" La pierre précieuse, voire de grand prix aux yeux de certains, qu'est l'émeraude, se voit insultée par un morceau de verre habilement truqué, s'il ne se rencontre personne qui soit capable de procéder à un examen et de démasquer la faute. Et lorsque de l'airain a été mêlé à l'argent, qui donc, s'il n'est connaisseur, pourra aisément le vérifier ? "(Saint Irénée, Contre les hérésies)


dimanche 7 août 2022

Sainte Marie, point d''achoppement et signe de vérité ... Le protestantisme...

Notre essai apologétique se poursuit, certes moins régulièrement, mais avec la même volonté de défendre la foi et l’Église et d’aider les chrétiens à affermir leur foi tout en restant nous-mêmes fidèles. Par nos articles, nous essayons de mieux connaître les arguments qui semblent les remettre en cause puis de proposer des réponses pour les combattre. Tels sont ainsi et encore nos objectifs. Notre étude nous permet enfin de mieux approfondir notre piété et notre culture chrétiennes et de mieux connaître ce que nous avons embrassé depuis plus de vingt-cinq ans. En dépit de nombreux travaux qui nous détournent de nos articles, nous n’avons pas baissé notre arme…

Il est difficile de poursuivre notre essai apologétique sans porter notre regard sur Sainte Marie tant elle occupe de nos jours une place immense dans la piété et la culture chrétiennes. Nos prières ne cessent en effet de monter vers elle au grès des Ave Maria et nombreuses sont les fêtes qui la célèbrent dans le calendrier liturgique. L’art la magnifie aussi sous toutes les formes ravissantes possibles. Et dans de formules précises et inaltérables, elle fait l’objet de dogmes que l’Église nous demande de croire portant sur des mystères tels l’Immaculée Conception et l’Assomption. Parmi les saints, elle-seule a ce privilège…

Or, la place que la Sainte Vierge occupe dans l’Église est souvent reprochée ou contestée, y compris par des chrétiens. Le culte rendue à Sainte-Marie ainsi que la doctrine mariale, ou mariologie, font aussi l’objet de nombreuses critiques et erreurs de la part de ceux qui veulent remettre en cause le christianisme ou s’attaquer à l’Église. Athées, juifs, musulmans, hérétiques, protestants, rationalistes ou progressistes, nombreux sont ceux qui les récusent. Les uns parlent de mythes, d’idolâtrie ou encore de superstition quand d’autres y voient une piété excessive ou un infantilisme religieux. Dernièrement, forte de sa science, une théologienne n’hésitait pas à contester ses vertus et à lui retirer la place que l’Église lui accorde depuis des siècles.

Nous allons donc désormais nous pencher sur ces questions, ce qui nous permettra par ailleurs de mieux connaître la Sainte Vierge ainsi que la dévotion que nous lui devons, et de saisir les raisons de son importance dans la piété et le dogme catholiques. Notre étude commence par la position du protestantisme…

La place de Sainte Marie dans le catholicisme contraire au principe « Sola fide »

Le culte rendue à Sainte-Marie et la doctrine mariale sont les principaux points de divergence entre le catholicisme et le protestantisme. « Marie est l’expression la plus claire de « l’hérésie » catholique, elle est le type et le résumé de la doctrine de la coopération de la créature humaine à la rédemption, et, dès lors, elle est aussi la synthèse de la conception catholique de l’Église. »[1] Il est même courant d’entendre que les protestants ne croient pas en Sainte Marie contrairement aux catholiques. L’expression est néanmoins incorrecte puisque la plupart des protestants ne contestent pas sa réalité historique. Ils refusent néanmoins tout culte à son égard et toute dévotion mariale car ils les jugent inutiles ou erronés pour deux raisons principales.

Selon leur principe dit « sola fide »[2], c’est-à-dire « l’Écriture seule », principe selon lequel la foi repose essentiellement sur la Sainte Écriture, la plupart des mouvements protestants considèrent Sainte Marie comme un personnage secondaire, voire sans importance, en raison de sa place très restreinte dans les Évangiles et quasi-inexistante dans les Actes des Apôtres. Les épîtres ne l’évoquent pas non plus. Compte tenu de cette discrétion dans le Nouveau Testament et en raison de leur principe, ils ne lui donnent qu’une place mineure dans leur piété et leur enseignement. Pourtant, comme nous l’expliquerons dans la suite, les fondateurs des différents mouvements protestants ont tenu une position différente.

