" La pierre précieuse, voire de grand prix aux yeux de certains, qu'est l'émeraude, se voit insultée par un morceau de verre habilement truqué, s'il ne se rencontre personne qui soit capable de procéder à un examen et de démasquer la faute. Et lorsque de l'airain a été mêlé à l'argent, qui donc, s'il n'est connaisseur, pourra aisément le vérifier ? "(Saint Irénée, Contre les hérésies)


samedi 31 août 2019

Laïcité : l'oeuvre de la révolution de 1789 ?


« La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale »[1]. C’est ainsi que la constitution de 1958 définit la France. Née au XIXe siècle, la laïcité est un des principes fondamentaux de notre nation. Pourtant, comme nous l’avons déjà écrit, aucun texte ne la définit strictement. Nous savons ce qu’elle contient, nous ne savons pas ce qu’elle est réellement. La constitution nous est bien inutile pour saisir ce qu’elle signifie. L’étude étymologique nous a montré toute la complexité de cette notion et plus encore son équivocité, ce qui génère confusion et malentendu[2]. Elle est à la fois exclusion et fédérateur d’unité. Elle se fonde sur la liberté de conscience ainsi que sur l’égalité religieuse mais également sur la neutralité. Est-il possible de s’appuyer sur des principes aussi peu compatibles ? Pourtant, selon l’Observatoire de la laïcité, la laïcité est le principe qui autorise toutes les convictions religieuses. Une telle définition, comme le discours d’où elle est extraite, oublie un point essentiel. Il est en effet difficile de parler de « laïcité » sans évoquer les lois qui ont fait que la république soit laïque. Car c’est bien l’État qui l’a imposée par le droit

La laïcité, œuvre de la révolution malgré elle

De nombreux articles et discours considèrent la laïcité comme un principe républicain né de la révolution de 1789. Elle ferait donc partie des valeurs que la France aurait héritées d’elle. La révolution en serait même le « premier mouvement laïque »[3]. Ils évoquent alors plusieurs de ses lois comme textes fondateurs de la laïcité.

Il est néanmoins osé de voir dans les premiers pas de la révolution française un mouvement laïc quand nous pensons à la triste et célèbre constitution civile du clergé. C’est sans-doute la première fois qu’un État ose intervenir directement et de manière si forte dans l’organisation de l’Église[4]. L’État a voulu créer et imposer une Église nationale de manière unilatérale, sans aucune concertation avec les autorités légitimes. C’est encore lui qui a exproprié les biens ecclésiastiques après avoir affirmé le caractère sacré et inviolable de la propriété, et en guise de dédommagement, a décidé de salarier les évêques et les prêtres, et de subventionner le culte.

Depuis le début, les députés n’ont pas caché leurs prétentions. Ils sont bien décidés à soumettre les religions, et surtout l’Église, à l’État. « Nous sommes une convention nationale. Nous avons assurément le pouvoir de changer la religion, mais nous ne le ferons pas. »[5] Ils ne gêneront pas, allant interdire les vœux religieux et supprimer les ordres religieux. Mieux encore, les révolutionnaires ont défini le culte de l’Être suprême ! Alors que l’Église n’a pas cessé de défendre la distinction des pouvoirs temporel et religieux, la révolution a bouleversé la société en les confondant. L’État a pris la place l’Église. Est-ce cela la laïcité ? Le siècle qui suivra subira les conséquences de cette faute énorme. En rompant avec le passé, la révolution a semé la division et la confusion. La laïcité est alors présentée comme un moyen de remédier aux désordres et de ramener la paix…

Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789

Revenons aux textes souvent décrits comme fondateurs de la laïcité. Le premier texte est la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. L’assemblée constituante l’a élaborée pour introduire la première constitution qu’elle est chargée d’écrire. Elle est en effet destinée à être une sorte de phare pour le législateur comme pour le citoyen. Mais contrairement à ce qui est communément affirmé et cru, elle n’a pas été votée, les députés ayant cessé de la rédiger pour se consacrer à la rédaction de la constitution. Elle est donc restée inachevée et n’a jamais eu de portée juridique. Les droits et les libertés qu’elles devaient affirmer sont finalement résumés dans l’article premier de la constitution.

La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen traite une fois de la religion dans son article 10 en affirmant la liberté de culte tout en ajoutant son encadrement strict par « l’ordre public établi par la loi ». L’exercice de culte est ainsi dépendant des décisions de l’État. Deux autres articles la touchent indirectement : la liberté et l’égalité de tous devant la loi (article 1er) et le principe de souveraineté qui réside uniquement dans la nation (article 3). Cet article 3 se termine par une affirmation lourde de conséquences : « nul corps, nul individu ne peut exercer d’autorité qui n’en émane expressément. » Le premier article impose donc l’égalité entre le clerc et le laïc en droit, ce qui supprime la distinction d’état et interdit désormais les tribunaux ecclésiastiques. Tous les chrétiens sont finalement citoyens avant d’être laïcs ou clercs. L’état civil prime donc sur l’état religieux. Le troisième article remet en cause le gouvernement de l’Église qui ne conçoit comme source d’autorité que Dieu uniquement. Pour le chrétien, Dieu est le premier servi. L’article 3 définit donc la nation comme origine directe de toute autorité.

Le décret du 18 septembre 1794 : la fin du budget des cultes

Le premier décret qui établit un principe cher à la laïcité est celui du 18 septembre 1794. Il stipule que « la république ne paie plus les frais ni les salaires d’aucun culte. »[6] Il faut en effet attendre 1794 pour avoir un premier texte de loi empreint de laïcité.

