" La pierre précieuse, voire de grand prix aux yeux de certains, qu'est l'émeraude, se voit insultée par un morceau de verre habilement truqué, s'il ne se rencontre personne qui soit capable de procéder à un examen et de démasquer la faute. Et lorsque de l'airain a été mêlé à l'argent, qui donc, s'il n'est connaisseur, pourra aisément le vérifier ? "(Saint Irénée, Contre les hérésies)


vendredi 24 juin 2016

L'Unité de l'Eglise... avant Vatican II

Léon XIII (1810-1903)
L’Église est une et indivisible selon la Sainte Écriture. C’est un fait incontestable et incontesté. Mais les esprits commencent à se diviser lorsqu’il faut définir la nature de l’unité de l’Église et encore plus les moyens pour la maintenir. Certains la voient comme une union uniquement spirituelle à l’égard de Notre Seigneur Jésus-Christ ou encore un attachement plus ou moins fort à sa doctrine. D’autres la voient nécessairement comme une adhésion plus ou moins lâche à une communauté chrétienne avec son culte, ses cérémonies et ses pasteurs. Les divisions sont encore plus grandes lorsqu’il faut définir la nature de l’Église elle-même. Or il est difficile de parler d’œcuménisme au sens moderne du terme sans évoquer ces deux sujets.
Au XIXe siècle, le Pape Léon XIII est sans-doute l’un des Papes les plus préoccupés par l’unité des Chrétiens et plus précisément du retour des « frères séparés » dans l’Église. Il définit en effet cette recherche comme une de ses principales fins de son pontificat. « Vous savez assez qu'une part considérable de Nos pensées et de Nos préoccupations est dirigée vers ce but : Nous efforcer de ramener les égarés au bercail que gouverne le Souverain Pasteur des âmes, Jésus- Christ. »[1] Puisque, rappellera-t-il l’année suivante, « le désir manifeste du Christ est de réunir tous les hommes en un seul bercail sous un seul pasteur. »[2] Ainsi pour travailler efficacement à la réconciliation des Chrétiens, Léon XIII rappelle la doctrine de l’Église catholique sur ce sujet dans l’encyclique Satis Cognitum le 29 juin 1896. Notre article a pour but de la présenter rapidement.
Après avoir rappelé la nature de l’Église selon la doctrine catholique, Léon XIII démontre que l’Église est constituée une par la volonté même de son fondateur, Notre Seigneur Jésus-Christ, afin de fournir à tous les hommes les moyens dont ils ont besoin pour se sauver et se sanctifier. Notre Sauveur a en outre institué l’Église de manière à maintenir cette unité en dépit des hérésies et des schismes qui, pour des motifs de foi ou d’obéissance, excluent des chrétiens de l’Église. Il en conclut que s’il faut travailler pour réconcilier les Chrétiens, faut-il avant tout se tourner vers Celui qui l’a instituée et continue à la protéger afin d’entendre la volonté de Dieu. Léon XIII puise la doctrine dans la Sainte Écriture, dans les Pères de l’Église et dans les décisions des conciles.
Contexte
Situons d’abord l’encyclique Satis Cognitum dans son contexte. Rappelons que le Pape Léon XIII est très soucieux de réintégrer les « frères séparés » dans l’Église catholique. Au cours de son pontificat, trente-deux documents sont consacrés à ce sujet. En 1895, il institue la neuvaine de prières en faveur de l’unité des Chrétiens. Il est aussi un ardent artisan pour le rapprochement de l’Orient chrétien. Mais une tentative de retour des orthodoxes dans l’Église catholique aboutit à un échec. On étudie aussi la possibilité de la réintégration des anglicans. Dans la lettre Ad Anglios, le Pape soutient cette initiative avec un ton généreux et tendre mais rapidement, il se heurte à la validité des ordinations anglicanes. Une commission pontificale est mise en place pour étudier la question. Le 13 septembre 1896, l’encyclique Apostolici Curae leur donnera une réponse défavorable. La tentative échoue…
Le milieu protestant connaît aussi un fort mouvement d’union, en particulier dans la jeunesse et dans le monde missionnaire. En 1895, naît la Fédération universelle des associations chrétiennes d’étudiants en Suède. En 1896, est créée la Conférence continentale des missions qui réunit environ 160 sociétés évangéliques. Des hommes travaillent en faveur du mouvement œcuménique protestant. Nous pouvons notamment citer Nathan Söderblom, archevêque d’Upsal, primat de l’Église luthérienne de Suède (1866-1931) et encore Charles Brent (1862-1919), futurs fondateurs respectifs des mouvements Life and Work et Faith and Order, qui donneront naissance en 1948 au Conseil Œcuménique des Églises. Enfin, de manière isolée, des hommes appellent à l’unité des Chrétiens et définissent une doctrine de réconciliation. Vladimir Soloviev (1858-1900) ou Ignace von Döllinger (1799-1890) en sont des exemples.
La fin du XIXe siècle est donc marquée par de véritables mouvements tant chez les catholiques que chez les protestants pour l’unité des Chrétiens mais selon des principes et des doctrines différentes. Le moment est en effet opportun pour que la doctrine catholique sur l’unité de l’Église soit clairement définie.
La Nature de l’Église




Léon XIII montre que pour réaliser ses fins, Dieu emploie les hommes. « Il a préféré, pour aider les hommes, se servir des hommes eux-mêmes » Pour que l’œuvre de Notre Seigneur Jésus-Christ soit durable et perpétuelle, « il s'est adjoint des disciples auxquels il a fait part de sa puissance, et ayant fait descendre sur eux du haut du ciel « l'Esprit de vérité », il leur a ordonné de parcourir la terre entière et de prêcher fidèlement à toutes les nations ce que lui-même avait enseigné et prescrit, afin qu'en professant sa doctrine et en obéissant à ses lois, le genre humain pût acquérir la sainteté sur la terre et, dans le ciel, 1’éternel bonheur. » C’est ainsi que l’Église a été constituée.
L’Église n’est pas uniquement soit une chose invisible, cachée, insaisissable, soit une institution purement humaine, munie d’une organisation, d’une discipline, de rites. La considérer selon un seul de ces aspects est une erreur. Elle est invisible et visible. Elle est comme tout homme qui, par nature, est constitué de l’union d’une âme et d’un corps, d’un élément visible et d’un élément invisible. Notre Seigneur Jésus-Christ est une seule personne en deux natures, l’une divine, l’autre humaine, l’une invisible, l’autre visible. « C'est pour toutes ces raisons que l'Église, dans les saintes lettres, est si souvent appelée un corps, et aussi le corps du Christ. Vous êtes le corps du Christ. Parce que l'Église est un corps, elle est visible aux yeux ; parce qu'elle est le corps du Christ, elle est un corps vivant, actif, plein de sève, soutenu qu'il est et animé par Jésus-Christ qui le pénètre de sa vertu à peu près comme le tronc de la vigne nourrit et rend fertiles les rameaux qui lui sont unis. Dans les êtres animés, le principe vital est invisible et caché au plus profond de l'être, mais il se trahit et se manifeste par le mouvement et 1’action des membres : ainsi le principe de vie surnaturelle qui anime l'Église apparaît à tous les yeux par les actes qu'elle produit. »
L’Église est le corps du Christ animé de sa vie surnaturelle. Elle n’est ni le corps en lui-même, ni la vie surnaturelle en elle-même. Elle en est l’union. « Son corps mystique n'est la véritable Église qu'à cette condition, que ses parties visibles tirent leur force de leur vie des dons surnaturels et des autres éléments invisibles ; et c'est de cette union que résulte la nature propre des parties extérieures elles-mêmes. » Ainsi « cette réunion d'éléments visibles et invisibles étant, par la volonté de Dieu, dans la nature et la constitution intime de l'Église, doit nécessairement durer autant que durera l'Église elle-même. »

