" La pierre précieuse, voire de grand prix aux yeux de certains, qu'est l'émeraude, se voit insultée par un morceau de verre habilement truqué, s'il ne se rencontre personne qui soit capable de procéder à un examen et de démasquer la faute. Et lorsque de l'airain a été mêlé à l'argent, qui donc, s'il n'est connaisseur, pourra aisément le vérifier ? "(Saint Irénée, Contre les hérésies)


vendredi 26 février 2021

L'incompétence de la science devant le mystère de la vie. Et pourtant...

Les hommes sont pris de folie, empêtrés dans leurs contradictions. Depuis plus d’un siècle, au gré d’une lutte parfois acharnée, ils n’ont cessé de construire une société sur la base de valeurs humaines réputées intangibles, sur leurs droits et leur dignité, ou encore sur le libéralisme tant moral qu’économique. Tout devait s’incliner devant leurs exigences, devant ce nouveau monde qui devait apporter progrès et prospérité. Puis tout-à-coup, devant une épidémie inattendue, ses impératifs se sont soudainement évanouis comme emportés par la tempête. Ils ont pris peur face à la vague qui a emporté toutes leurs certitudes, les ramenant à la dure réalité de leur fragilité. Enfouis dans leur confort, perdant courage et audace, ils avaient oublié combien ils étaient périssables.

Frappés si durement, les hommes se sentant menacés dans leur existence, des mesures terribles ont été appliquées, réduisant leurs relations sociales, empêchant les uns de bâtir leur avenir, les autres de vivre de leur travail, jusqu’à dépendre leur liberté à une feuille de papier. Tout ce qui fait que l’homme est homme a ainsi fait l’objet de restriction. Qu’est alors devenu ce moi tant exalté il y a quelques temps encore ?

L’État s’est mis à la place de chacun, définissant ce qui lui était essentiel, y compris dans l’exercice du culte et de la piété. Si certaines manifestations ont révélé une certaine résistance à son pouvoir, si un murmure n’a pas cessé de se lever, la majorité de nos contemporains sont restés silencieusement soumis à ses décrets. Les mesures drastiques ont certes parfois été remises en cause, souvent bien légitimement devant les incohérences et les maladresses constatées mais dans son ensemble, la société a suivi sagement, docilement. La République a vite oublié les mots qui ornent les frontons de ses palais…

Pourtant, tout cela ne peut guère surprendre un observateur avisé. Comment l’État pourrait-il en effet agir autrement quand nos contemporains confondent bonheur et bien-être, quand il ne voit sa fin que dans un corps sain et parfait, quand l’homme n’est finalement réduit qu’à un corps ? La mort et la souffrance sont alors pour lui le pire des maux tolérables. L’épidémie a ainsi mis l’État devant une logique imparable au point de remettre en cause ses fondements. Mais pouvons-nous en effet réduire l’homme à un corps et donc sa fin à la mort ?

Une question fondamentale

L’épreuve soulève avec force et clarté une question déterminante, celle qui détermine notre vie. Elle nous réveille de nos chimères et nous met devant la réalité des choses. Qu’est-ce que la vie ? La question peut paraître dérisoire face à la souffrance et à la mort, à l’ampleur du désastre. Est-il vraiment temps de poser ce problème ? Pourtant, la tempête risque de changer de visage selon la réponse que nous apportons à cette question. Parfois, c’est en posant de bonnes questions que l’homme avance et surmonte ses épreuves.

Qu’est-ce que la vie ? Comment l’homme est-il homme vivant, c’est-à-dire un être animé de la vie ? La question revient en effet à identifier le principe de vie qui explique qu’une chose soit vivante. L’Église nous enseigne que l’âme est ce principe. C’est par elle que l’homme est homme vivant. Lorsque l’âme quitte le corps, celui-ci n’est plus alors qu’un cadavre. Contrairement à ce que nous pourrions croire, cet enseignement n’est pas propre au christianisme. Aristote en était aussi convaincu.

Cependant, ne croyons pas que le christianisme a épuisé sa conception de l’homme à partir de la pensée grecque. Certes, Saint Thomas d’Aquin a donné de belles leçons de vérité en interprétant chrétiennement la pensée d’Aristote, mais il a surtout montré que la raison confirme et complète merveilleusement ce que la foi nous dit de l’homme.

Dans les différents combats que les chrétiens ont menés pour la préserver de l’erreur, l’Église a aussi précisé sa pensée et éclairci sa conception de l’homme. La raison n’est pas en effet l’apanage des philosophes grecs. Lorsqu’elle a été conduite à définir ce qu’était Notre Seigneur Jésus-Christ, elle est revenue nécessairement sur ce qui fait que l’homme est homme. La première définition officielle que l’Église donne à la nature humaine est en effet inscrite dans la définition de Notre Seigneur Jésus-Christ au concile d’Éphèse en 431.

Spiritualiste, vitaliste ou mécaniste ?

L’enseignement de l’Église sait répondre à la question que nous nous sommes posés mais nombreux sont ceux qui rejettent sa réponse. Pour justifier leur position, ils peuvent évoquer la science qui a pour justement pour objet la vie, c’est-à-dire la biologie.

Pourtant, des biologistes de renom sont convaincus que la science ne peut répondre à cette question. Écoutons d’abord l’éminent scientifique François Jacob (1920-2013) qui avoue l’impuissance de la  science à définir ce qu’est la vie lors d’une conférence tenue le 1er janvier 2000. « Depuis qu’il y a des hommes et qu’ils pensent, ils ont dû se poser une telle question. Chacun apprend rapidement qu’il est, tôt ou tard, destiné à mourir. […] Chacun sait que la vie est un état éphémère. Chacun voudrait bien savoir en quoi il consiste.  Le malheur est qu’il est particulièrement difficile, sinon impossible, de définir la vie. »

Il est vrai que nombreux sont ceux qui ont recherché à la définir. De manière classique, nous pouvons classer les définitions de la vie selon trois grandes familles.

