" La pierre précieuse, voire de grand prix aux yeux de certains, qu'est l'émeraude, se voit insultée par un morceau de verre habilement truqué, s'il ne se rencontre personne qui soit capable de procéder à un examen et de démasquer la faute. Et lorsque de l'airain a été mêlé à l'argent, qui donc, s'il n'est connaisseur, pourra aisément le vérifier ? "(Saint Irénée, Contre les hérésies)


samedi 25 août 2018

Le Grand Schisme d'Occident, un événement pour l'Église (1) : Introduction


Il est difficile de comprendre la situation qui agite l’Église au XVIe siècle sans connaître la division qu’elle a connue à son sommet pendant trente-neuf ans au XIVe siècle, de 1378 à 1417. Deux puis trois « papes » se disputent en effet la dignité pontificale. Cette division porte un nom : le Grand Schisme d’Occident. Un siècle après la fin de ce drame, Luther affichera ses fameuses thèses et déclenchera sa révolution. Ce n’est sans-doute pas un hasard. C'est certes une épisode peu glorieuse de l’histoire de l’Église mais si instructive pour notre temps si troublé. Elle nous éclaire en effet sur les limites de l’autorité pontificale en cas de défaillance.

Un schisme particulier

Ce n’est pas la première fois qu’un pape se voit concurrencer par un autre. Généralement, on appelle « antipape » celui qui se dresse devant le pape légitime et revendique le trône pontifical. Depuis le début du IIIe siècle jusqu’au XIVe siècle, l’Église en a connu de nombreux. Certains se sont autoproclamés et même sacrés « papes »[1], d'autres ont été suscités par des Empereurs romains ou germaniques[2]. Lors du conflit entre l’Empire et la Papauté au XIIe siècle, les antipapes ont été particulièrement nombreux. Mais, le Grand Schisme ne ressemble guère à ces schismes

Le terme même d'« antipapes » n'est pas souvent employé pour désigner ceux qui finalement ne seront pas reconnus par l'Église. Jean Favier écarte ce mot dans son ouvrage sur les Papes d'Avignon, considérant que cette appellation « implique un jugement qui n'appartient pas à l'histoire et qu'elle est anachronique »[19]. Dans nos articles, nous désignons « ceux qui se disent papes » par le terme de pape mais en usant de guillemets, ou encore par les expressions de « pape d'Avignon »« pape de Rome » ou « pape de Pise » par simple facilité, même si nous reconnaissons les « papes » d'Avignon ou de Pise comme des antipapes, et les « papes de Rome » comme les papes légitimes.

Le Grand Schisme d’Occident est d’abord le plus long des schismes occidentaux et, contrairement aux autres schismes, touche toute la Chrétienté. Les schismes précédents sont généralement de courte durée et limités à Rome, à l’Italie, voire aux terres impériales. En outre, depuis le Concile de Latran III, en 1179, les élections pontificales ont été bien définies. Il est donc plus facile de reconnaître la légitimité d’une élection et donc d’un pape. Ainsi, à partir de ce concile, un antipape a une existence plutôt brève et de portée limitée.

Or, au cours du Grand Schisme, la moitié de la Chrétienté est opposée à l’autre. Les empereurs, les rois, les universités, etc. se rangent sous l’obédience d’un des « papes » autant par intérêt politique que par conviction religieuse. La division atteint aussi les Ordres religieux, les diocèses, les familles… Nous pouvons imaginer le désordre que cela génère et les scandales qui en résultent. Des évêques et des abbés d’obédience différente se disputent un évêché ou une abbaye. Les saints sont aussi divisés. Saint Catherine de Suède et Sainte Catherine de Sienne ne reconnaissent pas le même pape que Saint Vincent Ferrier ou Sainte Colette.

Enfin, le Grand Schisme n’a pas été suscité par un empereur, un roi ou par un rival en opposition à un pape déjà élu, comme au XIIe siècle par exemple, mais par les cardinaux eux-mêmes, c’est-à-dire par les électeurs légitime du pape et en conformité, au moins en apparence, avec les règles électorales. La question de la légitimité soulève alors bien des difficultés.

La véritable question

Au début du Grand Schisme d’Occident, deux papes s’affrontent : Urbain VI et Clément VII. C’est pourquoi leurs partisans portent le nom d’« urbanistes » ou de « clémentistes ». À la mort d’Urbain VI et de Clément VII, des cardinaux élisent leur successeur selon les règles pontificales, faisant ainsi perdurer le schisme.

Tout commence par l’élection d’Urbain VI en 1378. Elle se déroule à Rome sous la pression et la menace d’une population romaine en colère. Les Romains exigent un pape romain, voire italien. Le problème tourne alors autour d’une question : les cardinaux ont-ils eu la liberté suffisante pour que l’élection d’Urbain VI soit valide ? Ou dit autrement, l’ont-ils élu sous la crainte ou par l’effet de la crainte ? L’élection est en fait un véritable imbroglio où il est bien difficile de juger de la régularité des élections et donc d’évaluer la légitimité de ceux qui se disent papes.

Les avis et les témoignages divergent. Les « urbanistes » tentent de démontrer qu’en dépit de la crainte, certes réelle mais néanmoins toute relative, les règles canoniques ont été respectées alors que les « clémentistes » cherchent surtout à souligner le contexte pressant de l’élection et à justifier le comportement des cardinaux.

