" La pierre précieuse, voire de grand prix aux yeux de certains, qu'est l'émeraude, se voit insultée par un morceau de verre habilement truqué, s'il ne se rencontre personne qui soit capable de procéder à un examen et de démasquer la faute. Et lorsque de l'airain a été mêlé à l'argent, qui donc, s'il n'est connaisseur, pourra aisément le vérifier ? "(Saint Irénée, Contre les hérésies)


dimanche 24 juillet 2016

Mouvement oecuménique : expression "subsistit in" dans Lumen Gentium

Dans l'article précédent, nous avons rappelé la doctrine ecclésiologique de la constitution dogmatique Lumen Gentium du second concile de Vatican. Elle définit la nature de l’Église dans le cadre du mouvement œcuménique. Il est indéniable que cette doctrine présente des nouveautés, voire des ruptures avec l’enseignement traditionnel de l’Église, même si la Congrégation de la foi se défend de toute nouveauté et parle plutôt de développement. « Le Concile n’a pas voulu changer et n’a de fait pas changé la doctrine en question, mais a bien plutôt entendu la développer, la formuler de manière plus adéquate et en approfondir l’intelligence. »[1]

Parmi les nouveautés du texte, l’expression « subsistit in » a été à l’origine de nombreux débats et conflits, montrant ainsi toute l’ambiguïté du terme employé. Rappelons que la constitution dogmatique définit que l’Église du Christ « subsiste dans l’Église catholique »(8).

Sens du terme « subsiste »

Le terme « subsiste » peut prendre deux sens :
  • au sens philosophique, il renvoie à l’expression philosophique « subsistance » qui « désigne l’acte par lequel une réalité existe par elle-même, dans sa propre perfection et non dans une autre » ;
  • au sens courant, il est équivalent à « se trouve », « existe », «  se réalise dans ».

Par différentes interventions, la Congrégation de la foi a dû préciser le sens de l’expression dans la constitution dogmatique Lumen Gentium. Nous allons y revenir...

Église du Christ et Église catholique 

En 2007, aux questions sur le sens à donner à l’expression « subsistit in » utilisée dans Lumen Gentium, la Congrégation de la Foi donne la réponse suivante : « subsister signifie la perpétuelle continuité historique et la permanence de tous les éléments institués par le Christ dans l’Église catholique, dans laquelle on trouve concrètement l’Église du Christ sur cette terre. »[2] Elle précise que ce terme ne peut être attribué qu’à la seule Église catholique. « L'Église du Christ continue à exister en plénitude dans la seule Église catholique. »[3]

Le Concile de Vatican II veut ainsi souligner qu’en dépit de la pluralité des églises et des confessions chrétiennes, l’Église catholique détient et a toujours détenu réellement ce que Notre Seigneur Jésus-Christ a fondé. Les fidèles « confessent que la totalité de la vérité révélée, des sacrements et du ministère, que le Christ a donnée pour la construction de son Église et pour l'accomplissement de sa mission, se trouve dans la communion catholique de l'Église. »[4]

Et plus clairement, comme l’affirme la Congrégation de la Foi, il y a bien « pleine identité de l’Église du Christ avec l’Église catholique ». Le sens philosophique de « subsiste » est ainsi nettement privilégié. Tel est l’avis du Cardinal Radzinger, futur Benoît XVI. « Par le mot subsistit, le Concile a voulu exprimer la singularité et non la multiplicité de l’Église catholique ; l’Église existe comme sujet dans la réalité historique. »[5]

Les éléments ecclésiastiques de sanctification et de vérité



Pourquoi les Pères conciliaires n’ont-ils pas alors utilisé le terme « est » qui présente la vertu d’être sans équivoque ? La Congrégation de la Foi nous donne encore quelques éléments de réponse. « L’usage de cette expression, qui indique la pleine identité de l’Église du Christ avec l’Église catholique, ne change en rien la doctrine sur l’Église, mais a pour raison d’être de signifier plus clairement qu’en dehors de ses structures, on trouve de nombreux éléments de sanctification et de vérité. »[6] La définition que donne la constitution Lumen Gentium a donc pour objectif de clarifier la place des autres communautés chrétiennes par rapport à l’Église catholique dans l'oeuvre de la Rédemption. Ainsi différencie-t-elle l’Église du Christ de l’Église catholique. Nous retrouvons le sens courant de l’expression « subsiste ».

Dans un texte plus ancien, Dominu Iesus, publié en 2000, la Congrégation de la foi avait déjà précisé la doctrine que renferme l’expression « subsistit in » : « par l'expression "subsistit in", le Concile Vatican II a voulu proclamer deux affirmations doctrinales : d'une part, que malgré les divisions entre chrétiens, l'Église du Christ continue à exister en plénitude dans la seule Église catholique ;  d'autre part, "que des éléments nombreux de sanctification et de vérité subsistent hors de ses structures",  c'est-à-dire dans les Églises et Communautés ecclésiales qui ne sont pas encore en pleine communion avec l'Église catholique. Mais il faut affirmer de ces dernières que leur "force dérive de la plénitude de grâce et de vérité qui a été confiée à l'Église catholique" »[7].

Lien entre l’Eglise catholique et les autres églises ?

La Congrégation de la foi s’oppose donc à l’interprétation selon laquelle l'unique Église du Christ pourrait aussi subsister dans des Églises et Communautés ecclésiales non catholiques. « Le Concile avait, à l'inverse, choisi le mot subsistit précisément pour mettre en lumière qu'il existe une seule “subsistance” de la véritable Église, alors qu'en dehors de son ensemble visible, existent seulement des elementa Ecclesiae qui — étant des éléments de la même Église — tendent et conduisent vers l'Église catholique »[8]. Des éléments institués par Notre Seigneur Jésus-Christ se trouvent présents, de manière imparfaite, hors de l’Église catholique. S’ils sont efficaces, leur efficacité dérive de l’Église catholique et non des églises et communautés qui les possèdent.

