" La pierre précieuse, voire de grand prix aux yeux de certains, qu'est l'émeraude, se voit insultée par un morceau de verre habilement truqué, s'il ne se rencontre personne qui soit capable de procéder à un examen et de démasquer la faute. Et lorsque de l'airain a été mêlé à l'argent, qui donc, s'il n'est connaisseur, pourra aisément le vérifier ? "(Saint Irénée, Contre les hérésies)


jeudi 29 janvier 2015

L'islam au lendemain de la chute des Abbassides

Après la mort de Mahomet en 632, se sont succédés trois califes (Bakr, Omar, Othman) puis l’empire omeyyade (Damas, 660) et l’empire abbasside (Bagdad, 750). Au XIe siècle, un vaste empire musulman s’étend de l’Espagne à l’Inde en passant par l’Afrique du Nord. Les tribus turcs seldjoukides convertis à l'islam se sont encore emparés de l’Asie mineure au détriment de Byzance puis ont atteint le Turkestan. En Afrique noire, l’islam progresse grâce aux conquêtes des Almoravides qui s’emparent de l’empire du Ghana. L’empire abbasside est à l’apogée de sa gloire.
Mais au début du XIIIe siècle, l’empire musulman est divisé, affaibli par des luttes internes et menacé de toute part. Des régions entières se sont libérées du joug de Bagdad et se sont constituées en principautés indépendantes, notamment l’Espagne, le Maghreb et l’Égypte. Le pouvoir religieux du calife est contesté en Andalousie et au Caire. Et au sein même de l’empire abbasside, depuis deux siècles, le calife a perdu tout pouvoir au profit des sultans turcs.
L’empire abbasside est aussi menacé de l’extérieur à l’Ouest et à l’Est. Depuis le XIe siècle, les chrétiens ont fondé des royaumes en Orient qu'ils maintiennent en dépit de nombreuses difficultés. Défaits progressivement, ils ne présentent plus guère de véritables dangers pour l’empire abbasside. Toutefois ils pourraient devenir une menace sérieuse s’ils parvenaient à se lier avec l’autre menace venue de l’Est, les Mongoles. Les troupes mongoles de Gengis Khan atteignent en effet les terres musulmanes. L’empire risque en effet d’être pris en étau. Après une incroyable expansion, l’islam semble donc réellement menacé.



Les Mongoles
Au début du XIIIe siècle, Gengis Khan réunit toutes les tribus mongoles sous ses ordres et à la tête de ses célèbres cavaliers, il conquiert un immense empire de la Chine à l’Iran en passant par le sud de l’actuelle Russie. Surgissant des vastes steppes de l’Asie, les Mongoles s’emparent de Bagdad en 1258 et mettent fin au règne des Abbassides. Ses fils étendent encore ses territoires en prenant le Tibet, la Corée, la Perse, l’Irak, la Russie et la Hongrie. En 1279, ils finissent par conquérir la Chine. Un vaste empire jamais inégalé s’étend ainsi entre la Méditerranée et l’Océan Pacifique.

La conquête fulgurante des troupes mongoles est dévastatrice. Elle est d’une extrême atrocité. 200 000 prisonniers sont massacrés lors de la chute de Bagdad. Mais trop vaste, cet immense territoire se morcelle rapidement en différentes khanats, qui théoriquement relèvent tous de l’autorité du grand khan. Après Kubilaï (1260-1294), petit-fils de Gengis Khan, l’empire mongole décline et disparaît. La ville de Pékin, capitale du grand khanat depuis 1266, est libérée entre 1356 et 1368 par un chef rebelle, futur empereur de Chine et fondateur de la dynastie Ming.
Partagés entre le nestorianisme et l’islam, les khans mongols finissent par se convertir à l’islam les uns après les autres. Le premier est Berké (1257-1266), khan de la Russie méridionale. En 1270, c’est au tour du khan de Turkestan d’où sortira Tamerlan, le dernier conquérant mongol. En 1295, le khan de Perse embrasse à son tour la foi musulmane. Devenus musulmans, les khans déclenchent de véritables guerres saintes « avec  un fanatisme dont le monde musulman avait perdu le souvenir »[1]. Ils persécutent les non-musulmans.
Les différents khanats se libèrent donc du grand khan trop éloigné pour maintenir l’empire de Gengis Khan. Le khanat de Perse s’effondre. La Perse est alors en proie à une lutte entre les tribus chiites et sunnites regroupées en confédérations. En Anatolie, la région est divisée en principautés telles le Karaman au Sud Est et l’Ottoman au Nord Ouest.
Le dernier grand conquérant mongol est Tamerlan (1361-1405), émir de Samarkand. Aussi cruel que raffiné, il tente de reconstituer l’empire de Gengis Khan, à la différence qu’il légitime ses conquêtes en prétextant défendre l’islam. Présenté souvent comme un fanatique musulman, il mène la guerre sainte en se livrant à de véritables carnages. En 1393, il s’empare de Bagdad qu’il décimera en 1401 pour se venger d’une rébellion. En 1398, il dévaste l’Inde. En 1401, Damas est en ruine. Mais ces conquêtes n’obéissent à aucune stratégie, ces vastes territoires ne sont pas organisés. Après sa mort, l’empire éphémère de Tamerlan disparaît, laissant des régions exsangues, livrées à l’anarchie.
Les Mamelouks
Dans un monde musulman épuisé et déchiré, l’Égypte apparaît à la fin du Moyen-âge comme le refuge de l’islam. Il recueille la succession de l’Arabie et de l’Iran, elle en devient le guide. Après Damas et Bagdad, le Caire est le nouveau centre de l’islam. Au XIIIe siècle, les Mamelouks dirigent l’Égypte et dominent la péninsule arabique, la Syrie et le Liban.
Formés généralement d’esclaves affranchis, les Mamelouks formaient la garde turque des sultans ayyoubites d’Égypte. Ils sont recrutés à partir des captifs non musulmans de l’actuel Turkestan, de la Russie et de l’Europe orientale. Ils forment une élite guerrière bien formée et entraînée. 


Après avoir battu les croisés dirigés par Saint Louis en 1249, ils prennent leur indépendance l'année suivante en tuant le dernier héritier des sultans égyptiens. Puis ils écrasent les Mongoles en 1260. Forts d’un tel prestige, les Mamelouks se désignent comme les protecteurs de l’islam et de ses lieux saints. Leur légitimité est encore accrue lorsqu’ils recueillent au Caire un descendant des Abbassides à qui ils donnent le titre de calife tout en restreignant son rôle. L’empire abbasside est ainsi restauré sous la direction des Mamelouks.
Par son organisation militaire, l’empire mamelouk est très cohérent et structuré. Il tient aussi sa force du commerce dont il assure le monopole en Mer Rouge et dans l'Océan indien. Tout échange entre l’Occident et les Indes passe obligatoirement par lui. Les Mamelouks ont conquis la côte orientale de l’Afrique ; les Éthiopiens ont fui dans les montagnes.
A partir de l’Égypte et de la péninsule arabique, de Perse et de l’Inde, l’islam se diffuse en Asie grâce aux voies commerciales. Les commerçants musulmans atteignent l’Indonésie et répandent l’islam. Des aventuriers constituent des petits états musulmans sur les îles indonésiennes dans la première moitié du XVe siècle.
Devenus sultans, les Mamelouks sont cependant confrontés aux rivalités perpétuelles qui les déchirent. Ainsi ne parviennent-ils guère à établir un pouvoir incontesté et stable. Durant leur règne, ils parviennent néanmoins à éliminer la présence des Latins en Orient et à conquérir Chypre en 1426.
Les Ottomans
Osman
Après leurs victoires contre les Byzantins à la fin du XIe siècle, des tribus seldjoukides se sont installées en Anatolie et ont créé de véritables territoires autonomes. Avec l’affaiblissement de l’empire abbasside, l’invasion mongole au XIIe siècle et la disparition du sultan seldjoukide au XIVe siècle, l’Anatolie est devenue un ensemble disparate de petites principautés mongoles et seldjoukides. Il reste encore des possessions byzantines. Ces dernières sont la cible des convoitises tribales.
Parmi les principautés turques émergent celle d’Osman. Située au nord-ouest de la péninsule, à proximité de l’empire byzantin, elle peut lancer des attaques plus facilement contre les chrétiens. Osman (1281-1326) mène aussi une politique de conquête en Anatolie contre les différentes principautés seldjoukides et mongoles. Il est considéré comme le chef dynastique des Ottomans.

