" La pierre précieuse, voire de grand prix aux yeux de certains, qu'est l'émeraude, se voit insultée par un morceau de verre habilement truqué, s'il ne se rencontre personne qui soit capable de procéder à un examen et de démasquer la faute. Et lorsque de l'airain a été mêlé à l'argent, qui donc, s'il n'est connaisseur, pourra aisément le vérifier ? "(Saint Irénée, Contre les hérésies)


mercredi 25 juin 2014

Le mutazilisme : le recours à la raison, est-il possible dans l'islam ?

A plusieurs reprises au cours de notre étude de l’islam, nous avons rencontré le mutazilisme [11]. Il apparaît comme une doctrine hétérodoxe contre laquelle s'est développé l’islam orthodoxe. Aujourd'hui, il est considéré comme un « mouvement de libre pensée »[1] ou une tendance déraisonnée du rationalisme appliquée à la doctrine islamique. Ainsi est-il incontournable de l’étudier de plus près dans le cadre de notre étude ...
Qu’est-ce que le mutazilisme ?
Le mutazilisme est généralement présenté comme une école de pensée, un mouvement, une doctrine qui privilégie la raison sur la foi : « nous rejetons la foi comme seule voie vers la religion si elle rejette la raison »[2], tel serait l’adage du mutalizisme.
Le terme de mutazilisme provient d’un terme arabe « al-muʿtazila » qui signifie « ceux qui se sont abstenus » ou encore de « iʿtazala » qui signifie « retiré ». L’article de Wikipédia reprend deux interprétations classiques sur l'origine du mouvement. Elles nous éclairent sur la nature du mouvement. Selon les commentaires les plus courants, Wasil Ibn ‘Ata (699-748) aurait contesté l’enseignement officiel des écoles de l’islam et se serait retiré à Basra au VIIIe siècle pour fonder sa propre école. Dès son origine, le mutazilisme marquerait donc une rupture intellectuelle avec l’islam officiel. Selon une seconde hypothèse, l’origine est plus ancienne. Elle remonterait aux débats qu’a donnés lieu la succession des Omeyyades lors de l’assassinat du calife Othman[12]. Des théologiens de Bassorah aurait refusé de participer aux querelles et auraient fondé une école qui aurait donné naissance au mutazilisme[3]. Le mutazilisme apparaît alors comme indifférent aux problèmes politiques et semble se concentrer sur la pensée théologique.
Vers 750, Wasil Ibn ‘Ata quitte l'école d’Al-Hassan al-Basrî et crée sa propre école à Bassorah. Elle prend le nom de mutazilite. En 827, sous le califat d'al-Mamûn (786-833), elle devient la doctrine officielle de l’empire abbasside. Une persécution est menée pour l’imposer. Elle est aussi la doctrine officielle sous le règne de son frère puis de son neveu, al-Mu‘tasim (794-842) et al-Wâthiq (812-847). Elle est ensuite abandonnée par leur successeur, le calife al-Mutawakkil (821-861). Le mutazilisme est réprimé, ses textes détruits. Il est de nouveau enseigné sous le règne des Buyides aux X et XIe siècle. Sous le pouvoir des Seldjoudikes, il disparaît officiellement au XIIe siècle. Il serait néanmoins maintenu en Asie centrale jusqu’au XIIIe siècle et au Yémen jusqu’au XVIIe siècle[4]. Il aurait influencé des mouvements chiites tels que celui des zaydites [14] et des imamites [15],  et juifs, notamment les karaïtes[13].

Le mutazilisme a donné naissance à de nombreuses écoles dont les deux plus importantes sont celles de Basra et de Bagdad. Il ne présente pas une véritable homogénéité. Les écoles présentent en effet des particularités doctrinales et politiques. A Basra, deux écoles l’enseignent et le développent, l’école d’Abû Hâshim al-Jubbâ`î, dite aussi la Bahshamiyya, et l’école d'Abû al-Husayn al-Basrî. Elles sont hostiles au chiisme. L’école de Bagdad reste fidèle au chiisme modéré. Leurs doctrines varient selon les docteurs. Parmi leurs maîtres, nous pourrions citer Abd al-Gabbar, auteur d’une somme au XIe siècle.
L’opposition au mutazilisme donne naissance aux principales écoles officielles ou madhabs du sunnisme, notamment les écoles acharite et maturidite. Le sunnisme a été construit en partie en opposition à ce mouvement jugé hétérodoxe. Le fondateur de l’école acharite est un ancien mutazilite de Basra. Il regroupe autour de lui les mécontents de ce mouvement devenu tout puissant. Il s’oppose à son rationalisme et défend la soumission de la raison au Coran. Le conflit entre les différents mouvements de pensée marque la période dite de l'Idjtihad, définie comme l'effort d'interprétation des textes sacrés. De manière générale, la fin du mutazilisme caractérise la fin de cette ère. Ainsi est-elle généralement présentée comme la fin de tout développement rationnel de la doctrine islamique.


Le mutazilisme est souvent présenté comme une conséquence de l’influence de la pensée grecque sur l’islam ou un effort de rationalité de la pensée musulmane. Certains commentateurs refusent cette influence et le présentent plutôt comme une réaction à la dialectique grecque et chrétienne. Tous sont néanmoins d’accord sur sa démarche fortement spéculative. Il représente une orientation de la théologie musulmane vers une approche plus philosophique. De ce mouvement sortiront des philosophes considérés éminents aujourd’hui tel Al Kindi et Alfarabi. Il est aussi considéré comme une marque de rationalisme, c’est-à-dire comme une influence excessive de la spéculation intellectuelle dans l’islam. Mais est-il un mouvement unique ou un ensemble de pensées marquées par la philosophie grecque ? « Il y a chez les Mu'tazilites un goût pour l'usage scientifique et philosophique de l'entendement qui ne suffit pas à les caractériser, mais qui les distingue cependant […] »[8]
Les sources 
Il est assez difficile de connaître les doctrines des mutazilites puisque leurs écrits ont été détruits durant les persécutions dont ils ont été victimes. Elles sont généralement connues par les hérésiologues musulmans ou indirectement par leurs influences sur le chiisme et les karaïtes. « Les zaydites et les karaïtes ont non seulement intégré des éléments importants de la doctrine mu`tazilite dans leurs propres systèmes de pensée, mais ils ont également recopié une somme considérable de textes mu`tazilites datant de la période classique du mouvement. »[5] A la fin du XXe siècle, de nombreux textes mutazilites ont cependant été découverts et ont permis une meilleure connaissance du mutazilisme.
Il existe aujourd'hui de nombreux articles sur le mutazilisme mais un grand nombre se rapporte à des notions purement modernes donc inadéquates au temps historique. Il existe néanmoins des ouvrages et des études reconnues sérieux qui permettent de mieux le connaître.
Le mutazilisme se distingue principalement de l’islam orthodoxe  sur :
  •           le rapport entre la liberté de l’humaine et la toute-puissance divine ;
  •           le statut du pécheur ;
  •           la nature du Coran incréé.

