" La pierre précieuse, voire de grand prix aux yeux de certains, qu'est l'émeraude, se voit insultée par un morceau de verre habilement truqué, s'il ne se rencontre personne qui soit capable de procéder à un examen et de démasquer la faute. Et lorsque de l'airain a été mêlé à l'argent, qui donc, s'il n'est connaisseur, pourra aisément le vérifier ? "(Saint Irénée, Contre les hérésies)


samedi 31 octobre 2015

Le Temps d'Einstein (Partie 2) : la théorie de la relativité restreinte

Au début du XXe siècle, un article d’un scientifique inconnu bouleverse la communauté scientifique. En une vingtaine de pages, Einstein définit ce qui deviendra la théorie de la relativité restreinte, c’est-à-dire un des piliers incontournables de la science moderne. Plus tard, il étendra ses principes pour fonder une théorie plus générale, la théorie de la relativité générale.

Einstein intervient à un moment crucial. En ce début du siècle, la physique est comme un bâtiment aux multiples fissures, si larges et si graves qu’il menace de s’effondrer. Des découvertes semblent contredire les fondements mêmes de la science. La vision mécaniste de la physique, qui domine les sciences depuis plusieurs siècles, ne parvient plus à expliquer les phénomènes naturels. Pire encore. Elle est contredite par des expériences.

A partir d’Einstein, le monde ne sera plus vu comme avant, la science non plus. Si nous voulons mieux connaître la nature et comprendre le regard scientifique sur la Création, nous ne pouvons pas ignorer ses théories. Certes leur complexité ralentit considérablement notre ardeur. Mais oserons-nous refuser l’obstacle quand des penseurs justifient leur système philosophique erroné en s’appuyant sur la physique d’Einstein ?

Dans un article récent[1], nous avons présenté rapidement le contexte de la découverte d’Einstein. Nous allons désormais présenter la théorie de la relativité restreinte de manière simple en évitant cependant d’être simpliste.

Les deux principes de la théorie de la relativité restreinte

Einstein définit deux principes simples sur lesquels se fonde sa théorie :
  • « toutes les lois de la nature sont les mêmes dans tous les systèmes de coordonnées, qui se meuvent uniformément l’un par rapport à l’autre »[2]. Les lois physiques ont la même forme dans tout référentiel inertiel, ou dit autrement, tous les référentiels en mouvement uniformes entre eux sont équivalents pour la description de la nature ;
  • « la vitesse de la lumière, dans le vide, est la même dans tous les systèmes de coordonnées, qui se meuvent uniformément l’un par rapport à l’autre »[3]. La vitesse de la lumière dans le vide est invariante dans tout référentiel inertiel, ou encore la loi de la propagation de la lumière dans le vide y est constante.
Pour énoncer ces deux principes fondamentaux, Einstein se fonde sur des intuitions et sur des résultats d’expérience

Le premier principe est une extension du principe de relativité de Galilée. D’abord restreint à la mécanique, le principe de relativité de Galilée est étendue à tous les phénomènes de la nature, y compris à l’électromagnétisme, à la lumière. Einstein cherche en fait à réunir la mécanique et l’électromagnétisme dans une seule théorie. Dans la théorie de relativité générale, Einstein étendra encore ce principe en ne le restreignant plus au référentiel inertiel. Son ambition et réunir toutes les théories physiques en une seule.

En partant des équations de Maxwell, des scientifiques ont conclu que la vitesse de la lumière est identique quel que soit le mouvement de celui qui l’observe. Ou dit  autrement, la vitesse de la lumière est invariante dans n’importe quel référentiel uniforme. Des expériences confirment leur conclusion. Au lieu de voir l’invariance de la vitesse de la lumière comme un résultat scientifique, Einstein décide de la poser comme principe de sa théorie.

Première conséquence : la fin des transformées de Galilée

Revenons encore à la mécanique classique et plus précisément au principe de relativité galiléen   si les lois de la mécanique sont valables pour un système inertiel, elles sont alors valables pour n’importe quel référentiel qui se meut uniformément par rapport au premier. Il s’agit donc de définir les lois dans un référentiel inertiel pour pouvoir ensuite les généraliser dans les autres référentiels qui sont en mouvement uniforme par rapport à lui. Galilée a établi des formules qui permettent de passer d’un référentiel inertiel à un autre. Ce sont les « transformées de Galilée ». Grâces à ces équations, nous pouvons calculer les positions et les vitesses d’un corps dans un référentiel à partir de ses positions et vitesses connues dans un autre référentiel inertiel.

Mais les « transformées de Galilée » sont contradictoires aux deux principes de la théorie d’Einstein. Elles sont alors abandonnées. Elles s’opposent au premier principe puisqu’elles ne conservent pas la forme des lois de l’électromagnétisme. La forme des équations de Maxwell ne se conserve pas quand nous y appliquons les « transformées de Galilée ». Les « transformées de Galilée » contredisent aussi le principe de l’invariance de la lumière. La vitesse d’un point matériel est propre à un référentiel. 

Certes, nous avons l’habitude de dire que nous roulons à telle vitesse sans rien préciser, mais implicitement nous nous référons à la route considérée comme immobile. Dans un autre référentiel inertiel, la vitesse serait différente. La vitesse du conducteur par rapport à la route est celle indiquée par le tableau de bord de la voiture. Cette vitesse est nulle par rapport à la voiture. Imaginons maintenant le cas d’un voyageur marchant dans un train qui roule à très grande vitesse. Prenons comme référentiel les rails considérés comme immobiles. Si la personne marche dans le sens du train, la vitesse du voyageur par rapport au rail correspond à sa vitesse par rapport au train à laquelle nous ajoutons la vitesse du train par rapport au rail. Si la personne marche dans le sens opposé, la vitesse du voyageur est la vitesse du train à laquelle nous retranchons sa propre vitesse. Nous appliquons en fait la loi de composition de vitesse de la physique classique.

Que devient alors cette vitesse si nous replaçons le voyageur par la lumière ? Imaginons en effet une personne qui allume une lampe à une extrémité d’un wagon. Comme la lumière se propage dans toutes les directions, elle va atteindre l’autre extrémité du wagon. Prenons en considérons les rayons lumineux qui se propagent selon le sens du déplacement du train. Selon la loi de composition de vitesse, la vitesse de ces rayons sera la somme de la vitesse de la lumière et la vitesse du train. Elle sera donc supérieure à la vitesse de la lumière censée pourtant être constante selon le deuxième principe d’Einstein. La conclusion est rapide. La loi de composition de vitesse qui dérive des « transformées de Galilée » est invalide dans la théorie de relativité restreinte. De cette expérience virtuelle, nous pouvons aussi en déduire qu’aucun objet ne peut dépasser la vitesse de la lumière.

Deuxième conséquence : la remise en cause des concepts classiques de la physique

Nous pouvons alors nous demander pourquoi la loi de composition des vitesses n’est plus valable. Elle est pourtant conforme à notre expérience et les sciences l’ont utilisée depuis plus de trois siècles sans rencontrer de difficultés. Einstein s’est posé la question quand il a découvert l’incompatibilité de l’invariance de la vitesse de la lumière et les principes de la mécanique classique. Il est alors revenu aux principes mêmes de la physique classique, c’est-à-dire à Galilée et à Newton, les inventeurs de la mécanique. Il est revenu aux concepts, c’est-à-dire aux notions fondamentales de la science classique. Ces notions nous paraissent aujourd’hui simples comme celle de la longueur et du temps, et plus exactement sur la mesure de l’espace et du temps. Il s'est interrogé sur leur validité. Ces questions en apparence absurdes tant ces notions nous paraissent simples sont en fait la cause d’une des révolutions scientifiques du XXe siècle. Mais n’est-ce pas plutôt absurde de croire par habitude sans vraiment penser au fondement de nos croyances ? Contrairement à certains discours, une théorie scientifique a toujours comme fondement une croyance qui un jour peut s’avérer fausse…

La fin du principe de simultanéité

Pour nous faire comprendre les limites des principes de la physique classique, Einstein nous donne des exemples très clairs. Supposons que la foudre frappe les rails en deux points distincts A et B. Einstein nous demande alors de réfléchir sur le sens de cette affirmation. Comment pouvons-nous affirmer une telle chose ? Nous pourrions répondre que par un mécanisme d’observation, nous pourrions vérifier que les deux événements sont simultanés. La réponse est insuffisante ou plutôt elle nous conduit à poser une autre question : comment savons-nous que deux phénomènes sont simultanés ? Comment pouvons-nous en effet définir la simultanéité des événements ? Une solution serait alors de se mettre en un point M au milieu de AB afin d’observer simultanément les deux événements par un dispositif optique. Si nous voyions les éclairs tomber en A et B en même temps, nous conclurions qu’ils sont simultanés. Mais cela suppose implicitement que les vitesses de la lumière entre les points A et M et entre les points M et B sont identiques. La définition de la simultanéité nécessite de poser cette hypothèse ou cette convention.