Le document de référence des « urbanistes » est le Factum, une sorte de mémoire qui relate les faits de son élection. Il a été écrit par Urbain VI lui-même et adressé aux princes. Leurs adversaires s’appuient plutôt sur la Déclaration des douze cardinaux électeurs de Clément VII, publié à Anagni le 2août 1378.

De nombreuses sources mais à manier avec précaution

Pour justifier des positions ou mieux éclairer des choix, des enquêtes ont été menées de 1378 à 1386 à la demande des premiers « papes » du Grand Schisme (Urbain VI, Clément VII) ou à la demande des rois (Portugal en 1379, Castille en 1381, Aragon en 1386). Elles aboutissent à des conclusions contradictoires. De ces enquêtes, il nous reste encore cinq recueils qui contiennent les dépositions des témoins[3]. La masse des documents encore disponibles est ainsi impressionnante.

Mais dans ces nombreux recueils, il est bien difficile de discerner le vrai du faux. Il est encore plus difficile, voire impossible, d’apprécier la sincérité et la valeur des votes et des témoignages des cardinaux et des hommes qu’ils ont rendus à Urbain VI non seulement le jour de son élection mais également les trois mois décisifs qui l’ont suivie. « Les témoins les mieux instruits étaient aussi les plus suspects ; nul ne pouvait mieux que les cardinaux renseigner sur leurs propres actes, sur leurs propres dispositions d’esprit. Mais nul aussi n’avaient plus qu’eux intérêt à travestir les faits dont pouvait résulter leur propre condamnation. »[4] En raison de son importance et de ses conséquences, notamment religieuses et politiques, cet événement ne laisse guère les personnes indifférentes. Dans les témoignages ou les rapports, il y a sans aucun doute des exagérations, des réticences, des inexactitudes plus ou moins volontaires ou conscientes. Les questions d’intérêt se mêlent aussi aux questions de droit et de notoriété. « De saçvoir qui a meilleure raison, il est trop difficile aux hommes, et Dieu seul le cognoit. »[5]

Une historiographie abondante

Les historiens disposent donc de nombreuses informations, en particulier sur l’élection d’Urbain VI et des mois qui l’ont suivie. Au temps du schisme, des chroniqueurs ont relaté la crise dans leurs récits. Au XVIIe siècle, Étienne Baluze (1360-1718), bibliothécaire de Colbert et important éditeur de sources conciliaires et auteur de bibliographie des papes d’Avignon, a écrit le premier ouvrage de référence sur le schisme. Nous pouvons aussi citer une première Histoire du Grand Schisme d’Occident par le jésuite Louis Maimbourg (1610-1686). Écrits dans une période où sont difficiles les relations entre Louis XIV et la Papauté, ces ouvrages tentent de montrer le rôle bénéfique du royaume de France dans cette crise et défendent les papes installés à Avignon. Ils s'opposent généralement aux propos du cardinal Baronius (1538-1607) et de l'oratorien Odorici Raynaldi (1595-1671) dans les Annales ecclésiastiques.

À partir de la fin du XIX siècle, le Grand Schisme fait l’objet de nouvelles publications. L’ouverture des archives vaticanes, l’essor des études historiques et le contexte politique en France et en Italie expliquent probablement ce regain d’intérêt. Il donne lieu à un ouvrage de Louis Gayet [6] mais surtout à un livre de Noël Valois (1855-1915), une véritable somme qui fait encore autorité de nos jours, La France et le Grand Schisme d'Occident [20].

Composé de quatre tomes, publié entre 1896 et 1902, l’œuvre de Noël Valois représente une « entreprise magistrale de documentation du schisme d’un point de vue français » au point qu’il « demeure, encore à ce jour, un ouvrage de référence et une source de renseignements précieuse pour les historiens du schisme. »[7] L’auteur confronte les différentes déclarations et souligne en particulier les témoignages favorables à l’un des « papes » alors qu’ils sont donnés par ses adversaires. L’intention de Noël Valois est surtout de relativiser le rôle de la France dans le grand schisme souvent accusée d’en être un des grands responsables. La principale limite de cet ouvrage est d’étudier le Grand Schisme dans une perspective française comme l’indique clairement son titre. 

Une thèse d’Édouard Perroy (1901-1975), publiée en 1933, donne une vue sur l’Angleterre[8] et sur sa politique pendant le schisme. Nous pouvons aussi citer la synthèse du chanoine Louis-Joseph Salembier (1849-1913) qui apporte une vue catholique de ce drame[9]. Elle a connu une grande diffusion. Enfin, en 1962, le Grand Schisme fait l’objet d’un volume dans la collection Histoire de l’Église, dirigée par Augustin Fliche et Victor Martin[10]. Il est considéré par certains comme la synthèse la plus solide[11]. Il se concentre davantage sur l’impact de l’événement sur la société de ce temps.

Les Français ne sont pas les seuls à s’intéresser au Grand Schisme. Nous pouvons citer les anglais Ullman, Smith, l’allemand Seidlmayer ou encore l’espagnol Suarez Fernandez [12].

