" La pierre précieuse, voire de grand prix aux yeux de certains, qu'est l'émeraude, se voit insultée par un morceau de verre habilement truqué, s'il ne se rencontre personne qui soit capable de procéder à un examen et de démasquer la faute. Et lorsque de l'airain a été mêlé à l'argent, qui donc, s'il n'est connaisseur, pourra aisément le vérifier ? "(Saint Irénée, Contre les hérésies)


samedi 27 août 2016

Ut Unum Sint : l'Unité des Chrétiens selon Jean-Paul II






Au XIXe siècle, de nombreuses initiatives se développent pour réunir les Chrétiens de confessions de foi différentes. Des catholiques et des anglicans cherchent notamment à se rapprocher. Ils espèrent parvenir à leur réintégration dans l’Église. Très préoccupé de l’unité des Chrétiens, Léon XIII expose dans l’encyclique Satis Cognitum la doctrine catholique sur l’Unité de l’Église dans le but d'encadrer et de guider les travaux œcuméniques catholiques. 

L’Église étant une par nature, toute recherche d’unité des Chrétiens doit passer par leur réintégration et leur maintien dans l’Église. Comme l’unité de l’Église se repose sur l’unité de foi, de gouvernement et de charité, les chrétiens séparés ne peuvent revenir dans l’Église que s’ils adhèrent à son enseignement et se soumettent à son autorité, notamment au Pape. En clair, ils doivent abandonner l’hérésie ou le schisme dans lesquels ils sont. Tel est l’enseignement catholique que rappelle clairement Léon XIII.
Les tentatives pour réintégrer les anglicans ou des chrétiens orientaux échouent au XIXe siècle. De nombreux efforts sont encore menés de la part des catholiques pour rapprocher et unir les Chrétiens. Après la seconde guerre mondiale, les protestants poursuivent leurs mouvements œcuméniques et créent des organisations internationales très structurées. Il est indéniable que ce désir d’unité est aussi fort dans l’Église catholique. Il marque la deuxième partie du XXe siècle.
Cependant, ce mouvement semble s’essouffler lorsqu’arrive le deuxième millénaire. Pour le réveiller, le Pape Jean-Paul II publie en 1995 une encyclique sur l’engagement œcuménique, intitulé Ut Unum sint. « Le Christ appelle tous ses disciples à l'unité. Le désir ardent qui m'anime est de renouveler aujourd'hui cette invitation et de la reprendre résolument. »(1)
Nous allons présenter cette encyclique selon un plan légèrement différent du document. Après avoir exposé les motifs qui exigent la recherche de l’unité des Chrétiens et qui expliquent les dissensions, nous allons décrire les moyens préconisés par Jean-Paul II pour obtenir cette unité puis les résultats obtenus depuis le Concile de Vatican II et enfin proposer les axes de travail pour poursuivre les progrès constatés. Nous exposerons ensuite les points plutôt doctrinaux de l’encyclique concernant l’unité de la foi et l’unité de gouvernement avant de terminer par la doctrine sur la communion …
Les exigences de l’unité des Chrétiens
L'unité des Chrétiens, selon le Pape Jean-Paul II, est « constituée par les liens de la profession de foi, des sacrements et de la communion hiérarchique. »(10). Elle n’est pas seulement physique, c’est-à-dire le rassemblement des fidèles, ajoutés les uns à côtés des autres. Les Chrétiens sont un car ils sont unis en Dieu, vivant de la vie éternelle.

Toujours, selon le Pape Jean-Paul II, tous les catholiques doivent travailler pour unir les Chrétiens car la division s’oppose à la volonté de Dieu. Notre Seigneur Jésus-Christ est venu unir ses enfants. Par conséquent, les catholiques doivent s’opposer à tout ce qui les divise et favoriser tout ce qui les rapproche
L’unité des Chrétiens est aussi présentée comme une exigence face aux nombreux mouvements antichrétiens. Toute division est source de faiblesse. Face à l’ennemi, il faut se présenter unis.
Elle est en outre une nécessité pour répandre la foi. Il faut « abattre les murs de division et de défiance », « surmonter les obstacles et les préjugés qui empêchent d'annoncer l'Évangile du Salut par la Croix de Jésus, unique Rédempteur de l'homme, de tout homme »(2).
Et de nos jours, nous demande Jean-Paul II, est-il encore possible de ne pas s’engager dans le mouvement œcuménique ? Car nous dit-il, « au Concile Vatican II, l'Église catholique s'est engagée de manière irréversible à prendre la voie de la recherche œcuménique, se mettant ainsi à l'écoute de l'Esprit du Seigneur qui apprend à lire attentivement les « signes des temps ». »(3) Notre époque serait encore propice pour l’unité des Chrétiens. Il faut donc ne pas hésiter à s’y lancer. C’est pourquoi le second Concile de Vatican « exhorte tous les fidèles catholiques à reconnaître les signes des temps et à prendre une part active à l'action œcuménique ».
Finalement, selon Jean-Paul II, « l'Église catholique considère dans l'espérance l'engagement œcuménique comme un impératif de la conscience chrétienne éclairée par la foi et guidée par la charité. »(8)
Les raisons des divisions
Le Pape Jean-Paul II n’ignore pas les divergences doctrinales qui séparent les Chrétiens. Il félicite par ailleurs les progrès entrepris dans la recherche de ces points de désunion. « Les dialogues théologiques interconfessionnels ont donné des fruits positifs et tangibles : cela nous encourage à aller de l'avant. »(2)
Cependant, il rappelle que les divisions des Chrétiens persistent à cause du « poids des atavismes et de l'incompréhension qu'ils ont hérités du passé, des malentendus et des préjugés des uns à l'égard des autres. » Toute recherche d’unité passe donc par un rapprochement et une connaissance mutuelle, par « une purification de la mémoire historique. »(2) Effectivement, dans l’histoire, des divisions se sont produites non pour des raisons doctrinales ou disciplinaires mais pour des causes proprement humaines. L’exemple le plus caractéristique est le schisme de l’Église orthodoxe. À l’origine, ce sont bien des raisons essentiellement politiques et culturelles qui provoquent la séparation des Occidentaux et des Orientaux sans oublier les querelles de personnes. Les différences doctrinales n’ont été que des prétextes...
Le Pape, meneur de l’œcuménisme
Jean-Paul II définit la mission particulière du Pape dans le mouvement œcuménique en tant que successeur de Saint Pierre. « En notre époque œcuménique, marquée par le Concile Vatican II, l'Évêque de Rome remplit en particulier la mission de rappeler l'exigence de la pleine communion des disciples du Christ. »(4) 

Nous pensons que ce message est probablement une des nouveautés du XXe siècle. Certes les Papes qui ont précédé Jean-Paul II ont toujours été soucieux de l’Unité des Chrétiens, développant et favorisant les rapprochements. Léon XIII en est un exemple mais il n’a pas été le premier. Le Concile de Latran II et le Concile de Florence ont établi des unions avec des Orthodoxes, des Arméniens et des Jacobites, établissant notamment les églises uniates. La recherche de l’unité des Chrétiens est un combat que mène l’Église depuis ses origines ! Croire qu’elle n'a commencé que par le Concile de Vatican II est une prétention insupportable…
Mais à partir du Pape Jean XXIII, les Papes s’engagent pleinement dans le mouvement œcuménique moderne [2]. Depuis le XIXe siècle, il est plutôt mené par des initiatives privées, individuelles, plus ou moins soutenues par Vatican. Et c’est bien le second concile de Vatican qui a entrepris officiellement ce « processus », cet « élan œcuménique ». Les Papes en prennent ouvertement la tête. Car selon Jean-Paul II, le mouvement œcuménique fait partie intégrante de l’Église. Il « doit par conséquent pénétrer tout cet ensemble et être comme le fruit d'un arbre qui, sain et luxuriant, grandit jusqu'à ce qu'il atteigne son plein développement. »(20) Il est même considéré comme le centre de l’œuvre de Notre Seigneur Jésus-Christ.
Ainsi « les deux Codes de Droit canonique placent parmi les responsabilités de l'Évêque celle de promouvoir l'unité de tous les chrétiens, soutenant toute action ou initiative destinée à la promouvoir, conscient que l'Église y est tenue de par la volonté même du Christ. »(101) Cependant, la mission dévolue au Pape n’exclut pas les fidèles d’y participer. « Le souci de restaurer l'unité concerne toute l'Église, tant les fidèles que les pasteurs, et touche chacun selon ses capacités propres. »(101)
Conversion et prière dans l’œcuménicité

