" La pierre précieuse, voire de grand prix aux yeux de certains, qu'est l'émeraude, se voit insultée par un morceau de verre habilement truqué, s'il ne se rencontre personne qui soit capable de procéder à un examen et de démasquer la faute. Et lorsque de l'airain a été mêlé à l'argent, qui donc, s'il n'est connaisseur, pourra aisément le vérifier ? "(Saint Irénée, Contre les hérésies)


samedi 23 octobre 2021

L'enseignement des apôtres sur la mort : constance et fidélité

Dans notre monde où tout semble évoluer et se transformer, où tout n’est que révolution et agitation, il est difficile pour l’homme moderne de concevoir ou d’accepter l’idée qu’après la mort, l’homme est destiné à un état définitif et immuable, c’est-à-dire à une vie éternelle ou à des tourments sans fin. Il ne peut guère en effet accepter que sa liberté puisse l’engager pour l’éternité, même s’il admet que cette même liberté n’a pas de prix. Or, l’Église enseigne qu’après la mort, l’âme devra rendre des comptes à Dieu des œuvres qu’elle a réalisées et que selon son jugement, un jugement sans recours ni appel, elle vivra un véritable bonheur ou une éternité de souffrances implacables, puis qu’à la fin des temps, les bons et les méchants ressusciteront pour jouir de la vie éternelle ou des tourments sans fin. Et cet enseignement, si clair et affirmé, est au cœur de la foi chrétienne

« Ne vous en étonnez pas parce que vient l’heure où tous ceux qui sont dans les sépulcres entendront la voix du Fils de Dieu, et en sortiront, ceux qui auront fait le bien, pour ressusciter à la vie ; mais ceux qui auront fait le mal pour ressusciter à leur condamnation. »(Jean, V, 28-29)

Aujourd’hui, nombreux sont ceux qui rejettent cette doctrine. Ils préfèrent ne pas songer à la mort et vivre comme si leurs actes ici-bas ne leur étaient pas comptés. Comment pourraient-ils en effet jouir pleinement de leurs péchés s’ils devaient en assumer les conséquences ? Mais si leur regard est tourné uniquement vers leur corps et les biens terrestres, comment pourraient-ils penser à autre chose qu’à leur tombe ? Le temps qui leur reste à vivre apparaît alors d’une platitude sinistre… Mais qui pourraient les blâmer ? Devant des médias avides de scandales, des autorités ecclésiastiques n’hésitent pas à relativiser la doctrine de l’Église sur l’enfer et le paradis, voire à la remettre en cause, sans-doute pour être plus ouverts et agréables au monde. Ils livrent ouvertement leurs opinions hasardeuses et toutes personnelles, aussi fausses que dangereuses, comme si elles étaient partagées et désormais admissibles. La naïveté des chrétiens qui rêvent d’un enfer vide et d’un paradis accueillant toute l’humanité est aussi nuisible que ridicule…

Pourtant, l’enseignement de Notre Seigneur Jésus-Christ est suffisamment clair pour que nous comprenions ses paroles et agissions en conséquence. Nous ne pouvons pas ne pas entendre ses avertissements répétés sur ce qui nous attend après la mort. Il ne cesse de nous demander de veiller et d’être vigilants jusqu’au bout. Après son Ascension, ses apôtres ont bien compris son enseignement et l’Église n’a pas cessé de le transmettre afin de nous prévenir comme une mère protégeant ses enfants. La constance de cet enseignement ne peut que nous frapper et interroger ceux qui peuvent encore douter…

Les apôtres enseignent clairement, et le plus souvent très explicitement, la perdition éternelle des méchants et la vie éternelle pour les justes. Nous allons en effet les entendre les uns après les autres.

Selon Saint Pierre, Notre Seigneur Jésus-Christ réserve les injustes pour le jugement.  « Leur ruine ne s’endort pas » (II. Pierre, II, 3). Les pécheurs sont déjà torturés ici-bas mais leurs supplices ne s’achèveront pas par leur mort. Au contraire, ils seront fixés dans leurs souffrances. « Ils périront aussi par leur corruption. Ce sera le salaire de leur iniquité. » (II. Pierre, II, 13). Ces paroles ne peuvent pas concernées la mort physique puisque tous, bons et mauvais, y sont frappés.

Plus loin, le chef des apôtres est encore plus précis. Il décrit ceux qui, dans les derniers temps, se lèveront pour se moquer des promesses divines, avec « pleine d’ironie, vivant au gré de leurs convoitises » (II. Pierre, III, 3). Mais, nous prévient-il, la parole de Dieu « les tient en réserve et les garde pour le feu, au jour du jugement et de la ruine des hommes impies. » (II. Pierre, III, 7) Ignorent-ils que le temps de Dieu n’est pas celui des hommes ? Notre Seigneur Jésus-Christ use aussi de patience envers les pécheurs car Il ne veut pas qu’ils périssent mais que « tous arrivent à la pénitence. » (II. Pierre, III, 9) Il nous demande alors de veiller, d’être fidèles et de persévérer puisque « le jour du Seigneur viendra comme un voleur » (II. Pierre, III, 10)…

Saint Jude est encore plus explicite dans son épître tout entière dirigée contre les impies qui nient Notre Seigneur Jésus-Christ. Ce sont des « astres errants, auxquels l’obscurité des ténèbres est réservée pour l’éternité. »(Jude, 13) Comme Saint Pierre, il nous demande alors de veiller en dépit des moqueries des « hommes sensuels, n’ayant pas l’esprit de Dieu. » (Jude, 19) Nous devons attendre dans l’amour de Dieu « la miséricorde de Notre Seigneur Jésus-Christ, pour avoir la vie éternelle. » (Jude, 21) Mais nous ne pouvons nous sauver qu’en fondant notre vie sur le fondement de la foi et priant dans le Saint-Esprit.