À l’occasion du 600ème anniversaire du déclenchement du schisme, deux colloques réunissent les spécialistes de la question et aborde les aspects politiques, sociaux et culturels[13]. Les ouvrages et les thèses traitent désormais davantage de l’histoire sociale du schisme, ou s’en restreint à un aspect, par exemple au niveau de la curie pontificale avignonnaise ou romane, d’un ordre religieux[14], ou encore d’une région ou des diocèses afin d’en évaluer les impacts. 

Des travaux se poursuivent encore sur l’événement. Hélène Millet, directrice de recherche au CNRS, est une des spécialistes actuels de l’histoire du Grand Schisme[15].

Enfin, des ouvrages traitent indirectement du Grand Schisme dans le cadre d’étude sur la théorie du conciliarisme comme Brian Terney[16].

Une abondante documentation à étudier prudemment

Pour bien utiliser l’extraordinaire masse d’archives dans cette affaire si impénétrable, faut-il encore avoir le sens de la critique. Les premiers ouvrages tentent d’argumenter en faveur d’un des « papes ». Avocats d’une des obédiences, certains historiens ont fortement affirmé la légitimité des « papes » d’Avignon ou de Rome[17]. Les plus insidieux sont ceux qui semblent garder une certaine neutralité tout en donnant des remarques défavorables à Urbain VI. Ces prises de positions contradictoires ne font qu’accroître les confusions, les incertitudes et les discordes, et rendent inextricable ce qui paraît déjà bien difficile. Des historiens, plus attachés à défendre une certaine conception des pouvoirs, n’hésitent pas à louer le rôle des rois dans le Grand Schisme au détriment de la Papauté. Ainsi, cherchent-ils à montrer indirectement leur autorité dans l’Église, au moins dans leur royaume, au détriment de celle du pape. Les ouvrages récents ne prétendent plus justifier la légitimité d’un des « papes » ou une conception du pouvoir mais d’en décrire tous les aspects…

Les divergences ne sont pas sans explication. Elles peuvent être la cause d’utilisation incomplète des sources d’informations, d’absence de critiques rigoureuses, de manque d’impartialité, surtout quand l’historien se transforme en juge. En outre, ils sont généralement écrits dans des contextes particuliers. Le conflit qui oppose les ultramontains et les gallicans du XVIIe siècle influence les différents ouvrages de l’époque. La passion a souvent tendance à obscurcir le jugement. Il est clair que l’historien ne peut guère jouer le rôle de juge ou d’avocat dans cette histoire.

Dans notre article, nous nous appuyons fortement sur l’ouvrage de Noël Valois [20] sans oublier les dernières études réalisées. Dans le cadre de notre projet apologétique, notre but est de nous éclairer principalement sur trois points : les relations entre les pouvoirs spirituel et temporel, les doctrines relatives à l’autorité pontificale et les liens avec le protestantisme. Dans ce passé qui peut nous sembler si lointain, nous pouvons trouver quelques lueurs, quelques réponses pour notre présent, sans-doute une meilleure compréhension de la crise dans laquelle se trouve l’Église depuis si longtemps déjà. Ce n’est pas en effet un hasard si « la réflexion sur le Grand Schisme renaît à la fin des années 1960 et dans les années 1970, au lendemain du concile Vatican II. »[18]

Notre prochain article décrira les faits qui ont conduit à la division de la Chrétienté…