Reprenant encore les leçons du second concile de Vatican, Jean-Paul II rappelle l’exigence de la conversion intérieure dans la recherche de l’unité. Il y a une interdépendance entre la sanctification et le mouvement œcuménique. Toute avancée dans cette recherche manifeste un progrès dans la sanctification comme le fait de mieux vivre selon la foi et de faire pénitence conduit à rechercher l’unité des Chrétiens. « Cette conversion du cœur et cette sainteté de vie, en même temps que les prières privées et publiques pour l'unité des chrétiens, sont à regarder comme l'âme de tout le mouvement œcuménique et peuvent être à bon droit appelées œcuménisme spirituel »(21).
Jean-Paul II souligne l’importance de la prière commune. La prière doit être « l'« âme » du renouveau œcuménique et de l'aspiration à l'unité »(28). Elle peut être source d’unité comme elle peut exprimer et confirmer l’unité. « Sur la route œcuménique de l'unité, la priorité revient certainement à la prière commune, à l'union orante de ceux qui se rassemblent autour du Christ lui-même. Si, malgré leurs divisions, les chrétiens savent toujours plus s'unir dans une prière commune autour du Christ, alors se développera leur conscience des limites de ce qui les divise en comparaison de ce qui les unit. » (22) La prière œcuménique nous révèle davantage l’unité de l’Église. Elle nous permet de retrouver la « dimension fondamentale de la fraternité dans le Christ » (26).
Le dialogue œcuménique
Tout mouvement œcuménique passe aussi par le dialogue, défini comme « échange d’idées » et « échange de dons », qui engage l’individu, selon une conception existentielle.
Le dialogue est un des moyens pour rechercher mutuellement la vérité. Et dès qu’elle est trouvée, il est alors nécessaire d’y adhérer fermement. Il a aussi pour rôle de mieux faire connaître « une estime plus juste de la doctrine et de la vie de chacune des Communautés »(32). Enfin, troisième vertu du dialogue, elle permet d’examiner sa fidélité envers Notre Seigneur Jésus-Christ et donc de se réformer. Il développe l’esprit de conversion qui passe par une reconnaissance de notre état de pécheur. C’est pourquoi la prière « en devient le fruit, d'une manière toujours plus accomplie »(33). Ainsi le dialogue n’est pas simplement un dialogue horizontal entre individus ou communautés mais également vertical en faveur de notre réconciliation avec Notre Seigneur Jésus-Christ.
Critères du dialogue
Pour œuvrer en faveur de l’unité, il faut entamer le dialogue et éviter tout antagonisme, toute manifestation d’hostilité. « Il faut passer d'une position d'antagonisme et de conflit à une position où l'un et l'autre se reconnaissent mutuellement comme des partenaires. »(29) Le préalable de tout dialogue est la reconnaissance de la bonne foi chez l’autre. « Quand on commence à dialoguer, chacune des parties doit présupposer une volonté de réconciliation chez son interlocuteur, une volonté d'unité dans la vérité. »(29)
Le dialogue consiste aussi à rechercher les divergences entre les communautés dans l’amour de la vérité et dans l’humilité. « Sans cet amour, il serait impossible d'aborder les difficultés objectives d'ordre théologique, culturel, psychologique et social que l'on rencontre dans l'examen des divergences. »(36)  « L'esprit de charité et d'humilité doit être inséparablement associé à cette dimension intérieure et personnelle : charité envers l'interlocuteur, humilité devant la vérité que l'on découvre et qui pourrait demander la révision de certaines affirmations ou de certaines attitudes. »(36)

Cela nécessite d’exposer fidèlement la doctrine en s'adaptant à l’individu selon « les catégories mentales et de l'expérience historique concrète de l'autre ». Jean-Paul II parle de loyauté et de droiture. Par conséquent, il ne faut pas dissimuler ou atténuer les points doctrinaux qui divisent. La recherche de l’unité ne doit pas conduire à des solutions qui évitent l’étude des points sérieux de division. Elles conduiront à l’échec puisqu’ils réapparaîtront nécessairement « en d'autres temps, sous la même forme ou sous un autre visage. »(36) Jean-Paul II définit alors les références pour traiter les divergences : 

  • la Sainte Écriture ;
  • la « grande Tradition de l’Église »(39). 

Les catholiques sont en outre aidés par « le Magistère toujours vivant de l’Église »(39).
Enfin, le dialogue passe par des structures ecclésiales et des méthodes. Il est mené par des « experts convenablement informés » (30).
L’encyclique souligne encore l’efficacité de la prière. « Une prière plus profonde et plus lucide permet au dialogue de donner des fruits plus abondants.»(33)
Mais selon Jean-Paul II, l’œcuménisme « va bien au-delà d'un geste de courtoisie œcuménique et constitue une affirmation ecclésiologique fondamentale »(42), c’est-à-dire plus précisément dans la reconnaissance du baptême
Point de situation de l’œcuménicité

Jean-Paul II décrit les résultats obtenus par le mouvement œcuménique : 

  • un changement de mentalité, notamment par l’élaboration d’un nouveau vocabulaire ; 
  • des actions concrètes de fraternité, rendant plus efficace l’influence chrétienne dans la société, surtout lorsque cette dernière piétine les droits et les besoins de tous : prêt d’édifice de culte, bourses d’étude pour la formation des ministres, intervention auprès des autorités pour défendre des chrétiens, opposition aux calomnies, apaisement des conflits, etc. ;  
  • l’élaboration d’une bible œcuménique, dont les traductions « sont l'œuvre de spécialistes, fournissent généralement un fondement sûr pour la prière et pour l'activité pastorale de tous les disciples du Christ »(44) ; 
  • le renouveau liturgique et une meilleure compréhension de l’histoire et du sens de la liturgie ; 
  • la participation aux mêmes sacrements si les conditions requises sont réalisées. Jean-Paul II rappelle notamment que « les divergences dans la foi » ne permettent pas la concélébration liturgique et que les « autres chrétiens qui ne sont pas en pleine communion avec l'Église catholique, mais qui désirent ardemment les recevoir, qui les demandent librement et qui partagent la foi que l'Église catholique confesse dans ces sacrements »(46) ;  
  • la « réduction du contentieux traditionnel »(49) par la prise de conscience des points que partagent les chrétiens, de la valeur de leur témoignage et de leur fidélité à l’égard du Christ, « témoignage commun de sainteté, comme fidélité à l'unique Seigneur» (48).
Constats avec les autres communautés
Jean-Paul II évoque ensuite les progrès établis avec les Églises d’Orient, notamment avec le Patriarche de Constantinople. Il les définit comme étant des Églises sœurs, c’est-à-dire les « Églises particulières ou locales rassemblées autour de leur Évêque »(56). Il présente la « doctrine des Églises sœurs » comme solution pour parvenir à la pleine communion. En soulignant l’unité de foi, il ne précise pas exactement ce qui divise. Jean-Paul II semble évoquer un point d’achoppement : l’unité de gouvernement, c’est-à-dire la reconnaissance de la primauté du Pape.
Concernant le protestantisme et autres confessions issues de la Réforme, Jean-Paul II rappelle le constat plutôt amer du Concile de Vatican II, c’est-à-dire les échecs des mouvements œcuméniques. « Il faut reconnaître qu'entre ces Églises et Communautés, d'une part, et l'Église catholique, d'autre part, il existe des différences d'une grande importance non seulement d'ordre historique, sociologique, psychologique et culturel, mais surtout dans l'interprétation de la vérité révélée. »(64) Cependant, l’importance de ces divergences est relativisée. « Les « divergences » évoquées plus haut, malgré leur importance, n'excluent donc pas les influences réciproques ni la complémentarité. »(65) Jean-Paul II rappelle ensuite les événements qui marquent un progrès dans la recherche de l’unité. Un dialogue a été instauré et menée selon le programme établi par le Concile de Vatican II.
Le chemin encore à parcourir
Selon Jean-Paul II, « les progrès déjà accomplis dans notre connaissance mutuelle et les convergences doctrinales atteintes ont pour conséquence un approfondissement affectif et effectif de la communion »(77). Cela peut paraître cependant insatisfaisant pour les Chrétiens. Car « le but ultime du mouvement œcuménique est le rétablissement de la pleine unité visible de tous les baptisés. »(77) Cette communion n’est possible que dans l’adhésion à la vérité, c’est-à-dire « l'héritage transmis par les Apôtres ». Elle sera pleinement réalisée lorsque tous pourront communier. « De cette unité fondamentale, mais partielle, il faut maintenant passer à une unité visible, nécessaire et suffisante, qui s'inscrive dans la réalité concrète, afin que les Églises réalisent véritablement le signe de la pleine communion dans l'Église une, sainte, catholique et apostolique qui s'exprimera dans la concélébration eucharistique. »(78)
Jean-Paul II définit les points à travailler : les relations entre « la Sainte Écriture, autorité suprême en matière de foi, et la sainte Tradition, interprétation indispensable de la Parole de Dieu et la foi »(79), l’Eucharistie, l’ordination, le Magistère de l’Église et la Vierge Marie.
Il définit aussi les erreurs à éviter : le faux irénisme, l’indifférence aux normes de l’Église, la tiédeur et le pessimisme. 