Au XIVe siècle, après s’être imposés aux autres forces turques de l’Anatolie, les Ottomans profitent des luttes intestines qui affaiblissent Byzance pour attaquer l’empire chrétien. Ils parviennent à s’emparer de Nicée (1329) et de Nicomédie (1337). Puis ils se lancent à la conquête de l’Europe. En échange de leur appui auprès d’un des prétendants au trône de l’empire, ils s’installent et se fortifient dans une ville européenne, Gallipoli. Après une série d’expéditions, ils finissent par posséder presque toute l’Anatolie et de nombreuses villes européennes. Conquise, Andrinople devient la capitale des Ottomans en 1363. Byzance devient même leur vassal. A la fin du XIVe siècle, leur territoire s’étend dans les Balkans. A la bataille du Kosovo (1389), les Ottomans écrasent une coalition de chrétiens. Plus tard, c’est au tour de l’armée hongroise d’être battue à Nicopolis en 1396. Appelée au secours de l’empereur byzantin, une petite armée française aux ordres du maréchal de Boucicault parvient à vaincre les Turcs près de Constantinople mais elle n’est pas assez nombreuse pour faire face à l’offensive turque. Toute l’Europe du sud du Danube est finalement entre leurs mains.
Tout en s’enfonçant en Europe jusqu’en Hongrie, les Ottomans doivent aussi se battre en Anatolie contre des turcs qui se rebellent et surtout contre les Mongoles qui réapparaissent. Tamerlan les brise en juillet 1402 à Ankara. Cette défaite permet aux Mongols de conquérir l’Anatolie. A peine le conquérant parti, la péninsule se morcelent en principautés autonomes concurrentes...
L’islam en Occident
Au Xe siècle, dans la péninsule ibérique, les chrétiens se lancent dans la « Reconquista » et gagnent du terrain. EN 1006, les troupes musulmanes connaissent une véritable déroute à la bataille de Torà. Le calife d’Andalousie se ressaisie grâce à l’arrivée des Almoravides (1062), c’est-à-dire des Soudanais, des Sahariens et des Berbères, puis grâce à l’arrivée des Almohades (1195) venus d’Afrique du Nord, essentiellement des Berbères.
Au XIIe siècle,  détachés de l’empire abbasside, les Almohades sont parvenus à réunir toute l’Afrique du Nord et l’Andalousie. Au siècle suivant, cette entité se morcelle. Le Maghreb se répartit entre trois royaumes : les Hafsides (Tunisie, Algérie), les Wadides sur les Hauts Plateaux et les Mérinides au Maroc. Depuis 1237, retranché derrière une barrière montagneuse, le royaume de Grenade résiste aux rois chrétiens. Ces royaumes partagent le même courant musulman, le malékisme. Ils s’unissent dans leur résistance contre l’expansion chrétienne. Dès le XVe siècle, avant même que l’Espagne ne chasse les musulmans du rocher (1492), les Portugais attaquent les côtes africaines.


Grâce aux voies commerciales que les musulmans entretiennent vers l’Afrique Noire, l’islam se répand parmi les tribus africaines. Converti au XIe siècle, le royaume de Mali devient un empire au XIVe siècle. Au siècle suivant apparaît le sultanat de Goa.




L’islam en Inde
Au début du XIIIe siècle, un royaume musulman domine l’Inde du Nord. Il est fondé par un fanatique musulman, véritable tyran et peu scrupuleux de violer la loi coranique. Ce royaume finit par soumettre toute la péninsule. Cependant seul le Cachemire se convertit réellement à l’islam. L’empire décline au siècle suivant. Les hindoues luttent pour se libérer du joug musulman. A la fin du XVe siècle, un fragile équilibre subsiste entre l’islam et l’hindouisme.








Référence

[1] Jean-Pierre Valognes, Vie et mort des chrétiens d’Orient, Fayard, 1994.

lundi 26 janvier 2015

Préserver la Sainte Écriture de toute altération

Selon de nombreuses théories, le christianisme aurait fait l’objet de nombreux changements ou évolution au cours du temps. Les générations y auraient ajouté des éléments nouveaux et auraient supprimé des données anciennes. Les Saintes Écritures, par exemple, auraient été modifiées lors de leurs copies. La tradition orale qui précède l’écrit aurait aussi été défaillante ou aurait volontairement déformé l’histoire originelle. Toutes ces théories s’appuient sur le même principe : rien n’est stable au cours du temps. Elles supposent en particulier l’incapacité de l’homme à préserver une information au cours des générations. Elles ignorent ou négligent donc les soins qu’il peut apporter pour sauvegarder l’intégrité de ce qu’il a reçu et de ce qu’il va transmettre. Elles méprisent aussi toutes les moyens qu’il a mis en place pour contrôler cette intégrité. En un mot, ces théories oublient le caractère sacré des paroles et des textes qui nous ont été transmis.

Mais les faits parlent d’eux-mêmes. Les manuscrits que nous possédons, les plus anciens datant du IIIe siècle avant Jésus-Christ, diffèrent peu de nos versions actuelles. L’intégrité substantielle est en effet préservée. Ce fait indéniable suffirait à démonter toutes ces théories. Néanmoins il nous interroge. Comment la Sainte Écriture a-t-elle pu en effet traverser le temps sans véritable dommage ? Dans cet article, nous allons traiter de la Sainte Bible hébraïque, dite massorétique, et des moyens mis en œuvre pour préserver son intégrité. Nous verrons ainsi qu’ils ne sont guère différents des principes que nous appliquons aujourd'hui pour contrôler l’intégrité de nos messages dans nos systèmes informatiques, intégrité qui nous semble si naturelle.

Rappelons qu’avant la destruction du Temple, en l’an 70, il existait deux principaux "canons" de l’Ancien Testament : le canon alexandrin, qui est le fondement du canon chrétien de l’Ancien Testament, et le canon palestinien. Le premier définit les livres bibliques constituant la Septante. Au Ier siècle, un ensemble de rabbins ont défini et clôturé le canon de la bible hébraïque en usage actuellement dans le judaïsme. Plus tard, du VIIe au XIe siècle, des savants ont fixé les textes définitifs de l’Ancien Testament. Ainsi s’est élaborée la Bible hébraïque.

La langue hébreu ancienne est une langue sémitique. Elle ne note que les consonnes. Des signes ont donc été ajoutés aux lettres pour guider la lecture. Un système plus complexe a ensuite été mis en place pour rendre encore plus lisible le texte hébreu. Des signes ou points voyelles y ont été placés au-dessus ou au-dessous des consonnes, parfois entre les consonnes, indiquant ainsi la prononciation convenable. Une ponctuation y est aussi ajoutée afin d’indiquer la ligne mélodique pour la proclamation chantée dans les synagogues. Des accents sont enfin associés aux mots afin d’indiquer la manière avec laquelle le texte doit être chanté. Ils nous renseignent aussi sur le début et la fin des versets. Les méthodes facilitent ainsi la lecture et la cantillation des textes.