La première, dite spiritualiste, considère que le principe de vie est un être ou une substance à part entière, de nature spirituelle ou immatérielle, généralement désigné sous le terme d’« âme », ce qui soulève alors son positionnement par rapport au corps qui n’est que matière. Distincte de lui, l’âme est-elle juxtaposée au corps, posant alors inévitablement le dualisme au cœur de la vie ou unie à lui pour former un seul être ?

La seconde famille, dite vitaliste, rassemble ceux qui définissent le principe de vie comme une force particulière, une force vitale à la manière de la force gravitationnelle. Le problème revient alors à identifier le principe et la nature de cette force.

Enfin, à l’image d’une montre qui fonctionne toute seule, la dernière famille, dite mécaniste, définit le principe de vie dans l’organisation du corps, dans les lois qui s’appliquent à la matière. La vie réside finalement dans la matière.

Une question sans réponse pour le scientifique ?

Or, selon François Jacob, personne n’a pu découvrir ce qu’elle est réellement. Cependant, écoutons la suite de son discours. Il nous explique en effet que « la vie n’existe pas en tant qu’entité indépendante qu’on pourrait caractériser. C’est en réalité un processus, une organisation de la matière. On peut en étudier le processus mais pas l’idée abstraite de vie. On peut tenter de définir un organisme vivant, chercher à établir une ligne de démarcation entre vivant et non-vivant, mais il n’y a pas de matière vivante. Il y a de la matière qui compose les êtres vivants et cette matière n’a pas de propriétés particulières que n’aurait pas celle qui compose la matière inerte. »[1] Sa position est en fait troublante. Soit il récuse l’existence même d’un principe de vie comme substance ou force vitale en faveur d’une conception plutôt mécaniste. Soit en tant que scientifique, il avoue son impuissance à définir ce qu’est la vie, ne pouvant que caractériser un ensemble de phénomènes. Il est donc inutile de demander aux sciences ce qu’est la vie. Généralement, de ce discours, les commentateurs ne retiennent que le deuxième sens.

Sa position rappelle celle d’un autre éminent biologiste, Claude Bernard (1813-1878), qui, lui-aussi, dénie à la science la capacité de connaître le principe de la vie, le réduisant à une notion métaphysique qui lui paraît subjectif. « La force vitale, la vie, appartiennent au monde métaphysique ; leur expression est une nécessité de l’esprit : nous ne pouvons nous en servir que subjectivement. Notre esprit saisit l’unité et le lien, l’harmonie des phénomènes, et il la considère comme l’expression d’une force ; mais grande serait l’erreur de croire que cette force métaphysique est active. […] Ce sont là des conceptions métaphysiques nécessaires, mais qui ne sortent point du domaine où elles sont nées, et ne viennent point réagir sur les phénomènes qui ont donné à l’esprit l’occasion de les créer. »[2] C’est ainsi qu’il exclut la métaphysique de la physiologie[3] puisqu’« aucune science expérimentale ne connaît autre chose que les conditions physico-chimique des phénomènes ». C’est pourquoi, continue-t-il, l’étude des phénomènes de la vie doit être étudiée comme celle de tous les autres phénomènes de la nature.

Il est donc inutile de vouloir chercher à définir ce qui fait que la plante, l’animal ou l’homme est un être vivant. « Nulle part on n’atteint les causes premières ; les forces physiques sont tout aussi obscure que la force vitale et tout aussi en dehors de la prise directe de l’expérience. On n’agit point sur ces entités, mais seulement sur les conditions physiques ou chimiques qui entraînent les phénomènes. Le but de toute science de la nature, en un mot, est de fixer le déterminisme des phénomènes. » Rejetant toute définition et toute recherche de cause première, Claude Bernard demande à la science de la vie de ne révéler que les rapports entre les phénomènes et leurs conditions, ce qui appelle « la causalité immédiate ».

Notons deux points. D’une part, Claude Bernard semble uniquement s’attaquer à la conception vitaliste de la vie, très en vogue à la fin du XIXe siècle. D’autre part, il nous renvoie à une forte tendance philosophique qui donnera naissance au début du XXe siècle à la phénoménologie de Husserl selon laquelle la réalité n’est accessible qu’à travers ses phénomènes. L’être en soi est différent de l’être tel qu’il se montre. Or seul le second est accessible à la connaissance. Par conséquent, il ne peut avoir qu’une science des phénomènes et non une science de l’être et de la vérité comme l’a enseignée Fichte (1762-1814). Finalement, la biologie ne serait pas la science de la vie mais plutôt la science de ces phénomènes.

Une science exacte et autonome

Claude Bernard est en fait intéressé à déterminer ce qu’est la physiologie et finalement à la défendre comme une science exacte égale aux autres sciences mais une science particulière, autonome. Il cherche à montrer que les faits physiologiques sont uniquement soumis à un déterminisme inflexible comme tout fait physique et chimique. Par conséquent, la physiologie est une science aussi rigoureuse que ces sciences dites exactes.

