" La pierre précieuse, voire de grand prix aux yeux de certains, qu'est l'émeraude, se voit insultée par un morceau de verre habilement truqué, s'il ne se rencontre personne qui soit capable de procéder à un examen et de démasquer la faute. Et lorsque de l'airain a été mêlé à l'argent, qui donc, s'il n'est connaisseur, pourra aisément le vérifier ? "(Saint Irénée, Contre les hérésies)


samedi 28 octobre 2023

Les prêtres ou "presbytres" chez les premiers Pères apostoliques (I-IIe siècle)...

         Saint Jean Vianney         
Curé d'Ars

Au temps de la révolution religieuse, Luther et les autres rebelles de l’Eglise contestaient la conception du prêtre, la considérant comme une invention des papes. Depuis le siècle dernier, elle fait encore l’objet de vives remises en question. L’image du prêtre et plus globalement le sacerdoce lui-même sont en effet remises en cause. La moindre affaire ou le moindre scandale qui entache un prêtre devient une attaque systématique contre la prêtrise. Tout ce qui le caractérise, tel le célibataire sacerdotal ou le fait que le sacerdoce n’est réservé qu’aux hommes, fait aussi l’objet de critiques, y compris au sein de l’Eglise. Par ailleurs, après le deuxième concile de Vatican II, sa figure tend à se diluer. Son rôle réduit dans la nouvelle messe au profit de la communauté, son autorité contestée par des laïcs trop entreprenants ou zélés, son manque de visibilité par l’absence de tenue significative et bien d’autres signes tendent à estomper l’idée même du prêtre. Sa place privilégiée dans l’Eglise ne serait finalement qu’une évolution du Moyen-âge ou la conséquence des réformes entreprises au lendemain du concile de Trente. Des voix n’hésitent pas alors à réclamer un changement de son statut vers un état proche de celui du pasteur protestant. Parallèlement à ces remises en question de plus en plus insistantes, ou en raison même de ces remises en question, l’Eglise souffre d’une véritable crise de vocation. Les prêtres sont de moins en moins nombreux, les lieux de messes de plus en plus espacés, …

Cette situation bien réelle pourrait nous déstabiliser et susciter en nous des interrogations sur le rôle et l’importance du prêtre dans l’Eglise. Pour nous éloigner des doutes et répondre aux critiques de ceux qui veulent encore révolutionner l’Eglise pour y appliquer une idéologie ou leurs propres idées, nous allons revenir à ses premiers pas, lorsqu’elle mettait en place son organisation …

Au premier siècle, les bases de l’organisation ecclésiastique…

Revenons en effet au premier siècle de l’Eglise. Après la Pentecôte, envoyés par Notre Seigneur Jésus-Christ pour poursuivre son œuvre, les Apôtres répandent la bonne parole, témoignant de ce qu’ils ont vu et entendu, tout en faisant paitre l’Eglise. Les Actes des Apôtres ainsi que leurs épîtres racontent leur périple dans l’empire romain et le développement des premières communautés chrétiennes et Eglises locales.

À leur tour, les Apôtres établissent des « épiscopes »[1], c’est-à-dire des évêques, pour veiller sur la communauté comme des bergers sur leur troupeau.. « Soyez donc attentifs et à vous et à tout le troupeau sur lequel l’Esprit Saint vous a établis évêques pour gouverner l’Eglise de Dieu, qu’il a acquise par son sang. » (Actes des Apôtres, XX, 28) C’est ainsi que chaque Eglise locale dispose d’un évêque fixe qui se distingue des Apôtres, plutôt itinérants.

L’Eglise se développe rapidement. Le nombre de disciples ne cesse de croître. Les Apôtres éprouvent des difficultés pour remplir leurs missions tout en veillant aux modalités pratiques de son organisation. Pour qu’ils se consacrent davantage au service de Dieu, les Apôtres instituent des diacres, dont le terme signifie « serviteur ». « Les douze donc convoquent la multitude des disciples disant : Il n’est pas juste que nous abandonnions la parole de Dieu et que nous vaquions à mettre au service des tables. Cherchez donc parmi vous, mes frères, sept hommes de bon témoignage, pleins de l’Esprit-Saint et de sagesse, que nous puissions préposer à cette œuvre. Pour nous, nous nous appliquerons à la prière et au ministère de la parole. » (Actes des Apôtres, VII, 1-4) Notons que la Sainte Ecriture souligne aussi le ministère spécifique des Apôtres. Puis les sept premiers diacres ayant été choisis, ils sont présentés aux Apôtres qui, « priant, leur imposèrent les mains. » (Actes des Apôtres, VII, 6)