Les savants ne font pas que faciliter la lecture et la cantillation des textes. Ils apportent également des informations lors des copies de textes bibliques. Des notes, intitulées massorètes [1], précisent le sens du texte. Nous distinguons les petites massorètes notes brèves qui indiquent surtout les formes inhabituelles, et les grandes massorètes, plus développées, sortes de concordances de passages qui ont un peu les mêmes anomalies. Lorsqu’une anomalie est rencontrée dans le texte original, quand par exemple un mot est incorrect, les scribes laissent le mot dans le texte mais indiquent dans la marge un mot plus convenable en précisant les consonnes modifiées. Lorsque le sens d’un passage est difficile ou incorrect, ils indiquent comment il doit être compris. Le copiste se refuse de modifier le texte original et apporte des informations en marge de sa copie.

Certes, le copiste peut involontairement modifier des mots et se tromper. Des techniques ont alors été élaborées pour contrôler son travail. Après avoir fini de copier un livre biblique, le scribe fournit par exemple des indications statistiques en fin de texte. Il note par exemple le nombre de mots du document copié ou encore le mot, le verset, la lettre qui se trouvent au centre du livre, voire le nombre de fois qu’une lettre ou une expression particulière est employée dans le texte. Cette statistique plus ou moins développée et précise permet de contrôler le travail du scribe et la fidélité de leur copie par rapport au texte original.

Les scribes s’avèrent en fait très rigoureux et exigeants dans leur travail. Copier un livre saint n’est pas une activité « normale ». Ils sont en effet conscients de l’importance de leur travail et de la nature des textes dont ils ont la responsabilité de transmettre. Certains d’entre eux considèrent que leur salut dépend de la qualité de leur travail. Toute altération est en outre identifiée et notée. Des documents, qui relèvent de la tradition hébraïque, précisent les modifications apportées par les scribes au cours de leur copie. Selon ces documents, elles sont au nombre de huit, onze ou dix-huit pour tout l’Ancien Testament. Les soins qu’ont apportés les scribes et leur contrôle ont ainsi permis de sauvegarder l’intégrité des textes bibliques et de détecter les erreurs.



Cet exemple montre toute l’importance que les scribes apportaient à leurs travaux. La copie d’un texte biblique est accompagnée d’une série de précautions destinées à éviter et à détecter les erreurs, à faciliter la lecture et la compréhension du texte et à tracer toute modification légitime. Nous retrouvons aujourd'hui ce même soin dans les protocoles qui permettent les échanges de nos données informatiques. Tout un dispositif cherche à garantir l’intégrité de nos données. Ce souci légitime et même essentiel était aussi partagé par les scribes de la Sainte Écriture lorsqu'ils devaient copier un texte biblique. 

Cependant, le copiste seul peut-il vraiment préserver et contrôler l’intégrité des textes bibliques ? Nous ne devons pas en effet ignorer le contrôle des écoles, des savants, des prêtres, des croyants qui veillent au maintien de la vérité, surtout en une époque où elles étaient connues par cœur. L’évêque de Chypre Saint Spyridon (270-342) réprimande en public un homme qui avait osé changé un mot dans la Sainte Écriture[2]. La lecture dans les synagogues ou dans les églises est d’une extrême importance. Elle garantit la transmission exacte des paroles de Dieu…

Enfin nous ne pouvons pas non plus oublier la protection divine dans la transmission des vérités révélée. Est-il en effet possible que Dieu, l’auteur véritable de la Sainte Écriture, laisse ses paroles traverser les siècles sans qu’Il veille à leur intégrité alors qu’elles sont essentielles pour notre salut et qu’elles sont censées subsister jusqu’à la fin des temps ? Lorsque Notre Seigneur Jésus-Christ commence à prêcher, nul n’est surpris des versets qu’Il prononce. Les Juifs parlent de la même Bible. Les Apôtres citent sans explication les versets bibliques. La Sainte Écriture a su être préservée jusqu'à son avènement. Et depuis l’ère chrétienne, l’Église assure cette fonction de garant des sources de la foi. L’intégrité biblique est aussi une réalité visible de ce que nous appelons la Tradition. Rappelons que le Nouveau Testament n’a guère évolué depuis deux mille ans en dépit des persécutions, des hérésies et des querelles intestines. Cela tient du miracle… Deo gratias




Références
[1] Le terme de « massorètes » a donné le nom des scribes juifs. Il vient d'un mot hébreu signifiant "tradition". On parle aussi de "mesorah" pour désigner les marques et les notes marginales (lexique, www.seraia.com).
[2] Voir Sozomène, Histoire Ecclésiastique, I, II, cité dans Apologétique, La crédibilité de la Révélation divine transmise aux hommes par Jésus-Christ, Abbé Bernard Lucien, éditions Nuntiavit, 2011.

vendredi 23 janvier 2015

Les Manuscrits de la mer Morte

A la fin du XXe siècle, de nombreux journaux et revues criaient au scandale. Des livres annonçaient la publication d’extraordinaires révélations sur le christianisme. Ils prétendaient remettre en cause l'Église. Le Vatican était accusé d'obstruer la voie de la vérité et de maintenir l'obscurantisme. Plus précisément, ils l'accusaient d'empêcher l'accès aux manuscrits de la mer Morte, sources des précieuses révélations. 
Vieux de plus de 2000 ans, ces manuscrits ont été découverts à partir de 1947 dans les grottes de Qumrân au sud de Jérusalem. On prétendait en effet que ces textes révélaient les véritables origines de notre religion. Notre Seigneur Jésus-Christ aurait fait parti de la communauté des Esséniens d’où serait sorti le christianisme. Aujourd'hui, tout cela s’avère faux et mensonger.
Pourtant des journalistes et des « experts » soulèvent encore des polémiques et annoncent toujours de fabuleuses révélations, que des médias à leur tour diffusent largement et commentent dans une ignorance ahurissante. Mais généralement ces révélations ne sont que des réminiscences d’anciennes théories. Aujourd'hui, les thèses les plus absurdes, largement démenties, n’ont pas encore toutes disparu. Certaines d’entre elles reviennent parfois dans des discours. Elles parasitent des journaux de manière régulière. Les adversaires du christianisme les ressassent également. Les mensonges ne disparaissent jamais. Ils subsistent toujours dans l’opinion. Que savons-nous finalement de ces « révélations » et de ces manuscrits qui ont tant agité l’opinion ?
Découverte d’un véritable trésor

Les manuscrits de la mer Morte désignent l’ensemble des manuscrits qui ont été trouvés dans le désert de Judée. Les manuscrits de Qumrân sont une partie de ce trésor. Regroupés désormais sous le terme de bibliothèque de Qumrân, ils proviennent en grande majorité de onze grottes à proximité de Qumrân, au nord-ouest de la mer Morte à 60 kilomètres au sud de Jérusalem. Certains fragments ont aussi été découverts à Massada. En 1947, et pendant dix ans environ, les recherches ont livré un véritable trésor disséminé dans ces grottes. En 1998, une grande partie des manuscrits ont été publiés.