Cependant, la physiologie est distincte de la physique ou de la chimie. Elle a ses propres lois et ses méthodes propres. Par conséquent, elle est une science indépendante. Claude Bernard cherche donc à constituer la physiologie comme une science autonome animée par une idée fixe, le déterminisme. « Il est illusoire de prétendre remonter aux causes des phénomènes par l’esprit ou par la matière. Ni l’esprit ni la matière ne sont des causes. Il n’y a pas de causes aux phénomènes. »[4] Dans la science, la notion de cause n’a pas de sens. La science ne se préoccupe que de fixer les conditions des phénomènes, d’en prévoir l’apparition et de la provoquer. Le déterminisme « ne nous rend pas compte de la nature ; il nous en rend maîtres. » Par conséquent, Claude Bernard conclut : « le déterminisme est donc la seule philosophie scientifique possible. »

Ainsi, tout en excluant la métaphysique de son domaine, le scientifique prend une position philosophique : il s’interdit à rechercher le pourquoi des choses. Comme la notion de principe ne relève pas de la science, il y exclut tout principe de vie en tant que scientifique mais aussi philosophe

Les limites de la science de la vie

Également conscient de la faiblesse de la science, Claude Bernard remet en cause la vérité dite scientifique. Celle-ci n’est qu’approximative. « Quand nous faisons une théorie générale dans nos sciences, la seule chose dont nous soyons certains c’est que toutes les théories sont fausses, absolument parlant. Elles ne sont que des vérités partielles et provisoires, qui nous sont nécessaires comme les degrés sur lesquels nous nous reposons pour avancer dans l’investigation. »[5]

Les connaissances s’améliorent sans jamais accéder à la vérité. Claude Bernard s’oppose alors à l’élaboration de tout système en science car elle brise la marche de la science vers la vérité. Il souligne la tentation du physiologiste de vouloir trop faire confiance en son raisonnement qui le conduit « à une fausse simplification des choses », une foi déraisonnable en la raison qui « tient à l’absence du sentiment de la complexité des phénomènes naturels. »

Cependant, si effectivement ses paroles sont pleines de sens à l’égard de la science et de ses limites, Claude Bernard ne peut apporter la même critique à la philosophie qui, justement, dépasse la connaissance scientifique. Son erreur est de généraliser sa vision de la science expérimentale à toute recherche de connaissance, faisant finalement œuvre de systématisation qu’il condamne. Si le scientifique s’interdit légitimement de se poser la question des causes, faut-il aussi que le philosophe exclut de ses connaissances la notion de principe de vie ? Si la science de la vie ne peut lui apporter de réponse, faut-il exclure toute réponse ? Nous pouvons simplement en déduire que l’interprétation biologiste de la vie lui est insuffisante pour la connaître. Elle est incomplète pour nous rendre compte de la réalité. La faute ne revient pas à la vie mais à la science expérimentale …

Cependant, en excluant la vie du champ de périmètre de la science, il est tentant aussi de l’exclure de la réalité. Si Claude Bernard exclut la question de la nature de la vie du périmètre de la physiologie, d’autres scientifiques n’hésitent pas à en réfuter clairement son existence. « Notre connaissance des phénomènes de la vie s’améliore suffisamment pour que nous commencions à connaître leurs caractères, et pour que nous voyions leur spécificité dans la subordination à un édifice matériel d’une complexité et d’une délicatesse prodigieuses. En dehors de tels édifices, nous ne voyons aucune manifestation des phénomènes de la vie, et nous en arrivons à considérer les actes vitaux comme étant à la fois la condition et la conséquence de l’évolution qui a conduit à ses structures. […] Jusqu’à preuve du contraire, il n’existe aucun principe vital, aucun fluide vital, aucune force vitale. […] Nous pourrions renoncer à utiliser le terme de vie pour caractériser ce mode d’existence et de fonctionnement, ce mode supérieur de mouvement de la matière, et c’est dans ce sens que nous produisons l’assertion paradoxale : la vie n’existe pas. »[6]

La vie n’existe pas ?

Si nous poursuivons la logique de ce discours, nous finirons par croire que la vie n’est que « l’ensemble des manifestations particulières au degré élevé d’organisation que présentent les êtres vivants ». Nous ne sommes pas très éloignés de la conception de François Jacob. L’auteur de cette affirmation est Ernest Kahane (1903-1996), professeur à l’Université de Montpellier, maître de conférences, directeur de laboratoire du CNRS, communiste et principale responsable du syndicat national de l’enseignement supérieur et de la recherche. Certes, il apparaît comme un scientifique marginal mais devons-nous ignorer les postes qu’il a occupés et son influence au sein de la communauté scientifique de la recherche ?

Une telle conviction ne peut guère nous surprendre. Si nous avons une foi inébranlable en la science de la vie, la considérant comme science exacte, et en même temps nous excluons de son périmètre toute question sur la nature de la vie, sur sa cause et donc sur son principe, la notion de vie perd alors tout sens, toute réalité. Nous finissons par être convaincu qu’elle n’existe pas. Comme le proclame Kahane, ce n’est qu’un mot qui ne désigne que notre façon de voir. Telle est l’erreur qu’ont commis les positivistes. « L’erreur des positivistes était d’avoir pensé que la découverte des causes prochaines les amènerait à la connaissance des causes premières, et s’étant aperçu que jamais, par cette voie, ils ne pourraient sortir du monde sensible, ils se sont cantonnés dans celui-ci comme dans le seul compréhensible et ont nié tout ce qui n’est point matière et ne peut se laisser appréhender par les sens. Ils ont péché par orgueil comme Descartes et n’ont voulu recevoir d’autre lumière que d’eux-mêmes. »[7]

Néanmoins, cette erreur fondamentale du positivisme est instructive. Elle nous enseigne à ses dépens que le principe de vie ne relève pas du sensible ou du monde matériel. Il n’est pas accessible dans un laboratoire ou au bout d’un scalpel. Si le déterminisme scientifique peut s’appliquer sur la matière et a montré une réelle efficacité dans la médecine en élaborant des modèles efficients, il ne peut guère apporter de certitude et de base solide dans un domaine qui ne relève pas des phénomènes physico-chimiques. Par conséquent, tout ce qui ne relève pas du sensible est inaccessible à la méthode expérimentale. Le scientifique est finalement incapable de répondre à la question : « qu’est-ce que la vie ? ».