Quelles en sont en fait les motivations ? Le 18 septembre, Cambon, l’équivalent d’un ministre des finances, propose de résoudre les problèmes d’argent que l’État ne cesse de connaître. Il traite de la « question des frais de culte et des traitements des prêtres. » C’est une « charge énorme », une « dépense annuelle considérable »[7] sans pourtant apporter de chiffre. Son discours décrit les opinions religieuses comme occasionnant, « dans tous les temps », « des assassinats et des cruautés », comme versant « des flots de sang dans le dix-huit siècle ». Il justifie ses paroles par la guerre de Vendée. Puis, il explique les problèmes des administrations à appliquer les lois votées en raison de la division des prêtres entre « réfractaires » et « constitutionnelles ». Enfin, il revient sur la politique religieuse menée par Robespierre, sur le culte de l’Être suprême. Il met alors en garde les députés contre toute politique religieuse de l’État.

Sous prétexte de réduire les dépenses, de simplifier les démarches et de clarifier la situation administrative, Cambon propose que « la république ne paie plus les frais ni les salaires d’aucun culte. » En un mot, il n’est plus question pour l’État de dédommager l’Église des biens qui lui ont été enlevés. C’est aussi la fin de la constitution civile du clergé. Sa proposition est votée à l’unanimité.

Le décret du 21 février 1795 : la fin de toute société religieuse et de tout culte public

Plus tard, le 21 février 1795, un décret précise que « la République ne fournit aucun local, ni pour l’exercice d’un culte, ni pour le logement de ses ministres » après avoir rappelé que l’exercice du culte ne peut être troublé et que la république n’en salarie aucun. De nouveau, l’auteur de ce décret, Boissy d’Anglas, dénonce les persécutions commises par les religions mais aussi les fureurs de l’anticléricalisme et de la déchristianisation des révolutionnaires. Or le « maintien de l’ordre public » garantie la liberté des citoyens. Par conséquent, l’État ne peut que refuser « l’existence publique » à toute réunion d’hommes voulant constituer une organisation ou une secte. Boissy d’Anglas rejette donc toute organisation religieuse et ne conçoit « la religion que comme une opinion privée ». Aucun signe religieux ne doit être placé dans un lieu public. Aucun culte ne doit y avoir lieu. Les donations en faveur du culte sont interdites. La vie publique de toute religion est reniée.

Le décret du 22 août 1795 : liberté de culte garantie

Toujours la même année, le 22 août, la nouvelle constitution qui définit le Directoire expose deux articles sur les rapports entre l’État et les religions. L’article 354 garantit de nouveau la liberté de culte. « Nul ne peut être empêché d’exercer, en se conformant aux lois, le culte qu’il a choisi. » Cependant, ce principe n’est pas encore absolu. Il n’est aucunement un droit naturel. Mais l’État garantit que le culte se déroule dans le calme. Tout outrage ou insulte commis contre des objets, des lieux, des ministres de culte est punissable. Toute action contraignant des personnes à suivre un culte peut aussi faire objet de  sanction.

 « Nul ne peut être forcé de contribuer aux dépenses d’un culte. La République n’en salarie aucun. » Le financement d’une religion ne relève que de ses fidèles. L’article 353 revient sur la non-reconnaissance par la loi des vœux religieux et de tout engagement contraire aux droits naturels de l’homme. Ils n’ont aucune valeur pour l’État. Cependant, elle ne les interdit pas.

Loi du 29 septembre 1795 : refus de toute religion exclusif ou dominant

Boissy d'Anglas, (1756-1826)
Un des promoteurs de
la loi du 21 février 1795
La loi du 29 septembre 1795 confirme que « les lois ne statuent point sur ce qui est du domaine de la pensée »[8] et ne peuvent que vouloir maintenir l’ordre public. La religion se réduirait-elle à de la pensée ? Elle établit de nouveau le principe de liberté de conscience.

Cependant, l’intitulé du titre IV de cette même loi est significatif : « De la garantie contre tout culte qu’on tenterait de rendre exclusif ou dominant. » Les mesures définies ont pour but de « prévenir, arrêter ou punir tout ce qui tendrait à rendre un culte exclusif ou dominant et persécuteur ». Il s’agit bien sûr du culte catholique. L’intitulé du titre V est encore plus clair. Il définit les délits qui peuvent être commis par un abus de l’exercice du culte. Tout est finalement organisé pour réduire sa visibilité et son expansion. Le culte ne peut se faire qu’à l’intérieur des lieux qui lui sont consacrés. Les dotations sont encore interdites. Seul comptent les actes de l’état civil. Aucun affichage ni lecture religieuse écrit d’ « un ministre de culte résidant hors de France », c’est-à-dire le pape, ne peut être fait en dehors de ces lieux. Est-il encore possible de mener des actes d’apostolat ? Ainsi, les fidèles sont libres d’exercer leur culte uniquement dans les lieux qui leur sont consacrés. L’exercice du culte et tout ce qui se rattache à la religion sont strictement interdit dans un lieu public.

Que sont les abus de culte dont traite le titre V ? Ce sont les « discours, exhortations, prédications ou prières » ou tout écrit qui remettent en cause la république et ses symboles, par exemple les appels au rétablissement de la royauté, à la rébellion, à la destruction des arbres de la liberté, etc. Il est demandé au « ministre de culte » de prêter serment pour promettre obéissance et soumission aux lois de la république ainsi que la reconnaissance de la souveraineté de la nation.