C’est pourquoi le second Concile de Vatican considère que les églises et communautés qui ne sont pas en communion avec l’Église catholique ont cependant des liens étroits avec elle au point qu’elles peuvent être considérées comme unies à elle et porter le titre de « véritables Églises particulières ». Et par ces liens, « l'Église du Christ est présente et agissante dans ces Églises, malgré l'absence de la pleine communion avec l'Église catholique. » Telle est la doctrine de la communion imparfaite que le pape Jean-Paul II développera dans son encyclique Ut Unum sint [9]. « Les éléments de cette Église déjà donnée existent, unis dans toute leur plénitude, dans l'Église catholique et, sans cette plénitude, dans les autres Communautés »[10].

C’est pourquoi il est faux de croire que l’unité de l’Église est à rechercher et à construire en regroupant les différents éléments dispersés dans les différentes communautés. Le fidèles « n'ont pas le droit de tenir que cette Église du Christ ne subsiste plus nulle part aujourd'hui de sorte qu'il faille la tenir seulement pour une fin à rechercher par toutes les Églises en commun »[11]

Les Églises particulières, des églises déficientes

Concile épiscopal de l’Eglise orthodoxe russe
Quelles sont ces « églises particulières »? Ce sont celles qui ont « conservé l'épiscopat valide et la substance authentique et intégrale du mystère eucharistique »[12]. L’« église anglicane » n’est donc pas une église particulière. Toutes les communautés chrétiennes nées de la Réforme ne peuvent en fait prétendre à ce titre puisque elles « n’ont pas conservé l’authentique et intégrale réalité du Mystère eucharistique, surtout par la suite de l’absence de sacerdoce ministériel » [13]. Ce titre concerne surtout les églises orientales

Cependant, « la condition d’Église particulière dont jouissent ces vénérables Communautés chrétiennes souffre d’une déficience » puisque la communion avec l’Église catholique demeure « un des principes constitutifs internes » de l’Église particulière. Elles sont alors appelées « Églises sœurs des Églises particulières catholiques » et peuvent porter le titre d’Églises particulières et locales. »[14] Telle est la doctrine dite des Églises sœurs.

Ainsi les Églises particulières sont dites déficientes. Mais, nous dit encore le Concile de Vatican II, « ces Églises et Communautés séparées, bien que nous les croyions souffrir de déficiences, ne sont nullement dépourvues de signification et de valeur dans le mystère du salut. L'Esprit du Christ, en effet, ne refuse pas de se servir d'elles comme de moyens de salut, dont la force dérive de la plénitude de grâce et de vérité qui a été confiée à l'Église catholique. »[15] Les « frères séparés » peuvent donc être sauvés de manière indirecte, non pas en vertu de leur église mais des dons confiés à l’Eglise catholique et subsistant partiellement dans les églises particulières.

Intention des Pères conciliaires

Par l’emploi de l’expression « subsistit in » dans la constitution dogmatique Lumen Gentium, les Pères du second concile de Vatican ont voulu, par l’équivocité du terme, désigner deux choses : 
  • l’Église du Christ est et demeure l’Église catholique ;
  • mais que des éléments de sanctification et de vérité appartenant en propre à l’Église du Christ se trouvent aussi hors de l’Église catholique. 

Le but est de prendre en compte dans la définition de l’Église l’existence et le statut des églises et communautés non catholiques dans un souci d’œcuménicité.

Ainsi les Pères conciliaires peuvent définir les communautés qui peuvent légitimement porter le titre d’églises particulières. Ils peuvent aussi définir leur valeur salvatrice comme dérivée de la plénitude de grâce et de vérité confiée par le Christ à l’Église catholique qui est le moyen de Salut. C’est en tant qu’elles sont dans une certaine "communion" avec l’Église catholique qu’elles ne sont nullement dépourvues de signification et de valeur dans le mystère du Salut.

Mais les différentes interventions de la Congrégation de la Foi montrent combien l’équivocité du terme est propre au malentendu. Certains y voient la renonciation par le second Concile de Vatican de l’identification complète entre l’Église du Christ et l’Église catholique quand d’autres considèrent que l’Église du Christ peut se réaliser différemment, l’Église catholique n’étant qu’une parmi tant d’autres.

Dans les différentes interventions, il est explicitement affirmé que seule l’Église catholique est l’Église du Christ puisqu’elle-seule détient pleinement les moyens de salut que Notre Seigneur Jésus-Christ lui a fournies. Mais elle affirme aussi que l’Église catholique n’a plus l’exclusivité de ces moyens salvateurs puisque d’autres communautés possèdent une force salvatrice qu’elle tire de leur "communion".

Une définition réductrice ?

Si l’Église du Christ subsiste dans l’Église catholique au sens où elle est l’Église catholique parce qu’elle contient en plénitude les moyens de salut, cela signifie que l’Église du Christ se définit par la quantité ou la qualité des moyens de sanctification et de vérité qu’elle possède. Elle ne subsiste pas dans les autres églises puisqu’elles ne peuvent que contenir que des éléments que Notre Seigneur Jésus-Christ a fournis et non la totalité. Elle ne se définit pas par ses membres ou par sa hiérarchie, et par les relations qui existent entre eux. Elle n’est pas définie en tant que société mais en tant qu'instrument.

Dans ce cas, comment pouvons-nous parler de l’unité de l’Église si les fondements même de cette unité, à savoir l’unité de charité et l’unité de gouvernement, ne sont pas pris en compte dans la définition même de l’Église ? Que deviennent-ils en effet si la notion de société n’y est pas incluse ?

Or selon la Congrégation de la foi, la communion avec le Pape est un élément constitutif de l’Église particulière. Pourtant, la congrégation définit aussi l’Église particulière comme disposant d’un épiscopat valide. Il y a bien dans la nature de l’Église une notion de relations entre le chef et ses membres.

