" La pierre précieuse, voire de grand prix aux yeux de certains, qu'est l'émeraude, se voit insultée par un morceau de verre habilement truqué, s'il ne se rencontre personne qui soit capable de procéder à un examen et de démasquer la faute. Et lorsque de l'airain a été mêlé à l'argent, qui donc, s'il n'est connaisseur, pourra aisément le vérifier ? "(Saint Irénée, Contre les hérésies)


samedi 30 septembre 2017

L'usure, une faute de raison

Dans son ouvrage célèbre, Max Weber a tenté de montrer que l’éthique du protestant était une des causes de l’essor du capitalisme moderne. D’autres chercheurs ont aussi vu dans le protestantisme un des facteurs de son développement et de son succès. La décision de Calvin d’autoriser la pratique du prêt à intérêt à partir d’une interprétation de la Sainte Écriture y a certainement joué un rôle non négligeable. Calvin est alors parfois décrit comme un homme annonciateur des Temps modernes, un homme porté vers la modernité, un homme qui « apprécie fortement le travail, l’initiative et la responsabilité individuelle »[1].

Pour se justifier, Calvin a notamment réinterprété la Sainte Écriture selon un sens contraire à celui des Pères de l’Église comme nous l’avons montré dans le précédent article. Pour des questions morales, les Pères de l’Église se sont nettement opposés aux prêts à intérêt, dits aujourd’hui de consommation. Cette condamnation ne dépend pas d’un contexte social ou historique. Le prêt à intérêt est condamné en soi car fondamentalement contraire aux vertus chrétiennes. Dans leurs homélies, les Pères de l’Église ne semblent pas prendre en compte les prêts dits d’investissement ou de production.

Il est remarquable de constater que la pratique de l’usure ou du prêt à intérêt est un sujet de préoccupation pour les évêques des premiers siècles. Comment ne pourront-ils pas être préoccupés d’un mal si odieux ? Elle intéresse aussi la scolastique qui, fort de ses méthodes et de son raisonnement, approfondit encore la doctrine sur ce sujet.

L’usure, un sujet d‘étude pour la scolastique

Dans les premiers siècles de l’ère chrétienne, l’Église a considéré que le prêt à intérêt était une pratique usuraire. L’usure est en effet définie par « ce qu’on reçoit au-delà du principal, en vertu du prêt usuraire »[2]. Si l’emprunteur fourni à son prêteur plus que ce que ce dernier lui a prêté, en nature ou en argent, il y a usure. Fidèles à la Sainte Écriture, les Pères de l’Église comme les conciles ont condamnés le prêt à intérêt sous toutes ces formes pour des raisons de morale et de foi. À partir du XIIIe siècle,  l’usure est de nouveau objet de traités et de débats. La redécouverte de la législation romaine, plus permissive, et la diffusion de l’aristotélisme en Occident expliquent probablement ce renouveau.

Le deuxième changement à signaler est l’argumentation employée ou encore les intentions. Ce ne sont plus des évêques soucieux de leurs brebis qui traitent du sujet de l’usure mais des théologiens et des canonistes, le plus souvent dans le cadre de la scolastique. Le sujet ne relève donc plus de la pastorale mais de la doctrine en elle-même. Ce fait est à retenir pour comprendre la position de Calvin qui cherche à résoudre un problème concret.

L’influence des législations antiques

Au XIIIe siècle, la société médiévale semble redécouvrir la législation romaine et par conséquent leurs lois sur les prêts à intérêt. Avant l’ère chrétienne, Rome l’autorisait si le taux n’était pas supérieur à ceux fixés par la loi. L’usure désignait donc le fait d’appliquer un taux interdit. Cette pratique s’oppose alors aux règles que s’est fixée l’Église, à sa conception même de l’usure. Elle doit donc justifier sa position par une argumentation pertinente, c’est-à-dire sans employer la Sainte Écriture et la foi, par conséquent par des arguments rationnels.

En outre, la législation romaine distingue « deux catégories de contrats selon qu'ils transféraient la propriété ou l'usage, elles-mêmes subdivisées en contrats à titre gratuit et à titre onéreux de prêts. »[3] Lorsqu’il s’agit d’un transfert de propriété, le contrat est dit « mutuum ». Ce sont des contrats qui transfèrent des biens fongibles, c’est-à-dire des biens de consommation. «  Le nom du mutuum lui vient en effet de ce que ce qui était mien devient tien ou inversement. Dès que les cinq sous que vous me prêtez sont devenus miens, leur propriété passe de vous à moi. »[4] Les scolastiques doivent donc définir les règles en fonction du type de prêt. Le cadre d’un prêt pour transfert d’usage ne semble pas soulever de difficultés puisque la somme versé en plus du bien prêté correspond au prix de l’usage. Mais que devient le contrat si le bien prêté est de l’argent, c’est-à-dire une marchandise non consommable ?

Pour des prêts de type « mutuum », il est injuste d’imposer un intérêt, nous dit Robert de Courçon, théologien du XIIIe siècle, puisque « ce serait par suite une injustice si, pour un bien qui est mien, vous receviez quelque chose ; car rien ne vous revient de ce qui est mon bien » [5] Le « mutuum » ne peut donc qu’être gratuit. Nous remarquons un changement dans la justification de l’interdiction du prêt-à-intérêt de consommation. Il n’est plus question de morale mais de raison. Au nom de la raison, il est condamnable. L’argumentation rationnelle sera encore développée avec la diffusion de l’aristotélisme en Europe occidentale.