Ainsi, la liberté de culte n’est point considérée comme un droit naturel. Elle est en effet restreinte aux enceintes religieuses. L’État la protège mais peut aussi intervenir, la restreindre ou l’interdire pour garantir l’ordre public. Cette liberté est donc soumise à des mesures de police. La loi ne fait pas de différence entre les cultes mais elle veille à ce qu’aucune religion ne soit dominante. Elle s’attaque surtout aux organisations religieuses, ne voyant dans la religion qu’une opinion, qu’une conviction personnelle. Il est évident que l’Église est principalement visée. L’État est-il alors vraiment neutre ? Aucunement. Cela ressemble plus à de la tolérance…

La révolution de 1789 : la séparation de l’État et de l’Église ?

Les révolutionnaires ont-ils proclamé la séparation de l’État et de l’Église ? Le célèbre décret de Cambon met fin à l’Église constitutionnelle, c’est-à-dire à une Église conçue par l’État comme une administration parmi tant d’autres. N’oublions pas qu’avant 1789, l’Église se finançait elle-même. C’est au moment où l’État s’est accaparé des biens ecclésiastiques et de la dîme qu’il l’a incorporée en lui. C’est à partir de ce moment que la question de séparation devient pertinente.

Le véritable premier point marquant de la révolution ne réside pas en cette séparation mais plutôt en la volonté de refuser toute religion dominante et de restreindre les religions dans la sphère privée. Il s’agit bien d’empêcher qu’une autorité religieuse ne puisse entraver l’autorité de l’État ou encore sa domination sur la société. La première cible est évidemment l’Église. En un mot, toute existence extérieure ou publique lui est interdite. Enfin, cette liberté confinée demeure soumise aux lois de l’État. Il peut intervenir, c’est-à-dire la restreindre, pour maintenir l’ordre public. Est-ce possible à l’Église et à un chrétien d’accepter une telle dépendance ?

Le second point marquant est ailleurs : l’état civil, qui remplace le registre paroissial et le divorce civil sans oublier le calendrier révolutionnaire. Là réside la véritable séparation, mêlant sécularisation et déchristianisation. Plus efficaces, ils ont profondément touché les consciences.

Conclusions

Déclaration des droits de l’Homme

(Estampe Niquet le jeune).
La laïcité comprend trois principes : la liberté et l’égalité religieuse ainsi que la neutralité de l’État en matière religieuse. Si la Déclaration des droits et des citoyens de 1789, restée sous forme de brouillon inachevé et sans valeur juridique, comporte la liberté des cultes sous condition, les lois et les décrets ont cherché à soumettre les cultes à l’État et à les restreindre dans les lieux dédiés au point de vouloir insérer les organisations religieuses dans l’État, surtout l’Église, comme une administration quelconque. Comment l’Église aurait-elle pu accepter une telle emprise ?

La révolution n’a pas appliqué la liberté religieuse. C’est un fait indéniable. Comment l’aurait-elle pu le faire quand elle prétend agir à sa guise avec les religions ? Celui qui demande aux députés de ne plus payer les cultes est aussi celui qui déclare que les députés peuvent les faire et les défaire. Mais, comment pouvons-nous en étonner lorsque depuis le XVe siècle, les politiques tentent d’enlever tout pouvoir à l’Église à leur seul profit ?

L’égalité religieuse est-elle appliquée ? Ce principe semble en effet suivi puisque tous, croyants ou incroyants, sont des citoyens avant tout. Mieux encore. Aucune religion ne doit prédominer. L’État garantit qu’aucune ne soit plus importante que sur une autre. Ainsi, faut-il diminuer le rôle et le pouvoir de l’Église d’où des mesures répressives et discriminatoires à son égard. Il ne s’agit donc pas d’égalité mais d’égalitarisme et de nivellement.

Enfin, le principe de neutralité n’est clairement pas appliqué tant les efforts sont innombrables pour rabaisser l’Église, pour déchristianiser la société et soumettre toute « organisation religieuse » aux lois que l’État a définies sans aucune concertation.

Ainsi, la révolution, qui a établi la république, a appliqué une politique religieuse agressive, interventionniste et destructrice à l’égard de l’Église. Après avoir voulu l’insérer dans l’appareil étatique, croyant alors la soumettre et l’utiliser à son profit, elle a cherché à se substituer à elle pour finalement l’abandonner après s’être emparé de ses sources de revenus. Contrairement à ce qui est souvent affirmé, les premiers pas de la république sont fortement marqués par l’intolérance religieuse dans le but de dominer sans partage la société et de former l’homme nouveau. Triomphe d’une idéologie ! La révolution ou la mort ! C’est donc bien la révolution qui a conduit à une terrible confusion entre temporel et religieux.

Après de telles fautes, le concordat de 1801 tente de rétablir la paix et l’ordre dans l’intérêt de tous. Le catholicisme est ainsi reconnu comme la religion de la majorité des Français. Or selon le principe même de la démocratie, cela revient à reconnaître la place particulière de l’Église, ce que n’admettent pas les révolutionnaires. Conscient du rôle social et politique de la religion comme fédérateur d’unité, Napoléon scelle une certaine alliance avec l’Église, alliance qui se maintient en dépit des changements de régimes. C’est ainsi qu’au XIXe siècle se pose la question de séparation entre l’État et l’Église, question qui n’avait aucun sens avant la révolution...