La Bibliothèque de Qumrân
Le précieux butin comprend huit cents cinquante textes[1] à caractère littéraire, officiel ou juridique, sous forme de fragments ou de véritable manuscrits, plus ou moins abîmés. Leur datation s’échelonne du IIIe siècle avant Jésus-Christ à 70, date de la destruction du Temple. La plupart des manuscrits sont en cuir, une faible minorité sur papyrus.
Il comprend environ deux cents manuscrits des livres bibliques hébraïques, dont beaucoup en plusieurs exemplaires. Tous les livres de l'Ancien Testament sont représentés sauf celui d’Esther. Certains ont été datés du IIIe siècle avant Jésus-Christ[2]. Le manuscrit le plus prestigieux est le rouleau d’Isaïe, long de 7m30, écrit sur des feuilles de cuir. Le texte est complet. Il daterait du IIe siècle avant Jésus-Christ. C’est finalement le livre biblique complet le plus ancien dont nous disposons actuellement.


La bibliothèque de Qumrân contient donc les plus anciens manuscrits de l'Ancien Testament que nous possédons. Nous pouvons alors facilement comprendre tout son intérêt et son importance. La majorité des textes sont écrits en hébreux. Les textes bibliques sont en paléo-hébreux, langue très ancienne utilisée pour leur caractère sacré. Quelques fragments sont en grec, en araméen, en nabatéen et en latin. Certaines versions bibliques sont identiques à la Bible hébraïque, dite massorétique, d’autres proches de la Septante et de la Bible qui était en usage à Samarie. Le butin contient aussi des textes que les Juifs ne reconnaissent pas, notamment les livres de Tobie, de Ben Sera et de Jérémie. Signalons qu’ils sont écrits en hébreux et non pas en grec, ce qui peut surprendre.

Ont aussi été trouvés :
  • des apocryphes et des pseudépigraphes dont certains étaient inconnus : Apocryphe de la Genèse, Livre d’Hénoch, Jubilés, etc. La plupart sont de style apocalyptique ou à contenu eschatologique ;
  • des rouleaux contenant des textes propres à une communauté dite « communauté de l’unité ». C’est un ensemble de règles, de commentaires, de textes exégétiques : Rouleau du Temple, Rouleau des Hymnes d’actions de grâces, Manuel de Discipline, dit aussi Règle de la Communauté, le Rouleau de la Guerre des fils de la lumière contre les fils des ténèbres, les Écrits de Damas[3], les Commentaires d’Habacuc;
  • un mélange de textes traitant de magie, de divination, de physiognomonie ;
  • un rouleau de cuivre fournissant une liste de trésors cachés avec des indications sur leurs lieux de cachette.


Aucun texte du Nouveau Testament n’a été découvert contrairement aux différentes annonces.
Le site de Qumrân



Le nom de Qumrân[4] n’est pas ancien. Il serait postérieur à la conquête arabe. Le site est néanmoins daté du VIIIe siècle avant Jésus-Christ. Des fouilles archéologies entreprises dès 1949 révèlent des constructions rudimentaires, une forteresse, une citerne, un cimetière, un atelier de poterie et une quantité d’objets. Aucun manuscrit n’y a été trouvé. Le site aurait été détruite par les Romains vers 68 puis abandonné.
Selon le dominicain Roland de Vaux[5], les habitants de Qumrân seraient les Esséniens dont parlent Flavius Joseph et Pline l’Ancien. Cette thèse est remise en cause depuis 1970. D'autres hypothèses ont en effet été émises. Qumrân aurait pu être un simple site agricole, une fabrique de poterie ou une forteresse. L’existence des Esséniens est même remise en cause.
Origine des manuscrits
D'où viennent ces manuscrits ? Deux hypothèses sont émises. Selon la thèse la plus communément admise, l’ensemble des documents viendraient d’une communauté hébreu, celle des Esséniens, qui se trouvaient dans les grottes. Elle se fonde sur l’idée que les occupants des grottes proviennent de Qumrân, considéré autrefois comme le centre de la communauté essénienne[6]. Selon une autre thèse, ils viendraient du Temple de Jérusalem. Les Juifs auraient cachés leur bibliothèque dans les grottes avant l’arrivée des Romains. Il n’est pas insensé de croire aussi à une double origine des manuscrits. Aujourd'hui, l’origine des manuscrits et des fragments reste incertaine.
Nous allons plutôt nous concentrer sur la communauté essénienne. Il n’est pas rare en effet d’entendre que le christianisme viendrait des Esséniens. Contrairement à ce que nous pouvons entendre, non seulement cette thèse n’est pas récente mais les manuscrits de la mer Morte ne le confirment pas. Cette thèse date en effet du XVIIIe siècle. Elle prend surtout de l’importance au XIXe siècle quand Ernest Renan définit le rôle de cette communauté dans le développement du messianisme et dans la conception du Royaume de Dieu : « le christianisme est un essénisme qui a largement réussi ». Au début du XXe siècle [7], des thèses prétendent que Notre Seigneur Jésus-Christ ou Saint Jean-Baptiste seraient des Esséniens. Elles seront reprises dans les années 50[8]. « Il est certain que le christianisme primitif s'enracine dans la communauté essénienne dont il subit l'influence et auquel il emprunte un certain nombre de termes et de concepts, des structures communautaires et des schémas théologiques. »[9]
Tout cela n’est pas sérieux. Certains auteurs se sont depuis rétractés. Les faits ont démenti ces affabulations. Aucun texte du Nouveau Testament n’a été découvert dans les grottes. Aucun personnage du Nouveau Testament n’est mentionné dans les manuscrits. La majorité des textes date du IIe siècle avant Jésus-Christ. Sur quels critères ces thèses se fondent-elles alors ? Avant de les décrire, nous allons rappeler quelques points sur Qumrân et les manuscrits. Revenons en effet aux faits…
Qumrân, une redécouverte
Poteries qui contenaient les manuscrits 
La communauté des Esséniens n’a pas été découverte à partir des manuscrits de Qumrân. Ces découvertes n’ont pas non plus surpris les experts. Ce n’est pas en effet la première fois que de tels manuscrits ont été trouvés dans les grottes. Origène mentionne déjà une telle découverte. Dans un écrit daté entre 795 et 823, un patriarche syriaque Timothée mentionne aussi la découverte de manuscrits près des grottes[10]. Des auteurs anciens mentionnent aussi la présence d’une communauté dans les grottes de Qumrân : Eusèbe de Césarée[11], Épiphane de Salamine. Un écrivain juif Qirqisâni, auteur d'une histoire des sectes juives, datée de 937, parle des « gens de la grotte »[12]. Des auteurs païens ont aussi mentionné l’existence de cette communauté dans une région qu’on a identifiée comme étant proche des grottes de Qumrân. Selon Philon d’Alexandrie, Pline l’Ancien et surtout Flavius Josèphe, une communauté de cénobites vivaient au nord-ouest des rives de la mer Morte. C’est pourquoi la thèse d’une origine essénienne a rapidement été émise. Il est vrai aussi que la doctrine contenue dans les manuscrits de Qumrân présentent de grandes similitudes avec celle des Esséniens telle qu’elle est décrite par les auteurs anciens.
Leçons des manuscrits
Que nous apprennent ces manuscrits vieux de plus de deux mille ans ? Ils témoignent de l’existence d’une communauté de haute spiritualité, à fort caractère dualiste et d’une stricte obéissance à la Loi biblique. Elle s’est probablement isolée dans le désert afin de mieux l’étudier et la suivre. Elle est régie par des règles très sévères et par des sanctions en cas d’infractions. Sa doctrine est centrée sur la lutte entre les fils de Lumière, dont elle fait partie, et les fils des Ténèbres. Dans une ultime guerre, Dieu remportera la victoire.
Les manuscrits mentionnent en particulier deux personnages : le Maître de la Justice et l’Homme du Mensonge, parfois identifié avec un autre personnage, le Prêtre impie. D'abord honnête, ce dernier est devenu impie et a poursuivi le Maître de la Justice. Après avoir souillé le Temple, il a péri.
Règle de la communauté
Les Écrits de Damas[13] relatent l’histoire d’un groupe de fidèles à qui Dieu a suscité un guide, le Maître de la Justice. Il est présenté comme l’envoyé de Dieu pour sauver le reste d’Israël et le conduire sur le « chemin de son cœur »[14]. Le Maître de Justice a établi une Nouvelle Alliance régie par des codes très stricts. Il a aussi reçu la révélation des mystères cachés dans les Saintes Écritures afin de les transmettre à son tour à ses disciples. Ces mystères concernent « la fin des temps » et « l’ordre des temps », c’est-à-dire le plan de Dieu pour le monde.

