" La pierre précieuse, voire de grand prix aux yeux de certains, qu'est l'émeraude, se voit insultée par un morceau de verre habilement truqué, s'il ne se rencontre personne qui soit capable de procéder à un examen et de démasquer la faute. Et lorsque de l'airain a été mêlé à l'argent, qui donc, s'il n'est connaisseur, pourra aisément le vérifier ? "(Saint Irénée, Contre les hérésies)


vendredi 25 novembre 2016

Rupture entre les notions d'hérésie et d'orthodoxie

Lorsque nous évoquons le mouvement œcuménique, c’est-à-dire la recherche de l’unité des Chrétiens, nous ne pouvons pas ne pas penser aux raisons qui ont conduit à leur division, notamment aux déviations doctrinales, à l’exclusion des uns et à la création de nouvelles églises. Nous ne pouvons pas ne pas parler de la notion d’hérésie. Elle permet de distinguer ce qui est orthodoxe et ce qui ne l’est pas. Cette notion si importante dans le christianisme paraît aujourd’hui relativisée, écartée, bannie.

Dans une société qui vante la nécessité impérieuse du pluralisme et de ses bienfaits, la notion d’hérésie paraît en effet étrange, surannée, d’un autre monde. Ainsi cherche-t-on à ne voir dans ce terme qu’une conception d’un âge révolu et à lui refuser désormais toute pertinence. Cette idée sans-doute bien partagée par nos contemporains l’est certainement aussi par nombre de catholiques, voire par des théologiens et des autorités. En relativisant le terme, en le dévalorisant, l’hérésie elle-même perd toute réalité et n’est plus conçue que comme une invention du christianisme.

L’idée n’est pas récente. Elle n’est pas née du mondialisme ou d’une prise de conscience d’une prétendue pluralité bienheureuse. Nous la trouvons déjà dans les années 30 comme nous le préciserons. Depuis, elle s’est affermie et s’est étendue dans certains milieux intellectuels et religieux pour finalement s’imposer à partir des années 60. De nos jours, elle domine l’opinion, excluant toute idée d’orthodoxie ou d’hétérodoxie.

La représentation hérésiologique

Présentons en effet le schéma classique qui justifierait aujourd’hui l’idée selon laquelle la notion d’hérésie ne serait qu’une invention du christianisme pour qu'il perdure dans le temps. Dès le premier siècle, le christianisme s’est organisé en se constituant comme une société pourvue de règles. Il s’est développé et progressé à travers l’empire romain et au-delà. La fin du monde ne venant pas, les Chrétiens ont dû construire dans la durée. Ils ont dû aussi se défendre face aux Juifs et aux Païens, face aux injustices et aux calomnies. L’identité chrétienne s’est construite dans cette adversité. Dans un tel contexte, la division n’était pas acceptable. Ce qui était différence devient alors déviation puis erreur. « La norme crée l’erreur : il devient nécessaire de maîtriser celle-ci et de montrer, de la façon la plus efficace, et non la plus conforme à la réalité, en quoi elle cesse d’être chrétienne. »[1] Tel est donc le schéma devenu classique pour expliquer l'origine de la notion d'hérésie...

La nécessité de durer aurait donc conduit à la construction d’une identité et donc à l’exclusion de ceux qui la remettaient en cause, apportant division et différence. Ou dit autrement, la notion d’hérésie ne serait pas liée à l’origine à la notion de l’orthodoxie. La prise de conscience de leur identité, la représentation que les Chrétiens se font d’eux-mêmes ou encore l’image qu’ils se font de leurs adversaires seraient le point de départ chronologique de la notion d’hérésie. « Pour décréter l’altérité et l’erreur, il faut pouvoir s’appuyer sur des normes déjà solides. Il conviendrait plutôt de dire que la lutte contre des opinions jugées hérétiques oblige à déployer le contenu doctrinal de l’orthopraxie chrétienne, à faire passer l’orthodoxie de l’état implicite à l’état explicite. » [2] Au lieu du terme d’hérésie, on parle alors plutôt de « représentation hérésiologique »[3]. On insiste donc plus sur l’aspect social, psychologique, politique que sur l’aspect doctrinal, c’est-à-dire sur la vérité.

La remise en question de la notion d’hérésie

Une telle conception de l’hérésie viendrait d’une thèse ancienne de Walter Bauer (1877-1960) selon laquelle l’hérésie est antérieure à l’orthodoxie. Théologien protestant, il est considéré comme un spécialiste du début du christianisme. Un de ses ouvrages de référence est Orthodoxie et hérésie au début du christianisme (1934). « L’intérêt de cet ouvrage, au-delà des erreurs, des arguments à revoir, est d’avoir montré que le christianisme n’est pas monolithique et d’avoir rompu avec le discours, très largement répandu jusqu’au milieu du XXe siècle, d’une orthodoxie première et des hérésies comme des déviations »[4]. Il remet donc en cause à la notion classique d’hérésie. Il reprend la thèse développée dans un ouvrage du XVIIIème siècle de Gottfried Arnold.

En historien, W. Bauer cherche à expliquer l’origine et le développement des notions d’orthodoxie et d’hétérodoxie dans le christianisme, ou plus exactement leur opposition. Il montre alors que les deux premiers siècles sont marqués par la « multiplicité des chrétientés » et par la diversité doctrinale. L’orthodoxie ne se serait développé que tardivement. Le développement d’un christianisme unificateur et institutionnel aurait alors conduit à la naissance de l’idée de l’hérésie. Rome y aurait joué un rôle prédominant dans cette évolution. Selon W. Bauer, seule l’orthodoxie existait à Rome. Elle s’est ensuite imposée. « L’orthodoxie c’est le christianisme de l’Église de Rome […]. Inversement, l’hétérodoxie, c’est tout simplement ce qui n’est pas le christianisme de l’Église de Rome. »[5]

Ainsi, au début du christianisme, l’idée selon laquelle il y ait une doctrine orthodoxe dans le christianisme n’aurait pas existé ou serait demeuré peu présente. Par conséquent, croire qu’à l’origine l’hérésie est un abandon ou une trahison d’une foi ou d’une doctrine pure et originelle serait une erreur. « Le livre de Bauer a été le point de départ de nombreux travaux concernant la notion d’hérésie et son évolution. »[6]

L’hérésie, perte de tout sens



Selon ses commentateurs, la thèse de W. Bauer aurait provoqué une rupture dans l’histoire du christianisme. Il aurait « soumis la représentation traditionnelle à une critique aiguë »[7]. « Il aurait porté des coups décisifs à la conception traditionnelle de l’histoire de l’Église qui plaçait à l’origine la doctrine droite et qui faisait de l’hérésie une dérivation, voire un abandon ou une trahison et avait engagé à tenir compte de la grande diversité du christianisme primitif. »[8] Il aurait aussi conduit à l’abandon des concepts d’hérésie et d’orthodoxie dans l’étude des époques les plus anciennes.

Si la thèse de Bauer  est aujourd’hui très contestée par les spécialistes, elle demeure importante car elle a donné lieu à une remise en cause de la perception du christianisme ancien et donc aux recherches historiques. Des historiens[9] cherchent désormais à comprendre et à décrire les processus qui ont permis d’exclure la pluralité et d’établir des normes. L’idée selon laquelle l’erreur précède la norme s’est imposée. Dépassant la thèse de W. Bauer, des historiens ont fini par considérer l’hérésie comme une invention assez tardive. On présente le christianisme primitif comme étant un pluralisme de doctrines pour s’opposer à la conception de l’unité de foi.

W. Bauer défend l’idée que l’hétérodoxie précède l’orthodoxie. En 1985, dans son ouvrage La Notion d’hérésie dans la littérature grecque. IIe-IIIe siècles, Albert Le Boulluec[10] défend une thèse plus audacieuse. La diversité doctrinale a disparu au profit d’un seul courant. Il aurait eu des orthodoxies avant que s’impose l’orthodoxie. La notion d’hérésie a donc exclu des doctrines légitimes. Par conséquent, elle n’est plus associé à un jugement de valeur. L’opposition orthodoxie et hétérodoxie n’a plus de sens.