Enfin, nous voyons apparaître des « presbytres », qui désigne les anciens comme nous l’avons déjà évoqué dans un précédent article. Saint Paul en établit dans les églises qu’il fonde. À Tite et à Timothée, il demande aussi d’en nommer. Lors d’un discours à Milet, où ils ont été convoqués, il leur rappelle qu’ils ont été établis dans le Saint Esprit. Ainsi, au premier siècle, l’organisation ecclésiastique comprend des épiscopes, des presbytériens et des diacres, tous établis dans le Saint Esprit.

… une organisation qui se développe

Né à Rome, Saint Clément est considéré comme le second ou le troisième pape (88-97). La lettre qu’il adresse aux Corinthiens depuis Rome est le plus ancien des écrits non canoniques du christianisme.

Dans son épître, le pape Saint Clément nous rappelle que les Apôtres ont établi des évêques afin qu’ils leur succèdent et que leurs missions ne s’achèvent qu’à leur mort. « Nos Apôtres aussi ont su qu’il y aurait des contestations au sujet de la dignité de l’épiscopat ; c’est pourquoi, sachant très bien ce qui allait advenir, ils instituèrent les ministres que nous avons dit et posèrent ensuite la règle qu’à leur mort, d’autres hommes éprouvés succédèrent à leurs fonctions. »[3] Ils sont désignés par les Apôtres ou par « d’autres personnages éminents »[4]. Nous apprenons aussi que les évêques remplissent des fonctions liturgiques.

Saint Clément mentionne aussi à plusieurs reprises le terme de « presbytériens » qui désigne les anciens, les responsables de communauté ou les chefs religieux. Parfois, il correspond à celui d’évêques. Il demande à l’Eglise de Corinthe de se soumettre à eux et de demeurer en paix « avec les presbytres constitués »[5]. Dans cette mention, le terme de « presbytre » n’est pas synonyme d’ « évêque ».

De même, un ouvrage qui remonterait à la fin du premier siècle ou au début du deuxième, la Didaché [6], mentionne l’élection des presbytres[7]. Cependant, le terme semble désigner aussi bien l’évêque que le prêtre.

… une organisation qui se précise

Né vers l’an 35 et probablement d’origine syrienne, Saint Ignace témoigne d’une organisation plus précise de l’Eglise. Il succède à Saint Pierre comme évêque d’Antioche selon l’histoire ecclésiastique d’Eusèbe. Il meurt martyr à Rome sous Trajan en 107 ou 113. Lors de son voyage de captivité qui le conduit à la ville éternelle depuis la Syrie, il s’arrête à Philadelphie, à Smyrne et à Troas. Durant ces escales, il écrit sept lettres aux communautés d’Ephèse, de Magnésie, de Tralles, de Philadelphie et de Smyrne et de Rome. Sa dernière lettre qu’il adresse à Polycarpe porte ses derniers mots …

Dans ses épîtres, le vocabulaire est plus précis et ferme. Dans sa lettre aux Ephésiens, Saint Ignace présente l’institution épiscopale comme une institution bien ancrée dans l’Eglise. À la tête de chaque Eglise locale, se trouve à sa tête un évêque qui, nous écrit-il, sont « établis jusqu’aux extrémités de la terre »[8]. Et, « là où paraît l’évêque, que là soit la communauté, de même que là où est le Christ Jésus, là est l’Eglise catholique. »[9] Rien ne peut se faire dans l’Eglise en dehors de l’évêque. Seule l’Eucharistie consacrée sous sa présidence ou de celui qu’il en aura chargé est légitime…

Auprès de l’évêque, se trouvent comme des presbytres qui forment un collège, appelé le presbyterium, c’est « accordé à l’évêque comme les cordes à la cithares »[10] pour le conseiller et l’assister. Les presbytres doivent agir en parfait accord avec lui, même s’ils peuvent être plus anciens[11]. L’évêque peut leur confier la mission de célébrer le culte et l’Eucharistie en son absence. Se trouvent aussi les diacres sans néanmoins former un collège. Ils aident l’évêque dans le service de la communauté et l’assistent dans la célébration de l’Eucharistie, le secondant dans le ministère de la prédication .Ainsi, dans chaque Eglise locale, il ne peut y avoir qu’« un seul évêque avec les presbytériens et les diacres »[12] comme il n’y a qu’une seule eucharistie, un seul autel.