L’influence d’Aristote

À partir du XIIIe siècle, les ouvrages d’Aristote se diffusent ainsi que sa philosophie. L’idée de l’ordre naturel s’impose. Le monde est régi par des lois. Chaque chose, chaque être doit atteindre la fin à laquelle il est destiné, la fin ultime étant Dieu Lui-même. Dans Politique et Éthique, Aristote condamne alors le prêt à intérêt car la monnaie est détournée de sa fin « parce que le gain qu’on en retire provient de la monnaie elle-même et ne répond plus à la fin qui a présidé la création. » Car, continue-t-il, « la monnaie a été inventée pour l’échange, tandis que l’intérêt multiplie la quantité de monnaie elle-même. » Ainsi « cette dernière façon de gagner de l’argent est de toutes la plus contraire à la nature. » [6]
L’usure détourne donc la monnaie de son rôle normal. Ainsi, elle est condamnable parce qu’elle est contraire à la loi naturelle. Elle est faute contre la raison. L’usure est alors objet des traités scolastiques, notamment ceux de Saint Thomas d’Aquin.

Une faute contre la raison à partir de la nature de la monnaie

Comme Aristote, Saint Thomas d’Aquin traite de l’usure en prenant en compte la finalité de la monnaie. Il la considère aussi comme un instrument de transaction. L’argent est cause matérielle des échanges. Ainsi l’enrichissement par l’argent est contraire à la nature puisqu’il devient le commencement et la fin au lieu d’être ce qu’il doit être, c’est-à-dire un moyen. « Quant à l'argent monnayé, Aristote remarque qu'il a été principalement inventé pour faciliter les échanges ; donc, son usage propre et principal est d'être consommé, c'est-à-dire dépensé, puisque tel est son emploi dans les achats et les ventes. En conséquence, il est injuste en soi de se faire payer pour l'usage de l'argent prêté ; c'est en quoi consiste l'usure. »[7]  L’argent ne peut donc produire de l’argent.

En outre, la monnaie permet de mesurer la valeur des biens selon une convention fixée par la volonté de l’homme. C’est pourquoi si toutes les choses peuvent être substituées à la monnaie, rien ne peut substituer à elle. « Par conséquent l'usage de la monnaie ne tient pas la mesure de son utilité de cette monnaie elle-même, mais des choses qui sont mesurées en monnaie suivant les différentes personnes qui échangent de la monnaie et des biens. De sorte que recevoir plus de monnaie pour une moins grande quantité ne semble rien d'autre que différencier la mesure entre ce qui est donné et ce qui est reçu, ce qui, manifestement, est porteur d'iniquité. »[8] Étant une mesure, elle ne peut qu’être stérile.

Ainsi Saint Thomas d’Aquin définit les deux fonctions principales de la monnaie : instrument de transaction et étalon de mesure. Dans les deux cas, elle ne peut produire de l’argent sans causer une injustice. Par conséquent, tout prêt, en particulier les prêts d’investissement ou de production, sont contraires à la raison. Ainsi doivent-ils être interdits.

Une faute contre la raison car confusion entre propriété et usage

Saint Thomas d’Aquin développe une autre thèse, cette fois-ci innovant, pour s’opposer au prêt à intérêt sous forme d’argent. C’est la thèse de la confusion de la propriété et de l’usage. Dans ce genre de prêt, non seulement on prête une chose mais on demande à l’emprunteur de payer son usage, distinguant ainsi la chose en elle-même et son usage. Or en concédant l’usage d’une chose, on lui concède aussi la chose elle-même. Il n’y a pas en effet de différence entre se servir du vin et le consommer. C’est pourquoi « le prêt transfère la propriété. Si donc quelqu'un voulait vendre d'une part du vin, et d'autre part son usage, il vendrait deux fois la même chose, ou même vendrait ce qui n'existait pas. » En effet, dit-il, « recevoir un intérêt pour de l'argent prêté est de soi injuste, car c'est faire payer ce qui n'existe pas ; ce qui constitue évidemment une inégalité contraire à la justice. » Ainsi dans le prêt à intérêt, l’emprunteur exige « deux compensations, l'une à titre de restitution équivalente à la chose elle-même, l'autre pour prix de son usage (usus) d'où le nom d'usure (usura). »[9]

Une faute contre la raison car le temps ne se paie pas

Après Saint Thomas d’Aquin, une autre thèse contre l’usure se développe, celle du temps. Elle est notamment brillamment énoncée par Guillaume d’Auxerre. Le temps est en effet un des points importants dans un prêt à intérêt. Or comme le temps « n'est la propriété exclusive de personne mais est donné également par Dieu »[10], il ne peut être vendu. Il est la propriété de tous. Il est en outre « une mesure extrinsèque de la durée ». « Aussi, si le temps est externe aux objets sur lesquels portent les transactions, s'il n'est pas, lui-même, susceptible d'être l'objet d'une transaction, il ne saurait fonder la perception d'un intérêt dans une opération de prêt. »

L’intérêt légitimé dans certains cas ?

Néanmoins, les théologiens autorisent, dans certains cas, la perception d’un intérêt dans un prêt. Saint Thomas d’Aquin le concède en cas de préjudice. Un préjudice peut se produire à l’issue du délai du contrat par le non-remboursement du prêt ou pendant la durée du prêt. En concédant l’usage d’un bien à un autre, le prêteur peut en effet subir un préjudice. « Dans son contrat avec l'emprunteur, dit-il, le prêteur peut, sans aucun péché, stipuler une indemnité à verser pour le préjudice qu'il subit en se privant de ce qui était en sa possession ; ce n'est pas là vendre l'usage de l'argent, mais recevoir un dédommagement. » Ainsi il est légitime d’acquérir un bénéfice en vue de se dédommager.