L’idée est reprise par des théologiens. « L’hérésie est toujours vue comme une déviation par rapport à la doctrine originale (orthodoxie) transmise par les apôtres. En réalité, la forme romaine du christianisme ne s’imposera que progressivement au cours des trois ou quatre premiers siècles, et ce qu’on nomme aujourd’hui l’« orthodoxie » ne verra le jour qu’après l’époque de Constantin et au prix de difficiles luttes doctrinales qui alimenteront les grands conciles œcuméniques des IVe et Ve siècles. Avant cette époque, aucun modèle ecclésial ne s’impose et la compréhension du mystère chrétien est un véritable chantier où se côtoient diverses théologies et maints systèmes doctrinaux, qui constituent autant d’efforts légitimes de la foi qui cherche à se comprendre[11] Ainsi le gnosticisme serait le résultat d’efforts légitimes de la foi. Selon le même théologien, certains gnostiques valentiniens « ont pu élaborer leur système, développer leur théologie et entretenir une conception distincte de la révélation, du moins jusqu’à ce qu’une certaine forme d’Église s’impose, assimile les formes déviantes et se sépare des groupes récalcitrants. »

Le rôle de Saint Justin, l’innovateur ?

De manière générale, on cite Saint Justin comme le véritable inventeur de la notion d’hérésie. Il l’aurait imaginé vers 150, dans un ouvrage intitulé Traité contre toutes les hérésies qui se sont produites, à partir du terme d’hérésie qu’emploient les philosophes pour désigner des écoles de pensée. Certes, le terme existait auparavant mais sa nouveauté aurait été d’avoir fait nettement référence aux philosophies grecques, c’est-à-dire à l’historiographie grecque appliquée à la description des écoles de pensée pour désigner les tendances divergentes à l’intérieur du christianisme. « Dans les écrits antérieurs aux œuvres de Justin, il n’existe pas encore de représentation cohérente et unifiée de l’erreur et des dissensions »[12]. Fortement influencé par la culture grecque tout en y mêlant des éléments juifs, il aurait forgé ce terme pour exclure, c’est-à-dire priver ces divergents du titre de « Chrétien ». L’hérésie est condamnée comme étant l’instrument de Satan contre Dieu et son Christ. Ce serait donc à partir de Saint Justin que « l’hérésie devient une réalité radicalement étrangère au christianisme. »[13]

L’hérésie, exclure pour construire

Mais contrairement à la notion grecque, le terme d’« hérésie » aurait clairement prit un sens péjoratif. « Les hérésies sont pour lui des sectes qui se parent faussement du nom de « Chrétiens » et dont les opinions comme les mœurs sont contraires aux préceptes du Christ. La notion d’« hérésie » est née. »[14] Par son ouvrage, il aurait inauguré l’hérésiologie. Saint Justin aurait donc été « le premier témoin d’une description unifiante de l’erreur, qui sert par la suite de cadre et d’instrument à la polémique. »[15] Il aurait aussi été innovant en présentant l’antithèse, aujourd’hui classique, des deux successions, celle de la vérité et celle de l’erreur, constituant alors la pièce maîtresse de l’hérésiologie classique. Ainsi « depuis Justin, parler d’ « hérésie », c’est décider la rupture irrévocable. »[16]


Saint Irénée de Lyon aurait ensuite précisé l’opposition entre une succession authentique de la vérité et celle de l’erreur et du mensonge. Il « oppose à la succession épiscopale la prolifération des sectes, l’unicité de la foi à la multiplicité des hérésies »[17]. Il est aussi accusé d’avoir accentué l’altérité des « sectes », dénonçant par ailleurs le rôle de la philosophie dans la naissance et le développement des hérésies. Il aurait notamment créé un procédé dans l’hérésiologie qui est l’amalgame en mettant sous un même terme l’ébionisme, c’est-à-dire le judéo-christianisme, et le gnosticisme, d’origine païenne.

On cite aussi l’influence des rabbins sur l’évolution de la notion d’hérésie. « L’attitude du judaïsme pharisien /rabbanite, après les échecs des révoltes judéennes contre Rome en 70 et 135, qui a réussi à imposer de manière progressive l’unicité d’une orthodoxie/orthopraxie fondée sur une succession légitime face à une succession déviante (minout) a eu probablement sur ce point, comme sur d’autres d’ailleurs, une certaine influence. »[18]

« La naissance de la notion d’hérésie coïncide avec l’affermissement d’une tendance à l’unification qui commence à conférer à une Église des traits singuliers au sein d’un christianisme »[19]. La notion d'hérésie manifesterait la volonté d’exclure les résistances et les oppositions au modèle ecclésiastique. L’Église aurait aussi cherché à se faire reconnaître auprès du monde païen et donc à définir son authenticité, à établir sa spécificité. Ainsi aurait-elle cherché à rejeter tous les courants qui l’auraient gênée dans ses efforts d’unification et d’identification. L’hérésie apparaît alors « le terrain des conflit entre l’Église hiérarchique et des courants doctrinaux différents de l’enseignement établi »[20].

La notion d’hérésie, un instrument de domination ?

Ainsi, de nos jours, on n’hésite pas à voir dans l’hérésie un concept qui a permis à l’Église de s’affirmer et de définir sa doctrine, remettant ainsi en cause ce qui nous paraissait une certitude. « C’est l’orthodoxie qui crée l’hétérodoxie et non pas l’inverse », nous dit-on.  « C’est en se pensant comme orthodoxes que ceux qui ne le sont pas sont rejetés comme hétérodoxes. » La conclusion devient alors évidente. Le concept d’hérésie serait une invention qui légitimerait un courant et exclurait ses opposants. La faute qui lui est attachée ne viendrait donc pas de ceux qui sont désignés comme hérétiques mais de ceux qui veulent les exclure pour affermir leurs positions. Par conséquent, les hérétiques ne seraient que des victimes. L’orthodoxie ne manifesterait que la victoire d’un courant sur leurs opposants.

L’idée selon laquelle l’orthodoxie serait antérieure à l’hétérodoxie serait alors défendue par un courant dit orthodoxe afin de supprimer toute opposition. « Le primat de la doctrine assure l’efficacité d’une polémique qui prétend mettre au jour des faux-semblants. »[21] Elle permettrait donc de dénoncer les opposants quand ils ne distinguent pas des autres membres de la communauté. Le concept d’hérésie aurait aussi d’autres avantages : « éviter les difficultés inextricables qu’entraînerait un débat »[22] sur des sujets à une époque où ils ne sont pas codifiés. Elle aurait enfin l’avantage de « laisser dans l’ombre les motifs politiques des affrontements »[23] en couvrant leur lutte d’une légitimité doctrinale. Elle donnerait même la légitime, voire l’instrument, à l’État pour réprimer l’opposition lorsque le christianisme en devient la religion officielle.

La faiblesse des arguments




Dans son ouvrage, A. Le Boulluec définit les dispositifs mis en place par le christianisme pour exclure et rejeter des doctrines autrefois considérées comme vraies afin d’aboutir à une orthodoxie. « Avec une perspicacité quasi inquisitoriale l'auteur élabore une véritable grammaire de la langue de bois patristique décrivant les multiples procédés au moyen desquels les docteurs ont occulté la pensée adverse : omissions, ajouts, systématisations, amalgames, déformations, sophismes, etc. »[24]

Certains commentateurs dénotent la partialité de son analyse, donnant de l’importance à ce qui n’est que pure rhétorique. Ils montrent aussi que l’auteur interprète unilatéralement des extraits de Saint Justin quand d’autres interprétations sont aussi possibles. En outre, son étude s’appuie sur quatre Pères de l’Église : Saint Justin, Saint Irénée de Lyon, Saint Clément de Rome et Origène qu’il considère comme exemplaires dans l’étude du processus. L’apport d’autres auteurs n’aurait pas, selon lui, démentit sa thèse. Certains commentateurs s’étonnent que son champ d’investigation ne soit pas plus vaste. Il est en effet étrange de ne pas entendre des auteurs latins comme Tertullien. Ils regrettent aussi une vision parfois simpliste de l’histoire. A. Le Boulluec présente Origène seul réticent à condamner les thèses hétérodoxes, recherchant plus la conciliation. Or à plusieurs reprises, l’Église a cherché la conciliation. 