En outre, un membre d’une église ou d’une communauté séparée peut prétendre s’y sauver puisqu’elle dispose de moyens de salut et de force salvatrice, même s’ils ne sont pas en plénitude et qu'elle dérive de l'Eglise catholique. « L’Esprit du Christ, en effet, ne refuse pas de se servir d’elles comme de moyens de salut dont la force dérive de la plénitude de grâce et de vérité qui a été confiée à l’Église catholique. » Mais qu’est-ce que signifie  le terme de « plénitude » ? En outre, elle souffre de déficiences. Mais en quoi est-elle déficiente ? Tout ne serait -il que "question de quantité de sanctification et de vérité" ? On pourrait croire qu’en utilisant les moyens de l’Église catholique, le salut serait assuré, ce qui ne serait pas le cas hors de l’Église catholique. Mais si elle possède une "quantité de sanctification et de vérité", elle disposerait peut-être aussi d'une quantité de perdition et de mensonge, ce qui ne serait pas le cas pour l’Église catholique ? Et plus elle disposerait de quantité de sanctification et de vérité, plus elle serait unie à l’Église catholique ? L’unité serait-elle en fonction de cette "quantité" ? Une question demeure alors. Comment le savoir ? En clair, comment distinguer ce qui est bon de ce qui est mauvais pour le salut de l’âme ? Ou dit autrement, qu’est-ce qui rend visible l’Église du Christ ? Car elle doit être reconnaissable…

En nous posant de telles questions, nous nous apercevons que la définition que nous propose le second Concile de Vatican nous semble insatisfaisante.

La visibilité de l’Église

La difficulté réside dans les éléments constituant la visibilité de l’Église. Cette question a été au centre de nombreux débat dès le début du christianisme, ou plus précisément dès la naissance des premiers schismes. 

La constitution dogmatique Lumen Gentium définit la visibilité de l’Église par trois éléments :
  • une profession de foi identique ;
  • la célébration des mêmes sacrements ;
  • un unique ministère[16]

Or la doctrine catholique relative aux sacrements fait une distinction entre la validité et l’efficacité d’un sacrement. Cette distinction est importante car elle est intimement liée à la notion de l’Église et surtout à la notion de plénitude. Nous ne la retrouvons pas dans la définition que nous donne le second concile de Vatican.

En outre, comme nous le confessons dans le Credo, l’Église est une, sainte, catholique, apostolique, telles sont les notes qui nous permettent de distinguer la véritable église. L’unité de l’Église se fonde sur l’unité de foi et sur l’unité de gouvernement, sans oublier l’unité de charité. La première se manifeste par l’adhésion pleine et entière à une même profession de foi. La seconde se traduit par l’attachement au Pape et aux évêques en communion avec le Pape. La catholicité et l’apostolicité sont aussi des signes visibles de l’Église.

Approfondissement ou innovation ?

Après avoir défini la doctrine relative à l’expression « subsistit in », nous pouvons désormais vérifier s’il s’agit d’une innovation ou d’un développement de la doctrine de l’Église sur l’Église. Et si elle est une innovation, en quoi innove-t-elle ?

Trois encycliques définissent clairement l’enseignement de l’Église avant le concile de Vatican II : 
  • Satis cognitum (1896) de Léon XIII, que nous avons déjà étudié ;
  • Mortalium animos (1928) de Pie XI ;
  • Mysticis Corporis (1943) de Pie XII. 

Les deux premiers textes définissent clairement que l’Église catholique, une et indivise, est la seule église fondée par Notre Seigneur Jésus-Christ. Le mouvement œcuménique consiste donc à faire réintégrer les chrétiens séparés dans l’Église catholique. Selon l’encyclique de Pie XII, il y a parfaite identité entre le Corps du Christ et l’Église catholique. Il est aussi enseigné que des chrétiens peuvent néanmoins être unis à l’Église tout en n’étant pas membre du Corps du ChristDans tous ces textes, il est clairement défini qu’hors de l’Église, il n’y a point de salut, sauf dans des cas particuliers.

Les textes post-conciliaires traitent essentiellement du cas des églises et communautés qui ne sont pas en communion avec l’Église catholique et non plus du cas des "frères séparés". S’ils traitent des chrétiens séparés et de leur salut, leur sujet principal est bien la notion d’Église et les relations existant entre l’Église et les autres églises ou communautés. En dehors de l’Église catholique, il existe des Églises à proprement parler. En outre, des églises peuvent être en communion avec l’Église, communion réelle mais imparfaite. Ainsi le mouvement œcuménique est la recherche de la pleine communion de ces églises et communautés. Enfin, les Églises disposent en eux-mêmes des éléments de sanctification et de vérité, certes imparfaits mais réels.

Concrètement, une telle doctrine conduit à de telles déclarations : « Les catholiques reconnaissent que d’autres Églises et communautés ecclésiales sont sous la Parole, autrement dit sous la mouvance de l’Esprit Saint qui ouvre au sens des Écritures. »[17] quand auparavant, l’Église catholique enseignait qu’elle-seule détenait le sens réel de la Sainte Écriture. Ou encore que tous les chrétiens sont certes unis de manière imparfaites ou en communion partielle mais ils sont unis réellement, et leur communion est réelle[18].

Ainsi, le second Concile de Vatican reconnaît la présence d’Églises hors de l’Église catholique et de leur valeur sanctifiante quand la doctrine pré-conciliaire ne traitait que des chrétiens situés hors de l’Église catholique, considérant qu’il n’existe qu’une seule Église, une et indivise. Cela remet en cause deux points. 
  • l’Église catholique ne possède pas la plénitude de la catholicité. « La plénitude de la catholicité propre à l’Église, gouvernée par le Successeur de Pierre et les Évêques en communion avec lui, est entravée dans sa pleine réalisation historique par la division des chrétiens. »[19]
  • elle instaure la notion de communion réelle et imparfaite, incluant par là une modification de la notion même de communion, qui devient finalement une notion capitale dans le mouvement œcuménique. Elle est plus ou moins réalisée. Le but du mouvement œcuménique est de parvenir à la pleine communion entre les différentes Églises, et non plus de la communion des Chrétiens dans l'Eglise catholique.


