" La pierre précieuse, voire de grand prix aux yeux de certains, qu'est l'émeraude, se voit insultée par un morceau de verre habilement truqué, s'il ne se rencontre personne qui soit capable de procéder à un examen et de démasquer la faute. Et lorsque de l'airain a été mêlé à l'argent, qui donc, s'il n'est connaisseur, pourra aisément le vérifier ? "(Saint Irénée, Contre les hérésies)


vendredi 24 mars 2017

L'œuvre du salut : enseignement par les paraboles

Luther nie avec énergie le caractère méritoire des œuvres, l’homme ne se sauvant que par la foi seule. L’homme ne serait qu’un serf auprès de Dieu. Mais la force de ses convictions et la vigueur de sa parole ne cachent pas les faiblesses de son raisonnement et de ses arguments. Luther défend aussi la Sainte Écriture comme étant la seule source de foi. Par conséquent, suivons son exemple. Quittons le domaine spéculatif et prenons comme seule référence les textes bibliques. Que nous dit-elle sur la valeur des œuvres ?


L’enseignement de la Sainte Écriture et de Notre Seigneur Jésus-Christ

La Sainte Écriture parle de deux facteurs : la grâce et la liberté. Elle affirme l’un et l’autre sans cependant définir comment elles se concilient.
Sans Dieu, rien n’est possible. L’homme a besoin de crier vers Dieu. « Convertissons-nous à vous, Seigneur, renouvelez nos jours comme au commencement. »(Lamentations de Jérémie, V, 21)
Mais inversement, Dieu exhorte l’homme à se tourner vers lui. « Revenez à moi, dit le Seigneur des armées, et je reviendrai à vous » (Zacharie, I, 3). « Celui qui a été éprouvé par l’or, et trouvé parfait, a celui-là sera une gloire éternelle ; à lui qui a pu transgresser et n’a pas transgressé ; faire le mal et ne l’a pas fait » (Ecclésiastique, XXXI, 9-10) mérite les bénédictions divines.

Comme dans l’Ancien Testament, Notre Seigneur Jésus-Christ parle souvent de salaire, de récompense ou de couronne. Au sermon de la montagne, Il promet que ceux qui seront insultés ou persécutés à cause de Lui devront être dans l’allégresse car leur « récompense est grande dans les cieux » (Matthieu, V, 12) Ils peuvent aussi être heureux « les pauvres en esprit […], ceux qui sont doux, […] ceux qui pleurent, […] ceux qui ont faim et soif de la justice, […] les pacifiques, […] ceux qui souffrent persécution pour la justice » (Matthieu, V, 3-11) car grandes seront leurs récompenses. Ils posséderont la terre. Ils seront consolés, rassasiés. Ils verront Dieu. Ils seront appelés enfants de Dieu ! Le royaume de Dieu sera à eux ! Or il n'y a pas de récompense sans œuvre méritoire.

À Saint Pierre qui se demande comment il peut obtenir le Royaume de Dieu, Notre Seigneur Jésus-Christ répond. Il faut se renoncer. « Et quiconque aura quitté sa maison, ou ses frères, ou ses sœurs, ou son père, ou sa mère, ou sa femme, ou ses enfants, ou ses champs à cause de mon nom, il recevra le centuple et possédera la vie éternelle. » (Matthieu, XIX, 29)

Lorsqu’Il viendra dans sa gloire, Notre Seigneur Jésus-Christ promet aussi à ceux qui seront à sa droite qu’ils prendront possession du royaume qui leur a été préparé dès l’origine du monde car ils Lui ont donné à manger lorsqu’Il avait faim, à boire lorsqu’Il avait soif, L’ont accueilli, Lui qui était étranger, L’ont vêtu alors qu’Il était nu, etc. Mais les justes surpris diront qu’ils n’ont rien fait de tout cela. « En vérité, je vous le dis, toutes les fois que vous l’avez fait à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait. » (Matthieu, XXV, 40) Et à ceux qui ne l’ont pas fait, il promet le feu éternel, l’éternel supplice.

Certes, Moïse nous apprend que Dieu a endurci le cœur du Pharaon mais il affirme fortement la liberté de l’homme dans son choix entre le bien et le mal. « J’invoque à témoin aujourd’hui le ciel et la terre, que je vous ai proposé la vie et la mort, la bénédiction et la malédiction. Choisis donc la vie, et toi et ta postérité, que tu aimes le Seigneur ton Dieu, que tu obéisses à sa voix et que tu t’attaches à lui » (Deutéronome, XXX, 19-20).

Notre Seigneur Jésus-Christ nous enseigne aussi que le salut dépend de la grâce. C’est Dieu qui a voulu rassembler les brebis égarées. « Sans moi vous ne pouvez rien faire » (Jean, XV, 5), nous dit-Il. Et nul ne vient à Lui s’il n’est pas envoyé par Dieu le Père. « Je suis venu moi-même au nom de mon Père » (Jean, V, 43). Mais aussitôt, il rajoute « et vous ne me recevez pas ». « Il est venu chez les siens, et les siens ne l’ont pas reçu. Mais à tous ceux qui l’ont reçu, il a donné le pouvoir d’être faits enfants de Dieu » (Jean, I, 11-12).

Comment après de telles affirmations, si claires pourtant, pouvons-nous encore croire à la doctrine de Luther ? Certes, la Sainte Écriture ne donne aucune théorie sur les relations entre la grâce et le libre-arbitre. Elle enseigne d’une manière pratique et non spéculative. Cependant, Notre Seigneur Jésus-Christ nous éclaire sur leur collaboration au travers de magnifiques paraboles, celle du denier des travailleurs de la vigne[1] et la parabole des talents.

La parabole du denier des travailleurs de la vigne (Matthieu, XIX)

Saint Pierre demande à Notre Seigneur Jésus-Christ quand ses disciples entreront dans le royaume de Dieu. « Voici, dit-il, que nous avons tout quitté pour vous suivre ; qu’avons-nous donc à attendre ? » Il lui répond que la vie éternelle est pour celui qui aura tout quitté pour Le servir. Il faut se dépouiller pour Lui, nous dit-Il. De même, pour trouver son âme, il faut la perdre. Notre Seigneur Jésus-Christ rajoute : « Et plusieurs qui sont les premiers seront les derniers, et plusieurs qui sont les derniers seront les premiers. » (Matthieu, XIX, 39) Pour illustrer cette étrange conclusion, Notre Seigneur Jésus-Christ raconte le récit du denier des travailleurs de la vigne…

Un maître de maison sort dès le matin afin d’engager des ouvriers pour sa vigne. Ce ne sont pas les ouvriers qui viennent chercher du travail mais bien le maître de maison qui part à leur recherche pour les embaucher. À la porte de la ville ou sur les places, il rencontre des ouvriers et après avoir négocié leur salaire à un denier, il les envoie à sa vigne. À la troisième heure, c’est-à-dire vers neuf heures, sur la même place, il en trouve d’autres qui ne font rien. « Allez aussi à ma vigne, et je vous donnerai ce qui sera juste » (Matthieu, XX, 4), et ils y vont. Il n’est plus question de contrat pour le salaire. La scène se reproduit à la sixième puis à la neuvième heure. Le maître de maison continue son chemin. Il prend soin de sa vigne, cherchant à recruter des ouvriers nouveaux. À la onzième heure, c’est-à-dire une heure avant la fin de la journée, il en trouve encore des hommes oisifs et les gourmande familièrement. « Pourquoi vous tenez-vous ici toute la journée sans rien faire ? » (Matthieu, XX, 5) Personne ne les a encore loués. Il les envoie alors à la vigne rejoindre les autres.