Des instruments d’analyse sont aussi inadaptés à leur objet. Saint Justin est considéré comme « le porte-parole du parti ecclésiastique ». Cela nous surprend. Cela est du pur anachronisme. Le terme utilisé est surtout fort de sous-entendus si peu compatibles avec l’objectivité attendue. « À n'examiner strictement que les procédés d'exclusion des textes chrétiens, on fait des hérétiques, mais aussi de tous les païens, de grands muets de cette histoire. L'hérésie est sans doute un concept chrétien ; mais les procédés d'exclusion (par exemple l'accusation de mauvaises mœurs) ne sont pas un monopole. À ne pas évoquer le fond, on frôle enfin une vision dénaturée : puisque les raisons de foi de l'exclusion sont tues, il n'en reste qu'une, la mauvaise foi qui déforme et qui ment. »[25]  

Retour à la notion de l’hérésie

Certes, il est illusoire de croire que les doctrines du christianisme naissant étaient unes ou que la formulation de la foi était figée dès le départ. Il existait de nombreuses opinions sur les vérités de la foi. Le faux se mêlait au vrai sans qu’il ne soit rapidement détecté. C’est justement grâce aux Pères et aux autorités de l’Église de distinguer parmi ces opinions ce qui était vrai ou faux afin de déceler l’erreur et de l’exclure. C’est le rôle de tout maître de défendre l’intégrité de son enseignement. L’Église a établi et développé des procédures pour les identifier et les dénoncer. Il ne s’agit pas de porter un jugement de valeur sur ces outils mais d’en montrer la nécessité et la pertinence.

Mais ce ne sont pas ces procédures qui ont créé l’erreur. Ce n’est pas en déclarant officiellement une thèse hérétique qu’elle le devienne. Lorsque Saint Irénée écrit son ouvrage, cela fait déjà bien longtemps que le gnosticisme était considéré comme une hérésie. Il a donné les moyens efficaces de le connaître, de le déceler et de le réfuter tout en développant une méthode pour combattre une hérésie. La prise de conscience des dangers de la diffusion d’une hérésie a donc conduit l’Église à définir des armes pour la combattre. Sa vocation, telle qu’elle est clairement définie dans la Sainte Écriture, est bien de défendre le dépôt de la foi. C’est en ce sens que nous pouvons dire que l’erreur crée la norme, la norme n’ayant pour but que de défendre ce qui existe avant l’erreur, de distinguer clairement le vrai et le faux dans ce qui est cru. Les vérités de foi ont vu leur définition précisée au cours du temps car des hérésies montraient les faiblesses des termes utilisés. C’est ainsi que l’hérésie a permis, malgré elle, de développer le dogme, de rendre explicite ce qui était implicite.

Le terme d’hérésie ne doit donc pas désigner l’ensemble des normes établies pour la déceler, la confondre et l’exclure de l’enseignement. Il n’est pas non plus réduit à un discours dont il faut prendre en compte le genre utilisé et ses défauts. Elle est un contenu qui remet en cause la foi, c’est-à-dire une erreur. Elle naît d'une obstination qui refuse d'entendre l'Église. Ne voir dans l’hérésie qu’un fait historique à partir de textes sans regarder le contenu spirituel ou théologique, sans entendre l’enseignement de l’Église, ne peut donc qu’apporter une vue partielle et partiale du sujet complexe qu’est l’hérésie…

Mais l’hérésie est avant tout la persévérance dans l’erreur devant l’autorité de l’Église. L’hérésie manifeste la volonté de ne pas se soumettre à l’autorité de l’Église. Saint Cyprien a émis des erreurs sur le baptême avant que l’Église ait décidé. Il n’est pourtant pas hérétique. En ce sens, il n’y a pas d’hérésie tant que l’Église n’a pas parlé sur le sujet concerné et demandé de se soumettre à son enseignement. Il n’y a donc pas d’hérésie sans autorité ecclésiastique qui garantit l’authenticité de son enseignement. Pourquoi cherche-t-on alors à dénoncer l’hérésie comme un outil du « parti ecclésiastique » ? Il est important de rappeler que la thèse qui a remis en cause la conception classique de l’hérésie provient d’un protestant qui renie justement l’autorité de l’Église catholique. On cherche en fait à remettre en cause le droit de l’Église d’exercer son autorité dans l’enseignement et la défense de la foi

Conclusion

Le terme d’hérésie manifeste l’insoumission volontaire à l’autorité de l’Église dans le domaine de la foi. Lorsqu’on défend l’idée selon laquelle l’hérésie serait une invention de l’Église, notamment pour exclure des opposants, implicitement pour de mauvaises raisons, on s’attaque à l’autorité de l’Église de juger de la foi. On lui refuse les droits de défendre ce qu’elle enseigne. On suppose que son enseignement, elle en est elle-même l’origine. On présuppose qu’elle est un organisme d’origine humaine. Un historien est-il vraiment compétent dans ce domaine ? Qui peut dire que les opinions multiples qui existaient au début du christianisme étaient orthodoxes ou non avant que l’Église ne parle par les autorités qui la représentent ? C’est finalement l’Église catholique qui est remise en cause dans de telles thèses. C’est surtout l’unité de foi qui est de nouveau attaquée…

Nous pouvons le comprendre de la part d’un protestant qui récuse l'autorité de l’Église catholique dans le cadre d’un texte apologétique pour essayer de défendre sa foi ou sa conception religieuse. La tristesse de notre temps est de voir des chrétiens, des théologiens et des autorités de l’Église se laisser parfois influencer par des historiens dans un domaine dont ils n’ont ni compétence ni autorité. Il est encore plus triste de voir des chrétiens catholiques se laisser guider par des protestants sur un tel sujet …

Notes et références


[1] Albert Le Boulluec, La notion d’hérésie dans la littérature grecque, IIe-IIIe siècles, Tome I, 1985.
[2] Albert Le Boulluec, La notion d’hérésie dans la littérature grecque, IIe-IIIe siècles, Tome I.
[3] Albert Le Boulluec, La notion d’hérésie dans la littérature grecque, IIe-IIIe siècles, Tome I.
[4] Anna Van den Kerchove, Bulletin biographique, Walter Bauer, Orthodoxie et hérésie aux débuts du christianisme, Archives des sciences sociales des religions, octobre-décembre 2009, assr.revues.org, mis en ligne le 16 novembre 2012.
[5] Simon C. Mimouni, Étude critique : la question de l’hérésie ou de l’orthodoxie, dans Apocrypha 20, 2009.
[6] Aline Pourkier, L’hérésiologie chez Épiphane de Salamine, Beauchesne, 1992.
[7] Daniel Marguerat, Histoire du Christianisme, sous la responsabilité de Luce Petri, Tome I, Le nouveau peuple (des origines à 250), Chap. IV, III, Desclée, 2000.
[8] Anna Van den Kerchove, Bulletin biographique, Walter Bauer, Orthodoxie et hérésie aux débuts du christianisme,
[9] Voir par exemple Voir G. LÜDEMANN, Ketzer, Die andere Seite des frühen Christentums, Stuttgart, 1995, Heretics. The Other Side of Early Christianity, Londres, 1996, A. MCGOWAN, Tertullian and the ‘Heretical’ Origins of the ‘Orthodox’ Trinity, 2006.
[10]Albert Le Boulluec est directeur d'études émérite à l'École Pratique des Hautes Études (Section des sciences religieuses).
[11] Pierre Létourneau, Croyances et contraintes sociales : l’évolution du mouvement valentinien à la lumière du Traité tripartite (NH I,5) et du Dialogue du Sauveur (NH III,5), Théologiques, vol. 13, n° 1, 2005, http://id.erudit.org.
[12] Albert Le Boulluec, La notion d’hérésie dans la littérature grecque, IIe-IIIe siècles, Tome I, 1985.
[13] Simon C. Mimouni, Étude critique : la question de l’hérésie ou de l’orthodoxie, dans Apocrypha 20, 2009.
[14] Albert Le Boulluec, La notion d’hérésie dans la littérature grecque, IIe-IIIe siècles, Tome I.
[15] Albert Le Boulluec, La notion d’hérésie dans la littérature grecque, IIe-IIIe siècles, Tome I.
[16] Albert Le Boulluec, La notion d’hérésie dans la littérature grecque, IIe-IIIe siècles, Tome I.
[17] Albert Le Boulluec, La notion d’hérésie dans la littérature grecque, IIe-IIIe siècles.
[18] Simon C. Mimouni, Étude critique : la question de l’hérésie ou de l’orthodoxie.
[19] Daniel Marguerat, Histoire du Christianisme, sous la responsabilité de Luce Petri, Tome I, Le nouveau peuple (des origines à 250), Chap. IV, III.
[20] Allain Le Boulluec, Encyclopédia Universalis, article « Hérésie » dans Mediapart, Orthodoxie/hérésie, 20 mars 2012, blogs.mediapart.fr.
[21] Albert Le Boulluec, La notion d’hérésie dans la littérature grecque, IIe-IIIe siècles.
[22] Albert Le Boulluec, La notion d’hérésie dans la littérature grecque, IIe-IIIe siècles.
[23] Albert Le Boulluec, La notion d’hérésie dans la littérature grecque, IIe-IIIe siècles.
[24] Bertrand Daniel, A. Alain Le Boulluec, La notion d'hérésie dans la littérature grecque, IIe-IIIe siècles, t. 1, De Justin à Irénée, t.2, Clément d'Alexandrie et Origène dans Annales. Économies, Sociétés, Civilisations. 45ᵉ année, N. 4, 1990, www.persee.fr.
[25] Mariette Canevet, A. le Boulluec, La notion d'hérésie dans la littérature grecque : IIe et IIIe siècles.