En cas de préjudice aux termes du contrat

Le fait de ne pas rendre un bien au temps voulu peut causer un préjudice au prêteur. « Le débiteur qui retient l'argent de son créancier au-delà du terme fixé lui fait tort de tout l'intérêt possible de cet argent »[11]. Saint Thomas d’Aquin conclue alors qu' « on fait tort à son prochain en l'empêchant de recueillir ce qu'il avait l'espoir légitime de posséder. Et alors la compensation n'a pas à se fonder sur l'égalité ; parce qu'une possession future ne vaut pas une possession actuelle » Ce n’est plus l’intérêt qui est justifié mais la pénalité. 

Comme nous le note cependant Robert de Courçon, une pénalité peut cacher une pratique usuraire. Il nous en donne un exemple de contrat. « Je vous donne cent livres jusqu'à telle foire, et si vous ne me rendez pas ces cent livres, vous me payerez, à titre de punition, deux cents livres... Dans ce contrat, il y a manifestement usure, sous les espèces de cette punition, qu'ils appellent sophistiquement punition alors qu'elle est le plus souvent usure. Cette stipulation peut, selon nous, s'expliquer de deux manières. Tantôt elle peut exister à titre de rappel à l'ordre et de stimulant, et si elle est faite dans ce but il n'y a pas usure... Si, au contraire, le prêteur a pour objet de garder une amende, il est un usurier. »[12] Ainsi la punition est licite si elle prise comme une mesure de menace et non comme une clause pénale. Néanmoins, si l’emprunteur fournit à temps la somme prêté, il ne peut y avoir compensation. Le prêteur doit donc lui fournir la somme due.

En cas de préjudice au cours du contrat

Le prêteur peut aussi subir un préjudice pendant le temps du contrat, c’est-à-dire lorsque le capital prêté lui est indisponible. « Si l’indisponibilité du capital est à l'origine d'un coût reconnu comme tel, celui-ci peut être attribué soit à une non-consommation, soit à la compromission d'une opération commerciale ou industrielle susceptible d'apporter un profit. »[13] 

Saint Thomas d’Aquin condamne le second cas. Le prêteur « n'a pas le droit de stipuler dans le contrat une indemnité fondée sur cette considération que l'on ne gagne plus rien avec l'argent prêté ; car on n'a pas le droit de vendre ce que l'on ne possède pas encore et dont l'acquisition pourrait être compromise de bien des manières. »[14] 

Pour le premier cas, Saint Thomas d’Aquin semble aussi le récuser. « Celui qui prête de l'argent doit prendre garde à ne pas encourir de dommage pour lui-même. Tout comme celui qui bénéficie du prêt ne doit pas encourir de perte du fait de la stupidité du prêteur »[15]

Le préjudice se restreint donc, semble-t-il, à un retard dans le remboursement ou à un non-paiement.

Une prime de risque

L’intérêt peut aussi être perçu comme une sorte de prime de risque sur le capital ou sur l’issue de l’opération. L’incertitude de la valeur future d’un bien faisant l’objet d’une transaction peut justifier un intérêt dans une vente à crédit ou d’un paiement anticipé. L’intérêt est une indemnité compensatrice. Il se distingue de la chose ou de son usage. Cette prime ne relève pas d’une rente absolue.

Cependant, « le doute et le risque ne peuvent pas effacer l'esprit de lucre, c'est-à-dire excuser l'usure »[16]. Les théologiens et les canonistes se méfient en effet des prêteurs. Ils n’oublient pas en effet leur position dominante et privilégiée dans le cadre d’un prêt à intérêt. Saint Thomas d’Aquin est très clair. « L'emprunteur qui paie un intérêt n'est pas absolument libre, il le donne contraint et forcé, puisque, d'une part, il a besoin d'emprunter de l'argent et que, d'autre part, le prêteur qui dispose de cette somme ne veut pas l'engager sans percevoir un intérêt. »[17] L’interdiction de l’usure touche certainement des opérations non usuraires mais elle protège assurément le prêteur de toute transgression.

Conclusion

Ainsi, prenant en compte tous les cas de figure, de manière rationnelle, les théologiens traitent du prêt de biens consommables. Ils condamnent toute prise d’intérêt dans de tels contrats, toujours considérée comme une pratique usuraire. Cependant, ils autorisent le prêteur de recevoir une certaine somme en cas de préjudice en cas de non-remboursement ou encore en tant que prime de risque. Le cas de préjudices en cours de contrat fait l’objet de débats. Dans tous les deux cas, il ne s’agit pas de faire un profit à partir du prêt. Ce sont des motifs extérieurs au prêt. Ainsi ils ne sont pas considérés comme des pratiques usuraires. Mais, en raison d’un déséquilibre évident dans les relations entre le prêteur et l’emprunteur, il est bien difficile de distinguer ce qui relève de l’usure dans un contrat. La faute consiste alors à profiter d’un prêt pour faire un profit illégitime.

