Au
début du XIXe, l’Église est dans un triste état en France. Meurtrie et divisée,
persécutée et déchirée, elle porte une lourde croix. Depuis le début de la
révolution, elle gravit le douloureux chemin du calvaire. Elle n’a jamais été
si proche de Notre Seigneur Jésus-Christ. Depuis 1789, tout est permis pour
l’accabler et la frapper dans ses prêtres et ses fidèles, dans son culte et ses
églises. La révolution est un temps de souffrance et d’abandon. Au nom
de valeurs abstraites, on a tué, assassiné, terrorisé. Le 10 septembre demeure
une marque indélébile de ce temps de folie qu’est celui de la révolution !
C’est aussi un temps de division. En dépit de son déclin, l’Église
constitutionnelle puis gallicane[1] parvient
à survivre. Détachée de l’Église, elle n’attire guère. Elle ne fait pas le
poids face à la vieille dame martyrisée. Elle-aussi a connu la souffrance et
s’est montrée héroïque. Mais le schisme est une plaie supplémentaire apportée à
l‘Église.
La
souffrance a connu des pauses que l’Église a su profiter pour se relever. Dans
le combat et les souffrances, elle a su résister et s’organiser, s’adaptant aux
terribles lois et au zèle des persécuteurs. Toutefois, quand commence le XIXe
siècle, elle connaît une situation dramatique. La France est dans un
état encore pire. Frappé par le désordre et l’immoralité, elle connaît
l’anarchie et semble vivre ses derniers jours. Un pays déchiré ne peut guère
durer. Sinistre bilan que celui de la révolution…
Un
homme a compris que sans la paix religieuse, rien n’est faisable, que sans
religion, il n’y a point d’ordre social. Trois ans après son arrivée au
pouvoir, Bonaparte signe avec le pape Pie VII un concordat qui met fin à la
persécution et à la division, le 15 juillet 1801. De nouveaux rapports sont
établis entre l’État et l’Église. Notre but n’est pas de raconter les
événements qui ont abouti au concordat mais bien de comprendre ces nouvelles
relations.
Un
contrat bilatéral entre l’Église et l’État
Pie VII (1742-1823), pape en 1800 |
Le
terme utilisé initialement pour désigner ce qui sera appelé le concordat est
celui de « convention entre le gouvernement français et sa
sainteté Pie VII ». Il a été signé le 26 messidor de l’an IX selon le
calendrier révolutionnaire, c’est-à-dire le 15 juillet 1801. Le pape le ratifie
le 9 septembre 1801. Elle est votée par les députés français le 18 germinal de
l’an X (8 avril 1802). Le rétablissement du culte catholique est
solennellement célébré par une messe le 18 avril 1802 à la cathédrale de Paris
en présence des trois consules et des autorités civiles.
Le
mot concordat « en droit canonique,
a le sens précis d’entente entre l’autorité ecclésiastique et le pouvoir civil
ayant pour but d’organiser les rapports entre l’Église et l’État relativement à
certains objets qui les intéressent tous deux. »[2] Il
implique une reconnaissance mutuelle entre l’Église et l’État ainsi que
des réciprocités. Il est équivalent à un contrat bilatéral. Il est le
contraire de la constitution civile du clergé, qui impose des règles
d’organisation à l’Église de manière unilatérale.
En
outre, le concordat est élaboré entre le gouvernement français et le
Saint-Siège. Cela signifie que les deux signataires reconnaissent mutuellement
leur autorité. Comme le remarque l’un des négociateurs, le cardinal Consalvi,
« au titre IV de la Constitution, il
est établi que, sous le mot gouvernement, on n'entend que les trois consuls de
la République ; ce mot ne peut s’entendre que d’eux et la Sainteté
n’entend pas l’étendre à d’autres. »[3] C’est
la première fois que le pape reconnaît le gouvernement mis en place en France
depuis la révolution. En raison de l’autorité universelle du pape, c’est
aussi une reconnaissance internationale du régime mis en place. C’est aussi
la première fois que l’État traite officiellement avec le pape et le reconnaît
comme chef de l’Église. Le concordat de 1801 est un traité d’une très
grande importance politique. Il met un terme à la politique religieuse menée
par les révolutionnaires.
