" La pierre précieuse, voire de grand prix aux yeux de certains, qu'est l'émeraude, se voit insultée par un morceau de verre habilement truqué, s'il ne se rencontre personne qui soit capable de procéder à un examen et de démasquer la faute. Et lorsque de l'airain a été mêlé à l'argent, qui donc, s'il n'est connaisseur, pourra aisément le vérifier ? "(Saint Irénée, Contre les hérésies)


dimanche 12 décembre 2021

La messe des défunts, haut lieu de vérité

Vêtus d’habits sombres, le cœur plus apaisé, nous sommes tous réunis, en attente dans une église endeuillée. Des regards se tournent vers l’autel drapé de noir ou encore vers le crucifix qui pose son regard attendri sur leur peine. À genoux, ce sont des prières silencieuses, profondes, inaccessibles. À la demande d’un enfant de chœur, nous quittons notre place pour rejoindre le prêtre à l’extérieur sur le perron. Devant le cercueil et face à la croix, et revêtu d’une étole noire, le célébrant attend que tous se réunissent autour du mort qu’éclairent des cierges. L’Église ne peut oser croire que le fidèle défunt nous ait quittés hors des lumières de la foi vivante de charité. Comme les Grecs au temps antique qui accompagnaient leur athlète victorieux, le flambeau à la main, elle espère que le fidèle a remporté son dernier combat avant de paraître devant Notre Seigneur Jésus-Christ. Dans l’obscurité d’une matinée hivernale, les cierges nous apportent surtout lumière et chaleur.

Psaume CXXIX

Silencieux comme les fidèles, le prêtre asperge le cercueil d’eau bénite avant d’entonner une antienne qui remonte d’un âge lointain. « Si vous examinez nos iniquités, Seigneur, Seigneur, qui subsistera devant vous ? » Qui pourra en effet paraître devant Notre Seigneur Jésus-Christ sans craindre son jugement, nous qui sommes si faibles et pécheurs, nous qui tombons dans un profond abîme par nos fautes et nos lâchetés incessantes ? Pourtant, avec une folle audace, nous crions vers Lui dans l’espoir d‘être entendus et secourus. « Je crie du fond des abîmes, j’ai crié vers vous, Seigneur ; Seigneur exaucez ma prière. » Nous refusons le désespoir comme nous refusons de compter sur nous-mêmes. Le cri de notre cœur est surtout celui de l’espérance, l’espérance que Dieu nous envoie. « Que vos oreilles soient attentives à la voix de ma supplication. » Car quel que soit le lieu où nous demeurons, nous savons que Notre Seigneur Jésus-Christ nous entend et nous écoute. Mais, conscients de la distance infinie qui nous sépare de Dieu, nous pouvons naturellement craindre notre audace. Qui sommes-nous en effet pour mériter une telle attention de la part du Tout-Puissant ?

« Si vous examinez nos iniquités, Seigneur, qui subsistera devant vous ? » Daignera-t-Il en effet quitter son trône pour poser son regard sur notre misère ? Mais si nous tombons dans l’abîme, qui pourrait nous relever et nous donner la force de poursuivre notre marche si ce n’est pas Lui ? Nous ne pouvons pas supporter l’état malheureux dans lequel nous sommes. Si nous pouvons duper notre entourage, nous ne pouvons pas être dupes de nous-mêmes. Il est vrai que des hommes peuvent être heureux dans leurs désordres et poursuivre leur existence dans les profondeurs de l’abîme sans craindre la fange dans laquelle ils sont. Sont-ils conscients de leur malheur ou désespérés, ils n’osent tendre leur voix vers Celui qui peut les secourir ? Comment pouvons-nous croire que Celui qui est descendu du ciel jusqu’à vivre parmi nous pour porter le poids de la Croix et mourir comme un malfaiteur ne puisse pas entendre ceux qui crient vers Lui ? Comme au temps de sa venue au milieu du peuple élu, Il connaît la voix du pécheur et sait répondre à ses supplications. « Mais auprès de vous est la miséricorde ».

Les paroles du psaume nous montrent dans quel abîme leur auteur se trouve par ses fautes. Il en est conscient et porté par sa foi, il pousse des cris vers Dieu, sûr d’être entendu. Conscient de sa misère, il ne compte pas sur lui pour s’en sortir. Nulle part il ne trouve un soutien ou un secours. Il sait que la justice divine ne pourrait que condamner l’homme. C’est pourquoi il se confie en la divine miséricorde.

Son attitude pourrait nous surprendre. Quand nous sommes arrivés dans les profondeurs de l’abîme, nous pourrions en effet poursuivre notre existence sans craindre quoi que ce soit. Qu’est-ce qui pourrait nous arriver de pire ? Un criminel qui sait que tout est perdu pour lui perpétue ses crimes et agit finalement à sa guise. Mais quand un espoir subsiste, tout change, tout se transforme, y compris le cœur et l’esprit. Le pécheur qui crie vers le ciel de la profondeur de l’abîme reconnaît que Dieu qui juge est aussi miséricordieux. La miséricorde divine est un passeport pour le salut…

« À cause de votre loi, j’ai espéré en vous. » Est-ce la loi de l’ancienne alliance, une loi de crainte qui, en dépit de toute sa sainteté, ne peut répondre à une telle attente ? Elle nous montre nos péchés, nous écarte de la voie du pécheur mais elle est impuissant à nous en délivrer. La loi dont le psalmiste parle est une loi d’amour, une loi qui n’abandonne pas celui qui est blessé au bord du chemin et qui le soigne sans compter. Elle pardonne et efface le péché. Elle relève et panse les blessures de l’âme.