Notes et références
[1] 1er article de la constitution française de 1958.
[2] Voir Émeraude, août 2019, article « La laïcité ».
[3] Claudine Bassou Chpak, La laïcité est-elle un garant du fait démocratique ? Dans une situation didactique, la conscience de laïcité modifie-t-elle le processus d’apprentissage ?
[4] Voir Émeraude, juillet 2019, article « La constitution civile du clergé : un abus de pouvoir ».
[5] Camus, Moniteur, tome IV dans Histoire de l’anticléricalisme français, Alec Mellor, édition Mame, 1966.
[6] Décret du 18 septembre 1794, Article 1.
[7] Dans De la liberté cultuelle à la police des cultes : la première Séparation des Églises et de l’État en France, Christine Peyrard, Presses universitaires de Provence, OpenEdition Boo.
[8 ] Jean Génissieux (0749-1804), dans De la liberté cultuelle à la police des cultes : la première Séparation des Églises et de l’État en France, Christine Peyrard.

vendredi 23 août 2019

La laïcité


Aujourd’hui, en France, nous vivons dans un État laïc, ce qui signifie pour les uns l’indifférence de l’État en matière religieuse, pour les autres, la restriction de la religion à la sphère privée. Ainsi au nom de la laïcité, soit on demande au gouvernement de ne pas s’immiscer dans les religions tant qu’elles ne nuisent pas à l’ordre public, soit on lui demande d’intervenir pour mieux les encadrer et interdire leur manifestation dans la sphère publique.


Depuis quelques années, des événements réveillent régulièrement ce sujet et pendant quelques jours, selon l’ampleur de l’émotion provoquée, la laïcité devient la « une » des journaux en manque d’informations. Et de manière sempiternelle, ils reviennent sur la laïcité, ses origines, ses principes, ses difficultés, etc. La laïcité est ainsi évoquée pour interdire l’installation de crèches de Noël dans les mairies ou encore le port du foulard dans les écoles. Le développement de l’islam en France soulève surtout de sérieuses questions et semble remettre en cause le principe même de la laïcité. Comment peut-elle en effet avoir du sens dans une religion qui ignore la séparation du temporel et du religieux ou dans la société musulmane qui ne peut être que religieuse ? La laïcité est ainsi difficilement conciliable avec l’islam. Car évidemment, la laïcité n’est viable qu’à l’égard de religions qui savent et veut distinguer les domaines religieux et le temporel.

Le chrétien ne peut être indifférent aux difficultés que pose la laïcité. Il ne peut non plus ignorer ni ses origines ni ses principes. Il ne s’agit pas de réveiller les querelles qui ont tant divisé les chrétiens et la société pendant les deux derniers siècles et de s’égarer dans des débats bien inutiles. Il s’agit surtout de comprendre ce qu’elle signifie et de saisir l’essentiel au-delà des passions. Dans le cadre de notre étude sur les rapports entre les pouvoirs temporel et spirituel, ou encore entre l’Église et l’État, ce sujet nous paraît inéluctable.

La laïcité au sens gouvernemental

Dès l’article premier de notre constitution, il est dit que la France est « une République indivisible, laïque, démocratique et sociale ». Le terme de « laïque » vient immédiatement après l’unité de la Nation et son indivisibilité, et avant la nature du régime politique. C’est la seule fois que cet adjectif y est employé. Le terme de « laïcité » est en effet absent du texte. Pourtant, ce mot est omniprésent dans les discours qui évoquent la place de la religion dans l’État et la société.

L’Observatoire de la laïcité a été créé en 2007 pour assister le gouvernement dans son action visant au respect du principe de laïcité. Ses compétences s’étendent aussi à la formation de la laïcité dans le secteur public et à la gestion des faits religieux dans le secteur privé. Cet organisme gouvernemental propose les principes de la laïcité avant de la définir.« La laïcité repose sur trois principes et valeurs : la liberté de conscience et celle de manifester ses convictions dans les limites du respect de l’ordre public, la séparation des institutions publiques et des organisations religieuses, et l’égalité de tous devant la loi quelles que soient leurs croyances ou leurs convictions. »[1] Toujours selon ce discours, la laïcité garantit la liberté des expressions des convictions des croyants et des non-croyants, le libre exercice des cultes et la liberté des personnes à l’égard des religions ainsi que l’égalité des citoyens face à l’administration et au service public quelles que soient leurs convictions et leurs croyances. Enfin, elle suppose la séparation de l’État et des organisations religieuses, dont l’Église, et par conséquent de la neutralité de l’État, des administrations, des collectivités territoriales et des services publics en matière de religion. 

La laïcité se repose donc sur 
- la liberté de conscience;
- la liberté de culte ;
- la neutralité de l’Église en matière religieuse ;
- la séparation des Églises et de l’État ;
- l’égalité religieuse

Plus concrètement, cela signifie que l’État ne reconnaît ni ne salarie aucun culte et qu’il n’intervient pas dans le fonctionnement des organisations religieuses. Finalement, qu’est-ce que la laïcité ? « La laïcité n'est pas une opinion parmi d'autres mais la liberté d'en avoir une. Elle n'est pas une conviction mais le principe qui les autorise toutes, sous réserve du respect de l’ordre public. »[2]