Les protestants refusent aussi de croire en son Immaculée Conception et en son Assomption puisque ces deux mystères, qui sont deux dogmes catholiques, ne sont pas fondés par la Sainte Écriture. Ils croient en sa virginité, même si certains la remettent en cause, n’y voyant qu’une parabole, et en sa maternité divine.

Une interprétation erronée de la Sainte Écriture

En outre, pour attester le rôle secondaire de la Sainte Vierge, les protestants se réfèrent aussi généralement à deux épisodes de l’Évangile.

Au cours d’un enseignement de Notre Seigneur Jésus-Christ, certainement charmée  par ce qu’elle vient d’entendre, une femme s’écrie au milieu de la foule : « Heureux le sein qui vous a porté et les mamelles que vous avez sucées ! »  (Luc, XI, 27) Alors que les scribes et les pharisiens venaient de L’accuser d’agir au nom de Belzébuth, elle béatifie Notre Seigneur Jésus-Christ et sa Mère. La réponse de Notre Seigneur Jésus-Christ semble pourtant la contredire : « Heureux plutôt ceux qui écoutent la parole de Dieu et qui la gardent ! » (Luc, XI, 28). En se référant à ce passage biblique, les protestants en concluent que les liens du sang ne confèrent aucun privilège à Sainte Marie. Pourtant, une telle interprétation ne concorde pas avec la scène prise dans sa totalité. Notre Seigneur Jésus-Christ venait en effet d’enseigner aux scribes et aux pharisiens que ce ne sont pas par nos privilèges que nous pouvons acquérir le bonheur et la richesse surnaturelle mais nos vertus, notre loyauté et notre fidélité pratique. L’exclamation de la femme Lui permet alors d’appuyer la doctrine qu’Il venait de défendre. Et ces vertus, cette fidélité, cette humilité, qui les a montrées avec éclat si ce n’est la Sainte Vierge ?

La seconde scène est celle des noces de Cana. Constatant le manque de vin et la gêne que cela va occasionner, Sainte Marie s’adresse affectueusement à Notre Seigneur Jésus-Christ pour qu’Il intervienne. Or, sa réponse est encore étonnante, voire très dure. « Quid mihi et tibi est, mulier ? ». Elle  peut se traduire par « Femme,  qu’importe à moi et à toi ? », ou encore plus communément  par « Femme, qu’y-a-t-il entre toi et moi ? » Cette réponse est alors reprise par des protestants pour s’opposer à la place qu’occupe Sainte Marie dans la mariologie catholique. Ils reprochent aux catholiques d’oublier justement l’abîme qui existe entre Notre Seigneur Jésus-Christ et Sainte Marie. Mais, de nouveau, il ne faut pas s’arrêter à cette seule réponse. Notre Seigneur Jésus-Christ rajoute en effet aussitôt : « Mon heure n’est pas encore arrivée. » Il a bien compris l’invitation de sa Mère, une  requête inspirée par la compassion, la foi et la confiance, une  requête discrète, mesurée et tendre. Il est alors difficile de voir dans la réponse de Notre Seigneur toute intention de reproche et de réprimande. Prenons plutôt ses paroles comme une leçon. Et n’oublions pas qu’elle a été accordée. En fait, la réponse est une formule assez courante dans la Sainte Écriture. Elle pourrait être traduite par « laissez-moi ». Le titre de « femme » n’était pas non plus dénué d’affection au temps de l’antiquité contrairement à notre époque. Sainte Marie sollicite un miracle de son Fils et, dans ce miracle une manifestation du Seigneur au monde. Sa requête est en fait une douce violence qui Lui est faite, et contre laquelle Il proteste filialement.

Contre la mariologie ? Ou une réaction identitaire ...

Selon des commentaires, y compris protestants, leur attitude à l’égard de Sainte Marie peut être perçue comme une réponse à ce qu’ils considèrent comme de la « mariolâtrie », c’est-à-dire à la piété excessive des catholiques à son égard. Les calvinistes « s’élèvent avec force contre toute tentative d’exalter Marie, d’établir un parallélisme entre elle et le Christ, comme aussi entre elle et l’Église, en lui conférant des titres, qui, à leurs yeux, la défigurent plus qu’ils n’attestent son vrai visage. »[3] Selon un pasteur luthérien [4], l’attitude critique des protestants serait récente et s’explique aussi par leur réaction à l’égard du développement de la mariologie catholique, très probablement pour mieux se démarquer des catholiques. Leurs critiques dateraient du XVIIIe siècle et du XIXe siècle.