samedi 19 novembre 2016

Qu'est-ce que l'hérésie ?

Comme parmi tant d’autres, le mot « hérésie » est devenu tabou depuis plus d’une génération. Il a disparu du vocabulaire du chrétien moderne. Certains ouvrages osent cependant l’évoquer mais pour relativiser son importance ou pour évoquer un fait historique devenu suranné. Il manifesterait en effet une certaine conception de la foi d’un monde chrétien aujourd’hui disparu ou obsolète. On dit qu’elle n’est qu’une invention. On cite allègrement Saint Justin comme le malheureux inventeur. Mais en dénigrant le terme, on méprise ce qu’il porte, c’est-à-dire une signification, une histoire, une réalité. Car derrière le mot se trouve la foi, la vérité, l’Église. N’y aurait-il pas un mépris, un travestissement du christianisme en voulant le bannir ? L’article a pour objet de revenir sur la notion d’hérésie…

L’hérésie, choisir sa vérité

Saint Nicolas gifle l'hérétique Arius
Le terme d’« hérésie » vient du grec « hairesis ». Il est  formé du verbe grec « haireo » qui signifie « action de prendre », « choisir à son gré ». Il était utilisé par les philosophes grecs pour désigner une secte d’une école philosophique. « L’esprit, devant un donné qui se présente comme intrinsèquement homogène, décide de disjoindre cette unité objective pour éliminer, selon son jugement propre, tel ou tel des éléments en cause. »[1]

Dans le christianisme, l’hérésie consiste à choisir des vérités de foi parmi celles enseignées comme telles par l’Église et en rejeter une partie. Une hérésie est donc une vérité partielle qui est prise pour une vérité totale, bientôt exclusive. Elle s’oppose donc à l’orthodoxie qui donne son assentiment à l’ensemble des vérités de foi. Saint Thomas d’Aquin nous donne une définition de l’hérétique : « si, parmi les vérités enseignées par l’Église, il ne retient que ce qu’il veut et délaisse ce dont il ne veut pas, il n’adhère plus à la doctrine de l’Église comme à une règle infaillible, mais à son propre jugement. Aussi l‘hérétique qui rejette avec obstination un seul article de foi n’est pas disposé à suivre, sur les autres, l’enseignement de l’Église ; [...] il n’a donc, en matière de foi, qu’une opinion humaine, dictée par sa volonté »[2].

Un hérétique est donc avant tout un chrétien. Ce n’est pas un apostat, c’est-à-dire un chrétien qui renie sa foi. Ce n’est pas non plus un indifférent ou un ignorant. C’est un chrétien qui choisit parmi les vérités enseignées par l’Église celles qu’il lui plaît et nie une ou plusieurs vérités que l’Église enseigne comme étant révélées

Au fond de l’hérésie : l’orgueil

Nestorius
L’hérésie n’est pas essentiellement un défaut d’intelligence. L’erreur provient d’une intelligence faible ou d’un jugement inexact. L’hérésie naît d'une volonté mauvaise. Un adjectif revient souvient pour qualifier l’hérésie. On parle d’obstination, de persévérance, d’opiniâtreté. L’hérétique est celui qui « rejette avec obstination… »... Pour qu’il y ait effectivement hérésie, il faut de la « pertinacité ». « Dès l’instant que l’on connaît suffisamment la règle de la foi dans l’Église, et que sur un point quelconque, pour un motif quelconque et sous n’importe quelle forme, on refuse de s’y soumettre, l’hérésie formelle est consommée [...]. Cette opposition voulue au magistère de l’Église constitue la pertinacité, que les auteurs requièrent pour qu’il y ait péché d’hérésie »[3]L’erreur ou l’ignorance ne constituent donc pas le fondement d’une hérésie. Au contraire, elles excusent l’hérétique. « … s’il n’est pas pertinace, mais prêt à corriger son jugement selon ce que détermine l’Église, et ainsi erre non par malice, mais par ignorance, il n’est pas hérétique »[4]. C’est aussi l’avis de Saint Augustin. « S’il y en a qui défendent leur manière de penser, quoique fausse et perverse, sans y mettre aucune opiniâtre animosité, mais en cherchant la vérité avec soin et avec précaution, étant prêts à se corriger dès qu’ils l’auront trouvée, il ne faut pas du tout les compter au rang des hérétiques »[5].

Certains commentateurs de Saint Thomas soulignent surtout l’audace des hérétiques, « ces hommes assez osés pour […] faire arbitrairement leur choix dans les Vérités venues du Ciel, retenir ce qui s’accommode à la couleur de leur esprit et rejeter ce qui les heurte, interpréter sans mandat et le plus souvent dénaturer un enseignement qu’ils déclarent divin et dont ils ne peuvent admettre cependant qu’il les dépasse. »[6] L’hérésie est présentée comme des opinions « qui entremêlent Jésus-Christ à leurs propres erreurs en cherchant à se faire passer dignes de foi. » Nous retrouvons encore un des traits de l’hérésie qu’a défini Saint Thomas d’Aquin. L’hérétique adhère finalement à son propre jugement au lieu d’adhérer au jugement de l’Église.

Dans l’hérésie, il y a donc connaissance et rejet de l’autorité de l’Église. L’hérétique s’oppose volontairement à l’Église. Il est d’abord un révolté. Lorsque Saint Clément de Rome parle d’hérésie, il utilise le terme grec « stasis » qui signifie « rébellion » au sens de soulèvement. Sans user le terme d’hérésie, Saint Ignace d’Antioche l’évoque comme une doctrine fausse qui entraîne l’absence de soumission à l’évêque. Une hérésie naît au moment où l’autorité de l’Église est rejetée sur un article de foi. Comme la négation formelle et obstinée d’une vérité de foi rompt l’unité de gouvernement, elle rompt aussi l’unité de l’Église. L’hérétique a rompu avec l’Église. La rupture ne vient pas de l’Église. L’Église reste une…

Saint Paul demande à Tite d’« éviter un homme hérétique, après une première et une seconde admonition ; sachant qu’un tel homme est perverti, et qu’il pêche, puisqu’il est condamné par son propre jugement. » (Tite, III, 10-11) Quand le chrétien persévère dans son erreur en dépit des demandes de correction de la part de l’autorité de l’Église, on dit qu’il est « perverti dans la foi » et qu’« il pêche par malice ». Il se condamne donc par lui-même.

Distinguer l’hérésie





Le plus souvent, l’hérétique défend ouvertement ses erreurs contre l’autorité de l’Église qui les réprouve. Parfois, il fait sécession sans même attendre la rupture officielle. L’hérésie est alors facilement discernable. Mais il est vrai aussi qu’elle peut se dissimuler à l’intérieur de l’Église. Parfois, elle est éconduite d’autorité. L’Église dénonce l’erreur et prononce l’anathème, c’est-à-dire la rupture. Dans tous les cas, l’hérétique est coupé de la vigne. Il est retranché de l’unité de l’Église.