Remarquons qu’aux ouvriers de la troisième heure, le maître ne leur indique pas le prix de la journée de travail. Il précise qu’il donnera « ce qui sera juste » (Matthieu, XX, 4). Pour les derniers ouvriers, rien n’est précisé. Seuls les premiers connaissent le montant de leur salaire.

Le soir vient. Et comme le demande la loi du Deutéronome, d’après laquelle le salaire de l’ouvrier mercenaire doit être payé avant la nuit, le maître de maison donne l’ordre à son intendant de rassembler les ouvriers et de leur distribuer leur salaire dans l’ordre inverse de leur arrivée au travail. Ainsi chacun pourra constater ce que les autres reçoivent. Les ouvriers de la onzième heure se présentent et reçoivent chacun un denier. Les autres viennent, espérant bien recevoir davantage puisqu’ils ont travaillé plus longtemps. Ils tendent donc la main. Ils reçoivent pourtant un denier. Ils élèvent alors des plaintes contre le maître de maison. « Ces derniers n’ont travaillé qu’une heure, et tu leur donnes autant qu’à nous, qui avons porté le poids du jour et de la chaleur. » (Matthieu, XX, 12)

Sans s’irriter de leurs murmures, à l’un d’entre eux, le maître rappelle les clauses du contrat passé avec les premiers ouvriers. « Mon ami, dit-il à l’un des ouvriers mécontents, je ne te fais point d’injustice : n’es-tu pas convenu avec moi d’un denier ? Prends ce qui te revient, et va-t-en. Pour moi, je veux donner à ce dernier autant qu’à toi. » (Matthieu, XX, 13-14) Il revendique sa liberté de faire de son bien ce que bon lui semble. « Pour moi, je veux donner à ce dernier autant qu’à toi. Ne m’est-il pas permis de faire de mon bien ce que je veux ? » (Matthieu, XX, 14-15) N’a-t-il pas le droit d’être généreux et de ne pas écouter leur jalousie ? « Et ton œil sera-t-il mauvais parce que je suis bon ? » (Matthieu, XX, 15) La bonté du maître de maison leur donne-t-il des droits sur lui ?

Notre Seigneur Jésus-Christ conclue la parabole en reprenant la réponse qu’il a faite à Saint Pierre : « les derniers seront les premiers, et les premiers, les derniers, car il y a beaucoup d’appelés, mais peu d’élus.[2] » (Matthieu, XX, 16) Il lui fait donc entendre que Saint Pierre comme les chrétiens ne peuvent réclamer la vie éternelle à titre de justice. Dieu la donne par pure bonté et miséricorde.

Interprétons la parabole. Le chef de famille est la figure de Dieu. La vigne, c’est l’Église. Les lieux où il rencontre les ouvriers, c’est le monde.


La première initiative revient à Dieu



Notons encore que c’est le maître qui le premier appelle les hommes à venir travailler pour sa vigne en échange d’un salaire. Il les appelle pendant toute la journée, du matin jusqu’au soir, c’est-à-dire jusqu’à l’heure du salaire. L’initiative appartient à Dieu seul. Cela nous renvoie à une autre parabole, celui des convives qui s’excusent.

« Un homme fit un grand souper, et y appela beaucoup de monde. »(Luc, XIV, 16) Le repas étant prêt, il envoie son serviteur quérir ses invités mais tous trouvent de bonnes excuses pour rejeter l’invitation. « Alors le père de famille irrité dit à son serviteur : va vite dans les places et les rues de la ville, et amène ici les pauvres et les estropiés, les aveugles et les boiteux. »(Luc, XIV, 21) Dieu va chercher les invités aux noces. Le Verbe est venu et Il n’a pas été reçu par les siens.

Mais faut-il encore que les hommes répondent à son appel ! Oisifs et inactifs, ils peuvent le rester, négligeant l’appel divin. Le maître de maison n’oblige pas. Dieu n’impose rien. Il ne force pas les ouvriers à travailler dans la vigne. Il propose et promet un juste salaire. L’homme est donc libre de répondre à l’initiative de Dieu ou de la refuser. Et Notre Seigneur Jésus-Christ est bien sévère envers ceux qui demeurent inactifs. Sur le chemin de la vie, il n’y a pas de place pour l’oisiveté. Il n’est jamais trop tard pour Le servir, quelle que soit l’heure de la journée.

De la justice et de la bienveillance de Dieu

Dans la parabole, nous voyons clairement les relations qui existent entre Dieu et les hommes. Ce ne sont pas des rapports d’un maître tout puissant à l’égard de vils serfs mais bien d’un chef de famille consciencieux avec des ouvriers parfaitement libres. C’est Lui qui fait le premier pas comme c’est encore Lui qui donne le salaire en toute liberté. Si l’homme ne répond pas à son appel, il ne recevra aucun salaire. Et s’il répond et travaille à sa vigne, c’est encore Lui qui le juge selon l’alliance qu’Il a conclue avec lui. Qu’ils soient de la première ou de la dernière heure, les ouvriers de Dieu obtiendront le bonheur éternel. Tous seront égaux, les premiers comme s’ils étaient les derniers, et les derniers comme s’ils étaient les premiers. La vie éternelle sera la même pour tous. « Car ce qui est éternel ne durera ni plus longtemps pour l’un, ni moins longtemps pour l’autre ; ce qui n’a pas de fin n’en aura ni pour moi ni pour toi. »[3]

Selon certains commentateurs, notamment Saint Jérôme, les heures de la journée représentent les différentes phases de la vie où l’appel de Dieu attache les hommes à son service. Qu’ils répondent à son appel dès son enfance ou en fin de vie, ils recevront la même récompense, quoique avec des degrés dans leur gloire et leur félicité.

La récompense ne dépend donc pas du temps passé au service de Dieu. La durée du travail fourni et ses difficultés ne sont pas les seuls facteurs à influer sur la grandeur de la récompense accordée dans le Royaume de Dieu. Cela dépend en premier lieu de la libre décision et de la bienveillance de Dieu. Il mesure la grâce comme Il l’entend sans cependant léser la justice. Notre Seigneur Jésus-Christ s’oppose donc aux opinions des Justes eux-mêmes, qui pourraient accorder trop d’importance aux efforts humains et pas assez à la souveraine indépendance de Dieu. Cela nous ramène à l’attitude de Saint Pierre : « voici, dit-il, que nous avons tout quitté pour vous suivre ; qu’avons-nous donc à attendre ? »

Saint Jérôme attribue alors cette parabole aux justes qui ont été appelés de péché à la justice à des âges différents de la vie, fournissant des sommes variables de bonnes œuvres et d’actes méritoires. Que les Justes prennent donc garde de se conduire de façon à mériter l’élection définitive par leurs seuls efforts. Qu’ils n’oublient pas non plus qu’il y a beaucoup d’appelés et peu d’élus, c’est-à-dire peu de persévérants.