« Mon âme s’est soutenue par la parole du Seigneur ; mon âme a espéré en lui. » Notre confiance ne repose pas sur nous-mêmes ou sur des chimères mais sur des promesses divines. C’est parce que Notre Seigneur Jésus-Christ a promis que nous pouvons espérer en sa miséricorde. Notre espérance n’est donc pas vaine ou folie. « Depuis la veille du matin jusqu’à la nuit qu’Israël espère dans le Seigneur. » L’espérance ne naît pas en nous mais en Celui qui peut nous l’envoyer. Nous n’agissons pas comme un enfant coupable pris en flagrant délit de mensonge, cherchant à se justifier ou à cacher sa bêtise. L’espérance est déjà présente en celui qui croit en Lui. Entre la foi et la charité, elle vit en nous. De même, la miséricorde divine est déjà là avant même la faute commise. Ce n’est pas nous qui la provoquons mais bien Celui qui la donne puisqu’Il nous a aimé le premier.

« Car auprès du Seigneur est la miséricorde ; et on trouve en lui une rédemption abondanteIl rachètera lui-même Israël de toutes ses iniquités. » Aucun péché ne peut résister à la miséricorde divine. Il n’y a point d’iniquité qui ne sera remise. Il n’est donc pas possible de ne point espérer ou de craindre qu’il existe une faute que Notre Seigneur ne peut pardonner. Tout est pardonnable tant que nous crions vers le Seigneur, que sincèrement contrits, nous confessons notre misère et que nous L’attendons à cause de sa loi d’amour. Ne croyons surtout pas que ce pardon nous est dû comme si nous en étions dignes. Car, retenons la leçon de la Saint Écriture. « Si vous examinez nos iniquités, Seigneur, Seigneur, qui subsistera devant vous ? » S’il y avait la moindre dignité en nous, ce ne serait point une loi d’amour qui viendrait nous relever de nos fautes mais une loi de justice. La cause de notre relèvement ne repose pas en effet en nous mais en Celui qui est plein de miséricorde. Le cœur tourné vers Notre Seigneur Jésus-Christ, nous pouvons alors Lui demander avec confiance et sérénité de donner au défunt ce que la foi nous permet d’espérer, c’est-à-dire la félicité éternelle. « Donnez-lui le repos éternel, Seigneur, et que la lumière sans fin luise sur lui. »

Psaume L

Autrefois, quand le prêtre se rendait dans la maison du défunt pour lever le corps et le conduire jusqu’à l’église, il lui était possible d’entonner d’autres psaumes avec l’antienne de joie : « mes os tressailliront de bonheur ». Le premier était le psaume 50, le même que celui que nous chantons dans les offices des Ténèbres, le Jeudi saint. « Ayez pitié de moi, Seigneur, selon votre grande miséricorde, et selon la multitude de vos miséricordes, effacez mon iniquité. » C’est en raison même de l’amour de Dieu que le psalmiste demande le pardon. Comme dans le psaume précédent, il reconnaît son péché dont il est l’auteur ainsi que sa gravité. « Parce que moi aussi, je connais mon iniquité, et mon péché est toujours devant moi. » Et quelle sa faute ? « J’ai péché contre vous seul ; et j’ai fait le mal devant vous. » Il ne l’avoue pas pour attendrir Dieu et éviter la peine que nous devons recevoir par justice. Bien au contraire. Nous réclamons justice. « Je fais cet aveu afin que vous soyez reconnu juste dans vos paroles, et que vous soyez triomphant dans vos jugements. » Il en appelle alors à la miséricorde divine puisque la justice divine réclame une peine. Comment avec une telle espérance nos os ne tressailliront-ils pas de bonheur ?

Requiem aternam

Il est temps d’entrer dans l’église. Elle est la première demeure du ciel pour le défunt. C’est alors que nous demandons aux anges de venir à sa rencontre pour qu’elle soit portée devant la face du Très-Haut et que Notre Seigneur Jésus-Christ l’accueille afin qu’Il lui donne le repos éternel.

Le cercueil est désormais là, les pieds du défunt devant l’autel, entouré de cierges allumés. Nous n’avons qu’une prière à dire, la même qui ne cesse de s’élever jusqu’au ciel depuis le début de l’office. « Donnez-leur, Seigneur, le repos éternel et que votre lumière luise perpétuellement sur eux. » Après cette antienne, le célébrant adresse à Dieu sa première prière dans une oraison magnifique où tout est dit.

Sa prière s’adresse à « Dieu dont c’est le propre d’avoir pitié toujours et de pardonner ». La miséricorde est la vertu même de Dieu, une miséricorde infinie comme Lui-même est infini. Nous lui demandons aussi le repos éternel pour le défunt puisqu’Il est celui qui l’a fait sortir de ce monde. Il est ainsi là devant l’autel par la volonté divine. Sans-doute, le défunt est mort d’une maladie, d’un accident ou d’une autre raison mais tout cela n’est que des causes secondes. Dieu seul est en effet maître de la vie.