Cependant, selon Saint Thomas d’Aquin, il n’est pas nécessaire d’être accusé publiquement comme un hérétique pour l’être véritablement. Celui qui nie sciemment des articles de foi mais n’a jamais été détecté et jugé individuellement par l’autorité est quand même hérétique. En effet, un hérétique ne l’est pas parce que l’Église le désigne publiquement par une mention soit individuelle soit collective. La déclaration formelle de l’autorité ecclésiastique ne fait que constater une hérésie ; elle ne la crée pas.

L’hérésie dès le commencement

L’hérésie n’est pas une chose nouvelle. Elle existe depuis l'origine du christianisme. Elle apparaît dans les épîtres de Saint Paul de manière implicite. L’Apôtre des Gentils demande aux Éphésiens de ne plus se livrer à l’erreur que « comme de petits enfants qui flottent, ni emportés çà et là à tout vent de doctrine, par la méchanceté des hommes, par l’astuce qui entraîne dans le piège de l’erreur. » (Éphésien, IV, 14) Dans sa première lettre à Timothée, Saint Paul revient sur le cas de l’Église d’Éphèse. Il a été envoyé dans cette ville pour « avertir certaines personnes de ne point enseigner une autre doctrine » (I Timothée, I, 3) que celle qu’il a transmise. Elles veulent être des docteurs de la loi mais ne comprennent ni ce qu’elles disent ni ce qu’elles affirment. Saint Paul dénonce le gnosticisme qui commence à faire ses ravages chez les chrétiens d’Éphèse. Ainsi il conclut sa lettre en demandant à Tite de conserver le dépôt et d’éviter les nouveautés profanes dans les paroles. Il avertit son disciple qu’il y a « beaucoup de rebelles, beaucoup se semeurs de vaines paroles, et de séducteurs » (Tite, I, 10). Il lui demande de « leur fermer la bouche, parce qu’ils causent la subversion de toutes les familles, enseignant ce qu’il ne faut pas » (Tite, I, 11). Saint Paul lui demande donc d’une part de maintenir l’enseignement qu’il a reçu, de garder l’authenticité de la foi et d’autre part, de le protéger contre les nouveautés et de s’opposer aux déviations menaçantes.

Saint Paul n’est pas le seul à nous avertir des dangers d’un enseignement erroné et à nous prêcher la nécessité de conserver intègre la foi reçue. Saint Pierre annonce qu’il y aura parmi les Chrétiens des « maîtres menteurs, qui introduiront des sectes de perdition, et renieront le Seigneur qui nous a rachetés, attirant sur eux une prompte perdition. » (II Pierre, II, 1). Saint Jean nous avertit aussi et nous demande alors du discernement : « Mes bien-aimés, ne croyez point à tout esprit, mais éprouvez les esprits, s’ils sont de Dieu ; parce que beaucoup de faux prophètes se sont élevés dans le monde. » (I Jean, IV, 1) Saint Jean s’oppose au docétisme. Les « faux prophètes » seront condamnés comme l’étaient les faux prophètes dans l’Ancien Testament.

Les Apôtres puis les Pères de l’Église sont conscients des dangers de l’hérésie. De nombreuses hérésies ont parfois failli emporter l’Église. Saint Paul présente l’hérésie comme une « gangrène » (II Timothée, II, 17). Elle a en effet la particularité de s’étendre et de gagner les âmes. Elle les pousse à la perdition. « Il eût mieux valu pour eux de ne pas connaître la voie de la justice, que de l’avoir connue et de revenir ensuite en arrière » (II Pierre, II, 21) Saint Clément de Rome nous demande fermement de « s’abstenir de toute plante étrangère, qui est l’hérésie » et de « se nourrir de la nourriture chrétienne »[7]. Saint Justin et Saint Cyprien voient dans l’hérésie un instrument du diable destiné à détruire l’unité de l’Église. D’elle naît en effet la confusion par la multiplicité de fausses croyances. Ils les voient comme une opposition à l’unité de foi.

Conclusion

Alfred de Loisy
1840-1940



Depuis les premières heures du christianisme, sûrs de leur jugement, enfermés dans leur propre certitude, des chrétiens ont persévéré dans des erreurs et se sont opposés à l’enseignement de l’Église, refusant de se soumettre à son autorité. Ils se sont alors exclus de l’Église et généralement ils ont fondé de nouvelles communautés. En remettant en cause son enseignement, l’hérésie porte atteinte à l’unité de la foi et à l’unité de gouvernement donc à l’unité de l’Église. La division des Chrétiens que nous connaissons actuellement provient de ces ruptures. Lorsque l’Église désigne et condamne une hérésie, elle cherche avant tout à défendre son autorité qui justement garantit l’unité de foi et l'authenticité de la foi afin de protéger les fidèles et de consolider leur foi.

Si ce que nous devons croire est livré au choix de chacun, que devient la foi ? Il est donc nécessaire de préserver son intégrité contre les erreurs et de la défendre contre les opinions afin que l’Église transmette la foi et préserve son unité au cours du temps et partout où elle est répandue. Notre foi est celle des premiers chrétiens comme celle qui les ont succédé. Il n’y a qu’une Église comme il n’y a qu’un Royaume des cieux. Il y a hérésie parce qu'il y a une autorité garante de l’unité de foi. Refuser le terme, l'enfouir dans la mémoire du passé, la considérer comme une chose surannée, c'est en fait affaiblir l'autorité de l’Église.

Derrière l’hérésie se trouve en fait une prétention, celle de juger de la foi par soi-même. Qui sommes-nous pour la juger et remettre en cause l’autorité de l’Église ? Qui même peut la juger ? La raison, nos sentiments ou encore les maximes du monde ? À la source de l’hérésie se trouvent toujours au fond d’une âme, une colère, une envie, une ambition. Des raisons purement personnelles, affectives peuvent souvent l’expliquer. C’est à ces racines que se trouve très souvent la véritable rupture. La rupture avec l’Église n’est finalement que la manifestation, l’extériorisation d’une rupture déjà consommée en soi. Le chrétien n’appartenait déjà plus à l’âme de l’Église avant de devenir un membre exclu. Pour que l’hérétique appartienne à nouveau à son corps, il est donc nécessaire de soigner son âme et de panser ses blessures …

L’hérésie manifeste la faiblesse humaine devant un choix. Certes nous devons regretter la division des Chrétiens et combattre contre leur désunion pour favoriser une véritable union en Notre Seigneur Jésus-Christ dans son Église mais tant que la lumière brillera, il y aura toujours des âmes qui préféreront l’obscurité. La faute ne réside pas dans la lumière mais dans l’homme. Il y aura toujours des loups qui emporteront des brebis. L’hérésie est même une nécessité. « Il faut qu’il y ait même des hérésies, afin qu’on découvre ceux d’entre vous qui sont éprouvés. » (I Corinthiens, XI, 19) L’erreur trop souvent rencontrée est d’ignorer cette réalité des choses ou de la minimiser en défendant la différence et le pluralisme. Mais que devient le loup s’il prend la forme d’un berger ? Le troupeau sera vite décimé. Que serait devenu le dépôt de la foi si les chrétiens avaient suivi les premières erreurs ? Refuser de combattre l'hérésie est un véritable crime contre la charité !… La lutte contre l’hérésie est avant tout un combat de la charité. « Comprends donc qu’il s’agit d’un procès inspiré par l’amour »[8]. Bannir ce terme revient à refuser ce combat …





Notes et références
[1] Marie-Dominique Chenu, Orthodoxie et hérésie, le point de vue du théologien, conférence proposée pour l’ouverture du colloque Hérésie et Sociétés, Royaumont, 1962, www.persee.fr.
[2] Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, II-II, q. 5, a. 3.
[3] Dictionnaire de théologie catholique, article « hérésie ».
[4] Saint Thomas d’Aquin, Commentaire sur toutes les épîtres de St. Paul, leçon 2 sur Tite III, 10 - Il.
[5] Saint Augustin, Epist. 43, cap. 3 et Décrétales, § 24)
[6] R. Sinueux O.P., Initiation à la théologie de Saint Thomas, 2ème partie, Livre XII, 3.
[7]Saint Clément de Rome, Épître aux Tralliens, VI, 1-2.
[8] Saint Augustin

vendredi 11 novembre 2016

Par le Christ...