L’interprétation historique

Des Pères de l’Église voient dans la parabole l’histoire de l’œuvre de la Rédemption. Ils ont vu dans les ouvriers des premières heures les Juifs qui s’indignent du traitement fait par Dieu aux Gentils qui arrivent en fin de journée. Ce sont aussi les Juifs qui, les premiers, ont reçu l’Évangile. Notre Seigneur Jésus-Christ demande en effet à ses Apôtres de s’adresser d’abord aux brebis égarées. « N’allez point, leur dit-il, vers les Gentils, et n’entrez point dans les villes des Samaritains ; allez plutôt aux brebis perdues de la maison d’Israël. » (Matthieu, X, 5-6) Mais rejetés par les Juifs et guidés par le Saint Esprit, les Apôtres se sont alors tournés vers les Gentils. Les Pères de l’Église ont ainsi vu dans les ouvriers de la onzième heure les Chrétiens. Eux-aussi sont appelés à la vigne. Alors pour éviter toute réclamation des Juifs, Notre Seigneur Jésus-Christ veut leur montrer qu’ils ne peuvent réclamer plus de bienfaits en prétextant leurs privilèges et leur ancienneté. Il annonce même qu’ils seront supplantés par les derniers, c’est-à-dire par les Gentils ou les Chrétiens.

La libéralité souveraine de Dieu

Le jour du jugement, c’est-à-dire le jour où chacun recevra son salaire, Dieu demeure donc libre de verser la mesure de sa bonté en faveur de ceux qui ont accepté de travailler dans sa vigne. Ses bontés ne nous donnent aucun droit sur Lui. Le don n’est pas un dû. Dieu reste Dieu. Ce n’est pas parce qu’Il donne que nous devons juger la mesure de son don. Tous, juifs ou chrétiens, les premiers comme les derniers dans l’ordre chronologique, et quelque soit le moment où le pécheur devient juste, chacun recevra sa récompense selon la libéralité souveraine de Dieu.

Certains pourront être choqués par cette apparente injustice mais comme le dit souvent Notre Seigneur Jésus-Christ et la Sainte Écriture, notre jugement n’est pas celui de Dieu. Et est-ce vraiment justice de réclamer plus ? Notre Seigneur Jésus-Christ dénonce la jalousie et l’envie qui se cachent derrière les réclamations de certains ouvriers de la première heure. La bonté divine, qui peut en effet la juger ? Elle est égale pour tous. Elle est au-dessus des convoitises et des pauvres jugements humains. Elle rit de la fourberie de ceux qui veulent abuser du don de Dieu. Elle démasque les bons esprits qui sous prétexte d’égalité veulent en fait recevoir plus. Au lieu de murmurer contre Lui, il serait plus juste de se réjouir de ses libéralités !

La parabole des talents

Dans la parabole des talents, Notre Seigneur Jésus-Christ donne une nouvelle leçon sur le jugement. Avant de partir en voyage, un homme confie à ses serviteurs ses biens selon une sage répartition. « À l’un il donna cinq talents, à un autre deux, à un autre un, selon la capacité de chacun » (Matthieu, XXV, 15). Celui qui a reçu cinq talents les utilise efficacement puisqu’il en gagne cinq autres. Celui qui a reçu deux talents double aussi sa mise. Mais le troisième se borne à enterrer le denier qu’il a reçu.

Le maître revient et exige des comptes. Au serviteur qui a reçu cinq deniers et en a gagné cinq autres, il le félicite. « C’est bien, Seigneur, serviteur bon et fidèle, parce que tu as été fidèle en peu de choses, je t’établirai sur beaucoup : entre dans la joie de ton maître. » (Matthieu, XXV, 23) Sa joie est identique lorsque le second serviteur lui montre ce qu’il a gagné. Il est aussi félicité. Les deux serviteurs voient ainsi leur joie dans celle de leur maître. Ils sont ainsi récompensés de leur bonne gestion.

Tout change avec le troisième serviteur. Il ne rend à son maître que le denier qu’il a reçu. Il donne comme prétexte sa crainte de le déplaire et son injustice. « Seigneur, je savais que vous êtes un homme dur, qui moissonnez où vous n’avez pas moissonné, et recueillez où vous n’avez pas vanné. J’ai eu peur et j’ai été cacher votre talent dans la terre. » (Matthieu, XXV, 24-25) Certes, il n’a pas volé son maître, mais il ne l’a pas aimé non plus. Le jugement du maître est clair. Ce n’est qu’un « serviteur méchant et paresseux » (Matthieu, XXV, 26). Il aurait dû porter le denier au banquier afin qu’il le fructifie. « Et ce serviteur inutile », il demande de le jeter « dans les ténèbres extérieurs : c’est là qu’il y aura des pleurs et des grincements de dents. » (Matthieu, XXV, 30) Le maître justifie sa condamnation. «  Car on donnera à celui qui a, et il sera dans l’abondance ; mais à celui qui n’a pas, on ôtera même ce qu’il a. » (Matthieu, XXV, 29)

Bien user des dons de Dieu

Les deniers représentent les dons de la nature et de la grâce, tout ce que Dieu a donné à l’homme. Un jour, Dieu viendra juger de leur utilisation. Certes la répartition des dons est inégale à l’origine. Certains en ont plus que d’autres. Qu’importe ! À chacun de tirer le meilleur parti des « talents » qu’il a reçus. Celui qui n’a eu que deux deniers et les a doublés a reçu le même jugement que celui qui en a reçu cinq. Ceux qui les ont fructifiés recevront une récompense en abondance. Ceux qui les ont négligés seront punis. Laisser improductifs les dons de Dieu, c’est finalement les perdre et se perdre soi-même. L’âme inactive est condamnée. Le troisième serviteur représente donc celui qui détient les biens de Dieu et les laisse sans fruit. Il ne sert donc à rien de les avoir détenus. Il n’y gagne qu’un surcroît de responsabilité devant Dieu. Mieux vaudrait n’avoir rien reçu ! Il est donc dégradé et dépouillé puis il est expulsé et livré à la justice.

Dans la parabole des talents, Notre Seigneur Jésus-Christ nous demande de fructifier les dons que Dieu nous a donnés pour la plus grande gloire de Dieu. Notre bonheur réside en effet dans la joie de Dieu et non dans la nôtre. Nous usons des biens que nous avons reçus pour la seule joie de Dieu. Au jour du jugement, Il viendra évaluer notre travail. Nous pourrions alors obtenir plus de grâce.

Même bonheur éternel mais selon la grandeur des mérites

Dans la parabole du denier des travailleurs de la vigne, Notre Seigneur Jésus-Christ rappelle néanmoins que la récompense des Justes ne se fera pas uniquement selon leurs œuvres. Tous les justes obtiendront le même bonheur éternel. Cependant, comme dans le cas des talents, chacun le recevra selon la grandeur de son mérite. C’est une récompense dite surabondante. « Donnez, et il vous sera donné ; on versera dans votre sein une bonne mesure, pressée, secouée et débordante, car on se servira de vous de la même mesure avec laquelle vous aurez mesuré les autres. » (Luc, VI, 38)

Dans une autre paraboles que rapporte Saint Luc (Luc, XIX, 11-27), les serviteurs reçoivent des mines et au retour de leur maître sont récompensés en proportion de leurs efforts. L’enseignement est aussi clair…

Conclusion

Notre Seigneur Jésus-Christ nous enseigne clairement qu’à la fin des temps, au moment du jugement, où chacun recevra son salaire, Dieu récompensera les bons et les mauvais. La récompense provient de Dieu. Sa bonté se manifestera sans que la justice soit lésée. Mais l’homme a une véritable part de mérite. Néanmoins cette part, il ne faut pas l’exagérer au point de croire que le salut ne proviendrait que des efforts fournis. Ce serait une grave erreur. Notre Seigneur Jésus-Christ rappelle que Dieu est seul souverain. En outre, tous les justes recevront substantiellement la même chose mais de manière inégale et surabondante. Ceux qui verront leur joie dans celle de Dieu, c’est-à-dire se dépouilleront pour Lui, entreront dans sa joie selon une certaine mesure. 





