pour lire les articles qui vont suivre sur ce sujet. Elle permet aussi de comprendre la pertinence de certaines questions fondamentales que nous devons nous posons face à un monde si étrange et inconnu... Que révèlent les principes de la physique quantique ? Que signifie l’équation de Schrödinger ? Qu’est-ce qu’une mesure ? Quel est finalement ce Monde quantique aux principes si étonnants ? La physique quantique en elle-même ne donne pas de sens à ce Monde. Il ne dit pas ce qu’est ce Monde. Ainsi a-t-elle donné lieu à des interprétations qui essayent de lui donner de la signification.

Certaines interprétations remettent en cause des certitudes comme celle de l’objectivité du monde, et peuvent nous éloigner de la réalité. Or « une interprétation d’une théorie a pour fonction de fournir l'image d'un monde dans lequel la théorie serait vraie, c'est-à-dire caractériser les entités dont se compose le monde et à préciser quelles sont leurs propriétés »[10]. 

Le danger est alors de vouloir donner à une interprétation une réalité qu’elle n’a pas et de l’imposer comme vérité. Or si une telle vision est prise pour la réalité, la foi n’a plus guère de sens, la connaissance non-plus.



Références

[1] Expérience de Franck et de Hertz , 1914, prix nobel de 1925,confirme la théorie des quanta associée aux atomes.
[2] John Gribbin, Le Chat de Schrodïnger, physique quantique et réalité, Flammarion,1984.
[3] Le sens de la valeur de ces statistiques est différent selon l’interprétation choisie.
[4] Voir Émeraude, janvier 2014, article "La lumière".
[5] Louis de Broglie, La physique quantique restera-t-elle indéterministe ? in Revue d'histoire des sciences et de leurs applications, 1952, Tome 5, n°4, www.persee.fr/web/revues.
[6] Expérience de Davisson et de Germer (1927).
[7] Plus précisément le carré de la fonction d’onde. La fonction d’onde est une fonction à variable complexe.
[8] Werner Heisenberg, Physique et Philosophie, éditions Albin Michel, 1971.
[9] Jacques Weyers, Physique générale III, Mécanique quantique, notes de cours, 2006-2007, Université catholique de Louvain, Faculté des Sciences, Département de physique.

[10] Thmas Boyer, La pluralité des interprétations d'une théorie scientifique : le cas de la mécanique quantique, thèse pour l'obtention du grade de docteur en philosophie de l'Université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne, 2 décembre 2011, http://www-ihpst.univ-paris1.fr/fichiers/theses/thomas_boyer_118.pdf

mardi 18 février 2014

Préambules à la physique quantique

Il est difficile en quelques mots de décrire clairement la physique quantique tant elles nous paraissent si éloignées de notre perception de la réalité et de nos intuitions. Certains n’y voient que des subtilités mathématiques quand d’autres ne considèrent aucune réalité en dehors de cette science. La physique quantique tente de décrire l’infiniment petit, c’est-à-dire le monde des particules de la taille de l’atome ou des corps plus petits encore. Elle est aussi capable d’expliquer notre vie quotidienne comme l’infiniment grand. Elle dépasse la physique classique qui n’apparaît plus qu’une approximation de la réalité. Aujourd'hui, elle est le socle fondamental sur lequel repose la physique. « La mécanique quantique est en fait l’épine dorsale de l’ensemble de la science moderne »[1]…

La physique quantique, une réponse aux limites de la physique classique 

Il existe plusieurs pédagogies pour expliquer les principes de la physique quantique. La plus classique est de les décrire à partir des limites de la physique classique, soit à partir des expériences les plus convaincantes qui les ont révélés, soit à partir de l’histoire scientifique, riche en événements. La physique classique ne parvient pas en effet à expliquer tous les phénomènes et se révèle même contradictoire dans certaines situations. Devant un tel embarras, la communauté scientifique a mené une intense activité, où se sont illustrés de nombreux génies. En très peu d’années, les travaux ont conduit à l’élaboration d’une nouvelle théorie capable de surmonter les limites de la physique classique. « La théorie quantique représente la plus grande réalisation de la science » [2], certainement une des plus grandes aventures scientifiques. 

La physique quantique, une extraordinaire aventure humaine

En quelques années, de 1925 à 1930, des hommes comme Einstein, de Broglie, Bohr, Schrödinger, Dirac et tant d’autres encore ont donné naissance à une nouvelle science. Si tout a été dit en si peu de temps, l’histoire s’est poursuivie jusqu’à nos jours, notamment par des expériences plus précises qui ont permis de confirmer la théorie et de l’améliorer. 

La physique quantique est d’abord le résultat d’intuitions, de suggestions, de débats avant d'avoir été confirmée par des résultats expérimentaux. La théorie a surtout été développée par des expériences dites de pensée qui révèlent des paradoxes soit de la physique classique, soit de la physique quantique. Il a fallu attendre de nombreuses années pour que ces expériences puissent être effectuées. L’une des plus célèbres est le paradoxe EPR (1935) du nom des concepteurs Einstein, Podolsky et Rosen. Ces scientifiques ont pensé à une expérience qui devait mettre à défaut une interprétation indéterministe de la physique quantique en révélant son incomplétude, c’est-à-dire son incapacité de tout décrire. Bohm a pu répondre à leurs objections en supposant le principe de non-localité, un des principes de la physique quantique. En 1964, Bell a traduit ce paradoxe en une expérience. Au lieu de confirmer leurs objections, la réalisation de cette expérience entre les années 1980-1982 a permis de valider la réponse de Bohm, mettant fin à un long débat.

La découverte du monde quantique est une aventure extraordinaire sur plusieurs générations de génies : Max Planck (1858-1947), Albert Einstein (1879-1955), Max Born (1882-1970), Niels Bohr (1885-1962), Erwin Schrödinger (1887-1975), Louis de Broglie (1892-1987), Wolfang Pauli (1900-1958), Werner Heisenberg (1901-1976), Dirac (1902-1984) et bien d’autres encore. Le commencement de l'aventure date probablement de 1900 quand Planck énonça une formule qui déboucha de manière involontaire sur la mécanique quantique. Un ensemble d’hypothèses furent ensuite proposées, des expériences furent menées, validant ou non ces hypothèses et leurs conclusions. Une intense activité mêla de nombreux scientifiques au travers de conférences et de publications. « Il semble que la science européenne ait été nourrie par un ferment d’idées qui arrivaient à maturité, et que des idées différentes éclosaient en des lieux différents, pas nécessairement dans ce qui semble être aujourd'hui un ordre logique. »[3]

A la fin des années 20, les progrès fondamentaux ont ainsi été réalisés de manière disparate, avec des échecs et des succès. D’autres découvertes seront réalisées ensuite mais la théorie quantique apparaît complète. Une nouvelle phase débute à la fin des années 20, celle de la recherche de cohérence et de signification. Dans les années 30, alors que la théorie quantique commençait à être enseignée, elle donna lieu à des questionnements philosophiques sur certains principes comme le principe de la causalité, sur la nature du temps, sur les limites de la science, sur la réalité. Une nouvelle vision du monde apparaît ainsi au XXème siècle…

La physique quantique, une vision extrêmement mathématique du Monde

Une autre méthode pour présenter la science quantique est de se lancer dans les formules mathématiques et dans des notions complexes au point que la présentation devient finalement un cours d’algèbres et de probabilités. Elle a pu en effet se développer et être si efficace grâce aux progrès des mathématiques qui ont su fournir aux physiciens les opérateurs nécessaires. La collaboration entre physiciens et mathématiciens ont permis le développement rapide de la théorie. Mais, en contrepartie, rien ne semble compréhensible en dehors du langage mathématique. 

La physique quantique, une démarche scientifique





Enfin, une dernière solution pédagogique est de donner directement les principes et les concepts de la physique quantique pour développer ensuite la théorie et ses implications, et présenter les expériences qui la confirment. La physique quantique est, comme toute science, le résultat d’une démarche rationnelle, combinant raisonnement et expérimentation. Néanmoins, il s’avère que la philosophie, notamment d’origine allemande, a joué un rôle dans certaines interprétations

Le fait qu’il y ait finalement autant de pédagogies et de soins pour introduire et développer la physique quantique révèle une véritable difficulté intrinsèque à la théorie, non seulement d’ordre scientifique mais aussi d’ordre philosophique et même psychologique. 

