" La pierre précieuse, voire de grand prix aux yeux de certains, qu'est l'émeraude, se voit insultée par un morceau de verre habilement truqué, s'il ne se rencontre personne qui soit capable de procéder à un examen et de démasquer la faute. Et lorsque de l'airain a été mêlé à l'argent, qui donc, s'il n'est connaisseur, pourra aisément le vérifier ? "(Saint Irénée, Contre les hérésies)


samedi 24 septembre 2016

L'Église selon les Pères apostoliques

Dans la Sainte Écriture, le terme d’« Église » est intimement lié à Notre Seigneur Jésus-Christ. Au sens premier du terme, il désigne l’ensemble des chrétiens que Dieu a convoqués. Dans la sainte Écriture, elle est décrite comme un corps aux multiples membres, un corps dont la Tête est Notre Seigneur Jésus-Christ, comme une maison édifiée sur Saint Pierre. Elle est une en dépit de la diversité de ses membres. Tous les caractères de l’Église se dessinent dans le Nouveau Testament.

Le terme d’Église semble cependant difficile à saisir clairement. Les Apôtres et les évangélistes l’emploient pour désigner tantôt une communauté chrétienne locale, tantôt la totalité des Chrétiens, ou encore l’ensemble des Églises locales.

Pour mieux comprendre encore ce qu’est l’Église dans sa réalité même, nous allons entendre leurs successeurs directs, c’est-à-dire les Pères apostoliques. Leurs ouvrages sont d’une très grande richesse, notamment pour leur témoignage et leur intérêt historique. C’est pourquoi nous allons nous attarder sur leur conception de l’Église.

La Didaché




L’ouvrage porte aussi le titre « doctrine du Seigneur transmise aux nations par les douze Apôtres ». Le mot grec « Didaché », traduit généralement par « doctrine », signifie plutôt « enseignement » dans le sens de « façonner les disciples ». Le titre précise en outre que la doctrine vient de Notre Seigneur Jésus-Christ et qu’elle est transmise par les Apôtres. Il a été retrouvé en 1875 à Constantinople. Son origine est peut-être syro-palestinienne. L’œuvre daterait de la fin du Ier siècle ou du début du IIème siècle.

La Didaché contient trois parties : une instruction morale, des prescriptions liturgiques puis disciplinaires. Elle nous donne en particulier la situation des communautés chrétiennes au début du christianisme. L’ouvrage donne clairement et avec fermeté des prescriptions.  « Il y a deux voies, l’une de la vie, l’autre de la mort » (I, 1). La Didaché donne les préceptes de la voie qui conduit à la vie et les vices qui jalonnent la voie de la mort. Le terme de voie est aussi employé pour désigner l’Église.

L’auteur de la Didaché utilise quatre fois le terme d’Église selon deux sens : soit pour désigner la communauté locale des chrétiens devant laquelle les fidèles devaient confesser ses manquements (IV, 14), soit pour désigner l’ensemble des Chrétiens (IX, 4 et X, 1). Lorsqu’il porte le deuxième sens, l’auteur souligne que l’Église appartient au Christ par l’emploi du possessif (« ton Église »). Il nous renvoie au terme employé par Notre Seigneur Lui-même.

Dans le rite de l’institution de l’Eucharistie, l’auteur de la Didaché compare « le pain rompu, d’abord dispersé sur les montagnes » puis « recueilli pour devenir un » avec l’Église du Christ « rassemblée des extrémités de la terre dans son royaume » (IX, 4). Dans la prière qui suit, il demande à Notre Seigneur Jésus-Christ de préserver son Église de tout mal et de la rassembler dans son royaume. Il distingue donc l’Église du Royaume de Dieu.

La Didaché évoque aussi « la sainte vigne de David » (IX, 1) que Dieu a fait connaître par Notre Seigneur Jésus-Christ. Selon les annotations de l’ouvrage, elle désigne son Église. Dans la Sainte Écriture, elle est une image biblique qui désigne le peuple de Dieu.

Enfin, la Didaché nous donne une structure des premières communautés chrétiennes. Elle comprend des évêques et des diacres stables qui leur sont attachées. Ils sont élus. Il existe aussi des apôtres, des prophètes et des docteurs. Ce sont plutôt des fonctions ou ministères puisque les évêques et les diacres peuvent aussi les exercer. Ces fonctions portent toutes sur la prédication. Elles peuvent aussi être exercées par des prédicateurs ambulants. L’ouvrage demande de les éprouver et juger de leur orthodoxie. « Si donc quelqu’un vient de vous et vous enseigne tout ce qui vient d’être dit, recevez-le. Mais si le docteur lui-même s’est perverti et enseigne une autre doctrine en vue de détruire, ne l’écoutez pas ; enseigne-t-il, par contre, pour accroître la justice et la connaissance du Seigneur, recevez-le comme le Seigneur » (IX, 1). L’Église locale apparaît donc très structurée et hiérarchisée.

La première Épître de Saint Clément

La première Épître de l’Église de Rome à l’Église de Corinthe est une lettre écrite par la Pape Saint Clément, troisième successeur sur le siège de Rome. Elle daterait des dernières années du premier siècle. Elle serait même contemporaine des derniers écrits du Nouveau Testament. Cette lettre nous permet de mieux connaître la foi et la vie religieuse des chrétiens de Rome. Elle est surtout importante car elle témoigne de l’autorité de l’évêque de Rome. C’est en effet le premier document qui manifeste l’intervention de l’Église romaine auprès d’une autre Église.

« L’Église de Dieu qui séjourne à Rome à l’Église de Dieu qui séjourne à Corinthe », telle est le début de la lettre de Saint Clément. Le terme « séjourne » traduit le mot grec « paroiken », qui signifie « habiter auprès de » ou encore « vivre au milieu de ». Il donnera plus tard le terme de « paroisse ». Il rappelle le terme utilisé dans la Sainte Écriture, c’est-à-dire la situation précaire des chrétiens qui sont ici-bas « des étrangers et des voyageurs » (II Pierre, II, 11). Ce sont deux Églises en communion.

Saint Clément écrit pour mettre fin à une discorde qui divise les chrétiens de Corinthe. Un schisme les divise en effet comme au temps de Saint Paul. Il revient sur la cause profonde de cette nouvelle crise, c’est-à-dire sur la jalousie. Saint Clément en appelle alors à l’humilité et à l’unité. « Qu’il demeure donc entier ce corps que nous formons en Jésus-Christ ! » (XXXVIII, 1), corps dont le chef est Notre Seigneur Jésus-Christ, dans lequel nous trouvons notre salut. Il compare l’ensemble des chrétiens à une armée en compagne, « sous les ordres de ce chef irréprochable » (XXXVII, 1), où chaque soldat occupe son poste exécutant les ordres. Saint Clément reprend la comparaison paulinienne du corps où chaque membre est nécessaire et utile au corps entier. Il rappelle ainsi la diversité des fonctions de l’Église et sa hiérarchisation. « Tous ensemble conspirent et collaborent dans une unanime obéissance au salut du corps entier. »(XXXVII, 5)

Plus tard, après avoir évoqué l’institution de l’épiscopat, Saint Clément revient sur la nécessité de l’unité, reprenant l’image du corps. « N’avons-nous pas un seul Dieu, un seul Christ, un seul esprit de charité répandu sur nous, une seule vocation dans le Christ ? Pourquoi déchirer et écarteler les membres du Christ ? Pourquoi vous révolter contre votre propre corps ? En venir à ce point de démence d’oublier que nous sommes membres les uns des autres ? » (XLVI, 6-7)

Saint Clément revient ensuite sur l’institution de l’épiscopat. Rappelant l’exercice du culte sous l’Ancien Testament, il montre que l’exercice du culte se fait selon les prescriptions divines et « non pas n’importe comment et sans ordre » (XL, 2). Dieu « a déterminé lui-même, en son souverain bon plaisir, où et par quels ministres nous devions nous en acquitter, afin que tout se passe saintement selon son bon plaisir, et soit ainsi agréable à sa volonté. » Tout doit se faire « selon son bon plaisir » et non selon le nôtre. Ainsi de même, « que chacun d’entre nous, frères, à son rang, plaise à Dieu par une bonne conscience, sans vouloir franchir les limites régulières de son office, en toute dignité. » (XLI, 1)

Envoyés par Notre Seigneur Jésus-Christ, Lui-même venu de Dieu, les Apôtres ont annoncé partout la bonne nouvelle et fondé des communautés. « A travers les compagnes et les villes, ils proclamaient la parole, et c’est ainsi qu’ils prirent leurs prémices ; et après avoir éprouvé quel était leur esprit, ils les établirent évêques et diacres des futurs croyants. » (XLII, 4) L’épiscopat est bien une institution et non une réponse à un besoin passager. Les chefs des communautés, que sont les évêques, sont établis par les Apôtres, eux-mêmes envoyés par Notre Seigneur Jésus-Christ. Leur dignité vient de Dieu. « Ils instituèrent les ministres que nous avons dit et posèrent ensuite la règle qu’à leur mort d’autres hommes éprouvés succédèrent à leurs fonctions. » (XLIV, 1) Ils sont indispensables à la structure de l’Église. Et les évêques reçoivent leur charge « avec l’assentiment de toute l’Église » (XLIV, 4).