L’Église est une par nature
L’unité de l’Église est incontestable pour un chrétien tant les témoignages de la Sainte Écriture sont multiples. La difficulté réside plus dans la nature de cette unité. « Quand il s'agit de déterminer et d'établir la nature de cette unité, plusieurs se laissent égarer par diverses erreurs. » Pour savoir ce que signifie réellement l’unité de l’Église, il faut se tourner vers Notre Seigneur Jésus-Christ, son Fondateur. « Il faut rechercher non pas de quelle façon l'Église pourrait être une, mais quelle unité a voulu lui donner son Fondateur. »
« Qu'a cherché, qu'a voulu Jésus-Christ Notre-Seigneur dans l'établissement et le maintien de son Église ? Une seule chose : transmettre à l'Église la continuation de la même mission, du même mandat qu'il avait reçu lui-même de son Père. C'est là ce qu'il avait décrété de faire, et c'est ce qu'il a réellement fait. » Or sa mission réside dans le salut de tous les hommes, sans aucune distinction dans l’espace ni dans le temps. « La mission de l'Église est donc de répandre au loin parmi les hommes et d'étendre à tous les âges le salut opéré par Jésus-Christ, et tous les bienfaits qui en découlent. » D’où la nécessité qu’elle soit une dans toute l’étendue du monde et dans toute la durée du temps.
L’Église est indivisible
L’Église n’est pas constituée comme une formation de plusieurs communautés se ressemblant. « Si nous examinons les faits, nous constaterons que Jésus-Christ n'a point conçu ni institué une Église formée de plusieurs communautés qui se ressembleraient, par certains traits généraux, mais seraient, distinctes les unes des autres, et non rattachées entre elles par des liens, qui seuls peuvent donner à l'Église l'individualité et l'unité dont nous faisons profession dans le symbole de la foi : Je crois à l'Église une. »
L’Église n’est pas un ensemble de membres séparés et dispersés. Ce corps est d’abord uni à un chef, Notre Seigneur Jésus-Christ. C’est un corps hiérarchique, dirigée. Puis ses membres sont unis et liés comme ceux de notre propre corps. Tout membre qui en est détaché n’appartient plus au corps et meurt. Ainsi « quiconque se sépare d'elle, s'éloigne de la volonté et de l'ordre de Jésus-Christ Notre-Seigneur, il quitte le chemin du salut, il va à sa perte. »
« Celui qui a institué l'Église unique, l'a aussi instituée une : c'est-à-dire de telle nature, que tous ceux qui devaient être ses membres fussent unis par les liens d'une société très étroite, de façon à ne former tous ensemble qu'un seul peuple, un seul royaume, un seul corps. » Notre Seigneur Jésus-Christ rapproche cette unité à sa propre union avec son Père. Reprenant les paroles de Saint Cyprien, Léon XIII rappelle l’unité de charité entre les membres de l’Église.
L’unité de la foi
Mais il ne peut y avoir d’unité de cœur sans unité d’intelligence d’où découleront l’harmonie des volontés et l’accord des actions. « La foi est le premier de tous les liens qui unissent l'homme à Dieu et c'est à elle que nous devons le nom de fidèles ». Tel est l’enseignement clair de Saint Paul qui condamne toute division dans les esprits et les sentiments.
Léon XIII voit la division dans les interprétations diverses et différentes de la Sainte Écriture tant à cause de la difficulté de sa lecture que dans la diversité des esprits et du trouble que causent les passions. « Des différences d'interprétations naît nécessairement la diversité des sentiments : de là des controverses, des dissensions, des querelles, telles qu'on en a vu éclater dans l'Église dès l'époque la plus rapprochée de son origine. »
L’Église enseignante
Si la doctrine de Notre Seigneur, dont une grande partie est consignée dans la Sainte Écriture, est nécessaire pour unir les esprits et maintenir l’accord des sentiments, elle ne suffit pas. Toujours en remontant aux origines du christianisme, c’est-à-dire à la volonté de Notre Seigneur Jésus-Christ, Léon XIII expose l’autre principe indispensable pour l’unité dans la foi qu’Il a voulu établir.
Notre Seigneur Jésus-Christ a envoyé ses Apôtres répandre son enseignement. Quiconque les entend L’entend. Celui qui refuse d’y adhérer n’adhère plus à son propre enseignement. Ils sont aussi munis de la même puissance que leur Maître, accomplissant de véritables prodiges. Enfin, Notre Seigneur Jésus-Christ leur assure sa protection de manière permanente. « Dans l'accomplissement de cette grande mission, il a promis d'être avec eux, et cela non pas pour quelques années ou quelques périodes d'années, mais pour tous les temps ».

Mais «  comment tout cela eut-il pu se réaliser dans les seuls Apôtres que leur condition d'hommes assujettissait à la loi suprême de la mort ? » Comment l’Église aurait pu survivre à leur disparition ? D’où l’institution d’un magistère transmissible de génération en génération. Les Apôtres ont ainsi ordonné leurs successeurs « Il est donc vrai que de même que Jésus-Christ, a été envoyé par Dieu, et les Apôtres par Jésus-Christ, de même les évêques et tous ceux qui ont succédé aux Apôtres, ont été envoyés par les Apôtres. » Une chaîne interrompue …
Il y a donc une double nécessité « que d'une façon permanente subsiste, d'une part, la mission constante et immuable d'enseigner tout ce que Jésus-Christ a enseigné lui-même ; d'autre part, l'obligation constante et immuable d'autre part de professer toute la doctrine ainsi enseignée ». Ainsi l’Église a le devoir de garder intègre la foi qu’elle a reçue et qu’elle transmet. Elle est donc dans la nécessité de dénoncer les erreurs et d’exclure ceux qui les répandent. « Telle a été toujours la coutume de l'Église, appuyée par le jugement unanime des saints Pères, lesquels ont toujours regardé comme exclu de la communion catholique et hors de l'Église quiconque se sépare le moins du monde de la doctrine enseignée par le magistère authentique. »
Ainsi dans le domaine de la doctrine, l'Église a une double tâche : « enseigner la religion, combattre sans relâche l'erreur »[3] afin de garder la pureté de la foi.
L’institution du Magistère
Rappelant que l’unité de charité ne peut subsister sans celle de la foi, et reprenant le témoignage de Saint Paul et des Pères de l’Église, Léon XII conclut que « Jésus-Christ a institué dans l'Église un magistère vivant, authentique et de plus, perpétuel, qu'il a investi de sa propre autorité, revêtu de l'esprit de vérité, confirmé par des miracles, et il a voulu et très sévèrement ordonné que les enseignements doctrinaux de ce magistère fussent reçus comme les siens propres. »
L’unité de foi ne consiste pas à accepter tel ou tel enseignement selon notre propre jugement « car ceux qui ne prennent de la doctrine chrétienne que ce qu'ils veulent, s'appuient sur leur propre jugement et non sur la foi ». Ils obéissent plutôt à eux-mêmes qu’à Dieu. Il s’agit d’adhérer à l’ensemble des vérités qui la constituent.
Comme la doctrine enseignée a été confiée aux Apôtres pour la répandre dans le monde entier au lieu de l’abandonner au caprice et au jugement individuel de chacun, Notre Seigneur Jésus-Christ les a aussi choisis pour accomplir le culte divin. « De même, de la même façon, ce n'est qu'aux apôtres et à leurs légitimes successeurs qu'il a ordonné de paître le troupeau, c'est-à-dire de gouverner avec autorité tout le peuple chrétien, lequel est en conséquence obligé, par le fait même à leur être soumis et obéissant. »
La vocation de l’Église