Notes et références
[1] Dit encore parabole des ouvriers de la dernière heure.
[2] Les paroles « car beaucoup sont appelés, mais peu sont élus » ne sont pas dans certains codices.
[3] Saint Augustin, Sermon 87.

samedi 18 mars 2017

La querelle sacramentaire, preuve d'une folle prétention, celle de la doctirne du libre-examen

Au sens de Luther, le libre examen est le principe selon lequel la Sainte Écriture est intelligible à tout chrétien. Par conséquent, il n’est guère besoin d’une autorité en matière d’interprétation biblique. Comme la Sainte Écriture est selon sa doctrine la seule source de vérité, il en conclut qu’il est inutile de disposer d’une autorité en matière de foi. Sa pensée est encore plus radicale. « L’évêque, le pape, les lettrés, et tout homme, ont le pouvoir d’enseigner mais ceux du troupeau doivent juger s’ils entendent la voix du Christ ou celle d’un étranger. »[1] Un chrétien est capable par lui-même de juger de la véracité de l’enseignement d’un homme d’Église.

Fort de son principe, Luther accuse l’Église catholique d’avoir mis de nombreuses choses sur le même pied d’égalité avec l’Évangile alors qu’elles ne seraient que pures inventions humaines. Il remet donc en question de nombreux dogmes et pratiques au regard de la Sainte Écriture. Il remet notamment en question la conception traditionnelle de l’Église porteuse et gardienne de la Sainte Écriture.

Aujourd’hui encore, de nombreux chrétiens croient sincèrement qu’ils n’ont pas besoin de l’Église pour lire correctement et bien interpréter la Sainte Écriture, pensant sans hésitation que le Saint Esprit les éclaire directement. Sans le savoir peut-être, ils reprennent la doctrine de Luther. « Nous sommes maintenant éclairés sur toutes les vérités de la foi par la lumière directe du Saint-Esprit »[2], déclare-t-il à un légat du Pape. Mais ces belles paroles que deviennent-elles quand elles sont appliquées dans la réalité ?

Or les faits historiques nous montrent que le Saint Esprit, tel que le conçoit Luther, ne dirige pas les hommes de la même manière et sur la même voie, allant même se contredire. Le développement des mouvements protestants montrent en fait l’inefficacité du libre examen et surtout la folle prétention de ces innovateurs. La Sainte Écriture n’est pas aussi aisée à saisir tant les interprétations qui sont issues d’une lecture même sérieuse et attentive s’opposent. La querelle dite sacramentaire en est un bel exemple. Le Saint Esprit n’éclaire pas tout homme qui veut…

La Cène, réalité ou symbole ?



La querelle dite sacramentaire désigne un conflit qui a rapidement opposé les « réformateurs » sur la question de la Cène ou plutôt, selon le vocabulaire catholique, le sacrement de l’Eucharistie. Elle oppose Luther et les luthériens aux négateurs du dogme de la présence réelle dans l'Eucharistie. Les premiers entendent à la lettre les mots du Christ : « ceci est mon corps, ceci est mon sang » : le Christ est bien présent dans l’hostie, avec le pain (consubstantiation), dans le pain (impanation). Leur attitude s’avère rapidement peu cohérente avec la doctrine de la justification par la foi seule. Mais, Luther persiste, « enchaîné par le texte » de l’Évangile. Mais d’autres, plus soucieux de rigueur intellectuelle, n’y voient qu’un symbole. C’est la position de Karlstadt puis de Zwingli. Présence réelle ou symbole ?

Revenons au temps où Luther doit se cacher pour éviter les sanctions de la diète de Worms. En 1521, un de ses disciples, Karstadt, profite de son absence pour imposer une réforme plus radicale à Wittenberg. Il met notamment en question toute présence réelle du corps de Notre Seigneur Jésus-Christ dans la Cène. La promesse de Notre Seigneur Jésus-Christ de nous donner son corps se rapporte à lui et à son sacrifice sur la croix. Ainsi Karlstad applique ses paroles à son corps assis parmi ses disciples. Certes, comme Luther, il défend l’idée qu’il n’y a eu qu’un sacrifice, celui de la Croix, mais la Cène ne serait qu’un souvenir du Calvaire. De retour à Wittenberg en 1522, Luther le fait chasser de la Saxe. Installé à Strasbourg, il publie des opuscules sur ce sujet, défendant sa conception de la Cène. Sa doctrine se répand au point d’inquiéter Luther.

Karlstadt (1486-1541)


Les arguments de Karlstadt impressionnent en effet les « réformateurs ». Certains y adhèrent. D’autres demandent à Luther des explications claires sur le sujet. « Nous éloignons donc, autant que possible, les pensées des nôtres de cette controverse. Mais il en est que cela ne satisfait pas. Ils insistent et veulent que nous leur disions ce que nous croyons au sujet de ce pain et de ce vin. Or, nous ne savons pas bien encore ce que nous devons leur répondre, en toute sûreté de foi et nous persévérons dans notre effort pour écarter ce problème. » [11] Puis d’autres protestants comme ceux de Strasbourg défendent l’idée d’une solution intermédiaire entre la présence réelle et le symbolisme. Ils développent l’idée de la présence spirituelle ou virtuelle de Notre Seigneur Jésus-Christ et en la communion spirituelle. Calvin la reprendra.

En 1525, Luther publie alors un ouvrage défendant la Présence réelle dans la Cène. Il réfute les arguments de Karlstadt et railliant l’exégèse aventureux de son adversaire. Il accuse la « raison du docteur Karlstadt » et ironise sur sa manie de raisonner. « Comme si nous ne savions pas que la raison est la prostituée du diable et qu’elle ne peut que blasphémer et souiller tout ce que Dieu dit et fait ! »[11]

Luther a accusé Karlstadt d’avoir « le premier lancé cette opinion »[3]. Pourtant, l’idée de l’interprétation symbolique de la Cène est déjà présente dans un traité d’un théologien, Wessel Ganfort (vers 1419-1489), qu'on présente souvent comme l'un des précurseurs de la "réforme". Son ouvrage impressionne notamment Cornelis Henriexs Hoen, Hinne Rode et Georges Sagan, qui à leur tour développent la thèse et la répandent. Hoen estime que le Christ, en mourant, a voulu ajouter à sa promesse un gage, comme un époux à son épouse avant de la quitter. « Celui qui reçoit l’eucharistie, gage de son époux, qui atteste qu’il se donne à lui, doit croire fermement que désormais le Christ est à lui, qu’il a été livré pour lui et son sang versé pour son salut : c’est pourquoi, il détournera son esprit de tout ce qu’il aimait auparavant, pour ne s’attacher qu’au Christ… Voilà ce que veut dire : manger le Christ et boire son sang, comme le Sauveur l’a dit lui-même. »[11] Hoen s’oppose à la doctrine de la présence réelle qu’il considère comme l’œuvre du diable. Les trois partisans de la foi nouvelle font part de leurs réflexions à Luther, qui les rejettent sans hésitation. Renvoyés par ce dernier, ils se rendent alors à Bâle auprès d’Oecolampade puis à Zurich auprès de Zwingli. Ces chefs de mouvements adhèrent à leur thèse. Ils en viennent aussi à appuyer Karlstadt tout en trouvant ses arguments faibles. Ils publient alors des ouvrages contre la Présence réelle en développant d’autres arguments plus convaincants. Ils défendent surtout l’idée que les mots du Christ ne sont qu’un trope, c’est-à-dire une figure.