Conclusion

Le second concile de Vatican a donc cherché à définir l’Église afin de prendre en compte l’existence des églises et autres communautés chrétiennes et dans le but d’encadrer le mouvement œcuménique. Cependant, cette définition soulève des difficultés et par ses innovations, remet en cause la doctrine traditionnelle de l’Église catholique. Certes, les Pères conciliaires ont cherché à développer une doctrine, en considérant non plus le salut des chrétiens hors de l’Église mais le statut des église et communautés chrétiennes séparées de l'Eglise catholique mais ce développement est devenu une véritable évolution c'est-à-dire une innovation dans la doctrine catholique, et osons le dire, une rupture puisqu’il conduit à leur reconnaître notamment une certaine valeur sanctifiante

Le véritable problème réside en fait dans le silence du second concile du Vatican et l’ambiguïté d'un texte sur un sujet si grave et difficile, laissant court à des interprétations qui remettent en cause gravement l’enseignement de l’Église. Le remplacement de « est » par « subsiste dans », sans véritable explication, est peut-être signe d’une certaine légèreté.

Ce changement révèle surtout une volonté de ne pas reconnaître clairement, haut et fort, que l’Église catholique est le « seul port de salut », la seule Église fondée par Notre Seigneur Jésus-Christ pour notre salut, très probablement pour des raisons œcuméniques. 

Toute cette évolution n’a pourtant pas résolu le problème de la division des Chrétiens. « Le problème œcuménique très actuel est de savoir comment concilier les deux déclarations : l'une, selon laquelle l'Église de Jésus Christ subsiste dans l'Église catholique, et l'autre, qu'il existe des Églises en dehors de l'Église catholique. Le Concile lui-même ne dit rien à ce sujet. »[20]



Notes et références
[1] Congrégation de la Foi, Réponses à des questions concernant certains aspects de la doctrine sur l’Église,  2007.
[2] Congrégation de la Foi, Réponses à des questions concernant certains aspects de la doctrine sur l’Église, 2007.
[3] Congrégation de la Foi, Dominus Iesus, 2000.
[4] Directoire pour l’application des principes et des normes sur l’œcuménisme, 17, 1993.
[5] Cardinal Ratzinger, L’ecclésiologie de la Constitution conciliaire Lumen Gentium2000.
[6] Congrégation de la Foi, Réponses à des questions concernant certains aspects de la doctrine sur l’Église, 2007.
[7] Congrégation de la Foi, Dominus Iesus, 2000.
[8] Note 56, Dominus Iesus, à propos du livre Église : charisme et pouvoir, P. Leonardo Boff,  Notification de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi : AAS 77 [1985].
[9] Nous traiterons de cette encyclique au mois d'août.
[10] Jean-Paul II, encyclique Ut unum sint, 14.
[11] Congrégation de la Foi, Mysterium Ecclesiae, 1.
[12] Congrégation de la Foi, Dominus Iesus, 17.
[13]Congrégation de la Foi, Réponses à des questions concernant certains aspects de la doctrine sur l’Église, 2007.
[14]Congrégation de la Foi, Réponses à des questions concernant certains aspects de la doctrine sur l’Église, 2007.
[15] Décret Unitatis redintegratio, n.3.
[16] Voir Lumen Gentium, 8.
[17] Code de droit canonique, can. 767.
[18] Voir Mgr Vincent Jordy, note sur la prédication en contexte œcuménique, 21 novembre 2014.
[19] Congrégation de la Foi, Réponses à des questions concernant certains aspects de la doctrine sur l’Église, 2007. Cf. Lettre Communionis notio, Congrégation pour la Foi, n. 17.3
[20] Mgr Walter Kasper,  Unité ecclésiale et communion ecclésiale dans une perspective catholique dans Revue des Sciences Religieuses, tome 75, fascicule 1, 2001 dans www.persee.fr.

jeudi 14 juillet 2016

Le Concile de Vatican II : Lumen Gentium, source d'interrogations et d'inquiétudes

Jean XXIII
Discours d’ouverture du Concile.
Aujourd’hui, il n’est guère possible de parler de mouvement œcuménique ou encore de l’unité des Chrétiens sans parler du second Concile de Vatican (1962-1965). L’un de ses objectifs est en effet le « rétablissement de l’unité de tous les Chrétiens »[1]. Selon le Pape Jean XXIII, initiateur du concile, il doit être une des réponses à l’affaiblissement et à l’indigence spirituel des hommes du XXe siècle. En outre, le contexte y est favorable. Jean XXIII constate en effet les efforts et les vœux de tous ceux qui travaillent pour faire cesser la division des Chrétiens. Il demande alors au concile qu’il « fasse plus de clarté sur sa doctrine et soit un exemple de charité fraternelle, de sorte que les chrétiens séparés du Siège apostolique aspirent plus vivement à l’unité et que le chemin qui y conduit soit aplani pour eux. »[2] Le concile lui-même en est la manifestation puisque des chrétiens séparés y participent en tant qu’observateurs.