Il souligne l’exigence de la vérité, en rappelant de nouveau qu’il ne faut pas « s'accommoder de semblants de solutions qui n'aboutiraient à rien de stable ou de solide. »(79) 

Enfin, il rappelle que le jugement définitif n’appartient qu’à l’autorité enseignante.
La question de l’unité de foi
Jean-Paul II réaffirme avec fermeté que l’unité des Chrétiens repose sur l’unité de la foi. « L'unité voulue par Dieu ne peut se réaliser que dans l'adhésion commune à la totalité du contenu révélé de la foi. En matière de foi, le compromis est en contradiction avec Dieu qui est Vérité. » (18) Cependant les données de la foi doivent être traduites de manière à être entendues. La vérité est une mais diverses sont les formes dans laquelle elle s'exprime. « Et la rénovation des formes d'expression devient nécessaire pour transmettre à l'homme d'aujourd'hui le message évangélique dans son sens immuable. »(19) Ce travail d'adaptation est donc essentiel pour l’œcuménisme. À plusieurs reprises, il reviendra sur ce sujet.
Conformément au décret Unitatis redintegrati, Jean-Paul II rappelle que les formulations doctrinales sont réparties selon une hiérarchie qui les répartit selon le degré de « véracité » ou d’assentiment. Toutes n’ont pas la même valeur.
En outre, tout en étant différentes, les formulations peuvent avoir des contenus identiques. Jean-Paul II prend soin de rappeler que les formulations dogmatiques demeurent exactes et que leur contenu exprime la vérité de manière absolue, comme le définit la déclaration Mysterium Ecclesiæ : « Les vérités que l'Église entend réellement enseigner par ses formules dogmatiques sont sans doute distinctes des conceptions changeantes propres à une époque déterminée ; mais il n'est pas exclu qu'elles soient éventuellement formulées, même par le Magistère, en des termes qui portent des traces de telles conceptions. Tout considéré, on doit dire que les formules dogmatiques du Magistère ont été aptes dès le début à communiquer la vérité révélée et que, demeurant inchangées, elles la communiqueront toujours à ceux qui les interpréteront bien ». Il s’agit donc d’interpréter correctement les vérités exprimées en prenant en compte les conceptions de son interlocuteur sans s’arrêter sur une lecture partielle de la vérité.
La question de la primauté du Pape
L’encyclique se termine par la difficulté que représentent les « convictions » de l’Église catholique concernant la primauté du Pape. Il se félicite que ce sujet soit « devenu un objet d'études, en cours ou en projet […]  comme un thème essentiel non seulement dans les dialogues théologiques que l'Église catholique poursuit avec les autres Églises et Communautés ecclésiales, mais aussi plus généralement dans l'ensemble du mouvement œcuménique. »(89)
Après avoir évoqué tous les motifs justifiant la primauté du Pape, Jean-Paul II rappelle que « toutes les Églises sont en pleine et visible communion, parce que les Pasteurs sont en communion avec Pierre et sont ainsi dans l'unité du Christ. Par le pouvoir et l'autorité sans lesquels cette fonction serait illusoire, l'Évêque de Rome doit assurer la communion de toutes les Églises. »(94)
Il définit le périmètre de la primauté : « vigilance dans la transmission de la Parole […] sur la célébration sacramentelle et liturgique, sur la discipline, la vie chrétienne ». Il est gardien et témoin de la vérité. « Il revient au Successeur de Pierre de rappeler les exigences du bien commun de l'Église, au cas où quelqu'un serait tenté de le négliger au profit de ses propres intérêts. Il a le devoir d'avertir, de mettre en garde, de déclarer parfois inconciliable avec l'unité de la foi telle ou telle opinion qui se répand. »(94)
Mais face aux inquiétudes des autres confessions chrétiennes et aux difficultés que représente la doctrine relative à la primauté du Pape, de nombreuses requêtes demandent au Pape une nouvelle « forme d'exercice de la primauté ouverte à une situation nouvelle, mais sans renoncement aucun à l'essentiel de sa mission »(95). Jean-Paul II justifie alors de nouveau la primauté du Pape en montrant qu’elle est nécessaire pour l’unité des Chrétiens et par « le désir d'obéir vraiment à la volonté du Christ »(95). L’histoire du premier millénaire montre en effet que les chrétiens « étaient unis par la communion fraternelle dans la foi et la vie sacramentelle, le Siège romain intervenant d'un commun accord, si des différends au sujet de la foi ou de la discipline s'élevaient entre elles »(95).
Jean-Paul II revient finalement sur la condition nécessaire de la communion pleine et entière. « L'Église catholique, dans sa praxis comme dans ses textes officiels, soutient que la communion des Églises particulières avec l'Église de Rome, et de leurs Évêques avec l'Évêque de Rome, est une condition essentielle — selon le dessein de Dieu — de la communion pleine et visible. »(96)
« Communion réelle » des églises
Suivant l’enseignement du second concile de Vatican, Jean-Paul II reprend la théorie de la communion réelle :