Conclusions

La chose est bien étrange. La biologie est la science de la vie alors que la nature même de la vie lui demeure inconnaissable. Son regard ne porte que sur les phénomènes de la vie, c’est-à-dire ce qui est accessible à nos sens. Elle cherche à les comprendre, à en définir les conditions, à en caractériser les propriétés. Mis la vie lui garde tous ses mystèresPourtant, la tentation est grande d’attendre de nos sciences des réponses à la question de la vie. Le développement de la robotisation, de la génétique, des neurosciences et les progrès de l’informatique qui semblent aboutir à la vie artificielle apportent de nouveaux espoirs à ceux qui veulent percer le mystère de la vie.

Nous pouvons, ou plutôt nous devons remettre en cause la légitimité des scientifiques lorsqu’en tant que scientifiques ou spécialistes de la science de la vie, ils interviennent dans des questions fondamentales sur l’homme, sur la naissance ou la fin de vie, sur nos comportements, sur nos besoins essentiels. Il est encore plus terrible de s’appuyer sur des résultats scientifiques pour adhérer à des théories qui portent sur la vie. La théorie des genres en est un exemple caractéristique. Toutes les théories pseudoscientifiques sur l’origine de la vie sont par conséquent caduques. Encore de nos jours, dans l’épreuve que nous subissons, nos chefs d’État demandent à ces scientifiques de les conseiller dans des décisions qui touchent profondément notre vie. La question que nous nous posons nous conduit donc à bien distinguer et délimiter les domaines de compétences de chacun et par conséquent la sphère dans laquelle il peut légitimement intervenir. Pouvons-nous réduire la vie à ses manifestations de nature physique ou chimique au point de croire que la matière porte en elle-même la vie, la crée et la fait développer par enchantement ?

La recherche du bonheur, c’est-à-dire celle de la plénitude d’être, c’est-à-dire de la vie, ne peut se passer d’une question fondamentale : qu’est-ce que la vie ? Si la science ne peut y répondre, se contentant d’examiner ses phénomènes, elle ne peut non plus, à elle-seule, nous apporter une réponse à notre quête. La biologie et les autres sciences de la nature ne peuvent donc diriger notre morale, c’est-à-dire nous dire comment nous devons vivre. Notre regard doit dépasser les modèles scientifiques qui, par essence, ne reflètent la nature qu’imparfaitement. 

 


Notes et références

[1] François Jacob, discours d’ouverture de la conférence Qu’est-ce que la vie ?, 1er janvier 2000, dans Qu’est-ce que la vie ?, article Science et vie, 19 juin 2018, mise à jour 19 novembre 2018, accédé le 18 janvier 2021, science-et-vie.com.

[2] Claude Bernard, Leçons sur les phénomènes de la vie commune aux animaux et aux végétaux, tome I, 2ème édition conforme à la première, librairie J.-B. Baillière et fils, 1885, source Gallica.

[3] Claude Bernard définit la physiologie comme la science des phénomènes de la vie.

[4] Claude Bernard, Leçons sur les phénomènes de la vie commune aux animaux et aux végétaux, Appendice, VII.

[5] Claude Bernard, Introduction à l’étude de la médecine expérimentale, chapitre II, §III, Delagrave, 1865.

[6] Ernest Kahane, La vie n’existe pas !, Éditions rationalistes, 1962.

[7] Henri Urtin (1875-1966), Les événements et les hommes, La pensée engagée, Claude Bernard et la métaphysique, Esprit, n°102, juillet 1941, jstor.org.

samedi 20 février 2021

Les différents états de l'homme, de ses origines à sa fin, de la création à l'éternité, de son élévation à sa chute puis à son relèvement

«La lampe de ton corps, c’est ton œil. Si ton œil est bon, tout ton corps sera dans la lumière ; s’il est mauvais, ton corps aussi sera dans les ténèbres. » (Luc, XI, 34) Si l’idée que nous faisons de nous est exacte, alors nous vivrons dans la réalité telle qu’elle est vraiment. Mais si nous sommes dans l’ignorance ou dans l’illusion, le monde dans lequel nous œuvrons sera recouvert d’un voile opaque et nous nous comporterons alors comme des êtres insensés, maladroits et inadaptés au monde qui nous entoure. Sans la lumière intérieure, il serait vain de chercher le véritable bien-être et de vouloir atteindre le bonheur. Quand l’égoïsme, la passion ou encore les préjugés nous guident, il n’y a plus en nous de droiture. Comment pouvons-nous alors nous connaître ? Si la lampe nous inonde de sa clarté, notre être tout entier se montrera tel qu’il est. Mais d’où vient la lumière ?