Mais faut-il ne pas oublier la fin de l’Église. En effet, « c'est pour le salut du genre humain que Jésus-Christ, s'est sacrifié, c'est à cette fin qu'il a rapporté tous ses enseignements et tous ses préceptes ; et ce qu'il ordonne à l'Église de rechercher dans la vérité de la doctrine, c'est de sanctifier et de sauver les hommes. » Car l’Église a bien pour fonction de continuer la mission de Notre Seigneur Jésus-Christ. Ce dessein ne réside pas uniquement dans l’enseignement ; il se réalise aussi dans « le culte rendu à Dieu, dans la sainteté des lois morales et de la discipline ». Finalement, « la religion, qui par la volonté de Dieu a en quelque sorte prit corps en elle, c'est l'Église seule qui l'offre au genre humain dans toute sa plénitude et sa perfection ; et de même tous les moyens de salut qui, dans le plan ordinaire de la Providence, sont nécessaires aux hommes, c'est elle seule qui les leur procure. »
« Ainsi Jésus-Christ a appelé tous les hommes sans exception, ceux qui existaient de son temps, et ceux qui devaient exister dans l'avenir, a le suivre comme chef et comme Sauveur, non seulement chacun séparément, mais tous ensemble, unis par une telle association des personnes et des cœurs, que de cette multitude résultat un seul peuple légitimement constitué en société : un peuple vraiment uni par la communauté de foi, de but, de moyens appropriés au but, un peuple soumis à un seul et même pouvoir. » Ainsi instituée pour servir de guide vers le ciel à tout homme, l’Église a été constituée en société. Elle est une société divine par son origine et humaine par ses membres, unis entre eux.
Unité de gouvernement
Or quel organisme ou société peut se maintenir sans gouvernement, sans tête ? Que serait en effet le corps sans la tête ? « De même que l'Église pour être une en tant qu'elle est la réunion des fidèles requiert nécessairement l'unité de foi, ainsi pour être une en tant qu'elle, est une société divinement constituée, elle requiert de droit divin l’unité de gouvernement, laquelle produit et comprend l’unité de communion. » Il existe deux types de relations dans l’Église : les liens qui relient les membres entre eux et ceux qui les relient à celui qui la dirige.
Notre Seigneur Jésus-Christ continue à diriger et à protéger l’Église. Mais comme cette dernière est visible, elle a aussi besoin d’un chef visible comme nous avons besoin de prêtre pour administrer les sacrements alors que le véritable prêtre est Notre Seigneur Jésus-Christ. « Comme il ne devait pas rester avec tous les fidèles par sa présence corporelle, il a choisi des ministres par le moyen desquels il pût dispenser aux fidèles les sacrements. […] De la même façon, parce qu'il devait soustraire à l'Église sa présence corporelle, il a donc fallu qu'il désignât quelqu'un pour prendre à sa place le soin de l'Église universelle.» Ainsi avant son Ascension, Notre Seigneur Jésus-Christ a choisi Saint Pierre pour paître ses brebis, c’est-à-dire les diriger. C’est à lui seul qu’effectivement Il a confié cette charge. Saint Pierre est alors devenu la pierre sur laquelle est bâtie l’Église. 
« Le rôle de Pierre est donc de supporter l'Église et de maintenir en elle la connexion, la solidité d'une cohésion indissoluble. » Il détient bien un pouvoir de juger, de défendre, de commander. « Une primauté d'honneur ou encore le pouvoir si modeste de conseiller et d'avertir, qu'on appelle pouvoir de direction, sont incapables de prêter à aucune société humaine un élément bien efficace d'unité et de solidité. » Comme Notre Seigneur Jésus-Christ l’a affirmé, rien ne pourra détruire l’Église. Elle résistera à tous ses ennemis et ses épreuves. « Si Dieu a confié son Église à Pierre, c'est donc afin que ce soutien invisible la conservât toujours dans toute son intégrité. Il l'a donc investi de l’autorité nécessaire. » Notre Seigneur lui a en effet donné les clés du Royaume, « insigne ordinaire de l’autorité ». Saint Pierre est aussi préposé comme pasteur au profit des brebis. « Puisque Pierre a été préposé comme pasteur au troupeau des fidèles, il a reçu le pouvoir de gouverner tous les hommes pour le salut desquels Jésus-Christ a répandu son sang. »
Or pour perpétuer la charge de Saint Pierre, sa puissance a été transmise à ses successeurs. « Cette autorité faisant partie de la constitution et de l'organisation de l'Église comme son élément principal, puisqu'elle est le principe de l'unité, le fondement de la sécurité et de la durée perpétuelle, il s'ensuit qu'elle ne pouvait en aucune façon disparaître avec le bienheureux Pierre mais qu'elle devait nécessairement passer à ses successeurs et être transmise de l'un à l'autre. » Ainsi les successeurs de l’Apôtre sont aussi les chefs de l’Église comme successeurs légitimes de Saint Pierre. « Dans la personne du bienheureux Pierre, a été donné par Notre Seigneur Jésus-Christ le plein pouvoir de paître, de régir et de gouverner l'Église universelle. »
Mais « si la puissance de Pierre et de ses successeurs est pleine et souveraine, il ne faudrait cependant pas croire qu'il n'y en a point d'autre dans l'Église. Celui qui a établi Pierre comme fondement de l'Église a aussi choisi douze de ses disciples, auxquels il a donné le nom d'Apôtres ». Et pour les perpétuer à leur tour, les évêques, en leur qualité de successeurs des Apôtres, ont leurs pouvoirs. Cependant, leur autorité est différente de celle de Saint Pierre et des Papes. Elle n’est « ni pleine, ni universelle, ni souveraine ». Mais « on ne doit pas cependant les regarder comme de simples vicaires des Pontifes romains, car ils possèdent une autorité qui leur est propre, et ils portent en toute vérité le nom de prélats ordinaires des peuples qu'ils gouvernent. »
La primauté du Pape
Or si le Pape et les évêques ne sont pas unis, il est difficile de garantir bien longtemps les liens entre les Chrétiens. « Si ce lien se dénoue, le peuple chrétien lui-même n'est plus qu'une multitude qui se dissout et se désagrège, et ne peut plus en aucune façon former un seul corps et un seul troupeau. »



Or comme le constate Léon XIII, « rien n'a été conféré aux Apôtres indépendamment de Pierre ; plusieurs choses ont été conférées à Pierre isolément et indépendamment, des Apôtres. » Par conséquent, il en conclut sans difficulté que « les évêques perdraient le droit et le pouvoir de gouverner s'ils se séparaient sciemment de Pierre ou de ses successeurs. Car, par cette séparation, ils s'arrachent eux-mêmes du fondement sur lequel doit reposer tout l'édifice et ils sont ainsi mis en dehors de l'édifice lui-même ; pour la même raison, ils se trouvent exclus du bercail que gouverne le Pasteur suprême, et bannis du royaume dont les clés ont été données par Dieu à Pierre seul. » Ainsi « nul ne peut donc avoir part à l'autorité s'il n'est uni à Pierre, car il serait absurde de prétendre qu'un homme exclu de l'Église a l'autorité dans l'Église. »
Finalement, pour donner à l’Église « l'unité de foi, de gouvernement, de communion », Dieu « a choisi Pierre et ses successeurs pour établir en eux le principe et comme le centre de l'unité. » Les évêques sont donc soumis au Pape et lui doivent obéissance sans quoi ils se dispersent dans la multitude et la confusion. « Et pour conserver l’unité de foi et de communion telle qu'il la faut, ni une primauté d'honneur ni un pouvoir de direction ne suffisent ; il faut absolument une autorité véritable et en même temps souveraine, à laquelle obéisse toute la communauté. »
Mais comme le précise Léon XIII, l’autorité du Pape ne se limite pas en chacun des évêques, pris isolément. L’Église universelle n’est pas contenue dans les églises locales. « Celui qui possède les clés du royaume a évidemment droit et autorité, non seulement sur les provinces isolées, mais sur toutes à la fois ; et de même que les évêques, chacun dans son territoire, commandent avec une véritable autorité ; non seulement à chaque particulier, mais à la communauté entière, de même les Pontifes romains, dont la juridiction embrasse toute la société chrétienne, ont toutes les parties de cette société, mêmes réunies ensemble, soumises et obéissantes à leur pouvoir. » Car « Jésus-Christ Notre Seigneur, Nous l'avons déjà assez dit, a donné à Pierre, et à ses successeurs la charge d'être ses vicaires et d'exercer perpétuellement, dans l'Église le même pouvoir qu'il a exercé lui-même durant sa vie mortelle. » Ainsi « l'autorité du Pontife romain est souveraine, universelle et pleinement indépendante : celle des évêques est limitée d'une façon précise et n'est pas pleinement indépendante. » Leur autorité étant de degré inégale, il n’y a pas ni confusion ni trouble.
L’appel à la Tradition
La doctrine que donne Léon XIII n’est pas une invention du Pape. Il s’appuie sur la Sainte Écriture, sur les Pères de l’Église et enfin sur des décisions de conciles régionaux et œcuméniques.
Ses propos comme son interprétation de la Sainte Écriture s’appuient sur certains Pères de l’Église de l’Orient et de l’Occident. Nous pouvons noter Origène, Saint Grégoire de Nazianze, Saint Jean Chrysostome, Saint Irénée de Lyon, Tertullien, Saint Cyprien de Carthage, Saint Hilaire de Poitiers, Saint Léon le Grand, Saint Augustin, Optat de Milève, Saint Jérôme, … Il cite aussi le Concile de Chalcédoine, le IIIème Concile de Constantinople, le IVème Concile de Latran, IIème Concile de Lyon et le 1er Concile de Vatican.
Léon XIII n’innove pas. Il définit ce qu’ont rappelé les Pères de l’Église et les Conciles, c’est-à-dire à partir de la Tradition.
Conclusions
Notre Seigneur Jésus-Christ est venu sauver tous les hommes sans exception. L’Église, qu’il a fondée, a pour vocation de perpétuer sa mission, dans le temps et l’espace, à l’égard de tout homme sans aucune discrimination. Mais si elle est constituée de membres divers, l’Église forme un seul et unique corps dont le chef est Notre Seigneur Jésus-Christ. Les membres sont liés entre eux comme ils sont liés au chef. L’unité se fonde ainsi sur l’unité de charité, de foi et de gouvernement. Pour perpétuer sa mission rédemptrice, Notre Seigneur Jésus-Christ a donné à l’Église les moyens de garantir son unité tout en lui assurant une protection jusqu’à la consommation des siècles. Les fondements reposent sur les Apôtres et ses successeurs et plus spécialement sur le Pape.
L’unité de l’Église n’est donc ni une finalité, ni un but à atteindre. Elle a été fondée et demeure une par nature. Il est donc inutile de vouloir rechercher ce qui existe déjà. Le seul but que nous pouvons nous fixer est donc d’unir les Chrétiens ou plus précisément de les unir dans l’Église, c’est-à-dire de réintégrer ceux qui n’y sont pas ou qui l’ont quittée, et d’affermir ceux qui y sont. Le mouvement œcuménique catholique passe donc par leur réintégration et leur maintien dans l’Église. Et cette unité ne peut subsister que s’il y a unité de foi et de gouvernement, s’il y a adhésion à son enseignement et à son chef visible, s’il n’y a plus d’hérésie ou de schisme.
Telle est en quelques mots la doctrine claire qu’expose Léon XIII. Tout en répondant à des besoins spécifiques, liés à une époque précise, le Pape définit ce que l’Église a toujours enseigné. Il est particulièrement soucieux de montrer qu’elle est bien tirée de la Sainte Écriture et de la Sainte Tradition. Il transmet finalement l’enseignement qu’il a reçu…