Et en quoi consiste ce repos éternel ? L’Église adresse en fait plusieurs demandes dans sa prière. D’abord, elle lui demande de ne pas le laisser tomber aux mains du diable pour qu’il ne soit pas oublié à jamais. La peine la plus grande qu’il soit en effet pour un homme est d’être oublié de Dieu, non pas que Dieu puisse l’oublier, mais de vivre comme s’il était oublié de Dieu, c’est-à-dire hors de la présence de Dieu et pour toujours, sans aucun espoir d’être rappelé à Lui. Le silence de Dieu est une peine incommensurable. C’est la damnation éternelle.

 Ainsi, confiante en sa prière, l’Église demande à Dieu d’ordonner « aux saints anges de l’accueillir et de l’introduire dans le paradis, sa patrie », c’est-à-dire dans ce lieu qui a été préparé pour l’homme dès le commencement, ce lieu que nous désirons si fortement en raison de notre espérance et de notre foi, là où demeurera une charité sans fin. Alors que l’enfer est marqué par l’oubli du damné, comme le rappelera le graduel, « la mémoire du juste demeure éternellement ». Il est auprès de Dieu, devant sa face comme nous l’avons chanté. Ainsi, au lendemain de la mort, le défunt peut soit « subir les châtiments de l’enfer », soit « entrer en possession de l’éternelle joie. »

L’espérance et la foi

L’heure de l’épître est arrivée. Et c’est encore l’espérance et la foi qui sont au cœur de la première lecture. Nous entendons en effet Saint Paul nous rappeler une vérité de foi, celle du dernier jour, c’est-à-dire l’avènement de Notre Seigneur Jésus-Christ, le jugement et la résurrection des hommes, l’âme de nouveau unie au corps. L’apôtre nous demande alors de ne pas nous affliger comme les païens qui n’ont pas cette espérance. Il nous rappelle aussi que cette espérance se fonde sur la parole divine. Nous croyons en ce jour où tous les hommes ressusciteront parce que nous croyons que Notre Seigneur Jésus-Christ est mort et ressuscité.

Le chant du graduel retentit dans l’église et proclame encore notre espérance. « Donnez-leur seigneur le repos éternel, et que votre lumière luise perpétuellement sur eux. » Mais aussitôt, le trait qui suit nous rappelle une réalité que nous ne pouvons pas oublier. Nous ne pourrons pas jouir de la paix de Dieu s’Il ne nous libère pas de l’état de péché dans lequel nous pouvons être. « Délivrez, Seigneur, les âmes de tous les fidèles défunts de tout lien du péché. » Tant qu’elles demeurent dans l’état de péché, elles ne peuvent guère en effet espérer le repos éternel. Mais « avec le secours de votre grâce », et non en raison des mérites de l’intéressés, « ils méritent d’échapper au jugement de vengeance », c’est-à-dire à la justice divine qui vient punir l’offense commise contre Dieu. Les âmes ne peuvent donc « jouir de la béatitude de la lumière éternelle » si Dieu ne les retirent pas de l’état dans lequel le péché les a placées, non par justice mais par miséricorde

 Dias irae

Comme une voix sortant du ciel, un chant sublime résonne douloureusement dans l’église. C’est le Dies irae[1], chant terrible qui dresse dans de paroles ineffables la scène du Jugement dernier quand à l’annonce de la trompette, s’assembleront tous les hommes pour entendre leur jugement. « Jour de colère que ce jour-là » ! « Quand le Juge siégera, tout ce qui est caché apparaîtra, rien ne restera impuni. » C’est alors que des paroles déjà entendues nous reviennent encore en mémoire. « Si vous examinez nos iniquités, Seigneur, Seigneur, qui subsistera devant vous ? » Consciente de sa misère, sa voix s’étreigne d’une profonde angoisse. « Malheureux, que dirai-je alors ? » Elle se voit déjà devant le tribunal céleste et ne peut que frémir d’entendre le juste jugement. Le saint lui-même est à peine en sûreté, s’exclame-t-elle, frémissante d’angoisse. Que deviendrons-nous alors, seuls devant le Juge ?

La voix se tourne alors vers Notre Seigneur Jésus-Christ et du fond de l’abîme, elle crie vers lui. « Roi d’une majesté redoutable, qui sauvez gratuitement vos élus, sauvez-moi, source de bonté. » Elle sait que c’est par pure amour qu’elle peut être sauvée au jour du jugement. Elle n’a aucune part dans son salut. Elle se sait coupable et avoue ses fautes qui la rend digne d’être condamnée mais elle est aussi convaincue que Notre Seigneur Jésus-Christ a justement souffert pour sauver les brebis égarées comme elle, accordant grâce et pardon. « Je prie suppléant et prosterné, le cœur broyé comme cendre ». Les promesses divines, menaces et récompenses, reprennent vie dans sa voix gémissante comme un coupable humilié, alternant crainte et espoir. « O jour de larmes, où l’homme coupable ressuscitera de la poussière pour être jugé. » C’est alors que la voix s’élève vers Dieu pour demander pardon au défunt. Car sans ce pardon, il ne peut reposer en paix.

Après ce chant aussi sublime que terrifiant, le prêtre lit les paroles de Notre Seigneur Jésus-Christ, annonçant le jugement dernier. « Ceux qui auront fait le bien pour une résurrection de vie, et ceux qui auront fait le mal, pour une résurrection de jugement ». C’est alors que nous comprenons que tous se jouent avant que l’âme ne quitte son corps, avant que Dieu ne sépare l’homme du monde des vivants. Le chant s’adresse plus à ceux qui peuvent encore changer d’état qu’à ceux qui y demeurent pour l’éternité.

Un coup de tonnerre, un long gémissement de l’âme

Le chant « Dias irae » nous touche au plus profond de notre âme. « Chaque strophe retentit comme un coup de tonnerre ou comme un long gémissement du monde à l'agonie. »[2], mêlant « le sublime de la foi et de l’amour ». Il est sans aucun doute « l’un des plus beaux chefs d'œuvre de la poésie sacrée et l'un des plus précieux joyaux de la liturgie catholique »[3]. Pourtant, ce chant si ardent de foi a été banni de nos églises[4]. Comment aurait-il pu s’immiscer dans un rite devenu si froid et pâle, si superficiel, si rempli du monde ?

Pourtant, ce chant nous fait revivre avec une force admirable toute la Sainte Écriture, toute la parole divine. Quel est en effet ce « jour de colère », « ce jour d’effroi » si ce n’est le jour de Notre Seigneur Jésus-Christ dans sa gloire tel qu’il est annoncé par les justes, les prophètes et les apôtres ? Il est « jour cruel, plein d’indignation, de colère et de fureur » (Isaïe, XIII, 9), que nous décrit le prophète Isaïe, ou encore le « jour de tribulation et d’angoisse, jour de calamité et de misère, jour de nuée et d’orage, jour plein de fracas des trompettes » (Sophonie, I, 15). Quand nous revenons à ces prophéties souvent répétées, nous ne pouvons que trembler d’effroi. Quand nous songeons aux paroles de Notre Seigneur Jésus-Christ qui nous donne de nombreux signes sur ce « jour de vengeance » (Luc, XXI, 22), nous ne pouvons que frémir de tous nos membres.

Et en ce jour, Notre Seigneur Jésus-Christ venant « sur les nuées avec une grande puissance et une grande majesté » (Matthieu, XXIV, 30) descendra donc sur terre pour juger les vivants et les morts comme Il nous l’affirme clairement et avec insistance, non pour nous condamner mais pour nous prévenir.

Sera-t-Il aussi redoutable qu’Il a été quand Il a chassé les vendeurs du Temple ou terrassé de frayeurs les soldats venant l’arrêter dans le jardin des Oliviers ? Face à Lui, sur son trône, nous ne pourrons que reprendre les paroles toutes humbles de vérité du fidèle Job. « Qui suis-je donc, moi, pour lui répondre et pour discuter avec lui ? Quand il y aurait quelque justice en moi, je ne répondrais pas, mais j'implorerais mon juge. » (Job, IX)

Nul homme ne serait justifié devant Dieu, nous dit encore un psaume (Psaume CXLII). Et de nouveau, la seule attitude que nous pouvons prendre est celle que nous donne encore la Sainte Écriture. « Mais ayez pitié de moi, mon Dieu, selon l'étendue de votre miséricorde ; et selon la multitude de vos boutes, effacez mon iniquité. Lavez m'en de plus en plus, purifiez-moi de mon péché. Car mon iniquité, je la connais, et mon péché est toujours contre moi. C'est vous seul que j'ai offensé ; c'est devant vous que j'ai fait le mal. Pardonner, afin que vous soyez justifié dans vos promesses et que vous triomphiez dans les jugements qu'on ait de vous. » (Psaume L). Là réside la véritable âme consciente de ce qu’elle est face à son Dieu et son Seigneur.

Mais en ce jour du Seigneur, où sonneront les trompettes, où tous quitteront leur tombeau pour entendre leur jugement, le Livre de la vie témoignera de leurs œuvres. « Et je vis les morts, grands et petits, debout devant le trône ; et des livres furent ouverts, et puis on en ouvrit un autre, qui est le Livre de vie : et les morts furent jugés d'après ce qui était écrit dans les livres, selon leurs œuvres » (Apocalypse, XX, 12), nous décrit Saint Jean. Nous n’assisterons pas à ces longs débats et à ces interminables palabres de nos tribunaux, où la parole habile prouve et réfute, où le langage impressionne et manipule. La cause dès instruite, le verdict sonnera dans toute sa vérité et sa puissance. « Notre conscience rendra témoignage et nos propres pensées nous accuseront ou nous défendront, en ce jour où Dieu jugera par Jésus-Christ, selon l'Évangile, ce qu'il y a au fond de nos cœurs. » (Rom., II, 15-16) Nul ne pourra donc se cacher. « Il n'est rien de caché qui ne doive se découvrir, il n'est rien de secret qui ne doive être connu. » (Matthieu, X, 26.) Tel sera le triomphe de la justice divine…