Éclairée et instruite par la parole de Dieu, et comme  une mère auprès  de  ses enfants, l’Église connaît l’homme.  Elle n’ignore pas ses origines comme son histoire, ses  forces et ses faiblesses. Elle sait aussi ce qu’il va advenir quand le temps cessera, quand l’heure de la fin  sonnera. Contrairement à des critiques souvent répétées et dénuées de fondement, elle nous connaît très bien. Elle sait ce que nous sommes. Comment pourrait-elle nous enseigner la vérité et nous conduire vers  Notre Seigneur Jésus-Christ si elle était ignorante de notre véritable nature,  si elle ne portait pas son regard maternel sur nous ? Il est en effet temps de l’entendre et de ne point s’opposer à la lumière qui émane de son enseignement…

L’homme, une créature de Dieu

Lorsque l’Église nous ouvre la Sainte Écriture, elle nous livre dès les premières pages une lumière capitale, celle qui transforme un  homme. « Le seigneur Dieu forma donc l’homme du limon de la terre, et il souffla sur son visage un souffle de vie, et l’homme fut fait âme vivante. »(Genèse, I, 26-27) Cette phrase lumineuse concentre en elle-seule les plus belles vérités que nous pouvons avoir de nous-mêmes. L’homme est d’abord et avant tout une créature de Dieu[1], né de la volonté divine, et par conséquent, comme toute œuvre de la Création, il est naturellement bon.

Cette parole inspirée nous apprend aussi que l’homme est fait d’un corps et d’une âme. L’Église nous enseigne en effet qu’au commencement, Dieu a créé l’homme comme composé d’une âme et d’un corps[2], ou plus précisément d’une âme raisonnable et d’un corps[3].

Le corps tiré de la terre relève du monde physique et donc il est soumis à ses lois, notamment à l’usure du temps. Tiré de la poussière, le corps retournera en poussière comme tout être fait de matière. Comme l’indique le mot qui la désigne, l’âme est souffle de vie, c’est-à-dire qu’elle donne la vie au corps. Lorsque l’âme quitte le corps, il n’y a plus de vie, il n’y a plus d’homme, il y a un corps inanimé.  C’est donc par l’âme que l’homme devient homme vivant, c’est-à-dire pleinement homme ou homme complet. « La chair modelée, à elle-seule, n’est pas l’homme parfait : elle n’est que le corps de l’homme, donc une partie de l’homme. L’âme, à elle-seule, n’est pas davantage l’homme : elle n’est que l’âme de l’homme, donc une partie de l’homme. »[4]

Lorsque Notre Seigneur Jésus-Christ envoie les apôtres à leurs premières missions, Il leur demande de ne pas craindre « ceux qui tuent le corps, et ne peuvent tuer l’âme » et de craindre plutôt Dieu, c’est-à-dire « celui qui peut perdre l’âme et le corps dans la géhenne. » (Matthieu, X, 28) L’âme est immortelle contrairement à notre corps.

L’homme élevé

Une autre parole nous enseigne une réalité encore plus lumineuse. « Faisons l’homme à notre image et à notre ressemblance. » L’homme n’est pas seulement une créature de Dieu, et par conséquent un être bon, il est aussi au sommet de la création, « un peu au-dessous des anges » et « couronné de gloire et d’honneur » (I, Psaume X, 8). Dernier dans l’ordre chronologique de la Création, il est par volonté divine premier dans l’ordre de la nature. Seul l’homme a été créé à l’image et à la ressemblance de Dieu. D’autres paroles bibliques confirment son rang. Selon la volonté divine, toutes les créatures lui sont par exemple assujetties.

Deux aspects de l’homme semblent fonder sa dignité. Selon Saint Grégoire de Nysse, la grandeur de l’homme vient du fait qu’il est créé à l’image de Dieu. D’autres auteurs chrétiens, comme Origène, reprend plutôt l’enseignement de la philosophie grecque qui considère l’homme comme le microcosme de l’univers. « Ne t’étonne pas de m’entendre dire que tout cela est en toi ; comprends que tu es un autre monde en petit et qu’en toi il y a un soleil, il y a une lune, il y a des étoiles. »[5]

Comme l’ont souligné les Pères de l’Église, l’homme a été fait à l’image de Dieu, non pas par son corps qui est périssable mais par son âme. L’âme est ainsi la partie la plus excellente de l’homme. Par sa dignité, elle surpasse le corps. Le corps doit par conséquent être soumis à l’âme. Mais cela ne signifie pas que le corps est indigne ou méprisable. « L’âme est reconnue comme la meilleure partie de l’homme et le corps la moins bonne, mais ni l’âme n’est le bon par nature ni le corps le mal par nature. »[6] Comme nous l’avons déjà rappelé, l’homme est naturellement bon non parce qu’il contient une âme ou un corps mais parce qu’il a été créé par Dieu. La Sainte Écriture nous définit donc l’ordre qui doit exister dans l’union du corps et de l’âme.

Enfin, continuant la lecture de la Sainte Écriture, l’Église nous enseigne qu’au commencement, l’homme a vécu dans un jardin de délice[7]. Nous apprenons en effet que Dieu lui a doté de dons extraordinaires au point qu’il est dans un état qui dépasse sa nature. Il est ainsi exempt de toute incorruptibilité, de toute maladie, de toute infirmité, de toute peine. Certes, il n’est pas la perfection sinon il serait Dieu. N’oublions pas qu’il n’est qu’une image, qu’une ressemblance, et comme toute image, il est et demeure distinct de son modèle, c’est-à-dire de Dieu. Dans le jardin de délices, l’homme éprouve donc un réel bonheur. Rien ne lui manque. Il vit dans l’amitié divine…

L’homme déchu

Mais Adam, le premier homme, a refusé de se contenter de ce bonheur, de n’être qu’une image de Dieu, qu’un reflet de la perfection. Or, il lui fallait peu de choses pour égaler l’objet de cette image, pour être Dieu. Il suffisait de Lui désobéir, de prendre le fruit défendu, le fruit de l’arbre du bien et du mal, d’écouter la voix du diable et de la suivre. Par la première faute, par le péché originel[8], il s’est détourné de son Créateur pour se tourner vers lui-même. L’homme a finalement tout perdu : il a rompu l’amitié de Dieu. Tout n’est plus désormais que désordre, y compris et surtout en lui.