Mais de tels arguments, aussi convaincants soient-ils, sont purement théoriques ou dit autrement traités de manière universitaire. Ils ne prennent pas en compte la réalité et ne peuvent pas répondre à des faits concrets, qu’est le développement de la vie économique et à son évolution de la société.  Or au XVIe siècle, Calvin doit répondre à un ami qui lui demande un conseil sur un prêt réel. Au XVIIIe siècle, le Pape Benoît XIV doit aussi répondre à une affaire qui se déroule à Venise. La question devient alors pastorale. Cela ne signifie pas que les réponses apportées par les théologiens soient inutiles ou fausses. Elles demeurent raisonnables et fondées mais elles demeurent une de ses lumières qui éclairent et non la seule lumière…




Notes et références
[1] Jean-Paul Willaime, Le travail dans l’histoire de la pensée occidentale, sous la direction de Daniel Mercure et Jan Spurk, 1ère partie, 2, Les Presses de l’Université Laval, 2003.
[2] Augustin Calmet, Dictionnaire historique, critique, chronologique, géographique et littéral de la Bible, article « Usure », tome 5,  SAA-ZUZ, 1803.
[3] Lapidus André, La propriété de la monnaie : doctrine de l'usure et théorie de l'intérêt dans Revue économique, volume 38, n°6, 1987, http://www.persee.fr.
[4] Robert de Courçon, De usura, dans Lapidus André, La propriété de la monnaie : doctrine de l'usure et théorie de l'intérêt.
[5] Robert de Courçon, De usura, dans Lapidus André, La propriété de la monnaie : doctrine de l'usure et théorie de l'intérêt.
[6] Aristote, Politique, Livre I, 10, traduction par J. Tricot, Bibliothèque des textes philosophiques, Vrin, 2005.
[7] Saint Thomas d’Aquin, secunda secundae, questio 78, art. 1.
[8] Saint Thomas d'Aquin, In libros quatuor sententiarum, 1, III, dist. 37, a. 1, q. 16.
[9] Saint Thomas d’Aquin, secunda secundae, questio 78, art. 1.
[10] Gilles de Lessines, De Usuris, cap. VIII, IX.
[11] Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, II-II, q. 62, a. 4, obj. 2.
[12] Robert de Courçon dans Le prêt à intérêt et l'usure au regard des législations antiques, de la morale catholique, du droit moderne et de la loi islamique, Cardahi Choucri, dans Revue internationale de droit comparé, Vol. 7, n°3, Juillet-septembre 1955.
[13] Lapidus André, La propriété de la monnaie : doctrine de l'usure et théorie de l'intérêt.
[14] Saint Thomas d'Aquin, Sec. sec. quaest. 78 art. 2.
[15] Saint Thomas d’Aquin, De Malo, q. 13, a. 4, ad. 14.
[16] Gilles de Lessines, De usuria, c. 13.
[17] Saint Thomas d'Aquin, Sec. sec. quaest. 78, art. 1.

vendredi 22 septembre 2017

L'usure, une faute contre la charité, selon les Pères de l'Église

Le prêt à intérêt est une pratique ancienne, déjà connue au temps des anciennes civilisations. Alors que des lois antiques l’encadrent pour réduire les maux que génère l’endettement, la Sainte Écriture l’interdit au peuple juif. Fidèle à ses prescriptions, l’Église l’interdit à son tour. Néanmoins, au XVIIe siècle, Calvin réinterprète les textes sacrés de façon à légitimer sa pratique, favorisant ainsi le développement d’un capitalisme moderne naissant. Selon certains commentateurs, il aurait ainsi ouvert son temps à la modernité. D’autres n’hésitent pas à accuser l’Église d’avoir été un obstacle à l’essor économique des sociétés. Calvin considère notamment que l’interdiction biblique s’explique par un contexte particulier, contexte qui n’est plus justifié à son époque, et que le prêt à intérêt n’a pas été condamné en soi. Pourtant, l’interprétation de Calvin est-elle exacte ? L’Église se serait-elle alors trompée pendant des siècles ? Pour mieux comprendre l’attitude de l’Église, tournons-nous vers les Pères de l’Église qui eux-aussi se sont préoccupés de l’usure.

Position des Pères de l’Église : une condamnation du prêt à intérêt



 
De nombreux Pères de l’Église ont écrit sur l’usure dans le sens de perception d’un intérêt pour tout prêt, et l’ont nettement condamnée. Dans son commentaire du livre de Tobie, Saint Ambroise le définit comme « tout ce qui y est ajouté, exigé et reçu au-delà de fort principal, soit habits, soit denrées, soit argent »[1]. Saint Augustin est encore plus clair, même s’il ne traite que d’un prêt d’argent : « si vous prêtez à un homme avec stipulation d'intérêts, c'est-à-dire si vous attendez de lui, en échange de l'argent prêté, plus que vous n'avez avancé, que ce soit de l'argent, du blé, du vin, de l'huile ou autre chose, vous êtes un usurier et en cela vous êtes blâmable. »[2] Dans les écrits anciens, l’usure est donc confondue avec le prêt à intérêt, quelle que soit la forme que prend l’intérêt versé. Le prêt à intérêt est donc condamné sans équivoque. Parmi les Pères de l’Église qui ont traité de ce sujet, nous pouvons citer parmi les Grecs, Saint Basile, Saint Grégoire de Nysse, Saint Jean Chrysostome, et parmi les Latins, Saint Ambroise, Saint Augustin et Saint Jérôme.

Leur préoccupation s’explique aisément puisque « l’usure était une des plaies les plus profondes de la société ancienne »[3] ? Ainsi, « les Pères de l’Église proclamèrent impie quiconque, prêtant à un frère, exigeait de lui une redevance quelconque, soit en nature, soit en argent, et ils engagèrent contre l’usure une lutte ardent et implacable. » [4]

… universel et sous toutes ses formes

Les Pères de l’Église insistent sur l’interdiction de toute espèce de prêt à intérêt, sous toutes les formes. « La loi de Dieu est générale et défend, sans exception de personne, de rien exiger au-delà de ce qu’on a prêté. » [5] Toute forme d’usure au sens général est l’objet de la loi. Saint Jérôme fait notamment remarquer que la version hébreu du livre d’Ézéchiel condamne toute espèce d’usure[6]. Seule la Septante ne condamne que le prêt en argent.