Prenons un autre exemple. Imaginons deux personnes assises aux deux extrémités d’une voiture d’un train. Imaginons que le train se déplace de gauche à droite. Les deux voyageurs prennent une photo avec flash. Au centre de la voiture se trouve une autre personne. Nous la nommons observateur A. Imaginons qu'elle reçoit le flash en même temps. Or la vitesse de la lumière est invariante selon le deuxième principe d’Einstein. Nous en déduisons donc que pour l'observateur A, les deux photographes ont appuyé au même instant sur le déclencheur de l’appareil photo. Mais qu’observe une personne B immobile sur le quai de la gare, voyant se déplacer le train à vive allure de gauche à droite ? 

Pour répondre à cette question, plaçons-nous maintenant à la place de l’observateur B. Puisque le train va de la gauche à la droite, la lumière émise à droite doit parcourir une plus grande distance que celle que doit parcourir la lumière émise à gauche pour atteindre l’observateur B. Comme la vitesse est le rapport entre la distance parcourue et le temps du mouvement et que la vitesse de la lumière est constante, nous en déduisons alors que le temps mis par la lumière émise à gauche est plus court que le temps mis par la lumière émise à droite pour atteindre l’œil de l’observateur B. Ainsi pour l’observateur B, les deux flashs se succèdent. Par conséquent, selon l'observateur B, les deux photographes n’ont pas appuyé en même temps le déclencheur de leur appareil.
Les observateurs A et B ont donc des conclusions différentes sur un même événement ! Un même événement – le déclenchement de la photo avec flash - est perçu comme simultanés pour A et non simultanés pour B. Finalement, cet exemple montre que la simultanéité dépend du référentiel. Deux phénomènes simultanés dans un référentiel peuvent ne pas l’être dans un autre  lorsqu’il meut en mouvement uniforme ! Ainsi dans la théorie d’Einstein, le principe de simultanée n’existe plus. Deux phénomènes simultanés pour un observateur en mouvement dans un train ne le sont pas pour un individu immobile sur le quai.

Allons plus loin encore dans le raisonnement. Qu’est-ce que la simultanéité ? Pour vérifier que deux phénomènes sont simultanés, il suffit de regarder sa montre et de vérifier qu’ils se produisent au même moment.  Mais que signifie « se produire au même moment » ? Nous disons qu’un train arrive à 9 heures à Paris si à l’arrivée à la gare, notre montre affiche 9 ou dit autrement il y a simultanéité entre l’arrivée du train et l’affichage 9 sur la montre. Nous en déduisons donc que dans la théorie de la relativité restreinte, l’heure est relative au référentiel ou dit autrement chaque référentiel a sa propre horloge. « Dans la physique classique nous avions une seule horloge, un seul flux du temps pour tous les observateurs dans tous les systèmes coordonnées. Le temps et, par conséquent, les expressions telles que « simultanément », « plus tôt », « plus tard », avaient une signification absolue indépendante d’un système de coordonnées quelconque. »[4] 

Ainsi, dans la théorie de la relativité restreinte, nous devons désormais dire « simultanément dans tel référentiel », « plus tôt dans tel référentiel », « plus tard dans tel référentiel ». La règle que nous appliquons pour exprimer une vitesse s’applique aussi sur le temps…

Dépendance de la mesure du temps et de la mesure de l’espace

Revenons à l’exemple du train et du flash. Comparons le temps mis par la lumière pour parcourir la même distance selon le référentiel choisi. Imaginons un observateur C sur le quai situé à une distance d d’un photographe situé sur le quai. Imaginons aussi un observateur D à une extrémité droite d’un wagon d’une longueur d. Imaginons enfin un photographe à l’extrémité gauche du wagon. Les deux photographes déclenchent le flash au moment où ils sont à la même hauteur. La lumière atteindra alors l’observateur C avant l’observateur D. Ayant la même longueur à parcourir à la même vitesse, la lumière met donc un temps plus long à parcourir la même distance dans le référentiel du train. Ou encore, le temps semble être "plus long" dans le train que sur le quai ! De manière classique, nous parlons de dilatation du temps. Le chronomètre ralentit-il donc dans le train en mouvement ? Aurait-il changé de rythme en se déplaçant ?

Voyons le même phénomène mais en portant désormais notre regard sur la distance parcourue par la lumière. Dans le train comme sur le quai, la vitesse de la lumière est le rapport entre la distance et le temps. La distance est donc le produit de la vitesse avec le temps. Comme cette vitesse est constante et que la durée de déplacement de la lumière sur le quai est plus courte que le déplacement de la lumière dans le train pour parcourir une même distance, la distance parcourue par la lumière sur le quai est donc plus courte que la distance parcourue par la lumière dans le train. Or cette distance est identique ! De manière classique, nous parlons de contraction des longueurs.

Pour résumer, pour les observateurs D et C, tout se déroule respectivement comme si le temps se dilatait et les longueurs se contractaient. Ce n'est pas en fait le temps ou les longueurs qui changent en réalité mais leur mesure ! Les règles qui servent à mesurer le temps et la longueur ne sont donc pas identiques dans des référentiels inertiels différents.

Dilatation du temps et contraction des longueurs ! Absurdes ?! « Une supposition ne doit pas être considérée comme déraisonnable simplement parce qu’elle diffère de celles de la mécanique classique. […] Nous pouvons très bien imaginer que non seulement l’horloge en mouvement change son rythme, mais aussi qu’un bâton en mouvement change sa longueur, tant que les lois des changements sont les mêmes pour tous les systèmes de coordonnées d’inertie. »[5] Mais cela ne signifie pas que le bâton ou le chronomètre ont changé physiquement. Seule la règle de mesure change. Tel est notre humble avis...

Pour entrer dans la théorie de la relativité, nous devons abandonner les hypothèses de la mécanique classique, qui selon Einstein sont des concepts arbitraires. Selon la physique classique, le temps est absolu, indépendant du référentiel. Or pourquoi devons-nous croire au temps absolu ? « Le temps est déterminé par des horloges, les coordonnées d’espace par des barres, et le résultat de leur détermination pourrait dépendre du comportement de ces horloges et de ces barres quand elles sont en mouvement. Il n’y a pas raison de croire qu’elles se comporteront comme nous le désirons. »[6]



La mesure du temps et de l’espace ne sont donc pas indépendants de l’état du mouvement du référentiel contrairement aux deux hypothèses implicites de la mécanique classique. Une telle affirmation est-elle absurde ? Prenons en effet de la hauteur. Einstein ne dit pas que la réalité est différente selon le référentiel. Le problème ne relève pas de l’ordre existentiel mais de l’ordre sémantique. La découverte d’Einstein est d’abord et avant tout d’ordre logique. N’oublions pas que le temps n’a pas de réalité. Il est donc hors de propos de dire que nous vivons plus longtemps dans un train en mouvement que sur le quai. Ce qui change réellement est notre description des phénomènes et non le phénomène en lui-même. L’observateur D perçoit le mouvement des choses plus lentement que l’observateur C. Or comme la science a pour objet la description des choses, elle doit prendre en compte les découvertes d’Einstein.

Une autre vision de l’espace et du temps


Ces conclusions ne devraient pas nous surprendre. Nous pouvons les comparer avec un autre phénomène qui aujourd’hui nous paraît normal. Songeons en effet à la perspective. Un train vu de loin paraît plus court que s’il est vu de près. Les longueurs vues sous des angles et des distances différents paraissent différentes alors qu’elles sont en réalité égales. Deux longueurs égales de près peuvent ne plus l’être si elles sont vues d’un angle différent. Ne sommes-nous pas dans la même situation ? Les observateurs voient un phénomène dans des référentiels différents, c’est-à-dire selon des points de vue différents, entraînant pour l’un une dilatation du temps et pour l’autre une contraction des longueurs. Certes, nous pouvons peut-être le comprendre pour les longueurs mais le temps ?