Notes et références
[1] Le premier antipape est Hyppolite (v. 170-235) qui s’est fait élire pape en 217 sous le pontificat de Calixte. Nous pouvons aussi citer Novatien en désaccord avec le Pape Corneille.
[2] L’empereur Constance a imposé l’arien Felix II comme pape contre le pape Libère, ce qu’a confirmé un concile régional (Sirmium) en 358. L’Empereur Henri IV a fait élire Guibert de Parme comme Pape (Clément III) contre Saint Grégoire VII. Au début du XIIe siècle, trois antipapes ont ainsi été élus (Théodoric, Albert, Sylvestre IV). Louis VI de Bavière a aussi imposé un Pape Pietro Rainallucci (1328-1330) sous le nom de Nicolas V contre Jean XXII. On compte environ une trentaine d’antipapes…
[3] On compte 180 dépositions au total.
[4] Noël Valois, La France et le Grand Schisme d'Occident, tome I, Chap. I.
[5] Wassebourg, Les antiquités de la Gaule Belgique, Verdun, 1549 dans La France et le Grand Schisme d'Occident, tome I, chap. I, N. Valois.
[6] Voir Le Grand Schisme d’Occident d’après les documents contemporains déposés aux archives secrète du Vatican. Les origines, L. Gayet, 1889. L’ouvrage est à manier avec précaution.
[7] Annick Brabant, Un pont entre les obédiences : expériences normandes du Grand Schisme d’Occident (1378-1417), thèse de doctorat, Université de Montréal, UFR, Université de Caen, septembre 2013.
[8] Voir Édouard PERROY, L’Angleterre et le Grand Schisme d’Occident. Étude sur la politique religieuse de l’Angleterre sous Richard II, Paris, Librairie J. Monnier, 1933.
[9] Voir Louis-Joseph Salembier, 1900, Lecoffre, Paris.
[10] L’Église au temps du Grand Schisme et de la crise conciliaire (1378-1449), Délaruelle E., Lalande, E.-R., Ourliac P., Histoire de l’Église depuis les origines jusqu’à nos temps, tome XIV, 1962.
[11] L’Histoire du Christianisme renouvelle l’entreprise de Fliche et Martin. Il inscrit le Grand Schisme dans une période plus longue, un « temps d’épreuves » de 1274 à 1449.
[12] Voir par exemple The Origins of the Great Schism. A Study in Fourteenth Century Ecclesiastical History, Ullman W., Londres, 1948 ; Die Anfänge des grossen abendländischen Schismas, Seidlmayer M.,  Münster, 1940 ; Castilla, el Cisma y la crisis conciliar (1378-1440), Suarez Fernandez L., Madrid, 1940.
[13] Deux colloques : l’un à Avignon en 1978, l’autre à Barcelon en 1979. Voir notamment les actes de ce colloque : Genèse et débuts du Grand Schisme d’Occident, Avignon, 25-28 septembre 1978 : Colloque international tenu à Avignon 25-28 septembre 1978, Paris, CNRS, 1980.
[14] Voir Hélène MILLET, « Les notables ecclésiastiques du diocèse de Sées à la fin du Grand Schisme d’Occident : quelques aperçus biographiques », Bulletin de la Société Historique et archéologique de l’Orne, CXIX, 1-2 mars-juin 2000.
[15] Voir L’Église du Grand Schisme, Hélène Millet, 1378-1417, Picard, 2009.
[16] Voir Brian Terney, Foudations of conciliar theory. The Constitution of the Medieval Canonists from Gralian to the Great Schism, 1955, Cambridge University Press.
[17] Par exemple M. l'abbé Louis Gayet, chapelain de Saint-Louis-des-Français, Le Grand Schisme ďOccident, diaprés des documents contemporains déposés aux Archives secrètes du Vatican, Les Origines. Paris, Welter; Florence, Loescheret Seeber-, Berlin, Calvary et Cie, 4889. In-8°, tome I.
[18] Brabant, Un pont entre les obédiences : expériences normandes du Grand Schisme d’Occident (1378-1417).
[19] Jean Favier, Les Papes d'Avignon, Introduction, Fayard, 2006.
[20] Noël Valois, La France et le Grand Schisme d'Occident, Alphonse Picard et fils, 1896. Les quatre tomes sont accessible sur Gallica (https://gallica.bnf.fr/).

samedi 18 août 2018

La révolution religieuse, un problème de taxe ? La fiscalité pontificale, source de bien de mécontentements au XIVe siècle

Au XIVe siècle, des voix s’élèvent contre la Papauté. On proteste contre les ingérences du Pape dans les affaires des États.  On gronde contre les taxes et les impôts qu’elle prélève, dit-on, abusivement. On s’agace de voir tant d’argent fuir le royaume pour nourrir la cour pontificale et enrichir des prélats. Au siècle suivant, l’énervement est encore plus audible. Et au XVIe siècle, la révolte éclate.

Après ses heures de gloire sous Innocent III (1198-1216), l’autorité du Pape soulève de l’indignation et de la colère dans les royaumes. La fiscalité pontificale est l’un des griefs qu’on cite le plus souvent. Elle est l’une des causes qu’on évoque pour expliquer le mécontentement croissant des peuples et justifier les conflits qui vont séparer les Chrétiens. C’est aussi un des motifs qui poussent les rois à s’opposer au pape. Sous prétexte de défendre leur clergé contre les abus de la cour pontificale, ils veulent limiter ses pouvoirs dans leur royaume. Ainsi, pour comprendre ce vent de contestation, nous devons donc nous pencher sur la fiscalité pontificale du XIVe siècle.

La fiscalité pontificale

La fiscalité pontificale désigne l’ensemble des taxes et impôts que les papes ont établis pour répondre aux besoins financiers que demandent le fonctionnement et le développement de l’administration pontificale ainsi que leurs actions politiques et religieuses. Ils étaient généralement perçus régulièrement et sur place par des collecteurs locaux ou acquittés au siège de la Curie.


Les revenus traditionnels de la Papauté proviennent des domaines de l’Église ainsi que le cens payé par les vassaux du pape comme l’Angleterre, appelé denier de Saint-Pierre, le royaume des Deux-Siciles, la Pologne, la Poméranie, la Hongrie, des villes d’Italie ...

Il faut y ajouter de menus recettes diverses comme les droits de chancellerie, les droits payés pour frais de justice par les appelants, les amendes auxquelles les tribunaux condamnent les clercs et les laïcs coupables d’un délit, les sommes perçues pour la commutation des vœux, les dispenses, le droit de pallium, payé par le prélat que le pape honore de cet insigne, etc. La Papauté peut aussi recevoir des dons et des legs.

Certains dons gracieux que des évêques et des abbés reçoivent de leurs subordonnées dans des moments de détresse financières sont appelés subsides caritatifs. Cet usage remonte au XIIe siècle. À leur tour, des papes ont aussi fait appel à la générosité du clergé pour répondre à des difficultés financières. Contrairement à ce que nous pourrions croire, ce don n’est pas gratuit. Il est volontaire au sens où le montant n’est pas fixé. Ce sont bien des dons obligatoires. Des commissaires sont envoyés dans des diocèses pour les récupérer. Si les bénéficiers ne s’acquittent pas de ce don, ils peuvent faire l’objet d’une excommunication.