Dans le Commentaire d’Habacuc, le Maître de la Justice est aux prises du Maître du Mensonge. Le monde est l’objet d’une lutte entre deux esprits, celui de la Lumière et celui des Ténèbres. La fin des temps s’achèvera par la victoire de la Lumière contre les Ténèbres. Le Rouleau de la guerre décrit ce dernier combat. Les membres de la communauté, les élus, doivent alors s’y préparer.
Des hymnes chantent le Maître de Justice à l’origine de la communauté. Il est considéré comme le père d’une nouvelle alliance, le « père des hommes de la grâce ». Il est aussi le Persécuté, la cible des forces du mal. Il doit se réfugier sur la « Terre de Damas » où il a été mis à mort. La communauté chante son avènement.
Selon certains commentateurs, le Maître de la Justice serait un personnage historique qui aurait dirigé une nouvelle communauté après s’être réfugiée près de Qumrân. Il en aurait défini les règles et aurait ensuite connu une fin tragique, victime du Prêtre impie. Selon une thèse assez partagée[15], le Maître de Justice aurait été un grand-prêtre du Temple qu’aurait chassé Jonathan Macchabée. Ce dernier serait alors le Prêtre impie. Le conflit entre ces deux personnages aurait eu lieu vers 152 avant Jésus-Christ. Jonathan est le premier grand prêtre à ne pas descendre directement d’Aaron et de Sadoc dont sont issus les grands prêtres du Temple depuis le grand roi David. Fidèle à ce précepte, une communauté orthodoxe aurait alors refusé cette nomination et aurait décidé de se réfugier dans le désert. Il se peut que le titre de Maître de la Justice ait été appliqué aux successeurs du premier chef.
La communauté de Qumrân
Les manuscrits nous dévoilent la vie d’une communauté très hiérarchisée. Elle est dirigée par un groupe de prêtres, « les fils de Sadoq », qui se prétendent être les véritables possesseurs du sacerdoce lévitique. Le Maître de Justice en est le chef. L’entrée dans la communauté est précédée d’une année de postulat et de deux années de noviciat.
La communauté suit des règles très sévères et austères, très monacales. Ses membres étudient la Loi, prennent leur repas en commun, prient ensemble. Tous les biens sont en commun. Ils doivent exercer entre eux une charité sans faille. Leur comportement est aussi étroitement surveillé. Une infraction aux règles conduit à des sanctions, voire à l’exclusion de la communauté. Les règles sont très centrées sur la pureté légale telle qu’elle est définie dans l’Ancien Testament. Car les membres doivent toujours être prêts à offrir un sacrifice à Dieu. Or le seul sacrifice légitime n’est possible que dans le Temple à Jérusalem, dans des immolations et des holocaustes. La communauté les a alors remplacés par « l’offrande des lèvres », un culte très spiritualisé dans lequel les hymnes et les psaumes prennent beaucoup d’importance. Il est à noter que la communauté utilise un calendrier propre différent de celui du judaïsme en cours. Elle a ses propres fêtes.
Leur doctrine est marquée de messianisme et d’ésotérisme. Elle a sans-doute été influencée par le pythagorisme et par le dualisme iranien. Ses membres prétendent détenir des secrets. Leur angélologie est très développée.
Qumrân et le christianisme
Parfois, cette communauté est considérée comme étant libérale et réformiste du judaïsme, c’est-à-dire comme la phase intermédiaire entre le judaïsme et le christianisme. Mais la vérité est toute autre. Cette hypothèse est un contre-sens historique. La communauté est plutôt marquée de rigorisme, de pureté et d’un certain ésotérisme.
Certains commentateurs ont identifié dans les manuscrits de Qumrân plusieurs similitudes avec le christianisme dans le vocabulaire et dans les pratiques rituelles et communautaires. Nous pouvons en effet trouver des termes communs comme « Esprit Saint », « Lumière et Ténèbres », « Voie », ou « Béatitudes ». La communauté de Qumrân pratique aussi la bénédiction du pain et du vin qui ressemble fort à la Cène, l’ablution qui est souvent comparée au baptême, la communauté des biens et la charité, autres éléments forts du christianisme… Le culte spirituel qu’elle défend semble faire croire à un progrès et à une évolution vers le christianisme. Enfin des scènes des Évangiles ressemblent à des passages de certains manuscrits de Qumrân[16]. L’Apocryphe de la Genèse relate une scène qui évoque celle de l’Annonciation que décrit l’Évangile selon Saint Luc.
Forts de telles similitudes, certains n’hésitent pas à présenter Notre Seigneur Jésus-Christ soit comme un Essénien, soit comme un homme sans originalité qui aurait puisé ses idées dans cette communauté. Mais forcer les analogies, c’est finir par ne plus distinguer la communauté de Qumrân et le christianisme. C’est oublier aussi la nature des « vérités historiques ». Ce ne sont finalement que des hypothèses parfois fragiles. Hier, la thèse d’une origine essénienne du christianisme prévalait. Aujourd'hui, elle n’est plus d’actualité, l’existence des esséniens étant elle-même remise en cause.
Toutes ces hypothèses sont cependant bien faibles pour suggérer une relation entre la communauté de Qumrân et le christianisme. Les similitudes ne sont qu’apparence ou superficialité. L’ablution que pratique la communauté n’est qu’un rite de purification quotidien auquel elle est très attachée. N'oublions pas que « la recherche de la pureté était inhérente à tout courant de pensée de la Palestine gréco-romaine »[21]. Or cette préoccupation de pureté rituelle est absente dans le christianisme. Elle y est même combattue par Notre Seigneur Jésus-Christ. Nous sommes aussi très loin de l’idée d’un sacrement et du baptême. Certains auteurs n’hésitent pas pourtant à parler de baptême sans apporter aucune précision. La bénédiction du pain et du vin était aussi un rite en usage chez les Juifs. Notre Seigneur n’a rien inventé en bénissant le pain et le vin à la Cène mais Il lui a donné une autre fonction, une autre réalité, un autre sens. Autrefois rituel dans le judaïsme, il est sacrement dans le christianisme. Entre les mêmes gestes,  un véritable abîme…
Parlons maintenant du culte spirituel de la communauté, que certains supposent comme un pas vers le christianisme. Il faut rappeler que dans le judaïsme, il n’existe qu’un seul culte, qu’un seul sacrifice, celui du Temple. Or si effectivement elle s’était réfugiée dans le désert pour protester contre Jonathan Macchabée le « prêtre impie », la communauté se serait alors coupée du Temple. Elle aurait alors substitué le culte sacrificiel par un culte spirituel. Car la communauté s’identifie au Temple[17]. Elle s’est renfermée dans cette identification.
La charité de la communauté était-elle la même que celle du christianisme ? Elle n’était en fait valable qu’entre les membres de la communauté. Ils vouent par ailleurs une haine aux fils de la perdition et n’ont aucune idée du pardon. Quant à la similitude du vocabulaire, faut-il s’en étonner ? Cela peut simplement signifier qu’à leur époque, il était en usage. Les premiers chrétiens ont aussi vécu dans le même cadre historique et culturel.
Enfin, la communauté de Qumrân partage avec les chrétiens la croyance en l’imminence de la fin des temps. Cette croyance est assez particulière. Selon la doctrine essénienne, le début du temps eschatologique est marqué par l’arrivée d’un prophète et de deux messies, un messie-prêtre et un messie-roi. Le premier messie a pour mission d’enseigner et d’expier. Le second se voit attribuer la justice et la guerre. La fin des temps est marquée par une guerre entre les fils des Ténèbres et les fils des Lumières. Cela n’est guère surprenant. Depuis le IIe siècle avant Jésus-Christ, un courant apocalyptique se développe en Palestine. La population est divisée, en proie aux doutes. Elle doit supporter les guerres, l’humiliation et la domination romaine.
Le mystère des manuscrits
Dans les années 90, les manuscrits de Qumrân ont fait l’objet d’une polémique, du « scandale académique du XX siècle »[18], aujourd'hui peut-être oubliés. Découverts de 1947 à 1956, ils auraient dû être publiés rapidement. Une équipe d’experts internationaux avait été mise en place pour cela. Or, en 1991, très peu de manuscrits avaient été publiés. Le Vatican a même été accusé de rétention. Les manuscrits remettraient en cause les origines du christianisme ! Quelques ouvrages ont en effet fait la une des journaux en annonçant des révélations spectaculaires. Certains journalistes[19] n’hésitent pas à évoquer un complot du Vatican pour empêcher leur divulgation. L’un d’entre eux a dû se rétracter et dénoncer ces affirmations.
La lenteur des publications s’explique naturellement : équipe sous-dimensionnée pour la tâche, volonté d’associer à chaque texte des commentaires qui ne finissaient jamais, décès de certains acteurs, problèmes politiques[20], relations personnelles, etc. Finalement, en 1998, la plupart des manuscrits ont été publiés sans perturber l’histoire et la foi. Le dernier texte a été rendu public en 2002.