Saint Jacques nous demande aussi de ne pas avoir une foi stérile. Il revient notamment sur l’exigence de la miséricorde à l’égard de notre prochain. « Le jugement sera sans miséricorde pour celui qui n’aura pas fait miséricorde ; la miséricorde triomphe du jugement. » (Jacques, II, 13) Celui qui vivra de la charité ne doit pas craindre le jugement puisque nous serons jugés selon la mesure de notre foi vivante. Il insiste alors sur les péchés que nous réalisons en raison de notre langue, véritable « fléau » (Jacques, III, 5) qui peut être rempli d’un « venin mortel »  (Jacques, III, 8), une langue qui peut bénir mais aussi maudire. Elle peut nous faire pécher et exciter en nous l’esprit de mensonge, dévastant ainsi notre vie. Elle est alors « un feu, le monde de l’iniquité » (Jacques, III, 6), un feu qui provient de la géhenne pour nous enflammer…

En dépit de ses nombreuses épîtres, Saint Paul n’a pas varié dans son enseignement sur l’enfer au cours de son apostolat. Aux Thessaloniciens, il annonce la future justice, c’est-à-dire la joie à cause de leur constance et de leur fidélité alors que leurs persécuteurs connaîtront l’affliction et le tourment. « Notre Seigneur Jésus-Christ apparaîtra du ciel avec les anges, ministres de sa puissance, au milieu d’une flamme de feu, pour faire justice de ceux qui ne connaissent pas Dieu et de ceux qui n’obéissent pas à l’Évangile de notre Seigneur Jésus. » (II, Thess., I, 8) Il leur promet « une ruine éternelle, loin de la face du Seigneur et de la gloire de sa force. » (II, Thess., I, 9) Aux Galates, il prévient énergiquement que ceux qui commettent « les œuvres de la chair » (Gal., V, 29) n’obtiendront pas le royaume de Dieu. Car ils ne sont pas animés de l’esprit de Dieu mais de l’amour de soi. Comme de mauvais fruits, ils seront jetés au feu. Aux Corinthiens, il a le même discours. « Ne savez-vous pas que les injustes ne posséderont point le royaume de Dieu ? Ne vous trompez pas : ni les impudiques, ni les idolâtres, ni les adultères, ni les efféminés, ni les infâmes, ni les voleurs, ni les avares, ni les ivrognes, ni les outrageux, ni les rapaces ne posséderont le royaume de Dieu. » (I, Corinthien, VI, 9-10) Les souillures du monde ne peuvent convenir à ceux qui sont appelés à la sainteté, c’est-à-dire à l’union de Notre Seigneur Jésus-Christ.

Dans la première épître aux Corinthiens, Saint Paul songe seulement à la résurrection des fidèles, de ceux qui sont de Notre Seigneur Jésus-Christ et qui seront en Lui. Le jour où le temps laissera sa place à l’éternité sera un jour de triomphe où tous s’inclineront devant Lui au ciel, sur la terre et en enfer. La mort sera alors anéantie.

Pourtant, Dieu nous a prévu une demeure dans le ciel, « une demeure éternelle qui n’a pas été fait de main d’homme. » (II, Corinthien, V, 1) Mais pour y habiter, faut-il « comparaître devant le tribunal du Christ, afin que chacun reçoive ce qu’il a fait étant dans son corps, selon ce qu’il a fait de bien ou de mal. » (II, Corinthien, V, 10)  Dans son épître aux Éphésiens (cf. Éphésiens, V, 5), nous retrouvons le même discours.

Aux Romains, il leur rappelle que « Dieu jugera par Jésus-Christ les actions secrètes des hommes » (Romains, II, 2) Le jugement se fondera sur notre attitude à l’égard de Notre Seigneur Jésus-Christ. Et « si nous mourons avec Lui, nous vivrons aussi avec Lui ; si nous persévérons dans l’épreuve, nous régnerons avec Lui ; si nous le renions, lui aussi nous reniera ; si nous sommes infidèles, Il demeure fidèle, car Il ne peut se renier Lui-même. » (II, Timothée, II, 12-13) Or, cette fidélité n’est pas sans épreuve ni renoncement. Nous devons être comme des athlètes, modèles de persévérance, qu’il n’obtient sa couronne qu’à la condition de s’être exercé au combat.

Saint Paul n’a aucun doute sur ce sujet. Il demande donc aux fidèles de persévérer dans leur fidélité à l’égard de Notre Seigneur Jésus-Christ et de fuir tout discours qui s’oppose à cet enseignement car finalement, tout se joue ici-bas tant qu’il nous reste un souffle de vie.  « Et comme c’est la destinée de l’homme de mourir une fois et qu’après cela suit le jugement, ainsi le Christ […] apparaître une seconde fois, sans péché, pour donner le salut à ceux qui l’attendent. » (Hébreux, IX, 27-28) Tous feront l’objet du jugement divin. Or si nous mourons dans le péché, si nous foulons aux pieds le Fils de Dieu, si nous outrageons le Saint Esprit, nous connaîtrons la terrible vengeance de Dieu. Car « c’est une chose terrible de tomber dans les mains du Dieu vivant » (Hébreux, X, 31).

Par conséquent, la mort et les épreuves que nous subissons en raison de notre foi ne nous sont rien en comparaison avec l’éternité qui nous est promise. Pourtant, quand il écrit son épître, Saint Paul a déjà enduré de nombreuses peines et souffrances, et frôlé la mort à plusieurs reprises ? Comme nous l’avons souvent évoqué, le temps n’est rien. Il cesse au moment où il est. Nous devons nous tourner notre regard vers l’éternité, là où rien ne cessera.

Dans ses épîtres, Saint Jean précise que la vie éternelle consiste en la connaissance de Dieu. « Nous le verrons comme Il est » (I, Jean, III, 1) au point que nous Lui seront semblables. Dieu sera alors pour nous « lumière », c’est-à-dire connaissance claire comme un véritable soleil. Le ciel est alors la cité de Dieu, là où brille sa gloire. L’enfer est alors peint comme un lieu de ténèbres, d’absence de Dieu. Cependant, la vie éternelle commence dès maintenant puisque « nous sommes passés de la mort à la vie » (I, Jean, III, 14). Et, « quiconque hait son frère est un meurtrier, et vous savez qu’aucun meurtrier n’a la vie éternelle demeurant en lui. » (I, Jean, III, 15) Or qui donne la vie éternelle si ce n’est Dieu ? Par le péché, nous la perdons et quand nous mourrons dans le péché, nous perdons toute espérance.

Enfin, finissons notre rapide étude par l’Apocalypse. Dans cet ouvrage étonnant, Saint Jean nous décrit ce qu’il voit, ce qu’il entend concernant les derniers jours, le jour du jugement dernier. Dans une vision, vingt-quatre vieillards assis devant Dieu l’adorent en disant : « le moment de juger les morts, de donner la récompense à tes serviteurs, aux prophètes, aux saints, à ceux qui craignent ton nom, petits et grands, et de perdre ceux qui perdent la terre. » (Apocalypse, XI, 18). Dans une autre vision, Saint Jean voit un ange, disant d’une voix forte à toutes les habitations de la planète : « craignez Dieu et lui donnez gloire, car l’heure du jugement est venue. » (Apocalypse, XIV, 7) Puis après plusieurs apparitions, un dernier ange « jette sa faucille sur la terre, et vendange la vigne de la terre, et il en jette les grappes dans la grande cuve de la colère de Dieu. » (Apocalypse, XIV, 19)

Dans une autre vision, Saint Jean voit un trône devant lequel « les morts sont jugés selon leurs œuvres d’après ce qui est écrit dans les livres » (Apocalypse, XX, 12). Puis de nouveaux cieux s’ouvrent à lui, la Jérusalem céleste. « Et Celui qui est assis sur le trône » se présente et décrit ceux qui y habitent. Mais « pour les lâches, les incrédules, les abominables, les meurtriers, les impudiques, les magiciens, les idolâtres et tous les menteurs, leur part est dans l’étang ardent de feu et de soufre : c’est la seconde mort » (Apocalypse, XXI, 8), la mort définitive, l’éternelle damnation. Les justes connaîtront une vie éternelle. « Heureux ceux qui lavent leurs robes, afin d’avoir droit à l’arbre de vie » (Apocalypse, XXI, 14).