  • « l'unique Église du Christ est présente [1] dans l'Église catholique »(86), selon la constitution Lumen Gentium et le décret Unitatis redintegratio 
  • la plénitude des moyens de salut est présente dans l’Église catholique selon le décret Unitatis redintegratio ; 
  • la pleine unité se réalisera lorsque tous participeront à la plénitude des moyens du salut que le Christ a confiés à son Église.
Jean-Paul II rappelle aussi que « parmi toutes les Églises et Communautés ecclésiales, l'Église catholique a conscience d'avoir conservé le ministère du successeur de l'Apôtre Pierre, l'Évêque de Rome, que Dieu a institué comme « le principe et le fondement permanents et visibles de l'unité » que l'Esprit assiste afin que tous les autres bénéficient de ce bien essentiel », qu’elle est convaincue de demeurer « fidèle à la tradition apostolique et à la foi des Pères », et de conserver « le signe visible et le garant de l'unité dans le ministère de l'Évêque de Rome »(88). Il présente ces convictions comme des difficultés pour la plupart des autres chrétiens.
L’Église du Christ serait-elle alors l’assemblage des différentes églises ? Non, répond Jean-Paul II. Elle est déjà donnée depuis la Pentecôte. « Les éléments de cette Église déjà donnée existent, unis dans toute leur plénitude, dans l'Église catholique et, sans cette plénitude, dans les autres Communautés où certains aspects du mystère chrétien ont parfois été mieux mis en lumière » (14)
Jean-Paul II définit donc le but de l’œcuménisme : « faire progresser la communion partielle existant entre les Chrétiens pour arriver à la pleine communion dans la vérité et la charité. » (14)
Hors de l’Église, point de salut ?
Mais si l’Église catholique détient seule tous les biens que son fondateur a donnés à l'Église, « les Églises et les Communautés séparées elles-mêmes, même si nous croyons qu'elles souffrent de déficiences, ne sont nullement dépourvues de signification et de valeur dans le mystère du salut. En effet, l'Esprit du Christ ne refuse pas de se servir d'elles comme de moyens de salut, dont la vertu dérive de la plénitude même de grâce et de vérité qui a été confiée à l'Église catholique. »
Dans les communautés séparées, il existe, selon toujours Jean-Paul II, des éléments de sanctification et de vérité mais de manière imparfaite. Ils constitueraient même « la base objective de la communion qui existe, même imparfaitement, entre elles et l'Église catholique. » (11) Le second Concile de Vatican parle de communion réelle car il y a  « présence active de l’unique Église du Christ en elles » (11) même si la communion est imparfaite. Ainsi pouvons-nous les appeler frères car « justifiés par la foi dans le Baptême, ils sont incorporés au Christ, ont à bon droit l'honneur de porter le nom de chrétiens ».
Ainsi par cette « communion réelle », les « frères séparés » peuvent se sauver. « Chez nos frères séparés s'accomplissent aussi de nombreuses actions sacrées de la religion chrétienne qui, de diverses manières selon les différentes conditions de chacune des Églises ou Communautés, peuvent sans nul doute produire effectivement la vie de grâce, et il faut dire qu'elles sont aptes à donner accès à la communion du salut ».
Finalement, il est possible de se sauver hors de l’Église catholique. « En dehors des limites de la communauté catholique, il n'y pas un vide ecclésial. De nombreux éléments de grande valeur qui, dans l'Église catholique, s'intègrent dans la plénitude des moyens de salut et des dons de grâce qui font l'Église, se trouvent aussi dans les autres Communautés chrétiennes. » (13)
Quelques points importants à relever
Contrairement à la constitution Lumen Gentium, l’encyclique de Jean-Paul II souligne l’unité de foi comme principe de l’unité des Chrétiens. Ses paroles sont suffisamment claires. Tout réductionnisme, concordisme ou compromission sont vivement condamnés. Cela nécessite donc de professer clairement les vérités de foi afin d’éviter tout malentendu.
Encore plus claire que le texte du Concile de Vatican II, l’encyclique rappelle que toute recherche de l’unité des Chrétiens doit nécessairement passer par l’étude des divergences et des divisions. Certes, il faut s’appuyer sur ce qui unit mais croire que le mouvement œcuménique peut se fonder uniquement sur ces rapprochements est voué à l’échec. Jean-Paul précise que l’un des points d’achoppement demeure la primauté du Pape.
Il rappelle que certaines divisions n’auraient pas dû entraîner une rupture d’unité, leurs causes étant purement historiques ou liées à des querelles de personnes. Ainsi faut-il dépasser ces questions, « purifier notre mémoire »

Jean-Paul II rappelle aussi que toutes « les vérités » n’ont pas toutes la même valeur comme l’a toujours enseigné l’Église. Il y a bien une hiérarchie de valeur. La division peut provenir d’une confusion de valeur, mettant tout au même plan. 

Enfin, il faut présenter le dogme de manière à ce qu’il soit compris selon l’enseignement de l’Église. Cependant, s’il faut effectivement distinguer le sens du dogme et sa formulation, il ne faut pas oublier que la formulation du dogme demeure toujours valable et efficace.
Dans le rappel des différentes causes de division, Jean-Paul II n’évoque guère les raisons religieuses ou les différentes conceptions religieuses qui ont conduit à la rupture, notamment les différentes conceptions de la foi et du salut, de l’Église. Il n’évoque que les causes purement humaines, historiques.
Puis, Jean-Paul II rappelle l’importance de la prière et de la conversion pour mener à bien la recherche de l’unité des Chrétiens. Cependant, la prière ne peut être utile que si elle est entendue de Dieu. La prière ne doit pas être réduite à un instrument d’unité mais être un appel fervent à Dieu. Car Lui-seul peut faire entendre ce que nous ne voulons point entendre.
Enfin, dernier point, Jean-Paul II revient longuement sur l’importance de la visibilité de l’unité des Chrétiens, c’est-à-dire sur la communion eucharistique. Mais cette communion nécessite une unité de foi, de gouvernement et de charité…
Mais…
Jean-Paul II rappelle aussi la doctrine rapidement affirmée dans la constitution Lumen Gentium tout en l’approfondissant. Il affirme clairement, selon nous, qu’hors de l’Église, dans les communautés chrétiennes séparées, il est possible de se sauver en raison même de ces communautés tout en précisant que l’Église catholique a les moyens de salut en plénitude. La théorie de la communion réelle n'est pas acceptable...

Ainsi tout en cherchant à encadrer le mouvement œcuménique dans un sens plus catholique, Jean-Paul II poursuit le chemin qu'a ouvert le second Concile de Vatican, chemin innovant dans l'Eglise, chemin qui mène, nous en doutons pas, à l'erreur et à l'échec.


Notes et références
[1] Rappelons que la constitution Lumen Gentium dit que « l’Église subsiste dans l’Église catholique ». Voir Émeraude, juillet article "Mouvement œcuménique : expression "subsistit in" dans Lumen Gentium".
[2] Voir Émeraude, mai 2016, article "L’œcuménisme".

vendredi 19 août 2016

Le Concile de Vatican II : le décret de l'oecuménisme

Le Concile de Vatican II a pour but de faire entrer l’Église catholique dans le mouvement œcuménique au sens moderne du terme. Lors des discours d'ouverture, les Papes Jean XXIII puis Paul VI affirment la ferme volonté de travailler à l’Unité des Chrétiens. La constitution dogmatique Lumen Gentium est un des textes fondateur de cette nouvelle politique. Elle définit ce qu’est l’Église et ce que sont les églises et communautés chrétiennes par rapport à l’Église et à l’Église catholique[1]. Un autre texte traite plus précisément l’œcuménisme. Il est la continuation de Lumen Gentium. C’est le décret Unitatis Redingratio[2], promulgué le 21 novembre 1964. Remarquons qu’il est le premier texte officiel entièrement consacré à ce sujet.

Aider les chrétiens à œuvrer pour l’œcuménisme

Le décret rappelle la division des Chrétiens qui tous professent leur fidélité à l’égard de Notre Seigneur Jésus-Christ tout en ayant des attitudes différentes. Les conséquences sont évidentes. Une telle division est pour le monde un objet de scandale et se présente comme un obstacle à la prédication de l’Évangile. Elle s’oppose évidemment à la volonté de Notre Seigneur Jésus-Christ.

Mais selon toujours le décret, le contexte est favorable pour faire cesser ces divisions. Dieu « a commencé en ces derniers temps de répandre plus abondamment dans les chrétiens divisés entre eux l’esprit de repentir et le désir de l’union. »(1) Cette grâce serait la cause des mouvements œcuméniques.

Le texte a donc pour but d’aider les catholiques à participer au vaste mouvement œcuménique qui se manifeste dans le monde. Il propose plus exactement « les secours, les orientations et les moyens qui lui permettront à eux-mêmes de répondre à cet appel divin de la grâce. »(1)

Qu’est-ce que le mouvement œcuménique ?