Du point de vue apologétique, la découverte de Qumrân est précieuse. Les manuscrits ont en effet démenti les hypothèses de Renan et celles de bien d’autres affabulateurs, convaincus de leur science. Ils soulèvent aussi quelques questions intéressantes, notamment la présence de textes que les chrétiens déclarent comme canoniques alors que les Juifs les ont exclus de leur Bible. En outre, ces livres sont écrits en araméens, voire en hébreu, et non en grec. Certains Juifs palestiniens les considéraient-ils comme d’origine divine avant l’ère chrétienne ? L’âge de ces textes est aussi précieux. Ce sont les manuscrits bibliques les plus anciens dont nous disposons. Or les différences avec les versions bibliques que nous possédons aujourd'hui sont peu nombreuses. L’intégrité substantielle de la Sainte Bible est encore vérifiée. 
Ainsi contrairement à ce que dit une certaine presse à sensation, les découvertes archéologiques ne remettent pas en cause le christianisme. Au contraire, elles le consolident tout en fragilisant les thèses qui en attaquent les fondements. Ainsi faut-il connaître cette histoire de Qumrân pour riposter aux mensonges et combattre l’ignorance…




Références
[1] La plupart des manuscrits découverts se trouvent en Israël.
[2] Un fragment du livre de Samuel serait le plus ancien.
[3] Un fragment des Écrits de Damas avait été déjà découvert dans le Guénizah de la synagogue du Vieux Caire en 1896.Voir Entretien avec André Paul : autour de Qumrân et les Esséniens, Actu Philosophia, 11 avril 2009.
[4] Son nom serait d’origine arabe. Il serait en effet dérivé du mot arabe « qamare » qui signifie « lune ».
[5] Père Roland de Vaux, dominicain, directeur de l’École biblique et archéologique française de Jérusalem. Il entreprend les fouilles de Qumrân à partir de 1949.
[6] En 1997, sur l’un des murs d’enceinte aurait été découvert un terme particulier qui se retrouve dans l’un des manuscrits de Qumrân .Voir wikipédia, article Manuscrits de Qumrân, 16 juillet 2008, visité le 25 novembre 2014.
[7] Edouard Schuré, Les grands initiés (Esquisse de l’Histoire secrète des religions), 1921, pp. 469-486.
[8] Thèses de Jacob Teicher, de John Allegro, de B. Thiering et Eisenman.
[9] Ursula Schattner-Rieser, Les manuscrits de la Mer Morte et la Bible de la variété littéraire au texte normatif.
[10] Dossier de presse de l’exposition Le secret des manuscrits de la mer Morte, Qumrân, Bnf, 13 avril – 10 juillet 2010, bnf.fr.
[11] Voir Eusèbe de Césarée, Histoire ecclésiastique, VI, 16.
[12] Voir Les manuscrits de la Mer Morte et la Bible de la variété littéraire au texte normatif d’U. Schattner-Rieser.
[13] Ce document a aussi été découvert au XIXe siècle dans la Genizah du Caire.
[14] Écrit de Damas, CD I 11, cité dans Les Manuscrits de la Mer Morte, Aimé Fuchs.
[15] Thèse émise d’abord par l’abbé Émile Puech, directeur de l’École Biblique de Jérusalem, chercheur au CNRS.
[16] Fitzmayer est le premier à les avoir identifiés.
[17] Maryel Taillot, Synthèse de l’intervention de Claude Cohen-Matlofsky, Qumrân et les manuscrits de la mer Morte : Recherche sur la mystique dans l’Antiquité, Collège des Bernardins, séminaire 2012-2013, séance du 17 janvier 2013.
[18] Geza Vermès, « Après 54 ans d’attente, les manuscrits de la mer Morte sont enfin édités », Le Monde, 26 décembre 2001.
[19] Deux journalistes américains Michael Baigent et Richard Leigh, The Dead Sea Scrolls Deception, publié aussi sous le titre de Le livre qui fait trembler le Vatican ;  A. Silberman, La guerre des rouleaux de la Mer morte. Ils reprennent les thèses de Edmund Wilson (1955) et de John Allegro.
[20] Qumrân est un lieu d’affrontement au cours des différents conflits de la région (guerre des six jours).
[21] Maryel Taillot, Synthèse de l’intervention de Claude Cohen-Matlofsky, Qumrân et les manuscrits de la mer Morte : Recherche sur la mystique dans l’Antiquité.

lundi 19 janvier 2015

La Sainte Écriture : intégrité et variance dans le temps. L'apport des critiques textuelles.

Codex de Saint-Pétersbourg
Dans un précédent article[1], nous avons évoqué de manière générale les manuscrits bibliques et leur datation. Nous avons pu montrer combien ils pouvaient être intéressants dans la défense de la foi et de la vérité. Leur étude permet notamment de confirmer qu’en dépit de son vieil âge, la Sainte Écriture a été conservée intacte dans son intégralité, une intégralité dite substantielle. Les modifications qu’elle a subies restent en effet mineures et n’affectent pas les vérités qu’elle révèle.

L’intégrité de la Sainte Écriture est donc un fait indéniable. En un mot, il n’y a pas eu de manipulation, de falsification ou de négligence dans la transmission des textes bibliques. Cette réalité dûment constatée nous prouve au-delà de toutes les théories que l’homme est capable de transmettre un écrit avec tout le soin nécessaire pour le préserver de toute erreur et déformation[2]. Elle peut en effet s’expliquer par le soin qu’ont mis les scribes à copier ce qui leur tenait le plus à cœur. Aujourd’hui, dans une société où le sens du sacré a généralement disparu, où tout est consommable, nous avons bien des difficultés à saisir le prix qu’ils attachaient à transmettre la Parole de Dieu sans l’altérer. Il n’y a pas en effet de Tradition sans cette fidélité rigoureuse de la transmission et sans la grâce divine pour la garantir.