Chaque Eglise locale est donc constituée d’une hiérarchie qui représente localement celle de l’Eglise. « Suivez tous l’évêque, comme Jésus-Christ suit son Père, et le presbyterium comme les Apôtres, quant aux diacres, respectez-les comme la loi de Dieu. » Notons que, dans l’ensemble de ses écrits, quand Saint Ignace traite de la hiérarchie ecclésiastique, il cite toujours les diacres en dernier.

Une organisation hiérarchique et unie autour de l’évêque …

Saint Ignace pressent les périls que les hérésies font courir l’Eglise, surtout en Asie Mineure. Ainsi, pour se protéger et se défense, il adjure de se serrer autour de l’évêque, du presbyterium et des diacres. L’évêque est le centre doctrinal, disciplinaire et liturgique de l’Eglise locale.

Toutes les lettres de Saint Ignace exhortent en effet à l’unité au sein de la communauté autour de l’évêque et de la hiérarchie ecclésiastique. « Attachez-vous à l’évêque, pour que Dieu s’attache aussi à vous. J’offre ma vie pour ceux qui se soumettent à l’évêque, aux prêtres, aux diacres »[13]. Ou encore, écrit-il dans une autre lettre, « je vous en conjure, ayez à cœur de faire toutes choses dans la concorde, sous la présidence de l’évêque qui tient la place de Dieu, des presbytres qui tiennent la place des saints Apôtres, et des diacres qui me sont si chers, à qui a été confié le service de Jésus-Christ »[14].

Retrouvons un autre évêque de l’Asie Mineure et ami de Saint Ignace, Saint Polycarpe. Né vers 69-70, il est un disciple de Saint Jean et devient évêque de Smyrne. Vers la fin de 154, il part pour Rome comme représentant des chrétiens de l’Asie Mineure pour traiter avec le pape Anicet de quelques questions. Il meurt martyr à l’âge de 86 ans, en l’an 155. De Saint Polycarpe, il nous reste une lettre et son martyr.

Dans sa lettre aux Philippiens, Saint Polycarpe suppose aussi la hiérarchie à trois degrés. Il se présente avec ses presbytres et traite des qualités qu’il exige des presbytres et des diacres. Il demande aux jeunes gens de se soumettre « aux presbytres et aux diacres comme à Dieu et au Christ. »[15]

Ainsi, au début du IIe siècle, l’institution ecclésiastique locale selon la hiérarchie évêque, prêtres et diacres est déjà mise en place et reconnue au point que « celui qui agit en-dehors de l’évêque, du presbyterium et des diacres » sont considérés « en dehors du sanctuaire » et « pas pur de conscience »[16]. L’Eglise locale ne peut être conçue comme séparée de cette hiérarchie. « Sans eux, on ne peut parler d’Eglise. »[17]

Une organisation définitivement fixée au IVe siècle

Pourtant, il ne semble pas que les termes soient définitivement fixés dans toute l’Eglise. Ainsi, Saint Irénée (v.140-v.200), évêque de Lyon, désigne son maître, l’évêque Saint Polycarpe, du nom de presbytre, ainsi que d’autres évêques romains.

Mais au IVe siècle, le terme de « presbytre » ne désigne désormais que le prêtre. Ainsi, au concile régional d’Elvire (300-303), où se réunissent vingt évêques de la province hispanique, le triptyque hiérarchique que constituent distinctement l’évêque, le presbytre et le diacre est établis.

