" La pierre précieuse, voire de grand prix aux yeux de certains, qu'est l'émeraude, se voit insultée par un morceau de verre habilement truqué, s'il ne se rencontre personne qui soit capable de procéder à un examen et de démasquer la faute. Et lorsque de l'airain a été mêlé à l'argent, qui donc, s'il n'est connaisseur, pourra aisément le vérifier ? "(Saint Irénée, Contre les hérésies)


samedi 28 octobre 2023

Les prêtres ou "presbytres" chez les premiers Pères apostoliques (I-IIe siècle)...

         Saint Jean Vianney         
Curé d'Ars

Au temps de la révolution religieuse, Luther et les autres rebelles de l’Eglise contestaient la conception du prêtre, la considérant comme une invention des papes. Depuis le siècle dernier, elle fait encore l’objet de vives remises en question. L’image du prêtre et plus globalement le sacerdoce lui-même sont en effet remises en cause. La moindre affaire ou le moindre scandale qui entache un prêtre devient une attaque systématique contre la prêtrise. Tout ce qui le caractérise, tel le célibataire sacerdotal ou le fait que le sacerdoce n’est réservé qu’aux hommes, fait aussi l’objet de critiques, y compris au sein de l’Eglise. Par ailleurs, après le deuxième concile de Vatican II, sa figure tend à se diluer. Son rôle réduit dans la nouvelle messe au profit de la communauté, son autorité contestée par des laïcs trop entreprenants ou zélés, son manque de visibilité par l’absence de tenue significative et bien d’autres signes tendent à estomper l’idée même du prêtre. Sa place privilégiée dans l’Eglise ne serait finalement qu’une évolution du Moyen-âge ou la conséquence des réformes entreprises au lendemain du concile de Trente. Des voix n’hésitent pas alors à réclamer un changement de son statut vers un état proche de celui du pasteur protestant. Parallèlement à ces remises en question de plus en plus insistantes, ou en raison même de ces remises en question, l’Eglise souffre d’une véritable crise de vocation. Les prêtres sont de moins en moins nombreux, les lieux de messes de plus en plus espacés, …

Cette situation bien réelle pourrait nous déstabiliser et susciter en nous des interrogations sur le rôle et l’importance du prêtre dans l’Eglise. Pour nous éloigner des doutes et répondre aux critiques de ceux qui veulent encore révolutionner l’Eglise pour y appliquer une idéologie ou leurs propres idées, nous allons revenir à ses premiers pas, lorsqu’elle mettait en place son organisation …

Au premier siècle, les bases de l’organisation ecclésiastique…

Revenons en effet au premier siècle de l’Eglise. Après la Pentecôte, envoyés par Notre Seigneur Jésus-Christ pour poursuivre son œuvre, les Apôtres répandent la bonne parole, témoignant de ce qu’ils ont vu et entendu, tout en faisant paitre l’Eglise. Les Actes des Apôtres ainsi que leurs épîtres racontent leur périple dans l’empire romain et le développement des premières communautés chrétiennes et Eglises locales.

À leur tour, les Apôtres établissent des « épiscopes »[1], c’est-à-dire des évêques, pour veiller sur la communauté comme des bergers sur leur troupeau.. « Soyez donc attentifs et à vous et à tout le troupeau sur lequel l’Esprit Saint vous a établis évêques pour gouverner l’Eglise de Dieu, qu’il a acquise par son sang. » (Actes des Apôtres, XX, 28) C’est ainsi que chaque Eglise locale dispose d’un évêque fixe qui se distingue des Apôtres, plutôt itinérants.

L’Eglise se développe rapidement. Le nombre de disciples ne cesse de croître. Les Apôtres éprouvent des difficultés pour remplir leurs missions tout en veillant aux modalités pratiques de son organisation. Pour qu’ils se consacrent davantage au service de Dieu, les Apôtres instituent des diacres, dont le terme signifie « serviteur ». « Les douze donc convoquent la multitude des disciples disant : Il n’est pas juste que nous abandonnions la parole de Dieu et que nous vaquions à mettre au service des tables. Cherchez donc parmi vous, mes frères, sept hommes de bon témoignage, pleins de l’Esprit-Saint et de sagesse, que nous puissions préposer à cette œuvre. Pour nous, nous nous appliquerons à la prière et au ministère de la parole. » (Actes des Apôtres, VII, 1-4) Notons que la Sainte Ecriture souligne aussi le ministère spécifique des Apôtres. Puis les sept premiers diacres ayant été choisis, ils sont présentés aux Apôtres qui, « priant, leur imposèrent les mains. » (Actes des Apôtres, VII, 6)