Ce résultat peut donc encore nous étonner au point de nous rendre sceptiques. Mais en fait, il nous ramène à la réalité. Einstein revient sur la définition ancienne du temps. Il nous ramène en effet sur les liens qui existent entre le temps et les phénomènes. Ces liens ont été rompus par la physique de Newton qui pour établir son modèle a construit un temps absolu, indépendant de tout phénomène, sorte de réceptacle du monde dans lequel les phénomènes se meuvent. Dans la physique classique, il n’y a pas de lien entre le temps et l’espace. Tout se passe comme s’ils étaient indépendants, c’est-à-dire absolus. Einstein rétablit ce lien. Les contradictions que nous pensons déceler de ses résultats ne proviennent pas de la théorie d’Einstein mais de la conception erronée du temps et de l'espace de Newton. C’est tout le mérite d’Einstein de l’avoir compris. Ainsi les paradoxes qui excitent bien des imaginations ne sont qu’apparents ou sémantiques.

Les transformées de Lorentz

Revenons sur le premier principe de la théorie d’Einstein. « Le principe de relativité est aussi ancien que la physique elle-même. Selon ce principe, la description des phénomènes ne doit pas dépendre des observateurs, tout au moins pour une certaine catégorie d’entre elles. »[7] Cela signifie qu’une loi sous sa forme mathématique doit garder sa forme quelle que soit le référentiel dans laquelle elle est utilisée. Ou dit autrement, une loi est indépendante de l’observateur.

Mais il est indispensable de pouvoir passer d’un référentiel à un autre, c’est-à-dire de passer d’une observation à une autre. Nous avons vu que les « transformées de Galilée » ne respectaient pas le principe de relativité. C’est pour cette raison que Lorentz a développé de nouvelles équations. Comme nous l’avons déjà évoqué, les « transformées de Galilée » modifient de manière conséquente les équations de Maxwell. Les « transformées de Lorentz » résolvent ce problème. Elles permettent de passer d’un référentiel inertiel à un autre tout en respectant les lois de la physique. Elles respectent donc le premier principe de la théorie de la relativité restreinte.

Einstein rejette une hypothèse de la mécanique classique, c‘est-à-dire le caractère absolu du temps. Il considère alors deux référentiels, l’un en mouvement uniforme par rapport à l’autre, chacun ayant un temps différent ou encore une horloge différente. Par le calcul, il redécouvre alors les « transformées de Lorentz ». Elles respectent l’invariance de la vitesse de la lumière. Nous constatons aussi que la vitesse de la lumière ne peut jamais être dépassée. Elles établissent surtout une relation entre les longueurs et le temps des deux référentiels conformes à sa théorie. Par le calcul, nous constatons la dilatation du temps et la contraction de longueur. Les « transformées de Lorentz » obéissent donc aux deux principes de la théorie de la relativité restreinte. Elles sont donc applicables.

Signification des transformées de Lorentz

Quel est le sens des « transformées de Lorentz » ? Elles relient le temps et l’espace des deux référentiels, ou plus exactement les coordonnées spatiales et l’instant. Nous en déduisons alors rapidement que les mesures du temps se ramènent à des mesures d’espace. Comment est aujourd’hui défini le mètre ? Il est « la longueur du trajet parcouru dans le vide par la lumière pendant une durée de 1/299792458 de seconde »[8]. Le temps et l’espace ne sont pas indépendants.

Mais allons encore plus loin. En manipulant les « transformées de Lorentz », nous découvrons une étrange valeur qui possède la caractéristique rare d’être indépendante du référentiel. Cette valeur est appelée intervalle entre deux événements. Elle est une quantité qui relie l’intervalle de temps, l’intervalle de longueur et la vitesse de la lumière. Sa forme, c’est-à-dire la relation mathématique qui permet de la calculer, a des similitudes avec celle qui nous permet de calculer une distance dans la géométrie, si nous considérons le temps comme une coordonnée spatiale. Rappelons que dans la mécanique classique, une distance entre deux points est indépendante des référentiels inertiels. Ainsi nous retrouvons cette propriété avec cette notion d’intervalle entre deux événements. De ce résultat, le mathématicien Minkowski construit un espace à quatre dimensions, qui unit les longueurs et le temps. Depuis, nous parlons d’espace-temps. « Désormais l’espace en lui-même et le temps en lui-même sont condamnés à s’évanouir comme de pures ombres, et seule une sorte d’union des deux conservera une réalité indépendante. »[9] Nous arrivons dans un étrange espace où le temps et l’espace sont interdépendants

Véracité d’une théorie ?

Einstein a-t-il tué Newton ? Les concepts qu’a définis le physicien anglais s’avèrent faux dans la théorie d’Einstein. Or les principes sur lesquels s’appuie le scientifique allemand ont été confirmés par les faits. Des expériences ont validé les résultats de sa théorie. La théorie de la relativité restreinte a aussi permis de résoudre les douloureuses contradictions auxquelles la science était dangereuse confrontées au début du XXe siècle. Enfin, elle a apporté des réponses à des problèmes insolubles avec la mécanique classique. Cependant si nous savons aujourd’hui que la physique classique s’appuie sur des principes arbitraires et faux, elle reste encore valable comme est aussi valable la théorie d’Einstein. Sont-elles donc vraies tout en étant dissemblables ?

Théorie de la relatvité et GPS
Les théories de Newton et d’Einstein sont en fait chacune efficaces - et non vraies - pour décrire le monde selon des besoins et des points de vue différents. La physique classique est une approximation suffisante pour l’étude des phénomènes qui sont de notre dimension. Si nous y appliquons la physique d’Einstein, nous aurons des résultats plus exacts. La différence en sera très négligeable. Certes nous gagnons de la précision mais les efforts pour y parvenir sont trop coûteux alors que cette précision est inutile. En un mot, cela n'est guère rentable. Mais la différence des résultats devient importante et non négligeable lorsque les phénomènes étudiés ont une vitesse qui s’approche de celle de la lumière, c’est-à-dire dans l’infiniment petit ou dans l’infiniment grand. La théorie d’Einstein doit donc s’y appliquer...





Notes et références
[1] Émeraude, article Le Temps d'Einstein (partie 1), septembre 2015.
[2] Einstein et Infeld, L’évolution des Idées en physique, ch. 3, traduit de l’anglais par Maurice Solovine, Flammarion, 1983.
[3] Einstein et Infeld, L’évolution des Idées en physique, ch. 3.
[4] Einstein, Infeld, L’évolution des idées en physique, §3.
[5] Einstein, Infeld, L’évolution des idées en physique, §3.
[6] Einstein, Infeld, L’évolution des idées en physique, §3.
[7] Stamatia Mavridès, La Relativité, Première Partie, Que sais-je ?, Presses universitaires de France, 1988.
[8] Définition du mètre par la Conférence internationale des Poids et des Mesures.
[9] H.Minkowski, Conférence à la 80e Assemblée des physiciens et naturalistes allemands, Cologne, 21 septembre 1908 dans La Relativité, Stamatia Mavridès, Première Partie, Que sais-je ?, Presses universitaires de France, 1988.

mercredi 28 octobre 2015

Le paganisme et le christianisme - objections contre le miracle très anciennes

De nos jours, de beaux esprits se moquent de la puérilité des chrétiens qui croient encore aux miracles. Ils rient de leur ignorance et leur croyance infantile. Leur attitude n’est guère surprenante puisqu’ils se proclament déistes, athées, agnostiques ou au moins opposés au christianisme. Mais que dire de ces chrétiens qui tout en professant leur foi refusent de reconnaître la réalité historique des miracles de Notre Seigneur Jésus-Christ ou évitent d’en parler comme s’ils étaient gênés ?

Il est vrai que les théories abondent pour montrer que les miracles ne sont qu’illusion, imagination ou stupidité. Nous en avons longuement décrit dans l’article précédent. Elles ne sont pas toutes dirigées contre le christianisme. Naïfs ou imprudents, certains défenseurs de la foi les utilisent même, parfois avec sincérité, pour défendre les récits miraculeux des évangélistes. Quelle inconscience !

Le rejet de la réalité des miracles que nous présentons souvent comme rationnelle et moderne est pourtant aussi ancienne que le christianisme. Nous allons en effet revenir au temps du paganisme…

Mais les païens eux-mêmes croient aux prodiges. Leurs religions sont imprégnées de ces faits merveilleux qui hantent leurs mythes et leurs cultes. Comment peuvent-ils s’opposer à la croyance chrétienne ?

La faiblesse d’esprit des chrétiens

Dès les premières années de l’ère chrétienne, les païens attaquent le christianisme. Les premières attaques consistent à le rabaisser et à le mépriser. Les chrétiens sont accusés d’enfantillage et de puérilité. Ce ne sont que des sots, des faibles, des pauvres d’esprit. Pire, ce sont des êtres monstrueux, criminels, l’ennemi du genre humain. Ils sont accusés de suivre des rites ridicules et horribles. « J’entends dire que, poussés par je ne sais quelle absurde croyance, ils consacrent et adorent la tête de l’animal le plus vil, de l’âne : culte bien digne de telles mœurs, dont il né […] »[1] Les chrétiens font l’objet des pires calomnies. Certes, ce ne sont d’abord que d’affreux ragots mais ils conduisent à des persécutions sanglantes d'abord populaires avant d'être étatiques.