La définition de la laïcité que nous donne l’État contient quelques difficultés, voire de véritables contradictions. Elle présente d’abord la laïcité comme la liberté d’avoir une opinion. Est-elle donc synonyme de liberté de conscience alors qu’elle repose sur elle comme l’affirme le même texte ? Le fait même d’affirmer qu’une croyance religieuse est une opinion revient à prendre position sur sa véracité et donc à ne pas être réellement neutre en dépit des déclarations. L’État peut-il en effet reconnaître une religion ou une organisation religieuse tout en affirmant garder sa neutralité ? Mais qu’est-ce qu’une religion ou une organisation religieuse ? Le texte ne fournit aucune définition qui nous permet de répondre à cette question. En outre, la laïcité ne se réduit pas à une liberté d’avoir une opinion. Elle va au-delà. Elle porte aussi sur la liberté d’exercice de culte et fonde ses limites. Elle peut donc restreindre les actes extérieurs d’une religion. Mieux encore, la laïcité serait « le principe qui les autorise toutes ». Toute religion sans distinction aurait droit de cité. Il est cependant difficile de croire que la liberté de croire et de pratiquer un culte dépend en fait de la laïcité. N’est-ce pas un droit naturel ? Or le terme d’« autoriser » nous renvoie à celui d’« autorité » et donc à un pouvoir qui l’exerce. Cela revient-il à dire implicitement qu’au nom de la laïcité, en tant que principe, l’État autorise l’ensemble des religions ? Mais peut-il prétendre à un tel droit ? En raison de toutes ces difficultés et contradictions, la définition de laïcité que nous donne l’Observatoire de la laïcité ne nous paraît guère satisfaisante.

Le terme de la laïcité

Le terme de « laïcité » est récent. Cela peut nous surprendre puisqu’il ne cesse d’être évoqué comme un des principes fondamentaux de la république. Mais, il est vrai que parfois les choses se réalisent avant qu’un nom leur soit donné. Il apparaît en effet la première fois dans un compte-rendu de délibération qui a eu lieu au conseil général de la Seine transmis par le journal La Patrie daté du 11 novembre 1871. Il nous rend compte qu’une proposition de supprimer tout enseignement religieux dans les écoles a été repoussée. Deux ans plus tard, en 1873, Larousse introduit le mot dans son encyclopédie. En 1877, c’est au tour de Littré.

Que disent nos dictionnaires actuels ? Selon Larousse, il s’agit d’« un système qui exclut les Églises de l’exercice du pouvoir politique ou administratif, et en particulier de l’enseignement [3]. Pour le centre national de ressources textuelles et lexicales (CNRTL), elle est le « principe de séparation dans l’État de la société civile et de la société religieuse »[4], l’indépendance des institutions publiques ou privées à l’égard du clergé et des Églises ou bien encore la « neutralité de l’État à l’égard des Églises et de toutes confessions religieuses ».

La laïcité définit donc des rapports entre l’État ou la société et toute religion. Ils se caractérisent par l’exclusion, la séparation ou par la neutralité, et finalement par l’indépendance. Ces termes ne sont guère compatibles. En effet, « la notion de laïcité n’est pas univoque »[5], comme le rappelle le vice-président du Conseil d’État en 2016. Elle porte de nombreuses sens et elle fait l’objet de multiple interprétations. Néanmoins, toutes ces définitions excluent tout rôle et pouvoir aux religions dans l’État et la société mais aussi à l’État à l’égard de toute religion.

Pour approfondir notre sujet, nous allons désormais nous intéresser à son étude étymologique. En ajoutant le suffit « ité » à un adjectif, on forme un nom abstrait exprimant la qualité de l’adjectif[6]. Par exemple, la vérité est ce qui est vrai. Ainsi le terme de « laïcité » devrait exprimer la qualité d’être « laïque ». Toute la difficulté repose donc sur le terme de « laïque ». Il est en effet possible de lui attribuer plusieurs sens.

« Laïcité » et « laïc »

Le premier sens possible nous renvoie au terme de « laïc » ou de l’ancien français « lay », ou encore « lai ». Il provient d’un mot latin « laicus », signifiant « ordinaire », « commun », et d’un mot grec « laikos » signifiant « du peuple ». À l’origine, il est utilisé pour désigner « le peuple de Dieu »[7], ce qui suppose un choix de Dieu. Dans des traductions chrétiennes et grecques de la Sainte Écriture du IIe siècle, il désigne les personnes qui n’exercent pas de fonction sacrée ou encore des biens qui ne sont pas consacrés à Dieu. Au Ier siècle, le pape Saint Clément (35-99) l’emploie à son tour pour désigner celui qui n’est pas prêtre. « Aux grands prêtres des fonctions particulières sont confiées, les prêtres ont leur place, les lévites leur service, les laïcs les obligations des laïcs. »[8]

Aujourd’hui, dans l’Église, le laïc désigne encore celui qui n’appartient pas au clergé, c’est-à-dire celui qui n’est pas ordonné. Selon le droit canon de 1983, « par institution divine, il y a dans l’Église, parmi les fidèles, les ministres sacrés qui en droit sont appelés clercs, et les autres qui sont appelés laïcs. »[9]. Ainsi, un moine peut être laïc. Un frère lai est ainsi un religieux qui n’est pas destiné à recevoir les ordres. Par l’ordination, le clerc n’est plus « ordinaire » ou n’est plus « du peuple » ; il est en effet consacré à Dieu. Le sacrement de l’ordre le retire en quelque sorte du « peuple » pour l’attacher au service divin. Ainsi pour l’Église, le terme de « laïc » est un mot distinctif. Dès qu’une personne devient chrétienne, elle est un laïc. Un clerc est donc un ancien laïc qui, après un choix, prend un nouvel état dans l’Église dès la réception du sacrement de l’ordre.

Finalement, le terme de « laïc » est propre au christianisme et dès son origine, il désigne les personnes qui n’occupent pas une fonction sacrée dans l’Église. Terme distinctif, il indique un des deux états possibles dans l’Église. Le terme est univoque et bien concret.