Ainsi créé enfant de Dieu, l’homme nait depuis cette faute enfant de colère. Au-delà de la richesse psychologique de ce récit, cette histoire est un fait qui a altéré réellement l’homme dans son corps et dans son âme. Par le péché originel, la mort est ainsi entrée en elle et l’homme a été amoindri dans son corps et dans son âme. Depuis cet instant fatal, la nature humaine est comme blessée. Le second concile d’Orange nous enseigne que « le péché du premier homme a tellement dévié et affaibli le libre arbitre que personne, depuis, ne peut aimer Dieu comme il faut ni croire ni faire le bien pour Dieu si la grâce de la miséricorde divine ne l’a prévenu. »[9] Nous ne sommes plus qu’une image défigurée de Dieu, qu’une ressemblance bien improbable de Notre Créateur. L’homme tout entier a été changé dans un état pire. 

L’homme relevé

Ce qu’un acte historique a fait pour notre malheur, un autre va réparer la faute commise pour notre grand
bonheur. Par l’œuvre accomplie par Notre Seigneur Jésus-Christ, obéissant jusqu’à la mort sur la Croix, la voie est désormais libre pour que l’homme retrouve ce pour quoi il a été créé, c’est-à-dire pour vivre de la plénitude de vie fixée pour l’éternité dans l’amour de Dieu. Cependant, tous les hommes n’empruntent pas cette voie pour leur grand et ultime malheur. Le péché originel commet toujours ses ravages. Même ceux qui ont été purifié retombe dans de nouvelles fautes. L’homme est un grand pécheur récidiviste. Tel est le prix de notre libre arbitre sans lequel il ne peut y avoir de faute ni de péché encore moins de salut…

Mais, ne croyons pas que le bonheur attendu n’est qu’un état retrouvé. La justice n’a pas seulement été faite. L’obéissance de Notre Seigneur Jésus-Christ n’efface pas seulement la désobéissance d’Adam. Il n’a pas seulement obtenu le pardon de Dieu. L’amour de Dieu a encore éclaté d’une manière éclatante, d’une divine majesté, surpassant tout ce que nous pouvons imaginer. Une grâce encore plus immense nous a en effet été faite en nous rendant fils adoptifs de Dieu. Ce que nous ne sommes pas par nature, nous le sommes en effet devenus par la grâce. Le Royaume de grâce s’est ainsi ouvert à nous. Comme l’énonce si brillamment la liturgie de la Sainte Messe, si Dieu « a créé d’une manière admirable la nature humaine »[10], Il l’a rétablie « d’une manière plus admirable encore dans sa dignité première ».

Par le baptême, l’homme est purifié de tout péché, dont le péché originel, et devient enfant adoptif de Dieu, participant de sa vie divine, une vie divine qui grandit et s’affermit par de nouvelles grâces véhiculées par les sacrements que délivre l’Église. Certes, par le péché, il peut de nouveau perdre cette vie mais par le pardon de Dieu, dans l’Église, il la retrouve restaurée en lui. Et s’il la garde en lui jusqu’au dernier soupir, il pourra rejoindre son Sauveur dans un temps qui ne finira pas, lorsque sa course sera terminée ici-bas. Et au jour dernier, quand tout éclatera, quand les mystères se dissiperont enfin, le corps ressuscité, l’homme complet demeurera éternellement dans la vie de Dieu. Mais pour celui qui n’a pas voulu rester dans l’amitié de Dieu, un autre sort l’attendra. Il souffrira les tourments éternels…

Différents états de la nature humaine

Tel est ainsi résumé brièvement l’enseignement de l’Église. Nous espérons que ce récit reste conforme à ce que nous enseigne l’Église même s’il manque de précision et soulève bien des questions. Toute erreur de notre part ne provient que de notre main peu habile ou d’une connaissance encore à travailler.

Si nous portons notre regard sur la nature humaine qui se dévoile ainsi depuis le commencement jusqu’à sa fin, nous pouvons la voir dans plusieurs états selon la vie divine qui habite en lui..

Le premier état est celui de sa Création. L’homme est établi dans la sainteté et la justice. Il est doté de dons naturels et surnaturels. Par la grâce divine, il vit en effet d’une vie surnaturelle qui se rajoute à sa vie naturelle. Il détient aussi quelques dons particuliers, appelés préternaturels, notamment celui de l’exemption de la souffrance, de l’immunité de la mort et de l’ignorance. Dans cet état, l’homme est heureux avec des dons supérieurs à la nature humaine. Cet état a été celle du premier homme à sa Création. Par le péché d’Adam, il a été perdu définitivement.

Le péché originel a en effet placé l’homme dans un nouvel état, qu’est celui de tout homme à sa naissance. Quittant l’état de sainteté et de justice originelle, l’homme est désormais mortel et captif du diable. Dans son âme et son corps, il a été changé en un état pire. Non seulement, il est dépouillé des dons surnaturels et préternaturels mais sa nature même est blessée. Certes, la nature humaine reste intacte mais l’exercice de ses facultés est diminué. Il est désormais assujetti à la mort, au péché, à l’ignorance, aux mauvaises inclinations et à toutes autres misères. Cet état de déchéance est transmis à tout homme par sa naissance.

L’état d’homme déchu n’est pas définitif. Depuis l’œuvre de la Rédemption, par la grâce divine, la nature humaine est rétablie, restaurée. L’homme peut de nouveau participer à la vie divine qui le rend réellement enfant adoptif de Dieu. L’homme est ainsi justifié et sanctifié. Il peut alors user des moyens qui lui sont offerts par l’Église pour affermir sa sanctification et ainsi arriver au salut éternel. Il peut suivre le chemin qui le conduira au bonheur suprême. Contrairement au premier état, l’homme est dépouillé des dons préternaturels et connaît notamment la concupiscence.