La foule est souvent amenée à croire à de telles balivernes. Mais ces accusations ne proviennent pas seulement de la foule. Parmi les accusateurs, nous trouvons des intellectuels de l’époque, par exemple, Fronton, rhéteur illustre du IIe siècle. En son temps, il est admiré comme un nouveau Cicéron. A partir de ses écrits découverts à la fin du XIXe siècle, le spécialiste de l’Antiquité, qu’est Pierre de Labriolle, nous dresse un portrait moins flatteur : il « était un brave homme, d’une vanité candide, un peu gâté par les adulations qui lui étaient prodiguées et l’influence dont il disposait, mais d’une honnêteté personnelle, d’un sincérité non douteuses. »[2] Cependant, rajoute-t-il, il est l’exemple de la médiocrité intellectuelle. « Dès qu’il traite de style, d’éloquence, d’histoire, partout se décèle chez lui le même dédain pour le fond des choses, pour la vérité, et aussi la même passion puérile pour la mise en œuvre, les recherches de style, les combinaisons verbales, etc. » En un mot, « en toutes choses, il n’y a que la forme qui l’intéresse. » Il apparaît donc comme un « esprit superficiel mais cultivé, âme sans malice et sans fiel ».

Pourtant, en dépit de sa sincérité et de sa culture, Froton colporte les préjugés meurtriers de la foule dans une diatribe contre les chrétiens. Il use de toute son éloquence et de son autorité pour diffuser l’infamie au lieu de la combattre. Il est un exemple de ces esprits supérieurs qui nourrit l’hydre de la foule.

Les récits miraculeux des Évangiles sont souvent mis en avant pour montrer la faiblesse du christianisme et l’infantilisme des Chrétiens. Porphyre nous les présente comme des histoires puériles, bonnes pour des enfants en bon âge et des femmelettes. Ce n’est pas en effet un hasard si les seuls témoins des miracles de Notre Seigneur Jésus-Christ ne sont que des gens de la populace.

Les miracles, une imposture

Les intellectuels païens tentent surtout de démontrer que ces miracles ne sont en fait que des impostures, des illusions pour tromper les Chrétiens et abuser de leur crédulité. Nous pouvons citer par exemple Celse, un « intellectuel » du IIe siècle, furieux adversaire du christianisme, particulièrement virulent contre les Chrétiens. Ce ne sont que des gens sans culture, répète-t-il. Leur doctrine est barbare, absurde et facile à duper. Il présente aussi le christianisme comme une sorte de synthèse entre le mysticisme venu d’Orient et une mauvaise interprétation des philosophies grecques, le tout influencé par des légendes païennes. En clair, le christianisme ne serait qu’une religion déformée, erronée, faites de fictions et de légendes. La Sainte Écriture n’est qu’un ensemble « de fables bonnes pour de vieilles femmes »[3]. Selon Celse, le christianisme n’est qu’un ensemble d’emprunts et d’absurdités dont la cause du succès n’est que la sottise humaine. Une grande partie des miracles ne seraient donc que des contes inventés par les disciples de Notre Seigneur Jésus-Christ.

Mais Celse reconnaît la véracité de certains prodiges mais pour leur enlever aussitôt leur caractère divin. Ce ne serait que des tours de magie. Notre Seigneur Jésus-Christ aurait en effet appris l’art de la magie en Égypte « où ayant appris quelques uns de ces secrets que les Égyptiens font tant valoir, il retourna en son pays, et que, tout fier des miracles qu’il savait faire, il se proclama lui-même Dieu. »[4] Ces prodiges ne sont donc pas imputables à des vertus divines. Notre Seigneur Jésus-Christ ne serait donc qu’un charlatan et un imposteur. Il aurait trompé ses disciples par son art. Son imposture serait d’autant plus facile que les seuls témoins de ces actions appartiennent à la populace.

En effet, selon les intellectuels païens, le public devant lequel les miracles sont réalisés n’est guère crédible. Notre Seigneur Jésus-Christ n’aurait choisi que des gens de la populace pour réussir ses tours de magie. Dans sa haine contre le christianisme, Julien l’Apostat reprendra encore cet argument avec encore plus de virulence. Il a pu abuser ses disciples sans difficulté puisqu’il ne s’adressait qu’à des faibles d’esprit. « Il était enchanté – lui, et son disciple Paul – quand ils réussissaient à tromper quelques servantes et quelques esclaves, et parmi eux des femmes, ou des femmes comme Cornélius et Sergius. Si, sous les règnes de Tibère et de Claude, ils ont réussi à convaincre un seul personnage distingué, vous pouvez me tenir en toutes choses pour un menteur. »[5]

Des prodiges indignes des dieux

Mais la position des Païens est pourtant fragile car comme les Chrétiens, les Païens croient aux prodiges. Les récits de leur religion contiennent en effet d’innombrables faits miraculeux. Certains intellectuels païens tentent alors de prouver qu’il n’y a point de comparaison entre le paganisme et le christianisme. Telle est l’attitude de Porphyre.

De manière systématique, Porphyre souligne la nature étrange des prodiges de Notre Seigneur Jésus-Christ. Ses miracles lui sont en effet incompréhensibles car ils ne correspondent pas à ses paroles et à l’enseignement de ses disciples. Il montre en effet qu’ils sont indignes de toute divinité. Pourquoi face au Tentateur, n’a-t-il pas montré toute sa puissance au lieu de lui jeter une parole de la Sainte Écriture ? Ne parlons pas de la Passion de Notre Seigneur Jésus-Christ qui le déconcerte et le stupéfait. Tout cela lui semble « indigne d’un Fils de Dieu, ou simplement d’un homme sage »[6] Rien n’est vraiment extraordinaire et démonstratif dans ses prodiges.

 
Porphyre ne comprend pas non plus pourquoi les miracles ont été accomplis devant des gens du peuple, surtout devant des femmes insignifiantes. Il aurait attendu plus de force et de spectacles, plus de démonstrations dignes des dieux. Le Jésus des Évangiles ne lui convient pas. Ainsi accuse-t-il les Apôtres d’inventeurs et d’affabulateurs.

Porphyre remet en effet en cause l’authenticité et la véracité historique de la Sainte Écriture. Nous savons en effet qu’elle est au cœur de ses attaques[7]. « La partie miraculeuse des Écriture ne révèle que la fraude des uns et l’aveuglement des autres ; ce ne sont partout qu’imputations d’artifice [...]. »[8] Son axe d’attaque consiste en effet à démontrer que les évangélistes et les Apôtres ne sont que des inventeurs et non des historiens en relevant dans leurs récits des contradictions, des incohérences, des discordances. Il applique aux Évangiles et aux autres textes du Nouveau Testament un esprit critique aiguisé et bien formé. Il applique aussi ce même esprit et avec le même soin à l’Ancien Testament. Il s’attaque par exemple au Livre de Daniel en rejetant son authenticité. « Porphyre ne veut pas que ce livre ait été composé par l’auteur dont il porte le nom. Celui l’a rédigé […] a beaucoup moins prédit l’avenir qu’il n’a raconté le passé. Ce qu’il dit des temps qui précédèrent Antiochus est conforme à l’histoire ; ce qu’il a conjecturé pour les temps qui suivirent n’est que mensonge, étant donné qu’il ne pouvait connaître l’avenir. »[9] L’homme ne pouvant pas connaître l’avenir, il rejette l’idée de prophétie. Les Chrétiens ne sont en fait que des incrédules qu’abusent d’habiles gens, de fourbes menteurs. Nous revenons à la pensée déjà devenue classique…

Finalement, les miracles évangéliques n’ont pas de sens dans la manière de pensée de Porphyre. Tout ce qui n’entre pas dans sa conception de la divinité ne peut être divin.