Nous allons désormais nous attarder sur certaines taxes…

Le cens apostolique

Le cens apostolique désigne les taxes perçues en raison de la jouissance des terres dépendant du Saint-Siège et celles qui sont offertes pour obtenir la protection apostolique. Il doit être perçu annuellement mais sa perception est irrégulière et la rentrée bien difficile. Les débiteurs, souvent récalcitrants, attendent généralement que Rome les somme de payer ce qu’ils doivent, voire intentent des procès. Certains papes comme Alexandre IV ou Nicolas IV cherchent à régulariser les perceptions. Lors de sa tournée en Italie centrale en 1290, Lanfranc de Scano, chanoine de Pergame et collecteur de cens apostolique, ne peut percevoir que la moitié des cens prévus[1]. Certains monastères, églises ou seigneuries ont disparu, mais la principale raison de ces non-paiements réside dans la mauvaise volonté des débiteurs, qui cherchent à traîner la chose en longueur.

Les bénéfices

Jean XXII créant de nouveaux diocèses
Lorsque nous évoquons les conflits qui opposent les papes et les empereurs puis les rois, nous ne pouvons pas ne pas étudier le délicat problème de la nomination des clercs à un poste. Il a notamment donné lieu à la Querelle des Investitures[2]. L’une des raisons qui expliquent son importance est d’ordre financier.

Le « bénéfice », ecclésiastique ou religieux, désigne le revenu attaché à un office ecclésiastique ou religieux permettant au titulaire du titre, appelé « bénéficier », d’accomplir une fonction dans l’Église, c’est-à-dire de financer ce dont il a besoin pour l’exercer et pour vivre. Il est un ensemble de biens appartenant à l’église. Il regroupe par exemple la dîme, les terres, les rentes, etc attachés aux biens. La plupart du temps, le bénéfice est collatif, c’est-à-dire qu’il est attribué par nomination. La personne en charge de nommer un bénéficier est un « collateur ». Il est dit « électif » quand il est pourvu après élection.

La « provision » désigne la prise de possession du bénéfice. Pour recevoir une « lettre de provision », le « bénéficier », doit payer au collateur une taxe selon la nature de bénéfice. Sous Jean XXII (1316-1334), les taxes liées aux bénéfices représentent les trois quarts des revenus, sous Clément VI (1342-1352), 58%[3].

On distingue principalement les bénéfices majeurs et mineurs selon l’importance de la fonction. Les bénéfices majeurs concernent les postes d’évêques et d’abbés.

Les taxes liées au bénéfice

Au XIVe siècle, lorsque les bénéficiers sont désignés par le pape entouré du Sacré-Collège, siégeant en consistoire, ils doivent verser dans l’année un impôt au fisc pontifical, divisé en deux services. Le « service commun », dont une moitié revient au pape et l’autre au Sacré-Collège, est équivalent à un tiers des revenus annuels nets. Se rajoute le « menu service » au profit des familiers du pape, des curialistes et des cardinaux. Le montant de la taxe peut être réduit ou prorogé si l’abbaye ou l’évêché connaît des difficultés financières.

Les bénéfices mineurs auxquels seul le Pape pourvoit acquittent l’« annate », dont le montant correspond au gain d’une année, tous frais déduit. Clément V (1305-1314) est le premier pape qui le réclame en 1306 pour les bénéfices d’Angleterre et l’Écosse qui deviendraient vacants dans le courant des trois années consécutives. En 1316, Jean XXII renouvelle l’opération dans tous les pays à l’exception du royaume de France. Le nombre de réservation des revenus pendant le temps de vacance ne cesse pas de croître.

Le pape peut aussi, par lettre, promettre à un clerc un bénéfice bientôt vacant. Cette lettre, délivrée uniquement par le Pape, est dite « grâce expectative ». Cet usage permet ainsi de rétribuer des services d’un curialiste ou d’un cardinal. C’est ainsi qu’il réserve des collations de bénéfices et étend ses prérogatives. La réserve pontificale ne cesse ainsi de croître. Sous Jean XXII, il réserve mille sept cent cinquante bénéfices par an dans le royaume de France.

La Papauté retire d’autres ressources fiscales dans l’organisation bénéficiale de l’Église. Elle s’attribue les « droits de dépouilles », c’est-à-dire les biens meubles et les immeubles des ecclésiastiques défunts qui ont possédé des bénéfices à sa collation, les « vacants », levés sur les bénéfices durant la vacance des titulaires. Il est alors bien tentant de laisser vacant un siège pour encaisser diverses recettes.


Le droit de dépouille

Le droit de dépouille, « c’est originalement le droit de piller la maison de l’évêque qui vient de mourir. »[4] Plus tard, les évêques et les abbés se sont attribués les dépouilles des bénéficiers de leur dépendance. Vers le milieu du XIIIe siècle, Innocent IV (1243-1254) a essayé de légiférer sur ce sujet et d’accaparer ce droit au profit de la Papauté mais devant les résistances, son projet a été abandonné. Il faut attendre Jean XXII pour récupérer les dépouilles d’un prélat qui, par déposition ou par d’autres raisons déterminées par la constitution Ex debito, perdent leurs bénéfices. Le droit de dépouille s’est ensuite étendu à tous les bénéficiaires qui relèvent du Pape.
Ce droit est source de vives récriminations de la part des prélats à qui il semble intolérable d’être privés du droit de tester en faveur de leurs parents. Mais, souvent, il a donné lieu à des accommodements avec les héritiers. À partir de Jean XXI, il représente des sources de revenus les plus considérables de la fiscalité pontificale.