Liberté de l’homme et toute-puissance de Dieu
Avant la fondation de l’école mutazilite, les théologiens musulmans se divisaient sur la notion de liberté de l’homme dans ses actes. Est-il totalement libre comme l’enseignaient les Qadariyya ou est-il pleinement déterminé par Dieu comme l’affirmaient les Jabariyya ? Les mutazilites ont des positions proches des Qadariyya au point que selon certains historiens, ils seraient à l'origine du mutazilisme.
« La thèse caractéristique du mutazilisme » est « que les actes de l’homme ne sont pas créés par Dieu »[6]. La liberté de l’homme est plus ou moins importante selon les positions minimalistes ou maximalistes des mutazilismes.
A partir de la reconnaissance de la liberté de l’homme face à la puissance de Dieu, les mutazilites déduisent la pleine responsabilité de l’homme dans ses actes, dans le bien et le mal qu’il accomplit. En faisant le bien, il se soumet à Dieu donc il sera récompensé ; en faisant le mal, il s’oppose à Dieu donc il sera condamné. Car selon les mutalizites, le bien ne provient que de Dieu et Dieu ne peut pas vouloir du mal. L’homme est donc capable d’être libre car Dieu lui a donné un pouvoir qui lui permet effectivement d’user d’une liberté pleine et entière. C’est pourquoi Dieu ne peut lui demander que ce qu’il est capable de faire. L’homme crée ses propres actes.
Mais selon les sunnites, cette doctrine s’oppose au Coran. « Il accorde sa faveur à qui Il veut » (3, 73 – 4) ou encore « C’est Lui qui vous a créés, et tout ce que vous faites » (37, 96). En outre par le pouvoir octroyé par Dieu, l’homme poserait des actes indépendants de Dieu, hors de son pouvoir. Et si la justice de Dieu dépend de l’obéissance ou de la désobéissance de l’homme, cela induit une contrainte à Dieu. Selon certains mutazilites, Dieu agirait pour le plus grand avantage des hommes d’où une nouvelle contrainte qu’ils imposent au Tout-Puissant. Face aux mutazilites est donc réaffirmée la toute puissance de la volonté de Dieu dont tout être et tout acte tirent leur existence. L’homme croit être libre quand finalement Dieu crée ses actions. Il est contraint au bon choix non selon la vue de l’homme qui agit mais selon la vue de Dieu qui en est le véritable auteur.
« Pour les Sunnites, Dieu se définit avant tout par Sa toute-puissance, que rien ne limite et à quoi rien n'échappe : tout ce qui existe est voulu et créé par Dieu. Pour les Mu'tazilites, la puissance de Dieu a pour limite Sa justice : tout ce qui est mauvais ne saurait procéder de Lui. »[7]
Le statut du pécheur
La question de la liberté de l’homme est majeure dans toute religion puisque elle définit l’action morale et le statut du « pécheur ». Ce statut divise aussi la communauté musulmane. D'après les hérésiologues musulmans, il est la raison du départ de Wasil Ibn ‘Ata. Elle explique aussi la scission des kharidjites.
Les kharidjites les plus radicaux affirment que le pécheur est un infidèle, ce qui est grave aux yeux de l’islam. La faute morale est donc équivalente à une apostasie. Le pécheur mérite donc la mort. Certains refusent cette confusion et définissent un état intermédiaire entre l’infidèle et l’incroyant, entre l’apostasie et la soumission totale du fidèle à Dieu. Des historiens proposent de voir en ces « tolérants » des ancêtres du mutazilisme. Le nom de mutazilisme pourrait provenir de l’expression « al-manzila baina'l'manzalitain », « la demeure entre les deux demeures ».
A cette époque, il  existe aussi une tendance plus tolérante, celle des murdjites. Selon ces derniers, l’homme n’est pas jugé sur son obéissance mais sur son amour à l’égard la toute puissance de Dieu. Par conséquent, il peut violer les commandements divins sans cesser d’aimer Dieu. Il peut rester un bon fidèle. Le mutazilisme semble ainsi apparaître comme une position intermédiaire.

La nature du Coran
Les mutazilites se séparent des sunnites par leur rejet de la doctrine du Coran incréé [16]. Le Coran ne serait ni Dieu, ni une créature mais une création de Dieu. Éternel, infaillible et inaltérable, il reprend tous les attributs de Dieu sans être de nature divine. Ils sont en effet conscients des implications d’une telle doctrine. Elle conduit inévitablement à rompre l’unité de Dieu. A côté de Dieu, il y aurait une autre « entité ». Il dénonce un associationnisme...

La primauté de la raison
Pour justifier leurs doctrines, les mutazilites appliquent une démarche opposée à celle des écoles de droit. Ces dernières cherchent surtout à définir l’autorité des hadiths pour se référer à cette source de la foi musulmane. Les mutazilites étudient plutôt le contenu des hadiths sans craindre de le remettre en question. Concernant l’interprétation du Coran, les mutazilites rejettent son interprétation littérale fortement anthropomorphistes. Ils appliquent une méthode critique, ce que ne peuvent accepter les sunnites qui orientent définitivement l’exégèse coranique vers l'interprétation littérale et le mysticisme.
Le mutazilisme est souvent présenté comme un effort d’intégration de la philosophie grecque dans l’islam. Il a développé une démarche rationnelle tant dans l’interprétation des sources de la foi musulmane que dans le traitement des grands problèmes théologiques.

Conclusions

Faute de sources suffisantes, il semble difficile de connaître véritablement le mutazilisme sans appliquer nos conceptions modernes. Au-delà d’une tendance très probable à une forte rationalisation, il marque une volonté de résoudre les incohérences de l’islam et d’insérer la philosophie grecque dans la doctrine islamique. L’échec est flagrant. Le jabrisme, la théorie du coran incréé, l’interprétation littérale du Coran se sont définitivement ancrés dans l’islam. Les écoles sunnites se sont élevées contre le mutazilisme et toute autre tendance philosophique.

A la fin du XXe siècle, il est noté une tendance à faire revivre un certain mutazilisme « pour la rénovation de la culture arabe et musulmane »[9]. Il se caractérise par le recours à la raison : « le mu'tazilisme encourage la réflexion spéculative, voire la méditation comme premier moyen de connaître Dieu et pour comprendre et pratiquer la religion. Ceux qui croient en cela, peuvent se dire mu'tazilites. »[10] Ce mouvement est souvent mis en avant pour montrer la rationalité possible de l’islam. Nous pouvons encore constater aujourd'hui un véritable échec. L’islam ne peut que refuser cette voie s’il veut effectivement persister. Accepter une telle démarche serait suicidaire. C’est pourquoi il est aussi difficile de débattre avec un musulman. Le débat tourne court. La raison n’a pas sa place. Comment pouvons-nous alors considérer l’islam comme une source de progrès ? ...



Références
[1] Sylvain Métafiot, Le mutazilisme : la libre pensée islamique, 28/05/2010 dans http://archives-lepost.huffingtonpost.fr/
[2] Article « les principes mu’tazilite anciens et nouveaux », dans mutazilareturn.over-blog.com, un blog en faveur du mutazilisme.
[3] L’historien Tabari (839-923) serait à l’origine de cette thèse.
[4] Voir Un projet international : le manuel des œuvres et manuscrits mu`tazilites Gregor Schwarb, Arabian Humanities, 1 juin 2006 dans http://cy.revues.org/198.
[5] Un projet international : le manuel des œuvres et manuscrits mu`tazilites Gregor Schwarb.
[6] Daniel Gimaret, Théories de l'acte humain en théologie musulmane, 1980, Revue de l’histoire des religions de Jean Jollivet, compte rendu de lecture, tome 199 n°2, 1982, www.persee.fr.
[7] Islamisme, Conférence de D. Gimaret dans École pratique des hautes études, 5e section, Sciences religieuses. Annuaire. Tome 82, Fascicule III. Comptes rendus des conférences de l'année universitaire 1973-1974, www.persee.fr.
[8] Jean Jollivet, Revue de l’histoire des religions, compte rendu de lecture, tome 199 n°2, 1982, www.persee.fr.
[9] Cheikh Bouamrane, Le problème de la liberté humaine dans la pensée musulmane (Solution Mu'tazilite), Paris, J. Vrin, 1978, cité dans Revue de l'histoire des religions, tome 197 n°2, 1980, www.persee.fr.
[10] Article « les principes mu’tazilite anciens et nouveaux », dans mutazilareturn.over-blog.com.
[11] Notamment Émeraudemai 2014, article "L'apogée de la science : mythe et réalité" et février 2014 article "Une pluralité relative de la sharia".
[12] Voir Émeraude, article "La douloureuse question de l'autorité dans l'Islam", décembre 2012.
[13] Courant du judaïsme qui n'adhère qu'à la Bible hébraïque et rejette la Loi orale. Il s 'oppose au judaïsme rabbinique.
[14] Zaïdisme, branche du chiisme qui ne reconnaît le 5e imam comme étant le dernier imam. Très présent au Yémen.
[15] Imamisme, duodécimains (croyance chiite en l'existence des 12 imams) qui croient en des imams saints et infaillibles après Mahomet.
[16] Voir Émeraude, mars 2012, article "Le Coran incréé, une contradiction fondamentale".

jeudi 19 juin 2014

Des Apôtres aux Docteurs de l'Eglise

Depuis la Pentecôte, le christianisme s’est développé et s'est répandu notamment grâces à des chrétiens qui sont demeurés fermes dans la foi et dociles au Saint Esprit. Par la pureté de leurs doctrines, ils sont devenus des références incontournables. Leurs œuvres font autorité dans l’Église en matière de foi. Ainsi est-il important de les connaître pour approfondir notre foi et notre culture chrétienne, et pour la défendre face aux erreurs et aux mensonges.
Apparition alors que les Apôtres sont à table
(Duccio di Buoninsegna)
Les Apôtres, les envoyés de Notre Seigneur Jésus-Christ

Commençons par les Apôtres, les fondateurs de l’Église. Notre Sauveur les a choisis, instruits et formés par son exemple et ses amicales réprimandes pour les envoyer ensuite dans le monde prêcher l’Évangile. Ainsi sont-ils préparés à leur triple mission : enseigner, gouverner et sanctifier. Il leur a promis d’être toujours avec eux pour agir par le Saint Esprit et affronter les épreuves qu’ils devront endurer.

Du vivant de leur maître, les apôtres L’ont suivi et écouté ses enseignements. Témoins de sa Résurrection, ils ont assisté à l’accomplissement de ce que les Prophètes et Notre Seigneur ont annoncé. Le Jour de la Pentecôte, le Saint Esprit est descendu sur eux. A partir de ce moment, sur l’ordre de Notre Seigneur Jésus-Christ, ils prêchent l’Évangile sans aucune crainte et fondent les premières communautés chrétiennes. Institués porte-clefs du royaume de Dieu et porté par le Saint Esprit, ils fondent l’Église. Ainsi est-elle appelée apostolique.
Quelques jours après sa Résurrection, Notre Seigneur Jésus-Christ a confirmé aux Apôtres leur mission : la conquête spirituelle du monde. Il leur a demandé de témoigner de sa vie, de sa Passion et de sa Résurrection. Ils doivent aussi être pécheurs d’hommes, le sel de la terre, la lumière du monde. Ce sont les témoins officiels de l’Évangile, institués et formés par Notre Seigneur Jésus-Christ. 
Voici les douze Apôtres : Saint Simon, que Jésus appela Pierre, Saint André, Saint Jacques le Majeur et Saint Jean, Saint Philippe, Saint Matthieu, appelé aussi Lévi, Saint Barthélémy, Saint Thomas, Saint Jacques le Mineur, Saint Judée ou Thaddée, Saint Simon le Zélé et Saint Mathias qui a remplacé Judas. Parmi les Apôtres, trois forment un groupe privilégié auprès de Notre Seigneur : Saint Pierre, Saint Jacques et Saint Jean. A ce premier groupe, l’Église ajoute Saint Paul, le grand apôtre des Gentils [5] et parfois Saint Barnabé.
Nous connaissons surtout leur histoire dans les Évangiles et les Actes des Apôtres. Parmi ces Apôtres, certains ont écrit des lettres ou épîtres sous l’inspiration de Dieu. Ainsi nous connaissons davantage leur enseignement. Face aux difficultés des premiers chrétiens, ils ont éclairé les paroles de Notre Seigneur et approfondi la foi. Ils ont aussi réfuté des erreurs et pointer de mauvais comportements. Dans l’Acte des Apôtres et dans les épîtres, nous suivons aussi leurs apostolats à travers l’empire romain.
Œuvres inspirées comme les autres textes sacrés, les épîtres de Saint Paul jouent un rôle considérable dans la connaissance et la compréhension de la Révélation. L’Apôtre des Gentils n’a rien innové mais demeure fidèle à l’enseignement de Notre Seigneur Jésus-Christ. Comme il ne cesse de l’écrire, nous devons être disciples du Christ...

Les Évangélistes, les écrivains inspirés de Dieu
Les évangélistes sont les auteurs des quatre évangiles dites canoniques, c’est-à-dire inscrits par l’Église dans la liste des livres inspirés. Dans l’ordre, ce sont Saint Mathias, Saint Matthieu, Saint Luc et Saint Jean. Ils sont témoins, apôtres ou disciples de Notre Seigneur Jésus-Christ. Chacun écrit selon une intention particulière et à un public propre. Tout en étant inspirés, ils sont aussi bien documentés.

Les Pères de l’Église
Au sens strict, les Pères de l’Église regroupent les écrivains orthodoxes de l’Église primitive. Ils ont exprimé la doctrine apostolique et ont vécu de manière exemplaire. En effet, ils sont « remarquables par la pureté de leur doctrine et de leur sainteté »[1]. Ils sont l'une des voix de la Tradition. Pour ces raisons, l’Église les considère de manière particulière.
Dans un sens plus large, il est devenu de plus en en plus courant d’attribuer ce titre à des auteurs chrétiens antiques qui ont contribué de manière significative au développement de la doctrine même si leurs œuvres peuvent présentent des erreurs, soit par l’imprécision de leur formulation, soit par de véritables déviations doctrinales. Certains d’entre eux sont devenus hérétiques ou des sources d’hérésie. Ils restent des références souvent utiles mais délicats à utiliser. Ils sont appelés écrivains ecclésiastiques.
Un « Père » est celui qui enseigne. « Ce n’est point pour vous donner de la confusion que j’écris ceci, mais je vous avertis comme mes fils très chers. Car eussiez-vous dix mille maître dans le Christ, vous n’avez cependant pas plusieurs pères ; puisque c’est moi qui, par l’Évangile, vous ai engendrés en Jésus-Christ » (I. Corinthiens, IV, 14-15). Le « fils » est celui qui reçoit l’enseignement. Dès les premiers siècles, des chrétiens en appellent aux « Pères » pour justifier de leur foi.
Les quatre pères de l'Eglise latine
(Jacob Jordaens)
Dans les premiers temps, la fonction d’enseigner dans l’Église était réservée à l’évêque et en particulier au Pape et aux Patriarches. Ainsi dans les premières controverses théologiques, des évêques sont cités comme « Pères » pour justifier la foi. Dans la crise arienne, Eusèbe de Césarée semble avoir utilisé pour la première fois l’expression « Pères de l’Église »[2]. Leurs œuvres sont reconnues comme étant des témoins véridiques de la doctrine. L’argument patristique, c’est-à-dire fondé sur l’autorité des Pères de l’Église, a rapidement pris une importance particulière dans la formulation de la foi et dans la définition des dogmes. A partir du Ve siècle, le titre ne désigne pas seulement des évêques. Saint Augustin cite par exemple Saint Jérôme comme témoin de la tradition.
Les caractéristiques d’un Père de l’Église
Le titre de Père de l’Église est réservé à des maîtres d’une certaine période du christianisme. Généralement, ils se situent du Ier au VIIIe siècle. Les avis sont partagés sur les derniers Pères de l’Église. De manière unanime, Saint Isidore de Séville et Saint Jean Damascène en sont les derniers. Saint Bède le Vénérable et Saint Bernard reçoivent  parfois ce titre.
Les Pères de l’Église sont tous des écrivains. Leurs œuvres s’inscrivent dans un contexte particulier. Ils ont en effet la particularité d’avoir vécu avant que l’Orient et l’Occident ne se séparent pour des siècles dans le schisme (1054). Il est devenu classique de les regrouper selon leur langue. Ainsi, les Pères sont dits latins ou grecs, voire syriaques.
Les Pères de l’Église sont reconnus comme des maîtres approuvés par l’ensemble des communautés chrétiennes orientales et occidentales en communion de foi. Leur enseignement a été approuvé par l’Église au moins sous la forme d’un recours officiel à leur témoignage. De manière directe ou indirecte, ils ont œuvré dans des conciles régionaux ou œcuméniques qui ont défini les formules de foi, ont éclairé et confirmé la doctrine de l’Église, l’ont défendue contre les hérésies. Ils ont ainsi contribué de manière importante à l’élaboration et au développement de la doctrine de l’Église.
Enfin, les Pères de l’Église ne sont pas simplement des docteurs de la foi. L’Église considère certains d'entre eux comme des modèles de sainteté. Ils ont atteint un niveau de spiritualité parfois considérable. Deux d’entre eux, Saint Basile de Césarée et Saint Augustin, ont élaboré des règles de vie pour la vie monastique qui ont fait et font encore autorité dans l’Église. Certains demeurent des modèles de vie mystiques.
Ainsi au sens strict, les Pères de l’Église se définissent par quatre notes : 
  • leur antiquité ;
  • l’orthodoxie de leur doctrine ;
  • l’approbation universelle de l’Église ;
  • leur sainteté

Ils sont reconnus comme étant des « Pères », c’est-à-dire des maîtres incontestés et approuvés de l’enseignement de la foi.
Sentiment unanime des Pères de l’Église, source de la Tradition
Mais la voix d’un Père de l’Église ne constitue pas un élément suffisant pour garantir une règle de foi. C’est bien « l’accord unanime des Pères dans les vérités éternelles » qui constitue « un critère de la Tradition divine »[3]. Nous devons par exemple interpréter la Sainte Écriture conformément au sentiment unanime des Pères. C’est bien cette unanimité qui garantit que les Pères de l’Église au sens strict sont des sources de la Tradition.

Selon Saint Augustin, « il faut peser leurs voix et non les compter »[4]. Ce sont des chaînons dans la transmission de la doctrine mais n’en constituent pas la fin. Un Père de l’Église n’est ni inspiré ni exempt d’erreurs. Dans les polémiques, il peut parler « sans précaution », sans la rigueur et la prudence exigées. Il est donc nécessaire de l’interpréter selon le contexte dans lequel s’inscrivent ses ouvrages. Certains Pères comme Saint Augustin n’ont pas hésité à se rectifier et à modifier leurs positions au cours du temps. Ainsi est-il important de prendre en compte la totalité de leurs œuvres pour connaître leurs pensées afin de bien apprécier leur enseignement.

Depuis au moins le XVIIIe siècle, les Pères de l’Église ont été répartis selon leur rôle ou leur époque. Certains ont été témoins ou acteurs de la naissance et du développement des églises quand d’autres les ont affermies et consolidées ou reconstruites. Certains ont vécu leur foi dans un milieu indifférent ou hostile, voire dans une ère de persécution quand d’autres n’ont connu qu’un terrain déjà chrétien. Selon la période dans laquelle ils ont vécu et selon leur rôle, il est devenu classique de les regrouper selon des titres particuliers : 

  • les Pères apostoliques ;
  • les Pères apologistes ;
  • les Pères dogmatiques.
Les Pères apostoliques
Sont appelés Pères apostoliques ceux qui ont reçu directement des Apôtres ou de leurs disciples immédiats les enseignements qu’ils nous ont transmis. Ils ont vécu pendant les deux premiers siècles du christianisme. Leur haute antiquité leur donne une importance considérable.
Ils sont surtout préoccupés de former les premiers chrétiens. Ils s’adressent en effet uniquement aux fidèles. Dans leurs œuvres, très peu nombreuses, ils apportent un témoignage précieux de l’Église naissante, sur ses préoccupations, sa doctrine et sa piété. Nous pouvons citer Saint Ignace (v. 35 - 107 ou 113), évêque d’Antioche et Saint Clément (mort vers 99), troisième Pape, l’auteur anonyme de la Didaché ou appelé plus précisément Doctrine des douze Apôtres, Hermas, Saint Polycarpe (vers 69 -155), évêque d’Éphèse.
Les Pères apologistes
Les Pères apologistes désignent les Pères dont les écrits ont répondu aux injustices des lois romaines et aux attaques des philosophes et des gnostiques. Leurs œuvres décrivent les périls extérieurs et intérieurs que connaît l’Église naissante dans un empire hostile. Ils sont évêques, prêtres, laïcs.
Certains Apologistes défendent les fidèles contre les crimes que les païens leur imputent injustement, s’efforcent d’obtenir la tolérance et l’équitable application des lois et montrent que le christianisme mérite l’attention, le respect, l’adhésion des esprits réfléchis. Ils exposent les principaux points de la doctrine, de la morale et du culte chrétien.

D’autres Apologistes, des évêques, défendent les éléments doctrinaux face aux hérésies et à toutes sortes de déviations doctrinales. Ils affirment la valeur de l’enseignement traditionnel et réfutent tout élément étranger. Isolés ou groupés en école, ils élaborent les premières synthèses du christianisme. La doctrine chrétienne s’affirme face aux systèmes philosophiques et gnostiques. Ce sont les premiers véritables théologiens.
Exemples : Saint Aristide d'Athènes (mort v. 134), Saint Justin de Naplouse (mort v. 165), Tatien le Syrien (né entre 110 et 120), Athénagore  d'Athènes (133 - 190), Théophile (mort en 183 ou 185), évêque d’Antioche, Méliton, évêque de Sardes, l’auteur de la Lettre à Diognète, Saint Irénée de Lyon (v. 130-202), Tertullien (160 - 220), Saint Cyprien (v. 200-258), évêque de Carthage, Saint Clément d’Alexandrie (v. 150 - v. 220), Origène (182 - 254), etc.
Saint Athanase et Saint Cyrille de Jérusalem
(1561, BNF)
Les Pères dogmatiques
Les Pères dogmatiques regroupent les Pères qui à partir de la liberté accordée à l’Église exposent la doctrine chrétienne et la défendent contre les païens, les hérétiques et les schismatiques. Ils œuvrent donc dans un contexte généralement favorable. Ils élaborent les premières véritables synthèses et rédigent les premiers essais théologiques de la doctrine chrétienne. Ils vivent à une époque reconnue comme étant l’âge d’or de la patristique.

Les principaux sont :
  •   de langue grecque : Saint Athanase (296-373), archevêque d’Alexandrie, Saint Basile (329-379), évêque de Césarée, Saint Grégoire (329-389), évêque de Nazianze, Saint Grégoire (335-394), évêque de Nysse, Saint Jean Chrysostome (347-407), archevêque de Constantinople, Saint Éphrem (306-373), etc. ;
  • de langue latine : Saint Ambroise (340-397), archevêque de Milan, Saint Jérôme (346-420), prêtre, Saint Augustin (358-430), évêque d’Hippone, Saint Grégoire le Grand (543-604), pape, Saint Hilaire (300-368), évêque de Poitiers, Saint Isidore (vers 560 et 570, mort en 636), évêque de Séville, etc.

Les Docteurs de l’Église
Saint Thomas d'Aquin,
le docteur angélique
L’Église a publiquement décerné le titre de Docteurs de l’Église à des théologiens à cause de leur science éminente de la doctrine. Ils sont ainsi reconnus comme étant qualifiés par leur savoir orthodoxe et par leur sainteté pour nous instruire sur la foi. Le nom de Docteur n’est pas simplement un titre d’honneur qu’attribue l’Église. Mais certains n'étant pas des Pères de l’Église, ils ne peuvent pas être considérés comme des témoins de la Tradition.
Contrairement au titre de Pères de l’Église, l’Église confère de manière officielle et publique le titre de Docteurs de la foi. Les premières nominations datent de 1295 sous le pontificat de Boniface VIII. Le pape décerne ce titre à quatre auteurs latins : Saint Ambroise, Saint Jérôme, Saint Augustin et Saint Grégoire le Grand. En 1568, Saint Pie V l’attribue à quatre auteurs grecs : Saint Athanase, Saint Basile de Césarée, Saint Grégoire de Nazianze et Saint Jean Chrysostome.

Les principaux Docteurs de l’Église sont : Saint Cyrille (315-386), patriarche d’Alexandrie, Saint Cyrille (376-444), patriarche de Jérusalem, Saint Léon le Grand (mort en 461), pape, Saint Pierre Chrysologue (mort en 452), archevêque de Ravenne , Saint Isidore (570-636), archevêque de Séville, Saint Jean Damascène (676-754), Saint Pierre Damien (968-1072), évêque d’Ostie, Saint Anselme (1033-1109), archevêque de Cantorbéry, Saint Bonaventure (1221-1274), religieux franciscain, évêque d’Albiano, Saint Thomas d’Aquin (1225-1274), religieux dominicain, Saint François de Sales (1567-1622), évêque de Genève, Saint Alphonse de Liguori (1696-1787), évêque de Sainte-Agathe-des-Goths, etc.



Références
[1] Chanoine E. Marcel, Dictionnaire de culture religieuse et catéchistique, Imprimerie Jacques et Demontrond, 1938.
[2] Voir Sébastien Morlet, Christianisme et Philosophie, chapitre I, Le Livre de Poche, 2014.
[3] Mg Bernard Bartmann, Précis de Théologie dogmatique, introduction, chapitre II, §6, II, éditions Salvator, 1944.
[4] Saint Augustin, Contre Julien, II, 35.

[5] Saint Paul est aussi appelé Apôtre des Nations, le terme de "nation" étant équivalent à "gentil", qui désigne le non-Juif.

lundi 16 juin 2014

De l'usage antique du dogme

Si le terme de dogme date de l’antiquité, la définition actuelle semble être toute récente. Les premières tentatives pour le définir formellement dateraient du XVIIe siècle. L’Église l’approprie définitivement au XIXe siècle au lendemain du Concile de Vatican I. Certaines voix peuvent alors relativiser son rôle, voire le rejeter. Il est même devenu scandaleux pour les bons esprits de se soumettre à des vérités immuables et universelles. Ce serait, disent-ils, oublier les inéluctables changements sémantiques que subit un mot. Les plus radicaux parlent d’inventions purement humaines. Mais ce discours est aussi subtil qu’il est faux. Les nombres entiers doivent-ils leur existence de leur définition formelle qui date du XIXe siècle ? Si le sens d’un mot peut effectivement varier au cours du temps, il est important de ne pas confondre le mot et ce qu’il signifie. L’Église n’a pas en effet attendu le XVIe siècle ou le XXe siècle pour proposer des vérités comme étant révélées par Dieu et objets de foi divine et catholique.

En soulignant l'élaboration progressive d’une définition, on veut peut-être atteindre l’objet même de la définition en confondant l’énoncé et le sens qu’il exprime. Le mot dogme n’est pas le seul terme auquel cette démarche est appliquée. Subtile manœuvre qu’il faut déceler pour parer à des coups qui peuvent être mortels. Concernant le mot « dogme », montrons qu’il est effectif depuis les premiers siècles du christianisme…

Pour cela, nous allons nous rendre au IVe siècle dans une ville impériale devenue aujourd'hui insignifiante. Nous sommes en 325 à Nicée, aujourd'hui Isnik en Turquie. 318 évêques sont réunis pour représenter toute l’Église. Si la très grande grande majorité est issue de la partie orientale de l’empire romain, la partie occidentale est aussi représentée. Le Pape est représenté par Osius, évêque de Cordoue. Il préside cette assemblée, le véritable premier concile de l’histoire. Une telle assemblée peut enfin être réunies En 313, par l’édit de Milan, les chrétiens obtiennent la liberté de culte mais en 323, certains d'entre eux sont encore persécutés par Licinius (v.263-325) en guerre contre l’empereur Constantin (272-337). Les persécutions cessent enfin en septembre 324. 

Concile de Nicée,
fresque de l'église Saint Spyridion à Nauplie
Si à la fin de l’année 324, les chrétiens sont effectivement libérés de toute persécution, ils ne sont guère en paix. L’ennemi se trouve désormais à l’intérieur même des églises : la division doctrinale les déchire. Certes, ce n’est pas la première fois que la doctrine est remise en cause. Dans ses épîtres, Saint Paul s’oppose déjà à certaines erreurs, en particulier le judéo-christianisme. Mais cette affaire a pris une importance considérable et touche tout l’empire. L'empereur d'y mêle. Le premier concile œcuménique est en effet convoqué à Nicée pour mettre un terme aux terribles discordes survenues à la suite d’une rupture entre Arius, prêtre d’une église d’Alexandrie et son évêque Alexandre. L’arianisme divise les chrétiens…

L’empereur Constantin est persuadé que la convocation d’une telle assemblée aboutira rapidement à un pardon mutuel entre les protagonistes. Il qualifie en effet ces querelles de futiles et de lamentables car elles ne sont fondées que sur des questions qu'il juge sans importance. Quelle erreur d’appréciation ! Il faudra attendre au moins cinquante ans et deux conciles pour venir à bout de la première hérésie d’importance de l’histoire de l’Église.

Mais le concile de Nicée est un événement capital pour le christianisme au-delà des questions doctrinales et disciplinaires qu’il doit traiter. Pour la première fois de l’histoire de l’Église, l’ensemble des évêques sont réunis pour traiter ensemble des problèmes de foi. Ils prendront des décisions que tous les chrétiens devront appliquer. Les Pères du concile définissent en particulier une profession de foi, le célèbre symbole de Nicée, suivie d’un appendice. Quelle est la valeur de cette décision ?

Rappelons que le concile œcuménique est une forme extraordinaire de Magistère de l’Église. Le symbole de foi associée à son appendice est donc une promulgation solennelle de l’Église.

Pour faire cesser les disputes, un des Pères du concile, Eusèbe de Césarée, propose que l’union se fasse autour d’un symbole de foi que son église emploie pour l’admission au baptême. L’ensemble des Pères l’acceptent comme universellement admis par les églises. Mais il est insuffisamment précis pour résoudre la cause de la querelle. Il laisse encore des échappatoires aux protagonistes. Après de nombreuses discussions sur la doctrine arienne et après avoir entendu Arius, le symbole de Nicée est adopté par une très grande majorité des Pères. Dix-sept refusent dans un premier temps de le signer. Seuls deux évêques et Arius finissent par le refuser. Les deux évêques sont excommuniés et déposés… 

Icône montrant 4 évêques du Concile de Nicée
aux côtés de l'empereur de Constantin,
tenant ensemble le texte du symbole
Toute personne ne souscrivant pas à ce symbole fait l’objet d’une excommunication. Il est donc indéniable que la profession de foi est promulguée comme étant obligatoire à tout chrétien désirant être en communion de foi avec l’Église. Le Pape Damase (366-384) parle même de l’inviolabilité du symbole de Nicée. « Tout ce symbole composé à Nicée, en accord avec l’autorité apostolique, doit être conservé fermement et constamment »[2]. L’enseignement de l’Église est clair et ferme.

Le symbole de foi de Nicée est bien considéré comme étant immuable par les Pères du concile. Il est en effet exposé comme tel par l’Église. Les conciles œcuméniques qui suivront celui de Nicée réaffirment de manière solennelle le symbole de Nicée. Il est lu pour vérifier qu’un enseignement est en accord ou non avec ce que croit l’Église. Le symbole est donc une référence pour juger de l’orthodoxie d’une doctrine. Il est la « foi infaillible des Pères », «  la pierre sur laquelle repose la foi »[2].

Enfin, le symbole de foi est défini comme l'expression de la vérité révélée par Dieu. Les expressions du symbole ont été empruntées pour la plupart du Nouveau Testament. Il utilise aussi des mots philosophiques qui définissent plus précisément la vérité contenue dans la Sainte Écriture. Les Pères conciliaires interprètent la Bible à la lumière de la Tradition, refusant toute interprétation libre de la Sainte Écriture.  Ils veulent donc exprimer une vérité de foi contenue dans le dépôt sacré et non établir une théorie ou une nouveauté selon leur expérience religieuse. « Les Pères, en matière de foi, n'ont jamais dit : - On a décrété ainsi, mais – Ainsi croit l'Église catholique ; et ils ont aussitôt confessé ce qu'ils croyaient, afin de montrer manifestement que leur pensée n'était pas nouvelle, mais apostolique. »[1] Ils ont formulé le symbole de Nicée pour répondre à une difficulté liée à une divergence doctrinale et plus précisément à une mauvaise interprétation de la Sainte Écriture.

Finalement, « la Bible et la Tradition, transmises par le magistère de l’Église, trouvent une synthèse doctrinale dans le symbole de Nicée, proclamée par les Église d’Orient et d’Occident comme règle indiscutable et indéniable de la foi chrétienne »[2]. La décision du Concile de Nicée répond parfaitement à la définition d’un dogme.

L’appendice du symbole est encore plus clair. Il est rédigé sous forme d’anathèmes. Après avoir défini sous forme positive la profession de foi, les Pères du concile condamnent comme opposées à la foi des propositions considérées formellement comme étant désormais hérétiques, c’est-à-dire contraires à la foi.

En conclusion, si la définition du « dogme » est plutôt récente, il ne faut pas oublier que son usage remonte aux premiers temps de l’Église. Au IVe siècle, dans un contexte enfin favorable, elle a solennellement promulgué son premier dogme et ses premiers anathèmes. L’énonciation de la vérité révélée ainsi exposée est certes nouvelle mais la croyance en cette vérité n’est pas une invention. Cette formule définit réellement la vérité à laquelle nous devons encore croire pour être en communion de foi avec l’Église. 

Pourtant, les bons esprits voudront peut-être utiliser notre exemple pour montrer que le dogme est progressif, adaptable, approximatif puisque le Concile de Nicée a été contesté et a donné lieu à de nouvelles professions de foi. Rappelons cependant que notre seule intention était de souligner l’usage antique du dogme pour montrer qu’il n’est pas une invention du XVI ou du XIXe siècle. Dans un prochain article, nous allons poursuivre notre étude pour répondre de nouveau aux bons esprits. Nous entrerons en fait au cœur des contestations actuelles qui font de nombreux ravages dans les esprits et les âmes. Le développement des dogmes est un sujet très délicat et complexe que nous ne pouvons pas en effet ignorer…




[1] Saint Athanase, Sur les Synodes, 5.
[2] Ignacio Ortiz de Urbina, Histoire des conciles œcuméniquesNicée et Constantinople, Tome I, Fayard, 1963.
[3] Il a aussi pour but d'uniformiser la date de Pâques.

jeudi 12 juin 2014

Vérité et dogme

Récemment encore, il était de bon ton de prôner une vie de paix et de partage tout en refusant de prêcher les vérités de foi. Seul le comportement comptait. Le plus important était d’être dans le vrai et non dans la vérité.  Les sermons ont fini par disparaître, remplacés par des discours socialisants. Il ne fallait surtout pas choquer les âmes en éclairant leurs erreurs et les contraindre à vivre selon la vérité. Le temps était à l’ouverture et à la tolérance. Tout ce qui pouvait heurter une bonne conscience a été remplacé. Certains mots ont même été bannis du vocabulaire du chrétien. Fini le catéchisme, cette pratique si antique des questions réponses. Finie la pénitence remplacée par la réconciliation. Fini le dogme. Ce temps de naïveté et d’insouciance n’a peut-être pas encore disparu et continue probablement de faire des ravages. 

Si effectivement tout est vain sans charité, que vaut-elle sans la foi ? Certes la charité est la vertu la plus importante mais cela ne signifie pas que les autres vertus ont disparu. Si l’unité est primordiale, elle serait illusoire si elle ne se fonde pas sur les vérités de foi. La communion de foi et du cœur sont indissociables. Ainsi vouloir vivre chrétiennement sans professer sa foi, sans la témoigner par des actes et par des paroles, c’est vivre pauvrement des grâces infinies de Dieu. Le chrétien est libre car il détient la vérité et c’est parce qu’il est dans la vérité qu’il est capable d’être vraiment charitable, d'être dans le vrai. 
La vérité, elle s’énonce, elle se communique, elle se transmet. Craindre de la proclamer telle qu’elle est, c’est non seulement refuser à notre prochain de l’entendre mais également désobéir à Celui qui nous demande de convertir le monde. Il n’est pas honteux de dire à notre prochain qu’il est dans l’erreur. Il n’est pas scandaleux de lui dire que nous connaissons la vérité. Évidemment avec tout le tact, la prudence et la douceur nécessaires…
A force de ne plus entendre le dogme, nous finissons par oublier ce qu’il signifie et par le recouvrir d'un ensemble de préjugés et de toute une connotation négative. Et au lieu d’être dans la vérité, nous vivons dans l’illusion et dans le sentiment religieux, dans l'éphémère et l'instabilité. Dogme, mot honni par excellence. Il fait encore frémir. Des images peu reluisantes et des mensonges criants le recouvrent au point de le dénaturer. Pourtant que serait la foi sans le dogme ?
Un terme antique
Le mot dogme est d’origine grecque. Il provient d'un verbe qui signifie « penser, croire, supposer ». Il signifie plus précisément : « il a été décidé, défini, déterminé ». Au sens étymologique, le dogme désigne donc une résolution ou une décision ferme
Au temps antique, il était utilisé dans le sens d’enseignement, de décret et de règle juridique, éthique, philosophique. Dans son ouvrage Contre Celse, Origène l’utilise à plusieurs reprises pour désigner l’enseignement des philosophes. Il apparaît parfois comme une vérité logique et indiscutable. « Le dogme est une compréhension logique »[1]. Ainsi le terme de dogme désignait une obligation légale, morale ou intellectuelle.
Dans la Sainte Écriture, le mot désigne des décrets, des lois et des règlements de l’État. Ainsi sont nommés les décrets des roi Assuérus (Esther, III, 9) et Nabuchodonosor qui condamne Daniel et ses compagnons (Daniel, II, 13). Ce sont des ordres irrévocables. Dans le Nouveau Testament, il se rapporte aux lois et aux ordres de César, comme par exemple l’édit qui ordonne le recensement des habitants de l’empire (Luc, II, 1). Notre Seigneur est accusé de vouloir renverser les dogmes de César. Il est aussi utilisé pour désigner « les décisions qui avaient été prises par les apôtres et les ancien, qui étaient à Jérusalem » (Actes des Apôtres, XVI, 4). Saint Paul et Saint Timothée recommandent aux fidèles d’observer les décisions de ce que nous appelons aujourd'hui le concile de Jérusalem.
Selon une interprétation [2], il désignerait dans l’Ancien Testament les commandements de la Loi de Moïse ou ceux qui se rapportent à la vie religieuse. Dans le Nouveau Testament, nous retrouvons aussi le même sens. Saint Paul nous rappelle en effet que Notre Seigneur est venu abolir « la loi des préceptes » (Éphèse, II, 15), effacer « la cédule du décret »  (Colossien, II, 14), c’est-à-dire la loi mosaïque. Les Apôtres précisent que Notre Seigneur l’a supplantée par de nouveaux dogmes.
« Les Pères devaient être tout naturellement portés à désigner sous le nom de dogmes les principes fermes de l’enseignement chrétien de la foi et des mœurs. » [3] A Alexandrie, le terme de dogme finit par englober toute la doctrine chrétienne. Saint Cyrille de Jérusalem (315 - 387) désigne par ce nom les vérités fondamentales contenus dans le Symbole de Jérusalem [13]. Il les qualifie de « nécessaires » et de « pieux ». Dans sa réponse à l’ouvrage antichrétien de Celse, Origène (182 - 254) défend les nouveaux dogmes de Notre Seigneur qu’ont répandus les Apôtres face aux doctrines des philosophes. Saint Grégorien le Théologien (mort en 390) énumère tous les dogmes du Nouveau Testament en englobant sous ce terme toutes les vérités qu’il contient [14]. Saint Cyrille de Nysse (mort en 394) divise les vérités en deux parties : une partie éthique et une partie dogmatique [15]. Dans ce dernier cas, les dogmes concernent plus particulièrement les vérités relatives à la foi et non à la morale.
A partir du IVe siècle, ce mot est finalement réservé aux enseignements de la foi comme le comprend Saint Jean Chrysostome (entre 334 et 349 - 407) [16]. Saint Vincent de Lérins (mort vers 445-450) désigne par dogme la foi, c’est-à-dire la somme des vérités de foi. Les conciles œcuméniques utilisent le mot dogme pour désigner les vérités de l’enseignement de la foi. Les décrets de la foi sont ainsi appelés dogmes alors que les autres décisions sont désignés par les termes de canon ou de règles. Jusqu'au XVIe siècle, la notion de dogme est assez large. La définition du dogme se précise avec François Véron[4] (1578-1649) et Henry Holden (1596-1662).
Définition du dogme
Est considéré comme dogme ce qui doit être cru de foi divine et catholique[5]. Il est donc « toute vérité religieuse révélée surnaturellement par Dieu et proposée comme telle à notre croyance par l’Église »[6]. Selon le 1er Concile de Vatican, « on doit croire de foi divine et catholique » :  tout ce qui est contenu dans la Parole de Dieu, écrite ou transmise par la Tradition et que l’Église propose de croire comme divinement révélée, soit par un jugement solennel, soit par son magistère ordinaire et universel. »[7] Ainsi tout dogme est contenu dans la Révélation surnaturelle et est proclamé par l’Église. Le dogme est dit défini lorsqu’il est proclamé solennellement soit par un concile œcuménique, soit par un Pape parlant selon certaines conditions (ex-cathedra). Il est dit catholique quand la proclamation est ordinaire.