La
nouvelle organisation de l’Église
Le
concordat comprend un rapide préambule et dix-sept articles. Le préambule est
composé de deux déclarations, l’une française, l’autre pontificale. Le
gouvernement français reconnaît la religion catholique, apostolique, romaine
comme la religion de la grande majorité des citoyens français. Le
catholicisme n’est pas déclaré religion d’état et n’occupe plus le rang
privilégié qu’il avait avant la révolution. Plus tard, seront en effet reconnus
les cultes luthériens et calvinistes, puis juifs. Le concordat reconnaît
donc un fait. Or, comme le souligne Mgr Spina, autre négociateur du
Saint-Siège, le gouvernement a pour volonté de suivre la volonté de la majorité
des Français. « Tout est, en France,
la suite du vœu de la majorité, tout pouvoir, tout droit constitutionnel en
émane dans l'état actuel... Reconnaître que la religion catholique en jouit,
c'est sanctionner le plus beau de ses droits politiques. Nulle protection ne
peut lui être refusée, dès qu'elle est l'objet du vu de la majorité des citoyens.
Ce vœu est le fondement de la loi dans un État républicain. En reconnaissant
que la religion catholique a pour elle ce vœu, on ne se borne pas à reconnaître
un fait historique, comme on l'a prétendu, mais un fait inséparable du droit,
parce qu'il en est la base et le fondement. »[4] Par
conséquent, l’État ne peut que reconnaître et favoriser l’Église catholique.
La reconnaissance va au-delà d’une certaine tolérance. Effectivement, comme le
déclare Bonaparte au conseil d’État à son retour de la victoire de Marengo, en
1801, « ma politique est de
gouverner les hommes comme le grand nombre veut l'être. »[5] Le concordat
rompt donc avec la constitution d’une Église nationale telle que voulaient les
gallicans ainsi que la constitution civile du clergé.
Une
mutuelle reconnaissance
Le
premier article garantit la liberté de culte pour le catholicisme :
« La religion catholique apostolique
et romaine sera librement exercée en France »[6] Le culte
est de nouveau public. Néanmoins, il doit respecter l’ordre public selon
le règlement de police établi par le gouvernement. C’est la fin officielle de
toute persécution. Notons que l’article sépare bien la liberté de culte et son
aspect public. Le gouvernement ne peut agir que dans ce domaine et selon la
nécessité de la « tranquillité
publique ». Il ne peut donc entraver ou restreindre la liberté de
culte. L’Église a donc le droit de s’organiser, d’enseigner et de prêcher.
L’exercice du culte est certes privé mais il peut aussi avoir lieu sur la voie
publique. Il peut certes restreindre les cérémonies extérieures du culte, comme
les processions, lorsqu’elles compromettent la « tranquillité publique » mais non de manière arbitraire.
Les limitations doivent répondre à des circonstances particulières.
Avant
d’entrer en fonction, l’évêque doit prêter serment d’obéissance et de fidélité
au gouvernement établi et ne pas porter atteinte à l’ordre public (article 6).
C’est une reprise du serment qu’il devait prêter auprès du roi sous l’Ancien Régime.
Notons que le serment est un vœu de fidélité à l’égard du pouvoir établi
et non d’obéissance aux lois qu’ils peuvent faire. En outre, il n’est pas lié à
un régime, à la république, mais à un gouvernement de fait. Les curés font de
même. Ils doivent même dénoncer toute intrigue qui se tramerait « au préjudice de l’État ».
Cependant, il est demandé d’ajouter une formule de prière à la fin de la sainte
messe en faveur de la république et des consules. Il ne s’agit pas simplement d’une
reconnaissance mais aussi d’un soutien. Comme cette prière s’applique à tous
les fidèles, elle permet de mieux ancrer leur fidélité à l’égard de la
république et donc de les dissocier de l’Ancien Régime.