L’impuissance de l’argument apologétique

Les intellectuels païens s’attaquent aussi à l’idée du miracle en tant qu’argument apologétique. Les prodiges sont inefficaces pour prouver leur caractère divin. Celse s’appuie même sur les paroles de Notre Seigneur Jésus-Christ. Il nous a en effet avertis que des imposteurs useront de prodiges pour tromper les fidèles. « Il déclare nettement lui-même, comme nous l'apprenons de vos propres livres, qu'il en viendrait d'autres se présenter à vous qui feraient les mêmes miracles que lui, et qui ne seraient pourtant que des méchants et des imposteurs. Il nous parle d'un certain Satan par qui ses actions seraient imitées. C'est avouer qu'elles n'ont rien de divin et que ce sont les productions d'une cause impure. […] Quelle folie n'est-ce donc pas de le prendre pour un dieu, pendant qu'on regarde comme des imposteurs ceux qui font les mêmes choses que lui ? Si c'est, par là qu'il en faut juger, quelle raison y a-t-il de les condamner, et de ne le condamner pas lui-même sur son propre témoignage ? Car c'est lui qui prononce que tous ces prodiges sont des marques certaines, non de la vertu d'un Dieu, mais de la fraude et de la méchanceté des hommes. » [10]

Porphyre tente aussi de montrer que les miracles sont insuffisants pour en tirer des preuves. « Ces pauvres rustres d’apôtres ont fait des miracles. Est-ce donc chose si importante que de faire des miracles ? Les Mages d’Egypte en ont opéré contre Moïse. Apollonius en a fait. Apulée en a fait. Ils en ont fait des quantités. »[11] La réalité des miracles n’est pas contestée. Il attaque l’idée de miracle comme argument apologétique.

Cette volonté de retirer toute valeur apologétique aux récits miraculeux de l’Évangile se retrouve également dans la personne de Victorinus1[2]. Ils ne peuvent être considérés comme de véritables arguments puisque n’étant pas évidents, ils ne peuvent convaincre. Ainsi étudie-t-il la nature de l’argument. « Un argument est nécessaire, quand il ne peut être formulé ni démontré autrement qu’il ne l’est effectivement. Un argument force la croyance, il la contraint, tandis qu’un argument probable s’insinue et persuade. Tel est le cas d’une affirmation qu’on pose de telle sorte qu’elle ne saurait être autre chose que ce qu’elle est. Exemple : « s’il est né, il mourra » ; « si elle a enfanté, c’est qu’elle a couché avec un homme … » J’ajoute que, selon l’idée des chrétiens, n’est pas nécessaire l’argument « si elle a enfanté, c’est qu’elle a couché avec un homme » ; et pas davantage celui-ci : « s’il est né, il mourra ». Car ils admettent comme une chose évidente l’existence d’un être qui est né sans l’intervention d’un homme, et qui ne meurt point ! »[13] Cela ne lui empêchera pas de se convertir au christianisme.

Comme les païens ne peuvent rejeter l’idée du miracle sans se contredire et la crédulité des Chrétiens sans révéler celle des Païens, les intellectuels de l’empire romain s’efforcent donc de s’attaquer à sa signification. Il faut même aller plus loin. Il remet en cause leur aspect extraordinaire en les relativisant.

Des miracles pas aussi extraordinaires que cela
 
Appolonius de Tyane
Dès le IIIe siècle, dans la littérature païenne, nous voyons ressurgir des hommes extraordinaires aux dons prodigieux. Au lieu de dénigrer les prodiges accomplis par Notre Seigneur Jésus-Christ, les païens tentent en effet de les concurrencer en érigeant contre Lui des hommes dotés de pouvoirs merveilleux. Deux figures sont devenues célèbres : Apollonius de Tyane et Apaulé de Madauré. Ces deux personnages réalisent aussi des miracles qui ressemblent à ceux de Notre Seigneur Jésus-Christ. Ils connaîtront un vif succès. Apollonius de Tyane aura même droit à des sanctuaires.

« Il essayait d’affaiblir l’importance des miracles du Christ sans toutefois les nier, et voulait démontrer qu’Apollonius [de Tyane] en avait fait de pareils et même de plus grands. »[14] En confrontant les prodiges de Notre Seigneur Jésus-Christ et ceux d’Appollonius, Hiéroclès [15] en conclut que les miracles ne sont pas un argument suffisant pour justifier ce qu’Il a prétendu être. Le chrétien Lactance nous a transmis ses critiques dont certaines portent sur les miracles de Notre Seigneur Jésus-Christ.
 
Hiéroclès dresse face à face les deux personnalités. « Si le Christ était un grand magicien, parce qu’il a accompli des prodiges, Apollonius s’est montré plus habile encore, puisque, à t’en croire, au moment où Domitien se disposait à le punir, il disparut soudain de son tribunal- tandis que le Christ, lui, se laissa prendre et attacher à la croix ! »[16] Certes Notre Seigneur Jésus-Christ est « un grand magicien » mais il s’avère finalement sot et maladroit. La Croix est présentée comme un terrible échec, un véritable désaveu. Pire, elle révèle l’orgueil du Christ qui a prétendu être un Dieu. Apollonius est décrit différemment. Aussi grand thaumaturge, Appollonius apparaît plus habile et modeste. Il n’a réclamé aucune déification.
Hiéroclès dénonce enfin la crédulité des Chrétiens par rapport à la sagesse des païens. « Je n’admets pas, déclare notre auteur, que, si Apollonius ne passe pas pour Dieu, c’est qu’il ne l’a pas voulu ; non, mais c’est pour mieux faire éclater notre supériorité de sagesse sur vous. Nous ne sommes pas empressés de le croire dieu, malgré les miracles qu’il a accomplis ; vous autres, pour quelques menus prodiges, vous avez cru tel votre Jésus. »[17]

L’élite païenne reprend ainsi les arguments apologétiques des Chrétiens pour les contrer. La plupart des signes qui leur permettent de reconnaître sa divinité sont aussi apparus dans la personne d’Apollonius. Or les Païens savent que leur grand thaumaturge n’est qu’un homme. Ses arguments ne sont donc pas des preuves.  
Cette forme d’attaque est encore présente au IVe siècle. Dans une lettre adressée à Saint Augustin[18], nous apprenons que dans un débat, on en vient à reparler d’Apollonius de Tyane et d’Apulée comme exemple de créatures privilégiées qui auraient fait des prodiges équivalents à Notre Seigneur Jésus-Christ. On en conclut que les miracles ne décèlent pas nécessairement un Dieu. « Qui ne rirait de voir nos contradicteurs païens comparer, ou même préférer au Christ Apollonius, Apulée et d’autres habiles magiciens ? Il est d’ailleurs plus supportable qu’ils lui comparent de tels hommes que leurs dieux, car, il faut l’avouer, Apollonius valait mieux que ce personnage chargé d’adultères qu’ils appellent Jupiter. »[19]

Contre les miracles païens
Lucien de Samosate
Enfin, des intellectuels païens, plutôt rares, s’opposent à la réalité des miracles aussi bien dans les récits païens que chrétiens. Tel est Lucien de Samosate, « un sage égaré dans un monde de fous »[20]. Renan et bien d’autres le comparent même à Voltaire. Il serait « la première apparition de cette forme du génie humain dont Voltaire a été la complète incarnation, et qui, à beaucoup d’égards, est la vérité ».

Lucien s’attaque à toute forme de charlatanisme et de duperie. Il s’oppose à tout excès de crédulité qui fait que les hommes se laissent facilement duper. La cause ? Leur avidité de merveilleux, leur peu d’exigences en fait de témoignage, leur goût inné pour le mensonge, la sottise et la vanité… Il se moque avec joie et ironie des dieux de l’Olympe. Il les raille impitoyablement.

 

Naturellement au début du XIXe siècle, Lucien est un modèle pour tous ceux qui se vantent d’être parmi les rares amis sincères de la vérité et de la raison. « Après dix-huit cents ans les hommes qui participent à l’intelligence en sont exactement au point où en était Lucien. C’est un peu effrayant, mais bien curieux aussi. Nous avons piétiné inutilement depuis le deuxième siècle, dans les ténèbres chrétiennes, et quand nous avons aperçu, enfin, un peu de lumière, cette lumière était exactement la lumière à laquelle souriait l’ironie antique. »[21] Le christianisme aurait figé l’intelligence pendant des siècles !