Selon la lettre de Saint Clément, le conflit qui divise les chrétiens de Corinthe a provoqué découragement, doute et tristesse. Des chrétiens se sont révoltés contre l’évêque de la ville. Nous apprenons en effet que « l’Église de Corinthe s’est révoltée contre ses presbytres à cause d’un ou deux individus. » (XLVII, 6) Les presbytres désignent généralement les anciens. Dans l’épître de Saint Clément, il serait question de chef religieux selon les annotations de l’ouvrage.

Or « la charité ne fait pas de schisme, ne fomente pas de révolte ; elle accomplit toutes choses dans la concorde, c’est la charité qui fait la perfection de tous les élus de Dieu ; sans la charité, rien n’est agréable à Dieu. » (XLIX, 5) Sans la charité, point de salut. Être élu de Dieu ne suffit pas. Faut-il encore demeurer dans la charité jusqu’au bout par la grâce de Dieu. « Toutes les générations, depuis Adam jusqu’à ce jour, ont passé, mais ceux qui ont été trouvés dans la charité par la grâce de Dieu demeurent dans le séjour des saints, qui se manifesteront lorsqu’apparaîtra le royaume du Christ. » (L, 3)

Car c’est bien « Notre Seigneur Jésus-Christ [qui] nous a appelés des ténèbres à la lumière, de l’ignorance à la connaissance de la gloire de son nom. » (LIX, 2) Saint Clément priera pour que le nombre des élus du monde entier soit maintenu intact.

Saint Clément demande donc aux instigateurs du schisme de se soumettre aux « presbytres » et de faire pénitence. « Vous donc qui êtes à l’origine des dissensions, soumettons-vous aux presbytres, laissez-vous corriger afin de vous repentir et de ployer les genoux de votre cœur. »(LVII, 1) L’important est d’être compté dans le troupeau du Seigneur et de ne pas en être exclu.

La première épître de Saint Clément témoigne donc l’aspect hiérarchique de l’Église, la dignité de l’épiscopat et l’obéissance qui est due aux chefs établis dans l’Église. Elle nous donne aussi des éléments sur l’appartenance à l’Église : y appartenir, c’est déjà une élection divine. C’est Notre Seigneur Jésus-Christ qui appelle l’homme à y entrer. Nous retrouvons le sens premier du terme. Mais cette élection demeure insuffisante pour gagner la vie éternelle. Sans la charité, tout est vain. Or le schisme est une faute à l’égard de la charité. Par conséquent, tout schismatique, non repenti, provoque son exclusion de l’Église. Rompre avec la hiérarchie revient à s’exclure du corps auquel on appartenait. Or, le salut appartient à ceux qui y demeurent attaché.

La lettre est aussi intéressante car elle montre clairement l’autorité de Saint Clément en tant qu’évêque de Rome à l’égard de l’église de Corinthe. Le Pape envoie même des messagers pour faire appliquer ses recommandations. Cela montre son importance dans le christianisme dit primitif.

Enfin, retenons que le terme d’Église prend encore le sens d’Église locale même si elle semble surtout indiquer l’ensemble des chrétiens. C’est surtout une Église bien visible et déjà structurée qui nous apparaît dans l’épître.

L’homélie de Saint Clément

La seconde Épître de l’Église de Rome à l’Église de Corinthe serait un apocryphe du début du IIe siècle. Son authenticité n’est pas reconnue par tous. Elle serait en outre une homélie.

Un chapitre (XIV) de l’homélie nous intéresse dans le cadre de notre étude. L’auteur de l’homélie parle d’abord d’une « Église spirituelle », qui a été créée avant le soleil et la lune. « Si nous faisons la volonté de Dieu, nous appartiendrons à la première Église » (XIV, 1). Il nous renvoie à Saint Paul qui avait dit aux Éphésiens que Dieu « nous a élus dans le Christ, dès avant la création du monde » (Éphésiens, I, 4).

Il revient aussi sur l’analogie entre le lien du mariage avec ceux qui lient le Christ et l’Église, lien entre l’homme et la femme qui existent depuis la Création, depuis Adam et Ève. « L’homme, c’est le Christ. La femme, c’est l’Église. » (XIV, 2) L’Église est donc « née au commencement » (XIV, 2). Mais « cette Église qui était spirituelle est devenue visible dans la chair du Christ » (XIV, 3). 

L’auteur de l’homélie fait alors le rapprochement entre le corps et l’esprit, entre l’Église visible qui est le corps du Christ et le Saint Esprit qui y habite. « Or si nous disons que la chair est l’Église et que l’Esprit est le Christ, c’est donc qu’à outrager la chair, on outrage l’Église. Commettre une telle action, c’est s’exclure du Christ. » Il faut donc garder intacte la chair pour avoir part à l’Esprit. L’auteur de l’homélie s’oppose en fait à une hérésie qui n’attache d’importance qu’au spirituel, considérant comme négligeables le corps et ses activités. L’aspect visible de l’Église s’oppose à leur doctrine. Si l’Église est née avant le commencement, elle est devenue visible par Notre Seigneur Jésus-Christ pour nous sauver.

Les Lettres de Saint Ignace d’Antioche

Saint Ignace, évêque d’Antioche, est le successeur de Saint Pierre sur le siège d’Antioche, autrefois métropole de l’Orient. Sur la route qui le mène à Rome et au martyre, il adresse sous Trajan (98-117) six lettres à des communautés chrétiennes qui l’a reçu (Smyrne, Éphèse, Philadelphie, Magnésie, Tralles) ou à Rome. Une dernière lettre est adressée à Saint Polycarpe, évêque de Smyrne. Leur authenticité n’est pas remise en cause, sauf certains passages. C’est donc un témoignage exceptionnel des premières heures du christianisme, notamment à l’égard de l’Église.

À l’image de Saint Paul, Saint Ignace écrit « à l’Église d’Éphèse », « à l’Église qui est à Magnésie du Méandre », « à Tralles », « qui est à Philadelphie d’Asie »,  ou encore « à Smyrne d’Asie », ou enfin « à l’Église qui préside dans la région des Romains ».


Aux Éphésiens, Saint Ignace demande d’être unis et précise en quoi consiste cette unité. Il s’agit « de marcher d’accord avec la pensée de votre évêque » (Éphésiens, IV, 1) comme l’ensemble des prêtres est uni à l’évêque, comme « les évêques […] sont dans la pensée de Jésus-Christ » (Éphésiens III, 2), et « Jésus-Christ, notre vie inséparable dans la pensée du Père » (Éphésiens, III, 2). Les fidèles doivent être unis afin de « participer toujours à Dieu. » (Éphésiens, IV, 2) Ils doivent être profondément unis « comme l’Église l’est à Jésus-Christ, et Jésus-Christ au Père, afin que toutes choses soient en accord dans l’unité » (Éphésiens, V, 1) L’unité des chrétiens doit être à l’image de l’unité de Dieu.

« Nous devons regarder l’évêque comme le Seigneur Lui-même » (Éphésiens, VI, 1) puisqu’il est envoyé par Notre Seigneur Jésus-Christ. Aux Magnésiens, il revient sur la relation existant entre l’évêque et Notre Seigneur Jésus-Christ, entre « l’évêque visible » et « l’évêque invisible » (Magnésiens, II, 2). « Par respect pour celui qui nous a aimés, il convient d’obéir sans aucune hypocrisie ; car ce n’est pas cet évêque visible qu’on abuse, mais c’est l’évêque invisible qu’on cherche à tromper. » (Magnésiens, II, 2) Aux Philadelphiens, il précise que l’évêque a obtenu son ministère « qui est au service de la communauté », non « pas de lui-même, ni par les hommes », « ni par vaine gloire, mais par la charité de Dieu le Père et du Seigneur Jésus-Christ. » (Philadelphie, I, 1)

Saint Ignace va encore plus loin. Ceux qui s’assemblent en dehors de l’évêque ne sont pas véritablement chrétiens même s’ils portent le nom. « Tous accourez pour vous réunir comme en un seul temple de Dieu, comme autour d’un seul autel, en l’unique Jésus-Christ » (Magnésiens, VII, 2). Sans les serviteurs de l’Église de Jésus-Christ, que sont l’évêque, les prêtres et les diacres, « sans eux, on ne peut pas parler d’Église. » (Tralliens, III, 1) Finalement, il n’y a pas d’Église sans les Apôtres et leurs successeurs, sans sa structure hiérarchique. L’Église n’est pas seulement l’assemblée des chrétiens. « Là où paraît l’évêque, que là soit la communauté, de même que là où est le Christ Jésus, là est l’Église catholique. » (Smyrniotes, VIII, 2) Ainsi il n’est pas permis de participer à des sacrements en dehors de l’évêque. Sans évêque, point d’Église locale…