Sainte Thérèse des Andes
Dieu nous appelle tous à la sainteté. L’important pour nous est alors de « courir dans la voie et non à l’aventure de façon à atteindre le but » (I Corinthiens, IX, 26) comme dit Saint Paul. Ainsi faut-il avoir une idée juste de ce qu’est la sainteté. Or « il ne faut pas juger selon notre goût mais sur celui de Dieu » nous prévient aussi Saint François d’Assise. En effet, « si nous sommes saints suivant notre volonté, nous ne le serons  jamais bien ; il faut que nous le soyons selon la volonté de Dieu. »[1] Que vaut notre sagesse devant celle de Dieu ? Mais où l’homme peut-il trouver la certitude et donc la sérénité ?...

S’il nous est possible de connaître Dieu par la raison, nous sommes bien impuissants à Le connaître véritablement. Face à l’Être suprême, la raison livrée à elle-même s’abîme et s’égare dans sa réflexion. Elle risque de se perdre dans une des multiples thèses philosophiques qui divisent les élites. Aux philosophes réunis à l’Aréopage, Saint Paul ironise sur leur sagesse. Ils ignorent Dieu en dépit de leurs efforts. La diversité des religions manifeste aussi la difficulté de Le connaître. Le sentiment religieux est impuissant à L’atteindre. Leur multiplicité montre évidemment qu’elles ne peuvent pas être toutes vraies tant elles sont profondément différentes. Elle témoigne autant de la richesse de notre imagination que de l’incrédulité des hommes. Nombreux sont en effet les séducteurs, les imposteurs et les faux prophètes.

L’œuvre de la Rédemption

Bienheureux Don Marmion
L’Église est dite sainte non en considération de ses membres mais parce qu’elle leur donne les moyens de parvenir à la sainteté. Or il n’y a pas sainteté s’il n’y a pas salut. Pour saisir ce qu’elle est, il faut donc revenir à l’œuvre divine de la Rédemption. Saint Paul l’a décrit magnifiquement dans ses épîtres. C’est naturellement en se référant à cet Apôtre que le moine bénédictin le bienheureux Don Marmion (1858-1923) nous la présente clairement [13].

Dieu s’est révélé à l’homme. Il ne l’a pas laissé seul devant la réalité de sa présence et devant l’impuissance de sa raison. Dieu nous a appris ce qu’Il est.  Et nous le savons désormais avec certitude et assurance. Nous croyons en Dieu le Père, le Fils, le Saint Esprit, c’est-à-dire en la Sainte Trinité, trois personnes divines en un seul Dieu. Tel est notre Credo. Il est étrange que certains osent dire que les Juifs, les Chrétiens et les Musulmans adorent le même Dieu quand seuls les Chrétiens adorent Dieu en Trois Personnes divines. Si nous avons tous un même Dieu, car Il est unique, nous ne Le connaissons pas tous. Certains L’adorent dans la vérité quand d’autres Le servent dans l’erreur. Passons cette étrangeté qui n’est pas le sujet de notre article. Revenons à la Sainte Trinité.

Éternellement, Dieu le Père engendre le Fils auquel Il communique sa nature, ses perfections, sa vie. Le Fils est ainsi semblable au Père, unique et distinct du Père, tout en étant de même nature divine. Ils sont unis d’une étreinte d’amour d’où procède le Saint Esprit. La vie divine est communiquée par le Père au Fils unique, et par eux au Saint Esprit. Mais la vie divine ne s’arrête pas là. Dieu veut la partager aux hommes, à tous les hommes. Par un amour qui nous dépasse, mystère insondable, Dieu veut élever les hommes au-dessus de leur nature. Il nous a adoptés comme ses enfants.

Dès le début du temps, la volonté de Dieu s’est réalisée en Adam, créé à l’image et à la ressemblance de Dieu. Adam a reçu cette grâce qui faisait de lui enfant de Dieu. Mais par sa désobéissance, par le péché originel, il a été expulsé du paradis, emmenant l’humanité dans la disgrâce. Depuis sa chute, nous naissons tous pécheurs, enfants de la colère. Pour réparer la faute, pour restaurer l’œuvre initiale d’une manière plus admirable encore que celle de la Création, le Verbe s’est fait chair. Le Fils de Dieu s’est fait homme. C’est le mystère de l’Incarnation. Un en deux natures, vrai Dieu et vrai homme, Notre Seigneur Jésus-Christ est le propre Fils de Dieu. Les deux natures se sont unies, sans mélange ni confusion. La vie divine est ainsi communiquée en plénitude à son humanité. C’est dans le Christ que Dieu a tout restauré.

Notre Seigneur Jésus-Christ est venu racheter tous les hommes. Il est ainsi le premier-né de tous ceux qui Le recevront et recevront par Lui la grâce de la vie divine après avoir été rachetés par Lui. Il est ainsi constitué le chef d’une multitude de frères. « En sorte que la même vie divine qui dérive du Père dans le Fils, qui découle du Fils dans l’humanité de Jésus, circulera par le Christ dans tous ceux qui voudront l’accepter ; elle les entraînera jusque dans le sein béatifiant du Père, là où le Christ nous a précédé, après avoir soldé pour nous ici-bas, par son sang, le prix d’un tel don. »[2] La vie divine ne peut donc venir en nous que par le Christ…

Vivre de la vie de Dieu

Saint François d’Assise
recevant les stigmates
(détail)
Rubens,
Après avoir rappelé la doctrine catholique sur la Rédemption, nous pouvons désormais revenir à la notion de sainteté. « Toute la sainteté consiste dès lors à recevoir, du Christ et par le Christ, la vie divine, à la conserver, à l’augmenter sans cesse, par une adhésion toujours plus parfaite, par une union toujours plus étroite à celui qui en est la source. »[3] Est donc dit saint celui qui participe à la vie divine. Être saint c'est être enfant de Dieu par adoption. Nous sommes ses créatures. Dieu nous prédestine à être ses enfants. Mais cette vie divine s’obtient par le Christ. Le saint est celui qui vit par le Christ.

La participation à la vie divine se réalise par la grâce. C’est par la grâce en effet que nous pouvons vivre de la vie de Dieu Lui-même. Par cette grâce, Dieu pénètre au fond de notre nature en nous élevant intérieurement. Rien d’essentiel n’est changé en notre nature. Il n’y a aucune magie. L’acte d’adoption est si efficace que nous devenons pleinement, par la grâce, participant à la nature divine. Cette grâce est ainsi appelée sanctifiante.

Soulignons que cette adoption est d’ordre surnaturel. La grâce devient pour nous une source d’actions et d’opérations surnaturelles qui tendent vers une fin surnaturelle : connaître Dieu un jour et jouir de Lui. Hors de cette adoption surnaturelle, cette fin est inaccessible. Rien de naturel en effet ne peut nous conduire à Dieu.

Ainsi par un amour qui nous dépasse, abîme de mystères, Dieu veut notre sainteté en nous faisant participer à sa vie même. Par la grâce, Il nous adopte comme ses enfants et les héritiers de sa gloire infinie et de sa béatitude éternelle. Mais Dieu ne nous donne cette adoption que par son Fils, Notre Seigneur Jésus-Christ. C’est en Lui, par Lui et avec Lui que Dieu veut nous unir à nous et qu’Il veut que nous nous unissions à Lui. Le Christ est donc la seule voie qui nous mène à Dieu. Nous ne serons saints que dans la mesure même où la vie de Jésus-Christ sera en nous. Personne ne va au Père que par le Christ. Point d’autres voies pour être agréable à Dieu et donc pour être saint...