Pourtant, attitude bien différente des fondateurs du protestantisme …

Cependant, les fondateurs des différents mouvements protestants[5] semblent plutôt donner une place élevée à Sainte Marie au point d’être favorables à la piété mariale.

Dans son Commentaire du Magnificat, Luther professe la maternité divine de Sainte Marie ainsi que sa virginité perpétuelle. Il insiste en particulier sur son humilité et l’action divine en elle. Au début et la fin de son commentaire, il fait naturellement appel à son intercession. Néanmoins, Luther s’éloigne de certaines pratiques catholiques qu’il juge excessives et supprime des fêtes, n’en gardant que trois fêtes mariales, celles de l’Annonciation, la Visitation et la Purification.

Écrite par son disciple Melanchthon, la Confession d’Augsbourg (1531) affirme que Sainte Marie prie pour l’Église et qu’elle est digne des plus grands honneurs mais prétend que tout appel à son intercession est dépourvu de sens puisqu’il rendrait le Christ inutile. En effet, il défend le caractère unique et suffisant de la médiation de Notre Seigneur Jésus-Christ.

Calvin est plus précis et catégorique. Tout en professant la virginité de Sainte Marie, il lui refuse tout hommage religieux bien que, comme tous les saints, elle mérite des louanges et des témoignages d’estime. Il semble que contrairement à Luther, il n’ait jamais utilisé le titre de « Mère de Dieu » pour désigner la Sainte Vierge, préférant plutôt « Mère du Seigneur » sans cependant remettre en cause sa maternité divine.

Enfin, Zwingle, autre grand « réformateur » du protestantisme, croit fermement en la virginité perpétuelle de Sainte Marie[6] et en son incorruptibilité. Il est même convaincu qu’« elle est élevée par Dieu au-dessus de toutes les créatures, des hommes ou anges bienheureux, dans la joie éternelle. »[7] Son affirmation est suffisamment claire pour donner à Sainte Marie une place particulièrement élevée dans la cour céleste. Cependant, il combat toute vénération religieuse qui s’attache à elle, toute invocation ou appel à son intercession. « Entre la doctrine zwinglienne qui tend à révérer Marie comme une créature excellente et à lui faire une place unique comme instrument dans la rédemption et la pratique qui lui dénie tout culte allant au-delà des honneurs rendus à son divin Fils et lui refuse toute invocation, il y a un hiatus. Mais ce hiatus n’est pas propre à Zwingli, on le retrouve aussi bien en théologie luthérienne. »[8]

Les premiers fondateurs du protestantisme sont donc dans une attitude ambigüe à l’égard de Sainte Marie. Tout en professant sa virginité et sa maternité divine conformément aux articles de foi définis par les premiers conciles, ce qui lui donne un rôle unique dans le mystère du salut et parmi les créatures de Dieu, ils la considèrent aussi comme un personnage secondaire, refusent de lui donner un rôle particulier dans notre salut, sauf comme modèle à suivre, et récusent toute dévotion mariale en raison de leurs propres doctrines. Leur position révèle une contradiction difficilement tenable.

Le principe de la médiation unique et universelle de Notre Seigneur Jésus-Christ

Le théologien protestant, Karl Barth et le pasteur Max Thurian attaquent la mariologie catholique parce qu’elle remet sérieusement en compte un des points centraux centraux de l'enseignement des protestants : la médiation unique de Notre Seigneur Jésus-Christ.

Selon Barth, lorsque les protestants traitent de la maternité divine, ils ne l’affirment que par rapport à Notre Seigneur Jésus-Christ sans porter leur regard sur la Sainte Vierge. Or, Barth reproche aux catholiques de faire de ce mystère une réalité autonome au point que Sainte Marie n’est plus au service du dogme christologique. Barth va encore plus loin. Il reproche aussi à la dévotion mariale des catholiques de fortement souligner le rôle de Sainte Marie dans l’œuvre de la Rédemption au point de la considérer comme l’acte principal dans son consentement au message de l’annonciation. Enfin, toujours selon Barth, la mariologie catholique attribue à Sainte Marie une dignité et une autorité de l’Église que les protestants refusent. Ce serait le résultat du parallélisme traditionnel entre Sainte Marie et l’Église ainsi que les attributs que les catholiques accordent à Sainte Marie, identiques à ceux de l’Église. Finalement, Barth s’oppose à la mariologie catholique qui remet en cause la souveraineté unique de Dieu. « Jésus-Christ demeure le Seigneur » et « ni l’homme ni l’Église ne puissent s’en attribuer le moindre honneur ». La foi est « l’acceptation de l’unique médiateur, à côté duquel on ne peut en concevoir d’autre. » Sainte Marie ne peut donc y être associée ou participée. Son rôle n’a pas d’autre but que de jeter une lumière sur cette médiation unique et universelle. Ce n’est donc qu’un pur signe.