Saint Ignace demande aux Éphésiens d’éviter ceux qui sont indignes de Dieu. Il les loue ainsi de ne pas avoir reçu ceux qui portent une mauvaise doctrine, c’est-à-dire le docétisme. Il demande aussi aux Magnésiens de ne pas se laisser séduire par les doctrines étrangères. Il demande aux Tralliens de « s’abstenir de toute plante étrangère, qui est l’hérésie. » (Tralliens, VI, 1). Il compare la mauvaise doctrine comme un poison qui donne la mort. « Soyez donc sourds quand on vous parle d’autre chose que de Jésus-Christ » (Tralliens, IX, 1), c’est-à-dire contredit la profession de foi. Il leur demande de fuir « ces mauvaises plantes parasites » qui « portent un fruit qui donne la mort » (Tralliens, XI, 1). Aux Smyrniotes, il recommande de ne pas recevoir les docétistes, ni même les rencontrer mais seulement de prier pour eux afin qu’ils se convertissent.

Saint Ignace défend aussi aux Églises de se diviser. Les fauteurs de schisme n’ont pas droit à l’héritage du Royaume de Dieu. Cependant, « tous ceux qui se repentiront et viendront à l’unité de l’Église, ceux-là aussi seront à Dieu, pour qu’ils soient vivants selon Jésus-Christ. » (Philadelphie, III, 2) Or l’unité de l’Église s’exprime autour de l’autel lorsque les chrétiens se rassemblent autour de l’évêque. « Si quelqu’un n’est pas à l’intérieur du sanctuaire, il se prive du pain de Dieu […] Celui qui ne vient pas à la réunion commune, celui-là déjà fait l’orgueilleux […] Ayez soin de ne pas résister à l’évêque, pour être soumis à Dieu. » (Éphésiens V, 2-3) Il présente l’évêque comme le gardien de l’unité de son Église. Il demande ainsi à Saint Polycarpe, évêque de Smyrne, de se préoccuper de l’union, « au-dessus de laquelle il n’y a rien de meilleur. » (Polycarpe, I, 2) L’évêque est le pilote d’un navire, dont « le moment réclame, comme l’homme battu par la tempête attend le port, pour obtenir le salut. » (Polycarpe, II, 3) Il est celui qui demeure ferme devant l’erreur comme le réclamait déjà Saint Paul à Timothée.

L’unité se fonde sur l’unité de foi et autour de l’évêque, célébrant l’Eucharistie qui manifeste leur unité et leur donne la vie éternelle. Saint Ignace demande en effet aux Éphésiens de se réunir « dans une même foi, et en Jésus-Christ […] rompant un même pain qui est remède d’immortalité, antidote pour ne pas mourir, mais pour vivre en Jésus-Christ pour toujours. » (Éphésiens, XX, 2) La communion est le signe de l’unité de l’Église. Ainsi demande-il aux Philadelphiens de ne participer qu’à une seule Eucharistie car « il n’y a qu’une seule chair de notre Seigneur Jésus-Christ, et un seul calice pour nous unir en son sang, un seul autel, comme un seul évêque avec le presbyterium et les diacres » (Philadelphiens, IV, 1).

Enfin, rappelons une des phrases de la lettre adressée aux Smyrniotes : « là où paraît l’évêque, que là soit la communauté, de même que là où est le Christ Jésus, là est l’Église catholique. » (Smyrniotes, VIII, 2) C’est la première fois que le terme de « catholique » est associé à l’Église. Il désigne la véritable Église. Voyons aussi le rapprochement entre Notre Seigneur Jésus-Christ et l’évêque.

Une autre lettre attire notre attention, celle adressée aux Romains. Elle débute d’une manière brillante. La salutation que Saint Ignace adresse à l’Église de Rome mérite d’être citée. Elle est dite « digne de Dieu, digne d’honneur, digne d’être appelée bienheureuse, digne de louange, digne de succès, digne de pureté, qui préside à la charité, qui porte la loi du Christ, qui porte le nom de Père ». Par rapport aux autres salutations, elle exprime nettement la prééminence de l’Église de Rome sur les autres Églises.

Finalement, dans ses lettres, Saint Ignace d’Antioche s’attache à défendre l’unité des Églises locales dont le gardien et le signe sont l’évêque. Il est dans un temps où elles sont menacées par les hérésies (docétisme, judéo-christianisme) et fragilisées par son expansion. C’est bien l’évêque qui doit veiller à son unité, unité fondée sur l’unité de foi et de charité. Il n’y a point d’Église sans évêque.

L’évêque Saint Polycarpe

Évêque de Smyrne, Saint Polycarpe est disciple de Saint Jean. Il nous reste de lui une épître adressée aux chrétiens de Philadelphie et les actes de son martyre, c’st-à-dire le récit de son supplice, sous forme de lettre de l’église de Smyrne adressée aux chrétiens de Philomelium en Grande Phrygie.

Dans son épître, Polycarpe écrit « à l’Église de Dieu qui séjourne comme une étrangère à Philippes ». Il utilise le même terme que Saint Clément de Rome. Dans l’Acte des martyrs, l’auteur écrit « à l’Église de Dieu qui séjournée à Philomelium »  mais aussi « à toutes les communautés de la Sainte Église catholique qui séjournent en tout lieu ». Nous voyons donc une distinction entre les deux termes, l’un désignant l’Église locale et le second l’Église universelle. C’est bien « l’Église catholique répandue par toute la terre. » (Le martyre de Polycarpe, VIII, 1) Pourtant, dans le même ouvrage, il utilise aussi le terme d’« Église catholique de Smyrne » (Le martyre de Polycarpe, XVI, 2). Mais dans la lettre, le mot semble aussi dire plus que cela. Polycarpe est « l’évêque de l’Église catholique de Smyrne » (Le martyre de Polycarpe, VIII, 1). Cette phrase nous ramène à ce qu’écrivait Saint Ignace d’Antioche. Il s’oppose à toute communauté hérétique qui prétend être l’Église.

Conclusion

Ainsi, après le temps des Apôtres, à la fin du Ier siècle et au début du IIème siècle, le terme d’« Église » désigne encore soit l’Église locale, soit l’Église universelle. Cependant, deux tendances s’affirment clairement. D’une part, l’Église locale est perçue comme « l’Église de Dieu qui séjourne » dans une ville. Le terme de « paroisse » sera plus tard employé. Elle est centrée autour de l’évêque. C’est lui qui la légitime. « Là où est l’évêque là est la communauté ». D’autre part, l’expression d’« Église catholique » est utilisée pour désigner l’Église universelle, « répandue par toute la terre », mais aussi pour la distinguer des communautés hérétiques qui prétendent être l’Église. L’Église catholique n’est donc pas une autre Église que celle fondée par Notre Seigneur Jésus-Christ. Le terme « catholique » n’a pas pour rôle de la subdiviser ou de la préciser. Il désigne la véritable et seule Église de Dieu. Il n’a pas de sens sans le Christ. « Là où est notre Jésus-Christ, là est l’Église  catholique ».

Au temps apostolique, l’Église est indissociable à l’évêque auquel doivent être soumis les chrétiens. Il est le guide de son unité, unité de foi qui exclue fermement toute doctrine étrangère à celle transmise par les Apôtres, unité de culte au moyen des sacrements, unité de charité ou de gouvernement qui s’affirme clairement sur le siège de Rome. L’Église est dès le départ décrite comme étant hiérarchique, dotée de membres aux multiples fonctions. Tout cela manifeste bien la perception de l’Église comme société visible. Les évêques s’opposent même à toute idée d’église spirituelle. Elle est faite de chair comme le Verbe s’est fait chair. Car si l’Église a été créée dès le commencement et si elle comprend des saints dans le ciel, Notre Seigneur Jésus-Christ l’a rendue visible pour notre salut. Elle est répandue par toute la terre, destinée à tous les hommes, à tous les temps, comme l’exprime si bien le terme de « catholique ».