Enfin, nous voyons apparaître des « presbytres », qui désigne les anciens comme nous l’avons déjà évoqué dans un précédent article. Saint Paul en établit dans les églises qu’il fonde. À Tite et à Timothée, il demande aussi d’en nommer. Lors d’un discours à Milet, où ils ont été convoqués, il leur rappelle qu’ils ont été établis dans le Saint Esprit. Ainsi, au premier siècle, l’organisation ecclésiastique comprend des épiscopes, des presbytériens et des diacres, tous établis dans le Saint Esprit.

… une organisation qui se développe

Né à Rome, Saint Clément est considéré comme le second ou le troisième pape (88-97). La lettre qu’il adresse aux Corinthiens depuis Rome est le plus ancien des écrits non canoniques du christianisme.

Dans son épître, le pape Saint Clément nous rappelle que les Apôtres ont établi des évêques afin qu’ils leur succèdent et que leurs missions ne s’achèvent qu’à leur mort. « Nos Apôtres aussi ont su qu’il y aurait des contestations au sujet de la dignité de l’épiscopat ; c’est pourquoi, sachant très bien ce qui allait advenir, ils instituèrent les ministres que nous avons dit et posèrent ensuite la règle qu’à leur mort, d’autres hommes éprouvés succédèrent à leurs fonctions. »[3] Ils sont désignés par les Apôtres ou par « d’autres personnages éminents »[4]. Nous apprenons aussi que les évêques remplissent des fonctions liturgiques.

Saint Clément mentionne aussi à plusieurs reprises le terme de « presbytériens » qui désigne les anciens, les responsables de communauté ou les chefs religieux. Parfois, il correspond à celui d’évêques. Il demande à l’Eglise de Corinthe de se soumettre à eux et de demeurer en paix « avec les presbytres constitués »[5]. Dans cette mention, le terme de « presbytre » n’est pas synonyme d’ « évêque ».

De même, un ouvrage qui remonterait à la fin du premier siècle ou au début du deuxième, la Didaché [6], mentionne l’élection des presbytres[7]. Cependant, le terme semble désigner aussi bien l’évêque que le prêtre.

… une organisation qui se précise

Né vers l’an 35 et probablement d’origine syrienne, Saint Ignace témoigne d’une organisation plus précise de l’Eglise. Il succède à Saint Pierre comme évêque d’Antioche selon l’histoire ecclésiastique d’Eusèbe. Il meurt martyr à Rome sous Trajan en 107 ou 113. Lors de son voyage de captivité qui le conduit à la ville éternelle depuis la Syrie, il s’arrête à Philadelphie, à Smyrne et à Troas. Durant ces escales, il écrit sept lettres aux communautés d’Ephèse, de Magnésie, de Tralles, de Philadelphie et de Smyrne et de Rome. Sa dernière lettre qu’il adresse à Polycarpe porte ses derniers mots …

Dans ses épîtres, le vocabulaire est plus précis et ferme. Dans sa lettre aux Ephésiens, Saint Ignace présente l’institution épiscopale comme une institution bien ancrée dans l’Eglise. À la tête de chaque Eglise locale, se trouve à sa tête un évêque qui, nous écrit-il, sont « établis jusqu’aux extrémités de la terre »[8]. Et, « là où paraît l’évêque, que là soit la communauté, de même que là où est le Christ Jésus, là est l’Eglise catholique. »[9] Rien ne peut se faire dans l’Eglise en dehors de l’évêque. Seule l’Eucharistie consacrée sous sa présidence ou de celui qu’il en aura chargé est légitime…

Auprès de l’évêque, se trouvent comme des presbytres qui forment un collège, appelé le presbyterium, c’est « accordé à l’évêque comme les cordes à la cithares »[10] pour le conseiller et l’assister. Les presbytres doivent agir en parfait accord avec lui, même s’ils peuvent être plus anciens[11]. L’évêque peut leur confier la mission de célébrer le culte et l’Eucharistie en son absence. Se trouvent aussi les diacres sans néanmoins former un collège. Ils aident l’évêque dans le service de la communauté et l’assistent dans la célébration de l’Eucharistie, le secondant dans le ministère de la prédication .Ainsi, dans chaque Eglise locale, il ne peut y avoir qu’« un seul évêque avec les presbytériens et les diacres »[12] comme il n’y a qu’une seule eucharistie, un seul autel.