Le décret définit « mouvement œcuménique » comme le mouvement vers l’unité de tous les Chrétiens, ou encore « les entreprises et les initiatives provoquées et organisées en faveur de l’unité des chrétiens, selon les nécessités variées de l’Église et selon les circonstances. »(4)

Ce mouvement ne comprend pas tous les Chrétiens. Il concerne uniquement « ceux qui invoquent le Dieu Trinité et confessent Jésus pour Seigneur et Sauveur »(1), qu’ils soient individus ou réunis en communautés. Ils aspirent aussi à une Église une et universelle.

Les principes de l’œcuménisme

Le premier chapitre définit les principes de l’œcuménisme. Il rappelle d’abord l’unité de l’Église. Elle est l’œuvre de Notre Seigneur Jésus-Christ qui en demeure aussi le principe. Il a institué le sacrement de l’Eucharistie qui l’exprime et la réalise. Il a fondé l’Église pour unir le peuple de la Nouvelle Alliance. Le Saint Esprit réalise la communion des fidèles et les unit dans le Christ, œuvrant pour construire le Corps du Christ, pour « établir en tout lieu son Église sainte jusqu’à la consommation des siècles »(2), Notre Seigneur Jésus-Christ a édifié l’Église sur Saint Pierre, porteur des clefs du Royaume. Il réalise l’unité de l’Église par la profession d’une seule foi, par la célébration commune d’un même culte, par la charité.

Œuvrer à la « pleine communion »

Cependant, le décret rappelle que, dès l’origine et au cours du temps, sont apparues des scissions et des divisions au sein du christianisme. Certaines d’entre elles persistent encore de nos jours.

Le décret traite des chrétiens qui sont nés dans les communautés chrétiennes séparées de « la pleine communion » de l’Église catholique. En effet, il est important de distinguer ceux qui se sont séparés de l’Église et ceux qui sont nés dans la division.

Or « ceux qui croient au Christ et qui ont reçu validement le baptême se trouvent dans une certaine communion, bien qu’imparfaite, avec l’Église catholique. »(3) Le mouvement œcuménique tend alors à surmonter les divergences qui font obstacle à « la pleine communion ». « Justifiés par la foi reçue au baptême, incorporés au Christ, ils portent à juste titre le nom de chrétiens et les fils de l’Église catholique les reconnaissent à bon droit comme des frères dans le Seigneur. »(3) Le décret justifie ainsi le terme aujourd’hui classique de « frère séparé ».

Les « frères séparés » sont ainsi incorporés au Christ sans être pourtant incorporés à l’Église catholique. Nous en déduisons donc que l’Église catholique ne forme pas le Corps du Christ. Nous retrouvons la fameuse doctrine de la constitution dogmatique Lumen Gentium selon laquelle l’Église subsiste dans l’Église catholique.

Le retour de la doctrine « subsiste dans »

Les liens qu’évoquent brièvement Lumen Gentium pour justifier la communion imparfaite entre les chrétiens sont précisés dans le décret. En effet, l’Église catholique, dans ses limites visibles, ne possède pas seule des éléments et des biens « desquels l’Église se construit et est vivifiée » comme « la parole de Dieu écrite, la vie de la grâce, la foi, l’espérance », etc. Ces éléments présents ailleurs sont « plusieurs et même beaucoup, et de grande valeur »(3). Parmi ces biens, se trouvent des dons de l’Esprit Saint. Tout cela appartient à l’unique Église du Christ. Cependant, le décret rappellera que les églises ou communautés des frères séparés sont « victimes de déficiences »(3).

Que désigne la forme visible de l’Église catholique ? Selon le décret, il rassemble ceux qui sont incorporés à l’Église catholique par le baptême. Il est différent du « cœur » de l’Église qui est formé par ceux qui sont unis à Notre Seigneur Jésus-Christ. La plénitude des grâces se situent donc dans ce cœur. Le décret rappelle en effet que « la plénitude de grâce et de vérité […] a été confiée à l’Église catholique. »(3) L’Église catholique possède les « moyens généraux du salut »(3).

Or le culte « chez nos frères séparés » peut « produire effectivement la vie de la grâce […] qu’ils ouvrent l’entrée de la communion du salut. ». En clair, par leur culte, les frères séparés pourraient appartenir au cœur de l’Église. Mais remarquons qu’ils peuvent obtenir des grâces non directement par Notre Seigneur Jésus-Christ mais par le culte lui-même comme dans l’Église catholique. Selon la doctrine de l’Église, le chrétien séparé peut en effet recevoir des grâces mais jamais en raison de la religion à laquelle il appartient. Elle ne peut être la cause des grâces qu’il reçoit. Nous pourrions dire qu’il reçoit des grâces malgré elle. Comme nous l’avons déjà évoqué[3], avant le concile de Vatican II, l’Église évoque le sort du chrétien quand le concile traite plutôt du sort des églises et communautés. Nous ne sommes pas dans la même perspective.

C’est pourquoi en toute logique le décret en déduit que « ces Églises et communautés séparées […] ne sont nullement dépourvues de signification et de valeur dans le mystère de salut. »(3) Les églises et communautés séparées seraient des moyens au service de Notre Seigneur Jésus-Christ pour sauver des fidèles séparés. Néanmoins, le décret souligne que la force du salut provient de l’Église catholique. Sa cause ou son efficacité – le terme de force est plutôt flou - ne réside pas dans ces Églises et communautés séparées.

Cependant, en dépit de la valeur de ces églises et communautés, les frères séparés ne jouissent pas de l’unité voulue par le Christ puisqu’ils n’appartiennent pas à l’Église catholique qui seule a été édifiée pour cela.

Un œcuménisme concret

Le concile demande aux catholiques de reconnaître « les signes du temps », c’est-à-dire ce temps de grâces pour l’unité des Chrétiens, et à y participer. Ce temps favorable est fortement souligné dans les textes conciliaires comme dans les documents post-conciliaires, notamment ceux de Jean-Paul II. Le décret définit ensuite les actions la favorisant ou évitant d’accentuer la division.

De manière pratique, cela consiste :

  •          à supprimer tout ce qui peut marquer un manque de respect et de justice à l’égard des frères séparés ;
  •          à faire mener les « dialogues » par des experts et à présenter de manière claire la doctrine de sa communauté ;
  •          à s’unir dans des actions et des prières en commun ;
  •          à faire un examen de conscience pour un effort soutenu de rénovation et de réforme.

Il s’agit ainsi de faire croître la connaissance et l’estime mutuelle tout en évitant d’accentuer les tensions qui peuvent exister avec les frères séparés. Le but est de parvenir à la communion eucharistique.

L’œcuménicité passe aussi par l’exemplarité des catholiques. Ils doivent tendre vers la perfection « de sorte que l’Église, portant dans son corps l’humilité et la mortification de Jésus, se purifie et se renouvelle »(4) jusqu’à l’arrivée de Notre Seigneur Jésus-Christ.

« Il faut avant tout cultiver la charité. »(4) Le décret demande aux catholiques, selon la fonction qu’ils occupent, de « conserver la liberté voulue » au sein de l’Église notamment dans la variété des rites théologiques et même dans l’élaboration théologique de la vérité révélée, tout « en conservant l’unité dans ce qui est nécessaire ». Nous pouvons aujourd’hui comprendre ce que peut faire cette « liberté » livrée à elle-même dans un cadre œcuménique. Cependant, à plusieurs reprises, le décret demande de la prudence.

Les catholiques doivent aussi reconnaître les richesses chrétiennes qui se trouvent chez les frères séparés.

Les différents exercices œcuméniques

Le décret nous donne les exercices classiques du mouvement œcuménique : la conversion, la prière en commun, dit encore « œcuménisme spirituel », la connaissance mutuelle et la formation (« œcuménisme intellectuel »). Plus loin, il évoque l’ « œcuménisme pragmatique », c’est-à-dire la collaboration des chrétiens dans des œuvres sociales, charitables, etc.





Cependant, ces exercices réclament de la prudence. La prière commune nécessite des instructions de la part des évêques ou du Saint Siège. Ce n’est pas un « moyen à employer sans réserve »(8). Pour mieux connaître les autres religions, les catholiques doivent les étudier avec « loyauté et bienveillance ». Ils peuvent se réunir avec les frères séparés mais « sous la vigilance des évêques »(9) et sous condition qu’ils soient compétents. Les prêtres doivent être particulièrement formés.