Cependant, Oecolampade se distingue de Zwingli. Si ce dernier adhère au symbolisme de la Cène, Oecolampade ne voit pas simplement une commémoration dans la Cène et tend à défendre l’idée d’une présence spirituelle, d’une communion mystique. Il conçoit une véritable action divine dans le sacrement.

De nouveau, toujours avec sa violence accoutumée, Luther s’oppose aux réformateurs de Zurich et de Bâle, les englobant dans le même esprit que celui de Karlstadt. Il les appelle désormais les « flagelleurs du sacrement », « les blasphémateurs du sacrement » ou plus simplement les « sacramentaires ». Ses amis pressent alors Luther de réfuter leurs arguments dans un esprit de paix. Mais Luther est catégorique. « En somme, il faut que les uns ou les autres soient des ministres de Satan : eux ou nous. Il n’y a pas de place pour un avis intermédiaire ou pour un milieu. Il faut que chaque partie confesse ce qu’elle croit. Et, du moment qu’ils sont si assurés, nous leur demandons qu’ici ils sont en dissentiment formel avec nous […] Que si eux persistent à dissimuler, il nous incombera de proclamer que nous sommes étrangers les uns aux autres et que nos esprits sont opposés. […] Nous embrassons volontiers la paix, mais à condition que notre paix avec Dieu par le Christ soit sauve. »[4]

Un conflit sans issue

Revenons aux luttes que tous les protestants engagent, défendant l’une des trois conceptions de la Cène : présence réelle, symbolique ou spirituelle. La question devient l’objet de nombreux traités, chacun apportant des arguments en faveur de leur doctrine. Comme nous avons désormais l’habitude, les injures se mêlent aux différentes argumentations. Finalement, au niveau doctrinal, les traités et contre-traités n’aboutissent à aucun résultat. Pourtant, le récit de la Cène est capital. Le nombre des traités pour défendre chacune des positions le démontrent suffisamment.

Un conflit révélateur des contradictions de la nouvelle foi



Parmi les arguments que Luther utilise contre ses adversaires, notons en deux. D’une part, il accuse Zwingli et Oecolampade de s’appuyer sur l’expérience de la foi, c’est-à-dire sur le témoignage intérieur de leurs esprits et sur leur conscience. « À quoi sert ce grand mot, fastuosissima illa vox, d’expérience de la foi et de témoignage de l’esprit, si nous pouvons l’invoquer pour nous et le repousser pour les autres ? […] Nous sommes certains de ne pas nous tromper, à eux de voir jusqu’à quel point ils sont certains de ne pas se tromper. » [5] En clair, l’expérience de la foi est toute relative et ne peut servir d’argument.

D’autre part, Luther use contre ses adversaires de l’argument des variations. « Il y a trois sectes dans cet erreur sur le sacrement […] Leurs dissensions prouvent que ce qu’ils enseignent vient de Satan, car l’Esprit de Dieu n’est pas un Dieu de dissension mais de paix. » [6] Or s’il existe de véritable divergence sur un texte capital de la Sainte Écriture, cela signifie que le Saint-Esprit n’éclaire pas tous les esprits. Or comment le savoir ? La divergence est même l’œuvre de Satan. Il peut donc influencer dans la lecture de la Sainte Écriture.

Les arguments de Luther nous intéressent car nous pouvons sans difficulté les retourner contre lui. Il en appelle aussi à l’expérience de la foi pour réfuter l’enseignement de l’Église et imposer sa doctrine. Il est lui aussi source de dissension et de querelles. Il en est même le premier à avoir ouvert le chemin de la révolte. Ce qui est vrai pour ses adversaires deviendrait-il sans intérêt et inefficace lorsque cela le concerne ? Pour relativiser ses attaques, Zwingli en vient aussi  à reprocher les audaces et les turpitudes de Luther contre des catholiques tout en dénonçant son hypocrisie. Il « admet beaucoup de choses qu’il reprochait jadis à ses ennemis »[7]

Zwingli nous apprend aussi : « Que le corps et le sang du Christ soient reçus essentiellement et corporellement dans le pain et le vin de l’eucharistie, cela ne peut être démontré par la sainte Écriture. » En fait, aucune des trois positions sur le sacrement ne peut être démontrée par la Sainte Écriture en dépit des subtilités grammaticales que les uns et les autres manipulent avec trop de subtilités et de finesse. En clair, selon Zwingli, la Sainte Écriture à elle-seule ne peut être source de vérité pour les dogmes contrairement aux propos des « réformateurs ». Sans le vouloir, Luther avoue lui-aussi l’impuissance de la Sainte Écriture puisqu’il en appelle à l’autorité unanime des Pères et à la pratique constante de l’Église depuis le début du christianisme pour défendre sa doctrine. Luther en appelle à la Tradition !

Une doctrine bien humaine

En fait, Luther et Zwingli interprètent les paroles de Notre Seigneur Jésus-Christ selon leur tempérament. Luther les interprète de manière littérale, Zwingli dans un sens métaphysique. Cela est compréhensible. Luther tire sa doctrine de son expérience personnelle comme nous l’avons pu voir au travers de notre étude. De sa relation avec Dieu, il bâtit son système religieux. Zwingli est plus rationnel. C’est un intellectuel. Il développe ses idées de manière logique à partir de quelques principes. Sur le sacrement, l’un raisonne donc en mystique, l’autre en rationaliste. Le premier sent la présence du Christ, le second y demeure froid. Leur interprétation dépend donc de leur tempérament et de leur expérience. Que devient alors le libre-examen qu’ils défendent tant ? Que devient aussi l’intelligibilité de la Sainte Écriture ?

L’exigence de la lecture biblique

De manière inconsciente, Zwingli remet en question la doctrine centrale du protestantisme en se défendant des attaques de Luther. « Personne n’est si savant qu’il puisse tout savoir et ne se trompe jamais. » Cela signifie que la lecture et l'interprétation de la Sainte Ecriture s’appuient sur une connaissance et qu’en matière de savoir, l’homme n’est pas parfait. Zwingli demande alors à Luther de prendre conscience de son ignorance. Il en revient donc à montrer que l’interprétation de la Sainte Écriture nécessite des connaissances qui ne sont pas accessibles à Luther et par conséquent à tout chrétien. Effectivement, nous voyons des protestants user avec habilité de la sémantique pour justifier leurs positions. L’interprétation de la Sainte Écriture dépendrait-elle du degré de science de chacun ?

Le politique encore au secours du religieux

Ainsi les discussions scripturaires ne permettent pas aux chefs réformateurs d’aboutir à un accord. Le raisonnement et les injures ne suffisent pas à réconcilier les différents protestants. Une solution sera néanmoins trouver grâce à la politique. L’une des autorités politiques, Philippe de Hesse, est soucieux de l’unité des protestants afin de s’opposer efficacement à l’empereur Charles Quint. En outre, comme le dit Zwingli, « ne donnons point aux papistes le temps de respirer notre dissentiment. »[8] La réconciliation est donc nécessaire afin de concentrer les forces et d’éviter la raillerie des catholiques.