Notes et références
[1] Léon XIII, Encyclique Satis Cognitum sur l’unité de l’Église, le 29 juin 1896, trad. officielle du R. P. Tiandreau, dans Lettres apostoliques de Sa Sainteté Léon XIII, tome IV, A. Roger et F. Chernoviz, éditeurs, www.liberius.net.
[2] Léon XIII, Lettre encyclique Divinum Illud Munus sur le Saint-Esprit, 9 mai 1897, Introduction
[3] Léon XIII, encyclique Aeterni Patris sur la philosophie chrétienne, 4 août 1879, Libreria Editrice Vaticana

samedi 18 juin 2016

Le Bon Pasteur


Dans son traité sur l’unité de l’Église, Saint Cyprien nous rappelle les fondements de l’Unité de l’Église : elle est par nature une et indivise comme la tunique sans couture de Notre Seigneur Jésus-Christ. La division naît uniquement dans l’âme du chrétien. C’est donc à ce niveau que le combat pour la réconciliation doit se dérouler. 

Comme tant d’autres Pères de l’Église, Saint Cyprien puise son enseignement dans la Sainte Écriture, dans celui des Apôtres et de leurs successeurs. Il utilise aussi une des paraboles les plus célèbres de l’Évangile, celle du Bon Pasteur. Il n'est en effet guère envisageable de parler de l'Unité de l'Église sans l'évoquer...



La parabole du bon pasteur

Écoutons d’abord Notre Seigneur Jésus-Christ. Ses paroles sont d’une grande clarté. Elles nous éclairent encore, plus de deux mille ans après. Dans une célèbre parabole, Il se présente comme la porte des brebis, le seul bon pasteur. « En vérité, en vérité, je vous le dis, c’est moi qui suis la porte des brebis. […] Moi, je suis le bon pasteur […] et je donne ma vie pour mes brebis. Mais j’ai d’autres brebis qui ne sont point de cette bergerie ; et il faut que je les amène, et elles entendront ma voix, et il n’y aura qu’un bercail et qu’un pasteur. » (Jean, X, 7-16)

En quelques mots, Notre Seigneur Jésus-Christ définit sa mission. Il est venu pour le peuple juif, en attente de l’accomplissement des promesses et des prophéties divines, et pour tous ceux qui n’en font pas partie, c’est-à-dire les Gentils. Circoncis et incirconcis, tous doivent être réunis dans une même bergerie sous la protection d’un seul et bon pasteur. C’est Lui qui va rechercher toutes les brebis égarées. Et aucune ne peut être sauvée si elle ne passe par Lui. Car Lui-seul est la porte des brebis. « Si c’est par moi que quelqu’un entre, il sera sauvé, et il entrera, et il sortira, et il trouvera des pâturages. » (Jean, X, 9)

Plus loin dans l’Évangile selon Saint Jean, Il précise que des hommes peuvent ne pas être ses brebis. « Vous ne croyez point parce que vous n’êtes point de mes brebis. Mes brebis écoutent ma voix, moi, je les connais et elles me suivent ; et je leur donne la vie éternelle, et elles ne périront jamais, et nul ne les ravira de ma main » (Jean, X, 26-28). Pour qu’une brebis fasse partie de son bercail, il faut impérativement qu’elle Le suive. Car Il est la seule porte. Et pour le suivre, faut-il d’abord L’entendre et L’écouter, et Le reconnaître.

Basilique Saint-Appolinaire
Ravenne, Ve.
Le pasteur du peuple d’Israël

Le terme de « pasteur » n’est pas nouveau dans la Sainte Écriture. Dans l’Ancien Testament, Dieu est souvent comparé à un pasteur qui conduit ses brebis, là où il est bon d’y être, là où la nourriture est abondante. À plusieurs reprises, le peuple d’Israël apparaît sous la figure des brebis ou d’un troupeau qu’une main puissante guide vers de bons pâturages. Les deux figures sont en effet indissociables. Un pasteur n’existe que parce qu’il existe des brebis. « Nous sommes le peuple de son pâturage, et les brebis de sa main » (Psaume XCIV, 7).


« Vous, mes troupeaux, les troupeaux de mon pâturage, vous êtes des hommes, et moi, je suis le Seigneur votre Dieu » (Ézéchiel, XXXIV, 31). Le peuple d’Israël est en quelque sorte la propriété de Dieu comme les brebis appartiennent au berger. Cette image rappelle aussi le long périple des Hébreux dans le désert après leur fuite d’Égypte. Le pasteur est celui qui guide et dirige son troupeau. Il paisse les brebis.

Dieu est celui « qui conduit, comme des brebis, votre peuple par les mains de Moïse et d’Aaron » (Psaume LXXVI, 21). Il a donné des pasteurs au peuple d’Israël pour qu’ils gardent son troupeau en son nom et le conduisent là où Il a décidé. Il a en effet institué des prêtres pour une mission précise : veiller sur son troupeau comme un berger envers ses brebis. Ce sont des pasteurs qui paissent son troupeau en son nom. Ils ont donc une autorité sur l’ensemble du troupeau et sur chacune des brebis.

Confiance envers le bon pasteur

Le terme de « pasteur » évoque aussi les sentiments d’une âme qui suit son maître comme une jeune brebis, animée d'une grande confiance. « Le Seigneur me conduit, et rien ne me manquera ; c’est dans un lieu de pâture qu’il m’a placé ; c’est auprès d’une eau fortifiante qu’il m’a élevé » (Psaume, XXII, 1-3). Le pasteur connaît sa bête et la soigne en lui donnant ce dont elle a besoin. Dieu agit de même envers son peuple et envers chaque âme. 



La figure du pasteur traduit donc la souveraineté de Dieu sur son peuple et sa bonté envers lui. Cette image exprime aussi la confiance du fidèle dans la main divine toute puissante. Ainsi mérite-t-Il toutes nos louanges : « Pour nous, votre peuple, et les brebis de votre pâturage, nous vous louons toujours » (Psaume, LXXVIII, 13).

Les mauvais pasteurs

Dans la parabole du Bon Pasteur, tout en définissant sa mission, Notre Seigneur Jésus-Christ nous prévient aussi du danger des faux pasteurs. À plusieurs reprises, par la voix des prophètes, Dieu stigmatise aussi les faux pasteurs pour leur mauvaise conduite et leur infidélité. Ils « ont agi en insensés », « ils n’ont pas cherché le Seigneur» (Jérémie, X, 21). « Vous l’avez chassé et vous ne l’avez pas visité » (Jérémie, XXIII, 2). Les effets de leur indignité sont terribles. « À cause de cela, ils ont été dispersés » (Jérémie, X, 21).  « Et mes brebis ont été dispersées […] Mes troupeaux ont erré sur toutes les montagnes et sur toute colline élevée […] » (Ézéchiel, XXXIV, 2-6). En se dispersant, les brebis s’égarent et courent de graves dangers. « Mes troupeaux sont devenus une proie, et mes brebis la pâture de toutes les bêtes des champs » (Ézéchiel, XXXIV, 8). Et qui vient les rechercher ?! Les pasteurs « n’ont pas cherché mon troupeau ».

Les mauvais pasteurs sont ceux qui divisent le peuple de Dieu et l’égarent dans les erreurs et l’infidélité. Les fidèles se perdent dans l'orgueil et dans l’idolâtrie. Ils finissent par suivre d’autres dieux dont les cultes se font sur les hautes montagnes. 