Les procurations

L’évêque doit faire la visite de son diocèse pour s’assurer si la discipline ecclésiastique est fidèlement observée par ses clercs. Il a le droit, lui et sa suite, de recevoir l’hospitalité partout où il passe. La procuration désigne ce droit de gîte. Par suite des guerres, les papes ont permis de transformer ce subside, jusque-là payé en nature, en une redevance pécuniaire, que les clercs doivent s’acquitter, même si la visite n’a pas lieu, et dont le taux est fixé par la bulle Vas electionis, promulguée par Benoît XII en décembre 1336. Les évêques se font aussi dispenser par les papes de faire cette visite tout en levant quand même la procuration. Ils cèdent parfois une partie de ce montant à la Curie avant de devenir obligatoire dans certains diocèses. Sous Innocent VI (1352-1362), la partie représente la moitié, voire les deux tiers de la procuration[5]. Nous pouvons imaginer les abus que cette dispense et cette taxe ont dû entraîner, le droit à la procuration n’étant pas lié nécessairement à la fonction pour lequel il a été créé.

Les décimes

Correspondant à la dixième partie des revenus nets d’un bénéfice, les décimes sont des taxes extraordinaires que le pape lève dans des cas d’exception, par exemple, pour organiser une croisade ou mener une expédition en Italie. Elles peuvent être décidées pour une œuvre intéressant toute la Chrétienté ou pour une action purement pontificale. Le concile de Lyon en 1274 puis le concile de Vienne en 1311 ont décrété une décime sur six ans sur tous les bénéfices de la Chrétienté pour réunir les ressources nécessaires à l’entreprise d’une nouvelle croisade. En 1298, par la bulle Roscelli temporis, Boniface VIII (1294-1303) décrète de lui-même une décime de trois ans pour plusieurs provinces ecclésiastiques pour couvrir les frais de guerre contre ses adversaires, les Colonna, et une entreprise en Sicile[6].

Tous les bénéficiaires sont soumis à cette taxe. Seuls sont exemptés les cardinaux et les Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem. Elles peuvent être réduites de moitié si le diocèse est éprouvé par la guerre, la famine ou par la peste. Afin de définir les montants à prélever, des enquêtes ont été menées localement pour évaluer les revenus de chaque diocèse et abbaye, montants ensuite enregistrés dans des registres, souvent consultés pour définir les différentes impositions.

Mais parfois, le revenu de cette taxe est détourné de ses fins. Le concile de Vienne a ainsi voté des décimes pour une période de six ans afin de couvrir les frais d’une croisade. Au titre de chef de cette expédition, le roi de France Philippe le Bel a recueilli l’argent mais aucune croisade n’a été menée. Philippe le Bel et ses successeurs l’ont en fait utilisé pour ses guerres de Flandres.

Le prélèvement des taxes

Clément VI
Certaines taxes sont prélevées sur place, ce qui nécessite un nombre important d’agents fiscaux. Les principaux sont les collecteurs pontificaux, dont l’institution remonte au XIIIe siècle. À partir de Clément V, ce sont des fonctionnaires permanents qui ont pour mission de lever les impôts dans une circonscription financière, appelées « collectorie ». Le royaume de France en compte entre douze et dix-sept. « Les collecteurs pontificaux étaient les représentants physiques de l’administration fiscale pontificale s’exerçant dans les limites territoriales d’États juridiquement constitués. »[7]

Les taxes étant payées dans la monnaie locale, la Papauté recourt aux changeurs pour convertir les sommes recueillies en monnaie en cours à Avignon ou à Rome. Le transfert de l’argent des collectories à la Papauté se fait par l’intermédiaire des maisons de banques italiennes ou françaises.

Les collecteurs pontificaux ne font pas que percevoir les taxes, admonester les récalcitrants et à la sanctionner. Ils achètent des produits sur place pour les renvoyer à la Curie et payent les services rendus à la Papauté, par exemple les soldats qui ont combattu pour le Pape ou les officiers qui ont accompli des missions à son profit. Ils doivent enfin récupérer de l’argent pour disposer d’un budget suffisant. Finalement, ils sont chargés de multiples tâches au point leur titulature a été modifiée. Ils portent le titre « collecteur, nonce et receveur ».

Un vif mécontentement

Nous pouvons être surpris des nombreuses taxes que doit s’acquitter le clergé au profit du Pape. Nous pouvons alors comprendre le vif mécontentement qu’elles peuvent provoquer. Le nombre important de taxes devient difficilement supportable quand les guerres, la famine et la peste ravagent les diocèses et les monastères. Le mode de recouvrement fait aussi l’objet d’une véritable rébellion. Les résistances sont donc nombreuses. Et comme dans le cas du cens, certaines taxes ne sont pas payées. Sous Clément VII (1342-1352), dans la collectorise de Provence, des arrérages peuvent remonter à près de quarante ans.Notons que les dettes d’un bénéficier ne disparaissent pas à sa mort. Il est reporté à son successeur.  Mais ne nous leurrons pas. Les plus mécontentents sont ceux qui sont évincés de leurs droits de collecteurs ordinaires et évincés des bénéfices ordinairement conférés à eux par leur évêque.