Sans être aussi excessif que lui, Max Thurian voit dans la mariologie catholique une remise en cause de l’authenticité de la médiation du Christ. Elle éloigne Notre Seigneur de la réalité humaine et donc de nous-mêmes. « Marie est devenue l’humanité du Christ, elle joue le rôle que l’humanité du Christ doit jouer pour notre salut. »[9] Cette attitude tendrait alors au docétisme. « Jésus-Christ est trop Dieu, son humanité est trop divinisée pour avoir quelque rapport réel avec la nôtre. La doctrine de la médiation du Christ reçoit là une grave atteinte. » Contrairement à Barth, Thurian considère que la doctrine de la médiation n’est pas abandonnée mais fortement affaiblie et modifiée puisque la médiation s’opère par le Christ mais en Sainte Marie.

Conclusions

Les protestants protestent contre la dévotion et la doctrine mariale catholiques, les considérant infondée par l’Écriture sainte, inutile et dangereuse. Certes, pour eux, Sainte Marie est un modèle de foi et de piété, témoin privilégié de la naissance de Notre Seigneur Jésus-Christ, mais selon leur enseignement, chaque chrétien n’a pas besoin de lui faire appel pour intercéder en sa faveur. Finalement, le protestant « ne prie pas Marie » comme « il ne fait pas d’invocation à des saints. »[10]

Leur attitude à l’égard de Sainte Marie paraît néanmoins fragile. Il est en effet bien difficile de récuser tout culte mariale tout en reconnaissant son importance et son rôle dans l’œuvre de la  Rédemption. La réduire à un modèle à imiter ne peut guère être satisfaisant. Les motifs bibliques que les protestants peuvent évoquer pour défendre leur position reflètent clairement une interprétation simpliste de la Sainte Écriture. Mais, ont-ils le choix ?

S’ils devaient rendre à la sainte Vierge une dévotion particulière et un rôle dans leur doctrine comme les catholiques, ils contrediraient les principes sur lesquels se sont élevés les mouvements protestants. Et pour subsister et se démarquer des catholiques, que peuvent-ils faire sinon réagir contre la mariologie catholique ? Pour toucher les chrétiens, peu passionnés par les querelles théologiques, et montrer leurs différences, ont-ils d''autres choix que s'attaquer au culte marial catholique au risque de se montrer contradictoires ? Par leur attitude à l’égard de la Sainte Vierge, ils ne défendent pas la foi mais eux-mêmes.  



Notes et références

[1] R. P. Jérôme Hamer, Mariologie et théologie protestante.

[2] Voir Émeraude, article « La doctrine de Luther », février 2017.

[3] Pasteur André Thomas, article Marie : points de vue catholiques et protestants, site Web La Croix, 11/07/2003, accédé le 20/06/2022.

[4] Albert Greiner (1918-2013), pasteur théologien et écrivain français.

[5] Voir notamment Mariologie et théologie protestante, R. P. Jérôme Hamer, O. P., Collège théologique, La Sarte-Huy (Belgique), janvier 1952, www.e-periodica.ch.

[6] Voir Zwingle, Expositio fidei, II, V.

[7] K. Federer, Zwingli und die Marienverehrung, dans Recherches sur Zwingli, Pollet J. V.-M., dans Revue des sciences religieuses, tome 28, fascicule 2, 1954.

[8] Pollet J. V.-M., Recherches sur Zwingli dans Revue des sciences religieuses, tome 28, fascicule 2, 1954.

[9] Thurian M., Le dogme de l'Assomption, dans Verbum Caro, 1951, t. V dans Mariologie et théologie protestante, R. P. Jérôme Hamer, O. P., Collège théologique, La Sarte-Huy (Belgique), janvier 1952, www.e-periodica.ch.

[10] Pasteur Jérémy Duval, Regard protestant sur Marie, conférence du 21 août 2014 à Berck.