Certes, le Pentateuque interdit aux Hébreux l’usure tout en l’autorisant à l’égard des étrangers mais cette permission n’est plus valable en raison de la perfection de la morale atteinte depuis le temps des Prophètes et de l’Évangile. L’usure est désormais défendue de manière universelle. Contrairement à Calvin qui étend l’autorisation de l’usure en faveur des étrangers à l’ensemble des Chrétiens, les Pères de l’Église étendent aux étrangers l’interdiction du prêt à intérêt entre Juifs, considérant l’autorisation comme étant une tolérance. La vision de Calvin est donc opposée à celle des Pères de l’Église.

Les Pères de l’Église ne font pas de distinction sur la qualité de l’emprunteur. L’interdiction touche aussi bien aux pauvres qu’aux riches. L’usure « est défendue à qui que ce soit. » [7] Il la condamne sous toutes ses formes, que l’usure soit sous forme d’argent ou de marchandises, qu’elle soit exercée auprès des riches comme auprès des pauvres.

Le prêt à intérêt, un bienfait pour l’humanité ?

Pourtant, le prêt à intérêt semble être utile, voire une nécessité pour l’économie et pour les pauvres gens, comme le prétend ceux qui s’opposent aux Pères de l’Église. Leurs contemporains le défendent en effet en montrant qu’il soulage les pauvres et rend un service et du plaisir à l’homme qui reçoit de l’argent en prêt pour satisfaire un besoin. Il permet aussi l’enrichissement de l’emprunteur. Ainsi, les usuriers « donnent à leur péché des noms respectables, et appellent leur trafic humanité, […]. » [8] Les Pères de l’Église répondent à ces arguments. Ils ne font pas seulement rappeler la Sainte Écriture ou comme Saint Jean Chrysostome la législation des païens. Ils décrivent les sources et les effets du prêt à intérêt qu’ils considèrent comme un mal en soi.

Les vices du prêt à intérêt

Les Pères de l’Église rappellent que le seul et véritable gagnant d’un prêt à intérêt est le prêteur. « Ainsi quand vous prêtez à intérêt, ne dites pas que vous faites plaisir à votre débiteur, dites plutôt que vous lui cachez toute la douceur du miel, le venin que vous lui présentez à boire ; que vous le conduisez à la mort par vos enchantements : que vous ruinez la famille en prétendant la relever. » [9] La prétendue joie que donne le prêt est en fait un supplice. Seul l’usurier en est véritablement content. Ils décrivent ainsi la relation mensongère qui lie l’emprunteur au prêteur.

Les Pères de l’Église mettent en effet en évidence le vice inhérent au prêt à intérêt. Il semble bien utile au pauvre pour répondre à ses besoins mais en fait, il ne fait qu’accroître le joug de la pauvreté. L’emprunt ne résolve pas le problème qui l’accable. Il est en fait comme un remède médical qui enlève aux malades le peu de force qu’il leur reste. Après un moment de bien-être, son paiement rend plus vif le poids de sa misère. En outre, il « ravit encore la liberté à celui que la misère écrase déjà de travail. » [10] ! Saint Basile nous parle d’enchaînement, d’autres d’oppression. Dans les rapports entre le prêteur et l’emprunteur, le second est bien dépendant du premier. Dans le contrat qui les lie, il ne peut y avoir des rapports d’égalité.

Les Pères de l’Église reviennent aussi sur l’injustice que représente le prêt à intérêt. C’est en effet injuste de vouloir plus et de recevoir plus qu’il n’a été prêté. C’est bien le surplus ou l’intérêt qu’on exige du prêt qui est condamnable. Selon Saint Augustin, l’usurier détruit l’égalité de la justice. Il est certes plus criminel quand il commet cette injustice à l’égard du pauvre. L’inégalité est ainsi inhérente à l’objet même du contrat.

Saint Augustin est encore plus dur avec le prêt à intérêt. Celui-ci renferme, dit-il, une inhumanité et une cruauté qui crient vengeance devant Dieu. « Et tous lésés, ce me semble, comprennent combien l’usure est un crime détestable, odieux, exécrable. »[11] C’est un crime, répète-t-il, ou encore un véritable « homicide » [12]. L’usure « ruine et celui qui prête et celui qui emprunte […] elle perd l’âme de celui qui reçoit l’usure et écrase la pauvreté de celui qui la donne. Quoi de plus triste que de voir un homme spéculer sur la pauvreté de son prochain et faire commerce du malheur de ses frères ! »[13]



 
Ainsi, les Pères de l’Église condamnent aussi le prêt à intérêt à cause des effets néfastes et bien réels de l’endettement. Ils dénoncent l’appauvrissement et la misère qu’il produit. Certes, ils « donnent à leur péché des noms respectables, et appellent leur trafic humanité, […]. » mais « Lui, humain ? Mais n’est-ce pas le paiement des intérêts qui renverse les maisons et épuise les fortunes ? Qui réduit des hommes libres à vivre plus mal que des esclaves ? Qui pour un plaisir de quelques instants emplit d’amertume le reste de la vie ? » [14] Car la cause de tant de misère est l’envie d’assouvir des plaisirs qu’excite le prêteur pour son propre enrichissement. Comment l’usurier peut-il alors donner à son injustice et à son iniquité le nom de charité et de libéralité ?