Conclusions

Ainsi, les apôtres enseignent que tous les hommes seront jugés devant Notre Seigneur Jésus-Christ selon le bien et la mal qu’ils auront fait avant de mourir. Ceux qui auront commis les œuvres du mal, qui seront morts dans leur péché et donc n’ont pas demeuré en Dieu connaîtront l’état de châtiment, un état dans lequel les peines seront sans fin, éternelles. L’enfer sera leur dernière demeure. Les apôtres avertissent alors les fidèles de ne pas commettre les œuvres qui conduisent aux supplices éternels. Pour que nous soyons bien avertis de notre destin et de nos responsabilités, ils nous livrent une longue liste des œuvres du mal qui conduisent à l’enfer. Qui peut dire qu’il ne savait pas ?

Les apôtres nous recommandent donc de rester fidèles et de faire les œuvres de la vie éternelle.  Au dernier jour, quand Notre Seigneur Jésus-Christ reviendra parmi nous, la colère divine sera alors terrible. C’est un jour de vengeance pour les méchants, de flammes de feu pour les impies et les incrédules, pour tous ceux qui ont vécu des œuvres de la chair. Mais c’est aussi le jour d’achèvement pour les bons, le jour tant attendu où l’homme, corps et âme, vivra de la vie éternelle. Habités d’une telle espérance, nous voulons « amasser ainsi pour l’avenir un trésor placé sur un fondement solide, afin de saisir la vie véritable. » (I, Timothée, VI, 19)

Les épreuves que nous endurons ici-bas n’ont qu’un temps. Qu’est-ce qu’en effet, notre existence ici-bas devant l’éternité ? Et pourtant, c’est dans le monde au cours d’un temps bref que nous gagnons notre vie éternelle ou nous la perdons. Et dans cette bataille dont l’issue est essentielle, nous ne sommes pas seuls. Dieu nous donne en effet tout ce dont nous avons besoin pour vaincre et demeurer en Lui. Car Il ne veut point notre mort. Notre Dieu est un Dieu des vivants. C’est pourquoi le terrible jugement qui nous attend ne doit pas nous pétrifier ou nous enfermer dans une crainte infantile. Les épreuves et sacrifices que nous endurons pour demeurer unis à Dieu ne doivent pas non plus nous effrayer. Nos chutes ne doivent pas nous empêcher de nous relever. Puisqu’au bout du chemin, se trouve la vie éternelle. Mais faut-il encore saisir la main de Dieu qui nous tend et nous attire à Lui. Les apôtres ont ainsi peint la vie chrétienne dans sa pureté et ses exigences afin de nous éclairer et de nous soutenir mais aussi de nous remettre sur le bon chemin. « Être dans le temps à Jésus-Christ pour être à Dieu dans l’éternité. »[1]


Note et référence

[1] Dom Paul Delatte, Les Épitres de Saint Paul, replacées dans le milieu historique des actes des apôtres, Aère épître aux Corinthiens, Troisième partie, Chap. XV.

samedi 9 octobre 2021

"Heureux celui qui lit et ceux qui entendent les paroles de cette prophétie, et qui gardent les choses qui y sont écrites, car le temps est proche." (Apocalypse, I, 3)

Nous Le suivons avec les Apôtres dans les rues de Jérusalem, sur les terres de la Galilée ou de la Samarie. Ses paroles nous sont chères. Nous ne cessons de les écouter et de les ressasser en nous. Sa voix nous pénètre et nous élève. Qui peut ne plus l’entendre quand une fois, elle a retenti en  nous et éclairé, fortifié notre âme ? Notre Seigneur Jésus-Christ nous enseigne ce qu’il nous attend après notre mort. Le sujet est suffisamment grave et essentiel pour qu’Il insiste particulièrement sur ce sujet. La mort annonce la fin de notre existence ici-bas et nous ouvre la porte à une éternité de bonheur ou de malheur selon les œuvres que nous avons réalisées ici-bas, c’est-à-dire selon notre foi et notre charité. Notre sort est en effet définitivement fixé quand notre âme et notre corps se séparent. Or, nous ignorons l’heure de notre mort. Nous connaissons tous des proches qui brutalement nous ont quittés rapidement, dans un accident ou suite à une maladie imprévue. Ainsi, tant qu’il fait jour, il est encore possible de travailler pour notre vie éternelle mais quand le rideau tombe, quand la nuit nous prend, nous ne pouvons plus rien faire…

Nous comprenons alors les avertissements de Notre Seigneur Jésus-Christ qui nous demande avec insistance d’être vigilants et persévérants, d’être fidèles jusqu’au bout afin qu’au moment où nous devons rendre l’âme, nous soyons prêts à paraître devant Lui et à écouter sa sentence. Quel chrétien pourra Lui dire sans rougir qu’il ne le savait pas ? S’il ne veut point entendre et examiner ses paroles, qu’ils écoutent les paraboles qu’Il nous a laissées. Elles sont suffisamment claires et simples pour qu’elles nous livrent sans difficulté ce que nous devons savoir…

La parabole du riche et du mendiant Lazare

Notre Seigneur Jésus-Christ traite souvent de nos liens de dépendance avec les biens d’ici-bas. Contre ceux qui aiment l’argent et en font un mauvais usage, Il nous avertit que nous ne pouvons pas servir deux maîtres puisque notre cœur ne peut s’attacher à l’un sans mépriser l’autre. Pour répondre aux moqueries des pharisiens qui n’apprécient guère ce discours, Notre Seigneur Jésus-Christ leur livre une parabole que l’Évangile selon Saint Luc nous transmet. La parabole comprend deux actes, le premier se déroule ici-bas, le second dans l’autre vie. Elle met en scène deux personnages, un homme riche et un mendiant appelé Lazare.