Dès le début du IIème siècle, l’expression « Église catholique » désigne finalement et d’une manière juste et admirable la véritable Église de Notre Seigneur Jésus-Christ, le terme de « catholique » n’ayant pour fonction de la distinguer des communautés hérétiques ou schismatiques qui prétendent être l’Église et de montrer sa nature. Les Pères apostoliques cherchent avant tout à préserver l’unité et à la défendre contre l’hérésie et le schisme. L’Église de Notre Seigneur Jésus-Christ et l’Église catholique sont donc clairement identiques. L’appartenance à l’Église est enfin nettement perçue comme une nécessité si nous voulons avoir part au salut. Telle est la ferme conviction des Pères apostoliques …

samedi 17 septembre 2016

L'Eglise dans la Sainte Écriture

Parfois, nous entendons des âmes affirmer fièrement leur liberté. Pourtant, il suffit qu’elles se posent et lèvent les yeux pour s’apercevoir qu’elles sont finalement de malheureuses esclaves. Elles ne voient guère leurs chaînes encore moins leur prison dorée. Elles servent des pensées qui ne sont pas les leurs. Elles sont libres de parler mais pensent-elles ?

De nos jours, il est de beau ton de critiquer l’autorité sous toute ses formes. Il est louable aux yeux du monde de refuser toute hiérarchie. Nul n’est sérieux aujourd’hui s’il ne manifeste pas de la méfiance à l’égard de toute institution. L’air du temps est si imprégné de ce funeste mépris qu’il est difficile d’en être préservé. Certes, de nombreux exemples justifient une certaine prudence mais faut-il saper l’autorité elle-même parce que certains s’en montrent indignes ?  Mais le vide n’existant pas, les uns sont chassés pour que d’autres puissent prendre leur place.

Atteintes de ce mal,  certaines âmes s’éloignent de l’Église catholique ou refusent de s’y approcher, ne voyant en elle qu’une institution comme tant d’autres. Ils songent sans-doute à une Église uniquement spirituelle dans laquelle le croyant est libre de croire et de pratiquer comme il le désire, sans contrainte ni obligation, n’y voyant qu’un moyen de satisfaire ses sentiments religieux, bref une sorte de supermarché. Cette vision de l’Église n’est pas nouvelle. Elle est à l’origine de nombreuses confessions protestantes. Mais la nature de l’Église n’est pas le seul point contesté. L’idée selon laquelle l’Église a été fondée par Notre Seigneur Jésus-Christ est aussi niée, notamment depuis le début du XXème siècle.

Mais des catholiques eux-mêmes ont une certaine vision de l’Église insoutenable ou du moins incompréhensible. Par exemple, certains catholiques ne voient plus en l’Église l’unique arche de salut. Ils croient probablement qu’elle n’est qu’une voie parmi tant d’autres pour aller jusqu’à Dieu. Le salut serait possible, disent-ils, en aimant Dieu de manière authentique tout en demeurant hors de l’Église. Une certaine interprétation des textes du second concile de Vatican pourrait certes justifier leurs croyances mais des déclarations de la congrégation de la foi les démentiraient aussitôt. Cependant, se soucient-ils encore de ce que disent les autorités romaines lorsqu’elles viennent contrarier leurs convictions ? On ne quitte pas une prison lorsqu’imperceptible, elle offre jouissance et plaisir…

Un des drames de notre époque est sans-doute l’incompréhension de ce qu’est l’Église. Nombreuses sont les erreurs qui éloignent les âmes de ce qu’elle est. Et peu nombreuses sont les âmes qui tentent d’enlever le voile épais qui la recouvre. Une part de responsabilité revient certainement aux autorités de l’Église. Contrairement à ses objectifs, le second concile de Vatican n’a pas réussi à donner une définition claire de ce qu’elle est. Il a plutôt égaré bien des âmes en voulant donner une nouvelle ecclésiologie, balayant naïvement et avec un triomphalisme insupportable toute la doctrine passée. « Il est à peine exagéré de le dire : il a fallu quasi deux mille ans pour pouvoir enfin construire, à Vatican II, une vision quelque peu complète de la doctrine de l’Église. »[1] Pouvons-nous entendre une telle arrogance sans crier au mensonge et à l’insupportable injustice ? Nous souffrons aujourd’hui d’un discours qui manque de clarté et de cohérence. Les mouvements œcuméniques ont apporté ambiguïtés et confusions. Là se trouve l’échec d’une voie qui a vidé nos églises…

Pour répondre à tous les discours qui remettent en cause ce qu’est l’Église, pour mieux finalement saisir ce qu’elle est, il est indispensable de revenir aux sources de notre foi, notamment à la Sainte Écriture.

L’origine du mot

Le terme d’église est tiré du grec « ekklêsia » qui signifie « assemblée ». Il désigne à l’origine une assemblée de citoyens convoqués par un crieur public. Ainsi nous apprenons dans les Actes des Apôtres que les affaires à régler, autres que les plaintes, sont décidées dans une assemblée générale (cf. Actes des Apôtres, XX, 39).  Le nom d’église est aussi appliqué à toute sorte d’assemblée comme celle des méchants comme nous le lisons dans les Psaumes. « Je hais l’église des méchants, et je ne m’assiérai point avec les impies. » (Psaumes, XXV, 5)

Dans la Sainte Écriture, il est généralement utilisé par les traducteurs grecs de l’Ancien Testament pour rendre l’hébreu « qahal » qui signifie « convocation », celle du peuple appelé à se rassembler sur l’ordre de Dieu et des chefs qu’Il a choisis. Il est par exemple employé lorsque Yahvé rassemble son peuple pour lui fait entendre ses lois sur le mont Horeb : « assemble-moi le peuple et je le ferai entendre mes paroles » (Deut., IV, 10) Comme dans le cas précédent, l’église ne désigne pas une assemblée qui se forme d’elle-même et sans but.

Le terme « sunagôgè »  a un sens très voisin. Il désigne l’action de se réunir mais aussi, comme le terme d’« ekklêsia », le résultat de cette action, c’est-à-dire l’assemblée réunie. À partir du IIIème siècle, il désignera aussi le lieu où l’assemblée se réunit. Saint Jacques utilise ce terme dans son épître alors qu’il s’agit d’une assemblée de chrétiens. Le terme « sunagôgè », ou synagogue, sera finalement employé au profit de la seule religion juive.

L’Église en tant qu’assemblée locale de chrétiens

La Sainte Écriture applique parfois le terme d’Église à l’assemblée des chrétiens qui se réunissent dans une maison particulière. Ils s’assemblent où ils peuvent, chez celui qui peut mettre à leur disposition une salle suffisamment grande. Ainsi Saint Paul salut l’Église qui se réunit chez Prisca et Aquilas (cf. Romains, XVI, 5) ou encore chez Nymphas (Colossiens, III, 15).

Le terme peut aussi désigner l’ensemble des chrétiens d’une même cité ou d’une même région. Dans les Actes des Apôtres, Saint Luc nous parle par exemple de « la persécution contre l’Église de Jérusalem » (Act. Ap., VIII, 1), de l’Église d’Antioche qui accompagne les apôtres Saint Paul et Saint Barnabé (Act. Ap., XV, 3), « des Églises de Judée qui sont en Christ » (Galates, I, 22), des Églises de Macédoine (II Corinthiens, VIII, 1), des Églises de Galatie (Galates, I, 1), des Églises d’Asie (I Corinthiens, XVI, 19), c’est-à-dire de la province romaine (ouest de l’Asie Mineure), dont Éphèse est la capitale. Ainsi le terme d’Église peut désigner les Églises locales ou groupe d’Églises.

Dans ses épîtres, Saint Paul s’adresse à « l’Église qui est à Corinthe » comme il s’adresse « à tous les saints […] dans l’Achaïe entière. » (II Corinthiens, I, 1) ou encore « à l’Église des Thessaloniciens » (I Thessaloniciens, I, 1). Dans l’Apocalypse, Saint Jean s’adresse « aux sept Églises qui sont en Asie » (Apocalypse, I, 4). Ce sont les Églises « à Éphèse, et à Smyrne, et à Pergame, et à Thyatire, et à Sardes, et à Philadelphie et à Laodicée. » (Apocalypse, I, 11) Dans leur salutation, Saint Paul et les autres Apôtres parlent aussi « à tous les bien-aimés de Dieu, les saints par appelés par lui, qui sont à Rome» (Romains, I, 7), « aux fidèles sanctifiés en Jésus-Christ, aux saints appelés de Dieu » (I Corinthiens, I, 2), à ceux qui sont « élus selon la prescience de Dieu le Père, par la sanctification de l’Esprit, pour obéir à la foi et avoir part à l’aspersion du sang de Jésus-Christ » (I Pierre, I, 2), « à ceux qui ont été appelés, qui sont aimés en Dieu Père et gardés pour Jésus-Christ » (Jude, I, 1). 