Chaque Eglise locale est donc constituée d’une hiérarchie qui représente localement celle de l’Eglise. « Suivez tous l’évêque, comme Jésus-Christ suit son Père, et le presbyterium comme les Apôtres, quant aux diacres, respectez-les comme la loi de Dieu. » Notons que, dans l’ensemble de ses écrits, quand Saint Ignace traite de la hiérarchie ecclésiastique, il cite toujours les diacres en dernier.

Une organisation hiérarchique et unie autour de l’évêque …

Saint Ignace pressent les périls que les hérésies font courir l’Eglise, surtout en Asie Mineure. Ainsi, pour se protéger et se défense, il adjure de se serrer autour de l’évêque, du presbyterium et des diacres. L’évêque est le centre doctrinal, disciplinaire et liturgique de l’Eglise locale.

Toutes les lettres de Saint Ignace exhortent en effet à l’unité au sein de la communauté autour de l’évêque et de la hiérarchie ecclésiastique. « Attachez-vous à l’évêque, pour que Dieu s’attache aussi à vous. J’offre ma vie pour ceux qui se soumettent à l’évêque, aux prêtres, aux diacres »[13]. Ou encore, écrit-il dans une autre lettre, « je vous en conjure, ayez à cœur de faire toutes choses dans la concorde, sous la présidence de l’évêque qui tient la place de Dieu, des presbytres qui tiennent la place des saints Apôtres, et des diacres qui me sont si chers, à qui a été confié le service de Jésus-Christ »[14].

Retrouvons un autre évêque de l’Asie Mineure et ami de Saint Ignace, Saint Polycarpe. Né vers 69-70, il est un disciple de Saint Jean et devient évêque de Smyrne. Vers la fin de 154, il part pour Rome comme représentant des chrétiens de l’Asie Mineure pour traiter avec le pape Anicet de quelques questions. Il meurt martyr à l’âge de 86 ans, en l’an 155. De Saint Polycarpe, il nous reste une lettre et son martyr.

Dans sa lettre aux Philippiens, Saint Polycarpe suppose aussi la hiérarchie à trois degrés. Il se présente avec ses presbytres et traite des qualités qu’il exige des presbytres et des diacres. Il demande aux jeunes gens de se soumettre « aux presbytres et aux diacres comme à Dieu et au Christ. »[15]

Ainsi, au début du IIe siècle, l’institution ecclésiastique locale selon la hiérarchie évêque, prêtres et diacres est déjà mise en place et reconnue au point que « celui qui agit en-dehors de l’évêque, du presbyterium et des diacres » sont considérés « en dehors du sanctuaire » et « pas pur de conscience »[16]. L’Eglise locale ne peut être conçue comme séparée de cette hiérarchie. « Sans eux, on ne peut parler d’Eglise. »[17]

Une organisation définitivement fixée au IVe siècle

Pourtant, il ne semble pas que les termes soient définitivement fixés dans toute l’Eglise. Ainsi, Saint Irénée (v.140-v.200), évêque de Lyon, désigne son maître, l’évêque Saint Polycarpe, du nom de presbytre, ainsi que d’autres évêques romains.

Mais au IVe siècle, le terme de « presbytre » ne désigne désormais que le prêtre. Ainsi, au concile régional d’Elvire (300-303), où se réunissent vingt évêques de la province hispanique, le triptyque hiérarchique que constituent distinctement l’évêque, le presbytre et le diacre est établis.