« Malheur aux pasteurs qui perdent et déchirent le troupeau de mon pâturage, dit le Seigneur Dieu » (Jérémie, X, 1). Les mots sont terribles dans la bouche du Tout Puissant. « Hurlez, pasteurs, et criez, couvrez-vous de cendres, vous les chefs du troupeau […] La voix de la clameur des pasteurs et les hurlements des chefs du troupeau se feront entendre parce que le Seigneur a dévasté leur pâturage » (Jérémie, XXV, 34-36). Malheur en effet au mauvais pasteur qui sera frappé dans ce qu’il a de plus cher. « O pasteur et idole, qui abandonne le troupeau, un glaive tombera sur son bras, et sur son œil droit ; son bras sera entièrement desséché ; et son œil droit sera tout couvert de ténèbres » (Zacharie, XI, 17).

Les méfaits des mauvais pasteurs : division et danger

Si le chef ne guide pas son troupeau dans le droit chemin, les brebis se perdent dans les ténèbres et risquent le châtiment divin. Le pasteur tient donc un rôle essentiel dans le salut des âmes. Les brebis sont sous sa responsabilité et il devra être jugé en conséquence. 

Dieu interpelle le mauvais pasteur. Par la voix de Jérémie, Il dénonce leur nuisance et leur indifférence. Au lieu de réagir, ils ont accentué la dispersion. Par la bouche d’Ézéchiel, Il insiste sur leur égoïsme et sur leur orgueil. Ils ont abusé du troupeau que Dieu leur a confié pour leur propre intérêt au lieu de le soigner et de le chérir, le laissant dans un état lamentable. Par leur négligence, ils l’ont laissé périr. En outre, ils ont abusé de leur autorité sur ses brebis. « Malheurs aux pasteurs d’Israël qui se paissaient eux-mêmes ; n’est-ce pas le troupeau que les pasteurs font paître ? Vous mangiez le lait, et vous vous couvriez des laines, et ce qui était gras, vous l’égorgiez mais mon troupeau, vous ne les paissiez pas. Ce qui était faible, vous ne l’avez pas fortifié ; et ce qui était malade, vous ne l’avez pas guéri ; et ce qui a été brisé, vous ne l’avez pas lié ; et ce qui était égaré, vous ne l’avez pas ramené ; et ce qui était perdu, vous ne l’avez pas cherché, mais vous leur commandiez avec rigueur et avec empire. Et mes brebis ont été dispersées […] Mes troupeaux ont erré sur toutes les montagnes et sur toute colline élevée […] Et il n’y avait personne qui les recherchât » (Ézéchiel, XXXIV, 2-6). 

La bonté du bon pasteur

Par opposition, Dieu rappelle au pasteur ce qu'il doit êtreLe bon pasteur est celui qui se dévoue pour ses brebis. Vigilant et attentif, il les soigne et les garde dans le bercail. Si l’une d’entre elles se perd, il s’épuise à la rechercher. Il se bat pour préserver son troupeau.





Notre Seigneur Jésus-Christ nous donne une autre parabole sur les sentiments qui doivent guider le bon pasteur. Lors d'une ses visites auprès d'hommes considérés impurs, Notre Seigneur Jésus-Christ entend les murmures des pharisiens. Comment ? Il ose manger avec des pécheurs allant à l’encontre des proscriptions de Moïse ! Il leur répond. « Quel est celui d’entre vous qui a cent brebis et qui, s’il en perd une, ne laisse les quatre-vingt-dix-neuf autres dans le désert, et ne va après celle qui est perdue jusqu’à ce qu’il la trouve ? Et lorsqu’il l’a trouvée, il la met sur ses épaules, plein de joie ; et, venant à sa maison, il appelle ses amis et ses voisins, leur disant : Réjouissez-vous avec moi, parce que j’ai trouvé ma brebis qui était perdue. » (Luc, XV, 4-6) Le Bon Pasteur est celui qui court anxieusement après le pécheur et se réjouit de l’avoir retrouvé. La brebis égarée absorbe toute sa pensée. « Ce n’est pas la volonté de votre Père qui est dans les cieux qu’un seul de ces petits périsse » (Matthieu, XVIII.14). 

Notre Seigneur ne délaisse personne. Il veille sur toutes ses brebis, sans exception. Notre Seigneur Jésus-Christ montre toute la sollicitude divine à l’égard des brebis égarés et la joie qui provoque son retour. Un bon pasteur est celui qui ne compte pas les efforts pour rassembler et protéger son troupeau. Car la brebis égarée est désormais sauvée. Cette parabole nous ramène à celle de l’enfant prodigue.

Le retour du fils prodigue
Palma le Jeune (1595)
Des pasteurs au secours du peuple de Dieu

Par la faute des mauvais pasteurs, le peuple de Dieu est dispersé. C’est l’exil, la captivité de Babylone. Mais si Dieu châtie les mauvais serviteurs et les brebis égarées, Il ne délaisse pas son troupeau. Il demeure son chef. Ainsi, annonce-t-Il l’envoi d’autres pasteurs pour rassembler son peuple. « Et moi-même je rassemblerai les restes de mon troupeau, de toutes les terres dans lesquelles, je les aurai jetés, et je ferais retourner à leurs champs, et ils croîtront et ils se multiplieront. Et je leur susciterai des pasteurs ; et ils paîtront, ils ne craindront plus et aucune brebis ne manquera au nombre, dit le Seigneur » (Jérémie, X, 3-4).

Dieu annonce au peuple d’Israël que Lui-même interviendra encore pour le salut de son peuple. « Voilà que moi-même, je rechercherai mes brebis, et que je les visiterai. Comme un berger visite son troupeau au jour où il est au milieu de ses brebis disséminées, ainsi je visiterai mes brebis  […] Et je les rassemblerai de divers pays, et je les amènerai dans leur propre terre, et je les ferai paître sur la montagne d’Israël […] dans les pâturages les plus abondants.» (Ézéchiel, XXXIV, 11-14). Dans le sens littéral, ces prophéties annoncent le retour de l’exil par Zorobabel et Jésus, fils de Josédech, qui ramèneront le peuple d’Israël sur la Terre promise, mettant ainsi fin à la captivité de Babylone. Mais, dans un sens spirituel, Il annonce les apôtres du Christ. Dieu enlèvera l’autorité aux prêtres de la loi antique et la donnera à ceux de la nouvelle loi.

Dieu apparaît toujours comme le bon pasteur, préoccupé du bien de ses brebis. « Ce qui était perdu, je le rechercherai […] et ce qui était faible, je le fortifierai ; et ce qui était fort et gras, je le conserverai, et je le ferai paître avec discernement » (Ézéchiel, XXXIV, 15-16).

Mosaïque
Saint-Laurent-hors-les-Murs
Le Messie comme bon pasteur

À plusieurs reprises, Dieu rappelle et précise une prophétie qu’Il avait énoncée dès les premiers jours de l’humanité concernant la venue du Messie. « Et je susciterai sur elle un pasteur unique qui les paisse, mon serviteur David » (Ézéchiel, XXXIV, 23). David ayant déjà vécu et étant mort, il ne s’agit évidemment pas de lui dans cette annonce. David est la figure du Messie comme il est son ancêtre. 


De la famille de David naîtra le Pasteur. Dieu précise qu’il est unique. Il est le Pasteur, le seul Pasteur. « Et mon serviteur, David sera leur roi, un seul pasteur sera pour eux tous » (Ézéchiel, XXXVII, 24). Il sera roi et donc il aura une entière autorité sur le troupeau. Et « comme un pasteur, il paîtra son troupeau, et avec son bras, il rassemblera les agneaux, et il les prendra dans son sein, il portera lui-même les brebis pleines » (Isaïe, XL, 11). 

Dieu sera de plus en plus précis dans sa révélation. « Je te rassemblerai certainement, tout entier, ô Jacob, je réunirai les restes d’Israël, je les mettrai tout ensemble comme une bergerie, comme un troupeau au milieu de son parc […] Car celui qui ouvrira le chemin, montera devant eux […], et le Seigneur sera à leur tête » (Michée, II, 12-13).

Catacombes Praetexta, Rome. IVe.

Prenant à témoin la Sainte Écriture, Notre Seigneur Jésus-Christ accomplit parfaitement son rôle de pasteur. « Vous tous, vous prendrez du scandale à mon sujet et pendant cette nuit ; car il est écrit : Je frapperai le pasteur, et les brebis du troupeau seront dispersées. Mais, après que je serai ressuscité, je vous précéderai en Galilée » (Matthieu, XXVI, 31-32).




Comment reconnaître le bon pasteur ?

Dans la parabole du Bon Pasteur, Notre Seigneur Jésus-Christ précise les éléments qui permettent de distinguer le bon du mauvais pasteur.