Quelque part sur la terre, un homme richement vêtu mène une vie splendide comme toute personne fortunée. Puis, au pied de sa porte, un pauvre, couché et affamé, rêve aux miettes qui tombent de sa table. Personne ne l’aide. Il est comme ignoré. Sa condition est bien misérable, son physique repoussant. Il est malade. « Les chiens venaient et léchaient ses lèvres. »(Luc, XVI, 21) Il est comme un de ces sans-domiciles fixes qui parfois errent dans les rues et que  les passants cherchent à ne pas voir…

Puis, « il arriva que le mendiant mourût », et « le riche mourut aussi » (Luc, XVI, 22). À sa mort, Lazare est « porté par les anges dans le sein d’Abraham. »(Luc, XVI, 22) L’expression « sein d’Abraham » désigne le séjour des justes, là où demeure le grand patriarche. La situation de l’homme riche est toute différente. Il « fut enseveli dans l’enfer. » (Luc, XVI, 22) Il est alors tourmenté par les flammes.

Levant les yeux, voyant Lazare au paradis, le riche s’écrie : « Père Abraham, ayez pitié de moi, et envoyez Lazare, afin qu’il trempe le bout de son doigt dans l’eau pour rafraîchir la langue ; car je suis tourmenté dans cette flamme. »(Luc, XVI, 23) À cet homme qui crie sa souffrance, Abraham répond avec calme et sérénité, lui rappelant son existence et celle de Lazare. L’homme riche a connu son temps de bonheur ici-bas et ne peut pas prétendre aux félicités célestes contrairement au mendiant qui a connu tant de maux. Chacun possède l’éternité qu’il a voulue. Chacun est donc dans l’état qu’il mérite. Puis, Abraham rappelle l’abîme qui sépare de manière radicale et pour toujours le paradis de l’enfer. Les justes ne peuvent donc pas adoucir le châtiment de ceux qui résident en enfer.

Alors, s’il n’est plus temps pour lui de réparer ses fautes, l’homme riche songe à ceux qui sont encore vivants et qui demeurent dans la maison de ses pères. Il supplie alors Abraham d’envoyer Lazare auprès de ses frères pour qu’ils évitent « ce lieu de tourments. » (Luc, XVI, 23) Mais Abraham refuse. « Ils ont Moïse et les prophètes : qu’ils les écoutent. » (Luc, XVI, 29) La réponse ne le satisfait pas. Il insiste. Il discute en effet et songeant à sa famille, implore de nouveau Abraham : « Non, père Abraham ; mais si quelqu’un va des morts vers eux, ils feront pénitence. » (Luc, XVI, 30) Abraham est inflexible. Les miracles ne leur serviront à rien s’ils n’ont pas la foi en la parole divine. « S’ils n’écoutent point Moïse et les prophètes, quand même quelqu’un des morts ressusciterait, ils ne croiraient pas. » (Luc, XVI, 31) Nous devinons alors le mal qui l’a conduit aux enfers. Il est le même que celui qui habite chez les Juifs incrédules, qui ne croient pas, alors qu’ils sont témoins des miracles que les prophètes ont pourtant annoncés. Il n’est guère possible à un homme de croire s’il manque d’humilité, de docilité et finalement de liberté intérieure. L’homme riche représente ainsi les pharisiens trop attachés aux biens de ce monde qui, aveuglés, ne veulent pas comprendre ce qu’ils se passent devant eux.

Notre Seigneur Jésus-Christ ne nous enseigne pas que l’homme riche est nécessairement voué aux enfers alors que le pauvre est destiné au paradis. Cependant, il nous rappelle que notre misère ou notre richesse ne nous destinent pas nécessairement à un destin. La pauvreté n’est pas signe de damnation comme la fortune, celui des félicités célestes. Il nous apprend aussi que l’existence que nous menons ici-bas a une fin, et qu’elle se poursuit au-delà vers une autre vie qui, elle, ne connaît pas de fin, une vie qui dépend de ce que nous avons été auparavant. Après la mort, les bons et les méchants sont ainsi définitivement séparés. Ce destin irrévocable qui récompense ou punit les œuvres réalisées ici-bas n’est pas une surprise. Il a été annoncé, prédit, enseigné. Celui qui entend la parole de Dieu le choisit donc volontairement. Leur sort est donc parfaitement juste. Tant qu’il vit sur la terre, il peut encore agir pour choisir l’éternité qu’il désire mais quand l’heure de la mort est arrivée, tout est fini...

Prenons deux autres paraboles aussi instructives, par exemple celle des talents puis des dix vierges. Elles soulignent aussi la fin de toute espérance quand sonne l’heure du jugement. Notre Seigneur Jésus-Christ nous avertit que le temps nous est alors compté. « Veillez donc, parce que vous n’en savez ni le jour ni l’heure. »(Matthieu, XXV, 13)

La parabole des talents

Avant de partir pour un voyage, le maitre donne à ses serviteurs un nombre différent de talents selon leurs capacités, nous précise Notre Seigneur Jésus-Christ. Plus tard, longtemps après, le maître revient et regarde ce que ses serviteurs ont fait de leurs talents. Ceux qui ont fait fructifier l’argent reçu sont félicités par le maître. « Fort bien, serviteur bon et fidèle, […] entre dans la joie de ton maître. » (Matthieu, XXV, 21, 23) Mais le dernier serviteur, celui qui n’a reçu qu’un talent, préfère enterrer son argent de peur de le perdre. En effet, comme il dit lui-même, il le considère comme « un homme sévère », et même injuste puisqu’il moissonne là où il n’a pas semé, recueille là où il n’a rien mis. La réponse du maître est nette et claire. Il le condamne comme « serviteur mauvais et paresseux » (Matthieu, XXV, 26). Et « serviteur inutile », il est jeté « dans les ténèbres extérieurs ».

Notre Seigneur Jésus-Christ conclue la parabole par cet avertissement : « quand le Fils de l’homme viendra dans sa majesté, et tous les anges avec lui, alors il s’assiéra sur le trône de sa majesté. Et toutes les nations seront rassemblées devant lui, et il les séparera les uns d’avec les autres, comme le pasteur sépare les brebis d’avec les boucs ; et il placera les brebis à sa droite et les boucs à sa gauche. » (Matthieu, XXV, 31-33) Puis, Notre Seigneur Jésus-Christ décrit le jugement que chacun recevra selon les œuvres qu’il a réalisées à l’égard de leurs prochains, séparant les justes et les méchants, ceux qui iront à sa droite, c’est-à-dire dans le royaume de Dieu, « les bénis de mon Père » (Matthieu, XXV, 34), et ceux qui iront à sa gauche, les « maudits », pour connaître le « feu éternel » (Matthieu, XXV, 42).