Les persécutions achevées et vivant enfin de la liberté, l’Eglise se réunit en 324 dans un premier concile œcuménique, le concile de Nicée. Elle affermit alors ce qu’elle a construit dans la clandestinité et officialise, pour toute l’Eglise, la structure locale basée sur la hiérarchie que constitue l’évêque, les prêtres et les diacres qui sont attachés à un territoire, le diocèse, pour lequel ils sont ordonnés, combattant ainsi contre les abus provenant de leur instabilité. D’autres canons défendent l’autorité de l’évêque et des prêtres, et exigent de leur part dignité et pureté de vie.

Conclusions

Saint Jean Bosco

Saint Ignace d’Antioche nous décrit l’organisation hiérarchique de l’Eglise locale en Asie Mineure au point qu’elle semble être héritée des Apôtres eux-mêmes bien que le terme de « presbytre » ne semble pas non plus être définitivement fixé dans toute l’Eglise, désignant parfois l’évêque. Il est important de se souvenir de l’origine apostolique de l’institution du prêtre quand de nos jours, elle est souvent remise en cause. Ainsi, ceux qui s’attaquent au prêtre ou lui enlèvent tout rôle ou visibilité au point de le rendre insignifiant remettent en question cette institution apostolique et finalement l’Eglise comme institution hiérarchique.

En outre, comme le souligne encore Saint Ignace, les fidèles comme les diacres doivent se soumettre aux prêtres comme ces derniers doivent obéir à leur évêque. Le rôle des prêtres dans la prédication, la discipline, la liturgie, …, n’est donc pas anodin, et cela depuis leur origine. Ce n’est pas un hasard si des Pères de l’Eglise ou des conciles, dont celui de Trente, ont exigé de leur part de nombreuses qualités et ont œuvré pour les rendre plus efficaces et dignes de leur ministère. Leur négligence, leur discrédit ou leur désobéissance sont souvent une des causes des crises que l’Eglise a connues dans son histoire et qu’elle connaît de nos jours.

Pour éviter les divisions que suscite notamment l’hérésie, Saint Ignace nous rappelle aussi de l’importance de l’unité de l’Eglise locale autour de l’évêque comme l’unité de l’Eglise toute entière autour du pape. Or, en s’attaquant aux prêtres, nombreux sont ceux qui veulent remettre en cause cette hiérarchie et l’idée même de hiérarchie dans l’Eglise. Luther, qui la refusait avec acharnement, n’y voyait qu’invention des papes, ignorant finalement son origine apostolique. Leurs attaques ébranlent finalement l’unité de l’Eglise.

 


Notes et  références

[1] Le terme d’« épiscope » signifie « surveillant ».

[3] Saint Clément, Epître aux Corinthiens, XLIV, 1, dans les Ecrits des Pères apostoliques, Les éditions du Cerf, 1963. Les citations des Pères proviennent de cet ouvrage. Les Pères apostoliques désignent les Pères de l'Église qui ont connu les Apôtres ou leurs successeurs immédiats. Saint Clément, Saint Ignace et Saint Polycarpe sont de la deuxième génération.  

[4] Saint Clément, Epître aux Corinthiens, XLIV, 3.

[5] Saint Clément, Epître aux Corinthiens, XLIV, 3.

[6] Si cette œuvre est bien connue des Pères de l’Eglise, le texte n’a été retrouvé qu’en 1875 et publié pour la première fois en 1883. Il nous renseigne sur la vie chrétienne, sur la liturgie du baptême et de l’Eucharistie, sur l’enseignement catéchétique que recevaient les chrétiens du premier siècle mais aussi sur l’organisation de l’Eglise.

[7] Dans certaines versions de la Didaché, au lieu de « presbytre », est mentionné le terme d’« épiscope ».

[8] Saint Ignace, Lettre aux Ephésiens, III, 2.

[9] Saint Ignace, Lettre aux Smyrniotes, VIII, 2.

[10] Saint Ignace, Lettre aux Ephésiens, III, 3.

[11] Voir Lettre aux Magnésiens, Saint Ignace, III, 1-2.

[12] Saint Ignace, Lettre à Philadelphie, IV, 1.

[13] Saint Ignace, Lettre à Polycarpe, VI, 1.

[14] Saint Ignace, Lettre aux Magnésiens, VI, 1.

[15] Saint Polycarpe, Lettre aux Philippiens, V, 5 .