Dans ces adresses, les Apôtres parlent aux chrétiens qui ont été appelés ou élus par Dieu, ou encore aimés en Dieu, et qui demeurent dans le Christ. Le terme d’« Église » désigne l’ensemble des chrétiens qui répondent à un appel divin, à l’appel de la foi dans Notre Seigneur Jésus-Christ. Ce sont aussi « ceux qui évoquent, en quelque lieu que ce soit, le nom de notre Seigneur Jésus-Christ » (I Corinthiens, I, 2). Enfin, ce sont « ceux à qui ont reçu avec nous une foi de même prix dans la justice de notre Dieu et de notre Sauveur Jésus-Christ » (II Pierre, I, 1).

L’Église en tant que l’ensemble des chrétiens

Notre Seigneur Jésus-Christ emploie deux fois le terme d’Église et dans des circonstances importantes. Le mot est utilisé une première fois quand Il nomme Saint Pierre chef suprême de l’Église. « Et moi je te dis que tu es Pierre et sur cette pierre je bâtirai mon Église [2] ; et les portes de l’enfer[3] ne prévaudront pas contre elle. » (Matth., XVI, 18)  C’est sur la personne de Saint Pierre que Notre Seigneur doit bâtir son Église.

Remarquons deux choses. D’une part, c’est à cette occasion que Simon reçoit le nom nouveau de Pierre. Ce changement de nom est d’une très grande importance dans la Sainte Écriture. Il révèle une chose importante, c’est-à-dire sa place dans l’Église ou encore sa mission. Il est la pierre fondamentale sur lequel doit s’élever l’Église. Ce titre lui est directement attribué par Notre Seigneur Jésus-Christ. D’autre part, notons que Notre Seigneur Jésus-Christ parle de son Église et non d’une Église ou de l’Église. C’est bien son œuvre. Elle lui appartient. Et elle est unique, universelle.

Lorsque Notre Seigneur Jésus-Christ emploie une deuxième fois le terme d’Église, c’est pour établir ses pasteurs. Il leur demande que « si ton frère vient à pêcher contre toi, va et reprends-le entre toi et lui seul.  S’il ne t’écoute pas, prends encore avec toi une ou deux personnes, afin que toute cause se décide sur la parole de deux ou trois témoins. S’il ne l’écoute pas, dis-le à l’Église, et s’il n’écoute pas non plus l’Église, qu’il soit pour toi comme le païen et le publicain. » (Matthieu, XVIII, 15-17) Notons que Notre Seigneur parle à ses disciples comme si l’Église existait déjà. Notons aussi qu’Il ne parle que d’une seule Église.

Et ces deux passages se terminent par la même affirmation : « en vérité, je vous le dis, tout ce que vous lierez [4] sur la terre sera lié dans le ciel, et tout ce que vous délierez sur la terre sera délié dans le ciel. » (Matthieu, XVIII, 18). La première fois, Notre Seigneur parle à Saint Pierre (cf. Matthieu XVI, 19). Si le pouvoir est accordé à ses disciples, Saint Pierre le reçoit à un titre éminent. Non seulement Saint Pierre a une place fondamentale dans l’Église mais il a aussi des fonctions essentielles. Comme un maître dans sa maison, il en a les pleins pouvoirs.

Comme nous l’avons noté, Notre Seigneur Jésus-Christ utilise le terme d’Église au sens de société universelle des disciples du Christ. Ce sens est aussi employé dans les Actes des Apôtres. « Et Saul ravageait l’Église ; pénétrant dans les maisons, il en arrachait les hommes et les femmes, et les faisait jeter en prison. » (Act. des Ap., VIII, 2) Au travers des chrétiens, c’est bien l’Église qui est malmenée, persécutée. Saint Paul nous dira lui-même : « J’ai persécuté l’Église de Dieu. » (I Corinthiens, XV, 9)

« L’Église était en paix dans toute la Judée, la Galilée et la Samarie, s’édifiant et bâtissant dans la crainte du Seigneur, et se multipliait, par l’assistance de Saint Esprit. » (Act. des Ap., IX, 31) Cependant, dans ce dernier verset biblique, au lieu d’« Église », certaines versions bibliques portent plutôt « Églises » comme dans le verset suivant : « les Églises se fortifiaient dans la foi et croissant en nombre de jour en jour. » (Act. des Ap., XVI, 5) Le terme prendrait donc le sens d’Églises locales.

Le sens de société universelle est plus souvent utilisé dans les épîtres de Saint Paul. Il demande aux chrétiens de ne pas être un « scandale ni aux Juifs, ni aux Grecs, ni à l’Église de Dieu. » (I Corinthiens, X, 32) Mais plus loin dans la même épître (XI, 16), nous retrouvons aussi ce terme d’« Églises de Dieu » pour désigner les églises locales.

Dieu a donné le Christ pour « Chef suprême à l’Église. » (Éphèse, I, 22) Le terme employé dans ce verset a un sens incontestable. Plus loin, comparant le lien qui unit la femme à son époux à celui qui unit le Christ à l’Église, il affirme de nouveau que Dieu le Père « a tout mis sous ses pieds et Il l’a donné pour chef suprême à l’Église » (Éphèse, V, 22). Il est « la tête du corps de l’Église » (Colossiens, I, 18). Ainsi, Saint Paul présente l’Église comme étant une, sous la direction de Notre Seigneur Jésus-Christ.

L’Église comme Église céleste

Nous trouvons une fois le terme d’« assemblée des premiers nés » (Hébreux, XII, 23) pour désigner l’Église céleste de ces fidèles « inscrits dans les cieux ». Saint Jean la décrit comme « une foule immense, que personne ne pouvait compter, de toute nation, de toute tribu, de tout peuple et de toute langue. » (Apocalypse, VII, 9)

L’Église comme Corps mystique du Christ

Saint Paul compare souvent l’ensemble des Chrétiens à des membres d’un seul corps, marquant ainsi leur unité en dépit de leur diversité, et soulignant leurs liens avec Notre Seigneur Jésus-Christ et avec eux-mêmes. « Car, de même que nous avons plusieurs membres dans un seul corps, et que tous les membres n’ont pas la même fonction, ainsi, nous qui sommes plusieurs, nous ne faisons qu’un seul corps en Jésus-Christ, et chacun en particulier nous sommes membres les uns les autres. »(Romains, XII, 4-5) Chacun a ses dons, sa fonction, sa place dans ce corps. Les Chrétiens sont unis entre eux et sont dépendants les uns des autres.

Et ce Corps est celui de Notre Seigneur Jésus-Christ. « Vous êtes le corps du Christ, et vous êtes ses membres, chacun pour sa part. » (I Corinthiens, XII, 27) Or ce corps est aussi l’Église. Dieu « a tout mis sous ses pieds et il l’a donné pour chef suprême à l’Église, qui est son corps, la plénitude de celui qui remplit tout en tous. » (Éphésien, I, 22-23) Le Christ est « le Sauveur de l’Église, qui est son corps. » (Éphésiens, V, 23) Ce Corps est « disposé et solidement assemblé au moyen des nerfs et des jointures ». Du Christ dont Il est le chef, il « tire l’accroissement que Dieu lui donne. » (Colossiens, II, 19)

L’Église comme Maison de Dieu

Saint Paul écrit à Saint Timothée pour qu’il sache comment il faut se « conduire dans la maison de Dieu, qui est l’Église de Dieu vivant, la colonne et le fondement de la vérité. » (I Timothée, IV, 15) Or c’est en Notre Seigneur Jésus-Christ que tout édifice « bien ordonné » s’élève « pour former un temple saint dans le Seigneur » (Éphésien, II, 21). Et «  l’édifice de Dieu », « le champ de Dieu » (I Corinthiens, III, 9), que Dieu fait croître, ce sont les Chrétiens. Nous sommes « le temple de Dieu vivant » (II Corinthiens, VI, 16). L’Église est le lieu du culte de Dieu comme dans un Temple. Dieu en est le maître comme le maître de maison. Elle désigne le lieu où nous pouvons Le connaître et Le rencontrer.

L’Église comme une Épouse

Enfin, Saint Paul utilise une dernière analogie pour désigner l’Église. « De même que l’Église est soumise au Christ, les femmes aussi doivent l’être à leurs maris en toutes choses. » » (Éphésiens, V, 24) Par cette image, il montre le lien qui unit le Christ et son Église, c’est-à-dire l’amour de Notre Seigneur pour son Église. C’est un lien intime et fort…

Et dans une de ses visions, Saint Jean voit descendre du ciel « la ville sainte, une Jérusalem nouvelle, prête comme une épouse qui s’est parée pour son époux ». Il entend alors une voix qui dit : « voici le tabernacle de Dieu avec les hommes : il habitera avec eux, et ils seront son peuple, et Dieu même sera avec eux comme leur Dieu. » (Apocalypse, XXI, 2-3) Et avec l’Époux, l’Épouse dit : « Venez ! », « que celui qui a soif, vienne ! Que celui qui le désire, prenne de l’eau de la vie gratuitement ! » (Apocalypse, XXII, 17)

Conclusion

Dans toutes ces images, analogies ou désignations, l’Église est fondamentalement liée à Notre Seigneur Jésus-Christ. L’épouse n’existe pas sans époux, l’édifice sans la pierre angulaire, le troupeau sans le pasteur, le corps sans la tête. L’Église n’a pas de sens sans Notre Seigneur Jésus-Christ qui en est le chef. Notre Seigneur Jésus-Christ Lui-même la nomme son Église. Elle est la sienne en tant que maître. Il est la Tête du Corps. Mais ce lien est encore plus fort. Il est aussi amour au point que parfois il y a identification entre Notre Seigneur et son Église.