L’Église, œuvre du Christ

Saine Elizabeth Ann Seton
Choisi par Dieu le Père pour qu’Il soit le modèle unique de notre sainteté, Notre Seigneur Jésus-Christ a tout mérité pour nous, par sa vie, sa passion et sa mort, d’être la source de toute vie divine. Pour cela, Dieu le Père L’a mis à la tête d’une assemblée innombrable. « Il a tout mis sous ses pieds et il l’a donné pour chef suprême à l’Église qui est son corps. »(Éphésien, I, 20-23) Notre Seigneur Jésus-Christ s’est donc acquis l’Église pour qu’elle soit « sans ride, ni tâche, toute sainte et immaculée » (Éphésien, VII, 27). Notre Seigneur Jésus-Christ a formé son Église, aboutissement suprême de son existence, afin de poursuivre sa mission sanctificatrice. « Le Christ, en effet, ne peut se concevoir sans l’Église »[4].

L’Église peut être vue de deux façons, soit dans son corps, c’est-à-dire comme société visible, hiérarchique, organisme animé par le Saint Esprit, soit dans son âme, « c’est-à-dire le Saint Esprit dans son union avec les âmes par la grâce et la charité »[5]. Le plus important est évidemment d’appartenir à l’âme de l’Église bien que l’incorporation au corps soit la voie normale pour y arriver. « Dans l’économie normale du christianisme, ce n’est que par l’incorporation à la société visible que les âmes entrent en participation des biens et des privilèges qui découlent de l’union à son âme. »[6] Cela justifie le précepte « Hors de l’Église point de salut » que nous avons déjà longuement évoqué[14].

L’Église est donc la continuation de la mission de Notre Seigneur Jésus-Christ par sa doctrine, sa juridiction, ses sacrements et par son culte. Elle nous enseigne, nous dirige, nous donne la grâce. Elle nous donne les moyens de rendre à Dieu toute gloire et tout honneur.

L’Église, règle de foi

L’Église nous parle avec toute l’autorité de Notre Seigneur Jésus-Christ par le Pape et ses évêques unis à lui. « Qui vous écoute, m’écoute ; et qui vous méprise me méprise, mais qui me méprise, méprise celui qui m’a envoyé. » (Luc, X, 16) L’Église est une société hiérarchisée fondée sur Saint Pierre et ses successeurs, puis sur les évêques. Sans évêque, pas d’église, nous dit encore Saint Ignace de Loyola. L’Église ne se conçoit pas sans structure hiérarchique.

« C’est moi qui suis la lumière du monde ; qui me suit ne marche pas dans les ténèbres, mais il aura la lumière de la vie. » (Jean, VIII, 12) Celui qui reçoit l’enseignement de l’Église reçoit son enseignement et donc celui de Dieu le Père. Il faut donc l’accepter et s’y soumettre. Le catholique croit donc en son enseignement non à cause de sa raison, de ses efforts personnels ou de ses lumières naturelles. Il croit parce que l’Église, qui remplace le Christ, le lui enseigne. Nous croyons parce qu’il y a l’Église. Saint Augustin nous dit qu’il ne croirait pas à l’Évangile s’il n’y était porté par l’autorité de l’Église[7]. Notre Seigneur Jésus-Christ a promis d’être avec ses Apôtres jusqu’à la consommation des siècles. La voie de l’Église est donc sûre. Certes, il ne s’agit pas de croire en une autorité de l’Église mais à l’Église dans toute sa catholicité.



Interrogeons-nous sur les autres confessions chrétiennes et les autres religions. Pourquoi un musulman se soumet-il au Coran ? Il justifiera certainement sa croyance par le caractère sacré du livre. C’est donc le livre qui justifie sa propre autorité. Ainsi non seulement le Coran se légitime lui-même mais il occupe un véritable rang divin. On parle alors de théorie du coran incréé[15]. Il le considérera aussi en évoquant le consensus de la communauté. Et le témoin de Jéhovah, comment justifie-t-il son obéissance à un livre qui diffère du nôtre ? Car un jour un homme s’est levé et s’est proclamé le prophète ? Examinons bien la source de leur foi. Nous nous apercevrons finalement que leur soumission ne s’appuie en fait que sur eux-mêmes. Le catholique s'appuie sur l’Église.

Les vérités de foi auxquelles nous adhérons ne sont pas livrées aux désirs de chacun. Ce n’est pas le chrétien qui choisit ce qu’il veut croire. Sa foi ne se fonde pas non plus sur une école philosophique ou religieuse, ou sur l’autorité d’un docteur ou d’un saint. L’enseignement de la foi n’est pas laissé à l’initiative des Chrétiens. Ce que nous croyons comme vérité de foi repose au sein de l’Église qui en garantit sa véracité et son intégrité. Certes, parfois, elle est en germe dans le dépôt de la foi avant de croître pour rayonner de toute sa lumière. Elle a en effet besoin du temps pour qu’elle croisse et pour que l’homme soit capable de la saisir. Des épreuves comme celles des hérésies sont des occasions de développement. Les trésors de l’Église se dévoilent donc progressivement à mesure que l’Église croît. Comme le rappelle Saint Paul, notre foi ne se repose pas sur une personne, sur son éloquence, ni même sur sa sainteté. S’il n’enseigne pas ce que l’Église a enseigné, il ne doit pas être écouté. L’Église est règle de foi…

Le Christ, source de toutes grâces




Notre Seigneur Jésus-Christ veut notre sainteté ; il ne nous l’impose pas. Mais ce n’est pas un vœu pieux. S’Il nous demande de l’être, il nous en donne aussi les moyens. Et ces moyens ne sont pas livrés à l’anarchie, à l’usure du temps ou au goût de chacun. Il a en effet remis à l’Église les moyens de nous donner sa grâce au travers des sept sacrements. L’Église a la garde des sources de grâces que Dieu lui a remises et qu’Il a fait jaillir pour nous.

Le sacrement ne dépend pas de la dignité de l’évêque ou du prêtre qui l’administrent comme le croyaient les Donatistes et d’autres hérétiques. En s’opposant à leurs erreurs, Saint Optat de Milève puis Saint Augustin ont montré que le ministre n’est qu’un instrument. Le véritable ministre est Notre Seigneur Jésus-Christ. Saint Paul le dit également. Ainsi un baptême est valide quand il est donné par un athée s’il l’administre selon ce que veut l’Église.

Le culte rendu à Dieu

Autour du sacrifice de la messe, centre de toute la religion chrétienne, l’Église organise le culte public qu’elle a le droit d’offrir au nom du Christ. Tout son culte se ramène au Christ. Toutes nos prières remontent au Père éternel en passant par le Christ. Par le mystère de l’Eucharistie, Notre Seigneur Jésus-Christ est même présent et se donne à tous ceux qui se nourrissent de Lui.

Et tout le long de l’année, l’Église fait revivre les mystères de Notre Seigneur Jésus-Christ autour de la fête centrale qu’est celle de sa Résurrection. Nous y puisons la vie divine que ces mystères, vécus d’abord par notre Maître, nous ont méritée.

Ainsi l’Église est « la dépositaire authentique de la doctrine et de la loi du Christ ; la dispensatrice de ses grâces parmi les hommes ; enfin, l’Épouse qui, au nom du Christ, offre à Dieu, pour tous ses enfants, la louange parfaite. »[8] Elle est telle qu’elle perpétue la présence visible de Notre Seigneur Jésus-Christ. C’est en elle que nous Le retrouvons.

L’Église, une société visible

Comment pouvons-nous rencontrer le Christ ? C’est par l’intermédiaire des hommes que le Christ nous guide et nous sanctifie. Sans voix pour enseigner, point de connaissances. Sans aveu à un homme, pas de pardon. Nous tenons notre doctrine d’une autorité en matière de foi, c’est-à-dire d’un homme comme nous. Nous avouons notre faute à un prêtre, c’est-à-dire à un homme. C’est par l’intermédiaire d’hommes semblables à nous que nous recevons les grâces divines. Rappelons que Dieu agit souvent par les hommes. Il libère le peuple d’Israël par Moïse. Par Salomon, Il fait construire son Temple. Par son fiat, Sainte Marie nous ouvre les portes du salut.

Sainte Adélaïde





Mais l’homme est faible. Le pouvoir du Christ s’appuie sur la fragilité humaine. Saint Pierre en est un exemple. Le jour de son élection, à la voix d’une femme, il renie son Maître ! Pas une fois, trois fois ! Cependant, Notre Seigneur Jésus-Christ fonde l’Église sur lui après une triple protestation d’amour en souvenir du triple reniement. Les Papes sont aussi fragiles. Ils peuvent pécher comme nous tous. Certes Dieu leur a donné l’infaillibilité en matière de foi selon des conditions précises mais ce privilège ne leur confère pas l’impeccabilité.