[16] Saint Ignace, Lettre aux Tralliens, VII, 1.

[17] Saint Ignace, Lettre aux Tralliens, III, 1.

dimanche 15 octobre 2023

Le prêtre et le pasteur, des conceptions différentes du sacerdoce, une profonde divergence entre catholiques et protestants

Selon les protestants[1], la messe est « pure invention » ou encore « un sacrilège extrême »[2]. Si le mystère de l’Eucharistie les divise, ils sont néanmoins unanimes pour condamner et rejeter ce qui demeure le cœur du catholicisme. Leur attitude illustre l’abime qui les sépare de l’Église et révèle davantage la raison de leur séparation. Rien ne semble leur faire changer d’avis. Les preuves en faveur de l’antiquité de la messe ne leur suffisent pas pour remettre en cause leurs arguments. Les modifications qui ont profondément fait évoluer le culte catholique depuis plus de cinquante ans n’ont pas non plus réduit ou effacé leur division en dépit de l’optimisme qui a suivi le deuxième concile de Vatican. La situation s’est même empirée puisqu’elles ont conduit à une crise multiforme au sein même de l’Église.

La remise en question de la messe s’appuie sur une autre, celle du sacerdoce telle qu’elle est comprise et enseignée par l’Église. Les différences fondamentales entre la messe et la Cène, ou encore entre les conceptions catholiques et protestantes de la liturgie ne peuvent en effet se comprendre si nous n’évoquons pas les profondes divergences qui les séparent encore des catholiques en matière de sacerdoce.

Le prêtre dans l’Église

Le terme de sacerdoce est dérivé de « sacerdos », qui signifie « prêtre », lui-même de « sacer » (« sacré ») et de « dare » (« donner »). Le prêtre est celui qui a reçu le sacrement de l’ordre de la prêtrise. Le terme de « prêtre » vient du grec « presbuteros », comparatif de « presbus » (« âgé »). À l’origine, le prêtre était choisi parmi les anciens de la communauté. Sa dignité et son ministère portent le nom de « sacerdoce ».

L’ordination est un sacrement, institué par Notre Seigneur Jésus-Christ, qui confère à celui qui le reçoit un pouvoir spirituel établi par Notre Seigneur Jésus-Christ dans l’Église ainsi que les grâces nécessaires pour l’exercer. Elle le place d’une manière permanente dans l’état de cléricature. Un prêtre le reste toute sa vie.

Un clerc est celui qui est consacré aux ministères divins. Dans l’Église latine, il existe différents degrés d’ordres, répartis en deux niveaux, mineurs (portier, lecteur, exorciste, acolyte) et majeurs (sous-diacre, diacre, prêtre). La notion de cléricature et donc celle de l’ordination impliquent donc d’une part une hiérarchisation dans l’Église entre les différents clercs et d’autre part une distinction entre l’état de cléricature et celui du laïcat.

Missions du prêtre

Par l’ordination, le prêtre est le médiateur entre Dieu et les hommes. Il est celui qui prie et intercède publiquement devant Dieu. Il assume une triple mission : d’une part, rendre à Dieu ce qui lui est dû au nom de la communauté qu’il représente, d’autre part, communiquer aux hommes, par la voie des sacrements, les grâces que Dieu communique aux hommes, et enfin leur enseigner la doctrine, ce qui doivent croire et pratiquer. C’est par ses mains qu’il offre le saint sacrifice de la messe au nom du peuple et qu’il lui donne les choses sacrées. S’il a le pouvoir d’administrer tous les sacrements, à l’exception de la confirmation et de l’ordre qui sont réservés à l’évêque, sa principale fonction demeure en effet celle de consacrer et d’offrir le Corps et le Sang de Notre Seigneur Jésus-Christ à la sainte messe. Sans prêtre, il ne peut y avoir de messe…

Le pasteur dans le protestantisme

Dans le protestantisme, le pasteur est avant tout une fonction que tout chrétien est capable d’assurer pour le service du culte, l’enseignement, la direction et le conseil de la communauté, de sa prise de fonction jusqu’à son départ. Son rôle principal demeure la prédication. Le terme de « pasteur » désigne donc une fonction et non un état. Notons que cette fonction diffère selon les religions protestantes.