Revenons aux miracles. Dans un de ses ouvrages, Lucien met en scène des chrétiens qui se laissent abuser par un philosophe appelé Pérégrinus. « Il était leur prophète, leur thiarsarque et leur chef d’assemblée, jouant à lui seul tous les rôles. Il interprétait, leur paraphrasait leurs livres ; il en composa lui-même un bon nombre. Les chrétiens le regardèrent bientôt comme un Dieu. Ils acceptèrent ses lois et firent de lui un grand personnage. »[22] Pérégrinus n’est qu’un imposteur qui abuse de la naïveté des chrétiens pour leur extorquer de l’argent. Mais la goinfrerie de l’imposteur finit par le faire démasquer. Il sera abandonné…

Au travers de cette histoire, Lucien critique la crédulité des chrétiens qui fait la fortune des gens habiles. « Que surgissent parmi eux un imposteur adroit, sachant mettre à profit la situation, il peut s’enrichir très vite, en menant à sa guise ces gens qui n’y entendent goutte. » Les chrétiens ne seraient que des naïfs dont la crédulité fait sourire aux hommes sages. Ils ne seraient que des proies faciles pour les imposteurs adroits et beaux parleurs. Ainsi toujours selon Lucien, ont-ils accepté les doctrines d’un « sophiste crucifié » sans émettre la moindre critique. Certes, ils sont sincères et authentiques mais idiots et trop crédules. Ils sont comme ces vulgaires qui acceptent tout et croient tout de la part de ceux qui savent nourrir leur appétit du merveilleux. Finalement, tout en refusant de voir le christianisme comme dangereux, Lucien le considère comme « une folie de plus à ajouter à l’interminable liste des insanités humaines. »[23]

Conclusions

Conscients de l’importance des miracles dans l’apostolat des Chrétiens, les intellectuels païens ont cherché soit à enlever toute réalité aux récits évangéliques soit à minimiser leur argument apologétique pour finalement montrer que Notre Seigneur Jésus-Christ est un magicien, un imposteur et ses premiers disciples des menteurs, des crédules. Tout cela ne révelerait que la médiocrité du christianisme et la naïveté des Chrétiens. Ils ne s’opposent guère à la réalité du miracle en tant que tel. Comme Porphyre, il adhère même à l’idée du miracle.

Mais leurs arguments ne parviennent pas à arrêter l’expansion du christianisme. Ils en viennent alors à opposer à Notre Seigneur Jésus-Christ de nouveaux héros, dotés de pouvoirs extraordinaires, capables d’émerveiller la population. A leur tour, ils utilisent les miracles comme arguments mais cette fois-ci sans prétendre que leurs héros soient des dieux. Ce ne sont que des hommes qui ont été reçus par les dieux.

Cette tactique entre dans un plan très vaste. Ils veulent en effet revigorer le paganisme pour contrer le succès du christianisme, notamment en l’imitant. Nous voyons ainsi la cause de leur combat. L’idée du miracle en soi n’est pas rejetée. Ce qui est refusé est son utilisation par les Chrétiens pour montrer le caractère divin de Notre Seigneur Jésus-Christ. Les intellectuels n’y voient qu’imposture d’hommes habiles et fourbes pour abuser de la crédulité des hommes.Très rares sont ceux qui s’opposent à l’idée même du miracle. La civilisation antique n’entendrait guère le discours de nos contemporains.
La dernière manifestation d’un paganisme combatif est révélatrice. Nous le voyons une dernière fois en la personne de Julien l’Apostat. Selon ce dernier empereur païen, le christianisme n'est qu’une invention qui ne contient rien de divin. Elle n’est que méchanceté et  fables. Le christianisme n’est en fait qu’une maladie de l’intelligence. Pour s’opposer à l’argument des miracles, il n’invente guère, ne reprenant que de vieilles objections. Julien oppose ainsi le prestige des dieux grecs par rapport aux récits évangéliques. Il compare Notre Seigneur Jésus-Christ à Zeus, à Héraclés, à Asclépios et à bien d’autres qu’il considère comme des bienfaiteurs de l’humanité. Le paganisme s’enfonce dans le déni de la réalité, dans le ridicule et la haine…





Notes et réferences
1 Minicius Felix, Octavius, IX, 6, trad. Waltzin, dans La réaction païenne, étude sur la polémique antichrétienne du Ier au IVe siècle, Pierre de Labriolle, chap. II, Cef, 2005.  
2 Pierre de Labriolle, La réaction païenne, étude sur la polémique antichrétienne du Ier au IVe siècle, chap. II.  
3 Celse dans Contre Celse, Origène.
4 Celse dans Contre Celse, Origène.
5 Julien, Contre les Galiléens, dans La réaction païenne, étude sur la polémique antichrétienne du Ier au IVe siècle, Pierre de Labriolle, 4ème partie, chap. II.
6 Porphyre, Fragment n°62, dans La réaction païenne, étude sur la polémique antichrétienne du Ier au IVe siècle, Pierre de Labriolle, 3ème partie, chap. I.
7 Voir Emeraude.
8 Edgar Quinet, Revue des Deux Mondes, 1er décembre 1838 dans La réaction païenne, étude sur la polémique antichrétienne du Ier au IVe siècle, Pierre de Labriolle, 3ème partie, chap. I.
9 Saint Jérôme, Commentaire sur Daniel, Fragment n°43, dans La réaction païenne, étude sur la polémique antichrétienne du Ier au IVe siècle, Pierre de Labriolle, 3ème partie, chap. I.
10 Celse dans Contre Celse, Origène.
11 Porphyre dans La réaction païenne, étude sur la polémique antichrétienne du Ier au IVe siècle, Pierre de Labriolle, 3ème partie, chap. III.
12 Après avoir étudié la Sainte Écriture et les écrits chrétiens, Victorinus se convertit et joue un grand rôle contre l’arianisme.
13 Victorinus, In rhetoricam M.Tulli Ciceronis libro duo, I, 29 dans Rhetores latini minores, Halm, 1863, cité dans La réaction païenne, étude sur la polémique antichrétienne du Ier au IVe siècle, Pierre de Labriolle, 4ème partie, chap. I.
14 Lactance, Div. Inst., V, II, 12 cité dans La réaction païenne, étude sur la polémique antichrétienne du Ier au IVe siècle, P. de Labriolle, 3ème partie, chap. III.
15 Un des conseillers influents de Dioclétien, ancien gouverneur de Bithynie, puis de la Basse Égypte.
16 Lactance, Div. Inst., V, II, 12 cité dans La réaction païenne, étude sur la polémique antichrétienne du Ier au IVe siècle, P.de Labriolle, 3ème partie, chap. III.
17 Lactance, Div. Inst., V, II, 12 cité dans La réaction païenne, étude sur la polémique antichrétienne du Ier au IVe siècle, P. de Labriolle, 3ème partie, chap. III.
18 Volusien, Lettre n°135 citée dans La réaction païenne, étude sur la polémique antichrétienne du Ier au IVe siècle, Pierre de Labriolle, 4ème partie, chap. III.
19 Saint Augustin, Lettre n°138, §18 dans Julien dans La réaction païenne, étude sur la polémique antichrétienne du Ier au IVe siècle, Pierre de Labriolle, 4ème partie, chap. II.
20 Renan, Marc-Aurèle, dans Pierre de Labriolle, La réaction païenne, étude sur la polémique antichrétienne du Ier au IVe siècle,  1ère partie, chap. II.
21 Remy de Gourmont, La Vie et les Œuvres de Lucien, Paris, 1882, dans La réaction païenne, étude sur la polémique antichrétienne du Ier au IVe siècle, , 1ère partie, chap. II.  
22 Lucien, Peregrinus, chapitre XI, édition Fritzchius dans La réaction païenne, étude sur la polémique antichrétienne du Ier au IVe siècle, Pierre de Labriolle, , 1ère partie, chap. II.
23 Pierre de Labriolle, La réaction païenne, étude sur la polémique antichrétienne du Ier au IVe siècle, 1ère partie, chap. II.

samedi 17 octobre 2015

Les théories contre la réalité historique des miracles

« Quel miracle faites-vous donc pour que, le voyant, nous croyions en vous ? » (Jean, VI, 30) Les Juifs demandent à Notre Seigneur Jésus-Christ un miracle pour croire en Lui. Est-Il en effet le Messie tant attendu ? Ils ne veulent point simplement entendre des paroles mais voir des œuvres significatives qui confirment son témoignage. « Quelles sont vos œuvres ? » Moïse a aussi accompli de nombreux prodiges pour démontrer l’origine divine de sa mission. Nous-aussi, nous sommes exigeants. Nous avons parfois besoin de faits bien concrets pour être convaincus d’une chose ; nous ne contentons pas de paroles, aussi convaincantes soient-elles. Il y a tant de faux docteurs et prophètes, tant de bons orateurs habiles dans l’art de la persuasion. Les deux derniers siècles en sont pleins. « Ces œuvres mêmes que je fais rendent ce témoignage de moi, que c’est le Père qui m’a envoyé. » (Jean, V, 36)

Il est donc juste de justifier notre foi en Notre Seigneur Jésus-Christ en rappelant les miracles qu’Il a accomplis. Cependant, notre argumentation risque fort d’être rejetée. Notre société est imprégnée de nombreuses théories qui refusent toute réalité au miracle. Or que deviendrait la Sainte Écriture si les œuvres qu’elle décrit n’étaient qu’illusion, erreur ou mensonge ? L’Église se serait-elle trompée depuis tant de siècles ? Notre foi serait bien vaine. « Si le Christ n’est point ressuscité, notre prédication est donc vaine » (I. Cor., XV, 14).
  