L’état de « laïc » n’est pas définitif, même s’il est le premier dans l’ordre chronologique. L’état de clerc peut aussi évoluer en celui de laïc, même si cela s’avère nettement plus rare. Un clerc peut en effet redevenir laïc par un indult de laïcisation. Le terme de « laïciser » existe aussi. Il désigne le fait de revenir à l’état laïque.

Au lieu de parler de « laïcisation », terme pourtant plus approprié, on parle souvent de « sécularisation ». Ce dernier vient du mot « séculier », c’est-à-dire celui qui vit dans le siècle ou dans le monde. Il s’oppose à « régulier », c’est-à-dire à celui qui vit conformément à une règle religieuse, émet des veux religieux ou encore vit hors du monde. Le terme de « sécularisation » concerne aussi bien les biens que les personnes. Ainsi, la sécularisation consiste à rendre « séculier » ce qui est « régulier »[10]. L’enseignement est par exemple dit sécularisé pour signifier qu’il ne relève plus de congrégation ou de communauté de réguliers. Dans un sens plus large, par sécularisation, on entend le transfert d’un bien d’Église dans le domaine public ou temporel. Le fait de séculariser une chose revient finalement à soustraire de l’Église un bien qui lui appartenait ou une fonction qu’elle exerçait. Il est dommageable de confondre ces deux termes, « laïcisation » et « sécularisation ». Une telle confusion tend en effet à opposer « laïc » et « religieux », ou encore à faire croire que le laïc n’appartient pas à l’Église.

« Laïcité » et « laïque »

Monument à Jules Ferry
Gustave Michel, jardin des Tuileries, Paris
L’adjectif « laïque » existe depuis le XVIIe siècle. Le dictionnaire de l’Académie française le définit comme équivalent à « séculier ». Mieux encore. Il précise qu’il est opposé à « clerc » et à « régulier ».  Dès cette époque, le terme de « laïque » apparaît comme une marque d’opposition entre les deux états. Mais sa définition a évolué. En 1762, il est défini par « qui n’est ni ecclésiastique, ni religieux », en 1835, « ni ecclésiastique, ni religieux, ni du clergé séculier, ni du clergé régulier ». En 1878, le terme est étendu aux biens. Ces définitions ne prennent pas en compte la distinction sacramentelle. En outre, elles ne définissent pas le laïc comme un chrétien. Avant le XIXe siècle, une telle absence paraît normale dans une société chrétienne. C’est plus difficile à entendre en 1835. Ainsi, les définitions du terme de « laïcité » tendent à nous faire croire que le laïque est finalement un profane.

Au XVIIIe siècle, apparaît le terme de « laïc », celui de « laïque » étant désormais réservé à sa forme adjectivale. Puis plus tard, le substantif « laïque » apparaît de nouveau pour désigner le partisan de la laïcité quand celui de « laïc » ne désigne qu’une personne non-clerc.

Depuis le XIXe siècle, le terme de « laïque » est souvent utilisé. Il exprime clairement le monde profane et de manière plus spécifique des positions anticléricales. L’anticléricalisme désigne une doctrine qui refuse la domination ou à l’influence des clercs dans une société.

Enfin en 1935, l’Académie rajoute une nouvelle définition au mot « laïque » : « il signifie aussi Qui est étranger à toute confession ou doctrine religieuse. Enseignement laïque. École laïque. Par extension, l'État laïque. Les lois laïques. Cérémonie laïque ».

Ainsi, le terme de « laïc » nous renvoie à une distinction d’état dans l’Église, distinction résultant d’un sacrement, celui de l’ordre, alors que celui de « laïque» marque plutôt une opposition à l’encontre des clercs mais aussi des religieux. Ce dernier englobe aussi le terme de « laïc ». Nous pouvons alors comprendre la difficulté que génèrent tant d’imprécision et de confusion. Elles génèrent des malentendus et favorisent les manipulations. La laïcité porte finalement cette ambivalence ainsi que la notion de confrontation au point que selon une historienne, spécialiste du sujet, « la laïcité, quoi qu’on en ait, est obligatoirement anticléricale»[11].

Laïcité, une arme contre l’Église ?

Le terme de « laïcité » révèle une opposition. Pour certains, il est « l’écho des tensions anciennes entre les laïcs et les clercs à l’intérieur du catholicisme. »[12] C’est bien le terme de « laïc » qui est utilisé par l’auteur. C’est usé d’un terme peu approprié, bien étranger finalement à la laïcité. Car en fait, cette tension ne concerne pas le laïc ou le clerc en tant que tel mais les autorités temporelle et religieuse, c’est-à-dire entre le seigneur et l’évêque, le prince et le pape. C’est un long conflit des uns pour réduire les pouvoirs de l’autre. Le terme de « laïcité »nous renvoie donc plutôt sur les luttes d’influence qui ont opposé les pouvoirs temporels et religieux telle que nous avons pu voir dans nos différents articles depuis mars 2018. Ces conflits ne relèvent pas du monde profane puisque les autorités temporelles en lutte contre les autorités ecclésiastiques appartiennent aussi à l’Église. Contrairement au XIXe siècle, l’État est chrétien et fidèle à l’Église. Une telle confusion est assez classique dans les discours et semble ainsi légitimer la laïcité en l’appuyant sur des faits historiques.