L’ordination d’un pasteur consiste à accorder l’autorisation d’enseigner que lui confère la communauté. Elle est finalement une investiture rituelle dans l’office de la prédication sans voir aucune collation d’un pouvoir sacré.

Les arguments protestants contre le sacerdoce

Les protestants refusent d’abord toute distinction entre clerc et laïc. Ils défendent donc l’idée selon laquelle tous les chrétiens peuvent assurer les fonctions des clercs en raison de leur baptême. « On a inventé que le pape, les évêques, les gens du monastère serait appelés états ecclésiastique, et que les princes, les seigneurs, les artisans et les paysans seraient appelés « laïc », ce qui est, certes, une fine subtilité et une belle hypocrisie. Personne ne doit se laisse intimider par cette distinction pour cette bonne raison que tous les chrétiens appartiennent vraiment à l’état ecclésiastique ; il n’existe aucune différence, si ce n’est celle de la fonction… »[3] Pour Luther, c’est par le baptême que tout chrétien est finalement prêtre au sens où il peut accomplir tous les actes cultuels et remplir toutes les fonctions ecclésiastiques.

Les protestants refusent toute séparation au sein des laïcs. Or, selon la conception de l’Église, par son ordination, le prêtre n’est plus comme tout le monde et se distingue de tous les croyants en se revêtant d’un caractère sacré d’une manière permanente.

Selon les protestants, la fonction du prêtre porte aussi atteinte à la médiation de Notre Seigneur Jésus-Christ. Selon Luther, le catholique n’accède à Dieu que par la médiation obligatoire du prêtre, ce qui s’oppose aussi à la souveraineté divine et à la liberté humaine. Les protestants enseignent qu’il ne peut y avoir d’intermédiaire entre Dieu et les hommes.

Les protestants refusent enfin toute idée sacrificielle de la messe et par conséquent la fonction même du prêtre.

Le « sacerdoce commun des fidèles » et le « sacerdoce ministériel » …

Nous pourrions croire que depuis le deuxième concile de Vatican, l’Église s’est rapprochée de la conception protestante du sacerdoce en développant l’idée d’un « sacerdoce commun des fidèles ».

Le deuxième concile de Vatican distingue en effet le « sacerdoce commun des fidèles » et « le sacerdoce ministériel ou hiérarchique » en précisant leur domaine d’action. Ils « participent, chacun selon son mode propre, de l’unique sacerdoce du Christ. »[4]

Concernant le « sacerdoce commun des fidèles », les fidèles « l’exercent par la réception des sacrements, la prière et l’action de grâces, le témoignage d’une vie sainte, et par leur renoncement et leur charité effective » en raison de leur baptême.

Concernant « le sacerdoce ministériel ou hiérarchique », « celui qui l’a reçu forme et dirige, en vertu du pouvoir sacré dont il jouit, le peuple sacerdotal, célèbre le sacrifice eucharistique en la personne du Christ et l’offre à Dieu au nom de tout le peuple ».

Le « sacerdoce commun des fidèles » ne constitue pas un contrepoids au sacerdoce ministériel ni se réduit aux activités que peuvent faire les chrétiens dans l’Église. Selon toujours le deuxième concile du Vatican, « par la régénération et l’onction de l’Esprit Saint, les baptisés sont en effet consacrés pour être une demeure spirituelle et un sacerdoce saint, en vue d’offrir, par toutes les activités de l’homme chrétien, des sacrifices spirituels et d’annoncer les actes de puissance de celui qui les a appelés des ténèbres à son admirable lumière. C’est pourquoi, tous les disciples du Christ, persévérant dans la prière louent ensemble Dieu, doivent s’offrir en hostie vivante, sainte et agréable à Dieu, porter témoignage du Christ sur toute l’étendue de la terre, et rendre compte, à ceux qui le demandent, de l’espérance qui est en eux de la vie éternelle. »[5] Ou dit autrement, les fidèles exercent leur sacerdoce commun par le témoignage d’une vie sainte, l’abnégation et de la charité.