La joie d’un maître est aussi celle de son serviteur. Elle est sans-doute une des images de ce qu’est la béatitude. Notre joie est celle même de Dieu. Les bons serviteurs font tout pour que leur maître soit content d’eux et de la confiance qu’il leur a accordée. Quand arrive le troisième serviteur, il n’y a pas de joie dans sa parole. Son verbe est dur. Devant son maître qui lui demande ce qu’il a fait du bien qu’il lui ait donné, il évoque ce qu’il estime son droit. Il rend intact ce qu’il a reçu. Mais ce n’est pas de l’amour. Son attitude est stérile. Le bien qu’il lui a donné ainsi que la confiance qui lui a été accordée ne lui ont servi à rien. En effet, nous pouvons rendre inutiles les grâces et les bienfaits que Dieu nous donne de manière à rendre notre vie stérile. Le serviteur a rendu vaine la confiance que Dieu lui a apportée. Mieux vaut pour nous de ne pas les avoir reçus !

La parabole des vierges

Les vierges, qui représentent les âmes pures, attendent la venue des jeunes mariés. Au jour du mariage, selon la coutume juive, l’époux doit conduire son épouse à sa maison où se fait alors un banquet somptueux. Et ces noces ont lieu à la nuit. C’est pourquoi leurs amis et amies les éclairent avec leurs lampes. Mais comme celles-ci ne sont guère grandes, ils emportent un vase contenant de l’huile pour compléter les lampes. Cependant, dans la parabole, cinq vierges sur les dix sont imprudentes et étourdies. Contrairement aux cinq autres, elles n’ont pas pris de provision d’huile. Or, comme cela pouvait arriver, les époux tardent à venir. Et au milieu de la nuit, « voici l’époux qui vient » (Matthieu, XXV, 6). Les vierges se lèvent donc pour l’accueillir et préparent les lampes. Mais les cinq vierges qui n’ont point emporté d’huile se rendent compte que leur lampe s’éteigne. Elles demandent alors aux autres de leur donner de leur huile. Mais celles-ci refusent de peur de ne pas en avoir assez à leur tour. Elles doivent alors en acheter mais quand elles reviennent, les noces ayant commencé, la porte est fermée. Elles demandent donc à l’époux de l’ouvrir. Mais en vain, l’époux refuse. La porte reste close. « En vérité, je vous dis que je ne vous connais point. » (Matthieu, XXV, 13).

Comme les âmes purifiées par les eaux du baptême, les dix vierges sont toutes pures, sans tâche ni souillures. Les lampes représentent la foi qui éclaire l’âme. Mais au cours de notre vie, cette foi faiblie et la vie divine qui nous anime décroit. Or quand des voix annoncent l’arrivée de l’époux, tant désiré et espéré, elles veulent briller comme le visage éclairé par la foi et resplendissant de lumière. Elles s’empressent de rejoindre celui qu’elles attendaient. Mais, n’ayant plus de provisions, les cinq folles demandent alors aux autres un peu de lumière, mais cela est bien inutile. Les mérites sont personnels. « Ni la vertu des autres, ni notre règle, ni notre profession même ne nous sauveront sans notre travail. »[1] C’est alors que les vierges folles doivent se séparer des sages pour aller acheter de l’huile. Et lors de leur absence, l’époux arrive enfin…

La remarque de Notre Seigneur Jésus-Christ donne le sens exact de la parabole. Il demande de veiller sur notre âme, sur cette lumière qui brûle et resplendit en nous puisqu’à tout moment, nous pouvons paraître devant Lui. Or, « c’est le travail de la vie entière qui amasse toute l’huile nécessaire, qui entretient en nous la foi efficace, alerte, ardente, sans laquelle il est impossible de plaire à Dieu. Il y aurait une imprudence infinie à escompter, pour notre salut, les œuvres et les élans de la dernière heure : le drame de la mort ne s’improvise pas. »[2]

Or, pour entrer dans les noces, c’est-à-dire au paradis, là où demeure Notre Seigneur Jésus-Christ, l’époux par excellence, l’âme doit être encore vivante lorsqu’elle doit se présenter à Lui. Il est toujours possible de renaître quand l’âme connaît la mort spirituelle mais faut-il en avoir le temps. C’est ainsi que les cinq vierges qui ne se préoccupent guère de l’huile de leur lampe alors qu’elles attendent, c’est-à-dire qu’elles croient en Lui et en ses paroles, sont appelées « folles » alors que les autres sont des « sages ». En dépit de leur foi, les « folles » ne se sont pas préparées à leur mort.

Conclusions

Notre Seigneur Jésus-Christ insiste sur le moment décisif qu’est la mort. « Heureux ce serviteur que son maître lorsqu’il viendra, le trouvera agissant ainsi » (Matthieu, XXIV, 46), c’est-à-dire prenant soin des serviteurs qu’il lui a confiés. Son sort sera différent s’il « dit en son cœur : mon maître tarde à venir ; et qu’il se mette à battre ses compagnons, à manger et à boire avec des ivrognes. » (Matthieu, XXIV, 49) Or, « le maître de ce serviteur viendra le jour où il ne s’y attend pas, et à l’heure qu’il ignore. » (Matthieu, XXIV, 50) Il sera alors condamné et jeté dans les ténèbres. Dans l’Évangile selon Saint Luc, les paroles de Notre Seigneur sont encore plus claires. « Ce serviteur, qui a connu la volonté de son maître, et ne s’est pas tenu prêt, et de cette manière n’a pas agi selon sa volonté  recevra un grand nombre de coups » (Luc, XII, 47) Il sera moins châtié que celui qui ne l’a pas connue mais qui a fait des choses dignes de châtiment. « Car à celui à qui on a donné beaucoup, on demandera beaucoup ; et de celui à qui on a confié beaucoup, on exigera davantage. » (Luc, XII, 48) Malheureux celui qui a tant reçu et a si peu donné….

Tous n’ont pas reçu les mêmes grâces. Mais chacun devra rendre compte de la vie qui lui a été donnée et des biens qu’il a reçus. Il est donc demandé à chacun de bien user de ce que Dieu lui a donné et de le faire fructifier selon sa volonté. Quand l’heure de la mort sera venue, il ne sera plus temps de travailler. Avec la mort, s’achève le temps du mérite et du démérite.

Tout dépend donc de notre attitude envers Notre Seigneur Jésus-Christ et finalement de nos œuvres qui témoigneront à notre place. Il faut donc vivre de la foi vivante. « Qui croit en lui n’est pas condamné, mais celui qui ne croit pas est déjà condamné » (Jean, III, 18) Celui qui croit en Lui, « il a passé de la mort à la vie. » (Jean, V, 24) Cela signifie que la condamnation ne vient que de l’homme. Il prononce son propre jugement ici-bas. Mais lorsque survient la mort, ce jugement devient définitif. La mort entérine ainsi ce que l’homme a voulu.