Devant de telles vérités si terrifiantes, nous pourrions sombrer dans le désespoir comme ceux qui se complaisent dans le désordre, n’ayant d’autres avenirs que la condamnation de leur conscience. Mais, un cri s’élève des profondeurs de l’abîme. Car Celui qui juge est aussi Notre Sauveur. Et celui qui est devant le tribunal, c’est bien nous, seul face à Notre Seigneur, avec notre conscience. Nous ne pouvons rien dire ni justifier. « Si le juste est sauvé avec peine, que deviendra l’impie et le pécheur ? » (I, Pierre, IV, 18)

C’est alors que, inébranlable dans la confiance de la promesse divine, comme l’Église nous l’invite dans ses prières, notre âme se tourne vers Notre Seigneur Jésus-Christ « lequel a été livré pour nos offenses, et est ressuscité pour notre justification. »(Rom., IV, 25). Nous appelons à sa clémence, à sa bonté, à sa miséricorde qui, devant les larmes touchantes et sincères de Saint Madeleine ou l’aveu simple et réel du bon larron, les a sauvés d’une mort éternelle certaine. Il est venu sauver les âmes et non les perdre. Quand nous admirons les œuvres qu’Il a réalisées pour retrouver les brebis égarées et quand nous ressassons ses sublimes paroles, la confiance ne peut que demeurer en nous, quel que soit l’état de pécheur dans lequel nous sommes. Notre regard se pose alors sur la croix de Notre Seigneur Jésus-Christ, notre unique espérance. Au jour venu, signe de la victoire, elle illuminera le ciel et au tribunal de Dieu, elle sera la règle du jugement comme elle est l’instrument de notre salut…

Mais le temps de notre salut est compté. La grâce et le pardon ne sont possibles qu’en ce monde-ci, avant que n’arrive le jour du jugement. Avant de paraître devant le tribunal de la justice, nous voulons nous accuser nous-mêmes au tribunal de la miséricorde pour « gémir comme un coupable » que nous sommes puisque nos fautes font rougir notre front. Parce que nous nous jugeons nous-mêmes, cœur à cœur, sans nous mentir ni nous justifier, ne voulant que réparer nos fautes par la pénitence, Notre Seigneur saura nous entendre. Puisque nous nous ne sommes pas épargnés, Dieu nous épargnera de sa vengeance. « Si je me fais justice, il me fera grâce »[5]. Mais si nous refusons de nous juger, qui saura nous sauver ?

Regrets, confusions, contrition, pénitence, devant notre cœur ouvert, Notre Sauveur se laisse toucher. Nous sommes comme le publicain avouant sa misère, le front contre terre. Au-dedans de nous, le cœur est brisé d’une douleur profonde et vive. « Vous ne dédaignerez pas, Seigneur, un cœur contrit et humilié. » (Psaume L). Au-dehors, nous sommes prosternés, à genoux, suppliant. « J‘ai étendu les mains vers vous ; mon âme est devant vous comme une terre aride. Ne détournez pas de moi votre face, de peur que je ne sois semblable à ceux qui descendent dans l’abîme. » (Psaume CXLII). L’autel nous semble si loin mais notre esprit est si proche de Dieu que nous ne pouvons pas ne pas être entendus. « Le publicain s’avoue pécheur, et il devient juste ; il s’abaisse, et il est relevé ; il se condamne, et il est pardonné. »[6] Nous retrouvons alors le cri de ceux qui nous ont précédés : « O Seigneur, qui aimez les âmes. »(Sagesse, XI, 22-27) Et emporté par un espoir insensé pour l’homme, nous élevons notre regard et nous implorons à Celui qui nous aime d’octroyer le pardon et le repos à tous les défunts.

 


Notes et références

[1] Son auteur est Thomas de Celano (v. 1200-v.1265), un des premiers franciscains et ami de Saint François d’Assise.

[2] P. Charles Clair (1835-1899),  compagnie de Jésus, Le "Dies irae" : histoire, traduction, commentaire, 1881,  éditeur Letouzey et Ané, gallica.bnf.fr.

[3] P. Charles Clair (1835-1899),  Le "Dies irae" : histoire, traduction, commentaire.

[4] La séquence Dies Irae, retenue par le concile de Trente, a été supprimée à l’office des défunts à la suite du deuxième concile de Vatican.

[5] Louis Bourdaloue, Sermon pour le premier dimanche de l’Avent, Sur le jugement dernier, dans Œuvre de Bourdaloue, Tome I, chez Lefèvre, libraire éditeur, 1838.

[6] P. Charles Clair (1835-1899),  compagnie de Jésus, Le "Dies irae" : histoire, traduction, commentaire, 1881,  éditeur Letouzey et Ané, gallica.bnf.fr. La citation est inspirée du Deuxième discours sur le psaume XXXII, Saint Augustin, n°11, abbaye Saint Benoît, clerus.org.

samedi 20 novembre 2021

Saint Thomas d'Aquin : la damnation éternelle et la justice divine

L’enseignement de l’Église affirme clairement et sans ambiguïté l’existence de l’enfer et l’éternité des peines. Immédiatement, après la mort, l’âme de ceux qui sont morts dans l’état de péché mortel descendent dans les ténèbres pour y souffrir des châtiments sans fin. Comme nous l’avons longuement évoqué[1], cette doctrine se fonde sur la Sainte Écriture correctement interprétée. Pourtant, en dépit de la clarté de la parole de Dieu et de l’enseignement de l’Église, des chrétiens le remettent encore en cause. Ils ne peuvent sans-doute pas imaginer que des hommes puissent connaître pour toujours des peines éternelles en raison de fautes commises durant leur existence ici-bas. Cet enseignement les répugne, voire les met en colère.