… Qui sont différents en essence

Les fidèles ne jouissent pas d’un droit sacerdotal comme celui du prêtre. Le « sacerdoce commun des fidèles » diffère en essence du sacerdoce proprement dit, comme le répète le deuxième concile du Vatican, reprenant ainsi le discours du pape Pie XII. « L’office propre et principal du prêtre fut toujours et demeure d’offrir le Sacrifice, si bien que là où il n’y a aucun pouvoir de sacrifier proprement dit il n’y a pas non plus de véritable sacerdoce. »[6] Pie XII précise clairement la différence fondamentale entre les deux sacerdoces.

Finalement, le « sacerdoce ministériel » constitue un « sacerdoce proprement dit », par lequel le prêtre jouit d’un véritable pouvoir sacré, quand le « sacerdoce commun des fidèles », qui est plutôt un « sacerdoce mystique » ou spirituel, exprime la dignité et la fonction du chrétien qui découlent des grâces divines. « S’ils sont consacrés sacerdoce royal et nation sainte, c’est pour faire de toutes leurs actions des offrandes spirituelles, et pour rendre témoignage au Christ sur toute la terre. »[7]

Le « sacerdoce universel », différents points de vue pour les protestants

L’expression de « sacerdoce universel » qu’utilisent parfois les protestants est-elle si différente de celle de « sacerdoce commun des fidèles » ? Elle reprend l’idée selon laquelle, par leur baptême, tous les chrétiens jouissent d’un sacerdoce. Cependant, elle présente plusieurs interprétations au sein des courants protestants comme nous l’apprend un spécialiste lui-même protestant[8].

Selon une première interprétation, le « sacerdoce universel » signifie qu’il n’y a finalement plus de sacerdoce puisque ce dernier implique une distinction entre les fidèles et les prêtres. Tous les chrétiens sont donc égaux, même si certains exercent des fonctions particulières. Le protestantisme est donc une « religion laïque ». Selon cette conception du sacerdoce, qui n’en est pas une finalement, chacun n’est prêtre que pour lui-même. Cette interprétation peut surprendre puisque, par le sens même du terme, le sacerdoce est intimement lié au sacré qui signifie lui-même « séparé » et implique une distinction avec le profane. Selon cette première interprétation, le « sacerdoce universel » n’a finalement guère de sens.

Selon un deuxième point de vue, le « sacerdoce universel » signifie que tous les laïcs sont prêtres, étendant ainsi le sacerdoce à tous les chrétiens. Il en devient un caractère qui les distingue des non-chrétiens. Chacun est alors prêtre pour lui et pour tous les autres, exerçant toutes les fonctions liées au culte. C’est plutôt la conception de Luther. Cependant, il précise que si tous les chrétiens sont prêtres, tous ne peuvent pas être chargés des services cultuels et de l’enseignement. Selon la confession helvétique postérieur de 1566, « la prêtrise […] est commune à tous les chrétiens, mais non pas les ministères. » C’est ainsi que les protestants diffèrent les chrétiens par leurs connaissances et leur formation ainsi que par leur habilité et leur disponibilité, ce qui implique dans les faits une inégalité permanente parmi les laïcs, certes non fondées sur un état conféré par l’ordination et donc par des pouvoirs sacrés mais sur une compétence formalisée par un diplôme selon un processus défini, c’est-à-dire par l’homme. C’est donc l’homme finalement qui « sacralise » des chrétiens pour répondre à un besoin essentiel.

Enfin, selon une interprétation minoritaire, le « sacerdoce universel » a pour conséquence l’illégitimité de tout ministère et donc la suppression de fonctions ecclésiastiques.

Quelle que soit son interprétation, l’idée du « sacerdoce universel » diffère donc radicalement de celle du « sacerdoce commun des fidèles » et s’est construite contre l’idée d’un « sacerdoce ministériel ».

Une vérité historique

Si la Sainte Ecriture évoque le sacerdoce commun des fidèles, elle le distingue nettement du sacerdoce ministériel. Nous pouvons constater que dès le commencement, les Apôtres ont exercé leurs pouvoirs sacerdotaux et ont employé un rite pour les transmettre comme le témoignent les Actes des Apôtres et les épîtres de Saint Paul. Sans ce rite, les chrétiens ne peuvent exercer un pouvoir sacerdotal.