La
reconnaissance du gouvernement implique nécessairement des droits. Dans l’article
16, il est précisé que le premier consul dispose de tous les droits que
possédait l’ancien gouvernement reconnu par le Saint Siège, c’est-à-dire le
roi. « Sa Sainteté reconnaît dans le
premier Consul de la République française, les mêmes droits et prérogatives
dont jouissait près d'elle l'ancien gouvernement. » (article 16) Ainsi
Bonaparte est considéré comme un souverain légitime. Mais notons que la
reconnaissance ne se réduit qu’au chef de l’État et non au gouvernement. Cependant,
l’article ajoute une clause de condition : le chef du gouvernement doit
demeurer catholique. Dans le cas contraire, une nouvelle convention serait
nécessaire. Le contrat est donc conclu entre un gouvernement dont le premier
consul est catholique et le pape.
Ainsi,
le concordat définit de nouveaux rapports entre l’Église catholique et le
gouvernement de la république et fixe un statut à l’Église catholique. Il
marque une rupture avec la politique révolutionnaire et tente de poursuivre les
relations qui existaient avec l’Ancien Régime. Il fait une double
reconnaissance : l’Église catholique à l’égard de la légitimité du pouvoir
établi, le gouvernement à l’égard de son importance dans la société. Le pape et
Bonaparte peuvent alors se satisfaire d’un texte qui permet à l’un le
rétablissement de la liberté de culte et du soutien que le gouvernement peut
lui apporter en tant que religion de la majorité des Française, et à
l’autre, une légitimité politique qui ne peut qu’affermir son pouvoir et
désarmer ses adversaires, notamment royalistes. Il montre finalement la
particularité du concordat, qui établit des rapports entre l’Église catholique
et un État dont la religion catholique n’est plus la religion d’État mais dont
le chef est catholique.
L’établissement
d’une Église dite concordataire
Signature du Concordat 1801, A-E Fragonard
Sèvres, manufacture nationale
|
Le
concordat a aussi pour but de fixer des règles relative à la hiérarchie de l’Église,
et plus particulièrement les modalités de nomination et de désignation des
autorités ecclésiastiques. C’est le sujet du cinquième et dixième article. Nommés
par le premier consul, les archevêques et évêques recevront l’investiture
canonique par le Saint-Siège selon les formes définies par le concordat de
Bologne de 1516. L’article indique aussi implicitement que le pape peut refuser
l’épiscopat à un candidat qui lui paraît indigne ou incompétent sans même justifier
son refus. Ainsi s’établit entre le premier consul et le pape un rapport de
force. Les évêques nommeront à leur tour les curés à partir d’une liste
agréée par le gouvernement (article 10). Le pape et les évêques retrouvent
ainsi leurs droits qu’ils ont perdus par la constitution civile du clergé. La
hiérarchie est ainsi rétablie et affermie. Mais soulignons que c’est bien
le premier consul qui nomme les évêques et non le gouvernement. Les évêques
sont donc redevables à l’égard du chef de l’État et non de l’État en lui-même.
L’article
2 permet au pape de réorganiser les diocèses en relation avec le
gouvernement : « il sera
fait par le Saint-Siège, de concert avec le gouvernement, une nouvelle
circonscription des diocèses français » (article 2). Il ne s’agit pas
de réorganiser les diocèses mis en place par la constitution civile du clergé,
que le pape n’a jamais reconnue, mais ceux qui existaient avant la tourmente
révolutionnaire. Avant 1789, ils étaient au nombre de 136. Il sera dorénavant
de 60, nombre particulièrement faible. De même, les évêques ont droit de
réorganiser leur diocèse après avoir obtenu le consentement du gouvernement
(article 9). La délimitation des diocèses ne se fera plus de manière
arbitraire.
Et
les biens ecclésiastiques ?