Un percepteur des impôts (XVIe siècle)

Marinus Claeszon van Reymerswaele
Naturellement, les collecteurs ne sont guère non plus appréciés. En terre germanique, ils peuvent être arrêtés et molestés, dépouillés, enlevés, voire assassinés. Lors d’une levée de décime décidée par Grégoire XI (1370-1378), les évêques de Cologne, de Bonn, de Xanten, de Soest et de Mayence signent un pacte, jurant de ne point la payer et de se secourir mutuellement en cas de poursuite contre quelqu’un d’entre eux. En France, les bénéficiaires résistent contre la perception de certains droits, notamment celui de dépouille, et sont soutenus par les officiers du roi. Certains récalcitrants attaquent les bulles pour vice de forme ou de fond. Puis ils font appel au Parlement de Paris. Des collecteurs doivent alors entretenir des avocats et engager des dépenses pour les procès. Ils peuvent aussi abandonner toute poursuite. Après la contestation des ecclésiastiques de la région de Rouen auprès du Parlement de Paris en 1457, le collecteur renonce à lever une décime[8]Pour vaincre les récalcitrants, les collecteurs peuvent les frapper de censures ecclésiastiques : l’excommunication, l’aggrave, la réaggrave[9]. La tension demeure alors tendue au XIVe siècle et peut rapidement dégénérer.

Un besoin de revenus financiers
Le Palais des papes à Avignon

Les besoins financiers de la Papauté sont en fait considérables et en nette augmentation depuis le XIVe siècle. L’installation du Pape et de son administration, d’abord provisoire puis définitive, à Avignon entraîne la construction de nombreux bâtiments, notamment le Palais des Papes. L’entretien de la cour pontificale nécessite aussi de fortes dépenses. En raison du prestige de l’autorité pontificale, elle doit s’entourer de splendeur et de magnificence. Le pape est aussi un mécène qui attire les écrivains, les savants, les artistes de tous pays qu’il rétribue largement en numéraire et en bénéfices. Enfin, il organise des fêtes somptueuses et de magnifiques cérémonies. 

Mais ces dépenses ne sont rien par rapport au budget que nécessitent le fonctionnement et le développement des services de l’administration pontificaleTout converge vers la Papauté, notamment les requêtes, les contestations, les appels. Une imposante machinerie administrative et judiciaire est mise en œuvre pour répondre aux nombreuses activités pontificales. Au XIVe siècle, les Papes ont mis en place une administration moderne que des rois n’hésitent pas à imiter. Mais si le gouvernement se perfectionne, il s’alourdit aussi.

Les dépenses liées à la guerre ne cessent aussi de croître. Les papes doivent entretenir en Italie des troupes pour garder ou reconquérir ses États.

Enfin, les dépenses pour les aumônes ne sont ni oubliées ni négligeables. Les papes fournissent de fortes sommes aux œuvres de charité. Jean XXII institue la Pagnote, une sorte de bureau de bienfaisance, chargé de fournir aux nécessiteux des vêtements, de la nourriture, des remèdes, etc. Ils soutiennent les hôpitaux d’Avignon, fournissent des bourses aux étudiants, constituent des dots pour les jeunes filles peu fortunées, apportent des dons aux prisonniers, participent financièrement aux missions et à la croisade, etc.

Or en ce XIVe siècle, le pape ne peut guère compter sur ses domaines désorganisés, sur ses vassaux récalcitrants et sur ses biens mis à mal. La résistance des États est aussi forte. Les revenus sont donc insuffisants pour répondre aux besoins financiers toujours accrus. Pour faire face aux difficultés financières, la Papauté a alors développé une forte politique de centralisation, modernisant encore davantage l’administration pontificale. Cela est surtout vrai au niveau financier. Progressivement, notamment dans la collation des bénéfices, le périmètre du Pape s’étend de manière extraordinaire.

Une fiscalité au secours des États

Néanmoins, en pratique, la centralisation voulue n’est pas toujours appliquée. 90 % des nominations dans l’évêché d’Osnabrück ne relèvent pas du Pape. Le royaume d’Angleterre est nettement moins atteint que celui de la France. 


Boniface VIII et Philippe le Bel

Mais surtout, ne croyons pas que le clergé est ponctionné par le Pape pour répondre à ses besoins. L’autre bénéficiaire est aussi le roi. Une partie des impôts qui revient au Pape est en effet fournie aux rois. Nous l’avons vu par exemple dans le cas des décimes. Sans cette contribution, le trésor français aurait bien des difficultés à supporter les charges que lui impose la guerre contre l’Angleterre. Le roi d’Angleterre use aussi des ressources fiscales de son clergé pour payer ses officiers et développer son administration, soit en les nommant à des bénéfices, soit en demandant une contribution financière aux prélats. Mais il a besoin d’une autorisation pontificale. Comme l’a constaté Philippe le Bel, le pape peut ainsi user de ce droit comme une arme. En outre, les rois acceptent les taxes pontificales ou la nomination des clercs par Rome sous condition de doter à leurs propres candidats aux bénéfices et de substantiels subsides à leurs églises.