La constitution dogmatique relative à l’Église intitulée Lumen Gentium, promulguée le 21 novembre 1964, est un des textes essentiels du concile. Il est un des piliers sur lesquels s’appuient les mouvements œcuméniques. Elle définit la doctrine de l’Église. Par conséquent, elle traite de ses membres et de tous ceux qui n’y font pas partie. C’est donc un texte à connaître.
Le concile, effort vers l’unité des Chrétiens
Dans le discours d’ouverture du concile, Jean XXIII rappelle la nécessité urgente de l’unité des Chrétiens. Depuis plus de deux mille ans, l’homme est toujours confronté au même problème, c’est-à-dire à un choix capital. Comme Notre Seigneur Jésus-Christ est au centre de l’histoire et de la vie, il doit choisir : soit il est avec Lui et avec son Église, soit il vit sans Lui, agit contre Lui et demeure délibérément hors de l’Église. Dans le premier cas, l’homme jouit de la lumière, de la bonté, de l’ordre et de la paix alors que dans le second, il connaît la confusion et la souffrance. L’union avec le Christ et son Église est donc un élément fondamental pour les âmes et leur salut. La volonté de Dieu est que l’homme puisse parvenir à cette union afin d’obtenir les biens célestes. Mais de nombreux chrétiens sont séparés de l’Église. C’est alors le devoir de l’Église catholique de « faire tous ses efforts pour que s’accomplisse cette unité que Jésus-Christ, à l’approche de son sacrifice, a demandée à son père dans une ardente prière » [3].
C’est pourquoi le Pape Jean XXIII demande au concile d’œuvrer pour favoriser l’unité des Chrétiens. Il considère que le temps est propice à une telle œuvre. Est en effet forte « l’aspiration des chrétiens séparés du Siège apostolique à être réunis avec nous ». Il constate « les efforts accrus et courageux de beaucoup pour réaliser cette unité visible de tous les chrétiens qui répondent dignement au désir du divin Sauveur ». Il demande alors au concile de clarifier la doctrine et de se montrer exemplaire pour répondre à cette aspiration et la rendre encore plus grande.
Paul VI, successeur de Jean XXIII, poursuit l’œuvre du concile. Ouvrant la deuxième session, il renouvelle les intentions de son prédécesseur. Il rappelle en particulier les trois principes fondamentaux sur la base desquels l'Unité des Chrétiens peut se réaliser. La foi est « principe d’unité, non de divergence ou de séparation ». Notre foi ne doit pas être un motif de polémique. Le deuxième principe est le respect « des richesses authentiques de vérité et de vie spirituelle que possèdent ces frères séparés ». Enfin, la confiance en Dieu doit animer les âmes. Trois principes en effet à rappeler pour comprendre le mouvement œcuménique…
La doctrine de l’Église selon Lumen Gentium
Conformément aux vœux du Pape Jean XXIII, la constitution Lumen Gentium a pour but de « faire connaître avec plus de précision à ses fidèles et au monde entier la nature et la mission universelle » de l’Église en « suivant de près la doctrine des précédents conciles »(1).


Le Concile de Vatican II rappelle d’abord la volonté de Notre Seigneur Jésus-Christ de rassembler les hommes en la Sainte Église afin de les unir en Dieu. Tous les hommes, sans exception, sont ainsi appelés à cette union. Fondée par le Christ et habitée par le Saint Esprit, l’Église universelle apparaît comme le « peuple rassemblé dans l’unité du Père, du Fils et du Saint Esprit »[4]. Elle a reçu « la mission d’annoncer et d’instaurer en toutes les nations le Royaume du Christ et de Dieu dont, sur terre, elle constitue le germe et le commencement. » afin d’être « unie à son Roi dans la gloire »(5). La volonté d’unir les hommes en Dieu implique l’universalité du christianisme et la catholicité de l’Église. Plus loin, la constitution précise qu’« elle domine en même temps les époques et les frontières des peuples. »(9) Le temps et l’espace ne sont point des obstacles à sa diffusion. Notre Seigneur Jésus-Christ « a mystiquement établi ses frères, appelés d’entre toutes les nations, comme son propre corps »(7) dans lequel est diffusée sa vie. Enfin, la constitution rappelle que les hommes sont unis au Christ souffrant et glorieux. Elle est fortement dépendante de l’œuvre de la Rédemption.
L’union se réalise par le baptême et par le sacrement de communion. Par le premier sacrement, l’homme est rendu conforme au Christ. Par le second, il participe au Corps de Notre Seigneur Jésus-Christ comme membre. Par ces deux sacrements, les fidèles forment un seul corps dont le Chef est le Christ, un unique Corps habité par un seul Esprit qui l’unifie, le vivifie et le meut comme le principe vital dans le corps humain. L’Église est comblée des dons de Dieu « en vue de notre salut »(7).
La constitution rappelle également la nature de l’Église, à la fois visible et spirituelle. Elle distingue en effet l’organisme visible, c’est-à-dire la « société constituée d’organes hiérarchique », et le « Corps mystique du Christ » ou encore « l’Église terrestre » et « l’Église déjà pourvue des biens célestes »(8). Elle rappelle que « l’organisme visible » est le moyen par lequel le Christ « répand sur tous la vérité et la grâce »(8). Reprenant l’analogie du mystère du Verbe incarné, il « sert à l’Esprit du Christ qui le vivifie en vue de la croissance du Corps. »(7)
De nature visible et spirituelle, l’Église est une et unique. La constitution rappelle les notes qui permettent de la reconnaître, c’est-à-dire son unité, sa sainteté, sa catholicité et son apostolicité, sans cependant réellement les définir. Elle rappelle aussi que Notre Seigneur Jésus-Christ l’a remise à Saint Pierre et a demandé aux Apôtres de répandre et de guider pour qu’elle demeure « colonne et soutien de la vérité » (I Tim., III, 15).
Nous remarquons que la constitution ne reprend pas la doctrine de l’Église militante, souffrante et triomphante, permettant de distinguer ses différentes "états" selon la sanctification des fidèles. Certes, plus loin dans le texte, elle revient sur cette distinction sans cependant utiliser les termes. « Certains de ses disciples cheminent sur terre tandis que d’autres, après cette vie, subissent la purification et que d’autres enfin, jouissant de la gloire, contemplent clairement Dieu »(49). Il rappelle aussi la doctrine de la communion des Saints sans la nommer non plus.
Quelle est cette Église ?
Cependant, la constitution précise que « cette Église, constituée et organisée en ce monde comme une communauté, subsiste dans l’Église catholique »(8). Ce terme « subsiste » nous interpelle. Signifierait-il que l’Église et l’Église catholique ne sont pas équivalentes ? Il semble nous faire croire que la première est incluse dans l’autre sans se confondre.Nous y reviendrons plus amplement dans un futur article...
La constitution précise que l’Église catholique est « gouvernée par le successeur de Pierre et les évêques en communion avec lui ». Elle est dite aussi Sainte Église catholique apostolique.
Cette précision soulève alors implicitement la question du pluralisme des églises et de leur efficacité dans l'œuvre du salut. En effet, la constitution rajoute aussitôt que « hors de cet ensemble », c’est-à-dire de l’Église catholique, « on trouve plusieurs éléments de sanctification et de vérité qui, en tant que dons propres à l’Église du Christ, invitent à l’unité catholique. »(8) Les autres églises et communautés possèdent donc des biens de l’Église…
Ce paragraphe est essentiel. Pourtant, en dépit de son importance, il est effroyablement court. Il définit l’objectif réel de la constitution, c'est-à-dire les rôles, les missions et la place des différentes églises chrétiennes. Il soulignerait surtout une distinction capitale. L’Église catholique ne serait pas l’Église puisque l’Église « subsiste » dans l’Église catholique.
Après avoir affirmé cette doctrine, sans aucune justification, la constitution revient sur l’Église et plus précisément sur son rôle et son mode d’action. Elle doit poursuivre l’œuvre de la  Rédemption dans la voie de la pauvreté et de la persécution pour communiquer aux hommes les fruits du salut, prêchant, « même par son exemple, l’humilité et l’abnégation »(7), soulageant la détresse et la misère, servant le Christ dans les pauvres. Ces missions nécessitent des « ressources humaines » et légitiment donc l’aspect visible et corporel de l’Église.
Si elle doit suivre la voie qu’a tracée Notre Seigneur Jésus-Christ, l’Église se distingue de Lui puisqu’elle « renferme en son sein les pécheurs ». La constitution précise notamment que tout en étant sainte, elle « doit toujours être purifiée »(7) et donc qu’elle « recherche sans cesse la pénitence et le renouvellement. »(7) Ce paragraphe peut légitimement nous surprendre. Comment l’Église peut-elle être sainte et être purifiée ? Précisons que la constitution traite de l’Église que Notre Seigneur Jésus-Christ a fondée, c’est-à-dire celle qui subsiste dans l’Église catholique.
Le peuple de Dieu