Depuis le début de notre étude, nous utilisons le terme « temporel ». Certes, dans certains dictionnaires, il est équivalent à « profane » mais cette équivalence n’est guère satisfaisante et elle entretient les anachronismes, sources de manipulation. Nous dirons plutôt que le terme de « temporel » regroupe tout ce qui ne relève pas du religieux ou du spirituel tout en intéressant la religion, les personnes et les biens. Le profane est tout ce qui étranger à la religion, séparé d’elle.

Dans son Encyclopédie, Diderot définit ainsi l’adjectif « laïque » : « en parlant des choses, se dit des biens ou de la puissance ; ainsi l'on dit biens laïques, pour exprimer des biens qui n'appartiennent pas aux églises. Puissance laïque, par opposition à la puissance spirituelle ou ecclésiastique. » L’exemple est significatif. Il nous renvoie encore aux combats menés par les empereurs et les rois pour réduire l’autorité de l’Église et plus concrètement celle du pape dans leur État. Il nous renvoie à la lutte d’influence qui a opposé l’État et l’Église.

Nous retrouvons encore cette notion de combat dans l’usage politique du terme de « laïque ». Lors d’un discours prononcé à la chambre en 1844, Guizot (1787-1874), ministre sous la monarchie de Juillet, utilise ce terme pour désigner la victoire de l’État sur l’Église. « L’État n’est point athée, mais l’État est laïque et doit rester laïque pour le salut de toutes les libertés que nous avons conquises. »[13] Il évoque les acquis des différentes révolutions, c’est-à-dire l’acquisition de droits au détriment notamment de l’Église. La laïcité est donc associée à la négation de droits que l’Église a possédés ou des fonctions qu’elle a exercées. Cela nous renvoie de nouveau au conflit de pouvoir, qui marque les rapports entre l’Église et l’État, rapport exacerbé au temps de la révolution.

Le poids de l’idéologie

Ce discours d’opposition persiste dans certains articles actuels traitant de la laïcité. Ils reviennent inéluctablement au temps précédent la révolution, c’est-à-dire à l’Ancien Régime. Ils évoquent alors une société dominée ou fortement influencée par l’Église, ou encore l’« emprise que l’Église exerçait sur les esprits et les constitutions »[14] Bernard Henri Lévy est encore plus radical. « Qui dit laïcité dit : émancipation des sujets par rapport aux disciplines et carcans religieux, donc liberté. Qui dit laïcité dit : mise à distance, au sein de l’espace public, de toutes les appartenances spirituelles ou communautaires, donc égalité. Qui dit laïcité dit : construction d’un espace citoyen où hommes et femmes communient quelles que soient leurs croyances et leur foi, donc fraternité. La laïcité […] n’est pas un élément parmi d’autres de la pensée républicaine, c’est sa devise. Ce n’est pas un corollaire de la démocratie […], c’est son principe. »[15] Le discours n’est pas innovant. Ferdinand Buisson (1841-1932) précise dans son dictionnaire que toutes les autorités étaient subordonnées à « une autorité unique, celle de la religion »[16]. Finalement, selon ses différents partisans, la laïcité est considérée comme une garantie de liberté pour l’homme qui, sous emprise de la religion, ne peut ni exercer ses droits ni raisonner.

Nous pouvons aussi trouver des définitions moins antireligieuses où la religion est plutôt présentée comme un prétexte à la domination. « La laïcité consiste à affranchir l’ensemble de la sphère publique de toute emprise exercée au nom d’une religion ou d’une idéologie particulière. »[17] Si le terme de « laïcité » est toujours associé au couple « domination, religion », elle est aussi perçue comme une protection pour la religion.

Laïcité, principe d’unificateur de la nation ?

Nombreux sont aussi les articles qui s’opposent à une notion porteuse du combat contre l’Église. Elle est effectivement un héritage du passé. Elle a focalisé le combat qu’ont mené des courants de pensée contre l’Église et la place du christianisme dans l’État et dans la société. « La laïcité est alors conçu comme une idéologie de combat. »[18] Mais avec la victoire de leurs partisans et le déclin de l’Église après la seconde guerre mondiale, est-il encore pertinent de parler de combat ? Vidée de son idéologie, la notion a donc évolué. Les discours et les écrits insistent alors davantage sur les principes qu’elle renferme, notamment la liberté de conscience, incluant la liberté religieuse, et l’égalité des religieux devant l’État et les lois.

Car l’État est face à d’autres difficultés que génèrent la pluralité des religions et la montée du sentiment religieux. Comment peut-il désormais la traiter dans la sphère publique, dans l’enseignement et dans d’autres services ? Il ne s’agit plus de lutter contre le rôle dominant de l’Église mais de faire cohabiter des citoyens de différentes religions selon les principes qu’a établis l’État. Il doit respecter toutes les croyances en leur laissant le libre exercice de culte tout en demeurant dans une étrange posture de neutralité. Il a donc en charge leur cohabitation en prenant bien en compte leurs spécificités. Il ne s’agit donc plus de combattre les religions mais d’assurer leur coexistence avec les principes de la république tout en étant neutre, indifférent, ou encore étranger. Cela paraît bien difficile tant la conciliation de tels principes paraît irréaliste. Ainsi l’État promeut la laïcité comme principe d’unité sociale et politique pour les Français, croyants ou non croyants, puisque l’Église ne peut plus l’assurer en raison même de la laïcité. La laïcité renferme en elle-même l’origine des maux qu’elle essaye de résoudre !...