Les sept diacres, « on les présenta aux Apôtres et ceux-ci, après avoir prié, leur imposèrent les mains. » (Actes des Apôtres, VI, 6) Les Apôtres ont agréé le choix de la communauté qui a élu les diacres et leur confie le ministère par un rite, constitué de prières et de l’imposition des mains. C’est le premier rite sacramentel d’ordination dont nous parle la Sainte Ecriture.

De même, Saint Paul et Saint Barnabé sont ordonnés par la prière et l’ordination des mains (cf. Actes des Apôtres, XIII, 3). Le but du rite est de transmettre les pouvoirs et les dons dont ils auront besoin pour le service des missions.

Saint Paul écrit à Saint Timothée : « je t’exhorte à ranimer en toi la grâce de Dieu qui est en toi par l’imposition de me mains. » (II, Timothée, I, 6) Il rappelle en effet à son disciple, qui est un peu découragé, de se souvenir de son ordination. Et en vertu de ses pouvoirs, Saint Timothée consacre des « presbytres », c’est-à-dire des prêtres, de son entourage. L’ordination n’est pas réduite à une investiture mais elle est conçue clairement une transmission de pouvoirs effectifs, une communication de la grâce

Finalement, comme l’écrit lui-même le protestant Belun, « les premières traces sérieuses d’une imposition des mains ordinatoire se trouvent aux premières pages de l’histoire de l’Église chrétienne ». Les passages bibliques nous montrent donc l’antiquité de la conception de la transmission des pouvoirs sacerdotaux par un rite particulier. S’il y a invention comme le prétend Luther, celle-ci daterait alors de l’origine même de l’Église !

Conclusions

Le sacerdoce à proprement dit, tel qu’il est enseigné par l’Église, est un des points de divergences profondes qui séparent les différents mouvements protestants de l’Église. S’il est possible de parler de « sacerdoce commun des fidèles » pour désigner et souligner la dignité du chrétien et ses missions au sein de la société, il n’est pas comparable au « sacerdoce ministériel ». Il ne correspond pas non plus à la conception protestante de « sacerdoce universel », elle-même sujette à plusieurs interprétations instructives.

La conception du sacerdoce comme le rejet du sacerdoce ministériel par les protestants s’appuient sur un refus essentiel : la distinction catholique entre les prêtres et les laïcs. S’ils ont été amenés à distinguer des fidèles par leurs fonctions au sein de leur communauté et donc par leurs compétences, les protestants refusent l’idée même de la prêtrise, d’une transmission d’un pouvoir sacerdotal, d’un caractère définitif pour celui qui le reçoit.

Pourtant, comme le témoigne la Sainte Ecriture, les Apôtres et leurs premiers disciples ont été parfaitement conscients de transmettre un pouvoir sacré à des chrétiens par un rite particulier. Depuis les premières heures de son existence, l’Église distingue parmi ses membres ceux qui devaient exercer des ministères, dont celui d’offrir le sacrifice eucharistique et de remettre les péchés. Par l’imposition des mains, Saint Paul a conféré à Timothée un charisme. La distinction que rejettent les protestants est ainsi constitutive de l’Église.

 

 


Notes et références

[1] Voir Emeraude chrétienne, mars 2023, article « La Sainte Messe ou la Cène, catholique ou protestante, une foi différente, des célébrations différentes ».

[2] Jean Calvin, Institution de la religion chrétienne, livre IV, p. 487

[3] Luther, Lettre à la noblesse chrétienne, dans Le sacerdoce universel, André Gounelle, dans site andregounelle.fr, lu le 1er octobre.

[4] Deuxième concile du Vatican, constitution dogmatique sur l’Église Lumen Gentium, chapitre II, n°10, 5ème session publique, 21 novembre 1964, Denzinger n°4126.

[5] Deuxième concile du Vatican, constitution dogmatique sur l’Église Lumen Gentium, chapitre II, n°10, Denzinger n°4125.

[6] Pie XII, discours Magnificate Dominum mecum, au sacré collège et à l’épiscopat, sur le sacerdoce et le gouvernement pastoral, 2 novembre 1954.

[7] Paul VI, Décret sur l’apostolat des laïcs Apostolicam Actuositatem, 18 novembre 1965.

[8] Voir André Gounelle, Le sacerdoce universel.