Présentation de la doctrine de la foi

S’il demande que la présentation de la doctrine de la foi ne soit pas un obstacle au dialogue avec les frères séparés en évitant notamment des termes polémiques, le décret demande qu’elle soit exposée intégralement, sans « faux irénisme »(11). Il faut utiliser « une manière de parler et un langage qui soient facilement accessibles même aux frères séparés. »(11) Les textes conciliaires en sont un parfait exemple.

Présentation des frères séparés

Le décret s’achève en présentant les deux catégories de frères séparés, les Orientaux et les Protestants. Il souligne les biens qui se trouvent dans leurs églises sans négliger les différences qui les séparent des Catholiques. Le but est bien de « souligner certains points qui peuvent et doivent servir de base et de point de départ au dialogue »(19). C’est l’application des conseils donnés précédemment.

Conclusion

L’ « activité œcuménique ne peut être, en effet que pleinement et sincèrement catholique, c’est-à-dire fidèle à la vérité reçue des Apôtres et des Pères, et conforme à la foi que l’Église catholique a toujours professée. »(24) Tout ne serait donc qu’objet de forme et d’attitude. Mais le fond est-il vraiment dépendant de la forme ? Que devient cet esprit œcuménique s’il n’est pas guidé par la prudence et la vigilance ? Que devient le mouvement œcuménique quand le dialogue en devient une fin ?

Essayons loyalement d'examiner ce temps de dialogue. Au nom du mouvement œcuménique, des mots ont été censurés, des doctrines bâillonnées, des traditions bafouées. Des gestes ont soulevé des cœurs et scandalisé des âmes. Des images demeurent encore vivaces dans nos mémoires. La réalité est aujourd’hui terrible. Les années qui ont suivi le second concile de Vatican font partie de ces années noires de l’Église, que les générations futures regarderont certainement avec honte… Péché d’optimisme ? Utopisme ? Naïveté ? Les textes conciliaires ont certainement manqué de rigueur et de clarté. Il n’est pas bon d’être si équivoque et imprécis dans des domaines si difficiles et importants. Le Saint Siège a aussi manqué de force et d’autorité pour contrôler ce qu’il a naïvement ouvert. La prudence et la vigilance ont cruellement manqué…




Notes et références  
[1] Voir Émeraude, juillet 2016, article "Le Concile de Vatican II: Lumen Gentium, source d'interrogation et d’inquiétude".
[2] Décret de Oecumenismo, Unitatis Redintegratio, texte latin dans les Acta Apostolicae Sedis (1965) et dans les Constitutiones, Decreta, Declarationes, traduction établie par le Secrétariat pour l’Unité des Chrétien et publié par l’Observatore Romano (édition française), le 11 décembre 1964 dans Vatican II, Les seize documents conciliaires, nouvelle édition, édition Fides.
[3] Voir Émeraude, juillet 2016, article "Mouvement œcuménique expression "subsistit in" dans Lumen Gentium".

samedi 13 août 2016

L'Eglise, corps mystique du Christ dans l'encyclique de Pie XII, Mysticis Corpis (1943)

Il ne peut y avoir qu’un seul Sauveur, qu’une seule Église. Et pourtant, que d’églises prétendues chrétiennes ! Le message proclamé et la réalité de la division des Chrétiens sont de véritables obstacles à la conversion de nombreuses âmes en quête de Dieu. Le mouvement œcuménique tente de répondre à ce problème difficile.

L’Église, une et catholique

Comme l’exprime si fortement Saint Cyprien, évêque de Carthage, l’Église est par nature une et indivise selon la volonté même de son fondateur, Notre Seigneur Jésus-Christ. Cette vérité est reprise par d’autres Pères de l’Église et par les Papes, notamment au XIXe siècle. Et dans notre profession de foi, nous proclamons cette unité. Sa catholicité est une autre note de l’Église, que nous reconnaissons également dans notre Credo. L’Église est accessible à tous, partout et en tout temps, sans aucune discrimination. Elle est donc naturellement marquée par la diversité. L’unité et la catholicité sont deux des signes[1] qui nous permettent de reconnaître l’Église de Notre Seigneur Jésus-Christ. Nous ne pouvons pas séparer l’une del’autre. C’est notamment par ces signes associés que nous pouvons identifier la véritable Église.


Pour exprimer cette réalité, une et diverse dans ses membres, nous comparons souvent l’Église à un corps. Le corps est en effet composé de membres divers, et pourtant, il demeure un. De même, diverse dans le temps et dans l’espace, l’Église demeure une. Elle ne se réduit pas au temps présent comme à une contrée ou à une civilisation, encore moins à une culture. Nous appartenons donc à la même Église qu’à celle des premiers martyrs ou qu’aux lointains chrétiens australiens. Elle est une depuis que Notre Seigneur Jésus-Christ l’a fondée. Elle est une en dépit du temps et donc de son histoire. Elle est une malgré son expansion sur la terre.

L’unité de l’Église se fonde notamment sur l’unité de foi. Cela signifie que tous les membres de l’Église professent la même foi. Ainsi la foi ne peut évoluer ni avec le temps, ni avec la langue ou la culture dans laquelle elle s’exprime, même si les formules qui la portent peuvent évoluer sans jamais la trahir. 

L’unité de l’Église se fonde aussi sur l’unité de gouvernement. Cette dernière n’est possible que par la succession légitime de Saint Pierre et des Apôtres et par la communion entre les évêques au Pape.

Face à la division des Chrétiens

Cependant, devant la multitude des églises et des communautés qui prétendent être l’Église du Christ ou revendiquer leur véracité et leur légitimité, notre contemporain peut être troublé et les rejeter toutes, ne sachant comment distinguer le vrai du faux. Ou encore il peut demeurer dans l'indifférence, ce qui revient au même.

L’autre attitude face la multiplicité des églises et communautés chrétiennes est de les considérer toutes comme une des expressions de la véritable Église, chacune étant finalement vraie selon un certain regard. Mais elles se différencient tellement sur des choses essentielles que cette solution s’avère vite insoutenable.

Nous pourrions aussi croire que l’Église n’est finalement que l’ensemble de ces églises et communautés. Que deviennent alors l’Unité et l’Indivisibilité de l’Église ? Elles ne deviennent plus qu’un objectif et non une réalité déjà présente. Telle est parfois l’idée de certains mouvements œcuméniques. Remarquons qu’elle est adaptée à une œcuménicité perçue comme une union des églises reconnues chacune sur un même pied d’égalité. Certains pensent qu’en dépit de leurs différences, les différentes églises et communautés sont liées par des liens spirituels, invisibles.

Une autre solution est de voir chacune des églises ou communautés comme une réalisation plus ou moins parfaite ou achevée de l’Église. Deux solutions sont alors possibles. Soit l’Église est en fait une fin à atteindre, chacune tendant à la réaliser. Dans ce cas, chaque église ou communauté est une réalisation plus ou moins proche d’une Église à construire. Soit l’Église existe déjà de façon invisible au sens où aucune église ou communauté ne parvienne encore à la réaliser pleinement. Chacune des églises et communautés cherchent donc à l’atteindre. Dans les deux cas, il est inutile de chercher à réintégrer des Chrétiens dans l’Église mais il est plutôt nécessaire d’unir les églises et les communautés.

Enfin, la dernière solution est de croire qu’il existe déjà une seule Église, bien visible et concrète, les autres églises et communautés étant hors de l’Église. L’unité des Chrétiens passe alors par leur réintégration dans l’Église. Cette dernière solution est celle qu’enseignait clairement l’Église catholique avant le second Concile de Vatican, l’Église catholique s’identifiant pleinement à l’Église du Christ.