Autrefois, la religion fondait l’unité d’une nation, d’un royaume, d’un empire. En lui retirant ce rôle par la sécularisation et la déchristianisation, l’État ne peut garantir son unité qu’en s’appuyant sur les valeurs républicaines ou démocratiques qu’il impose. Mais de telles valeurs deviennent bien faibles et surtout impuissantes face à la pluralité religieuse et à la coexistence de religions diverses et variées. Les principes que l’État défend favorisent même cette pluralité et donc disloquent la société en communautarisme. L’identité nationale s’efface. Cela explique peut-être la volonté de l’État de promouvoir la laïcité comme principe d’unité entre croyants et incroyants. Elle tente de maintenir un équilibre fragile alors qu’elle ne cesse d’être cause de déséquilibre. La définition fournie au début de notre article peut alors se comprendre en un certain sens même si elle est inexacte : « La laïcité n'est pas une opinion parmi d'autres mais la liberté d'en avoir une. Elle n'est pas une conviction mais le principe qui les autorise toutes, sous réserve du respect de l’ordre public »[19]

Conclusions

À l’origine principe d’exclusion, la laïcité a été l’étendard derrière lequel de nombreux courants de pensées ont marché unis pour mettre fin au rôle de l’Église dans l’État et la société. C’est par les principes qu’elle renferme que l’État l’a vaincue dans le conflit qui l’opposait pour le pouvoir. Elle a bien été forgée pour cela. En dépit de la fin du combat, la laïcité garde encore cette finalité pour certaines idéologies. Pour elles, elle est le principe de refus de toute religion dans la sphère publique.

Mais éloigné des préoccupations du XIXe siècle, notamment en raison de la faiblesse du christianisme dans notre société, d’autres y voient un principe fédérateur des croyants et des incroyants devant le pluralisme religieuse qui défragmente la société. Or les principes qu’elle renferme - liberté de conscience, égalité religieuse et neutralité de l’État – favorisent ce pluralisme religieux et le communautarisme.

Néanmoins, depuis le XIXe siècle et encore aujourd’hui, nous trouvons dans la notion de laïcité une confusion qui la rend bien peu réceptive par certaine religion. Il confond en effet temporel et profane. Il sépare alors dans l’individu ce qui relève de la religion et de l’État pour finalement élever le citoyen au-dessus du croyant. Une telle séparation n’est guère viable, surtout pour les religions, notamment l’islam, qui, au contraire du christianisme, ne distingue pas le temporel et le religieux.

Au XIXe siècle, l’État  a enlevé des droits à l’Église en appelant à de bons principes afin de l’exclure de tout pouvoir et de toute influence au niveau politique et social. Aujourd’hui, il maintient ses principes pour maintenir un équilibre entre toutes les religions afin que l’une d’entre elles ne remette pas en cause son hégémonie. La laïcité désigne ainsi une volonté de dominer le monde religieux afin que l’État domine seul la société.


Notes et références
[1] Observatoire de la laïcité, Qu’est-ce que la laïcité ?, site gouvernemental.fr.
[2] Observatoire de la laïcité, Qu’est-ce que la laïcité ?, site gouvernemental.fr.
[3] Dictionnaire Larousse, article « Laïcité »,  www.larousse.fr, lu le 30/07/2019.
[4] CNRTL, article « Laïcité », www.cnrtl.fr.
[5] Jean-Marc Sauvé, vice-président du Conseil d’État, intervention le 6 décembre 2016 à la Conférence Olivain, « Laïcité et République ».
[6] Voir De la création actuelle de mots nouveaux dans la langue française, F. Vieweg, Librairie éditeur, 1877.
[7] Voir « Laïc », article de Senez Nicolas, www.la-croix.com. Le terme est plutôt rare. Il ne faut pas le confondre avec le terme de « demos », signifiant peuple au sens politique. Il ne désigne pas comme on l’entend souvent le peuple ou la masse populaire. Ce n’est pas tout le monde.
[8] Saint Clément, Épître aux Corinthiens, XXXIL, 5, Les écrits des pères apostoliques, les éditions du Cerf, 1963.
[9] Droit canon de 1983, canon 207.
[10] Précisons qu’il existe des clercs ou des laïcs réguliers.
[11] Jacqueline Lalouette, La République anticléricale, XIXe-XXe siècles, Seuil, 2002 dans Archives de sciences sociales des religions, Rita Hermon-Belot, 128, octobre - décembre 2004, document 128.27, mis en ligne le 16 novembre 2005, consulté le 03 mai 2019, http://journals.openedition.org.
[12] Solange Lefebvre, Origines et actualité de la laïcité, lecture socio-théologique, volume 6, numéro 1, mars 1998, www.erudit.org.
[13] Guizot, Le Moniteur universel, 1er supplément, 26 avril 1844.
[14] Claudine Bassou Chpak, La laïcité est-elle un garant du fait démocratique ? Dans une situation didactique, la conscience de laïcité modifie-t-elle le processus d’apprentissage ?
[15] Bernard Henri Lévy, Le Point, 29 janvier 2004 dans Quelques définitions autour de laïcité, André Marescaux, ERES, VST - Vie sociale et traitements, 2008/4, n°100, www.cairn.info.
[16] Ferdinand Buisson, Nouveau Dictionnaire de pédagogie et d’instruction primaire, article « laïcité », Hachette, 1911.
[17] Henri Pena-Ruiz, Qu’est-ce que la Laïcité ?, Folio actuel, n°104, Gallimard, 2003.
[18] Jean-Marc Sauvé, vice-président du Conseil d’État, intervention le 6 décembre 2016 à la Conférence Olivain, « Laïcité et République ».
[19] Observatoire de la laïcité, Qu’est-ce que la laïcité ?, site gouvernemental.fr.