Le refus de la peine éternelle en enfer ou tout simplement le rejet de l’existence de l’enfer au sein des communautés chrétiennes ne sont pas des erreurs nouvelles. C’était aussi une objection des païens à l’égard du christianisme. Saint Augustin les connaît déjà et les a longuement réfutées[1]. Pour répondre aux païens, il s’appuie sur leur propre manière d’appliquer la justice et montre la cohérence de la doctrine chrétienne. Pour les chrétiens, il réfute facilement leur interprétation erronée de la Sainte Écriture en raison de leur manière de penser, une pensée bien humaine et sensible. Il souligne aussi leur incohérence puisque leur croyance les conduit à restreindre la miséricorde même de Dieu, voire à remettre en cause la vie éternelle des bienheureux. Leur opinion n’est pas seulement une erreur mais présente aussi des dangers…

Plusieurs siècles plus tard, dans un esprit d’enseignement, Saint Thomas d’Aquin nous apporte une synthèse de la doctrine chrétienne sur l’éternité des peines en enfer. Contrairement à Saint Augustin, il n’écrit pas pour réfuter ou combattre des adversaires qui défendent et propagent des erreurs auxquelles il doit faire face mais pour instruire, enseigner, affermir notre foi de manière rationnelle. Il répond en effet à des objections que la raison peut émettre en toute bonne foi. Son interlocuteur est donc la raison. C’est alors un autre regard que Saint Thomas d’Aquin porte sur le sujet, finalement une nouvelle source d’enrichissement.

Dans son commentaire sur notre symbole de foi[2], Saint Thomas d’Aquin traite de l’article portant sur la vie éternelle, c’est-à-dire sur ce qui adviendra de nous après la mort. Après avoir commenté ce qu’il arrive aux bons et aux méchants lorsque leur âme se sépare de leur corps, notamment des peines du damné, il réfute toute idée d’injustice que pourrait faire paraître la damnation éternelle et donc la répugnance que nous pourrions éprouver devant cette vérité.

L’idée de justice contre l’éternité des peines

Selon Saint Thomas d’Aquin, l’éternité des peines de l’enfer peut en effet nous paraître injuste tant elle paraît bien différente de l’idée première que nous pouvons avoir de la justice. Nous allons donc identifier quelques éléments de la justice telle que nous la concevons.

Il est d’abord juste qu’un homme doive être condamné d’une peine s’il commet un acte répréhensible. S’il vole consciemment un bien, il est juste de le punir pour ce vol. Nous savons bien que, sans sanction, il n’y a plus de justice ni de droit. Mais faut-il réduire une peine à une sanction ?

Dans notre monde imparfait, où le bien et le mal se côtoient, où l’homme est capable de changer, de passer de l’un à l’autre, nous mêlons toujours à l’idée de peine celle de la correction. L’amende ou l’emprisonnement n’ont pas en effet pour but unique de punir ou d’éteindre tout esprit de vengeance. Ce sont aussi des moyens pour éclairer les intelligences et redresser les volontés afin que le coupable reconnaît ses torts et ne reproduise pas sa faute. Nous attendons donc de la peine une vertu médicinale. Derrière l’idée de toute punition, il y a toujours une idée de seconde chance, de purification et finalement de pardon. Or, selon l’enseignement de l’Église, pour une faute commise en peu de temps, nous pouvons vivre une éternité de souffrances sans aucun espoir de rémission et de pardon. …

Des fautes différentes ne peuvent être suivies d’une même peine. Il y a en effet une graduation de la peine qui prend en compte une graduation de la faute selon sa matière et sa gravité. Le vol d’un pain, d’une voiture ou d’un enfant ne peuvent être puni d’une même peine. Les peines doivent bien être différenciées en fonction des fautes commises. Or, si la peine est éternelle pour tout péché mortel, il ne peut y avoir une distinction de peine, même si les péchés mortels sont différents.

En outre, une peine ne peut excéder la faute comme nous l’apprend aussi la Sainte Écriture. « Œil pour œil. Dent pour dent. » Le critère de proportionnalité est un élément essentiel de notre idée de justice. Il est aussi un fondement de notre droit constitutionnel. Or, faut-il qu’une faute réalisée en peu de temps soit punie par une peine éternelle ?