Poursuivre l’œuvre de Notre Seigneur Jésus-Christ

Rappelons les raisons qui ont conduit à la fondation de l’Église. Elle a été fondée pour perpétuer la mission de Notre Seigneur Jésus-Christ. Il est venu sauver tous les hommes comme un pasteur à la recherche de ses brebis égarées. Après son Ascension, des brebis restent encore à chercher, des fils prodigues à accueillir, des filles de mauvaise vie à pardonner, des hypocrites à dénoncer. Son œuvre se perpétue alors par l’Église. Pie XII nous rappelle que par son sacrifice sur la Croix, Il a notamment voulu communiquer ses grâces aux hommes par l’intermédiaire d’« une Église visible, qui grouperait les hommes ; et cela pour leur permettre d'être, par elle, ses coopérateurs dans la distribution des fruits de la Rédemption. »

L’Église est un corps

Pour mieux décrire ce qu’elle est, l’Église catholique a développé une doctrine, celle du Corps mystique de Jésus-Christ. Pie XII nous la rappelle dans son encyclique Mystici Corporis Christi[2]

Soulignons que l'encyclique rappelle que « les communautés particulières de chrétiens, tant orientales que latines […] forment ensemble une seule Église catholique. » Il rappelle également que l’expression « corps mystique du Christ » n’est pas une innovation. Elle est déjà présente dans la Sainte Écriture.

L’idée du corps porte plusieurs réalités. Il exprime

  • l’unité des membres pourtant diverses ;
  • la visibilité de l’Église

L’Église est bien concrète et accessible aux sens. Cela s’oppose à l’idée d’une Église composée de plusieurs églises reliées par des liens invisibles, spirituels.

Dans un corps, la faiblesse ou la souffrance d’un membre a des conséquences sur les autres membres. Nous voyons régulièrement dans notre vie quotidienne l’interdépendance de nos membres. « Si, dans notre organisme mortel, lorsqu'un membre souffre, tous les autres souffrent avec lui, les membres sains prêtant leur secours aux malades, de même dans l'Église, chaque membre ne vit pas uniquement pour lui, mais il assiste aussi les autres, et tous s'aident réciproquement, pour leur mutuelle consolation aussi bien que pour un meilleur développement de tout le corps. »

L’idée du corps exprime aussi l’idée de la diversité des fonctions des membres le constituant. S’ils ne font pas tous la même chose, ils concourent néanmoins à une chose qui les dépasse et qui fait que le corps fonctionne. « De même que nous avons plusieurs membres dans un même corps, et que tous les membres n'ont pas la même fonction, ainsi, nous qui sommes plusieurs, nous ne faisons qu'un seul corps dans le Christ, et chacun en particulier, nous sommes membres les uns des autres. » Cette diversité s’exprime dans la hiérarchie ecclésiastique et dans le choix de vivre sa foi (vie religieuse contemplative, active, mariage, etc.).

Comme notre corps, l’Église a besoin de ressources et de soin pour qu’elle se maintienne et se développe. « Comme le corps humain se trouve muni de moyens propres pour pourvoir à sa vie, à sa santé, au développement de chacun de ses membres, de même le Sauveur du genre humain, dans son infinie bonté, a pourvu son Corps mystique de moyens merveilleux en l'enrichissant de sacrements qui doivent soutenir les membres, comme par des degrés de grâce ininterrompus, depuis le berceau jusqu'au dernier soupir, et subvenir de même abondamment aux nécessités sociales de tout le Corps. » Les sacrements répondent aux nécessités de l’Église afin qu’elle poursuive son œuvre dans le temps et l’espace.

Les membres de l’Église

Mais qui sont les membres de l’Église ? « Au sens plein de l'expression, seuls font partie des membres de l'Église 

  • ceux qui ont reçu le baptême de régénération et 
  • professent la vraie foi ». 

Ainsi croyons-nous en un seul baptême. Pie XII précise aussi qu’ils « ne se sont pas pour leur malheur séparés de l'ensemble du Corps, ou n'en ont pas été retranchés pour des fautes très graves par l'autorité légitime. » Un membre peut donc être séparé ou retranché du corps. Dans son encyclique, Pie XII nous rappelle donc qu’il y a deux possibilités de se détacher de l’Église, soit par séparation, soit par retranchement. Dans le premier cas, le membre se détache de lui-même. C’est le cas lorsqu’il adhère à une hérésie ou à un schisme ou lorsqu’il apostasie. Dans le deuxième cas, « l’autorité légitime » le punit en l’excluant de l’Église. Or comme l’expriment Notre Seigneur Jésus-Christ et ses apôtres, tout membre détaché du corps est voué à la mort.

Les membres de l’Église ne sont pas tous saints. L’Église n’est pas en effet constituée de saints. « Qu'on n'imagine pas non plus que le Corps de l'Église, ayant l'honneur de porter le nom du Christ, ne se compose, dès le temps de son pèlerinage terrestre, que de membres éminents en sainteté, ou ne comprend que le groupe de ceux qui sont prédestinés par Dieu au bonheur éternel. » Elle comprend aussi des pécheurs. Mais la vie qui anime le corps coule encore en eux. Ainsi « tant que le membre est encore attaché au corps, il ne faut pas désespérer de sa santé ; mais s'il en est retranché, il ne peut plus ni être soigné ni être guéri. »

Rappelons encore que comme un corps, l’Église est visible. « Le Corps du Christ doit être un corps visible ». L’accord de tous ses membres « se manifeste aussi extérieurement, par la profession d'une même foi, mais aussi par la communion des mêmes mystères, par la participation au même sacrifice, enfin par la mise en pratique et l'observance des mêmes loi », sans oublier la manifestation visible d’un même chef aux yeux de tous. Ce sont des liens, dits juridiques, bien visibles et concrets. S’ajoutent aussi des liens supérieurs que sont la foi, l’espérance et la charité, liens qui unissent les membres avec Dieu.

Notre Seigneur Jésus-Christ, la tête de l’Église

Comme tout corps, l’Église a besoin d’une tête. C’est Notre Seigneur Jésus-Christ. Pie XII rappelle dans son encyclique les raisons qui légitiment son statut. D’abord pour une raison historique, Notre Seigneur Jésus-Christ l’a fondée par l’œuvre de la Rédemption qu’Il a réalisée, par sa mort offerte pour nous. « La mission dite juridique de l'Église, son pouvoir d'enseigner, de gouverner et d'administrer les sacrements, n'ont de vigueur et d'efficacité surnaturelle pour édifier le Corps du Christ que parce que le Christ sur la Croix a ouvert à son Église la source des dons divins, grâce auxquels elle peut enseigner aux hommes une doctrine infaillible, les diriger utilement par des pasteurs éclairés de Dieu et les inonder de la pluie de ses grâces surnaturelles. » Après son Ascension, Notre Seigneur Jésus-Christ l’a ensuite consolidée le jour de la Pentecôte par la venue du Saint Esprit. N’oublions pas non plus qu’Il a choisit Saint Pierre et les autres apôtres, leur demandant de répandre son enseignement.

Par les œuvres qu’Il a accomplies et par sa nature, Notre Seigneur Jésus-Christ mérite d’être à la tête de l’Église. Durant sa vie ici-bas, Il a dirigé et enseigné ses Apôtres. Il s’affirme comme notre Maître, notre Pasteur, notre Roi. Il leur a donné les pouvoirs d’enseigner, de gouverner et de conduire les hommes à la sainteté. Et ces pouvoirs, Il les garde encore. Il donne la lumière à toute l’Église et infuse la lumière de la foi à toutes les intelligences. Il est l’auteur et l’artisan de la sainteté. « De lui dérivent dans le Corps de l'Église toute lumière par laquelle Dieu illumine les croyants, et toute grâce qui les rend saints comme lui-même est saint. »  Il prend non seulement soin des individus mais aussi de l’Église. « Le divin Rédempteur gouverne son Corps mystique visiblement et ordinairement par son Vicaire sur la terre. » Notre Seigneur Jésus-Christ et son Vicaire, c’est-à-dire le Pape, ne forment qu’une seule tête.