Les persécutions achevées et vivant enfin de la liberté, l’Eglise se réunit en 324 dans un premier concile œcuménique, le concile de Nicée. Elle affermit alors ce qu’elle a construit dans la clandestinité et officialise, pour toute l’Eglise, la structure locale basée sur la hiérarchie que constitue l’évêque, les prêtres et les diacres qui sont attachés à un territoire, le diocèse, pour lequel ils sont ordonnés, combattant ainsi contre les abus provenant de leur instabilité. D’autres canons défendent l’autorité de l’évêque et des prêtres, et exigent de leur part dignité et pureté de vie.

Conclusions

Saint Jean Bosco

Saint Ignace d’Antioche nous décrit l’organisation hiérarchique de l’Eglise locale en Asie Mineure au point qu’elle semble être héritée des Apôtres eux-mêmes bien que le terme de « presbytre » ne semble pas non plus être définitivement fixé dans toute l’Eglise, désignant parfois l’évêque. Il est important de se souvenir de l’origine apostolique de l’institution du prêtre quand de nos jours, elle est souvent remise en cause. Ainsi, ceux qui s’attaquent au prêtre ou lui enlèvent tout rôle ou visibilité au point de le rendre insignifiant remettent en question cette institution apostolique et finalement l’Eglise comme institution hiérarchique.

En outre, comme le souligne encore Saint Ignace, les fidèles comme les diacres doivent se soumettre aux prêtres comme ces derniers doivent obéir à leur évêque. Le rôle des prêtres dans la prédication, la discipline, la liturgie, …, n’est donc pas anodin, et cela depuis leur origine. Ce n’est pas un hasard si des Pères de l’Eglise ou des conciles, dont celui de Trente, ont exigé de leur part de nombreuses qualités et ont œuvré pour les rendre plus efficaces et dignes de leur ministère. Leur négligence, leur discrédit ou leur désobéissance sont souvent une des causes des crises que l’Eglise a connues dans son histoire et qu’elle connaît de nos jours.

Pour éviter les divisions que suscite notamment l’hérésie, Saint Ignace nous rappelle aussi de l’importance de l’unité de l’Eglise locale autour de l’évêque comme l’unité de l’Eglise toute entière autour du pape. Or, en s’attaquant aux prêtres, nombreux sont ceux qui veulent remettre en cause cette hiérarchie et l’idée même de hiérarchie dans l’Eglise. Luther, qui la refusait avec acharnement, n’y voyait qu’invention des papes, ignorant finalement son origine apostolique. Leurs attaques ébranlent finalement l’unité de l’Eglise.

 


Notes et  références

[1] Le terme d’« épiscope » signifie « surveillant ».

[3] Saint Clément, Epître aux Corinthiens, XLIV, 1, dans les Ecrits des Pères apostoliques, Les éditions du Cerf, 1963. Les citations des Pères proviennent de cet ouvrage. Les Pères apostoliques désignent les Pères de l'Église qui ont connu les Apôtres ou leurs successeurs immédiats. Saint Clément, Saint Ignace et Saint Polycarpe sont de la deuxième génération.  

[4] Saint Clément, Epître aux Corinthiens, XLIV, 3.

[5] Saint Clément, Epître aux Corinthiens, XLIV, 3.

[6] Si cette œuvre est bien connue des Pères de l’Eglise, le texte n’a été retrouvé qu’en 1875 et publié pour la première fois en 1883. Il nous renseigne sur la vie chrétienne, sur la liturgie du baptême et de l’Eucharistie, sur l’enseignement catéchétique que recevaient les chrétiens du premier siècle mais aussi sur l’organisation de l’Eglise.

[7] Dans certaines versions de la Didaché, au lieu de « presbytre », est mentionné le terme d’« épiscope ».

[8] Saint Ignace, Lettre aux Ephésiens, III, 2.

[9] Saint Ignace, Lettre aux Smyrniotes, VIII, 2.

[10] Saint Ignace, Lettre aux Ephésiens, III, 3.

[11] Voir Lettre aux Magnésiens, Saint Ignace, III, 1-2.

[12] Saint Ignace, Lettre à Philadelphie, IV, 1.

[13] Saint Ignace, Lettre à Polycarpe, VI, 1.

[14] Saint Ignace, Lettre aux Magnésiens, VI, 1.

[15] Saint Polycarpe, Lettre aux Philippiens, V, 5 .

[16] Saint Ignace, Lettre aux Tralliens, VII, 1.

[17] Saint Ignace, Lettre aux Tralliens, III, 1.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire