" La pierre précieuse, voire de grand prix aux yeux de certains, qu'est l'émeraude, se voit insultée par un morceau de verre habilement truqué, s'il ne se rencontre personne qui soit capable de procéder à un examen et de démasquer la faute. Et lorsque de l'airain a été mêlé à l'argent, qui donc, s'il n'est connaisseur, pourra aisément le vérifier ? "(Saint Irénée, Contre les hérésies)


mardi 21 février 2012

L'islam: les premières contradictions

Dans les articles précédents, nous avons décrit brièvement l'origine de l'islam, la vie de Mahomet et sa doctrine. Il est désormais temps de présenter les objections les plus simples et les moins contestables (1) à l'égard de cette religion. Mais rapidement, nous allons nous confronter à une ligne de défense inattaquable des musulmans. Nous allons en effet nous heurter au Coran...


Dès la naissance de l'islam, des Juifs ont accusé Mahomet d'avoir mal cité leurs propres textes. Nous rencontrons en effet des erreurs ou plutôt des faits rapportés par le Coran qui ne correspondent pas à ceux relatés par la Sainte Bible. Nous ne savons pas quel est le fils d'Abraham qui est sujet du sacrifice (XXXVII, 102 à 107 (2) ). Est-ce Isaac ou Ismaël ? Certaines versions traduites du Coran indiquent Ismaël. Nous devons en effet souligner les silences du Coran sur certains évènements majeurs, voire fondamentaux de la Sainte Écriture. Nous ne trouvons trace ni de la Pâque, ni de l'arrivée du peuple hébreux en Terre promise. Si la remise des tables de la loi est mentionnée (VII), le contenu n'y est guère abordé. Le Coran rajoute aussi certains détails et enjolivements à des évènements bibliques. En rapportant l'œuvre de la Création, le Coran nous apprend la malédiction d'Iblis ou de Satan, qui refuse de se prosterner devant l'homme : « je vaux mieux que cette créature. Tu m'as créé de feu et tu l'as créé d'argile » (VII.12). Mais, la réponse des musulmans est assez spontanée : le Coran corrige la Bible puisque les Juifs et les Chrétiens l'ont falsifiée. Quelles sont les passages erronés et les falsifications ? Les musulmans nous diraient : ce qui contredit le Coran est faux, ce qui est confirmé par le Coran est juste. Néanmoins, la meilleure façon aurait été de dénoncer explicitement les abus et les fautes commis par les Juifs et les Chrétiens pour éclairer davantage les fidèles. Mais, ils peuvent nous rétorquer que Dieu fait ce qu'Il veut... 

Mais qui justifie le Coran ? Ou plutôt comment les musulmans peuvent-ils le justifier ? Saint Jean Damascène pose cette question fondamentale : « qui témoigne que Dieu lui a donné une Écriture, ou qui, parmi les prophètes, a annoncé qu'un tel prophète devait venir ? » (Des hérésies). Comment justifier que Mahomet est un prophète ? Dieu a-t-il manifesté sa mission divine par des miracles comme à Moïse à qui Il a donné les tables de la loi devant tout un peuple ? Dieu a-t-il prédit la venue et l'œuvre de Mahomet comme Il le fit avec Notre Seigneur Jésus-Christ ? Mahomet a-t-il même réalisé des prophéties ? Rien de tout cela. La doctrine de l'Islam donne aujourd'hui comme seule justification du Coran son caractère d'inimitabilité et le déclare incréé. 

Saint Jean Damascène nous apprend que Mahomet a été vraisemblablement influencé par un moine arien. Cette influence viendrait plus précisément des sectes ariennes ébionites ou nazaréenne (M. Alcader, Le vrai visage de l'islam). Selon des théories savantes, l'islam serait le résultat d'une mutation d'une secte judéo-chrétienne. Il est à noter que Saint Jean Damascène, qui vivait au milieu des musulmans, considéraient l'islam comme une hérésie chrétienne. Et naturellement, nous découvrons dans le Coran des éléments provenant d'apocryphes, dont le proto-évangile de Jacques, l'évangile arabe de l'enfance et l'évangile de l'enfance selon Thomas : Notre Seigneur Jésus-Christ naît sous un palmier, parle à Sainte Marie au berceau, anime un oiseau fait d'argile... Le Christ n'est pas mort sur la Croix. « Ils ont dit : nous avons tué le Messie Jésus fils de Marie, le Messager de Dieu. Or ils ne l'ont ni tué, ni crucifié, mais quelqu'un leur a ressemblé devant eux... Dieu l'a haussé à lui » (IV.157). Selon une autre version traduite du Coran, « ils ont eu l'illusion de l'avoir tué, crucifié ». Cette illusion est aussi commune à certaines hérésies gnostiques et ariennes. Les Chrétiens auraient rejetée ou refusé de reconnaître de telles vérités, selon les Musulmans, en les considérant comme hérétiques. Mais il serait alors plus juste que le Coran dénonce ces malveillances au lieu de présenter ces « vérités » comme des vérités connues et partagées. Mais Dieu fait ce qu'Il veut … 

Enfin, rappelons que le Coran n'est considéré comme authentique, indéfectible, incréé que dans sa seule version arabe. Il semblerait que cette croyance en indéfectibilité du Coran dans sa version arabe n'est pas « universellement » reconnue par les musulmans. Toutefois, il serait logique de restreindre cette authenticité à cette seule version car une traduction peut-elle garder ce caractère d'inimitabilité ? Nous pouvons alors faire deux remarques. 

Si l'islam se considère comme une religion universelle, il faut d'abord, me semble-t-il, que le monde apprenne la langue arabe car inévitablement, elle est le lieu de passage obligé pour saisir la parole de Dieu. L'islamisation passe donc d'abord par une arabisation. Cela revient à revenir au temps de Babel quand l'humanité parlait une seule langue. Cela n'est pas si simple car il ne s'agit pas de la langue arabe moderne mais primitive. Cela nous conduit à la deuxième remarque qui nécessite quelques plus amples explications.

La langue arabe originelle ou primitive, celle qu'utilisait Mahomet, n'est pas celle qui est parlée et écrite actuellement. Elle a en effet évolué au cours du temps comme toute langue. Ainsi, le Coran a donné lieu à de nombreuses variantes pour prendre en compte la modernisation de la langue arabe. 

Sous les ordres d'Abu Bakr (v.573-634), Zayd ibh Thâbit a réalisé la première édition officielle. Le calife Uthman (579-656), aurait fait élaborer une nouvelle édition sous le contrôle de témoins. Sous le règne d'Abd al-Malik (646-705), le Coran aurait été de nouveau réécrit pour prendre en compte les progrès réalisés par la grammaire arabe. Deux évolutions majeures ont en effet fait évoluer l'arabe : l'ajout de voyelles et les points diacritiques. Ces derniers permettent de différencier certaines consonnes pour des mots prêtant à des ambiguïtés fortes. Plus tard, des ponctuations seront rajoutées pour permettre aux non-initiés une bonne prononciation des versets. Selon une tradition musulmane, les versions officielles du Coran sont contrôlées par des témoins directs ou par des comités d'experts. Ces garanties n'empêcheront pas des réticences, voire des oppositions musulmanes, dans leur réception. 

Le Coran n'est pas véritablement un livre comme un autre. Ce n'est pas un livre. « Coran » signifie lecture. « Le terme vient du syriaque Qur'ôino qui signifie lectionnaire ou si l'on veut, un livre dans lequel on trouve des textes à proclamer, à chanter » (Antoine Moussali). Le Coran est un recueil de textes destinés à être proclamés, psalmodiés, chantés. C'est pourquoi les sourates ont « le caractère de harangue ou de plaidoyers, émaillés d'interjections, exclamations et autres effets oratoires » (Laurent Lagartempe, Petit Guide du Coran, 1ère partie, p.47). La manière de prononcer le Coran est aussi importante que le contenu. Il existe ainsi différentes lectures autorisées du Coran. 

Les musulmans prétendent que le Coran dans sa version arabe est inimitable. Alors pourquoi tant d'améliorations ? Comment Abd al-Malik ou les autres peuvent justifier que leur version est la bonne quand ils touchent inévitablement à cette « inimitabilité »? Par un comité de grammairiens et d'experts en sémantique ? Mais, certains musulmans diront que seule la version originale, celle d'Abu Bakr ou d'Uthman, est la parole de Dieu. Alors, elle n'est pas accessible sans erreur aux non-arabes puisque les améliorations de la langue arabe ont été apportées en partie pour l'enseigner à des non-arabes. La parole de Dieu serait donc réservée à ceux qui maîtrisent la langue arabe primitif. Est-ce cela la vertu d'une religion universelle ? Les musulmans pourraient encore répondre que Dieu fait ce qu'Il veut. En effet... Mais, l'homme doit-il être arabisant pour être fidèle ? 

Les objections que présente cet article sont probablement les premières qui apparaissent à l'esprit à partir des connaissances que nous pouvons tirer de la doctrine islamique. Un musulman peut légitimement les rejeter, considérant que le Coran dans sa version arabe ne peut être erroné. Quelque soit l'objection que nous pouvons lui apporter, elle sera finalement dérisoire face au caractère d'infaillibilité du Coran, même si la doctrine de l'Islam semble aller à l'encontre de l'universalisme prôné par le même Islam. Mais, il peut nous rétorquer la tout-puissance et la liberté de Dieu. Dieu fait ce qu'il veut. Qui peut être Dieu pour Le juger ? Il y a un véritable abîme entre l'intelligence divine et la nôtre. En effet... Le débat est-il clos cependant ? Non car si Dieu peut faire ce qu'Il veut devant notre misère, Il ne peut aller à l'encontre de sa nature. Ainsi, Il ne peut pas être et ne pas être à la fois même s'Il est tout-puissant ; il est. Tout se justifierait car le Coran ou la parole de Dieu ne pourrait pas se tromper, étant incréé. Osons donc approfondir cette argumentation. Dans le prochain article, nous montrerons que cet argument implique une contradiction insoluble et pose un problème fondamental aux musulmans. 


1 Il existe des objections classiques qui malheureusement peuvent facilement être réfutées pour incompréhension du Coran, erreurs d'interprétation ou traduction du Coran erronée. 
2 Référence du Coran : numéro de la sourate suivi du numéro de versets. Les versets sont tirés du Coran traduit par Jean Grosjean, éditions Philippe Lebaud, collection Points-Sagesse (1979), cités par Laurent Lagartempe dans Petit Guide du Coran, éditions de Paris, 2003.

vendredi 17 février 2012

Religion et science, un mariage impossible ?

Même si la foi est au-dessus de la raison, la religion et la science ne peuvent présenter des vérités contradictoires, l'une et l'autre ayant Dieu pour origine. Or, des théories scientifiques s'opposent parfois à la doctrine religieuse. Les oppositions qui semblent alors exister entre la science et la religion ne sont pas en outre vaines. Elles peuvent remettre en question notre foi si nous ne sommes pas prêts à les affronter. La théorie de l'évolution pose un problème sérieux au christianisme. Il ne s'agit pas de vouloir la méconnaître pour en être débarrassé comme par enchantement. 


Devant ces « vérités » contradictoires qui ne manquent pas, plusieurs attitudes sont alors possibles : 
  • le conflit qui aboutit au rejet de la science ou de la religion ; 
  • l'indépendance qui consiste à séparer la science et la religion comme relevant de deux ordres de vérité distincte au point de constituer deux univers à part qui ne se rejoignent jamais ; 
  • le concordisme qui tente de mener une synthèse entre la science et la religion, la religion devant alors s'adapter aux connaissances formulées par la science ; 
  • le dialogue critique qui consiste à respecter l'autonomie de la science et de la religion, des débats s'ouvrant alors sur des questions frontières. 

Il ne s'agit pas de refuser la science. Cela reviendrait à dénigrer à l'homme la capacité d'acquérir une forme de connaissances, qui est également une possibilité de mieux connaître Dieu. « Un peu de science éloigne de Dieu, beaucoup de sciences rapprochent de Dieu » (Pascal). Nos connaissances peuvent s'améliorer et se préciser par les progrès scientifiques. Il est en outre peu cohérent de rejeter la science et d'en accepter les fruits. Ce rejet reviendrait également à refuser d'admettre nos faiblesses et nos limites dans la connaissance de Dieu, de ses œuvres et de ses mystères. Néanmoins, il faut savoir distinguer la vraie science de la fausse science, celle qui est construite avec objectivité et rigueur, et celle pénétrée d'idéologie et de principes politiques ou sociaux (cf la théorie du genre). 


Il est encore plus intolérable de rejeter la religion pour des théories qui semblent la contredire. Cela va même à l'encontre de la science qui reconnaît actuellement de plus en plus ses limites et son incapacité structurelle de connaître toute la vérité. C'est encore refuser d'autres formes de connaissances. Enfin et surtout, c'est rejeter la primauté de la foi sur la raison. Mais, les contradictions apportées par la science ne sont généralement que des prétextes à une perte de foi et pas nécessairement une cause. 

L'indépendance entre la science et la religion est encore plus dangereuse. Certes, elles sont des savoirs profondément différents qu'il ne faut pas confondre mais elles doivent nécessairement se rencontrer, soit parce que l'objet d'étude est commun, soit par les conséquences qu'implique un des savoirs sur l'autre. En outre, dans cette attitude, la religion devient vite une pratique, une morale qui indique comment se comporter au sein de l'univers. La religion devient donc une religion de cœur, une religion de l'action. La science est alors vite considérée comme relevant seule du champ de la connaissance. Disjoindre ses formes de savoirs revient donc en pratique à renfermer la science dans la vie intellectuelle et la foi dans la pratique ou la vie intérieure. Cela revient inévitablement à diviser l'homme … 

Les deux autres attitudes sont intéressantes car elles nous conduisent au cœur du problème : qui doit avoir le dernier mot en cas d'opposition ? Le concordisme aboutit à la suprématie de la science. Elle serait l'ultime vérité. A la religion de s'adapter au progrès scientifique... Le dialogue critique ne donne aucune suprématie mais les débats risquent d'être rapidement interminables et vains. L'Eglise rappelle qu'elle a le dernier mot. Cette suprématie de la foi et de la morale doit donc encadrer ce dialogue pour qu'il soit efficace et constructif. L'autorité de l'Eglise n'est pas sectarisme ou totalitarisme au sens où elle ne se joue que sur des domaines impliquant la foi et la morale. Dans les deux attitudes, il est donc nécessaire de bien distinguer ce qui est essentiel de ce qui est accessoire, ce qui est principe de ce qui est conjoncturel, notamment dans l'enseignement de la science et de la religion. 

Car en cas de contradictions, ce n'est ni la science, ni la religion qui doivent être remises en cause mais l'interprétation ou les idées que nous faisons des vérités et leur enseignement. Il ne peut y avoir contradiction entre la science et la religion. Si elle existe, l'erreur ne vient pas de la vérité en elle-même mais de nous ou de celui qui enseigne. Ces contradictions montrent inévitablement les faiblesses de notre intelligence et non une déficience dans la vérité. 


De nombreux scientifiques et philosophes de la science ont de plus en plus tendance à montrer les limites de la connaissance scientifique. Ils savent maintenant qu'il existe une autre réalité dans laquelle les concepts classiques comme le temps et l'espace sont inapplicables. Ils ont pris notamment conscience qu'une partie de l'univers demeurera inaccessible à la science. Il semble aujourd'hui admis qu'il y ait dans le monde physique une indétermination profonde, non par incertitude, c'est-à-dire par manque de connaissances ou de moyens, mais fondamentalement dans la réalité même. Il est loin le temps où les scientifiques voyaient dans la science le seul moyen d'expliquer le monde par lui-même. Une véritable révolution scientifique est en œuvre silencieusement … 

La crise que nous connaissons dans l'Église révèle aussi des failles dans notre système de pensées. Elle ne se résume pas simplement comme une conséquence du Concile de Vatican II. Un retour en arrière n'est pas une solution comme il ne l'a jamais été dans l'Eglise. Au contraire, l'erreur appartient souvent, voire toujours, à ceux qui ont prétendu être fidèle à un passé idéalisé. Les réformes de la messe sont des exemples frappants de ce retour à un passé incompris et mal interprété. Il ne s'agit pas d'être fidèle à une histoire, par ailleurs imagée et peu connue, mais au dépôt sacré que Dieu a légué à l'Eglise et que constituent la Tradition et la Sainte Écriture. Le Concile de Trente a permis une avancée extraordinaire notamment dans la définition de la foi et des sacrements, et a mené un travail gigantesque qui semble ne pas encore avoir d'équivalent dans l'histoire. Face au protestantisme, les Pères de Trente ont abordé de manière souvent courageuse et laborieuse les problèmes posés par les hérétiques. De la même façon, nous ne devons pas ignorer ou sous-estimer les problèmes que nous pose la science afin de progresser dans la connaissance de la vérité. Car nous savons où se trouve la vérité et par conséquent, la solution est possible mais nécessite des efforts sérieux et conséquents, et beaucoup de temps. Détachée des conceptions déterministes, la vraie science peut aussi nous aider à confirmer et à approfondir notre religion. La science peut être un moyen apologétique redoutable au profit de l'Église.


Quand la science et la religion semblent s'opposer, il est nécessaire d'en chercher les causes dans nos propres limites et faiblesses, et non en opposant les vérités, tout en respectant la primauté de la foi sur celle de la raison …

mardi 14 février 2012

Celse et Origène, un combat qui dure encore

Ambroise, un notable fortuné d'Alexandrie, découvre par hasard un livre intitulé Exposé de la vérité ou Discours vrai d'un philosophe païen du IIème siècle du nom de Celse. Il demande au philosophe chrétien Origène (185-253) de le réfuter. Malgré des réticences, il mène sa tâche et rédige Contre Celse (1), une des plus belles œuvres apologétiques chrétienne.

Louis Rougier (1889-1982), philosophe et penseur de la nouvelle droite, découvre à son tour Celse par l'œuvre d'Origène et en reconstitue une partie de son livre pour l'utiliser comme une arme antichrétienne. Il salue en Celse l'esprit moderne, qui a su « par des méthodes infiniment pesantes, discursives, solennelles, […] confirmer les résultats de l'alerte critique de Celse ». Louis Rougier montre l'imposture et les dangers que représente le christianisme, et dénonce « l'éclipse mentale, le sommeil magique que le christianisme, véritable mancenillier mystique, a fait subir à la pensée humaine, pendant plus de quinze siècles » (Celse contre les Chrétiens, la réaction païenne sous l'empire romain, Chapitre IX). 
Sur des sites web antichrétiens (http://atheisme.free.fr), Discours vrai est considéré comme « une attaque en règle contre le christianisme, sans sectarisme, mais au contraire avec rigueur, honnêteté et sincérité. ». Son analyse est présentée comme étant « lucide », son attitude, « tolérance et générosité ».

Dans cet article, nous allons examiner, à partir de Contre Celse d'Origène, non les objections de Celse en elles-mêmes, mais les méthodes qu'il emploie pour attaquer le christianisme. Ainsi, pourrons-nous connaître ce qu'est « l'esprit moderne », ce qu'est « tolérance et générosité ».

Dès la préface, Origène nous donne rapidement une réponse. Il considère Discours vrai comme un « écrit injurieux ». Son principal défaut est de manquer de philosophie. « Pour les raisonnements de Celse, personne de raisonnable ne peut dire qu'ils soient selon les principes de cette science ». Il ne peut tromper « dans l'esprit de quelqu'un qui ait le moindre progrès dans la philosophie ». Finalement, Discours vrai est une « tromperie »

Le philosophe chrétien montre en effet :
  • l'ignorance et l'incompréhension de Celse à l'égard de la doctrine chrétienne et des Saintes Ecritures, en dépit de ses déclarations et de ses prétentions ;
  • les faiblesses et les erreurs de raisonnement de son adversaire ;
  • les véritables intentions qui guident Celse dans ses attaques.
A partir de ces accusations fondées, Origène nous montre des méthodes apologétiques intéressantes. Sa rigueur et son honnêteté contrastent avec les vanités et les railleries de Celse, "indignes d'un philosophes".

Étudions plus en détail les arguments d'Origène...  

Origène
Dans ses réponses aux attaques de Celse, Origène montre notamment son ignorance, qui est source de confusion et d'incompréhension. Il semble être assez au courant du christianisme mais Origène décèle rapidement une méconnaissance réelle des doctrines chrétiennes qui proviendrait probablement de ses sources d'informations (hérésies gnostiques, livres apocryphes, chrétiens ignorants). « Sous prétexte qu'il a peut-être ouï dire quelques petits mots de certaines hérésies, desquels même il ne prend pas bien le sens, mais qu'il tourne comme il lui plaît, il veut passer, parmi ceux qui ne savent rien ni de notre créance ni de celle des hérétiques, pour un homme qui entend toute la doctrine des chrétiens » (VI). Il feigne donc de connaître ce qu'il ignore... 
Parfois, ses ignorances proviennent d'une interprétation erronée de la Bible. « Il faut, ou qu'il ait mal entendu les saintes Écritures, ou qu'il s'en soit rapporté à des personnes qui les entendaient mal » (V). Celse prête ainsi aux chrétiens des propos qu'ils n'ont jamais tenus. Par exemple, « Celse a posé comme une maxime tenue par plusieurs chrétiens, que la sagesse de la vie est un mal, et que la folie est un bien » (I), ce qui lui permet d'affirmer que les chrétiens détestent la sagesse. S'il connaissait véritablement la Sainte Écriture et ses différents sens, « Celse ne parlerait pas comme il fait » (I). Il y a alors dans les propos de Celse de la confusion et du désordre, que reflète par ailleurs le Discours vrai par son incohérence et ses nombreuses répétitions. 
Ses erreurs de compréhension ou son ignorance frôlent la forfaiture. Celse fait dire aux apôtres et aux Écritures des choses qu'Origène ne trouve pas. Il n'hésite pas, en effet, à falsifier des passages de la Sainte Bible. Il tâche aussi de tourner en un mauvais sens les discours et les écrits chrétiens. Comme nous disons que Dieu est venu pour les pécheurs, il en déduit que Dieu est indifférent aux non pécheurs. 
Origène dénonce alors son manque de sérieux pour un philosophe. Il devrait au moins connaître l'objet de ses attaques et être rigoureux dans ses sources d'information. « Mêlant ensuite et confondant les diverses choses qu'il peut avoir entendu dire, sans se soucier d'où elles viennent, ni que les livres d'où elles sont prises soient ou ne soient pas d'une autorité divine parmi les chrétiens » (V). Celse accuse même sans démonstration, sans argumentation, parfois gratuitement sans que cela lui sert dans son raisonnement. Beaucoup de « critiques qui ne consistent qu'en paroles, et il ne les appuie pas de la moindre preuve. » (VI). Il déclame, dénonce, accuse, raille, le plus souvent sans donner la moindre explication. Alors, Origène s'impatiente parfois de ses silences : « qu'il nous dise donc un peu, lui qui blâme tant la foi des chrétiens, par quelles raisons démonstratives, etc. » (I). 

Celse raille beaucoup en effet, rabaissant le christianisme à la moindre occasion. Ce dernier est considéré comme « une doctrine cachée » (I) et par conséquent peu avouable. Il est fait d' « illusions grossières ». Les chrétiens ne seraient que des « scélérats » qui ne font tromper que des faibles : « il en est comme de ces scélérats qui font métier d'amuser le peuple dans les places publiques, et qui n'oseraient jamais entrer dans une assemblée d'hommes prudents, pour y faire leurs tours de souplesse; mais s'ils aperçoivent quelque troupe d'enfants, d'esclaves ou de gens simples, c'est là qu'ils s'adressent et qu'ils se font admirer. » (III). 
Celse rit de voir des hommes croire à un Dieu né d'une vierge de famille inconnue même de ses voisins. Il rit encore devant Joseph voulant renier Marie. « Il n'y a rien là qui sente le royaume de Dieu ». Marie-Madeleine est traitée de « femme fanatique » (II) pour montrer le peu de crédibilité qu'elle peut avoir lorsqu'elle annonce la résurrection de Notre Seigneur. Il raille sur la profession de Notre Seigneur, charpentier, qui ne se trouve pas dans les Saintes Écritures et sur le bois de la croix : « si Jésus avait été cordonnier, on parlerait aussi du cuir saint; s'il avait été tailleur de pierres, ce serait la pierre bénite qu'on vanterait; et s'il avait été serrurier, le fer de la charité » (VI). Comme il est précisé dans la Sainte Écriture qu'un ange roule la pierre de devant le sépulcre où était le corps de Jésus, Celse en vient à affirmer « que le Fils de Dieu n'eut pas la force d'ouvrir son tombeau, et qu'il eut besoin que quelqu'un vint ôter la pierre qui le fermait » (V). 
Ses railleries sont bien indignes d'un philosophe. « Il lui faut dire que ses railleries seraient bonnes pour un bouffon, et non pour un homme qui s'attache à traiter sérieusement une matière importante » (I). « Car au lieu de s'attacher sérieusement à la dispute qu'il a entreprise, il abandonne sa matière, et s'amuse à railler et à bouffonner, comme s'il écrivait quelque farce ou quelque satire, ne voyant pas que cette manière d'agir est contraire au dessein qu'il a de nous faire renoncer au christianisme pour entrer dans ses sentiments. S'il les proposait avec quelque gravité, peut-être qu'ils paraîtraient plus probables ; mais puisqu'il ne fait que railler, que bouffonner et que tourner les choses en ridicule, on aura sujet de dire qu'il manque de bonnes raisons, et que comme il ne peut faire mieux, il se jette dans ces plaisanteries. » (VI). 

Origène
Origène nous montre surtout les faiblesses et les erreurs de raisonnement, d'abord par les principes qu'il énonce sans y donner aucun fondement, et à partir desquels il fonde des démonstrations, se contredisant ainsi d'une belle manière. Car dès ses premières attaques, Celse rappelle en effet que nous ne devons « recevoir aucun dogme qu'après avoir pris conseil de la raison, et que suivant ce qu'elle nous dicte, parce qu'autrement on est sujet à se tromper dans les opinions qu'on embrasse » (I).


Son raisonnement s'appuie souvent sur des opinions ou des principes qu'il ne fait qu'affirmer. Il critique les chrétiens de ne pas savoir expliquer ou de refuser toute explication, quand Origène a bien du mal à se défendre contre de simples affirmations qu'il lui présente sans preuve et sans argumentation. « S'il nous demande des raisons de cette créance, qu'il nous en donne auparavant de ce qu'il a avancé lui-même sans preuve, et nous lui ferons voir ensuite que ce que nous croyons est bien fondé. » (I). Par exemple, en traitant des prophéties qui se rapportent au Christ, Celse affirme qu'elles peuvent aussi s'appliquer à d'autres. La réponse d'Origène est immédiate : à qui ? Celse affirme que Jésus courait le monde avec ses disciples, quêtant sa vie comme un misérable et comme un infâme. « Mais qu'il nous dise qui lui a donné sujet d'en parler ainsi » (I). Celse critique la vanité du Christ . « Qu'on nous montre, au reste, la moindre trace de vanité dans aucune des paroles de Jésus. » (II). Il attaque l'impiété du Christ. « Qu'on nous montre enfin quelles sont les impiétés de Jésus » (II). Celse accuse « que Jésus ne se put conserver exempt de tout mal ». « Mais de quelle espèce de mal veut dire ce raisonneur que Jésus n'ait pu se conserver exempt ? » (II). Celse ajoute encore « que Jésus n'a pas paru irrépréhensible ». « Qu'il nous cite donc quelqu'un de ses disciples qui ait marqué en lui quelque chose qui méritât véritablement d'être repris : ou si ce n'est pas sur leur témoignage qu'il se fonde, qu'il nous apprenne d'où il a puisé ce qu'il avance. » (II). Nous pouvons être légitimement exaspérés par tant d'accusations infondées provenant d'un philosophe. 
Les raisonnements de Celse sont parfois fragiles, voire faux. « Puisqu'il était Dieu et qu'il avait prédit ces choses, il fallait nécessairement qu'elles arrivassent » (II). Si Notre Seigneur a prédit les trahisons de Saint Pierre et de Judas, nécessairement, ils ne pouvaient que Le trahir. Dieu en deviendrait alors la cause de leur crime. « Un Dieu donc aura fait des impies et des scélérats, de ses disciples et de ses prophètes ». Origène est plus juste dans ses pensées : « nous ne croyons pas que celui qui prédit la chose, soit cause qu'elle arrive, parce qu'il a prédit qu'elle arriverait : nous croyons au contraire que la chose devant arriver, soit qu'on la prédise, ou qu'on ne la prédise pas, c'est elle qui donne occasion de la prédire à celui qui connaît l'avenir. » (II). 
Pour dénoncer la prétention des chrétiens, Celse accuse souvent Notre Seigneur et ses disciples de faire les mêmes choses que leurs adversaires. Or, comme le remarque Origène, il faut en examiner la cause ou l'intention et non la chose en elle-même. En traitant des miracles, « si l'on demeure d'accord que, sans se laisser préoccuper sur le sujet des miracles, il soit nécessaire d'examiner s'ils viennent d'une bonne ou d'une mauvaise cause pour ne pas les recevoir tous avec admiration, comme des effets d'une vertu divine, ou pour ne pas les rejeter tous avec mépris, comme des illusions » (II). 
Ses procédés pour attaquer le christianisme paraissent en outre inefficaces, voire maladroits. Dans le début de son ouvrage, Celse fait intervenir un Juif qui s'adresse au Christ et lui tient un discours critique. Par conséquent, c'est en se prenant pour un Juif que Celse va attaquer le christianisme. Origène doit donc défendre la religion en prenant un discours convenant à un Juif. Mais, comme il le souligne, Celse n'a pas su lui garder un caractère qui convenait à un Juif. Car ce dernier remet en cause des faits que les Juifs et les Chrétiens tiennent pour vrais, ou attaque des faits qui implicitement remet en cause la doctrine juive. « A le bien prendre, il se trouvera que, dans ce que le juif de Celse objecte aux chrétiens, il ne dit rien de Jésus qu'on ne puisse appliquer à Moïse, et que les accusations qu'il forme contre l'un retombent sur l'autre. Ainsi, leur cause est toute pareille, et il n'y a point de différence entre eux sur le fait de l'imposture. » (II). Origène conclut que « Celse a fort mal pris ses mesures, d'avoir mis de telles raisons en la bouche d'un juif, pour lui faire rejeter une histoire qui a beaucoup plus de vraisemblance que celles qu'il reçoit lui-même. »(I). En outre, il semble ignorer les doctrines juives. Le Juif de Celse n'a jamais entendu qu'un homme pouvait ressusciter comme s'il n'avait jamais su les résurrections qu'ont faites Elie et Elisée. En conclusion, le Juif semble avoir étudié les doctrines grecques et être animé de l'esprit grecque. Quel intérêt alors de prendre un Juif ? 

Devant tant de faiblesses, Origène en vient à donner quelques leçons à Celse. « Ceux qui lisent les histoires sans avoir pour but de contredire, mais qui veulent aussi se garder d'être trompés, doivent faire un juste discernement des choses pour connaître celles auxquelles on doit ajouter foi, celles qu'il faut expliquer allégoriquement, suivant l'intention de celui qui les a inventées, et celles qu'il faut rejeter comme écrites par complaisance on par flatterie. » (I). Cette marque de sagesse est d'autant plus vraie dans la lecture de la Sainte Écriture : « quand on lit les Évangiles, il est nécessaire d'y apporter une grande application, avec une âme vide de préjugés et d'entrer, pour le dire ainsi, dans l'esprit de nos auteurs, afin de juger dans quelle vue ils ont écrit chaque chose » (I). Contrairement à ce que prétend Celse, les chrétiens ne croient pas aveuglément et sans examen. 
Si Celse « veut qu'on le croie si soigneux d'instruire les hommes, [ Il ] devait se donner la peine de rapporter ces prophéties, avec l'explication des chrétiens, pour montrer ensuite par ce qu'il aurait jugé le plus convaincant que, quelque vraisemblable qu'elle paraisse, elle n'a pourtant rien de solide. » (II). Au lieu d'attaquer fermement un article principal des chrétiens et leurs argumentations, comme la réalisation des prophéties en Notre Seigneur, il abandonne rapidement ce sujet pour des critiques plus futiles. Origène est ainsi étonné par son silence sur des incohérences de la Bible « car la vanité dont il est lui-même rempli et qui lui fait dire qu'il sait tous nos mystères, est si bien fondée, qu'il ne sait pas même former ses doutes avec jugement sur l'Écriture. » (II). 

Enfin, Origène dénonce le manque d'objectivité de Celse. Le philosophe païen reconnaît des fables et des mythes anciens tout en dénonçant ceux des juifs et des chrétiens sans expliquer sur quoi se fondent ses créances. Pourquoi les uns ont ce privilège quand il le refuse pour les autres ? « Quoi ! vous prenez pour de pures fables toutes les merveilles que les disciples de Jésus nous disent de lui, vous ne pouvez souffrir qu'on les croie, et vous ne trouvez rien de fabuleux ni d'incroyable dans cette autre histoire? Vous, qui accusez les autres d'une trop grande crédulité, comment ne songez-vous point à justifier celle que vous témoignez pour un fait qui mériterait bien que vous ne le laissassiez pas comme vous faites, sans aucune preuve? Est-ce que la sincérité d'Hérodote et de Pindare passe pour indubitable en votre esprit, pendant que vous refusez toute créance à des personnes qui n'ont point refusé de sceller de tout leur sang la vérité des choses dont leurs écrits ont éternisé la mémoire? » (III). 
Nous retrouvons la même impartialité dans l'interprétation de la Sainte Écriture. « On dirait que pour trouver quelque prétexte de décrier notre profession, il ajoute foi, quand il lui plaît, aux écrits des évangélistes ; mais qu'il rejette aussi, quand il veut, l'autorité de ces mêmes livres, pour n'être pas obligé de recevoir le témoignage qu'ils rendent à la divinité de ce qu'ils enseignent » (I). Alors, « si Celse ne veut admettre l'autorité des Évangiles que quand il croit qu'elle lui fournit quelque accusation contre les chrétiens, et s'il la rejette quand elle confirme la divinité de Jésus, il me semble qu'on peut le prier, ou de ne la recevoir en rien et de cesser de s'en servir contre nous, ou de la recevoir en tout » (II). 
Celse laisse sous silence des faits qui donneraient tort à ses accusations. Ainsi, ils accusent les apôtres d'avoir trahi Notre Seigneur et de L'avoir laissé mourir, montrant par là leur indignité et le peu de considérations qu'ils avaient de leur maître. « Il admet encore ici le témoignage des Évangiles pour avoir lieu de nous reprocher les fautes que les disciples de Jésus firent par infirmité en un temps où ils ne faisaient que d'entrer dans son école : mais il ne parle point de la manière dont ils réparèrent les fautes, lorsqu'ils se présentèrent hardiment devant les Juifs ». Origène reprend les accusations de Celse mais n'en oublie pas de les situer dans la Sainte Écriture. Il retourne ainsi les accusations contre le « railleur ». 
Dans l'interprétation des écrits, Celse utilise différents sens, soit allégorique, soit littéral selon son argumentation afin de confirmer ses propos, sauf pour la Sainte Écriture. « Il déclame ensuite contre l'histoire de Moïse, sans vouloir souffrir qu'on l'explique allégoriquement, ni qu'on y cherche un autre sens que le littéral. [...] Quand les Égyptiens débitent leurs fables, l'on s'imagine que c'est qu'ils cachent leur philosophie sous des figures et sous des énigmes ; mais quand Moïse, après avoir écrit des histoires pour instruire toute une nation, lui donne aussi des lois pour la gouverner, l'on veut que ce ne soient que des contes sans fondement, qui ne puissent même recevoir de sens allégorique » (I). 

Finalement, Origène découvre en Celse un orgueil démesuré. Le titre de son ouvrage, Discours vrai, ferait même frémir un philosophe. Celse ose écrire qu' « il sait tout ce qui se dit » (I) parmi le chrétiens. Or, tout semble montrer son ignorance. Origène rappelle que même pour un chrétien, les Saintes Écritures présentent des mystères et des difficultés de compréhension parfois insurmontables. En dépit de son ignorance, il s'en prend à des doctrines élevées. « Celse attaque [...] la résurrection qui est un dogme d'un long et difficile examen, un dogme qui, entre tous les autres, demande un esprit éclairé et une science consommée, pour pouvoir montrer qu'il ne renferme rien que de sublime, rien qui ne soit digne de Dieu » (VII). Origène demande alors plus de prudence à Celse qui est si ignorant des choses qu'il attaque impunément. « Pour faire voir que ceux qui s'emportent si fort contre la doctrine des chrétiens feraient mieux de s'en tenir aux simples doutes, que d'avancer avec tant de hardiesse contre Jésus et ses disciples, des choses qu'ils disent sans les savoir » (VIII). Ses affirmations philosophiques surprennent encore Origène tant les sujets abordés sont complexes et divisent les philosophes païens. Sur d'« importante matière » qui méritent par eux-mêmes de longs discours, comme l'œuvre de la création, Celse énonce rapidement des vérités : « voyez, je vous prie, combien de choses il avance là hardiment, comme si elles étaient d'une vérité reconnue, sur lesquelles, néanmoins, les philosophes ne s'accordent pas. » (IV). 
Comme Origène, nous pouvons soupçonner un mauvais sentiment qui guide Celse. « Il semble donc que quand Celse a parlé de la sorte, il a moins eu dessein de dire la vérité que de contenter sa haine et de décrier jusque dans la nation des Juifs l'origine du christianisme qui y est comme attachée. » (I). En analysant avec soin ses objections, Origène montre que Celse n'agit pas en « en philosophe, qui cherche la vérité ; mais en homme de la lie du peuple, qui se laisse emporter à ses passions » (I). Il n'a pas « pour but de chercher sincèrement la vérité, et de l'embrasser où il la trouverait ; mais qu'il ne s'est proposé que d'agir avec nous en ennemi, prêt à combattre sans autre examen tout ce qui se présenterait à lui sous l'idée de quelqu'un de nos dogmes. » (II). 
Origène montre que le discours doit être fondé sur un examen honnête. « Pour moi, je puis dire, sans rien donner à la faveur de la cause, mais tâchant seulement d'examiner avec soin ce que sont les choses en elles-mêmes » (I). Parfois, dans cet examen, il faut reconnaître la valeur de son adversaire. « Nous prenons à tâche de ne combattre jamais ce qui est bien dit, et quoique ceux qui le disent ne soient pas de notre créance, nous ne voulons point les contredire ni chercher à détruire ce qu'ils avancent de conforme à la raison » (VII)... 
Celse ne veut pas s'instruire comme il ne veut pas s'attacher à découvrir quelle a été la pensée de celui dont il critique les propos. « Au lieu de nous donner des instructions, il nous dit des injures. Au lieu de témoigner, dès l'entrée, qu'il est favorablement disposé pour ceux à qui il adresse son discours, il nous traite de faibles » (VII). 

L'article peut sembler bien long et indisposer les lecteurs, et nous tenons à nous en excuser, mais le sujet méritait une telle longueur. Car si Celse ne présente évidemment pas les caractères d'un homme honnête, tolérant, généreux, cherchant la vérité, les méthodes qu'il utilise sont reprises par des antichrétiens avec la même désinvolture. C'est peut-être en ce sens que Celse révèle un « esprit moderne ». Il en a la même vanité et les mêmes suffisances en dépit des ignorances et faussetés manifestes. Mais, en dépit de ses faiblesses incroyables, ce serait une énorme erreur, voire une faute, de négliger l'œuvre de Celse comme toutes celles qui l'imitent. Car elle a une force indéniable, celle qui émane d'une raillerie qui vise juste, piquante, incisive. Nous percevons en Celse le mauvais génie de Voltaire. La faiblesse d'Origène devient alors à son tour frappante. Contre une courte affirmation de Celse, souvent de « bon esprit », il est obligé de répondre par un long discours, parfois difficile à suivre. Il parvient certes à la démonter mais la critique de Celse demeure quand l'argumentation d'Origène peut vite s'oublier ... 

Enfin, cet article nous donne un exemple de ce qu'est l'apologétique. Origène nous expose de belles leçons et nous apprend à éviter les erreurs que nous pouvons commettre quand nous attaquons nos adversaires.




 1 Contre Celse, Migne, 1843, œuvre numérisée et mise en page par Marc Szwajcer et Philippe Remacle sur le site remacle.org (site sur l'antiquité grecque et latine) qui comprend de nombreux textes dont des œuvres chrétiennes.

lundi 13 février 2012

Fra Angelico, une exposition vaut mieux qu'un discours


Fra Angelico et les maîtres de la lumière« un moment de grâce, de couleurs divines, de constructions savantes » (P.Verdy, A.F.P.). 

Parfois, peu de choses suffisent pour comprendre l'essentiel. Certes, il est utile et nécessaire, surtout en ce temps d'égarement et d'activisme, de déceler les erreurs et d'y réfléchir, de les dénoncer et de les démonter, mais il ne faut pas non plus oublier de souligner le vrai, de montrer le bien et d'acclamer le beau. Nous avons peut-être tendance à imiter certains journalistes qui semblent ne trouver leur fondement que dans la misère et la souffrance ici-bas. L'exposition « Fra Angelico et les maîtres de la lumière » qui a eu lieu récemment au musée Jacquemart-André est une brillante réponse à tous ceux qui usent de l'art et en abuse pour des intentions certainement peu avouables. 

Que pourraient répondre en effet Antoine Artaud ( cf article) et ses disciples devant cet art sublime, fait de lumière et de quiétude, qui se laisse admirer dans de petites salles par une foule nombreuse ? Ils affirment que l'art ne peut exprimer la réalité. Par leurs peintures, Fra Angelico (1387-1455) et les peintres prestigieux (1) qui l'ont côtoyé font plus que représenter le monde visible. C'est l'insaisissable qui transparaît dans leurs tableaux. La foi se voit, se sent, se touche. Sans difficultés, l'âme se sent élever aux plus belles vérités et à des demeures inaccessibles aux communs des mortels. 

Selon la théorie de la cruauté, le théâtre doit provoquer des traumatismes et des chocs pour atteindre efficacement le spectateur. Quelle erreur quand nous songeons à la joie qui resplendit sur les visages de ces hommes et de ces femmes enthousiasmés par les peintures de Fra Angelico ! Qui peut demeurer impassible devant ces merveilles d'art ? Car nous touchons à l'ineffable ! L'âme sort de l'exposition apaisée, rayonnante et fortifiée. La beauté si proche et si pure nous transporte loin des vanités et des mensonges de ce monde. 

Quand Antoine Artaud et ses compères veulent déconstruire l'homme, Fra Angelico le construit et l'élève dans un ravissement rarement atteint. Tout dans les peintures exposées est presque d'une perfection inégalable : le beau, le vrai et le bien. Nous pouvons dire qu'après ce passage dans le divin, nous avons le pressentiment, peut-être erroné, d'avoir changé et progressé en bien. Est-ce une illusion ou la marque d'un véritable art ? S'ils parviennent à tant de bienfaits, pouvons-nous dire que Fra Angelico participe à l'œuvre de la création tant il a bien usé des dons que Dieu lui a donnés pour sa plus grande gloire ? 

Dans le monastère de Florence, les fresques de Fra Angelico avaient pour rôle d'aider les dominicains à méditer sur les mystères de Dieu. Nous avons eu la chance et la joie à notre tour de contempler certaines de ces œuvres, et nous pouvons comprendre toute leur pertinence et la richesse de cette méditation. L'art apparaît dans toute sa grâce et facilite la prière tant il nous fait découvrir ce que les mots sont bien faibles à exprimer... 

Alors, aux disciples des théâtres misérables qui nous affligent et autres spectacles morbides, nous leur demandons de quitter les ténèbres et de goûter à la lumière et à la pureté de la peinture de Fra Angelico. Ils auront peut-être la grâce de se convertir. Car l'âme ne peut rester insensible à tant de merveilles... 

Selon un gardien du musée, certains visiteurs restaient de longues heures dans l'exposition et finissaient par lui avouer qu'ils avaient découvert ou retrouvé la foi... 

Deo gratias… 

 « De la Vierge en majesté à la Vierge d'humilité, il donne la pleine mesure de son talent en parant la Sainte de splendides drapés, en la baignant dans un flot de lumière dorée et en conférant à son visage beauté et bonté […] Et lorsqu'il grimpe aux cieux pour immortaliser le Jugement dernier, l'Ascension ou l'Assomption […], sa maîtrise de la lumière prend une dimension mystique : ses tableaux resplendissent d'une lueur intrinsèque, les couleurs chatoient et les dorures éblouissent. Cela ne fait aucun doute, l'exposition Fra Angelico nous ouvre les portes d'un paradis qui brille de mille feux...» (Cécile Duclos, www.latoiledepandore.fr) 


1 Loranzo Monaco, Masolino, Paollo Uccello, Filippo Lippi, Zanobi Strozzi

jeudi 9 février 2012

Un peu d'audace



Méconnaître l'adversaire interdit de se défendre 
selon Pierre le vénérable.

Dernièrement, un de mes enfants devait étudier une citation de Sénèque : « nous n'osons pas parce que la chose est difficile, mais une chose est difficile car nous n'osons pas ». Est-ce vraiment de l'audace dont nous manquons pour affronter un problème en apparence difficile et donc aux solutions incertaines ? Ou plutôt notre manque de confiance en Dieu ? Notre audace est peut-être proportionnelle à notre confiance en Dieu. Or, la foi peut déplacer une montagne. Notre Seigneur nous a montré par ses saints que des œuvres extraordinaires pouvaient grandir à partir de rien, d'une audace. Il n'est plus temps de faire le devoir de mon fils mais pensons aux raisons qui nous empêchent d'étudier et de comprendre le monde dans lequel nous vivons. Pourquoi sommes-nous si lents et négligents à étudier et à réfléchir ?

Nos grands-parents étaient probablement beaucoup plus curieux et érudits que nous le sommes aujourd'hui. Certes, ce privilège ne concernait que ceux qui avaient les moyens d'être érudits. Mais aujourd'hui, qui n'a pas les moyens de l'être tant la connaissance est devenue si accessible ? Ce qui était réservé à une élite est devenu libre d'accès. Nos adversaires ne se cachent plus non plus, n'hésitant pas à faire du prosélytisme. N'est-ce point une opportunité à ne pas manquer ? Cependant, cette libre diffusion de la connaissance nécessite plus d'efforts et d'exigences de notre part dans le recoupement d'informations et dans la qualité des sources. L'esprit critique est encore plus nécessaire qu'autrefois...

L'étude apologétique, efforts inutiles diront certains. Où est alors la confiance que nous avons en Dieu ? Efforts réservés aux prêtres, diront d'autres. Ne sommes-nous pas aussi des missionnaires ? Devons-nous déléguer aux prêtres une partie de notre croix ? Les arguments ne manquent pas pour rejeter cet effort : pas le temps, pas l'intelligence nécessaire, pas les connaissances suffisantes, ... Certes, si nous ne cherchons pas, comment pouvons-nous en trouver ? 

Peut-être faut-il avant tout se détacher du monde, de ses attraits, de ses futilités qui nous prennent tant de temps et nous rendent si peu aptes à réfléchir et à profiter des dons que Dieu nous a accordés ...

Que pouvons-nous faire pour que les choses changent ! Telle est la question... Et peut-être, si Dieu le veut, une œuvre grandiose sortira de chacune de nos audaces pour sa plus grande gloire … Encore, faut-il oser... 

Que Notre Seigneur nous éclaire et maintienne notre volonté dans la fidélité pour la salut des âmes!... 

Telle est notre audace...