Le Bon Pasteur s’oppose au voleur qui doit escalader le mur du bercail pour faire le mal alors que Lui, Il entre par la porte. « Moi je suis venu pour qu’elles aient la vie, et qu’elles l’aient abondamment » (Jean, X, 11). Celui qui entre comme un voleur se trahit par ses actes. Regardons comment agit Notre Seigneur, et ses procédés montrent par eux-mêmes ce qu’Il est. Il ne se cache pas. Il est désigné, prophétisé, connu d’avance. Il entre par la voie normale, une voie longuement préparée. Le portier Lui ouvre la porte. Il est reconnaissable.

Le Bon Pasteur n’est pas non plus un mercenaire qui sert seulement pour obtenir un salaire. Il ne s’enfuit pas devant ses Juges et devant la mort. Il donne sa vie pour ses brebis.

Enfin, le Bon Pasteur n’est pas un étranger. Sa voix est connue des brebis et les brebis le suivent comme un pasteur. « Je connais mes brebis et mes brebis me connaissent, […], et je donne ma vie pour les brebis » (Jean, X, 14-15).

« Jésus parcourait toutes les villes et tous les villages, enseignant dans leur synagogue, prêchant l’Évangile du Royaume et guérissant toute maladie et toute infirmité. Or en voyant cette multitude, il en eut compassion, parce qu’ils étaient accablés et couchés comme des brebis n’ayant point de pasteur : la moisson est abondante, mais il y a peu d’ouvriers. Priez donc le maître de la moisson pour qu’il envoie des ouvriers à sa moisson » (I Pierre, VI.25).

Le Bon Pasteur en acte

Catacombes de Sainte-Priscille, Rome.
Comme le constatent avec effroi les pharisiens, Notre Seigneur Jésus-Christ est auprès de toutes les brebis égarées du peuple d’Israël mais aussi de l’humanité. Effectivement, Il ne fait pas que parler. Il montre par des actes concrets et visibles ce que ses paroles signifient dans la réalité.

Notre Seigneur Jésus-Christ n’hésite pas à rencontrer une Samaritaine près du puits de Jacob alors que les Juifs considéraient les Samaritains comme des gens stupides, possédés du démon, équivalents aux païens. Assis sur le bord du puits, fatigué, Il lui demande à boire. « Comment toi, qui est Juif, me demandes-tu à boire, à moi, qui suis une femme samaritaine ? Car les Juifs n’ont point de commerce avec les Samaritaines. » (Jean, IV, 9)


Les publicains font aussi partie de ces brebis égarées que détestent les Juifs. Agents du fisc, ils reçoivent en particulier les droits de douane à l’époque romaine. Sans être des fonctionnaires de l’empire, ils représentent l’autorité occupante. En outre, ils appliquent les tarifs de manière arbitraire. Également, fréquenter des publicains est aux yeux des Juifs un scandale. Et pourtant, Notre Seigneur Jésus-Christ se met à table avec eux. Un de ses disciples, Saint Matthieu, était un publicain. « Ce ne sont pas ceux qui se portent bien qui ont besoin de médecin, mais les malades. […] Car je ne suis pas venu appeler les justes, mais les pécheurs. » (Matthieu, IX, 12-13)

Bien qu’Il soit venu d’abord rassembler le peuple d’Israël, Notre Seigneur Jésus-Christ n’oublie pas les païens. Une Cananéenne lui demande de guérir sa fille. D’abord indifférent, sa réponse est dure à entendre. « Je n’ai été envoyé qu’aux brebis perdues de la maison d’Israël. » (Matthieu, XV, 24). Mais constatant sa foi, Il la guérit. « O femme, grande est votre foi ; qu’il vous soit fait comme vous désirez. » (Matthieu, XV, 28)

L’exemple de la pécheresse qu’évoque Saint Luc dans son évangile est encore plus significatif. Alors que Notre Seigneur Jésus-Christ est à la table d’un pharisien, une pécheresse notoire arrose ses pieds de ses larmes, les essuie avec ses cheveux, les baise puis les oigne de parfums. Connaissant la réputation de cette femme dont Notre Seigneur Jésus-Christ se laisse approcher et faire, le pharisien qui l’a invité réprouve son attitude. « Votre foi vous a sauvé ; allez en paix. » (Luc, VII, 50)

« Pais mes brebis »

Après la Résurrection, Notre Seigneur Jésus-Christ confie ses brebis à Saint Pierre. En son nom, l'Apôtre pourra guider, enseigner, soigner le troupeau comme chacune des brebis. Comme il l’a renié trois fois avant la crucifixion,  trois fois également, il atteste son amour pour Lui. « Simon, fils de Jean, m’aimes-tu ? ». « Pais mes agneaux » (Jean, XXI, 16). À la troisième fois, Notre Seigneur lui répond « Pais mes brebis » (Jean, XXI, 17). Trois fois donc, Saint Pierre atteste sa charité que Notre Seigneur provoque. La charité est une condition préalable à l’exercice de sa mission. Le pasteur est celui qui se dévoue pour ses brebis. La foi est évidemment nécessaire. Avec une touchante humilité, il s’en remet à la science du Maître.

Conclusion

Catacombes Saint-Calixte. Rome. IIe.
Lorsque Notre Seigneur Jésus-Christ utilise l’image du Bon Pasteur, soit pour indiquer sa mission, soit pour montrer la sollicitude divine, les Juifs qui l’écoutent ne peuvent pas ignorer ce qu’elle signifie et évoque tant elle est utilisée dans l’Ancien Testament et notamment dans les prophéties messianiques. L’image du Bon Pasteur, du troupeau et de la brebis décrivent les relations qui existent entre Dieu et ses fidèles, relations de bonté, de soumission et de confiance. Le serviteur que Dieu envoie en son nom pour le bien des âmes doit se dévouer et veiller au salut et à l’unité de son peuple et de chacun de ses membres comme un bon pasteur auprès de son troupeau et de ses brebis. Sans eux, les brebis s’égarent et se perdent. Fustigeant les mauvais pasteurs, Dieu a annoncé la venue du Bon Pasteur, Notre Seigneur Jésus-Christ, qui viendra rassembler les fidèles et leur ouvrir un chemin vers de meilleurs pâturages.

Durant sa vie publique, Notre Seigneur Jésus-Christ n’a pas cessé de secourir les brebis égarées jusqu’à souffrir la mort de la Croix. Il est en effet le seul Pasteur, celui qui a livré sa vie pour guider et sauver les brebis, pour les ramener dans la Maison de Dieu. « Il n’y aura qu’un bercail et qu’un pasteur. » (Jean, X, 7-16).

Ainsi, Notre Seigneur est le Bon Pasteur qui veille sur ses brebis, les rassemble, les soigne et recherche celles qui se perdent pour les ramener dans son bercail qu’est la Sainte Église. Dans les catacombes, les chrétiens ont souvent figuré Jésus-Christ sous les traits d'un berger. Il apparaît comme celui qui ramène sur ses épaules une brebis égarée ou qui veille au milieu de son troupeau. « Vous étiez comme des brebis égarées, mais vous êtes retournées maintenant au pasteur » (I Pierre, X, 25). Notre Seigneur Jésus-Christ a institué l’Église afin de perpétuer son œuvre. Elle est cette bergerie vers laquelle Il guide ses brebis. Elle est une comme il y a qu’un seul Pasteur.






samedi 11 juin 2016

La Tunique sans couture

Catholique, orthodoxe, protestante, anglicane, … Nombreuses sont les dénominations des églises et communautés chrétiennes. La division du monde chrétien est un véritable scandale que nous ne pouvons que dénoncer et combattre. La recherche de l’unité devrait être une lutte permanente pour tout chrétien soucieux de servir Notre Seigneur Jésus-Christ.

Unification ou réintégration ?

Dans l’histoire chrétienne, on a tenté d’effacer les déchirures et réparer les blessures selon deux voies. La première consiste à unir les différentes confessions en une seule structure, plus ou moins lâche, notamment par la recherche de dénominateurs communs, chaque église ou communauté étant considérée comme l’égale des autres. C’est généralement la solution qu’ont choisie les mouvements œcuméniques protestants. La seconde consiste à rattacher les différentes églises à une église mère. L’unité passe donc par un retour de ceux qui, pour de multiples raisons, se sont séparés. Telle est la voie qu’a longtemps suivie l’Église catholique. Ainsi pour désigner les orthodoxes, les protestants et les anglicans, elle parle de « frères séparés ». Ces deux voies apparaissent en effet comme les seules possibles. L’unité passe soit par unification, soit par réintégrationCe sont évidemment deux voies incompatibles. La première repose sur une entente à base de compromis et d’autorités partagées, la seconde sur une renonciation et l’adhésion à une autorité unique, préexistante.