Nous pouvons alors comprendre la volonté des rois de ménager le pape tout en voulant réduire son pouvoir dans leur royaume. Ils ont besoin de son secours pour répondre à leurs difficultés financières mais n’hésitent pas à intervenir et à menacer si cette ressource est remise en cause.

Mais un Pape aussi dépendant de la bonne volonté des rois

Toutefois, le pape demeure aussi sous la dépendance des souverains pour certaines impositions. Certaines des taxes, comme les subsistes caritatifs, ne peuvent en effet être prélevées sans leur autorisation. Il doit aussi accepter que de l’argent sorte de son royaume. Philippe le Bel a usé de son droit pour s’opposer à Boniface VIII. Le Parlement de Paris publie un arrêt en 1406 interdisant au Pape Benoît XIII et à ses collecteurs de lever les annates dans le royaume de France et de percevoir les droits de procuration qui doivent être restitués aux ecclésiastiques[10]. Les collecteurs pontificaux ne peuvent plus alors exercer leur charge quand le roi et le Pape s’affrontent.

Conclusions

Le besoin de revenus oblige les Papes, surtout depuis le début du XIVe siècle, c’est-à-dire depuis leur installation à Avignon, à développer une forte fiscalité et une administration fiscale centralisée et moderne. Jean XXII est sans-doute le pape qui a mieux organisé les différentes impositions et leurs collectes. Tout est bon pour taxer le clergé, n’hésitant pas à imiter la fiscalité des rois. Généralement, ils ont étendu leur périmètre et acquis des taxes que prélevait le clergé à son profit. La fiscalité pontificale atteint ainsi son apogée à la moitié du XIVe siècle. Mais le nombre important de taxes et la disparition de privilèges génèrent un vif mécontentement dans le clergé et donc divisent la hiérarchie ecclésiastique. Les liens entre le Pape et les clercs sont de plus en plus distendus. Au XVe siècle, plusieurs taxes sont supprimées.

Mais le pape n’est pas le seul bénéficiaire des taxes que doit payer le clergé. Les rois en recueillent une part. Et eux-aussi, développant un État moderne, ont un fort besoin financier, toujours en augmentation. Non seulement ils veulent préserver leurs privilèges qui leur rapportent beaucoup mais aussi les étendre. Une lutte s’engage donc entre le Pape et les rois pour défendre et étendre leurs prérogatives, en particulier dans la collation des bénéfices. En outre, si les souverains peuvent recevoir une partie des montants des taxes que doit s’acquitter le clergé, ils demeurent dépendants de la bonne volonté du Pape. Une telle situation n’est pas tenable pour eux.

Nous pouvons alors sans difficulté comprendre les motivations de certains rois, qui, sous prétexte de défendre leur clergé, le soutiennent fortement et favorisent tout ce qui peut encore le séparer du pape, fragilisant ainsi l'autorité de l'Église. Usant habilement des divisions de la hiérarchie de l’Église, les rois sortiront vainqueurs de la lutte…




Notes et références
[1] Voir La perception du cens apostolique dans l’Italie centrale en 1291, Paul Fabre, Hachette, dans Mélanges d’archéologie et d’histoire, tome 10, 1890, www.persee.fr.
[2] Voir Émeraude, juin 2018, article "L'Empereur germanique face au Pape, l'Empire contre le sacerdoce".
[3] Voir Entre obéissance et résistance : la délicate position du clergé canonial face à la centralisation pontificale et royale en France du XIIIe au XVe siècle, Anne Masoni, Temporalités, revue du Centre de recherche historique de l’Université de Limoges, PULIM, 2005, https://hal-unilim.archives-ouvertes.fr/hal-01374245, décembre 2017.
[4] Viollet, Histoire des institutions politique et administrative de la France, tome II, dans Histoire générale de l’Église, abbé A. Boulanger, Tome II, Le Moyen-âge, Volume VI, De Clément V à la Réforme, 1305-1517, n°42, 1, 4, Librairie Emmanuel Vitte, 1936.
[5] Voir La fiscalité pontificale dans les diocèses de Lausanne, Genève et Sion à la fin du XIIIème et au XIVème siècle, Kirsch, J.-P., http://www.e-periodica.ch.
[6] Voir La fiscalité pontificale dans les diocèses de Lausanne, Genève et Sion à la fin du XIIIème et au XIVème siècle, Kirsch, J.-P.
[7] Amandine Le Roux, Les collecteurs pontificaux, des curialistes non-résidents, dans Église et État, Église ou État ?, Christine Barralis, Jean-Patrice Boudet, Fabrice Délivré, et al., éditions de la Sorbonne.
[8] Voir Les collecteurs pontificaux, des curialistes non résidents, Amandine Le Roux.
[9] Lorsqu’un excommunié ne se soumet pas, il lui est défendu de toute participation à la vie publique, c’est l’aggrave. Quand il persiste, il est isolé complètement de la société, c’est la réaggrave.
[10] Voir Les collecteurs pontificaux, des curialistes non résidents, Amandine Le Roux.