Reste
désormais la question épineuse des biens ecclésiastiques « mis à la disposition de la nation »
depuis le décret du 24 novembre 1789. Le concordat définit que les églises
non aliénées sont désormais mises à la disposition des évêques (article
12). Notons que le concordat utilise le même terme que celui du décret. Or en
1789, la « mise à la
disposition » équivalait à un titre de propriété. Dans le concordat,
il ne s’agit pas de restituer à l’Église la propriété des biens non aliénés
mais d’accorder plutôt un mandat. Dans les faits, le concordat lui accorde un
droit d’usage au détriment des communes qui en jouissaient par la loi du 11
prairial an III (30 mai 1795).
Le
concordat n’est pas une approbation de la mise à disposition des biens
ecclésiastiques à la nation, c’est-à-dire de leur expropriation. Il ne définit
que l’engagement du pape à ne pas inquiéter leurs acquéreurs. « Sa Sainteté, pour le bien de la paix et
l’heureux rétablissement de la religion catholique, déclare que ni elle ni ses
successeurs, ne troubleront, en aucune manière, les acquéreurs des biens
ecclésiastiques aliénés » (article
13).
En
contrepartie[7], les
évêques et les curés reçoivent du gouvernement un traitement convenable (article 14). Ils deviennent de nouveau des
fonctionnaires. Le gouvernement apporte aussi son soutien pour les fondations
en faveur des églises (article 15). Il reconnaît ainsi aux catholiques le droit
de faire des fondations. Cela permet à l’Église de réduire sa dépendance à
l’égard de l’État.
Précisons
que si les chapitres et les séminaires sont de nouveau autorisés selon le choix
de l’évêque (article 11), rien n’est dit sur leur traitement[8].
La
fin du schisme et le retour à l’unité
Deux
articles traitent des mesures pour mettre fin au schisme, c’est-à-dire à
la situation générée par la constitution civile du clergé. En 1801, coexistent
en France l’Église catholique dont la hiérarchie provient de l’Ancien Régime, seule
hiérarchie légitime, et l’Église gallicane, église schismatique, dont les
évêques et prêtres doivent leur raison d‘être à la révolution. Le pape demande
aux titulaires des évêchés français la résignation de leurs sièges
« pour le bien de la paix et de
l’unité » (article 3) ainsi que pour « le bien de l’Église ». Il ne traite évidemment que des évêques
de l’Église catholique. En cas de refus, il les remplacerait. En fait, le
concordat lui permet de supprimer les diocèses pour en créer d’autres. Sans territoire,
les évêques n’auraient plus de juridiction. Le bref Tam multa du 15 août 1801
demande la démission simultanée de tous les évêques, ce qui implique la
fin de l’Église de l’Ancien Régime. Une telle mesure est inédite dans l’histoire
et révèle le pouvoir du pape. L’article 4 définit les modalités de désignation
des nouveaux évêques. Elles sont identiques à celles définies par l’article 5.
La
concordat a naturellement provoqué l’indignation et la colère des évêques de
l’Ancien Régime, émigrés ou restés cachés. Trente-sept évêques refusent sur
les quatre-vingt-quinze. Dans le bref Qui Christi Domini vices,
Pie VII supprime les anciens diocèses et en crée d’autres. Seuls deux évêques
refusent finalement de se démettre et créeront une église schismatique, connue
sous le nom de petite Église[9].
Rien
n’est dit sur les évêques constitutionnels.
Cependant, Bonaparte demandera leur démission et leur soumission auprès du pape
auquel ils devront obéissance « conformément
aux canons et aux décrets de l’Église. » Mais, il souhaite que
certains d’entre eux soient retenus dans la nouvelle hiérarchie et nommés
évêques. Le pape impose des conditions. Le bref Post multos labores
demande aux évêques constitutionnels de démissionner de leur siège et de se
rétracter de leurs « erreurs passées »,
à savoir le serment à la constitution civile du clergé. Cela revient ainsi à condamner
l’œuvre de la révolution. Après de multiples résistances des anciens
évêques constitutionnels, ce sera définitivement fait en 1804, au moins
partiellement, lors de la venue de Pie VII en France pour le couronnement de
Napoléon. Les prêtres constitutionnels non mariés sont rentrés dans le clergé
paroissial aux côtés des prêtres insermentés. Le schisme est ainsi éteint.