Le créancier peut toujours chercher à défendre les moyens qu’il utilise pour s’enrichir. Ces arguments peuvent tromper l’homme mais non Dieu. « C’est se moquer de Dieu que de raisonner ainsi. » [15] Le créancier a beau se montrer charitable, la Sainte Écriture les condamne. « Que ces hommes avides du gain prennent garde que l’Écriture appelle usure et intérêts illégitimes tout ce qu’on reçoit au-delà de ce qu’on a prêté. » [16] Sous apparence de la miséricorde, se cachent en fait la cupidité et l’avarice.

L’usure est encore plus condamnable lorsqu’elle se fait en plein jour. « L’usure est élevée à la hauteur d’une profession ; on dit qu’elle est un art ; ceux qui l’exercent forment une corporation, mais une corporation nécessaire au bien-être de la cité, qui recueille le bénéfice de sa profession, et qui, loin de se cacher, ne craint pas de se montrer sur les places publiques. » [17]

Mais peut-être, certains diront qu’ils doivent bien trouver une profession pour gagner leur vie. « Quelle que soit la profession infamante que nous cherchions à réprimer, on nous répondra toujours que l’on n’a pas d’autres moyens de vivre, pas d’autre gagne-pain ; comme si l’on n’était pas d’autant plus coupable, par cela même que l’on a choisi pour vivre un métier criminel, et que l’on veut tirer sa subsistance de ce qui outrage celui qui fait subsister toutes créatures ? » [18]

La condamnation des usuriers

Le créancier est véritablement celui qui profite du prêt au détriment du malheureux débiteur. Il profite en fait de sa peine, de ses faiblesses et de son besoin. « C’est la pauvreté qui le fait te supplier et s’asseoir à ta porte ; dans son indigence, il cherche un refuge auprès de ton or, pour trouver un auxiliaire contre le besoin ; et toi, au contraire, toi l’allié tu deviens l’ennemi ; tu ne l’aides pas à s’affranchir de la nécessité qui le presse, pour qu’il puisse te rendre ce qui tu l’auras prêté, mais tu répands les maux sur celui qui en est déjà accablé »[19]. Les Pères de l’Église condamnent donc les créanciers qui veulent s’enrichir au détriment du pauvre. L’usurier confie un bien à l’homme en espérant retirer de son prêt un profit. « En cela, tu es plus blâmable que louable. » [20]

Et tous les procédés sont bons pour pousser le malheureux à accepter un prêt à intérêt. Pour Saint Basile, le prêteur feint le pauvre, le charme et le flatte afin de l’enchaîner par un contrat. Pour Saint Ambroise, il use de l’injustice et de la fourberie pour prêter aux riches afin d’acheter des terres et d’augmenter son revenu, et ainsi agrandir son patrimoine. Les paiements des intérêts ruinent alors les familles, y compris les riches, qui sont réduits à devenir eux-mêmes esclaves ou à se voir contraints de vendre leurs enfants pour survivre. Il abuse surtout des jeunes gens pour les dépouiller de leurs biens. Ce n’est pas de la simple rhétorique dans les lettres du saint évêque de Milan. Il a connu les effets désastreux de l’endettement dans les familles riches.

Certes, les Pères de l’Église rappellent aux emprunteurs l’obligation de rembourser le prêt. Le débiteur a en effet le devoir de redonner ce qu’il a reçu comme prêt mais cela justifie-t-il l’âpreté du créancier pour obtenir son prêt ? Saint Ambroise nous décrit le créancier comme tourmentant ses débiteurs pour être payés au jour déterminé ou ne leur accordant un délai qu’en leur faisant renouveler leurs obligations avec intérêt. Selon Saint Basile, l’usurier est impitoyable, sourd aux supplications du pauvre, insensible à ses larmes. Les emprunteurs sont comme des oiseaux qui appâtés par des graines finissent par être pris au piège. « Combien de malheureux grâce à l’usure ont brisé leur cou dans un lacet ! » [21] Et parfois, le pauvre meurt dans son piège, se laissant périr par la corde funeste. Selon Saint Grégoire de Nysse, les usuriers, sans cœur ni piété, sont à  l’origine de la mort de leur débiteur. « Ils n’ont même pas honte de ce qu’ils ont fait, leur âme n’en est point émue, mais un sentiment cruel leur dicte d’impudentes paroles : c’est la faute de nos mœurs, si ce malheureux, cet insensé, né sous une mauvaise étoile, a été conduit par sa destinée à une mort violente. » [22] L’usurier est le véritable responsable de ses tourments et la cause de sa perte. L’argent l’aveugle …

Finalement, l’usurier agit à l’égard du pauvre comme un ennemi implacable. Au lieu de soulager de sa misère, il la lui rend plus terrible. L’argent qui apaise le malheureux et que le créancier reçoit a coûté des larmes aux pauvres. Ce n’est donc pas la charité qui guide l’usurier. « L’oisiveté et la cupidité, voilà la vie de l’usurier. »[23]

En outre, l’usurier consomme sans rien produire, moissonne sans rien semer. C’est son or qui travaille pour lui. Il gémit si son capital est oisif. Il prend mille peines pour doubler son argent, « calculant les jours, comptant les mois, songeant au capital, rêvant des intérêts, craignant le jour de l’échéance, de peu qu’il ne soit stérile comme une moisson frappée de la grêle »[24]. Vanité des efforts !