C’est pourquoi pour défendre la foi, nous devons démontrer l’erreur de ces théories funestes. Encore faut-il les connaître et les identifier. Tel est l’objet de notre article.

Toute théorie contre les miracles se compose généralement de deux parties. L’une s’attaque à l’idée même du miracle et l’autre donne des explications à l’origine des récits dits miraculeux. Il s’agit bien de justifier la croyance aux miracles tout en prouvant l’erreur de cette même croyance.

Un exemple d’argumentation

Encore récemment, nous avons lu une revue dont le sujet est le miracle. L’éditorial est parfaitement clair. L’auteur reprend les idées de Spinoza qui lui paraissent naturelles.

« De même que les hommes appellent divine toute science qui surpasse la portée de l’esprit humain, ils voient la main de Dieu dans tout phénomène dont la cause est généralement ignorée. »[1] Ainsi les miracles seraient les manifestations d’une superstition. La croyance aux miracles serait la marque de la stupidité des hommes, de leur puérilité et de leur abêtissement.

L’ignorance est en effet l’argument classique de ceux qui ne croient pas au miracle. Il n’y aurait pas de réalité dans les récits miraculeux. Ils ne manifesteraient que l’ignorance des hommes. Nous attribuerions à Dieu des phénomènes parce que nous ne connaîtrions pas toutes les lois naturelles. En élargissant le domaine de la connaissance, la science permettrait de déterminer les causes que nous attribuons faussement à Dieu. Il est vrai que de nombreux faits autrefois considérés comme des miracles sont aujourd’hui vus comme étant parfaitement naturels. Certaines affirmations de notre auteur nous laissent cependant sceptiques. Dans la même revue, nous apprenons par exemple que selon des théories scientifiques, l’eau posséderait en elle-même des vertus de guérison. Elle libérerait des ondes magnétiques ou des substances capables de fournir des remèdes.

Voyons un autre argument classique. Toujours selon Spinoza, Dieu ne peut être l’auteur direct des prodiges car l’idée de miracle est contraire à l’idée de Dieu Créateur. Le Créateur pourrait-Il en effet contredire ce qu’Il a Lui-même établi ? « Si les lois de la nature sont nécessaires, le miracle est impossible. »[2] L’idée de la Création serait donc incompatible avec celle du miracle. « Si les lois de la nature sont nécessaires, le miracle est impossible. »[3]

La croyance au miracle serait par conséquent néfaste pour l’apologétique puisqu’elle s’opposerait à l’idée même de Dieu Créateur et nuirait à la défense de la foi. Cette contradiction sèmerait alors le doute chez les hommes sages et nourrirait leur athéisme. « Si donc un phénomène se produisait dans la nature qui ne fût point conforme à ces lois, on devrait admettre de toute nécessité qu’il leur est contraire et qu’il renverse l’ordre que Dieu a établi dans l’univers en lui donnant des lois générales pour le régler éternellement. D’où il faut conclure que la croyance aux miracles devrait conduire au doute universel et à l’athéisme. » Ainsi l’argument du miracle serait une véritable stupidité.

L’argumentation de Spinoza contre l’idée du miracle passe ainsi par trois étapes. Le philosophe justifie d’abord l’existence des récits miraculeux par l’ignorance, raison purement humaine, puis démontre l’impossibilité des miracles pour renier ensuite l’efficacité de cet argument apologétique. La conclusion est rapide : il faut être stupide pour croire aux miracles et s’en servir comme motifs de crédibilité.

Ces trois étapes reflètent aussi les axes d’attaque classiques contre la réalité des miracles. Ils se résument en trois propositions simples :
  •         les miracles n’existeraient pas. La cause serait naturelle. ils ne manifesteraient pas une intervention divine ;
  •         les miracles n’existeraient que dans l’esprit des hommes. Ils ne manifesteraient qu’une faiblesse humaine,  l’ignorance en particulier, voire son infantilisme ;
  •      les miracles ne peuvent donc être présentés comme un argument en faveur d’une religion.

Les miracles n’existeraient pas

Depuis trois siècles, différents systèmes de pensées s’opposent à la véracité du miracle. La principale raison réside dans la rationalité du monde. Pour le déterminisme, tout phénomène a pour origine des causes naturelles selon des lois bien définies. Pour le rationalisme, tout doit être régi par des règles rationnelles, compréhensibles par l’homme, accessibles à sa raison. Par conséquent, pour ces deux systèmes de pensée, rien ne peut se produire hors des lois naturelles ou hors du champ de la raison. Or par définition même, le miracle n’a pas de cause naturelle et ne peut être expliqué naturellement. Il est donc contradictoire aux principes du déterminisme et du rationalisme. Il est donc impossible dans ces deux systèmes de pensée



Les deux positions sont légèrement différentes. Pour le déterminisme, seule existe la nature. Il n’y a pas un monde ou un ordre surnaturel, c’est-à-dire un monde régi par d’autres lois que celles de la nature. L’idée de Dieu n’a donc pas sa place dans un tel système de pensée. La position est donc fondamentalement athée. Pour le rationalisme, aucun phénomène ne peut dépasser la capacité de la raison humaine. La réalité n’existe donc que si elle est accessible à l’homme. Cette position n’est pas nécessairement athée. Elle peut être agnostique. L’agnostique ne peut en effet croire au miracle puisqu’il pourrait être un argument convaincant qui le détrône de son attitude agnostique.

Dans les deux systèmes de pensée, le principe fondamental est que toute chose ici-bas a une explication qui ne nécessite pas l’intervention d’une quelconque puissance surnaturelle, ce qui exclut évidemment l’idée même de miracle. « Nous ne croyons pas qu’on ait jamais constaté dans la suite des faits l’intervention d’une puissance surnaturelle. »[4]

L’idée du miracle est aussi contestée pour une raison radicalement opposée au déterminisme et au rationalisme. Les adeptes de la contingence refusent que le monde soit déterminé par des lois immuables. Tout change et évolue, les lois elles-mêmes. Rien n’est donc fixe. Par principe de continuité, ils affirment aussi qu’un phénomène influence les choses qui l’entourent comme ce phénomène est lui-même influencé par les choses elles-mêmes. Rien n’est donc isolé de son environnement. Par conséquent, tout est spécifique, unique. Il ne peut donc y avoir des règles régissant le monde. Il ne peut donc y avoir des exceptions à la règle, c’est-à-dire des miracles.

N’oublions pas enfin l’argument de Spinoza que nous avons déjà présenté. Spinoza n’est ni athée, ni agnostique mais bien croyant. L’idée du miracle est une contradiction à l’idée de Création. Elle s’oppose donc à la foi. Dieu ne peut contrevenir aux règles qu’Il a mises en place. Cela dénote l’inefficacité de ces règles ou entraîne inévitablement un désordre. L’idée du miracle est donc incompatible avec sa Puissance et sa Sagesse. Il faut donc la rejeter.

Aucun miracles n’a été constaté

La position du positivisme est plus sournoise. Il ne conteste pas la possibilité du miracle mais affirme qu’« il n’y a pas eu jusqu’ici de miracle constaté »[5]. Au nom de l’expérience, il refuse le miracle.

D’autres en appellent à la science, affirmant que le miracle est scientifiquement indémontrable. Comment en effet pouvons-nous démontrer qu’un fait est miraculeux quand nous ignorons toutes les lois de la nature ? Cette argumentation est probablement la plus redoutable. Elle démontrerait qu’il n’est jamais possible d’attester la réalité du miracle. Comme il est en effet impossible de connaître toutes les lois naturelles, contrairement à ce qu’affirment les déterministes absolus comme Lagrange, il n’est pas possible de savoir si une cause échappe à ces mêmes lois. « Puisqu’un miracle est une exception aux lois de la nature, il faut connaître ces lois, et pour en juger sûrement, il faut les connaître toutes. »[6] Notre ignorance inhérente à notre nature humaine est donc un obstacle en soi. D’autres rationalistes sont moins exigeants. Ils veulent que les miracles s’accomplissent devant une commission de scientifiques afin qu’ils jugent de leur réalité. C’est donc à la science de juger de la réalité du miracle. Hors de ces conditions, tout témoignage serait rejetable.

Un monde qui méprise le miracle

L’idée du miracle est fondamentalement rejetée pour des raisons philosophiques. C’est à partir d’une conception de la nature, des sciences et de l’être que s’élaborent des systèmes pour démontrer toute impossibilité ou existence aux miracles.