Si dans les épîtres, elle désigne parfois ce qui deviendra la paroisse, le sens d’Église une et universelle est nettement affirmé. L’image de l’Église comme un Corps manifeste l’unité et l’universalité. Rappelons aussi le sens original de l’Église. Elle est une assemblée qui est convoquée. Nous y entrons parce que nous y sommes appelés par la foi. Avant le second concile de Vatican II, « le catéchisme romain décrit l’Église comme la réunion des fidèles qui ont été appelés à la lumière de la vérité et à la connaissance de Dieu dans la foi »[5]. Et en y entrant, nous entrons dans le Tabernacle.

Enfin, Notre Seigneur Jésus-Christ emploie le terme d’Église pour définir le rôle de Saint Pierre et des Apôtres. Nous sommes loin d’une Église sans direction ni ossature ni structure, purement spirituelle, livrée aux membres. Ses membres ont des fonctions diverses comme les membres d’un corps. Elle est donc visible par ses chefs et par ses membres et en ses membres.

Finalement, si la nature de l’Église n’est pas définie avec précision dans la Sainte Écriture, tant elle paraît riche et difficilement saisissable en des expressions simples, elle est néanmoins suffisamment discernable pour rejeter certaines conceptions. Ses caractères de visibilité, d’unité, d’universalité y sont nettement affirmés. L’idée selon laquelle l’Église serait uniquement spirituelle ou encore née d’une initiative d’hommes ne résiste guère à une lecture attentive de la Sainte Écriture. 






Notes et références
[1] P. Tihon, Les Signes du Salut, tome III, 2ème partie, de l’Histoire des Dogmes, 1995, sous la direction de Bernard Sesboüé, Desclée.
[2] Pour être plus proche de l’araméen, nous pourrions encore traduire : « tu t’appelles Roc et sur ce roc, je bâtirai mon Église. » Ou encore « tu t‘appelles Pierre et sur Pierre, je bâtirai… » En araméen, le nom de Céphas que Notre Seigneur donne à Saint Pierre signifie exactement « roc ».
[3] Ou les Portes de l’Hadès. Elles désignent les puissances de mort, qui seront impuissantes contre l’Église. Les portes évoquent l’image de la puissance car c’est aux portes que les autorités rendaient la justice en Orient.
[4]Les termes de « lier » et « délier » signifient « défendre », « permettre », y compris dans le domaine doctrinale.
[5] Mgr Bernard Bartmann, Précis de Théologie dogmatique, Tome II, Livre 5, §137, éditions Salvator, 1944.

samedi 10 septembre 2016

"Hors de l'Église, point de salut"

Dans son discours d’ouverture, le Pape Jean XXIII souhaitait que le second concile de Vatican clarifie l’enseignement de l’Église pour favoriser l’unité des Chrétiens dans un contexte favorable au rapprochement. La constitution dogmatique Lumen Gentium [1] définit notamment ce qu’est l’Église. En effet, il n’est guère possible de parler de l’unité des Chrétiens sans définir ce qu’est l’Église et des relations qui existent entre l’Église et les communautés dites séparées. Le texte conciliaire distingue l’Église du Christ, l’Église catholique et les autres communautés.


Le second concile de Vatican ne définit pas l’Église en fonction de sa nature ou de ses membres mais en fonction des instruments de salut qu’elle possède. Il est dit que l’Église catholique possède seule en plénitude les moyens de salut que Notre Seigneur Jésus-Christ a fournis à l’Église alors que les autres communautés les possèdent partiellement. Ainsi ces dernières possèdent des moyens de salut même si leur force est tirée de l’Église catholique. De même, l’Église catholique possède seule en plénitude la vérité, les autres églises les possédant partiellement. C’est dans ce sens que l’Église « subsiste dans » l’Église catholique[2].

L’objectif de clarification voulu par l’initiateur du concile ne nous semble pas atteint, bien au contraire. La doctrine que nous venons de résumer nous semble trop succinctement définie dans la constitution dogmatique et soulève de nombreuses questions. L’ambiguïté des termes employés et le manque de précisions ont ainsi obligé la congrégation de la foi à intervenir à plusieurs reprises pour définir le sens du texte. Aujourd’hui encore, elle désoriente les catholiques. Elle semble en effet remettre en cause l’enseignement traditionnel de l’Église au point de favoriser le relativisme ou l’indifférence religieux. Que devient en effet l’adage : hors de l’Église, point de salut ? Doit-il être abandonné pour suivre l’orientation du second concile de Vatican ? Notre article revient sur cette citation célèbre...

Selon Saint Cyprien de Carthage

La phrase est tirée d’une œuvre de Saint Cyprien de Carthage, intitulée De l’Unité de l’Église. Elle a été écrite pour s’opposer à des schismatiques[3]. L’Église est l’« épouse du Christ », nous dit-il. « Elle nous garde pour Dieu, elle met au monde des enfants pour son Royaume. » Ainsi, continue-t-il, celui qui quitte l’Église commet un adultère. « Il ne pourra pas obtenir ce que l’Église promet. Celui qui abandonne l’Église du Christ ne recevra pas les récompenses du Christ. » Par conséquent, « c’est un étranger, un adversaire et un ennemi. » En effet, « on ne peut pas avoir Dieu pour Père quand on n’a pas l’Église pour mère. » Comme seul le bateau de Noé a pu sauver l’humanité du déluge, « personne ne peut se sauver en dehors de l’Église. »[4]

La position de Saint Cyprien est claire. Les textes post-conciliaires reviennent souvent sur son ouvrage pour légitimer le mouvement œcuménique sans évoquer sa doctrine de l’exclusivisme salutaire. Notons qu’elle donnera lieu à un conflit avec le Pape car elle s’inscrit dans son refus de reconnaître la validité des baptêmes conférés par des prêtres schismatiques.

Saint Cyprien soutient en effet qu’ils font rebaptiser ceux qui ont reçu le baptême par des hérétiques ou des schismatiques. Dans une lettre qu’il adresse à Quintus, il justifie sa position : « il est manifeste que ceux qui ne sont pas dans l'Église du Christ sont au nombre des morts, et qu'on ne peut recevoir la vie de celui qui n'est pas lui-même vivant, attendu qu'il n'y a qu'une Église qui, ayant obtenu la grâce de la vie éternelle, tout ensemble vit éternellement, et vivifie le peuple de Dieu. »[5] La citation est explicite dans deux des lettres de Saint Cyprien[6].

Selon Origène

Toujours au IIIe siècle, en Orient, Origène a le même discours : « que personne donc ne s’illusionne, que personne ne se trompe lui-même : hors de cette demeure, c’est-à-dire hors de l’Église, personne n’est sauvé. » Ainsi « celui qui en sort est lui-même responsable de sa mort »[7]. Le texte est tiré d’une homélie sur le récit historique de Josué et de l’installation des Juifs en Palestine. Il interprète la conquête de la Terre promise sous la conduite de Josué comme l’image charnelle de la conquête spirituelle du Royaume des Cieux sous la conduite de Jésus, le chef du nouvel Israël qu’est l’Église. L’homélie daterait de 239-242. Origène évoque aussi le récit de Rahab. Sa maison, figure de l’Église, est seule sauvée de la destruction de Jéricho[8] car elle-seule a recueilli les envoyés de Josué. Tous ceux qui y demeurent sont sauvés de la mort. Hors du bercail, dont Notre Seigneur Jésus-Christ est la seule entrée, aucune brebis ne peut être sauvée.

Deux remarques

Saint Cyprien et Origène parlent essentiellement de ceux qui ont quitté l’Église en rompant l’unité de foi ou l’unité de gouvernement en adhérant à une hérésie ou à un schisme. Ils traitent aussi des apostats et des excommuniés, c’est-à-dire ceux que l’Église a retranchés de son sein. Mais ils ne traitent pas du cas des incroyants et des croyants des autres religions sans oublier les chrétiens qui, sans jamais avoir appartenu à l’Église, ne vivent pas en communion avec elle.

La deuxième remarque concerne le terme de l’Église. Saint Cyprien et Origène évoquent l’Église comme étant visible et non d’une éventuelle Église invisible ou spirituelle. Leurs discours traitent de problèmes concrets, ancrés dans une réalité bien comprise.