« Veillez donc parce que vous ne savez pas à quelle heure votre Seigneur doit venir. » (Matthieu, XXIV, 42)

 

 


Notes et références

[1] Dom Paul Delatte, L’Évangile selon Notre Seigneur Jésus-Christ, le Fils de Dieu, sixième partie, chapitre III, Maison Alfred Mame et fils, 3ème édition, 1926.

[2] Dom Paul Delatte, L’Évangile selon Notre Seigneur Jésus-Christ, le Fils de Dieu, sixième partie, chapitre III.

samedi 2 octobre 2021

"Tout arbre qui ne produit pas de bon fruit sera coupé et jeté au feu."

Nombreux sont les chrétiens qui ne croient ni en enfer ni au paradis. Nombreux sont aussi ceux qui pensent que l’enfer est vide d’âmes, ce qui revient alors à ne pas croire à l’éternité de l’enfer. D’autres rient sur les images que nous avons de ces lieux de jouissance ou de tourments éternels. La véritable question ne porte pas en effet sur les lieux qu’évoquent l’enfer et le paradis mais sur le destin des justes et des méchants après la mort, ou encore sur le jugement de Dieu selon la vie que nous avons mené avant notre dernier soupir. Nombreux sont les motifs qui expliquent leurs croyances. Une telle justice irait à l’encontre de la bonté de Dieu. De telles peines seraient contradictoires avec leur représentation de Notre Seigneur Jésus-Christ si miséricordieux et si aimable. Beaucoup de chrétiens se refusent alors de croire à l’enseignement de l’Église sur ce sujet…

Pourtant, les prophètes ont évoqué clairement le sort qui nous est réservé comme nous l’avons évoqué dans le précédent article[1]. Devons-nous ne plus les entendre parce que leurs paroles sont dures à entendre ? Croyons-nous qu’elles soient vaines depuis que Notre Seigneur Jésus-Christ est venu apporter le salut à toute l’humanité ? Laissons Notre Seigneur Jésus-Christ répondre à ces questions…

Le tri entre les justes et les méchants

Avant de revenir sur les paroles de Notre Seigneur Jésus-Christ, écoutons d’abord Saint Jean Baptiste qui parle à la foule qui l’entoure. « Tout arbre qui ne produit pas de bon fruit sera coupé et jeté au feu. » (Matthieu, III, 10) Il annonce Celui qui, tenant le van dans sa main, « nettoiera entièrement son aire » et « amassera son blé dans le grenier : mais il brûlera la paille dans son feu qui ne peut s’éteindre. » (Matthieu, III, 12) Les paysans utilisaient le van pour nettoyer les céréales. C’était un vase panier très plat et large, il servait notamment à séparer la paille du bon grain. Il y a donc un tri entre ce qui est mauvais et bon. Ce qui était mauvais était alors brûlé. L’image est alors suffisamment évocatrice pour comprendre ce qu’elle signifie.

Notre Seigneur Jésus-Christ reprend l’image du travail de la terre. « Tout arbre qui ne produira point de bon fruit sera coupé et jeté au feu. »(Matthieu, VII, 19) Or comment pouvons-nous distinguer le bon et le mauvais arbre si ce n’est en jugeant ses fruits ? La parabole de l’ivraie dans le bon grain est aussi très claire. De peur d’arracher le froment en voulant arracher l’ivraie, mieux vaut attendre la moisson. Les moissonneurs lieront d’abord l’ivraie et le liera en gerbes afin de brûler alors que le froment sera rassemblé dans le grenier. Dans son explication, Notre Seigneur Jésus-Christ explique qu’à la consommation des siècles, « ceux qui commettent l’iniquité » seront jetés « dans la fournaise du feu alors que les justes resplendiront comme le soleil dans le royaume de leur Père » (Matthieu, XIII 42-43) Il viendra donc séparer les justes des méchants, et les méchants seront tourmentés dans un feu éternel. Or, il n’y a pas de séparation s’il n’y a pas de jugement.

La parabole du filet est encore plus explicite. Qui peut ne pas entendre les paroles de Notre Seigneur Jésus-Christ ? Les pécheurs ont récupéré un filet plein de toutes sortes de poissons. Retirés, ils s’asseyent sur le rivage et « choisissent les bons, les mettant dans des vases, et jettent les mauvais dehors. »(Matthieu, XIII, 48) Or ce tri se réalisera « à la consommation des siècles : les anges viendront et sépareront les méchants du milieu des justes, et les jetteront dans la fournaise du feu. Là sera le pleur et le grincement de dents. Avez-vous bien compris tout ceci ? » (Matthieu, XIII, 52)

Cette parabole ne suffirait-elle pas encore ? Notre Seigneur Jésus-Christ nous donne encore une autre image de ce qu’il nous attend. C’est la parabole du festin des noces. Voyant ses invités refuser son repas, le maître demande à ses serviteurs de rassembler tous ceux qu’ils trouvent, bons et mauvais, dans la salle des noces. Mais parmi ceux qui étaient à table, « il aperçut un homme qui n’était point revêtu de la robe nuptiale. » (Matthieu, XXII, 11) Alors ses pieds sont liés et il est jeté dans les ténèbres, « là sera le pleur et le grincement des dents. » (Matthieu, XXII, 13) L’enseignement est alors effrayant : « beaucoup sont appelés, mais peu d’élus. » (Matthieu, XXII, 14) Parmi ceux qui sont invités à entrer dans le royaume, certains seront exclus en raison de leur manque de pureté…

Le jugement particulier

Les paraboles du maître de maison qui demande des comptes à chacun de ses serviteurs supposent la pensée du jugement particulier. Un roi veut contrôler ses comptes. On lui présente un serviteur qui lui doit une dette de dix mille talents. C’est une somme colossale, équivalent à toute la richesse du peuple juif au temps d’Esther. Celui-ci s’apprête à le vendre ainsi que sa femme et ses enfants et tout ce qu’il avait quand le serviteur lui supplie à genoux d’avoir pitié de lui. Il lui promet même de rembourser sa dette. Sa promesse n’est guère réalisable. C’est alors que touché de compassion, le maître le relâche et lui remet sa dette. Il pardonne sans mesure. Mais ce serviteur se montre odieux et sans pitié à l’égard d’un collègue qui lui doit seulement cent deniers, le soixantième d’un talent. En dépit de ses supplications et de ses promesses, il lui fait mettre en prison jusqu’à l’acquittement de sa dette. Apprenant son attitude impitoyable, le maître est irrité et le condamne. « Méchant serviteur, je t’ai remis toute ta dette, parce que tu m’as prié : ne fallait-il pas que toi-aussi tu eusses pitié de ton compagnon comme j’ai eu moi-même pitié de toi ? » (Matthieu, XVIII, 34) Il le livre alors au bourreau jusqu’il paye sa dette. Or cette parabole décrit ce qu’est le royaume des cieux. « C’est ainsi qu’il vous traitera aussi mon Père céleste, si chacun de vous ne pardonne à son frère du fond de son cœur. » (Matthieu, XVIII, 35)

Le rapport entre les dettes est colossal. Ce n’est pas sans raison. Il nous rappelle l’écart abyssal qui existe entre Dieu et les hommes, entre les fautes qu’ils commettent à son encontre et celles que nous nous faisons entre nous. Il n’y a pas de commune mesure entre les dettes envers Dieu et les torts du prochain envers nous. Cette parabole était en effet destinée à illustrer à Saint Pierre la nécessité de pardonner indéfiniment. Ceux qui ont besoin de beaucoup d’indulgence et qui l’espèrent du Seigneur doivent d’abord témoigner beaucoup d’indulgence à l’égard de ses prochains. Et un jour, il sera jugé selon la mesure de charité qu’ils ont en effet montrée. Ils seront jugés comme ils ont jugé leurs prochains.