Notre Seigneur Jésus-Christ est ainsi « la Tête, dont tout le Corps, bien ordonné et composé, reçoit sa croissance et son développement en vue de sa parfaite constitution. » Il est évident que nous avons besoin de Notre Seigneur Jésus-Christ comme Lui-même a dit : « sans moi vous ne pouvez rien faire ». Et tout dérive de Lui. « Toutefois il ne faut pas penser que le Christ étant la Tête, occupant une place si élevée, ne requiert pas l'aide de son Corps. » C’est bien à ses membres qu’Il a demandé de répandre la Parole de Salut. Un grand nombre d’âmes dépend aussi des prières et des sacrifices des autres membres du corps.

Le Christ est l’Église

« Il ne faut pas expliquer cette expression de Corps du Christ seulement par le fait que le Christ doit être appelé la Tête de son Corps mystique, mais aussi par le fait qu'il soutient l'Église, qu'il vit dans l'Église, si bien que celle-ci est comme une autre personne du Christ[ …], en ce sens que notre Sauveur communique à son Église des biens qui lui sont tout à fait propres, pour qu'elle reproduise dans tout son mode de vivre, aussi bien visible que caché, avec toute la perfection possible, l'image du Christ. […] C’est bien Lui qui, par l'Église, baptise, enseigne, gouverne, lie, délie, offre, sacrifie. »

Ainsi Notre Seigneur Jésus-Christ fait vivre l’Église de sa vie surnaturelle, la pénètre et alimente chacun de ses membres. Il a lui-même exprimé cette réalité en évoquant la vigne nourrissant les serments. Il Lui donne le Saint Esprit. « Son Esprit est communiqué à l'Église avec profusion, pour qu'elle-même et chacun de ses membres soient de plus en plus conformés à notre Sauveur. » Et cet Esprit relie les membres aussi bien entre eux qu’avec la Tête. C’est Lui qui insuffle la vie surnaturelle dans tous les membres. Il est ainsi le principe vital de toute action vitale et vraiment salutaire. « Qu'il suffise d'affirmer que, si le Christ est la Tête de l'Église, le Saint-Esprit en est l'âme. »[3]

Ainsi « c'est par cette même communication de l'Esprit du Christ qu'il se fait que l'Église est comme la plénitude et le complément du Rédempteur ; car tous les dons, toutes les vertus, tous les charismes qui se trouvent éminemment, abondamment et efficacement dans le Chef dérivent dans tous les membres de l'Église et s'y perfectionnent de jour en jour selon la place de chacun dans le Corps mystique de Jésus-Christ : ainsi peut-on dire d'une certaine façon que le Christ se complète à tous égards dans l'Église. »

Différences avec les corps physique et moral



Mais l’Église n’est pas un corps comme un autre. Dans un corps physique, les membres manquent de subsistance propre, les liens les unissant étant très forts. Ils ne vivent pas par eux-mêmes. Dans le Corps mystique, chaque membre jouit de sa personnalité propre même si les liens qui les relient sont profonds, « intimes ».

En outre, dans un corps physique, les membres sont unis pour l’intérêt du corps. Dans une société, la fin est l’intérêt de tous et de chacun. L’Église est ordonnée aux biens de ses membres. « Comme le Fils du Père éternel est descendu du ciel pour le salut éternel de nous tous, ainsi il a fondé ce Corps qu'est l'Église et il l'a enrichi de l'Esprit divin pour donner aux âmes immortelles le moyen d'atteindre leur bonheur. » L’Église est aussi destinée à la gloire de Dieu.

Dans un corps moral, « il n'y a pas d'autre principe d'unité que la fin commune et, au moyen de l'autorité sociale, la commune poursuite de cette même fin ». Dans l’Église, s’ajoute un autre principe, plus excellent, présent aussi bien dans le tout que dans ses parties. Ce principe d’unité est le Saint Esprit. Il est « un et unique, remplit toute l'Église et en fait l'unité »[4].

« L'Église […] doit être regardée comme une société parfaite en son genre ». Elle « n'est pas seulement composée d'éléments et de principes sociaux et juridiques. Elle surpasse, et de beaucoup, toutes les autres communautés humaines ». Et cette supériorité est de l’ordre surnaturel. « Ce qui élève la société chrétienne à un degré qui dépasse absolument tout l'ordre de la nature, c'est l'Esprit de notre Rédempteur qui, comme source des grâces, des dons et de tous les charismes, remplit à jamais et intimement l'Église et y exerce son activité. »

Certes, Notre Seigneur a voulu que parmi ses membres se trouvent des pécheurs. « Ce n'est cependant pas à l’Église qu'il faut reprocher les faiblesses et les blessures de certains de ses membres, au nom desquels elle-même demande à Dieu tous les jours : Pardonnez-nous nos offenses, et au salut spirituel desquels elle se consacre sans relâche, avec toute la force de son amour maternel. » Prenant conscience de la nature de l’Église, ses membres doivent alors se rappeler les paroles de Saint Léon : « Reconnais, ô chrétien, ta dignité ; et, entré en participation de la nature divine, veille à ne pas retomber par une conduite indigne dans ton ancienne bassesse : souviens-toi de quelle Tête et de quel Corps tu es le membre ! »[5]

« C'est le Christ, en effet, qui vit dans son Église, c'est lui qui, par elle, enseigne, gouverne et communique la sainteté ; c'est le Christ aussi qui se manifeste de façon diverse dans les divers membres de sa société. Dès lors donc que les chrétiens s'efforcent de vivre réellement de ce vivant esprit de foi. »

Et les autres églises ?

Pie XII n’oublie pas les chrétiens séparés. Il prie pour leur retour à l’Église catholique. Il rappelle que « même si, par un certain désir et souhait inconscient, ils se trouvent ordonnés au Corps mystique du Rédempteur, ils sont privés de tant et de si grands secours et faveurs célestes, dont on ne peut jouir que dans l'Église catholique. » Il rappelle clairement que les biens célestes ne peuvent être reçus que dans l’Église catholique. Il parle en outre d’une possibilité d’ordonnancement à l’Église, et non d’union ou de communion. Et cette réintégration ne peut que se faire librement et de plein gré.

Conclusion

Dans l'encyclique Mysticis Corporis, Pie XII reprend la doctrine traditionnelle de l’Église définie comme le Corps, mystique de Notre Seigneur Jésus-Christ. Cette définition instructive et pertinente donne une idée claire de ce qu’est l’Église et de ce qu’elle n’est pas. Elle a aussi l’avantage d’insister sur la visibilité de l’Église et sur les relations concrètes qui doivent exister entre ses membres. Elle s’oppose à l’idée d’une Église à atteindre ou à construire, d’une Église à plusieurs faces ou réalisations. En outre, Pie XII identifie clairement l’Église que Notre Seigneur Jésus-Christ a fondée et l’Église catholique


Cette définition de l’Église a aussi le mérite de traduire l’unité et la catholicité de l’Église, deux notes qui permettent de la reconnaître. Ainsi elle est bien utile pour répondre aux questions que peut soulever la multiplicité des églises et communautés chrétiennes. Elle est enfin indispensable dans la recherche de l’unité des Chrétiens.

Enfin, le Pape n’oublie pas de préciser les limites de l’image du corps. L’Église est une société surnaturelle, la plus parfaite qui soit, fondée en vue du salut des hommes et pour la plus grande gloire de Dieu. Par sa nature divine et par sa fin, elle dépasse ce qui peut exister ici-bas. 








Notes et références

[1] Les deux autres signes ou notes sont la sainteté et l’apostolicité.
[2] Toutes les citations, sauf précision, sont tirées de l’encyclique Mystici Corporis Christi sur le corps mystique de Jésus-Christ et sur notre union en lui avec le Christ, 29 juin 1943, www.vatican.va.
[3] Léon XIII, encyclique Divinum illud. Voir Émeraude, article
[4] Saint Thomas d’Aquin, De Veritate, q. 29, art. 4, c.
[5] Saint Léon, Sermo XXI, 3, PL 54, 192-1.