Sens de l’adage « Hors de l’Église, point de salut » 

L’adage exprime que, hors de l’Église, l’homme ne peut pas se sauver. Il n’existe pas d’autres portes de salut, d’autres voies pour gagner son éternité. Saint Cyprien compare l’Église à une mère qui par définition donne la vie. Certes elle n’est pas cause de la vie mais plutôt le canal par lequel elle se donne. Mais il ne suffit pas de renaître pour vivre, encore faut-il garder cette vie. L’Église donne donc aussi les moyens de la préserver, de la développer, de la fortifier. C’est pourquoi Saint Cyprien compare les hérétiques et les schismatiques à des morts. Ils ont reçu la vie mais ils ne l’ont plus. Le salut appartient à ceux qui possèdent la vie que seule l’Église peut donner et maintenir…

L’adage définit donc l’Église comme seule dispensatrice du salut. Il s’oppose donc clairement à l’idée selon laquelle d’autres religions détiennent des moyens de salut. Face au monde, elle affirme son exclusivité.

Si Saint Cyprien ou Origène sont les premiers auteurs chrétiens connus à avoir explicitement formulé l’adage « Hors de l’Église, point de salut », la vérité qu’elle exprime est nettement plus ancienne.

Un Pasteur, une Église

Rappelons d’abord qu’à plusieurs reprises, Notre Seigneur Jésus-Christ s’affirme comme seul Sauveur et unique Pasteur. Il est « le chemin, la vérité et la vie », nous dit-Il (Jean, XIV, 6). Hors de lui, point de salut. Sa mission est justement de sauver les hommes. Il est le Messie tant attendu qui doit établir le Royaume de Dieu. Il est le Pasteur qui doit rassembler le troupeau. « Je suis la porte ; si quelqu’un entre par moi, il sera sauvé » (Jean, IX, 9). Il est l’unique Sauveur…

Les Apôtres prêchent la même nécessité, la même exclusivité. « Le salut n’existe pas en aucun autre ; car il n’y a pas sous le ciel un autre nom qui ait été donné aux hommes, par lequel nous devions être sauvés. »(Actes des Apôtres, IV, 12)

L’Église, institution de salut

Avant son Ascension, Notre Seigneur Jésus-Christ avertit les Apôtres qu’Il doit les laisser. Puis, il « fut enlevé au ciel » (Marc, XVI, 19). Il ne les laisse pas seuls. « Je suis avec vous tous les jours jusqu’à la consommation des siècles. » (Matthieu, XXVIII, 20) Pour poursuivre son œuvre, Il fonde l’Église. Selon la doctrine catholique, Notre Seigneur Jésus-Christ « a résolu de construire la Sainte Église dans laquelle, comme dans la maison du Dieu vivant, tous les fidèles seraient réunis par le lien d’une seule foi et d’une seule charité » afin de « rendre durable l’œuvre du salut de la Rédemption »[9].

Notre Seigneur Jésus-Christ a acquis les moyens de salut au profit de l’homme. L’Église doit désormais les appliquer. Ainsi les Apôtres sont les « serviteurs du Christ et les dispensateurs des mystères de Dieu. »(I Épître aux Corinthiens, III, 11). Elle est bien une institution de salut. Elle précède la communauté, la fonde et la maintient. Elle est ensuite la société des fidèles. Cela ne signifie pas qu’elle n’est qu’institution de salut…

L’ordre de mission que reçoivent les Apôtres est une conséquence de la mission dévolue à l’Église. L’évangélisation n’a pas de sens si elle n’est pas liée à l’idée du salut. « Allez par tout le monde et prêchez l’Évangile à toute créature. Celui qui croira et sera baptisé sera sauvé ; celui qui ne croira pas sera condamné. » (Marc, XVI, 15-16) Les paroles de Notre Seigneur Jésus-Christ signifient d’une part que le baptisé peut être sauvé. Mais cela ne suffit pas. Pour être sauvé, il y aussi une deuxième condition, l’obligation de croire. Cette dernière est si importante que celui qui n’a pas la foi est nécessairement perdu. « Celui qui ne croira pas sera condamné. »

Mais que croire ? Ce qu’enseignent les Apôtres. À ses disciple, Notre Seigneur leur dit bien : « celui qui vous écoute, m’écoute, et celui qui vous méprise, méprise celui qui vous a envoyé. » (Luc, X, 16) Sodome et Gomorrhe, qui ont été détruites par Dieu pour leur immoralité, seront mieux jugées que ceux qui ont repoussé la prédication chrétienne. Dans leurs lettres, les Apôtres rappellent alors aux différentes communautés qu’elles doivent demeurer fidèles à leur enseignement. Saint Paul prévient aux Galates que, « quand nous-mêmes, quand un ange venu du ciel vous annoncerait un autre Évangile que celui que nous vous avons annoncé, qu’il soit anathème ! »(Galates, I, 8) Saint Jean avertit du danger des séducteurs. « Prenez garde, afin que vous ne perdiez pas le fruit de votre travail, mais que vous receviez une pleine récompense. Quiconque va au-delà et ne demeure pas dans la doctrine du Christ, n’a point Dieu : celui qui demeure dans cette doctrine a le Père et le Fils.» (II Jean, 8).

Il faut demeurer dans la lumière pour vivre de la lumière. « Si ce que vous avez entendu dès le commencement demeure en vous, vous demeurez aussi dans le Fils et dans le Père. »(I Jean, II, 20) Car Notre Seigneur Jésus-Christ est la lumière, « la vraie lumière qui éclaire tout homme venant en ce monde » (Jean, I, 9) Et l’Église porte cette lumière et la répand. Tout l’enseignement de Saint Jean tourne autour de cette fidélité à Notre Seigneur Jésus-Christ et à son enseignement afin qu’Il demeure en nous. « Nous savons que le Fils de Dieu est venu, qu’il nous a donné l’intelligence pour connaître le vrai Dieu, et nous sommes en ce vrai Dieu, étant en son Fils Jésus-Christ. C’est lui qui est le Dieu véritable et la vie éternelle. » (I Jean, V, 20)

Mais l’évangéliste ne s’arrête pas là. Il demande de ne pas recevoir celui qui répand la mauvaise parole, c’est-à-dire le séducteur et le faux docteur. « Si quelqu’un vient à vous et n’apporte point cette doctrine, ne le recevez pas dans votre maison, et ne lui dites pas : Salut ! Car celui qui dit : Salut ! participe à ses œuvres mauvaises. » (II Jean, 10-11) Nous retrouvons l’idée de Saint Paul. Nous devons rompre avec les chrétiens qui sont indignes de leur titre de peur de les encourager dans le péché et de diminuer la gravité de leur faute. Ce qui est vrai dans la moralité l’est aussi dans la vérité. Accueillir le mensonge, c’est favoriser sa diffusion ; c’est encourager les hommes à donner confiance aux séducteurs et aux faux docteurs. Ainsi l’Église a le devoir de dénoncer le mensonge et l’erreur, et d’exclure ceux qui pervertissent la doctrine de Notre Seigneur Jésus-Christ.


L’Église est donc la continuation de l’action de Notre Seigneur Jésus-Christ dans le temps et dans l’espace. Certains saints verront même une pleine identification entre l’Église et Notre Seigneur. Selon Bossuet, « c’est Jésus-Christ, mais Jésus-Christ répandu et communiqué. »[10]

Enfin, Notre Seigneur Jésus-Christ ne veut « qu’un seul troupeau et un seul pasteur » (Jean, X, 16). Il prie « pour que tous soient un » (Jean, XVII, 21). L’Église est une et indivisible par nature. Saint Paul définit précisément l’Église comme un corps dont la tête est Notre Seigneur Jésus-Christ. Les membres qui forment ce corps vivent de sa vie tant qu’ils restent attachés à la tête. Lorsqu’ils se détachent, ils meurent. La parabole de la vigne en est aussi une belle illustration. Le sarment qui n’est plus rattaché au cep n’en reçoit plus la sève et meurt. La vie n’y circule plus. Hors de l’Église, il n’y a plus de vie.  Il est nécessaire d’appartenir à l’Église pour être sauvé.



Mais quel sens faut-il donner à « appartenir à l’Église » ? Plusieurs cas se présentent. Avant de poursuivre, rappelons brièvement la doctrine catholique sur la sanctification de l’âme.

La grâce sanctifiante

Dieu peut nous communiquer sa vie divine dans une certaine mesure. La vie surnaturelle est cette participation à la vie divine. Le moyen de la verser en nous est la grâce. C’est un don surnaturel que Dieu nous accorde à cause des mérites de Notre Seigneur Jésus-Christ. C’est donc par la grâce que Dieu nous conduit à la vie éternelle. Elle est le seul moyen d’atteindre le ciel. Elle est aussi un don, c’est-à-dire une chose gratuite. Elle est enfin surnaturelle puisqu’elle dépasse les exigences de notre nature.