Un nouvel épiscopat est recréé.
Pour la paix et le bien de l’Église
Ainsi
en dix-sept articles de style concis, le concordat définit les nouveaux
rapports entre l’État et l’Église, un concordat analogue à celui de Bologne de
1516, qui a réglé les rapports entre les rois de France et le Saint-Siège. Il
ne s’agit plus de mesures prises unilatéralement par l’État comme la
constitution civile du clergé mais d’un texte établie après d’âpres
négociations qui ont duré treize mois. Il ne s’agit pas non plus de renouveler
le concordat de Bologne puisque la religion catholique n’est pas considérée
comme celle de l’État.
Une
bonne entente est désormais établie entre l’État et l’Église. Certains articles parlent de collaboration. Mais comme
dans toute négociation, les parties prenantes doivent faire des concessions.
Il semble à première vue que le pape en ait été le grand perdant « pour la paix et l’unité » et
« le bien de l’Église ». Deux
lourdes concessions sont à souligner. D’une part, le Saint-Siège abandonne
les biens spoliés sous la révolution et d’autre part, il demande à l’ancien
épiscopat de démissionner en dépit de sa fidélité et de sa résistance. Par
la première concession, la vente des biens ecclésiastique est désormais un fait
acquis. Il n’est donc plus possible de revenir sur le changement foncier et sur
les conséquences sociales. L’Église ne pourra plus occuper la place qu’elle
avait avant la révolution.
Allégorie du concordat de 1081Pierre-François Joseph |
Cependant,
le pape a remporté deux précieuses victoires, l’une sur la révolution
avec l’abandon de ses prétentions, l’autre sur le gallicanisme qui ne s’en
relèvera pas. L’autorité du pape en sort grandie. « Le XIXe siècle à son aurore déposait une
couronne de gloire sur le front du pape. »[10] En
outre, en abandonnant les biens du clergé, le pape ne peut plus être considéré
comme l’adversaire des nouveaux propriétaires. Il désarme ainsi tous
ceux qui agitent la peur d’une rétrocession pour opposer les acquéreurs à l’Église.
Dans
cet accord, il y a bien une volonté de dépasser la révolution pour retrouver
l’ordre et la tranquillité. Pour cela, il est nécessaire de faire en sorte
que le nouveau gouvernement succède au roi, légitimant finalement une
certaine continuité. Le concordat évoque ainsi à plusieurs reprises un
retour aux pratiques en vigueur « avant
le changement de gouvernement ». Les prérogatives du roi sont en outre
dévolues au premier consul, légitimant ainsi la succession de régime. Il est
vrai aussi que le pape et les évêques récupèrent leurs droits. La procédure de
nomination est conforme à ce qui pratiquait sous l’ancien régime. C’est donc un
retour vers l’avant révolution. C’est une victoire politique pour Bonaparte.
Cependant,
il est étonnant que le concordat ne dise rien sur le clergé constitutionnel, sur
l’enseignement, et surtout sur les congrégations religieuses, qui demeurent les
grandes victimes de la révolution. Il n’a pas pour vocation de restaurer l’ancien
ordre chrétien mais bien de mettre fin à une situation dommageable pour les
deux parties. C’est plus un traité qu’un concordat. « Toutes les personnes instruites regardent
comme un vrai miracle qu’on ait pu conclure un tel traité. » Tels sont
les propos du cardinal Consalvi lors de sa signature. Le terme révèle bien le
sens de ces accords…
Les
articles organiques de 1802
En
1802, sans consulter le Saint-Siège et à son insu, Bonaparte rajoute au
concordat soixante-dix-sept articles organiques sous prétexte d’établir le
règlement de police évoqué dans le premier article du concordat. Sont aussi
ajoutés quarante-quatre articles pour les cultes calvinistes et luthériens. Le
8 avril 1804, le concordat et les articles organiques, unis en un même
document, sont votés et admis comme constitutionnels.