Cependant, l’état de justification et de sainteté peut être remis en cause par le péché que l’homme peut commettre. Par le péché, il peut en effet perdre la vie divine en lui, le rendant de nouveau incapable par lui-même de retrouver l’état précédent. Il est alors privé de tout mérite pour sa sanctification, le laissant impuissant à retrouver le chemin de son bonheur. Pour retrouver son état précédent, il a besoin que son péché soit effacé par la miséricorde toute puissante de Dieu. De nouveau habité par la grâce divine, il retrouve alors l’état qu’il a perdu et peut poursuivre son chemin.

Enfin, si les états précédents peuvent évoluer en pire ou en mieux jusqu’au dernier souffle, l’homme connaîtra nécessairement, et de manière définitive, soit la félicité suprême, soit le malheur éternel. La plénitude de vie fixée pour l’éternité est atteinte définitivement chez l’homme sanctifié. La déchéance définitive de l’homme, privée de vie divine et habité par l’éternelle souffrance, est celle du réprouvé.

Avant d’atteindre ce dernier état définitif, l’âme du défunt doit quitter son corps, rejoindre le paradis, l’enfer ou le purgatoire selon le jugement divin, puis dans un glorieux instant, au son glorieux des trompettes célestes, tout sera restauré. L’homme ressuscitera. L’âme animera de nouveau le corps pour qu’après le jugement dernier, l’homme complet, corps et âme, puisse demeurer dans son dernier et définitif état, celui de la félicité suprême marquée par la vision béatifique ou celui de la souffrance éternelle.

La réalité de notre véritable bonheur

La description des différents états de l’homme selon l’enseignement de l’Église mérite de plus amples explications et précisions pour être mieux saisissable. Mais, par notre préparation brève, nous voulions seulement montrer plusieurs points essentiels pour comprendre ce que nous appelons le bonheur.

D’abord, la nature humaine n’a jamais été et ne sera jamais uniquement d’une pureté naturelle. Soit elle est unie à des dons qui dépassent sa nature, soit elle est abîmée par le péché. L’état définitif correspond à une plénitude de vie divine en l’homme. Telle est donc la fin pour lequel il a été créé. Cela signifie donc que l’homme n’est pas destiné à une fin naturelle. Sa fin dépasse ce que sa nature peut lui donner. Elle ne relève pas de l’ordre de la nature.

Puis, les différents états de la nature humaine peuvent être finalement réduits à deux états, à celui qui correspond à une nature humaine élevée à la participation divine ou celui dans lequel l’homme a perdu la vie divine. Cet état est transitoire tant que l’homme est encore ici-bas. Son véritable bonheur, celui qui ne peut s’achever, ne se trouve donc pas ici-bas mais dans l’éternité, de manière définitive sans aucune crainte d’affaiblissement ou de perte. Cependant, c’est en ce monde que l’homme s’y prépare.

Tant que l’homme est encore vivant, il est destiné à un état définitif, à celui qui correspond à la béatitude éternelle. Néanmoins, cette fin n’est pas assurée. Un péché peut le faire tomber, une grâce le relever. Si ce bonheur éternel est offert à tous les hommes, il n’est pas systématique comme si la vie humaine était une duperie. Tous n’y accèdent pas. Tous les hommes n’acceptent pas les grâces qui sont accordées. Jusqu’à leurs derniers soupirs, leur état peut donc être changé. Rien n’est alors définitif. Nous ne pouvons donc pas être accablés par le désespoir tant que nous restons vivants comme nous ne pouvons pas non plus nous contenter de notre état, croyant que tout est déjà joué.

Le bonheur de l’homme dépend de la présence de la vie divine qui est en lui, une vie que l’homme peut perdre de lui-même ou l’obtenir, la raffermir, l’accroître par la grâce divine. Il peut donc causer sa propre perte ou œuvrer pour accéder au bonheur. Cependant si sa perte a pour cause ultime l’homme, celui-ci ne peut la gagner ou l’accroître sans l’aide de Dieu. Par conséquent, l’homme ne peut atteindre de lui-même la fin pour lequel il est fait. Sa fin relève de la grâce divine.

Rappelons que ce bonheur est bien celui de l’homme, c’est-à-dire de l’âme et du corps réunis. Or le corps n’est que poussière et, selon sa fin naturelle, destiné à retourner en poussière. Cela signifie que dans son état définitif, l’âme et le corps seront de nouveau réunis. La résurrection des corps est un dogme intangible de notre profession de foi.

La véritable notion du surnaturel

Notre bonheur, notre nature humaine ou encore notre vie ne peuvent donc être compris sans la notion de surnaturel. Ainsi, faut-il insister sur ce qu’elle signifie.

Comme le signifie son étymologie, le surnaturelle n’existe pas en soi ou seul mais suppose la nature comme réceptive et détentrice. Il repose sur elle pour l’élever. Il est alors inexact de parler d’êtres ou de choses surnaturelles en soi. Un être n’est pas surnaturel parce qu’il est esprit ou supérieur à l’homme. Le spirituel, le suprasensible, la transcendance, l’infini, le miraculeux et autres termes semblables ne peuvent donc être appelés surnaturels.