La doctrine catholique distingue deux sortes de grâces : la grâce actuelle, de caractère transitoire, et la grâce habituelle, de caractère permanent. La grâce habituelle réside dans notre âme et la rend juste et sainte aux yeux de Dieu. Elle est ainsi appelée grâce sanctifiante. C’est par elle que Dieu nous fait enfants adoptifs. Par le péché mortel, nous perdons toute grâce. Sans la grâce sanctifiante, il n’est point possible de vivre de la vie divine. 

La question d’appartenance

Par le baptême, le fidèle appartient à l'Église mais s'il ne possède pas la grâce sanctifiante ou s'il n'a pas la foi, il n'appartient qu'extérieurement à l’Église ou encore au corps de l’Église. Il est incorporé à l’Église mais sans avoir la vie divin qui lui assure le salut.

Revenons aux paroles de Notre Seigneur Jésus-Christ. « Celui qui ne croira pas sera condamné. » Remarquons qu’Il ne dit pas « celui qui ne sera pas baptisé et ne croira pas sera condamné ». D’autres fidèles de Dieu, comme les Justes de l’Ancien Testament, sont justifiés tout en n’ayant jamais reçu le baptême. Des enfants qui meurent sans baptême sont-ils damnés ? Des hommes n’ayant connu que leur île, sans aucun contact avec le monde extérieur, comment peuvent-ils être baptisés ? Selon la doctrine catholique, nous pouvons en effet gagner le salut sans connaître l’Église, notamment dans le cas de l’ignorance invincible[11]. Ces hommes appartiennent en fait intérieurement à l’Église ou encore à l’Âme de l’Église. L’Âme de l’Église comprend tous ceux qui vivent de la grâce sanctifiante.

Enfin, des hommes peuvent appartenir extérieurement et intérieurement à l’Église. Ils appartiennent au Corps et à l’Âme de l’Église. Cette règle est une nécessité de moyen pour tous ceux qui ont une connaissance suffisante de l’Église ou pourraient l’avoir mais restent dans une ignorance volontaire.

Rappelons encore un point essentiel : Dieu peut sauver qui Il veut. Il pourrait conduire l’humanité au salut sans Église. Mais ce n’est pas la voie normale qu’Il a choisie et qu’Il nous a donnée. Par ailleurs, personne autre que Dieu ne sait qui est hors de l’Âme de l’Église ou hors de l’Église. Il est donc inutile de vouloir traiter ces cas particuliers.

Appartenir à l’Âme de l’Église

Pour être sauvé, il faut donc appartenir à l’Âme de l’Église. C’est une nécessité de moyen. « Le moyen doit être saisi tout au moins en désir par celui qui veut atteindre le but auquel est ordonné ce moyen. »[12] Cela signifie que nul ne peut se sauver s’il n’appartient pas à l’Âme de l’Église. Cette loi ne souffre d’aucune exception.

Ceux qui sont dans l’erreur invincible, ceux qui observent leur religion de bonne foi et qui s’efforcent de plaire à Dieu selon les lumières de leur conscience peuvent appartenir à l’Âme de l’Église alors qu’ils ne font pas partie de son corps, du moins extérieurement et implicitement. Selon Pie IX, « nous savons et vous savez qui souffrent d’une ignorance coupable invincible à l’égard de Notre sainte religion, et qui, observant avec soin la loi naturelle et ses préceptes, gravés par Dieu dans le cœur de tous, et disposés à obéir à Dieu, mènent une vie honnête et droite, peuvent, avec l’aide de la lumière et de la grâce divine, acquérir la vie éternelle ; car Dieu, qui voit parfaitement, scrute et connaît les esprits, les âmes, les pensées et les habitudes de tous, ne permet pas, dans sa souveraine bonté et clémence, que celui qui, n’est pas coupable de faute volontaire soit puni par les supplices éternels. »[13]

Ceux qui sont dans l’ignorance volontaire, qui refusent d’entrer dans l’Église, d’accepter sa doctrine et de pratiquer ses commandements ne peuvent être sauvés. « Il est aussi très connu, ce dogme catholique : que personne ne peut se sauver hors de l’Église catholique, et que ceux-là ne peuvent obtenir le salut éternel qui sciemment se montrent rebelles à l’autorité et aux définitions de l’Église, ainsi que ceux qui sont séparés de l’unité de l’Église et du Pontife romain, successeur de Pierre, à qui a été confiée par le Sauveur la garde de la vigne. » [14]« Ils peuvent donc se sauver car Dieu les jugera sur ce qu’ils auront connu et accompli, non sur ce qu’ils auront ignoré la loi. »[15]

Conclusion





L’Église est ouverte à tous les hommes, sans exception. Tous ont donc la possibilité d’y entrer et d’y demeurer. Rien ne peut entraver l’entrée au Royaume de Dieu. La langue, la culture, la civilisation ne peuvent y faire obstacle. Notre Seigneur Jésus-Christ l’a fondée en lui dotant des pouvoirs et des moyens pour sauver tous les hommes et les ramener à l’unité en Dieu. Mais faut-il encore que l’Église soit connue, qu’elle ait des ouvriers pour répandre la bonne parole et que cette parole soit comprise. Elle a donc pour vocation de se développer et de se répandre afin de rassembler tous les hommes en Dieu. Mais si son rôle est de continuer l’œuvre rédemptrice de Notre Seigneur Jésus-Christ, elle ne peut aller à l’encontre de l’homme au sens où il peut refuser d’y entrer en connaissance de cause. Par conséquent, libre de son choix, il porte la responsabilité de sa perte. De même, celui qui entre dans l’Église puis la quitte est condamné. Mais celui qui demeure dans l’ignorance invincible, non volontaire, qui peut le juger si ce n’est Dieu ? Soyons certains que Dieu accorde à tous les moyens d’atteindre le ciel et de vivre de son éternité. Nul ne peut échapper à sa miséricorde. Cependant, s’Il est cause de notre bonheur, l’homme est seul responsable de sa perte…

« Hors de l’Église, point de salut » ne doit donc pas être considéré comme une application stricte à tous les cas. L’adage ne peut englober toute la Miséricorde divine. Aucune expression. Il doit être vu comme un principe. « À nouveau nous devons mentionner et blâmer la très grave erreur dans laquelle malheureusement se trouvent certains catholiques qui pensent que des hommes vivant dans l’erreur et loin de la vraie foi et de l’unité catholique peuvent parvenir à la vie éternelle. Or cela est contraire au plus haut point à la doctrine catholique. »[16] Il signifie aussi que selon la volonté divine, quiconque reconnaît l’Église comme une institution divine a le devoir d’y entrer et qu’il ne lui est pas loisible de chercher son salut soit isolément soit dans une autre religion. Celui qui enseigne la Parole de vie doit donc prévenir son auditeur. Qui peut en effet être agréable à Dieu et L’aimer véritablement s’il laisse l’homme demeurer hors de l’Église en toute connaissance de cause ?  Là est la véritable charité…




Notes et références
[1] Voir Émeraude, "Le Concile de Vatican II : Lumen Gentium, source d'interrogations et d'inquiétudes", juillet 2017.
[2] Voir Émeraude, "Mouvement œcuménique : expression "subsistit in" dans Lumen Gentium", juillet 2017.
[3] Voir Émeraude, "La Tunique sans couture", Juin 2017.
[4] Saint Cyprien, De l’unité de l’Église, n°6, texte latin du Corpus Christianorum, séries Latina III, Brepols, 1972, trad. Pierre de Labriolle, www.patristique.org, mise en ligne 2004.
[5] Saint Cyprien, Lettre 71.
[6] Voir Saint Cyprien, Lettre 4, 4 et Lettre 73, 21,2
[7] Origène, Homelia in librum Jesu nave, III, 5.
[8] cf. Juges, II, 17-19.
[9] Concile de Vatican I
[10] Bossuet dans Histoire de l’Église, Dom. Ch. Poulet, chapitre préliminaire, Tome I, Beauchesne, 1935.
[11] L’ignorance est dite invincible lorsque l’ignorant n’a pas les moyens d’être instruit ou de s’instruire.
[12] Précis de théologie dogmatique, Tome II, §139.
[13] Pie IX, encyclique Quanto conficiamur moerore aux évêques d’Italie, 10 août 1863, Denzinger 2866.
[14] Pie IX, encyclique Quanto conficiamur moerore, Denzinger 2866.
[15] Abbé Boulanger, La Doctrine catholique, 1ère partie, Le Dogme (Symbole des Apôtres), n°130, 7ème édition, 1925.
[16] Pie IX, encyclique Quanto conficiamur moerore, Denzinger 2865.