Le
concordat ne peut faire valeur de loi sans le vote des assemblées
constitutionnelles, hostiles à la politique religieuse de Bonaparte. Selon la
plupart des commentaires, les articles organiques auraient pour but
d’apaiser les oppositions parlementaires. Effectivement, les articles
restreignent les pouvoirs du pape et des évêques, et changent radicalement la
teneur du concordat. Ils réintroduisent les principes gallicans chers
aux députés et rendent l’Église plus dépendante de l’État dans les procédures.
Les
articles organiques visent donc à réduire les droits du pape dans l’Église
française. C’est une reprise des « libertés gallicanes »
telle qu’elles ont été définies au XVIIe siècle. Aucun acte du Saint-Siège ne
pourra être publié sans l’approbation du gouvernement (article 4). Aucun évêque
ne pourra quitter son diocèse sans son autorisation (article 20). Aucun concile
ne pourra avoir lieu sans sa permission (article 4). Les Quatre articles de 1682
devront être enseignés dans les séminaires. La procédure d’« appel comme d’abus » devant le
Conseil d’État est rétabli. Un nombre de prêtres à ordonner est limité par le
gouvernement (article 26). Les articles organiques manifestent aussi la
volonté de régir la discipline à l’intérieur de l’Église. Il y aura une
seule liturgie et un catéchisme unique. Ils en viennent même à définir la
couleur des bas de l’évêque !
Les
articles organiques s’opposent même à certains articles du concordat ou les rendent
caduques. Le règlement de police ne concerne en effet que le culte public et ne
le restreint qu’en vue de la tranquillité publique. L’article 9 donne à
l’évêque la liberté de créer des paroisses alors que les articles organiques 31
et 60 définissent le nombre de succursales et limite à une paroisse par justice
de paix ! Portalis pourra alors écrire aux préfets : « la circonscription des curés est proprement
déterminée par la loi »[11].
Devant
ce retour vigoureux du gallicanisme et en raison de la méthode employée, Pie
VII refuse de reconnaître les articles organiques.
Conclusion
Le
concordat de 1801 instaure de nouveaux rapports entre l’État et l’Église. Sans
être reconnu comme religion de la France, le catholicisme est néanmoins soutenu
et la hiérarchie catholique restaurée et affermie. Mais en dépit de fortes
concessions, le grand vainqueur est bien le pape qui voit son autorité dans
l’Église et sa primauté reconnues par l’État. Le gallicanisme ne survivra guère
de ce traité. Mais le concordat n’est guère précis et laisse de nombreuses
questions en suspens. Son intérêt n’est pas de reconstituer l’Église, qui a été
particulièrement perturbée et affligée par la tourmente révolutionnaire. Son
intérêt est de rétablir la paix et l’ordre en France, et l’unité de l’Église.
Cependant, comme l’histoire le montrera, seule compte la pratique du concordat.
Pourtant,
les rapports entre Napoléon et Pie VII ont été très tendus, l’empereur allant
emprisonner le pape. L’insertion des articles organiques n’a été qu’un premier
affront à l’égard du Saint-Siège, d’autres suivront. Le gallicanisme et
l’esprit anti-romain demeurent encore bien virulents. Néanmoins, l’Église a
pu se redresser et retrouver, non pas sa gloire d’antan, mais une nouvelle
gloire.