Ce fait a aussi l’avantage de nous présenter une œuvre qui n’a pas évolué au bout de plus de trois mille ans. Quel plus beau contre-exemple à présenter contre toutes ces philosophies et idéologies qui ne cessent de voire le monde et la vie sous l’aspect de l’évolution et du changement ? Cette intégrité est un don de Dieu.

Intégrité et uniformité des manuscrits

Porphyre et bien d’autres auteurs antichrétiens ont souligné les différences et les contradictions qui existent entre les textes du Nouveau Testament pour discréditer le christianisme. Cette objection ne peut en effet être ignorée. Pourtant elle n’affecte pas l’intégralité du dépôt sacré.

En effet, il ne faut pas confondre l’intégrité du dépôt sacré et l'harmonisation des textes. L’une concerne la transmission exacte d’un texte au cours des âges, l’autre la réception d’un texte dans le dépôt et sa cohérence avec les autres textes. Les différentes versions des évangélistes ne remettent donc pas en cause l’intégrité du dépôt sacré. Au contraire, comme le notait déjà Saint Jérôme, une harmonisation entre les Évangiles est un signe évident de manipulation. Certains copistes ont en effet essayé de gommer les différences entre les textes. 

Les recensions bibliques

L’intégrité des textes n’est pas parfaite ou absolu. Les différents manuscrits que nous possédons présentent en effet des différences. Mais soulignons le fait : si ces modifications créent une certaine diversité des manuscrits, elles n’affectent pas le sens des textes.

La conversion de Saint Paul
Caravage
Prenons par exemple une des grandes différences connues entre deux manuscrits anciens des Actes des Apôtres relatant la conversion de Saint Paul (IX, 4-5). 
Dans la recension dite occidentale longue, nous pouvons lire les versets suivants : « Tombé par terre, au milieu d’une grande extase, il entendit qu’une voix lui disait : Saoul, Saoul, pourquoi me persécutes-tu ? Tu t’entêtes à ruer contre l’aiguillon. » Il dit : « Qui êtes-vous, Seigneur ? » Et le Seigneur, s’adressant à lui : Je suis Nazareth, moi, que toi tu persécutes. » Et lui, tremblant et stupéfié de l’événement à lui survenu, dit : « Seigneur, que voulez-vous que je fasse ? » Et le Seigneur s’adressant à lui : « […] Lève-toi et entre dans la ville, et là, il te sera annoncé tout ce qu’il faut que tu fasses. » 
Dans la version traditionnellement retenue, plus concise, nous avons : « Tombé par terre, il entendit qu’une voix lui disait : Saoul, Saoul, pourquoi me persécutes-tu ?Il dit : « Qui êtes-vous, Seigneur ? » Et lui : « Je suis Jésus, moi, que toi tu persécutes. Allons, lève-toi et entre dans la ville, et il te sera annoncé tout ce qu’il faut que tu fasses. »[3] Le premier extrait est certes plus détaillé et descriptif sans pourtant apporter de nouveauté substantielle.

L’étude critique des manuscrits permet de les rassembler en familles ou recensions selon leurs caractéristiques. Elles sont classiquement identifiées par une lettre. Aujourd'hui sont identifiés cinq grandes familles de haute valeur : le texte occidental (recension D), le texte de type Vaticanus et Sinaïticus (recension B et N), le texte antiochien ou syro-byzantin (recension K), le texte alexandrin, le texte césarien (recension C).

La critique textuelle

La critique textuelle n’est pas la critique du texte, c’est-à-dire du contenu. « Le ressort de toute critique textuelle […] est la quête de l’original : aujourd’hui on dira plus prudemment la restitution de la forme du texte la plus proche possible de l’original »[4]. Elle identifie les erreurs et les rajouts dans les textes provenant des copistes et les en retire afin de revenir aux textes originaux. Elle évalue également la valeur d’un manuscrit quant à la conservation de l’original. Il identifie aussi les liens entre les différents manuscrits d’un même texte. Elle tente finalement de découvrir la genèse d’un document et de proposer des hypothèses en vue de reconstituer le texte primitif.

La critique textuelle n’a pas uniquement pour objet les manuscrits bibliques. Néanmoins, depuis le XIXe siècle, elle a pris une importance non négligeable dans l’étude de la Sainte Écriture et dans la rédaction des versions bibliques.


Pour identifier les erreurs et les rajouts dans un texte, la critique textuelle se base sur des critères plus ou moins admis par les spécialistes. Comme nous l’avons vu précédemment, l’harmonisation des évangiles en est un. Nous pouvons aussi citer le développement d’une scène comme ou au contraire la simplification des phrases (absence de répétitions, d’amplification) comme dans notre exemple précédent, l’élégance du style, l’élimination de sémitisme, etc. Ces critères permettent d’identifier l’intervention des copistes.

Les variances dans les manuscrits

Les critiques distinguent deux types de variantes :
  • les variantes involontaires courantes : répétition ou omission de lettres, de syllabes de mots, confusion de lettres ou de sons, erreurs de lecture de manuscrits plus anciens[5], etc. ;
  • les variantes volontaires : élimination de sémitismes, changement dans l’ordre des mots, recherche d’harmonisation, accord entre une citation libre de l’Ancien Testament avec le texte grec, remaniement de passages difficiles, suppression de mots choquants, etc.
Prenons un exemple de variance. Dans l’Épître de Saint Jacques, nous trouvons dans la Vulgate le verset suivant : « Bienheureux l’homme qui souffre patiemment la tentation, parce qu’après avoir été éprouvé, il recevra la couronne de vie, que Dieu a promise à ceux qui l’aiment. »(Jacq., I, 12). Nous trouvons dans les manuscrits l’expression « Dieu a promise » mais aussi les suivantes : « qu’il a promise », « que [le] Seigneur a promise » ou encore que « que Dieu qui ne ment pas a promise ». Nous pouvons émettre l’hypothèse que le copiste a remplacé Dieu par « il » ou au contraire il a cherché à expliciter « il ».  Implicitation ou explicitation ?

Les critiques internes et externes

La critique textuelle recherche la meilleure leçon selon deux types de critiques : internes et externes. La critique externe travaille sur des éléments extérieurs au texte lui-même : témoignage (quantité, qualité), manuscrits plus récents contenant le texte en question, citations des Pères de l’Église, etc. La critique interne étudie le texte en lui-même et lui applique des principes. Elle préfère  la leçon la plus difficile sans accepter de leçon absurde, une leçon qui n’harmonise pas, la leçon la plus brève et aussi la moins soignée, la leçon qui correspond au mieux au style de l’écrivain, la leçon qui s’accorde le mieux avec le contexte, etc.

La critique textuelle doit rechercher l’harmonisation entre les critiques externes et internes dans sa recherche de texte primitif, ce qui n’est pas toujours le cas.

Retour aux critères externes

Des éléments extérieurs au texte permettent donc d’évaluer la valeur des manuscrits et de proposer un texte plus proche de l'original. Parmi les méthodes, nous pouvons citer la comparaison avec les citations plus anciennes des Pères de l’Église. Un effort a été entrepris pour mieux les connaître et les recenser. Un autre élément extérieur : le lectionnaire, c’est-à-dire les extraits de la Sainte Bible en usage dans les liturgies. Enfin troisième apport non négligé : les versions bibliques traduites, plus nombreuses, voire plus anciennes que les manuscrites copiés que nous possédons. Selon Lagrange, « les traducteurs, les plus anciens surtout, s’attachaient plus au sens qu’aux mots. »[6]

Parmi les versions traduites, mentionnons le codex syro-sinaïtique, daté du IV-Ve siècle, de langue araméenne occidentale. C’est un palimpseste qui contient les quatre évangiles dans l’ordre traditionnel avec quelques lacunes. 