L’Église est un organisme visible, « un édifice fondé sur les Apôtres, et dont la pierre angulaire est le Christ Lui-même. »(Ephes., II, 19-22) C’est dans le Christ que l’édifice s’élève pour former un temple saint de Dieu. En nous attachant à l’Église, nous nous attachons à Notre Seigneur Jésus-Christ et à tout ce qui nous serait venu de lui, si nous avions pu Le suivre durant sa vie terrestre. « L’Église est l’Épouse du Christ ; elle est notre Mère ; nous devons l’aimer, parce qu’elle nous mène au Christ et nous unit à Lui ; aimer et révérer sa doctrine, parce que c’est la doctrine du Christ Jésus ; aimer sa prière et nous y associer, parce que c’est la prière même de l’Épouse du Christ : il n’y en a pas de plus sûre pour nous, de plus agréable à Notre Seigneur. » [9]

Des signes de la divinité de l’Église

Les martyrs d'Ouganda
L’Église n’est pas seulement visible, notamment par ses membres. Elle a un élément divin. En dépit de la faiblesse des hommes, voire à cause d’elle, nous pouvons le discerner : « l’indéfectibilité de la doctrine, gardée durant tous les siècles et malgré tous les assauts des hérésies et des schismes ; l’unité de cette même doctrine conservée par le magistère infaillible ; la sainteté héroïque et ininterrompue qui se manifeste, de tant de façons, dans cette Église, la succession continue par laquelle, de chaînon en chaînon, l’Église de nos jours se relie aux fondateurs établies par les Apôtres ; la force d’expansion universelle qui la caractérise : autant de signes certains auxquels nous reconnaissons que Notre Seigneur est avec son Église jusqu’à la fin des siècles (Matth., XXVIII, 20). »[10] En dépit des épreuves et des crises qu’elle a connues, en dépit des faiblesses des hommes qui la constituent, l’Église demeure encore présente.

Cela manifeste bien que la grâce ne provient pas de l’homme. Dieu use de notre faiblesse pour montrer davantage sa force et sa miséricorde. À partir de douze hommes, pauvres et sans véritable culture ni intelligence, l’Église s’est développée dans le monde entier. Celse et tous les adversaires antiques du christianisme se sont moqués de l’origine peu glorieuse des Apôtres. Et pourtant, le paganisme a été vaincu…

L’Église, le corps mystique du Christ

Selon les paroles de Saint Paul, l’Église est décrite comme le corps du Christ, un corps qui se développe pour atteindre sa plénitude. Ce corps, ce sont les âmes qui, par la grâce, vivent de la vie du Christ. L’union est d’ordre surnaturel et intime. Ainsi le corps est-il dit mystique. L’Église constitue avec le Christ un seul être.

Notre Seigneur Jésus-Christ est la tête de ce corps qu’est l’Église par une triple primauté d’honneur, d’autorité et de vie. C’est de Lui que nous devons recevoir la vie divine. Il est la source unique de toutes les grâces. Et toutes les grâces que nous recevons servent à l’édification du corps.

L’union entre Notre Seigneur Jésus-Christ et les membres de l’Église sont si fortes qu’elle va jusqu’à l’unité. Qui touche à l’un d’entre eux touche à Notre Seigneur Jésus-Christ. « Saül, pourquoi me persécutes-tu ? » Sur le chemin de Damas, Saül, futur Saint Paul, entend une voix. Mais « qui êtes-vous Seigneur ? », lui demande-t-il. « Je suis Jésus que tu persécutes ». Elle ne dit pas « Pourquoi persécutes-tu mes disciples ? » ou « je suis le maître de ceux que tu persécutes. » En persécutant les Chrétiens, Saül persécute le Christ Lui-même. Car ces disciples et Lui ne font qu’un tant ils sont unis si étroitement. « Nous sommes membres de son corps, formés de sa chair et de ses os. »(Éphésiens, V, 30) Notre Seigneur Jésus-Christ nous unit tellement à Lui que tout ce que nous faisons à n’importe quelle âme qui croît en Lui, c’est à Lui-même que nous le faisons.


Ainsi l’œuvre de la Rédemption qu’a accomplie Notre Seigneur Jésus-Christ devient nôtre. Les satisfactions et les mérites qu’Il a gagnés sont devenus les nôtres. Dans la pensée de Dieu le Père, nous sommes un avec le Christ. « Mon Père vous aime parce que vous m’aimez et que vous avez cru que je suis son Fils. »(Jean, XVI, 27) Toute la grâce que Notre Seigneur Jésus-Christ a reçue de son Père en plénitude n’est pas réservée à Lui seul. Tous nous pouvons puiser à cette plénitude. Nous sommes ainsi riches de sa richesse, sage de sa sagesse, fort de sa force, joyeux de sa joie…

« Félicitons-nous, répandons-nous en actions de grâces, nous sommes devenus non seulement chrétiens, mais le Christ ! Comprenez-vous, mes frères, la grâce de Dieu sur nous ? Admirons, tressaillons d’allégresse, nous sommes devenus le Christ ; lui, la tête, nous les membres ; l’homme total, lui et nous »[11]

Si nous formons un seul corps, nous sommes alors tous solidaires. « Si un membre souffre, tous les membres souffrent avec lui ; si un membre est honoré, tous partagent sa joie » (I Cor., XII, 26) Le bien d’un membre profite au corps tout entier et la gloire du corps rejaillit sur chacun de ses membres. Ainsi devons-nous tous travailler pour parvenir « à l’unique perfection du corps mystique » (Éphésiens, IV, 13) Mais pour cela, faut-il que nous restions unis au corps et au Christ qui en est la Tête. C’est pourquoi avant de quitter ses Apôtres, Notre Seigneur Jésus-Christ leur demande de rester unis. « Qu’ils soient un, ô Père, comme vous et moi nous sommes un ; qu’ils soient consommés dans l’unité. » (Jean, XVII, 21-23) Être un dans le Christ et par le Christ…

Et au jour voulu, lorsque le temps de sa plénitude sera atteint, l’Église partagera la gloire de son Maître. Notre Seigneur Jésus-Christ présentera tous les élus réunis à son Père pour Lui en faire l’hommage. L’Église sera transfigurée et glorieuse en tous ses membres. Telle sera la Jérusalem céleste. L’Église entrera dans le Royaume de Dieu…


L’Église est ainsi la continuation de Notre Seigneur Jésus-Christ ici-bas ou encore la prolongation à travers les âges de son Incarnation. « On peut donc dire de l’Église, proportion gardée, ce que son Époux disait de Lui-même ; elle est pour nous la voie, la vérité, la vie. »[12] Nous pouvons donc la suivre avec confiance et courir avec hâte pour atteindre le but de notre vie ici-bas… Ainsi nous pouvons dire qu’hors du Christ, point de salut




Notes et références
[1] Saint François d’Assise, Lettre à la présidente Bularte, 1606 dans Œuvres, tome XIII dans Le Christ, vie de l’âme, Don Marmion, I, Desclée de Brouwer, 1936
[2] Don Marmion, Le Christ, vie de l’âme, I, I.
[3] Don Marmion, Le Christ, vie de l’âme, I, I.
[4] Don Marmion, Le Christ, vie de l’âme, V.
[5] Don Marmion, Le Christ, vie de l’âme, V.
[6] Don Marmion, Le Christ, vie de l’âme, V.
[7] Voir Contra epistul. Fundant, Saint Augustin, 5.
[8] Don Marmion, Le Christ, vie de l’âme, V, I.
[9] Don Marmion, Le Christ, vie de l’âme, V, II.
[10] Don Marmion, Le Christ, vie de l’âme, V, II.
[11] Saint Augustin, Tract. In Jean, XXI, 8-9.
[12] Don Marmion, Le Christ dans ses Mystères, Desclée de Brouwer, 1939.
[13] Vie de Don Marmion, voire site http://www.marmion.be.
[14] Voir Émeraude, septembre 2016, article "Hors de l'Eglise, point de salut.".
[15] Voir Émeraude, mars 201, "Le Coran incréé contradiction fondamentale".