Sous l’instigation de Philippe de Hesse, en 1529, les principaux protagonistes sont réunis à Marbourg dans l’espoir d’aboutir à une entente. Mais les divergences persistent sur le sujet de la cène. L’année suivante, c’est de nouveau la rupture. Une autre tentative de réconciliation échoue en 1534. Philippe de Hesse ne perd pas espoir. En 1536, il réunit de nouveau les principaux chefs de mouvement à Wittenberg. Un texte est enfin accepté par les luthériens et les sacramentaires. La concorde de Wittenberg met alors fin officiellement aux controverses. Ce n’est qu’une réconciliation de façade pour des intérêts politiques. Un accord est trouvé. Cependant, ne nous trompons point. L’accord est fait d’équivoques. « L’Eucharistie est le sacrement du vrai corps et du vrai sang de Jésus-Christ, et y participer est nécessaire à tous les Chrétiens. »[9] Le premier article du texte est particulièrement intéressant. Il est même symptomatique, voire ironique. Les théologiens protestants tirent leur confession sur l’Eucharistie à partir des paroles de Saint Irénée de Lyon, c’est-à-dire d’un Père de l’Église, confirmant finalement que la Sainte Écriture ne peut être la seule source de vérité en matière de foi !

Conclusion

La querelle dite sacramentaire dresse les partisans de Luther à ceux de Zwingli. Ils se querellent sur les paroles de Notre Seigneur Jésus-Christ instituant l’Eucharistie. Or ces paroles sont simples, claires et entendues par tous et depuis l’origine de l’Église. Elles sont au centre de la liturgie depuis des siècles. Jamais le sacrement de l’Eucharistie n’a été remis en cause. Pourtant, les maîtres de la « réforme » ne parviennent pas à se mettre d’accord sur le sens de ces paroles. Or n’ont-ils pas tous affirmé et écrit que la Sainte Écriture était intelligible par tous ? N’ont-ils pas affirmé que tout chrétien pouvait librement l’interpréter ? Or dans cette histoire, chaque protagoniste a sa propre façon d’interpréter ce récit fondamental. Les uns l’entendent de manière littérale, les autres, de manières figurées. Et certains cherchent une troisième voie ! On en appelle à la raison et au savoir, à la science et à la Tradition ! Est-ce l’intelligibilité universelle de la Sainte Écriture ? La lumière directe du Saint Esprit ?

Par leur désaccord sur un récit fondamental, les protagonistes montrent d’abord que l’interprétation de la Sainte Écriture n’est pas si simple et nécessite une certaine science et plus encore une certaine prudence. La lecture des textes sacrés peut être biaisée par les traductions et l’intention du traducteur comme par le tempérament et l’expérience, ou l’inexpérience, du lecteur. Le libre examen est donc une illusion ou encore une folle prétention humaine, et surtout la voie à l’anarchie, à la confusion. Puis, la Sainte Écriture ne semble pas être suffisante pour l’entendre comme il se doit. Le recours aux seuls textes sacrés pour régler ce différend s’est avéré impossible. Les protestants eux-mêmes ont dû user de la Tradition pour parvenir à un accord. Enfin, sans le soutien insistant de l’autorité politique, la controverse aurait encore pu durer bien longtemps semant le désordre et la division au sein du protestantisme. Or, comme l’avoue Luther lui-même, le désordre et la multitude des opinions sur un sujet si important sont signes qu’elles proviennent du diable.

« Cette seule dispute renverrait le fondement commun des deux partis. Ils croyaient pouvoir finir toutes les disputes par l’Écriture toute seule, et ne voulaient qu’elle pour juge ; et tout le monde voyait qu’ils disputaient sans fin sur cette Écriture, et encore sur un passage qui devait être des plus clairs »[10]. Parfois, les simples faits suffisent à réfuter une doctrine …




Notes et références
[1] Martin Luther, dans Protestantisme et libre examen, les étapes et le vocabulaire d’une controverse, Joseph Leclair, dans Recherche de science religieuse, n°3, 1969.
[2] Luther dans Luther et démocratie, Charles Mercier, Revue néo-scolastique de philosophie, année 1936, volume 39, n°51, www.persee.fr.
[3] Luther, lettre du 27 octobre 1525 dans Dictionnaire de Théologie catholique, article "Sacramentaire (controverse)".
[4] Luther, lettre du 5 novembre 1525 aux prédicateurs de Strasbourg dans Dictionnaire de Théologie catholique, article "Sacramentaire (controverse)".
[5] Luther, lettre du 5 novembre 1525 aux prédicateurs de Strasbourg.
[6] Luther, lettre du 5 novembre 1525 aux prédicateurs de Strasbourg.
[7] Zwingli, lettre du 1er avril 1527 à Luther dans Dictionnaire de Théologie catholique, article "Sacramentaire (controverse)".
[8] Zwingli, lettre du 1er avril 1527.
[9] Accord de Wittenberg, dans L’Église de la Renaissance et de la Réforme, Une Révolution religieuse : la réforme protestante, Daniel-Rops, V, Fayard, 1955.
[10] Bossuet, Histoire des variations des églises protestantes, Tome I, Livre II, bnf, gallica. Traduction proposée par nous.

[11] Dictionnaire de Théologie catholique, article "Sacramentaire (controverse)", édition Letouzey et Ané, 1902-1950, jesus-maria.com.

samedi 11 mars 2017

Dès l'origine, division des protestants : autant d'églises que de chefs

Depuis que des seigneurs luthériens ont protesté contre un décret impérial, le terme de « protestantisme » désigne un ensemble de doctrines et d'églises chrétiennes né au XVIe siècle, séparées de l’Église catholique. Luther en est l’un des premiers grands chefs et penseurs. Mais il n’en est pas le seul. Le luthéranisme n’en est pas en effet le seul composant du protestantisme. Derrière ce terme se cache toute une diversité de pensées et de doctrines. De plusieurs villes comme Zurich, Bâle, Strasbourg, rayonnent un protestantisme au visage plus ou moins différent. Si les différents mouvements protestants sont unis pour protester contre l’Église catholique, les différentes églises qui les composent se divisent, se querellent, s’excommunient mutuellement au point que les protestants eux-mêmes murmurent et s’affligent de leurs dissensions. Dans cet article, nous allons présenter les principaux chefs de la « réforme » au moment où Luther répand sa doctrine…

Ulrich Zwingli (1484-1531)

Pendant qu’en Allemagne, Luther mène son offensive contre l’Église catholique, qu'appuient et soutiennent les princes et les magistrats des villes libres, d’autres réformateurs se sont levés en Europe. En Suisse, Ulrich Zwingli est le principal artisan de la révolution religieuse.

Fils du premier magistrat de la commune de Wildhaus du comté de Toggenbourg, Ulrich Zwingli  suit le cursus normal de l’enseignement de l’époque. Il fait ses humanités à Berne puis à Bâle,puis  se rend à l’université de Vienne pour suivre des cours de philosophie scolastique, laquelle ne lui inspire que de l’aversion, et enfin il étudie la théologie sous la direction de Thomas Wyttenbach (1480/82-1526), qui lui inspire ses idées "réformatrices". Ordonné prêtre en 1506, il étudie avec ardeur les Livres Saints, notamment les épîtres de Saint Paul, en vue de la prédication. Rapidement, il est connu pour ses qualités d’orateur.

Zwingli prend aussi part aux affaires politiques, n’hésitant pas à critiquer les gouvernants dans ses sermons. Il s’oppose notamment à la coutume des capitulations, c’est-à-dire aux conventions par lesquelles les Suisses s’engagent comme soldats au service des puissances étrangères. Après avoir accompagné des mercenaires à titre d’aumônier jusqu’à la défaite de Marignan, son opposition contre les capitulations devient plus ouverte et furieuse. La noblesse helvétique, plus favorable à cette pratique, qui lui permet de toucher de fortes pensions de l’étranger pour la levée de troupe, s’en prend à lui. Zwingli finit par changer de paroisse et se rend à Notre-Dame d’Einsiedeln, haut culte mariale et lieu de pèlerinage. Plusieurs milliers de chrétiens s’y rendent chaque année. Il se met alors à attaquer à la fois le pèlerinage et le culte de la Sainte Vierge. Il remet aussi en question les vœux monastiques et la valeur des messes. En dépit de ses attaques, il obtient en 1518 la chaire de premier prédicateur de la cathédrale de Zurich.