Après avoir défini ce qu’est l’Église, la constitution s’attaque dans son deuxième chapitre à la notion du « peuple de Dieu ». Elle rappelle d’abord l’histoire sainte, c'est-à-dire l’établissement des deux alliances. Dieu a choisi le peuple israélite et a scellé une première alliance à titre de préparation et de figure à une alliance parfaite qu’a réalisée Notre Seigneur Jésus-Christ par son sang. Cette nouvelle alliance concerne désormais les Juifs et les Gentils qui « s’uniraient non plus selon la chair mais selon l’esprit, afin de constituer le nouveau Peuple de Dieu »(9). L’appartenance au peuple de Dieu n’est plus garantie par la chair ou la filiation naturelle, comme dans la première alliance, mais par la filiation spirituelle.
La constitution parle de « peuple messianique », qui a pour chef le Christ et pour « terme dans le Royaume de Dieu, inauguré sur terre par Dieu Lui-même »(9). S’il ne comprend pas tous les hommes, « il n’en subsiste pas moins au sein de toute l’humanité comme un germe très fort d’unité, d’espérance et de salut. »(9)
À quoi sert ce peuple messianique ? « Établi par le Christ en communion de vie, de charité et de vérité, il lui sert d’instrument pour la rédemption de tous et il est envoyé au monde entier comme lumière du monde et sel de la terre. »(9). Il œuvre pour la Rédemption au service de Notre Seigneur Jésus-Christ. Il représente d’abord le peuple israélite puis le peuple chrétien. Il semble que de ce peuple messianique est sorti l’Église. « Dieu a convoqué la communauté de ceux qui regardent avec foi Jésus, auteur du salut, principe d’unité et de paix, et il en a fait l’Église. »(9)
Cependant, les expressions « regardent avec foi Jésus » ou « ont foi dans le Christ », que signifient-elles ? Plus loin dans le texte, la constitution distingue les fidèles catholiques et « les autres qui ont foi dans le Christ ». Elles désignent, semble-t-il, les « chrétiens séparés ». Le Peuple de Dieu comprendrait donc aujourd’hui tous les chrétiens.
Le Peuple de Dieu a pour vocation d’être universel tout en étant un. « Tous les hommes sont appelés à former le nouveau peuple de Dieu. En conséquence, ce peuple doit, sans cesser d’être un et unique, s’étendre au monde entier et en tous les siècles afin que s’accomplisse le dessein de Dieu »(13). Comme pour l’unité de l’Église, la constitution précise qu’« en se nourrissant du corps du Christ dans la sainte communion », les fidèles « manifestent concrètement l’unité du Peuple de Dieu, qui, dans ce sublime sacrement, est convenablement signifiée et merveilleusement réalisée. » (11) Le caractère d’universalité est un signe distinctif du Peuple de Dieu. Les fidèles apportent aux autres et à l’Église leurs dons.
La constitution insiste sur la diversité des membres du Peuple de Dieu. Ils viennent de toutes les nations. Ils sont aussi au sein de l’Église une diversité dans les charges et dans l’état de vie. Il y a aussi des Églises particulières légitimes différentes, « sans préjudice du primat de la Chaire de Pierre » (13). Cette diversité ne nuit pas à l’unité mais la sert.
L’Église, nécessaire au salut
Le Concile de Vatican II précise qu’« en s’appuyant sur la Sainte Écriture et la Tradition »(14), l’Église est nécessaire au salut. La nécessité de l’Église se justifie par la nécessité de la foi et celle du baptême comme l’a expressément enseigné Notre Seigneur Jésus-Christ. Et l’homme s’introduit dans l’Église par le baptême. « Aussi ne pourraient-ils pas être sauvés, ceux qui, sans ignorer que Dieu, par Jésus-Christ, a établi l’Église catholique comme nécessaire, refuseraient cependant d’y entrer et de demeurer en elle. »(14) Remarquons que le texte ne parle plus d’Église mais d’Église catholique.

La constitution précise les conditions pour que les fidèles soient « pleinement incorporés à la communauté ecclésiale »(14). Ils doivent accepter « toute l’économie du Christ et tous les moyens de salut établis en elles et sont, par les liens de la profession de foi, des sacrements, de la direction et de la communion ecclésiastiques, unis dans ce même ensemble visible de l’Église, avec le Christ qui la régit par le souverain pontife et les évêques. »(14) Cependant, si l’homme est incorporé à l’Église mais ne persévère pas dans la charité, il n’est pas sauvé. Il n’appartient qu’au « corps » de l’Église et pas de « cœur ». Ainsi l’incorporation à l’Église n’est pas gage de salut.
Et le salut pour les autres ?
Selon la constitution, ceux qui ne sont pas incorporés à l’Église tout en étant baptisés et portent le nom de chrétiens sont cependant unis à l’Église. Le texte parle désormais de ceux qui ne professent pas intégralement la foi ou ne conservent pas l’unité de la communion avec le Pape. Il cite les différents points communs entre les catholiques et les autres : vénération de la Sainte Écriture comme norme de foi et de vie, zèle religieux, croyance en Dieu le Père et dans le Fils, baptême qui les unit au Christ, martyre, etc. « L’Esprit agit également en eux par ses dons et ses grâces, avec sa puissance sanctificatrice » (15).
Toujours selon Lumen Gentium, les non-chrétiens, les croyants comme les Juifs et les Musulmans sont aussi ordonnés au Peuple de Dieu. Le texte n’oublie pas non plus ceux qui cherchent le Dieu inconnu et ceux qui, « sans faute de leur part, ignorent l’Évangile du Christ et son Église »(16) tout en étant en quête de Dieu. « La divine Providence ne refuse pas les secours nécessaires au salut à ceux qui ne sont pas encore parvenus, sans qu’il y ait de leur faute, à la connaissance claire de Dieu et s’efforcent, avec l’aide de la grâce divine, de mener une vie droite. »(16) Cependant, bien souvent, certains se perdent par le Malin quand d’autres vivent sans Dieu en ce monde. D’où la nécessité pour l’Église de développer les missions.
L’Église a reçu des Apôtres « le mandat solennel d’annoncer la vérité qui sauve »(17), eux-mêmes ayant été envoyés par Notre Seigneur Jésus-Christ. C’est par la prédication que l’Église peut se répandre.
L’unité de gouvernement
Pierre-Paul Rubens