Nous retrouvons aussi cette idée de jugement dans d’autres paraboles, celles des dix vierges (Matthieu, XXV, 1-13), des talents (Matthieu, XXV, 14-30) et des dix mines (Luc, XIX, 11-27).

Le jugement général

À plusieurs reprises, Notre Seigneur Jésus-Christ parle de sa seconde venue, de ce dernier jour qui annoncera la fin du monde. « Alors apparaîtra le signe du Fils de l’homme dans le ciel ; alors pleureront toutes les tribus de la terre, et elles verront le Fils de l’homme venant dans les nuées du ciel, avec une grande puissance et une grande majesté. »(Matthieu, XXIV, 30) Entouré de la cour angélique, Notre Seigneur Jésus-Christ viendra juger les nations qui, assemblées, comparaîtront devant Lui. « Il s’assiéra sur le trône de sa majesté. Et toutes les nations seront rassemblées devant les autres, et il les séparera les uns d’avec les autres, comme le pasteur sépare les brebis d’avec les boucs, et il placera les brebis à sa droite et les boucs à sa gauche. » (Matthieu, XXV, 31-33)

Ceux qui seront à sa droite sont les bénis de Dieu alors que ceux qui sont à gauche sont maudits au feu éternel. Chacun sera jugé selon la mesure de leur charité à l’égard du prochain. Car, comme Il nous l’a déjà rappelé, les premiers commandements, ceux qui nous demandent d’aimer Dieu et d’aimer notre prochain comme nous-mêmes, sont équivalents. Nous ne pouvons pas aimer Dieu si nous n’aimons pas notre prochain et nous-mêmes et toute charité qui n’est pas fondée sur Dieu est vaine.

Au jugement général, les méchants iront donc à un supplice éternel, les justes à une vie éternelle. Lorsque nous paraîtrons devant lui avec toutes les nations rassemblées, nous entendrons de ses lèvres la sentence qui, pourtant, se fait dès maintenant, ici-bas, dans notre vie présente. « Si quelqu’un me sert, qu’il me suive, et où je suis là sera aussi mon serviteur. Si quelqu’un me sert, mon Père l’honorera. » (Jean, XII, 26) Ou encore « que quiconque voit le Fils et croit en lui ait la vie éternelle, et moi, je le ressusciterai au dernier jour. » (Jean, VI, 40)

L’enfer, là où demeurent les tourmentés

Notre Seigneur Jésus-Christ annonce à ceux qui commettent le mal qu’ils devront se soumettre « à la géhenne du feu. »(Matthieu, V, 22), « là où leur ver ne meurt point, et où le feu ne s’éteint point. » (Marc, IX, 46). Le terme de « géhenne » provient de « gé-hinnôm » d’origine hébraïque qui désigne la vallée d’Hinnom. Ce site est connu pour avoir été le lieu d’immolation d’enfants à Moloch sous les rois impies Achaz et Manassé avant d’être une véritable décharge d’immondices de tous genres et de cadavres. Des feux y brulaient en permanence pour consumer ces pourritures. Nous pouvons ainsi comprendre que ce ravin ténébreux et maudit soit « l’emblème expressif du véritable l’enfer »[2].

Au lieu d’avoir peur de ceux qui tuent le corps, Notre Seigneur Jésus-Christ nous demande plutôt de craindre « celui qui peut précipiter l’âme et le corps dans la géhenne. »(Matthieu, X, 28) Il est même préférable de se couper la main ou le pied, ou encore de s’arracher l’œil s’ils sont une occasion de chuter pour éviter d’aller « dans la géhenne » (Marc, IX, 44). Car Dieu, qui a le pouvoir de retirer la vie à chacun, a aussi « le pouvoir de jeter dans la géhenne. »(Luc, XII, 5) Notre Seigneur Jésus-Christ est suffisamment clair et insistant pour comprendre la réalité de l’enfer. Aux scribes et pharisiens hypocrites, Il prononce ces paroles redoutables et effrayantes : « Serpents, races de vipères, comment fuirez-vous le jugement de la géhenne ? »(Matthieu, XXIII, 33)

Notre Seigneur Jésus-Christ nous décrit l’état de ceux qui demeurent dans l’enfer. Comme nous venons de l’évoquer, il y règne un feu qui ne s’éteint jamais. Ils seront tourmentés dans les flammes (Luc, XVI, 24). Il est le lieu « des pleurs et des grincements de dents » (Luc, XIII, 28), le lieu où règne « la perdition » (Matthieu, XII, 13 ; Jean, XVII, 12). Mais les tourments seront inégaux. Celui qui aura péché alors qu’il connaît la volonté de Dieu y recevra « un grand nombre de coups » (Luc, XII, 48) Celui qui « a fait des choses dignes de châtiment recevra peu de coups. » Les châtiments en enfer varieront en fonction des talents produits à partir des dons fournis. Le jugement sera plus ou moins rigoureux. « À celui qui on a donné beaucoup, on demandera beaucoup ; et de celui à qui on a confié beaucoup, on exigera beaucoup. »(Luc, XII, 48)

Notre Seigneur Jésus-Christ rappelle aussi que ce châtiment n’a pas de fin. Le feu est « inextinguible » (Matthieu, XIII, 12) comme le supplice est éternel (Matthieu, XXV, 46). Ainsi, comme Judas, « faudrait-il mieux pour cet homme qu’il ne fût pas né. » (Marc, XIV, 21)