À Zurich, Ulrich Zwingli poursuit ses attaques contre les coutumes religieuses et politiques de son pays. Le premier jour de l’an 1519, il s’en prend violemment contre les abus et sur la réforme de l’Église. Il remet en question la doctrine des indulgences, qu’il considère comme une des « fourberies romaines », l’observation du jeûne et de l’abstinence en temps de Carême. Puis, dans un traité, il demande l’abolition du célibat qu’il avoue lui-même ne pas l’avoir pu observer.

Le développement de la réforme de Zwingli

À la suite de ses prédications contre le jeûne et des vaines protestations de l’évêque de Constance, le Conseil de Zurich organise une grande dispute publique à Zurich en 1523 afin que chacun expose ses doctrines par les seuls arguments de la Sainte Écriture. En présence d’une grande assistance, elle oppose des délégués de l’évêque de Constance et des partisans d’Ulrich Zwingli.

Pour cette rencontre, Zwingli rédige 67 thèses dans lesquelles il s’efforce de démontrer que la Sainte Écriture est la seule règle de la foi, que Jésus-Christ est le seul chef de l’Église, que les Papes et les évêques ont usurpé son autorité, que la messe n’est pas un sacrifice. Il rejette le purgatoire, le culte des saints, l’absolution réservée aux prêtres, toute valeur aux œuvres. Zwingli attribue en outre au Conseil de Zurich des pouvoirs étendus en matière religieuse.

Le Conseil de Zurich déclare vainqueur Zwingli et décide que les prédicateurs ne doivent désormais plus rien prêcher qui ne peut être démontré par l’Écriture. Ils autorisent les moines à sortir de leur couvent.

Suite à des destructions d’image commis par des partisans de Zwingli, une seconde discussion publique a lieu en octobre 1523 pour traiter de la question de la suppression des images et de la messe. Le Conseil de Zurich en conclue par la résolution d’introduire la réforme de Zwingli à Zurich. Ce dernier rédige un plan d’organisation, intitulé Introduction à la doctrine catholique que le Conseil de Zurich applique, y compris dans les campagnes. Il supprime les images, transforme les couvents en écoles et en hôpitaux. La messe est supprimée en 1525. Le gouvernement de l’Église, la législation du mariage, la discipline morale, l’organisation des écoles et des services de charité lui sont remis. Les biens ecclésiastiques sont confisqués. Les monastères sont vidés de gré ou de force. L’exercice du catholicisme est finalement interdit sous peine de condamnation.

La réforme de Zwingli se propage dans les cantons suisses en dépit des résistances. On l’impose à Berne en 1528 de la même manière qu’à Zurich. À Leipzig et à Bade, des colloques sont néanmoins remportés par des catholiques. Une vive animosité dresse les catholiques et les réformateurs les uns contre les autres. Des ligues politiques se forment. Des villes se regroupent en des alliances selon leur confession. À la bataille de Cappel, le 11 octobre 1531, les réformateurs sont battus. Zwingli y trouve la mort.  Après une deuxième victoire, les catholiques concluent avec leurs adversaires un traité leur accordant la paix à condition qu’aucun canton ne soit inquiété pour cause de religion. Le catholicisme est restauré partiellement dans certaines communes. Des abbés retrouvent leur abbaye d’où ils ont été chassés. Mais la Suisse se trouve divisée en deux confessions

Le zwinglisme

Comme Luther, Zwingli pose en principe que la Sainte Écriture est la seule autorité en matière de foi. Chaque fidèle peut l’interpréter suivant les lumières qu’il reçoit du Saint Esprit. Il rejette donc l’autorité des Pères de l’Église et celle des conciles. Ainsi chacun peut forger sa propre théologie. Mais comme nous le constatons lors des colloques, celui qui excelle dans l’art oratoire et donne des gages à l’autorité politique parvient à imposer ses vues puisque c’est bien l’autorité politique qui impose finalement la foi.

Luther a établi sa doctrine à partir de sa conception de l’homme et de Dieu, ou plutôt de son expérience personnelle. Zwingli élabore lui-aussi une nouvelle conception de l’homme et de Dieu mais à partir de principes philosophiques. Pour lui, Dieu est tout l’Être, les créatures, des émanations de sa substance, d’où il suit que l’homme est totalement entre les mains de Dieu et que son sort ne dépend que de la volonté divine. Zwingli défend donc l’idée d’une prédestination absolue.

Zwingli est alors d’une logique implacable, contrairement à Luther. L’homme n’étant pas libre, c’est Dieu qui est auteur de tout ce que fait l’homme, y compris le mal. Cependant, le mal n’est pas un péché pour Dieu puisque pour Dieu, il n’y a pas de loi, donc pas de transgression. Le mal entre dans le plan divin et concourt au bien. Le péché n’est que la manifestation de l’imperfection humaine. Rien ne peut donc l’enlever.

Comme l’homme n’est pas libre, il ne peut être justifié par ses œuvres. Il ne peut être justifié que par la foi seule. Il rejette donc les vœux, la vie monastique, les indulgences, etc. Les sacrements ne sont que des signes d’appartenance à l’Église. Il n’en reconnaît deux : le baptême et la Cène. Le premier est le signe extérieur de l’entrée dans l’Église ; le second, le signe symbolique de l’union du fidèle avec le Christ.

Zwingli rejette toute hiérarchie dans l’Église. Néanmoins, il s’appuie sur l’autorité du conseil de la ville pour le développement de la réforme. Contrairement à Luther qui laisse les seigneurs diriger les communautés chrétiennes par nécessité, Zwingli bâtit une autre Église d’État dont les bourgeois sont les chefs et qu'un conseil contrôle.

Oecolampade (1482-1531) à Bâle

D’une famille bourgeoise aisée de Souabe, prêtre en 1510, Johannes Husschin, ou Huszgen, est un fervent humaniste, connaissant le grec et l’hébreu. Selon la coutume des humanistes, il hellénise son nom et se fait appeler Oecolampade, c’est-à-dire « lumière de la maison ». Il fait notamment la connaissance de Mélanchton et d’Érasme. Ce dernier le prend comme secrétaire en vue de la publication de son Nouveau Testament en grec. Docteur en théologie en 1518, il devient prédicateur à la cathédrale d’Augsbourg et prend position pour Luther. Soudain, surprenant son entourage, il entre dans un monastère des Brigittins près d’Augsbourg en 1520 pour finalement le quitter deux ans plus tard.

Invité par un libraire, Oecolampade arrive à Bâle. C’est une cité des plus florissantes. La majorité du Conseil de la ville et une bonne partie des bourgeois sont déjà acquis aux idées de Luther. Ses ouvrages sont par ailleurs imprimés dans cette ville. Elle est aussi célèbre par son illustre Université dans laquelle Oecolampade enseigne la théologie.

Alors pasteur à l’église Saint Martin, et imitant Zwingli, Oecolampade provoque des disputes publiques ou conférences contradictoires en 1523 et 1524 sur la libre prédication de la Sainte Écriture et le mariage des prêtres. Le conseil de la ville le nomme prédicateur de Saint Martin. À partir de ce moment, sûr du soutien politique, il s’engage dans la voie des innovations liturgiques : baptême et chant des psaumes en allemand, communion sous les deux espèces.