Le prêt à intérêt, une véritable folie pour les emprunteurs

Les Pères de l’Église condamnent donc les usuriers pour les procédés qu’ils utilisent pour pousser les malheureux à s’endetter et pour obtenir leur remboursement. Ils n’oublient pas non plus ces emprunteurs qui sont en fait des insensés. « C’est le comble de l’humanité quand qui manque du nécessaire cherche à emprunter au lieu d’adoucir ses besoins, que le riche, au lieu de se contenter du capital, songe encore à se faire des malheurs du pauvre une source de profits et de revenus. » [25]

C’est surtout folie d’emprunter quand on est pauvre. Mieux vaut d’être patient dans l’adversité que de subir les maux de l’endettement. Saint Basile demande donc au pauvre de ne point avoir recours aux emprunts qui endurcissent leur pauvreté mais de trouver d’autres remèdes et de restreindre ses dépenses selon ses ressources. « Ne va pas à la fontaine d’autrui, mais puise dans ton propre réservoir ce qui peut adoucir ton existence. » [26] 

Mais le pauvre a-t-il d’autres choix pour éviter la misère ? Saint Basile note une différence entre la pauvreté et l’endettement. L’indigence n’est pas un opprobre puisqu’elle est un mal involontaire contrairement à l’endettement. « N’allons donc pas ajouter sottement un mal volontaire aux maux qui ne dépendant pas de notre volonté. » [27]
 
Les riches ne sont pas oubliés dans la condamnation. Leur folie d’emprunter est encore plus grande ! Car « celui qui doit est à la fois pauvre et rongé de soucis. » [28] Or, constate-t-il, « ceux qui empruntent, ce sont des hommes qui se laissent aller à de folles dépenses, à un luxe stériles, et qui sont esclaves des caprices de leurs femmes. » [29] Et ainsi emprunte-t-il à un banquier, puis ne pouvant plus le rembourser, se tourne vers un autre créancier, allant ainsi de mal en pire. Pour éviter l’indigence ou pour acquérir de funestes plaisirs, il perd sa liberté pour satisfaire de folles envies.

Le prêt à intérêt contraire à la charité chrétienne

Saint Grégoire de Nysse rappelle que la demande d’un prêt n’est en fait qu’« une demande d’aumône déguisée »[30]. Cela est vrai quand il s’agit d’un prêt pour subvenir à un véritable besoin. « Que sert-il que tu consoles un malheureux, si tu en fais mille ? » [31]

Les Pères de l’Église reviennent toujours sur les préceptes de Notre Seigneur Jésus-Christ, c’est-à-dire de prêter sans espérer d’être remboursé. À l’évêque de Trente, Saint Ambroise nous rappelle la loi de Dieu : « un véritable chrétien qui a de l’argent, le prête au péril même de le perdre : espérer ou attendre quelque chose de plus que le principal, c’est le tromper, et ce n’est pas lui faire plaisir. » [32] Il lui demande aussi de prendre comme exemple Tobie qui prête de l’argent sans exiger le moindre intérêt. Pour montrer le comportement chrétien que le créancier doit avoir en cas de dette, certains Pères de l’Église nous renvoient vers la prière par excellence. Le Notre Père commande en effet la remise des dettes.

Pour Saint Basile, le prêt sans intérêt est à la fois un don et un prêt, don car sans attente de remboursement, prêt parce que « celui qui fait l’aumône prête à Dieu. » [33] Quel placement sûr alors ! « Ne te détourne pas de celui qui veut emprunter de toi, et ne donne pas ton argent à usure, afin qu’instruit de tes devoirs par l’Ancien et le Nouveau Testament, tu ailles plein d’espoir vers le Christ, et que tu reçoives là-haut la récompense de tes bonnes œuvres, en Jésus-Christ Notre Seigneur » [34]. Le prêteur devient le créancier de Dieu qui saura rembourser au centuple.

Saint Augustin nous demande ainsi d’être usurier envers Dieu. « Donne les biens temporels et tu recevras ceux de l’éternité ; donne la terre et tu recevras le ciel. » [35] Le pauvre n’a rien à rendre à l’usurier. Il ne lui reste que la bonne volonté. Dieu lui donnera le surplus. Car en donnant aux pauvres, il a donné à Notre Seigneur Jésus-Christ. Il donnera la vie éternelle à celui qui prête aux pauvres sans intérêt. Pourquoi faut-il alors craindre de prêter ? Le véritable trésor n’est point perdu lorsqu’il repose dans le ciel.

Conclusion

Certaines civilisations ont vivement condamné le prêt à intérêt ou essayé de l’encadrer pour limiter les maux qui résultent de l’endettement, véritable plaie social à leur époque. La Sainte Écriture a également restreint son usage puis l’a interdit. Notre Seigneur Jésus-Christ nous enseigne le véritable comportement en cette matière afin de répondre à l’exigence de la véritable charité.

De même, les Pères de l’Église, qu’ils soient Grecs ou Latins, dénoncent à leur tour les maux individuels, familiaux et sociaux qui résultent du prêt à intérêt. Ils accusent aussi l’esprit cupide et impitoyable de l’usurier à l’égard du débiteur comme le manque de sagesse de l’emprunteur qui préfère aliéner sa liberté parfois pour de vaines richesses et de pitoyables envies. N’oublions pas qu’ils parlent en tant qu’évêques à leur communauté. Ils sont bien conscients de la misère réelle qui sévit dans leur société, conscients aussi de leur devoir et de leur charge. Fidèles à la Parole divine et à l’enseignement de Notre Seigneur Jésus-Christ, ils décrivent les vices qui se cachent dans une pratique économique qu'on veut rendre honorable sous de fallacieux prétextes.