Le combat de l’unité n’est pas nouveau. Depuis ses origines, le christianisme n’a pas cessé de s’opposer à la division et aux querelles. Parmi ces grands défenseurs, nous pouvons citer un des Pères de l’Église, Saint Cyprien, évêque de Carthage (210-258). Il a écrit un traité sur l’unité de l’Église pour s’opposer à un schisme. Ses paroles nous rappellent l’essentiel, c’est-à-dire notre foi en l’unité de l’Église. L’Église n’est pas à unifier, encore moins à reconstituer puisqu’elle est indivise. Elles condamnent clairement les mouvements œcuméniques actuels. 

La tunique sans couture

Dans la Sainte Écriture, nombreux sont les symboles qui traduisent l’unité de l’Église. La « tunique sans couture » est sans-doute le plus fort et le plus célèbre. Revenons à la Croix de Notre Seigneur Jésus-Christ. Selon l’usage romain de l’époque, « les soldats, après avoir crucifié Jésus, prirent ses vêtements, et ils en firent quatre parts, une pour chacun d’eux. Ils prirent aussi sa tunique : c’était une tunique sans couture, d’un seul tissu depuis le haut jusqu’en bas. Ils se dirent donc entre eux : ne la déchirons pas, mais tirons au sort à qui elle sera. » (Jean, XIX, 23-24)


Depuis Saint Cyprien (210-258), la « tunique sans couture » symbolise l’unité indivisible de l’Église. Notre Seigneur Jésus-Christ est en effet mort « afin de réunir en un seul corps les enfants de Dieu qui sont dispersés. » (Jean, XI, 52) Selon l’évêque de Carthage, la tunique est tissée d’en haut comme symbole d’une unité provenant de Dieu. « Le vêtement du Christ, tissé d’un seul morceau et sans couture, ne peut pas être divisé par ceux qui la possèdent. Il est un, d’un seul morceau, d’un seul tissu. Il représente l’unité et l’entente de notre peuple, à nous qui avons le Christ comme vêtement. Par le mystère de ce vêtement et par ce signe, le Christ montre l’unité de l’Église. »[1] 

Saint Cyprien précise aussi qu’elle « ne peut être divisée par ceux qui la possèdent », l’unité étant d’origine divine. Par conséquent, la division de l’Église n’est pas une réalité. Elle n’est donc pas à combattre. Il est inutile et vain de vouloir rechercher l’unité de l’Église puisqu’elle est une par nature. Nous devons rechercher l'unité des Chrétiens dans l’Église, elle-même indivise comme la « tunique sans couture ». Tel est le véritable objectif…

La question des lapsis

Dans son ouvrage intitulé De l’Unité de l’Église catholique, Saint Cyprien répond à un difficile conflit qui divise les chrétiens romains et africains. Ce conflit porte sur les conditions de réintégration des apostats dans l’Église. Il a donné lieu à un schisme né indirectement d’une des persécutions romaines du IIIème siècle.

Au cours des trois premiers siècles, depuis Néron (54-68) et selon les empereurs, les Chrétiens sont victimes de nombreuses persécutions que séparent des périodes de tranquillité plus ou moins fragiles. L’une d’entre elles, la sixième, est particulièrement terrible par ses effets car nombre de chrétiens ont abjuré leur foi. Pour combattre le christianisme, un édit de l’empereur Dèce (249-251) contraint les Chrétiens de l’Empire romain à se présenter devant les autorités locales et à sacrifier aux dieux. Ceux qui le refuseront seront punis de mort ou bannis, leurs biens confisqués. Cependant, s’ils consentent à abjurer, l’ordre ne sera pas exécuté. Il prescrit en outre aux gouverneurs de prendre tous les moyens pour favoriser l’apostasie. La persécution a donc pour but de pousser les Chrétiens à abjurer, au moins publiquement.

Mais la persécution s’abat brutalement sur des communautés chrétiennes plutôt désarmées et affaiblies par une longue période de paix, où les conversions se sont multipliées, la quantité emportant probablement sur la qualité. Alors comme nous pouvons nous en douter, contrairement aux autres persécutions, la politique de Dèce est un succès. Elle conduit à de nombreuses chutes dans les rangs des chrétiens en Afrique et en Asie. L’apostasie se manifeste selon plusieurs attitudes. Certains fidèles sacrifient réellement aux dieux ou brûlent seulement de l’encens devant les images. D’autres ont demandé leur inscription sur des registres qui notifient ceux qui ont abjuré. Ou dernière solution, ils peuvent acheter un certificat attestant qu’ils ont sacrifié[2].

Or de telles abjurations, réelles ou fictives, les excluent automatiquement de l’Église. Quand la persécution s’achève, beaucoup d’apostats veulent cependant rentrer dans le sein de l’Église. Ils portent le nom de « lapsis ». Pour réintégrer l'Église, à cette époque, ils peuvent obtenir un billet de confession auprès d'un confesseur, c’est-à-dire un chrétien qui a témoigné publiquement de sa foi, et le présenter à un prêtre. Cette procédure conduit à des abus et à des malentendus. Certains confesseurs ont tendance à se substituer aux prêtres, remettant en cause leur autorité. En clair, la paix de nouveau retrouvée, l’Église doit répondre à deux questions. A-t-elle le pouvoir d’absoudre les apostats ? Les confesseurs ont-ils un rôle à jouer dans leur retour ?... Il faut rappeler qu'à l'origine, les conditions pour être pardonné d'un péché étaient beaucoup plus sévères que celle que nous connaissons aujourd’hui.



Le schisme de Novatien

Face aux demandes des lapsis, Saint Cyprien rappelle que seul l’évêque dispose du pouvoir de grâce et que les confesseurs n’ont qu’un droit de recommandation. Il décide néanmoins qu’en danger de mort et munis des billets de confession, les lapsis peuvent réintégrer l’Église par un prêtre et cela uniquement en absence de l’évêque. Ses décisions provoquent alors des mécontentements auprès des lapsis et des confesseurs. Elles déclenchent même de véritables émeutes. Novat, Felicissimus et quelques autres prêtres se révoltent contre Saint Cyprien. Ils établissent un évêque Fortunat. Saint Cyprien en appelle alors à Rome.

Au même moment, l'Église n'a plus de Pape. Le dernier est mort et son successeur n'est pas encore élu. Pour répondre à l'appel de Saint Cyprien, le clergé romain se réunit sous la direction de Novatien et approuve les décisions de l’évêque de Carthage. Saint Cyprien réunit à son tour un concile régional en avril 251. Il décrète que le péché d’apostasie n’est pas irrémissible, que les lapsis doivent faire une longue pénitence et solliciter leurs grâces auprès de l’évêque et que les billets de confession sont inutiles. Il fait aussi la différence entre les différents apostats selon la gravité de leur faute. Sous le pontificat du Pape Saint Corneille, un concile romain approuve ces décisions.

Cependant, l’opposition se poursuit et se renforce. Il est désormais mené par Novatien. Ancien chef du clergé romain, il est déçu de ne pas avoir été choisi comme pape. Mais rigoriste, il prend le contre-pied des théories de Novat. Il décide que même en danger de mort, les lapsis ne peuvent pas être graciés. Un concile africain réunissant 60 évêques condamne cette nouvelle erreur. Saint Cyprien publie alors De l’Unité de l’Église

Les deux fondements de l’Unité de l’Église

Dans son traité, Saint Cyprien s’adresse aux chrétiens et s’attaque aux schismatiques. Il fait l’apologie de l’unité, qu’il présente comme le signe de la véritable Église. Il désigne alors le pire ennemi du christianisme. Ce n’est pas le persécuteur, que le Chrétien peut toujours vaincre, mais le schismatique qui veut briser l’unité de l’Église.

Saint Cyprien définit les deux fondements de l’unité de l’Église : 

  • l’unité de la foi. « Et ces hommes qui ne sont plus d’accord avec l’Évangile du Christ, ses préceptes et ses lois, s’appellent encore des chrétiens ; marchant dans les ténèbres, ils se croient dans la lumière »[3]. En rupture avec l’unité de la foi, l’hérétique se sépare de l’Église ;
  • l’unité de gouvernement. « Tous les apôtres sont pasteurs mais il n’y a qu’un seul troupeau, qui doit être conduit d’un concert unanime par tous les apôtres. Celui qui ne reste point dans l’unité de Pierre, croit-il donc qu’il reste dans la foi ? Celui qui abandonne la chaire de Pierre, sur qui est fondé l’Église, peut-il se vanter d’être dans l’Église ? »[4] Rompant avec l’unité de gouvernement, le schismatique ne peut donc prétendre incarner la véritable Église. 