Finalement, quand nous considérons notre conception de la justice, l’éternité de l’enfer peut naturellement nous répugner. Faut-il alors changer notre façon de concevoir la justice pour adhérer à la doctrine de l’Église ou faut-il réinterpréter la doctrine de manière à imposer notre manière de penser ? La dernière solution reviendrait inévitablement à remettre en cause l’enseignement même de l’Église…

Quand il expose la foi concernant l’éternité des peines de l’enfer, Saint Thomas d’Aquin s’attaque naturellement à cette répugnance. Il revient en effet sur l’injustice apparente que présente la damnation éternelle. « Ce n’est pas contraire à la justice divine que quelqu’un subisse une peine éternelle »[3]. Il nous donne quelques arguments pour justifier la damnation éternelle. Écoutons-le attentivement…

L’état de péché qui perdure

Saint Thomas d’Aquin traite du problème de l’apparente disproportion, en matière temporelle, entre la peine et l’acte puni. Il rompt le lien qui pourrait associer le temps du péché mortel, nécessairement limité et momentané, et le temps de la peine qui est éternel. Comme Saint Augustin, il lui suffit de prendre l’exemple de notre propre justice pour montrer que nous agissons de même sans que cela nous étonne. « Même les lois humaines ne font pas dépendre une peine en la mesurant au temps. » Il nous donne en effet des exemples comme la peine de mort ou l’exil définitif. Il n’est donc pas raisonnable d’accuser l’enseignement de l’Église d’être injuste en se fondant sur l’absence de proportionnalité entre le temps de la faute et celui de la peine puisque nous le faisons nous-mêmes et cela en toute justice. La peine se mesure en fait selon la gravité de la faute.

Revenons néanmoins sur la notion de temps. Celle-ci a en effet une certaine importance. Saint Thomas d’Aquin nous demande en effet de prendre en considération l’état du pécheur et non l’acte du péché en lui-même. « Il faut admettre que la peine est infligée au pécheur qui ne se repent pas de son péché et qui donc perdure en lui jusqu’à la mort. » Le temps en question n’est pas celui de l’acte commis par le pécheur mais le temps de sa volonté puisqu’il demeure volontairement dans un état de péché. Si la mort ne mettait pas fin à son existence, il continuerait à y demeurer. Selon Saint Grégoire le Grand, « quoique la faute soit temporelle d’après l’acte, elle est cependant éternelle dans la volonté. »[4]  Saint Thomas en vient alors à cette conclusion étonnante : « Et comme il pèche dans son être éternel », c’est-à-dire dans son âme, qui est immortelle, « il est rationnel que Dieu le punisse éternellement. »

Plus loin dans son exposé, Saint Thomas d’Aquin revient sur notre justice humaine. Que faisons-nous en effet quand nous punissons une personne dans l’espoir de la corriger ou de l’amender si malgré nos efforts, elle persiste dans sa méchanceté ? Elle est de nouveau punie généralement d’une peine plus lourde. Et les peines pourraient encore s’accumuler s’il récidive au point qu’une vie humaine ne suffirait pas pour les satisfaire. Des criminels se voient ainsi de nos jours condamnés d’un temps de prison qui dépasse parfois la vie même d’un homme. Ainsi, de même, pour celui qui s’obstine dans un état de péché jusqu’à sa mort, sa peine ne peut avoir de terme final. Tant qu’il y demeure, la peine perdure. Or, après la mort, il n’est plus possible de changer d’état et donc de se corriger…

Or, « la confirmation dans le bien et l’obstination dans le mal de l’âme humaine a lieu lorsqu’elle se sépare du corps. »[5] Tant qu’elle est unie au corps, elle peut changer d’état puisque l’homme est dans un état de changement. C’est le sens que Saint Thomas donne au verset biblique suivant, conformément à l’interprétation des Pères de l’Église : « Si l’arbre tombe au sud ou au nord, ou quelque autre lieu, il y sera. » (Ecclésiaste, XI, 3). « Ainsi donc après cette vie ceux qui seront trouvés bons dans la mort auront pour toujours leur volonté confirmée dans le bien, ceux qui seront trouvés mauvais seront pour toujours obstinés dans le mal. »[6]

La gravité du péché

Saint Thomas d’Aquin traite aussi de la peine selon la gravité du péché qui est en fait la véritable mesure que nous devons prendre en compte lorsque nous voulons déterminer une peine. Il revient alors sur la peine commise par le péché, c’est-à-dire sur la nature même du péché. Celui-ci est une offense faite à Dieu. Or, la gravité d’une offense se mesure selon l’importance ou la dignité de la personne offensée. Plus cette dignité est grande, plus l’offense est grave, plus la sanction doit donc être forte. Nous pouvons aussi évaluer l’offense selon l’écart en dignité de l’offenseur et de l’offensé. Par conséquent, comme l’offensé est Dieu et qu’un abîme sans fond sépare l’homme de Dieu, l’offense qui Lui est commise est en quelques sortes infinie, « d’où une peine en somme infini lui est-elle due. »

Or, une peine se mesure en intensité et en temps. Comme l’homme est une créature, donc par nature limitée, une peine qui lui est infligée ne peut pas être infinie en intensité. « D’où il reste qu’une peine de durée infinie est due pour le péché mortel. » En outre, l’intensité de la peine peut varier, même si la durée est identique. Selon la Sainte Écriture, les peines sont bien différentes en enfer selon la gravité de la faute qui a conduit le pécheur dans les ténèbres. Il n’y a donc pas de contradiction entre éternité et différenciation dans les peines.

La crainte de l’enfer

Enfin, l’éternité des peines demeure une peine médicinale pour les hommes qui demeurent encore ici-bas par la crainte qu’elle inspire. Il est alors étrange que celle-ci fasse l’objet de tant de critiques, y compris chez les chrétiens.