La condamnation porte sur le prêt à intérêt en soi. Il porte en effet en lui des vices qu’il faut combattre non seulement pour l’individu mais aussi pour la société. L’esprit qui l’anime aussi bien chez le prêteur que chez l’emprunteur, et le comportement qui en résulte sont contraires à la charité chrétienne. La seule et véritable usure qu’ils demandent est celle à l’égard de Dieu… Cependant, dans les discours patristiques, les Pères de l’Église semblent ne traiter que les prêts de consommation et non les prêts d’investissement…

La position des Pères de l’Église s’oppose donc à l’interprétation de Calvin qui nous paraît plus opportuniste. Certes, Calvin demande de pratiquer l’équité et la charité dans les contrats mais justement, les Pères de l’Église démontrent que dans de tels prêts, il ne peut y avoir justice et charité. Ils mènent alors un véritable combat contre cette pratique qui met en danger le salut de l’âme et la cohésion de la société.

Lorsque nous voyons aujourd’hui les ravages des prêts à la consommation et la folie de ceux qui s’y souscrivent, nous ne pouvons qu’adhérer aux condamnations des Pères de l’Église. De tels prêts attisent la soif de consommation qui enrichit les uns au détriment des autres. Ils poussent nos contemporains à se perdre dans leur vanité tout en gaspillant les ressources de notre planète. Le modèle économique de notre société aurait certainement fait l’objet de vives réprobations de leur part tant il s'oppose aux principes du christianisme. Ces principes ne se restreignent pas à une période historique ou à un peuple. Ils sont inhérents à la vie chrétienne et par conséquent, ils sont valables en tout temps et à tout lieu. 




Notes et directives
[1] Saint Ambroise, Livre sur Tobie, c. 14, dans Conférences ecclésiastiques de Paris, sur l’usure et la restitution, où l’on concilie la discipline de l’Église, avec la juridiction du Royaume de France, établies et imprimées par ordre de S. E. Mgr le cardinal de Noailles, tome I, 1773.
[2] Saint Augustin dans Le prêt à intérêt et l'usure au regard des législations antiques, de la morale catholique, du droit moderne et de la loi islamique, Cardahi Choucri, dans Revue internationale de droit comparé, Vol. 7 N°3, Juillet-septembre 1955, www.persee.fr.
[3] Édouard Sommer, Argument analytique de l’homélie de Saint Basile contre les usuriers, Hachette, 1853.
[4] Édouard Sommer, Argument analytique de l’homélie de Saint Basile contre les usuriers, Hachette, 1853.
[5] Saint Ambroise, Livre sur Tobie, c. 15.
[6] Saint Ambroise, Livre sur Tobie, c. 14, dans Conférences ecclésiastiques de Paris, sur l’usure et la restitution, où l’on concilie la discipline de l’Église.
[7] Saint Jérôme, Commentaire d’Ézéchiel.
[8] Saint Grégoire de Nysse, Homélie contre les usuriers, VII.
[9] Selon Saint Ambroise, Livre sur Tobie.
[10] Saint Basile, Contre les usuriers, I.
[11] Saint Augustin, Commentaire des Psaumes, XXXVI, 6, docteurangelique.free.
[12] Saint Augustin, Commentaire des Psaumes, CXL, 12, docteurangelique.free.
[13] Saint Jean Chrysostome, Homélies sur l’inscription des actes, 4ème, religion-orthodoxe.eu.
[14] Saint Grégoire de Nysse, Homélie contre les usuriers, VII.
[15] Selon Saint Jérôme, Commentaire d’Ézéchiel.
[16] Saint Jérôme, Commentaire d’Ézéchiel.
[17] Saint Augustin, Commentaire des Psaumes, LIV, 14, docteurangelique.free.
[18] Saint Augustin, Commentaire des Psaumes, CXXVIII, 6, docteurangelique.free.
[19] Saint Grégoire de Nysse, Homélie contre les usuriers, III, dans Les auteurs grecs, Hachette, 1853, dico.ea.free.fr.
[20] Saint Augustin, Commentaire des Psaumes, XXXVI, 6, docteurangelique.free.
[21] Saint Grégoire de Nysse, Homélie contre les usuriers, VII.
[22] Saint Grégoire de Nysse, Homélie contre les usuriers, VII.
[23] Saint Grégoire de Nysse, Homélie contre les usuriers, IV.
[24] Saint Grégoire de Nysse, Homélie contre les usuriers, V.
[25] Saint Basile, Contre les usuriers, I, dans Argument analytique de l’homélie de Saint Basile contre les usuriers, Édouard Sommer, Hachette, 1853, wikisource, exporté le 05/08/2017.
[26] Saint Basile, Contre les usuriers, II.
[27] Saint Basile, Contre les usuriers, III.
[28] Saint Basile, Contre les usuriers, III.
[29] Saint Basile, Contre les usuriers, IV.
[30] Saint Grégoire de Nysse, Homélie contre les usuriers, VI.
[31] Saint Grégoire de Nysse, Homélie contre les usuriers, VI.
[32] Selon Saint Ambroise, Lettre à Vigile.
[33] Saint Basile, Contre les usuriers, V.
[34] Saint Basile, Contre les usuriers, V.
[35] Saint Augustin, Commentaire des Psaumes, XXXVI, 6, docteurangelique.free.