Quand
l’empire français a été défait, et la monarchie française restaurée, le
concordat n’a pas été supprimé en dépit des tentatives. Ces dernières donnent en
effet lieu à une forte rivalité entre les partisans du pape, dit ultramontains,
et les gallicans, toujours aussi vivaces, qui voient dans le concordat la perte
d’indépendance de l’Église de France au profit du pape. Les premiers tenteront
de supprimer les articles organiques quand les seconds chercheront à les
défendre et à les appliquer avec vigueur. S’ajoutent tous les partisans des
innovations et des acquis apportés par la révolution. Les échecs révèlent ainsi
une nouvelle situation politique marquée par une forte division au sein de
l’État et par de nouveaux rapports de force entre les gouvernements et la
papauté.
Mais
ce concordat répond à un contexte particulier, celui de la nécessité de
rétablir la paix après la tourmente révolutionnaire. Il cherche à établir une
entente pour le bien de l’Église et de l’État. Mais, il ne répond pas à la
nouvelle situation qu’ont provoquée les nombreux changements survenus. Deux
sujets vont en particulier focaliser les affrontements : l’enseignement et
les congrégations religieuses, sujets que le concordat ne traite pas. En outre,
en instaurant une certaine alliance entre le pape et le gouvernement, il semble
lier l’Église au régime établi en un temps où la France connaît
l’instabilité politique. Elle en sera inévitablement secouée. Enfin, l’Église
demeure l’objet de l’hostilité des partisans de la révolution alors que ses
adversaires la soutiennent et la protègent. Elle-même peut-elle accepter ceux
qui ont voulu et veulent la détruire ? Ainsi l’Église est au centre de
nombreux combats au XIXe siècle tant au niveau religieux que politique. La
paix est bien fragile…
Notes et références
[1] Voir Émeraude,
août 2019, article « L'Église constitutionnelle puis gallicane : une
Église républicaine ».
[2] Dictionnaire de droit
canonique, article concordat, sous la direction de R. Naz
dans Le
concordat napoléonien, un concordat pacificateur, Philippe Nélidoff,
janvier 2019.
[3] Cardinal Consalvi,
dans Le Concordat de 1801, ses origines, son histoire, d'après des documents inédits, cardinal Mathieu, n° 3, Perrin, 1903, dans Commentaire
du concordat de 1801 entre la France et le Saint-Siège, Jean-Baptiste Jeangène Vilmer, août 2014.
[4] Mgr Spina dans Le Concordat de 1801, ses origines, son histoire,
d'après des documents inédits, cardinal Mathieu.
[5] Napoléon dans Œuvres
du comte Pierre-Louis Roederer, Paris,1856, t. III dans Commentaire du concordat de 1801
entre la France et le Saint-Siège, Jean-Baptiste Jeangène Vilmer.
[6] Article premier du
concordat de 1802 dans Histoire de l’Église, dom. Ch.
Poulet, tome II, Temps modernes, édition Beauchesne, 1935.
[7] La plupart des
commentateurs considèrent les deux articles 13 et 14 comme étant
synallagmatique. Dans l’un des projets proposés, l’article 14 reprenait les
décrets de 1790 de l’assemblée constituante. Voir Le Concordat de 1801 : étude
historique et juridique, abbé Lucien Crouzil, 1904, gallica. Dans la
bulle pontificale de ratification, Pie VII précise que le traitement correspond
à une compensation de la perte de revenus de l’Église.
[8] Les chanoines feront
l’objet d’un traitement par la loi du 14 ventôse an XII (1804), traitement qui
sera ensuite supprimé en 1885. La loi du 23 ventôse an XII (1804) a prévu
l’établissement au frais de l’État d’un séminaire par arrondissement métropolitain.
La loi n’a jamais été appliquée. Le gouvernement a créé des bourses pour les
aider financièrement. En 1885, ils ont été supprimés.
[9] Les deux évêques
ayant refusé d’en sacrer d’autres, la Petite Église ne dispose plus d’évêques
depuis 1825, et de prêtres depuis 1847.
[10] Albert Dufourcq
(1872-1952), historien.
[11] Archive départemental
de la Haute-Garonne, V2, dans Le Concordat de 1801 : étude historique et
juridique, abbé Lucien Crouzil, 1904, gallica.
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