« Une nouvelle façon de penser le réel, une nouvelle logique »[4]. 

« Un orage souffle sur la physique du vingtième siècle, faisant trembler ses fondations et jetant la confusion sur la nature même de ses concepts les plus ultimes. Véritable révolution qui vient jeter un pavé dans la mare pourtant si tranquille de nos croyances acquises jusqu'alors »[5]. La physique quantique est une science étonnante, « contre-intuitive ». Ce que arrive dans l’infiniment petit n’est pas pensable dans la physique classique. Toutefois, la physique quantique inclut la physique classique et explique des phénomènes de l’infiniment petit jusqu’à l’infiniment grand sauf les phénomènes relativistes. Elle est ainsi plus puissante que la physique classique. 

Mais la physique quantique nécessite un cadre conceptuel différent, entièrement nouveau. Les résultats expérimentaux et les interprétations des formules dépassent en effet notre entendement si nous demeurons dans le cadre de la physique classique. Des notions traditionnelles perdent en effet tout leur sens si nous les utilisons pour interpréter les résultats mathématiques ou expérimentaux. « Dès que l’on tente d’exprimer par des mots les règles de calcul […] on est conduit à formuler des vues qui frisent, vraiment, l’absurdité »[6]. La question est de savoir si la difficulté réside dans l’utilisation de nouveaux concepts, dans le changement de modèle scientifique ou dans une réalité irrationnelle.

La physique quantique peut remettre en cause nos certitudes scientifiques. Elle peut souligner les faiblesses de notre raison et notre dépendance à l’égard de concepts hérités de la physique classique. Des scientifiques parlent de « révolution épistémologique ». Il est indéniable qu’une présentation de la physique quantique ne laisse guère indifférente une âme éprise de vérité. 

La physique quantique, une science efficace

La physique quantique ne se réduit pas à des formules ou à des spéculations. Elle est aujourd'hui fondamentale dans certaines activités : la biologie moléculaire, l’imagerie médicale (IRM), l’énergie nucléaire, la technologie des lasers et des supraconducteurs, l’informatique, la cryptographie, etc. Il n’est pas non plus possible d’essayer de concevoir le Big Bang en dehors du monde quantique. Comment comprendre la Création et louer Dieu dans ses œuvres en refusant d’appréhender l’infiniment petit ? Notre Créateur n’a pas seulement créé ce que nous pouvons percevoir. Tout ce qui existe est son œuvre… 

En outre, « il est indubitable que les expériences, qui deviennent chaque décennie de plus en plus élaborées et précises, n’ont jamais réussi à mettre en défaut la mécanique quantique »[7].

Nous pouvons cependant relativiser l’enthousiasme des partisans de la physique quantique. Elle connaît quelques contradictions et limites. Une de ses interprétations, qui a longtemps dominé dans les communautés scientifiques, celle de Copenhague, semble aujourd'hui être contestée. La physique quantique reste une théorie scientifique…

Le monde quantique

Nous parlons de monde quantique :
  • soit pour désigner le monde des particules de la taille des atomes et en deçà ;
  • soit des phénomènes auxquelles s’appliquent les règles de la physique quantique ;
  • soit enfin le modèle de la réalité élaboré selon les principes de la physique quantique.
Dans nos articles, le monde quantique désignera ce modèle.

La physique quantique ne s’applique pas simplement à l’infiniment petit mais tend à tout l’Univers. La physique classique apparaît alors comme une approximation ou un cas particulier de la physique quantique. Pour les besoins de notre vie quotidienne, cette approximation est suffisante. Ainsi la physique classique demeure valable. Cependant, en dépit des efforts, la physique quantique ne parvient pas encore à « englober » la théorie de la relativité générale. Ainsi est-elle incapable d’expliquer tous les phénomènes.

La principale caractéristique du monde quantique est son étrangeté. Il est complètement différent de notre monde quotidien, plus précisément du modèle de la physique classique. Tout ce que nous croyons connaître, perd en effet tout sens. Si nous devons lui appliquer les principes de la physique classique, certains phénomènes seraient incompréhensibles et absurdes. Il est fort probable que les scientifiques du XIXe siècle l’auraient rejeté. L’un des premiers principes de la physique classique est donc de s’éloigner de la perception du Monde telle qu’elle était envisagée et enseignée depuis le XVIIe siècle.