Le ciel, là où demeurent les bienheureux

Notre Seigneur Jésus-Christ décrit le ciel comme une maison paternelle où nous nous rassasions à la table de Dieu, dans la lumière et les chants de joie. Dans le Sermon sur la montagne [3], chaque béatitude se termine par un trait de ce royaume où ceux qui ont le cœur pur verront Dieu et où les œuvres des bienheureux recevront leur récompense. Les huit béatitudes annoncent au juste la récompense de ses œuvres puis elles sont suivies des malédictions réservées aux méchants. Les justes posséderont le royaume de Dieu, seront consolés, rassasiés. Chacun des béatitudes définit l’état dans lequel sera le bienheureux. Ils recevront alors la vie éternelle qui consiste en ce qu’« ils vous connaissent, vous seul vrai Dieu » (Jean, XVII, 3) nous dit clairement Notre Seigneur-Christ. Ils « seront comme des anges de Dieu dans le ciel. »(Matthieu, XXII, 30) C’est en raison de leur foi animée de la charité, une foi vivante, qu’ils recevront leur récompense. « Celui qui fait la volonté de mon Père qui est aux cieux, celui-là entrera dans le royaume des cieux. » (Matthieu, VII, 21)

Le Purgatoire

Les âmes qui ne sont pas encore suffisamment pures pour entrer dans le ciel doivent encore se purifier. C’est la doctrine du purgatoire. Elle résulte d’une évidence déjà présente dans l’Ancien Testament. À quoi servirait en effet la prière des morts si elle était inutile ? Or, ceux qui entrent dans l’enfer ou dans le ciel ne peuvent en sortir. Il est vrai, néanmoins, que la Sainte Écriture ne semble pas être très explicite sur ce point. La Sainte Tradition apporte en fait plus de lumière sur ce sujet. Ce point de doctrine refusée par le protestantisme nécessiterait à lui-seul un article…

La vie et le jugement

Pouvons-nous alors imaginer que l’enfer soit vide d’âmes ou qu’à la résurrection de la chair, tous connaissent la vie éternelle ? Il est vrai que Dieu est le Dieu des vivants. « Dieu n’est point le Dieu des morts, mais des vivants. »(Matthieu, XXII, 33) Notre Seigneur Jésus-Christ se présente aussi comme « le pain de la vie » (Jean, VI, 35), comme « la vie elle-même » (Jean, V, 26). Il a en effet le pouvoir de donner la vie, non seulement la vie qui anime notre corps, mais aussi celle qui rend l’âme vivante. Mais, cette affirmation si claire qu’elle provoque l’irritation des Juifs est aussitôt suivie d’une autre, toute aussi nette. Dieu le Père « lui a donné le pouvoir de juger » (Jean, V, 27)

Puis Notre Seigneur Jésus-Christ en vient à expliquer les modalités du jugement. « Ne vous en étonnez pas parce que vient l’heure où tous ceux qui sont dans les sépulcres entendront la voix du Fils de Dieu, et en sortiront, ceux qui auront fait le bien, pour ressusciter à la vie ; mais ceux qui auront fait le mal pour ressusciter à leur condamnation. »(Jean, V, 28-29) La résurrection ne concerne donc pas seulement les justes mais tous les morts.

Les paroles de Notre Seigneur Jésus-Christ relient donc la vie et le jugement. Or, ici-bas, quand nous sommes conçus dans le sein de notre mère, nous ne faisons que recevoir la vie sans que nous ayons le moindre mérite. La vie dont Il parle n’est donc pas notre vie corporelle mais bien celle que nous recevons, celle de l’âme et celle qui perdure après la mort. Nous pouvons en effet perdre notre âme ou la sauver. « Car le Fils de l’homme viendra dans la gloire de son Père avec ses anges, et alors il rendra à chacun selon les œuvres » (Matthieu, XVI, 27), nous précise-t-Il. 

Conclusions

Notre Seigneur Jésus-Christ confirme clairement les paroles des prophètes sur le sort de l’âme et des âmes après la mort. Il distingue la vie physique qui rend notre corps vivant, et une autre vie qui anime l’âme et ne cesse pas quand l’homme expire. Il y a alors le temps du jugement, qui dure un temps, et le temps de la résurrection qui ne cesse plus. Mais chacun ne connaîtra pas le même sort. Des âmes connaîtront l’état des bienheureux quand d’autres éprouveront des tourments sans vie. Des hommes ressusciteront d’une vie éternelle quand d’autres ressusciteront pour un feu inextinguible. Entre notre existence limitée ici-bas et la vie d’éternité, de bonheur ou de malheur, nous devrons paraître devant Notre Seigneur Jésus-Christ qui nous jugera selon notre foi et selon la mesure de notre charité. Il nous indique en fait deux avenirs qui nous attendent et que nous choisissons dès ce temps présent.

Mais contrairement aux prophètes, Notre Seigneur Jésus-Christ nous indique une voie claire et sûre à suivre pour parvenir à la vie éternelle. Il insiste sur l’état moral qui doit nous rendre digne du ciel comme il condamne celui qui nous envoie en enfer. En outre, Il nous enseigne aussi que Dieu est le « Dieu des vivants », qu’il est aussi le « pain de vie » et que celui qui Le suit sauve son âme. Il est comme le pasteur qui recherche la brebis perdue pour la ramener au bercail. Mais sa lumière n’a pas été reçue par le monde. Le monde l’a condamné et il condamne tous ceux qui le suivent. Devant Notre Seigneur Jésus-Christ, les hommes se divisent entre ceux qui sont du monde et ceux qui ne le sont pas. Jusqu’au dernier souffle, ils peuvent choisir l’un ou l’autre puisque nous ne pouvons pas choisir deux maîtres à la fois mais ce choix n’est pas sans conséquence. Cependant, ne savons pas quand la mort viendra nous prendre. Rares sont ceux qui, comme le bon larron, ont eu la grâce de la conversion avant de rendre l’âme. Mais quand la nuit arrive, tout est fini, nul ne peut travailler, tout est consommé…

Tout cet enseignement souvent répété et insistant dans les Évangiles, toutes les exhortations de Notre Seigneur Jésus-Christ à la vigilance et à la persévérance, seraient-ils inutiles ? Si l’enfer n’est qu’un lieu vide, pourquoi Notre Seigneur Jésus-Christ insisterait-Il autant ? Pourquoi devrions-nous rester vigilants ? Il est vrai que Juda, « le fils de la perdition » (Jean, XVII, 12) est le seul réprouvé que nous connaissons avec le diable. Nous savons aussi qu’il y a beaucoup d’appelés et peu d’élus….

 


Notes et références

[1] Émeraude, septembre 2021, article « La mort sous la lumière de l’Ancien Testament ».

[2] Dictionnaire de Théologie catholique, article « Enfer », édition numérique par Jean-Marie W. et JesusMarie.com.

[3] Voir Émeraude, juillet 2020, articles « La morale et l'Évangile (4) : le sermon sur la montagne (1) », « La morale et l'Évangile (5) : le sermon sur la montagne (2) - les huit béatitudes » et « La morale et l'Évangile (6) : le sermon sur la montagne (3)-la charte du chrétien ».