Après sa victoire à la dispute de Berne, en janvier 1528, il accélère ses réformes. Une partie de la population s’attaque alors aux églises, détruisant les images et les statues. Sous la pression populaire, le culte catholique est interdit, le conseil de la ville épuré. Les conseillers catholiques doivent démissionner. Érasme et plusieurs autres humanistes doivent quitter la ville. Oecolampade s’en déclare enchanté. « Douloureux spectacle pour la superstition ! Les papistes en pleureront des larmes de sang… »[1] Le 1er avril 1529, paraît l’ordonnance de réformation, c’est-à-dire la charte de l’Église de Bâle.

Très proche de Zwingli, Oecolampade rejette la Présence réelle et s’oppose aux luthériens, défendant la conception radicalement symbolique. Il s’appuie audacieusement sur les Pères de l’Église. Pourtant, il affirme qu’il ne reconnaît pour règle du jugement que la parole de Dieu. Oecolampade est reconnu par les protestants comme un des exégètes les plus importants de la « réforme ». Enfin, il apparaît comme l’un des chefs protestants les moins violents. Il se montre doux et affable. En 1531, Oecolampade meurt, trois mois après la mort de Zwingli.

Bucer (1491-1551) à Strasbourg

Né en Alsace, Martin Kuhhorn, en grec Bucer, entre au couvent des Dominicains à l’âge de 15 ans, y étudie les humanités et se distingue par son érudition et sa dialectique. Les écrits d’Érasme le séduisent. Mais, après une dispute publique de Luther, à laquelle il assiste en tant qu’auditeur, il adhère rapidement à ses idées. En 1521, il quitte l’ordre des Dominicains, devient chapelain de l’électeur Frédéric puis commensal du comte de Sickingen, l’un des chefs des chevaliers brigands. Son protecteur mort, et chassé par le l’évêque de Spire, il se rend à Strasbourg, où pendant vingt ans, il exercera la charge de pasteur et de théologien, contribuant à sa conversion aux idées de la « réforme ».

La ville de Strasbourg est dirigée par Jacques Sturm (1489-1553). C’est un humaniste gagné à la « réforme ». La ville se montre particulièrement accueillante à toutes les idées religieuses, y compris aux anabaptistes jusqu’à leur bannissement à partir de 1533. Sous l’influence de Matthieu Zell, prêtre à la cathédrale, le mouvement de la « réforme » pénètre à Strasbourg. La cohabitation de plusieurs confessions provoque des troubles. Des prédicateurs évangéliques prennent des initiatives et ferment des couvents. Sturm décide alors que les affaires ayant trait à la religion et aux institutions sont du ressort exclusif des autorités de la ville. Son pouvoir s’étend à l’Église et à la doctrine. En 1529, en tant que représentant de la politique extérieure de la ville, il est un des signataires de la protestation contre le décret impérial. La même année, Strasbourg passe officiellement à la « réforme » en abolissant la messe.

Avec l’aide de Capiton (1478-1541), érudit et converti par Zell, Bucer fait de cette ville un des grands centres du protestantisme. À la défaite de la ligue de Smarlkalde, Strasbourg redevient catholique. Sur la demande de l’évêque, Sturm chasse Bucer qui, appelé par Cranmer, archevêque de Canterbury, introduit le protestantisme en Angleterre. Il y meurt en 1551.

Bucer à la recherche de la réconciliation

Soucieux de l’unité des protestants, Bucer est partagé entre les idées de Luther et de Zwingli. Sur la question de la Cène, il s’efforce de trouver une voie moyenne entre la position de la présence réelle et celle du symbolisme. Il défend une autre idée, celle de la présence spirituelle. En dépit de ses efforts, il ne parvient pas à les réconcilier.

Bucer cherche aussi à rapprocher les protestants et les catholiques, notamment au colloque d’Haguenau en 1540 et à la diète de Ratisbonne en 1541. Il rejette l’absolue justification par la foi à la mode luthérienne et défend l’idée de la nécessité première de la régénération intérieure, de l’effort de soi sur soi. Il semble aussi refuser d’« escamoter la réalité de l’Église au profit de la foi individuelle »[2]. Mais il refuse de souscrire à l’Intérim d’Augsbourg. Ses tentatives de réconciliation échouent.

Pour unir les différentes confessions, Bucer utilise un langage ambigu, parfois obscur. C’est pourquoi Bossuet l’appelle « le grand architecte des subtilités » ou des équivoques affinées. Ses efforts d’unité sont néanmoins vains. Ils lui valent même de sévères critiques, notamment de la part de Luther qui l’accuse de louvoyer sous prétexte d’union.

Sur demande de Jacques Sturm, qui refuse la confession d’Augsbourg, Bucer élabore une confession de foi, qui acceptée en 1530 par les villes de Constance, de Memmingen et de Lindau, est intitulée « tétrapolitaine ». Elle définit la présence spirituelle lors de la Cène. Elle lie davantage l’Église à l’autorité civile.

Conclusion

En 1530, après avoir rompu avec Rome, les protestants se divisent et ne s’entendent guère. Très dépendants du tempérament de leur fondateur et de leur expérience, ils ne parviennent pas à établir durablement une entente. Il y aura autant de confessions de foi que de chefs de file, voire de villes. La doctrine sur la Cène est le point de divergence fondamental.  Nous sommes bien loin de l'unité religieuse ou encore d’une Église une et universelle, marque de vérité et de divinité. « Quand tu abandonnes l'Église en t'éloignant d'elle, pour faire ailleurs ta petite église, est-ce que tu crois que tu vas pouvoir rester debout et vivre encore ?...Pour les chrétiens, il n'y a pas d'autre maison que l'Église une. »[4] 

Il est à noter que leurs méthodes pour imposer la « réforme » sont identiques. La « réforme » s’impose en effet grâce à des disputes publiques, dans lesquelles, il faut l’avouer, les catholiques brillent peu, et l’appui des autorités civiles, Luther par les seigneurs, les autres par les villes libres. Sans la force politique, ils ne peuvent s'imposer. Ils se constituent alors des églises aux mains de ces mêmes autorités. En outre, les églises qui se développent sont très marquées par leurs couleurs nationales, voire régionales. Le patriotisme se mêlera ainsi intimement aux sentiments religieux. Enfin, les différents mouvements s'opposent tous à l'Eglise catholiques, à sa doctrine et à ses pratiques. Ils interdisent la messe et excluent les catholiques.

« Il est de grande importance qu’il ne passe aux siècles à venir aucun soupçon des divisions qui sont parmi nous ; car il est ridicule au-delà de tout ce qu’on peut imaginer, qu’après avoir rompu avec tout le monde, nous nous accordions si peu entre nous dès le commencement de notre réforme. »[3] Ces mots sont d’un autre chef protestant qui à son tour apportera de la confusion dans ce qui ressemble de plus en plus à une histoire d’hommes et de personnalités. Cet homme, c’est Calvin…




Notes et références
[1] Oecolampade, lettre à Capito dans L’Eglise de la Renaissance et de la Réforme, Une révolution protestante : la réforme protestante, Daniel-Rops, chap. V.
[2] E. Brito, note bibliographique sur Entre la secte et la cité. Le projet d’Église du Réformateur Martin Bucer, Revue théologique de Louvain, année 1985, volume 16, n°3, www.persee.fr.
[3] Calvin dans L’Eglise de la Renaissance et de la Réforme, Une révolution protestante : la réforme protestante, Daniel-Rops, chap. V.
[4] Saint Cyprien, De l'Unité de l'Église, 8.