L’homme contemporain oublie parfois l’origine de ces théories et encore plus leur histoire. Pourtant, elles imprègnent ses manières de penser. Elles nourrissent ses préjugés. Elles orientent son regard. Aujourd’hui, il entend surtout qu’on ne peut pas savoir avec certitude qu’un fait est réellement miraculeux, faute de connaissances des forces et des lois de la nature. « De tels miracles ne pourraient être vraiment constatés que si nous connaissions réellement toutes les lois de la nature et si nous pouvions avoir la connaissance parfaite de chaque cas particulier. »[7] Finalement, le miracle « suppose que notre science est achevée et complète, ce qu’elle n’est pas »[8]. C’est donc au nom de nos limites naturelles que les récits miraculeux sont rejetés.

Ces objections sont souvent reprises de nos jours comme si elles étaient évidentes. Il est bon ton de ne pas croire aux miracles si on veut être estimé et ne pas être pris pour des gens stupides ou idiots. Une telle croyance serait signe de naïveté, de crédulité, de puérilité. Ce ne sont parfois que des sous-entendus, des idées qui effleurent les discours sans être parfois clairement affirmées. Mais personne n’est dupe. Une certaine pression existe…

Une telle position est aussi défendue de nos jours par des théologiens et des exégètes. « Un certain nombre d’exégètes ont prétendu que dans les évangiles on ne pouvait considérer comme historiques que les récits des prédications de Jésus, de son procès ou de sa Passion, et qu’il faille rejeter comme légendaires tous les récits des miracles. »[9] Leur position n’est pas toujours très claire. Elle consiste souvent à ne parler que de l’enseignement de Notre Seigneur Jésus-Christ en omettant les prodiges qu’Il a accomplis ou en les utilisant uniquement comme paraboles. Le sujet est ainsi soigneusement évité et oublié. Le silence est parfois lourd de signification…

Mais si certains penseurs et philosophes refusent l’idée ou l’existence du miracle, comment expliquent-ils que d’autres y croient ? Des théories existent évidemment pour justifier cette croyance.

L’homme, cause véritable des récits miraculeux

Saint Pierre ressuscitant Tabithe
Masolino (XVe)
Spinoza nous a donné une raison de l’existence des récits miraculeux : l’ignorance des hommes. Elle est l’argument classique. Il en existe d’autres.

Les miracles seraient par exemple l’œuvre d’exagérations populaires[10]. Des faits bien réels auraient bien existé mais ils auraient été amplifiés dans les récits au cours du temps sous différentes influences. Ce serait des images idéalisées et merveilleuses de la réalité[11]. La littérature populaire transformerait des récits historiques primitifs en histoires fabuleuses[12]. Ou ils seraient tout bonnement le fruit de l’imagination[13] ou encore le résultat d’une influence psychothérapique de la suggestion. Le miracle n’existerait donc que dans l’esprit des hommes et non dans la réalité.

Une théorie s’est développée au XIXe siècle qui lui donne des raisons psychiatriques. Comme tout phénomène mystique, la croyance au miracle serait la manifestation d’une maladie mentale telle que l’hystérie, l’hallucination, la psychose. Telle était l’explication de Charcot. Nous en déduisons sans difficulté que le christianisme serait donc nuisible à l’homme car il contribuerait à rendre l’homme malade ou à le maintenir dans une maladie mentale.

Sans aller si loin, des penseurs justifient les récits miraculeux du christianisme par l’infiltration du paganisme dans la religion chrétienne[14]. Les récits mythologiques auraient en effet influencé les premiers Chrétiens. La naissance virginale de Notre Seigneur Jésus-Christ découlerait d’un récit mythique égyptien ou d’une histoire de Philon l’Égyptien[15].

Ou le récit miraculeux, ne serait-il pas simplement une forme rhétorique ? Le miracle ne serait en effet qu’une allégorie ou un symbole pour signifier une idée élevée, une parabole en quelque sorte. Les faits n’auraient été écrits que pour édifier les Chrétiens. Ils n’auraient donc aucune valeur historique[16].

Les explications ne manquent donc pas pour expliquer l’existence de récits miraculeux. Heureusement, l’idée de mensonge autrefois affirmée [17] n’est plus de mode. Le plus grand drame que nous connaissons est probablement le silence et le mépris qui entourent de nos jours l’idée même du miracle, y compris chez les Chrétiens.

La dangerosité de l’argument apologétique du miracle

Les miracles ne sont guère évoqués comme arguments apologétiques de notre foi. A peine voudrions-nous les évoquer que les objections nombreuses et variées viendraient nous contrecarrer. Ce tir de barrage menaçant nous fait probablement peur. Avons-nous peur d'une retraite honteuse ? Autant ne pas en parler. Mais n’est-ce pas l’objectif des adversaires de la foi et de la vérité ?

Comme nous l’avons déjà évoqué, selon Spinoza, la croyance au miracle serait même néfaste pour l’apologétique puisque ce philosophe le considère comme incompatible avec l’idée d’un Dieu Créateur. Elle s’opposerait donc à l’objectif même de l’apologétique. Disons simplement que l’idée du miracle soulève inévitablement des questions et des difficultés qui nécessitent de la part du chrétien un effort que certains ne sont peut-être pas prêts de réaliser…

Conclusion

Notre siècle abondent de bons esprits qui forts de leur science se moquent allègrement de ces Chrétiens qui osent encore croire aux miracles. Malheureusement, parmi ces ricaneurs, se trouvent aussi des chrétiens, voire des experts de toute sorte. D’autres, plus prudents, préfèrent de ne plus parler de ces prodiges et concentrent leurs discours sur l’enseignement du christianisme, sur sa morale et sa sagesse. Enfin, plus ou moins gênés, aussi par prudence, des chrétiens évitent le sujet.

De telles attitudes ne sont pas acceptables. Elles nuisent à la défense de la foi et au salut des hommes. Que deviennent en effet les paroles mêmes de Notre Seigneur Jésus-Christ ? « Les œuvres que je fais au nom de mon Père rendent témoignage de moi » (Jean, X, 25). Saint Jean nous enseigne clairement la raison des récits des miracles : « Jésus a fait encore, en présence de ses disciples, beaucoup d’autres miracles qui ne sont pas dans ce livre. Mais ceux-ci ont été écrits, afin que vous croyiez que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu, et qu’en croyant vous ayez la vie en son nom. » (Jean, XX, 30-31) Si nous refusons de parler des miracles ou de défendre leur force probante, comment pouvons-nous témoigner à notre tour ?




Notes et réferences
[1] Spinoza, Traité théologico-politique, chap. 6, cité dans Éditorial de Frédéric Lenoir, Le Monde des religions, décembre 2013, n°62.
[2] Buffon, dans La science face à l’explicable, Jocelin Morisson, articles du Monde des religions, décembre 2013, n°62.
[3] Buffon, dans La science face à l’explicable, Jocelin Morisson, articles du Monde des religions, décembre 2013, n°62.
[4] M. Séailles, dans Manuel d’Apologétique, Abbé A. Boulanger, n°162, 5ème édition, 1928.
[5] Renan, Vie de Jésus, dans Manuel d’Apologétique, Abbé A. Boulanger, n°162.
[6] J.-J. Rousseau, Lettres écrites de la montagne, dans Manuel d’Apologétique, Abbé A. Boulanger, n°167.
[7] Kasper, Jésus le Christ cité par Pédagogie du Christ, éléments de christologie fondamentale, Cerf, 1997, Sesboüé dans Apologétique, La crédibilité de la Révélation divine transmise aux hommes par Jésus-Christ, Abbé B.Lucien, 5.4.3, Nuntiavit, 2011.
[8] Sesboüé, Pédagogie du Christ, éléments de christologie fondamentale, dans Apologétique, La crédibilité de la Révélation divine transmise aux hommes par Jésus-Christ, Abbé B.Lucien, 5.4.3.
[9] Abbé P Descouvemont, Guide des difficultés de la foi catholique, chapitre VIII, Cerf, 2000.
[10] Théorie naturaliste de E. Gottlob Paulus (1761-1851). Théorie de O. Holtzmann.
[11] Théorie de Didelius, de R. Bultmann (1884-1976).
[12] Théorie historico-morphologique de Bickermann.
[13] Théorie de la mythification de David Frédéric Strauss (1808-1874).
[14] Idée de nouveau ressassée dans Jésus, anatomie d’une supercherie de Patrick Boistier, éditions A l’Orient, 2000.
[15] Voir Joseph Ratzinger, L’enfance de Jésus, trad. de l’allemand par Mère Marie des Anges Cayeux, o.p., champs essais, 2012.
[16] Théories symbolique des modernistes, d’Harnack.
[17] Théorie de la fraude de Samuel Reimarus (1694-1768).