« Et tout cela arrive, mes frères bien-aimés, parce que l’on ne sait pas retourner à la source de la vérité, qu’on ne cherche pas où est la tête, le chef, qu’on ne garde pas la doctrine du maître céleste. »[5]

Le discours de Saint Cyprien est d’une très grande simplicité comme l’est la vérité. Comment pouvons-nous être unis à l’Église si nous refusons d’adhérer à ce qu’elle professe ? « Est-ce qu’on peut dire : « Je crois au Christ », quand on n’obéit pas aux ordres du Christ ? Est-ce qu’on peut recevoir la récompense promise au croyant, quand on refuse d’observer fidèlement les commandements du Christ ? Forcément, on marche alors toujours de travers et on perd sa route. On se laisse emporter par des enseignements faux, comme la poussière soulevée par le vent. Si on ne garde pas solidement la vérité qui sauve, on peut marcher, mais on n’arrive pas jusqu’au Christ Sauveur. »[6] Est-il possible d’appartenir à une armée sans suivre son chef ? « Celui qui ne reste pas dans l’unité de Pierre, croit-il donc qu’il reste dans la foi ? Celui qui abandonne la chaire de Pierre, sur qui est fondée l’Église, peut-il se vanter d’être dans l’Église ? »[7]


L’unité de l’Église tire véritablement son origine en Dieu. L’Église est une car Dieu est un. « L’unité de l’Église vient de cette unité en Dieu ». Ainsi l’Église peut se répandre dans le monde entier, embrasser des peuples divers et variés, s’étendre dans toutes les couches de la société tout en étant une. C’est un seul et même corps qui se déploie sur toute la terre car « il y a une seule source et une seule origine ». « Coupez un ruisseau de sa source, il n’y a plus d’eau dans ce ruisseau. C’est la même chose pour l’Église : éclairée par la lumière du Seigneur, elle envoie ses rayons dans le monde entier, mais c’est une seule lumière qui éclaire tout. »[8]

Hors de l’Église, point de salut

Par conséquent, qui pourrait croire diviser et déchirer l’Église ? Elle « ne peut être divisée par ceux qui la possèdent », c’est-à-dire par des chrétiens, des évêques ou des prêtres. L’Église n’est pas une par la volonté de ceux qui la composent ou la dirigent. Elle est une par la volonté de son fondateur et le demeure sous sa protection. Ainsi personne et rien ne peuvent la corrompre. Une communauté ne peut prétendre appartenir à l’Église si elle s’est séparée de l’Église par la foi ou le gouvernement, encore moins l’incarner. La tunique reste sans couture, non partageable, indivise.

La désunion ne réside donc pas dans l’Église. Elle n’habite pas en elle. Elle n’existe que dans l’âme du chrétien. Celui qui ne se maintient pas dans la maison de Dieu se sépare de l’Église. Et c’est bien le chrétien qui se sépare de l’Église. Et non l’inverse ! Par conséquent, la division cesse quand il retourne dans l’Église, quand son âme s’unit à elle de nouveau, quand l’hérésie ou le schisme se sont achevés. Et cette division lui est dommageable...

Selon Saint Cyprien, le chrétien séparé est comme un rayon du soleil qui ne prend plus sa source de l’astre lumineux. Il est comme une branche arrachée de l’arbre. Cassée, elle ne donnera plus de feuilles, ni de fruits. Il ne recevra plus les récompenses promises. Il montre ainsi toute la gravité de la séparation. Sans sève ni vie, que peut-il espérer ? Pire encore. « Celui qui ne garde pas un seul cœur avec le Christ et ne reste pas dans sa paix, celui-là agit contre le Christ »[9]. Et le fauteur de trouble et de désunion ? « Celui qui rassemble son troupeau à lui en dehors de l’Église, celui-là sème la division dans l’Église du Christ. »[10]

Le véritable chrétien est donc celui qui veut la paix et s’interdit toute parole qui divise et sème la discorde. Saint Cyprien se plaint finalement de la perte de foi qui rend les croyants plus mous, leur cœur diminué, plus propre à désobéir qu’à servir. La division naît du manque de charité ! Telle est la belle leçon que nous donne l’évêque de Carthage. L’unité des Chrétien est avant tout l’unité de la Charité…

Unité de Charité

Comme les soldats prenant le vêtement du Christ en un seul tenant, le Chrétien reçoit sa tunique toute entière, la possède sans qu’elle soit abîmée ou coupée. Il entre dans un peuple qui ne peut être déchiré. « Dans la maison de Dieu, dans l’Église du Christ, les chrétiens habitent avec un seul cœur »[11]. Il la quitte quand il se dissocie de ce cœur. Ainsi « on ne peut pas appeler chrétien celui qui n’est pas fidèle à la Bonne Nouvelle et à la vérité de la foi. »[12]

Saint Cyprien demande donc aux fidèles de ne pas suivre ceux qui « entraînent les autres par des enseignements faux et qui causent des divisions. »[13], c'est-à-dire les hérétiques et les schismatiques. Il faut les fuir afin de ne pas les suivre sur la route de l’erreur et du péché. Le peuple de Dieu « forme un seul corps, uni solidement par le ciment de la véritable entente. L’unité de l’Église ne peut pas être déchirée. On ne peut pas non plus déchirer un corps vivant, séparer les organes qui travaillent ensemble ni les mettre en morceaux. Toute personne qui s’éloigne de l’Église, notre mère, ne peut pas vivre ni respirer toute seule, séparée des autres : sinon, elle perd ce qui la sauve réellement. »[14] Finalement, hors de l’Église, point de salut

Conclusion

Ainsi parlant aux chrétiens dans une époque où un schisme les divise, Saint Cyprien s’attaque aux schismatiques et dénoncent leurs prétentions. Ils se prétendent être chrétiens alors qu’ils se sont séparés de l’Église et donc du salut. Il défend donc aux fidèles de les suivre pour qu’ils ne prennent pas un chemin qui les écarte du salut. Celui qui ne professe pas les vérités de foi qu’enseigne l’Église et qui abandonne la chaire de Pierre se sépare de l’Église. Et en se séparant de l’Église, le naufrage est certain. La division ne naît donc pas de l’Église qui demeure par nature indivise. D’origine divine, elle demeure une comme Dieu est un. « Il n’y a qu’un seul Dieu, un seul Christ, une seule Église du Christ, une seule foi, un seul peuple de Dieu. Ce peuple forme un seul corps »[15]. La séparation et la division naissent dans le cœur du chrétien. Par conséquent, le véritable combat ne consiste pas à rechercher l’unité de l’Église - vaine car inutile - mais à réparer les divisions dans le cœur des chrétiens séparés afin qu’ils retournent dans l’Église comme l’enfant prodigue revenant auprès de son père…



Note et références

[1] Saint Cyprien, L’unité de l’Église, §7, extraits tirés de Cyprien de Carthage : de l’unité de l’Église catholique, collection Unam Sanctam, n°9, Cerf, 1992. Trad. Pierre de Labriolle.
[2] Les « sacrificati » sont ceux qui ont réellement sacrifié aux dieux, les « thurificati », ceux qui ont seulement brûlé de l’encens devant l’image des dieux, les « libellaciti », ceux qui se sont procurés à prix d’argent le certificat d’abjuration
[3] Saint Cyprien, De l’Unité de l’Église, dans Le Dogme catholique dans les Pères de l’Église, 1ère partie, III, §2.
[4] Saint Cyprien, De l’Unité de l’Église, dans Le Dogme catholique dans les Pères de l’Église, 1ère partie, III, §2, Émile Amann, Bauschesne, 1922.
[5] Saint Cyprien, De l’Unité de l’Église, dans Le Dogme catholique dans les Pères de l’Église, 1ère partie, III, §2.
[6] Saint Cyprien, L’unité de l’Église, Cyprien de Carthage : de l’unité de l’Église catholique, n°7.
[7] Saint Cyprien, De l’Unité de l’Église, dans Le Dogme catholique dans les Pères de l’Église, 1ère partie, III, §2.
[8] Saint Cyprien, L’unité de l’Église, Cyprien de Carthage : de l’unité de l’Église catholique, n°5.
[9] Saint Cyprien, L’unité de l’Église, Cyprien de Carthage : de l’unité de l’Église catholique, n°6.
[10] Saint Cyprien, L’unité de l’Église, Cyprien de Carthage : de l’unité de l’Église catholique, n°6.
[11] Saint Cyprien, L’unité de l’Église, §7, Cyprien de Carthage : de l’unité de l’Église catholique, n°8.
[12] Saint Cyprien, L’unité de l’Église, §7, Cyprien de Carthage : de l’unité de l’Église catholique, n°14.
[13] Saint Cyprien, L’unité de l’Église, §7, Cyprien de Carthage : de l’unité de l’Église catholique, n°23.
[14] Saint Cyprien, L’unité de l’Église, §7, Cyprien de Carthage : de l’unité de l’Église catholique, n°23.
[15] Saint Cyprien, L’unité de l’Église, §7, Cyprien de Carthage : de l’unité de l’Église catholique, n°23.