Différentes attitudes devant la physique quantique

Supraconducteur : l'effet lévitation
Les différents résultats de la physique quantique paraissent ainsi étranges, déroutants, voire totalement fous. Ils ont donné lieu à de nouvelles notions, à des formules mathématiques, à des règles élémentaires qui forment en quelques sortes des recettes nécessaires pour manipuler les particules. Comme un cuisinier qui ne soucie guère des réactions chimiques qui se réalisent lors de la confection d’un plat, il est possible de manipuler les particules selon la physique quantique sans même comprendre le sens des modèles utilisés. L’important est d’obtenir des résultats et de faire progresser les technologies. C’est une interprétation empiriste, utilitariste de la physique quantique. Dans certains cours, son aspect interprétatif et philosophique est rejeté, même combattu…

Mais si au-delà de leur aspect pratique et efficace, nous interrogeons les théories, si nous essayons de comprendre le modèle sous-jacent, si nous osons nous frotter à l’étrangeté du monde quantique, inévitablement, nous sommes dans l’obligation de nous interroger sur la réalité des choses. Car quel que soit le discours, le scientifique aborde un domaine central de la connaissance de la matière et du Monde. Il ne peut interroger la Création dans son intimité et la manipuler dans ses profondeurs sans s'interroger sur ses fondements et sans se remettre en cause lui-même puisqu'il fait aussi partie de la Nature. Leurs études et leurs manipulations engagent une certaine responsabilité non seulement envers notre Créateur mais aussi envers les hommes. Nous abordons alors inévitablement la philosophie, voire la métaphysique … 

Responsabilité philosophique

La Corde est un film d’Hitchcock. Pour avoir écouté leur professeur philosophe et voulu appliquer sa philosophie, des étudiants tuent un de leur camarade et cachent leur victime. L’intrigue policière tourne autour de la découverte du corps et sur la raison qui les a conduits à commettre un assassinat gratuit. Leur crime n’est qu’une mise en pratique des cours du philosophe. Le film pose donc la responsabilité de l’enseignant qui a indirectement inspiré un acte infâme. Dans l’histoire récente et aujourd'hui encore, des philosophies ont donné lieu à des ignominies sans pourtant que leur auteur en porte une quelconque responsabilité. La liberté d’expression et d’enseignement n’exclut pas une certaine responsabilité…

De nombreux scientifiques ne sont pas restés au niveau des formules. Ils ont cherché à donner du sens et de la cohérence à la physique quantique par rapport à notre vie quotidienne. L’interprétation la plus classique, celle qui domine encore la communauté scientifique, est celle de Copenhague ou ses dérivées. Elle se focalise davantage sur l’interaction entre l’élément observé et l’observation, sur les limites de notre langage et de nos concepts. A partir de cette interprétation, certains ont essayé de montrer que la réalité n’est qu’une création de la conscience... Il existe d’autres interprétations qui se penchent davantage sur la réalité, celle de « l’onde pilote » ou des « variables cachées » (Bohm-Broglie), celle des « univers multiples », ou encore celle des « histoires décohérentes »…





Références
[1] John Gribbin, Le Chat de Schrodïnger, physique quantique et réalité, Flammarion,trad. de l’américain par Christel Rollinat, 1984. 
[2] J. Gribbin, Le Chat de Schrodïnger, physique quantique et réalité.
[3] J. Gribbin,
Le Chat de Schrodïnger, physique quantique et réalitér, Flammarion,
[4] Jean-Louis Basdevant et Jean Dalibard, Mécanique quantique, cours de polytechnique, février 2002.
[5]Donald Nadon, Introduction à la physique quantique, www.futura-sciences.com.
[6] Bernard d’Espagnat, Bernard d’Espagnat – De la physique à la métaphysique ? http://journaldesgrandesecoles.com/bernard-despagnat-de-la-physique-a-la-metaphysique.
[7] F. Laloë, Comprenons-nous vraiment la physique quantique ?, www.phys.ens.fr/cours/notes-de-cours