Il est évident que le chrétien n’agit pas uniquement en fonction de cette peur comme si elle était une crainte servile. Elle est plutôt une crainte filiale, similaire à celle qui doit régler en partie les rapports entre les parents et leurs enfants. Nous agissons souvent en effet selon cette crainte à l’égard de nos proches. Nous évitons aussi, il faut le dire, de commettre des méfaits de peur d’avoir une amende ou d’aller en prison. Un enfant sait combien cela peut lui coûter de faire une bêtise. Il ne veut point non plus mécontenter ceux qu’il aime. Un amant n’oserait pas commettre non plus une chose qui pourrait déplaire à son aimée bien que cette crainte ne soit pas au centre de ses motivations. La crainte est donc naturelle et bonne en soi. Devons-nous alors nous étonner que nous n’agissions pas de même avec la justice divine quand nous aimons Dieu ? Le chrétien craint donc naturellement les châtiments de l’enfer. Qui pourrait le condamner d’agir ainsi ?

La crainte de la peine éternelle est alors un remède préventif pour ceux qui ne sont pas dans un état de péché. Parfois, elle est la dernière et ultime barrière qui nous empêche de commettre l’acte. La peur du gendarme suffit souvent à nous rendre dociles. Mais elle a aussi une valeur médicinale pour celui qui est dans un état de péché. S’il prend réellement conscience des conséquences de son état et qu’il sait qu’à tout moment, il peut rejoindre le tribunal divin, il ne peut vouloir que le quitter. S’il y persiste, il ne peut alors qu’en vouloir qu’à lui-même. L’éternité de l’enfer peut donc être une peine suffisamment effrayante et persuasive pour nous empêcher de commettre un péché ou nous forcer à quitter notre état de pécheur.

Conclusions

Comme nous l’avons déjà évoqué, la Sainte Écriture est suffisamment claire pour justifier la doctrine chrétienne sur la damnation éternelle. Cependant, nous ne pouvons pas ignorer que cette idée peut répugner de nombreuses âmes tant elle peut paraître peu compatible avec notre propre idée de justice. Saint Thomas d’Aquin nous donne alors des éléments de réponse pour montrer toute la convenance de la doctrine chrétienne et ainsi montrer que du point de la vue de la raison, elle n’est pas injuste en dépit des apparences.

Saint Thomas d’Aquin nous rappelle aussi qu’au-delà du péché commis, c’est bien l’état de péché dans lequel se trouve l’homme au moment de sa mort qui le conduit en enfer et à des peines éternelles. Cet état dans laquelle la volonté de l’homme s’est obstinée jusqu’à sa mort à demeurer nécessite une peine à la mesure de cette obstination dans le refus de Dieu, une obstination qui le faire perdurer hors de la vie divine. En comprenant bien ce qui est réellement condamnée, nous pouvons alors saisir la justice de Dieu. La répugnance à l’égard de la doctrine chrétienne sur la damnation éternelle s’explique alors par l’incompréhension de ce qu’est le péché et l’état de péché, et finalement ce qu’est la vie divine.

Comme dans le symbole de foi du pape Damase, à la fin du Ve siècle, « nous sommes dans l’attente que nous obtiendrons de Notre Seigneur Jésus-Christ, soit la vie éternelle en récompense de notre bon mérite, soit la peine du supplice éternel pour nos péchés. »[7] Selon un autre symbole de même âge, il est « de foi droite que de croire et de confesser que […] ceux qui ont bien agi iront dans la vie éternelle, mais ceux qui auront mal agi, au feu éternel. »[8] Enfin, le pape Benoît XII définit que « selon la disposition générale de Dieu les âmes de ceux qui meurent en état de péché mort descendent aussitôt après leur mort en enfer, où elles sont tourmentés de peines éternelles »[9].



Notes et références

[1] Voir Émeraude, article

[2 Le Compendium Theologiae ou Bref résumé de la foi chrétienne de Saint Thomas d’Aquin est un abrégé de la doctrine chrétienne qu’il a écrit entre 1269 et 1272 à son ami Socius. Il l’a rédigé après avoir achevé ses grands traités. Il a donc une vision complète de la doctrine de l’Église. Cet ouvrage est souvent décrit comme son testament.

[3] Saint Thomas d’Aquin, Bref résumé de la foi chrétienne, Compendium Theologiae, Première partie, 1er traité,  E, chapitre 183, trad. du Père Kreit, Nouvelles éditions latines, 1985.

[4] Réponse à l’objection 1, article 1.

[5] Saint Thomas d’Aquin, Bref résumé de la foi chrétienne, Compendium Theologiae, Première partie, 1er traité,  E, chapitre 184.

[6] Saint Thomas d’Aquin, Bref résumé de la foi chrétienne, Compendium Theologiae, Première partie, 1er traité,  E, chapitre 174.

[7] Damase, Formule de foi appelée Fides Damasi, Denzinger n°72.

[8] Symbole de foi dit Clemens Trinitas, ou encore appelé Fides catholica Sancti Augustini episcopi, Ve ou VIe siècle, Denzinger n°76.

[9] Benoît XII, Constitution Benedictus Deus, 29 janvier 1336, Denzinger 1002.