Le Christ remettant les clefs à saint Pierr
Dans son troisième chapitre, la constitution rappelle que Saint Pierre a été établi comme « principe et fondement perpétuel autant que visible de l’unité de la foi et de la communion »(18). Mais elle précise que Saint Pierre et les autres Apôtres « constituent, par ordre du Seigneur, un seul collège apostolique »(22). C’est un point essentiel du texte et du concile, une de ces nouveautés à retenir. Les pères conciliaires ont ajouté à la constitution une note qui précise le véritable sens du terme de « collège ». Il s’entend en effet au sens de « groupe stable dont la structure et l’autorité se déterminent à partir de la Révélation ». Ainsi il ne doit pas être compris au sens juridique comme « groupe d’égaux qui déléguerait son pouvoir à un président »[5]. Cela demeure cependant vague.
« Le collège ou corps épiscopal n’a cependant d’autorité que si on le conçoit comme uni à son chef le pontife romain, successeur de Pierre, lequel conserve intégralement sa primauté sur tous, tant pasteurs que fidèles »(22). Le corps épiscopal manifeste en fait l’universalité du peuple de Dieu quand la primauté pontificale reflète l’unité de l’Église. Le Pape est bien « le fondement de l’unité tant des évêques que de la masse des fidèles » quand l’évêque est « le principe visible et le fondement de l’unité de son Église particulière. »(23) Lorsque le texte parle de communion, il désigne une communion hiérarchique comme le souligne la note ajoutée à la constitution,
La constitution Lumen Gentium en vient ensuite à traiter de la nature de l’Église particulière et de ses relations avec l’Église. Elle est formée à l’image de l’Église et l’Église catholique est constituée de ces Églises particulières tout en étant une et unique.
Manque de lumière
Que pouvons-nous retenir de la constitution Lumen Gentium ? Notons d’abord qu’elle rappelle rapidement certains éléments traditionnels de l’enseignement de l’Église, sans souvent les citer avec les termes classiques. Cette pratique traduit-elle une volonté de ne pas utiliser des termes qui pourraient « choquer » les « frères séparés » comme le désire le Pape Paul VI ? Nous sommes surtout surpris par la pauvreté du texte. Si elle a pour objectif de faire connaître clairement l’Église, la constitution n’est guère satisfaisante. Pourquoi ne précise-t-elle pas davantage ce que sont les notes de l’Église afin de la reconnaître ? Pourquoi les fondements de l’unité de l’Église ne sont-ils pas rappelés avec clarté selon l’enseignement traditionnel ? Serait-ce cela le mouvement œcuménique ?
La constitution affirme aussi des doctrines surprenantes par leur nouveauté. L’idée selon laquelle l’Église subsiste dans l’Église catholique, les notions de « Peuple de Dieu » et de collège apparaissent pour la première fois dans un texte qui doit faire autorité dans l’Église. Ce sont des idées et des termes nouveaux. Pourtant, ils ne sont guère expliqués. La nouveauté provient aussi du style d’écriture employé. Contrairement aux textes des précédents conciles, la constitution manque clairement de clarté et de précision, laissant place à de nombreuses questions et interrogations. Ce texte se distingue fortement des textes des conciles précédents qui manifestaient une rigueur et une précision, notamment dans les définitions et les termes employés. Est-ce cela l’éclaircissement de la doctrine que demandait Jean XXIII pour répondre à l’aspiration des « chrétiens séparés » ? Nous sommes plutôt dans un texte qui évite que la foi les heurte…
L’incertitude et la multiplicité des termes ou concepts employés nous étonnent et nous inquiètent. Le texte utilise les termes d’Église et d’Église catholique. Parfois, la constitution laisse clairement entendre que l’Église et l’Église catholique sont différentes mais laisse aussi supposer que les deux se confondent finalement. Que de difficultés pour savoir ce qu’est en fait l’Église ! Et qu’est-ce que le peuple de Dieu par rapport à l’Église ? Ces interrogations viennent de l’absence de définitions claires et précise...
Nous retrouvons aussi cette imprécision dans le terme d’« unité », qui est employé dans des sens différents. L’unité des Chrétiens dans l’Église au sens traditionnel n’est pas en effet la même chose que l’unité des « chrétiens séparés » entendue plutôt au sens de lien. Comment en effet peuvent-ils être unis à l’Église sans y être incorporés ? Certes comme la constitution le rappelle, le chrétien peut être incorporé à l’Église sans cependant y être unis et donc être sauvés mais l’unité exige nécessairement l’appartenance, condition nécessaire mais insuffisante. En lisant attentivement le texte, nous pouvons en effet comprendre que les « chrétiens séparés » ont des éléments communs avec les catholiques, éléments qui finalement les lient à l’Église catholique. Pouvons-nous vraiment parler d’unité ? Rappelons aussi que, dans la constitution, les croyants non chrétiens sont ordonnés à l’Église. Ainsi avons-nous trois types de relations entre le croyant sauvé et l’Église : les chrétiens, les « frères séparés » et les autres sont respectivement unis ou liés ou  ordonnés à l’Église
De quelle Église ?
Des expressions semblent enfin évoquer des doctrines surprenantes par les contradictions qu’elles renferment. Quelle est cette Église sainte qui doit être néanmoins purifiée ? Comment après avoir affirmé qu’hors de l’Église, le salut est impossible, comme l’a rappelé Jean XXIII dans le discours d'ouverture, pour ensuite affirmer avec la même certitude qu’hors de l’Église, il existe des éléments de sanctification. Certes, la constitution semble préciser que l’Église catholique les possède en plénitude mais cela n’enlève pas la contradiction. Que de doutes et d’inquiétude !
Nous constatons aussi que les citations utilisées dans le texte traitent de l’Église dans un sens qui n’est peut-être pas celui de leur auteur. Utiliser Saint Cyprien pour parler d’une Église différente de l’Église catholique mériterait de plus amples justifications.
Une désillusion ?
Enfin, chose encore surprenante, la constitution souligne l’unité de gouvernement comme fondement de l’unité de l’Église mais semble oublier l’autre pilier qu’est l’unité de la foi.
Hors de l’Église catholique, il peut certes exister des vérités mais cela ne constitue pas la foi qui se définit par une profession, c’est-à-dire par l’adhésion à un ensemble de vérités clairement prononcées. Si certains partagent quelques vérités de croyance, cela ne signifie aucunement qu’ils sont unis dans cette croyance. Ils ont certes des points communs mais aussi des divergences.
Or dans la déclaration d’ouverture, Paul VI ne souhaite pas que la foi soit principe de divergences et de séparation. Mais justement, la foi divise nécessairement car elle nécessite définition et profession et par conséquent distinction et séparation. C’est pourquoi les mouvements œcuméniques ne progressent guère car le véritable problème n’est pas ce qui rapproche les « chrétiens séparés » mais justement ce qui les sépare. Lorsqu’il n’y a plus de séparation, il y a alors unité. Le fait de ne pas vouloir définir clairement ces points afin de les résoudre laisse envisager un échec inéluctable…

Conclusion
La constitution Lumen Gentium nous ouvre de nombreuses portes pour définir les rapports qui existent entre l’Église catholique, les frères séparés et les autres croyants. Elle affirme de nouvelles doctrines et utilise des concepts nouveaux dans l’enseignement de l’Église. Les Pères conciliaires s’attaquent certainement à un problème difficile afin de chercher un chemin pour l’unité des Chrétiens. Mais le manque de précisions et d’approfondissement nous laisse cependant dans l’inquiétude, voire dans le désarroi. En voulant éviter d’heurter les « frères séparés », le texte finit par nous choquer. La recherche de l’unité passe-t-elle nécessairement par de telles innovations et par des silences ? Nous sommes loin de la doctrine définie par le Pape Léon XIII. Dans l’aréopage, Saint Paul a employé des méthodes rhétoriques pour se faire entendre des païens ; son discours est clair, sans aucun malentendu. La rupture que présente le second Concile de Vatican n’est donc pas seulement dans la nouveauté des doctrines ou des concepts mais aussi dans le manque de clarté et de rigueur du texte. Rupture dans le langage. Or la division naît de l’imprécision. Et ce texte ne peut que diviser les esprits et les cœurs. Rien ne peut s’élever et se construire dans le malentendu…




Notes et références
[1] Discours d’ouverture de S. S. Paul VI lors de l’ouverture de la 2ème session, 29 septembre 1963.
[2] Jean XXIII, Constitution Apostolique Humanae Salutis, bulle d’indiction du concile de Vatican II, 25 décembre 1961.
[3] Discours de S. S. Jean XXIII, 11 octobre 1962.
[4] Saint Cyprien De Orat. Dom., 23 dans Lumen Gentium, n°4.
[5] Voir Notifications à la 123e congrégation générale tenue le 16 novembre 1964.