La Peshitta est une version traduite en syriaque du Ve siècle. Nous en disposons environ 250 dont une douzaine datent des Ve et VIe siècle. 

Les versions latines, dites « Vieilles latines », sont surtout connues à partir des citations patristiques. Elles ont été constituées aux IIe et IIIe siècle. Traduites du grec, elles se caractérisent par une grande fidélité de la traduction d’où parfois des problèmes de sens. Certains manuscrits dont nous disposons datent du IVe siècle. Selon les hypothèses communes, il semble que les versions syriaques et latines proviendraient du texte grec dont témoigne le codex de Bèze. 

Le codex de Bèze[7] est daté du IVe-Ve siècle. Il contient les Évangiles et les Actes des Apôtres. Il est bilingue grec - latin. Il est considéré comme un témoin de première valeur du texte primitif. 

La Vulgate de Saint Jérôme semble utiliser des codex grecs plus anciens que ceux du II-IVe siècle. Saint Jérôme a travaillé à partir des codex de la recension B et parfois celle de Césarée.

A la recherche du meilleur texte : référence, éclectisme et stemmatique

Pour restituer l’état du texte primitif, la critique textuelle utilise l’une des trois méthodes suivantes.

Analyse stemmatique
La première méthode consiste à choisir parmi les manuscrits disponibles le texte de référence, c’est-à-dire le manuscrit estimé le plus proche du texte primitif. Les autres manuscrits lui sont alors comparés en vue d’identifier et d’éliminer les erreurs et autres corruptions selon les critères que nous avons évoqués. C’est à partir de cette méthode dite de l’édition de référence que la Bible d’Érasme a été écrite.

La deuxième méthode, appelée éclectisme, est d’examiner un grand nombre de manuscrits pour choisir la meilleure variante. Lorsque les spécialistes donnent plus d’importance aux critiques internes, nous parlons d’éclectisme raisonné. C’est généralement le cas. Dans le cas contraire, c’est-à-dire lorsque la critique externe est privilégiée, l’éclectisme est dit radical.

Enfin la dernière méthode est la stemmatique. Elle regroupe les manuscrits selon le principe suivant : « une communauté d’erreurs implique une communauté d’origine ». Il s’agit alors de retrouver le manuscrit à l’origine de cette « communauté », l’hyparchetype. La méthode établit alors une sorte d’arbre généalogique ( « stemma codicum »). La deuxième étape consiste à déterminer l’archétype, c’est-à-dire le meilleur des hyparchetypes. La dernière étape consiste à corriger l’archétype. C’est par cette méthode qu’ont été définies les différentes recensions antiochiennes, alexandrine, etc.

Les difficultés de la critique textuelle

Une des difficultés de la dernière méthode est le choix de l’archétype. Il ne fait pas généralement l’unanimité entre les différents spécialistes. Certains privilégient la recension antiochienne car elle est majoritaire dans les manuscrits. Elle a ainsi régné pendant longtemps sous le nom de texte reçu. D’autres préfèrent la recension alexandrine car elle est plus ancienne. Enfin, la recension de Césarée a aussi des préférences car elle est notamment plus présente chez les premiers Pères de l’Église. La difficulté est effectivement de déterminer le critère de choix. Le nombre de manuscrits découverts pourrait indiquer l’importance de leur diffusion et donc leur autorité. Leur autorité pourrait aussi se manifester par les références patristiques ou par leur usage ancien dans la liturgie. Un autre critère serait l’âge, considérant que les plus vieux sont les plus proches du texte primitif. Cela présuppose le rôle déterminant du « silence » : si aucun manuscrit d’une recension n’est daté avant une période, c’est qu’il n’existait pas avant cette période. Quelle est la meilleure hypothèse ? Multiplicité, référence ou antiquité ?

La critique textuelle est assez subjective dans les critères, les règles et dans les méthodes. Elle rencontre aussi de nombreuses difficultés qu’elle ne peut surmonter que par des suppositions, certes raisonnables mais aussi contestables. La prétention de vouloir restituer les textes bibliques primitifs est assurément trop ambitieuse, vouée à l’échec. Par ailleurs, est-ce vraiment utile ? Il est vrai que quelques passages au nombre très réduit et bien répertoriés posent de réelles difficultés. Il est vrai aussi qu’ils ne touchent pas à la foi.

Cependant la critique textuelle permet d’expliquer certaines erreurs de copistes, quelques variances entre les manuscrits et de les relativiser. Ainsi il est intéressant et utile d’avoir une Sainte Bible avec des notes qui précisent l’origine de la version des textes bibliques et les différentes variantes les plus importantes pour nous aider à les lire et à les comprendre.

Dans sa recherche, la critique textuelle a compris qu’elle ne pouvait pas négliger les Pères de l’Église et l’usage de l’Église, notamment dans la liturgie, bref la Tradition. Ce sont des éléments capitaux pour établir l’autorité d’un texte. De nouveau, nous constatons que la Sainte Bible ne se suffit pas elle-seule, notamment par des critères internes. La Sainte Écriture suppose la Tradition. Elle nécessite l’Église. Nous sommes donc loin de l’idée d’une Écriture comme seule et unique source de notre foi. La fidélité aux textes originaux est d’autant plus assurée que nous sommes bien fidèles à la Tradition.

Enfin, pour conclure, revenons à l’intégrité des textes bibliques. Les fragments et les manuscrits anciens que nous possédons ne différent guère des versions bibliques actuelles. Nos textes concordent aussi avec les citations des Pères. « En ce début du IIe siècle, la tradition-transmission orale est encore indubitablement concrètement exercée avec ses caractéristiques de fidélité bien assurée, même si elle est moins nécessairement littérale dans certains genres littéraires. »[8]. Tel est le fait observable et indéniable que les traces du passé ne cessent de confirmer. Certes, elles ne sont pas absolument identiques mais l’intégrité substantielle est préservée. Les méthodes mises en place depuis plus d’un siècle permettent d’identifier les modifications et de les expliquer.






Réferences
[1] Émeraude, janvier 2015, article Les manuscrits bibliques.
[2] Un exemple de pratiques permettant de garantir l’intégrité d’un texte biblique sera présenté dans un prochain article.
[3] Cité par Apologétique, La crédibilité de la Révélation divine transmise aux hommes par Jésus-Christ, Abbé Bernard Lucien, éditions Nuntiavit, 2011.
[4] Philippe Hugo, Les deux visages d’Elie, Texte massorétique et septante dans l’histoire la plus ancienne du texte de 1.Rois 17-18, Academic Press Fribourg, Orbis Biblicus et Orientalis 217, 2006. Définition tirée de « History, Textual Criticism » de E. J. Kenney, Encyclopaedia Britannica, Macropaedia, vol. 20, Chicago, 1990.
[5] Les textes anciens ne connaissaient ni la ponctuation ni l’intervalle entre les mots.
[6] Lagrange, Introduction à l’étude du Nouveau Testament, I. Histoire ancienne du canon du Nouveau Testament, Lecoffre, 1933.
[7] Appelé aussi Cantabrigiensis D.05.
[8] Abbé Bernard Lucien, Apologétique, La crédibilité de la Révélation divine transmise aux hommes par Jésus-Christ.