Parfois, le terme est employé dans un sens large et analogique. Un sacrement peut ainsi être dit surnaturel car il est le canal qui transmet la grâce surnaturelle. Enfin, le terme de surnaturel peut qualifier une chose en raison de sa cause instrumental alors qu’elle peut aussi être produite naturellement. Le fait de parler plusieurs langues par exemple peut provenir d’un don surnaturel comme il peut aussi être acquis par des efforts naturels. Comme ce don peut aussi être obtenu par l’homme lui-même, il est dit surnaturel au sens accidentel lorsqu’il provient d’une cause qui ne peut pas être naturelle.

Nature et surnature

C’est pourquoi nous ne pouvons pas parler du surnaturel sans décrire ce qu’est le naturel. Est naturel pour l’homme tout ce qui appartient à sa nature créée, à la partie constitutive de sa nature, c’est-à-dire à l’âme et au corps. Est aussi naturel tout ce qui résulte de la nature, de ses forces et de ses facultés, de ses besoins et de ses propriétés. Tout ce qui permet à l’homme de se conserver, tous les besoins, les obligations ou encore toutes les exigences propres aux corps et à l’âme relèvent aussi de la nature.

Est alors dit surnaturel tout ce qui dépasse la nature telle qu’elle vient d’être définie, et par conséquent, ce qui ne lui appartient pas, ni comme partie constitutive, ni comme force, ni comme propriété, ce qui ne peut être recherché et accompli par elle et les moyens qui lui sont accessibles. Ainsi, le surnaturel ne peut être ni accordé ni exigé par la nature. Il est une pure libéralité de Dieu.

Le surnaturel élève donc la nature de l’homme, non au-dessus de lui-même dans un ordre d’existence supérieur ou dans une nouvelle espèce humaine mais il le perfectionne à l’intérieur de sa propre nature. Dieu agit en sa créature au-delà de ses forces naturelles pour qu’elle puisse participer à la vie divine par la grâce qu’Il lui accorde puis de manière parfaite par la gloire dans l’éternité. Selon Saint Thomas, nous avons même un désir de surnaturel comme un besoin d’achèvement ou encore la manifestation d’une certaine aptitude à recevoir le surnaturel en nous. Si le surnaturel se distincte de la nature, le surnaturel n’est pas contre nature.

Conclusions

« Comme une biche soupire auprès des cours d’eau, ainsi mon âme soupir après toi, ô Dieu ! »(Psaumes, XCII 2) Dans ses confessions, Saint Augustin nous fait entendre ce désir qui est le nôtre : « Notre cœur est sans repos tant qu’il ne repose pas en Toi. » Ce repos n’est possible que dans l’éternité. « Mon âme a soif de Dieu. »(Psaume, XIIC, 3)

Notre bonheur réside dans notre union avec Dieu, union nécessairement imparfaite en ce monde mais éternelle et immuable dans l’autre, union qui se construit ici-bas et définitive dans l’éternité. Il concerne l’homme complet, c’est-à-dire dans ce composé que constituent le corps et l’âme.

Mais comme l’a toujours enseigné l’Église, notre bonheur n’est pas véritablement et entièrement notre œuvre. Certes, nous y participons mais le véritable auteur est Dieu. Sans son secours, rien n’est possible dans l’ordre du surnaturel, du commencement jusqu’à la fin. Mais sans notre coopération, notre bonheur n’est pas non plus atteignable, non pas en raison d’un manque ou d’une insuffisance au niveau de Dieu mais en raison de son plein amour. Notre plénitude de vie est accordée en raison du don de la grâce divine et non en raison du pouvoir de la nature humaine. Dieu nous a créés et aimés le premier. Mais sans adhésion à sa volonté, sans un comportement conforme à cette volonté d’union, nous mettons en fait un obstacle à la grâce divine. C’est pourquoi sans notre coopération à l’œuvre de notre vie, nous ne pouvons pas accéder à notre bonheur. Sans don de Dieu, sans part active de notre part, toute quête d’épanouissement est vouée à l’échec.

Telle est l’abîme qui sépare la conception de l’homme qui se révèle dans le culte du bien-être et celle qu’enseigne l’Église. Livré à nous-mêmes, nous ne pouvons guère atteindre notre plénitude car notre épanouissement véritable relève de Dieu… « Sans moi, vous ne pouvez rien faire. »(Jean, XV, 5)

 

 

Notes et références

[1] Voir Émeraude, décembre 2012, article « Qu’est-ce que l’homme ? ».

[2] Cyrille d’Alexandrie, 2ème lettre à Nestorius, Concile d’Éphèse, 1ère session, 22 juin 431, Denzinger, n°250.

[3] Profession de foi, Concile de Chalcédoine, 5ème session, 22 octobre 451, Denzinger, n°301,  3ème concile de Constantinople, définition des deux vouloirs et opérations dans le Christ, 18ème session, 16 septembre 681, Denzinger, n°554.

[4] Saint Irénée, Contre les hérésies, Dénonciation et réfutation de la gnose au nom menteur, V, 6.1, trad. Adelon Rousseau, Cerf, 2001

[5] Origène, Homélies sur le Lévitique, traduction, introduction et notes par M. Borret, Les éditions du Cerf, Sources chrétiennes, 1981, volume I, dans L’homme et le Cosmos à la Renaissance, Le ciel en nous dans une lettre de Marsile Ficin, Ornella Pompeo Faracovi, Presses Universitaires de France, 2004/3 n°207, www.cairn.info.

[6] Saint Cyrille d’Alexandrie, Stromates, IV, 164, 3.

[7] Voir Émeraude, décembre 2012, article « L’homme créé dans un jardin de délice ».

[8] Voir Émeraude, décembre 2012, article « Adam et Ève, la faute… ».

[9] Conclusions de saint Césaire d’Arles, 2ème concile d’Orange, 529, Denzinger, n°396.

[10] Offertoire, Ordinaire de la Messe dite de Saint Pie V.