Dogme et Révélation
Au sens strict, le dogme exige donc la Révélation surnaturelle. Toute vérité qui ne puise pas à cette source n’est pas un dogme à proprement parler. Quand l’Église parle de Révélation, elle ne prend pas en compte la révélation privée.
Comme les dogmes puisent leur source dans la Révélation, ils sont revêtus de l’autorité de Dieu. En outre, l’Église qui les propose comme tels à tous les fidèles nous garantit qu’elles sont contenues dans la Révélation comme elle garantit la communion de foi. En adhérant aux dogmes, nous nous appuyons donc immédiatement sur la plus haute autorité. Cette foi est la foi divine et catholique.
Il y a un lien entre le mystère divin et le dogme. « Le dogme est une proposition à croire » quand « le mystère est une réalité crue ». Le dogme permet d’atteindre le mystère ou un de ses aspects ou d’en circonscrire les limites. Il est en quelque sorte son expression intelligible. Le dogme est une vérité affirmée quand le mystère est la réalité correspondante.
Le dogme ne s’identifie pas avec la Révélation. Il en est une expression. En effet, les dogmes ne peuvent exprimer de manière exhaustive la réalité divine, compte tenu de nos limites et de la nature même de Dieu. En outre, la Révélation est achevée, définitivement fixée quand la formulation des dogmes n’est pas déterminée en un certain sens.
Le dogme ne s’identifie pas non plus à sa formulation. Il peut avoir plusieurs formulations pour un même dogme. La formule dogmatique peut se concentrer uniquement sur un aspect du dogme, être plus ou moins explicites.
Obligation des dogmes
« Nous sommes tenus de présenter par la foi à Dieu qui se révèle, la soumission plénière de notre intelligence et de notre volonté »[8].
Le dogme religieux est une vérité. Par conséquent, comme toute autre vérité, l’intelligence doit s’y soumettre sinon elle ne réalise pas sa finalité. Nous perdons notre dignité d'homme doué de raison. Mais cette vérité est particulière car nous devons nous y soumettre non pas en vertu de notre propre connaissance mais à cause de l’autorité de Dieu révélant. 
Cette pleine soumission est en outre indispensable pour notre salut. Ne pas adhérer aux dogmes revient à ne plus appartenir à la communion de foi. Ainsi les conciles œcuméniques excluent de la communauté chrétienne ceux qui n’y adhèrent pas. Nous devons adhérer aux dogmes tels qu’ils sont définis et interprétés par l’Église. Les dogmes se caractérisent donc par l’obligation de s’y soumettre pour celui qui désire le salut. La foi est bien « le commencement du salut de l’homme » [9].
Immutabilité et indéfectibilité du dogme
Le 1er Concile de Vatican rappelle que « la doctrine de foi que Dieu a révélée, n’a pas été proposée à l’esprit humain comme une découverte philosophique à faire progresser par la réflexion de l’homme, mais comme un dépôt divin confié à l’Épouse du Christ pour qu’elle le garde fidèlement et le présente infailliblement. En conséquence, le sens des dogmes sacrés qui doit être conservé à perpétuité est celui que notre Sainte Mère l’Église a présenté une fois  pour toutes et jamais il n’est loisible de s’en écarter sous le prétexte ou au nom d’une compréhension plus poussée »[10].
Ainsi lorsque l’Église propose un dogme, il est proposé de manière définitive. Il n’y a pas de changement substantiel du dogme. L’Église peut connaître d’une manière toujours plus approfondie et plus précise les vérités du dépôt sacré. Elle peut les expliquer d’une manière toujours plus claire, les exprimer et les proposer dans des formules toujours plus parfaites. Il y a bien un progrès dans la connaissance subjective des vérités de foi et dans leur formule objective. Mais il n’y a point de changement de sens des dogmes .
Dogme et formulation
La formulation des dogmes été élaborée au fur et à mesure de l’histoire, en particulier lors des conflits doctrinaux. Pour clarifier des positions et répondre à des questions nouvelles, la connaissance des vérités a été approfondie et clarifiée. Une hérésie incite à faire œuvre de clarification pour souligner les vérités mises en jeu et dénoncer les erreurs. C’est en ce sens que nous pouvons parler de développement dogmatique. Mais si un dogme nouveau apparaît ou sa formulation s’est enrichie, cela ne signifie pas que notre foi a été modifiée ou augmentée. Tout est déjà contenu dans la Révélation au moins de manière implicite. Notre foi est identique à celle des Apôtres.
La difficulté est de rendre compréhensible le dogme à tous les hommes de toutes les époques, quel que soit son contexte social ou sémantique. Parfois, il et nécessaire d’adapter la formulation ou de l’éclairer tout en restant fidèle au dogme, surtout lorsqu'il est nécessaire de le traduire dans une langue vivante. Si elle est nécessaire, cette adaptation est très délicate car elle risque de conduire à un appauvrissement du dogme. Or le sens du dogme doit demeurer identique. Il est donc aussi nécessaire de faire comprendre aux fidèles le sens des mots que l’Église a employés dans sa formulation première. Il y a bien un effort d’adaptation dans la présentation d’un dogme et d’enseignement dans la connaissance du dogme. Il est nécessaire de rendre compréhensibles les dogmes autant qu’il est possible tout en demeurant fidèle au sens que l'Eglise leur a donné. Il serait en effet regrettable que des hommes s’égarent dans la foi pour des erreurs de sens.
Le progrès ou le développement dogmatique est un sujet très complexe et délicat. Il ne s’agit pas de croire que le dogme reflète une certaine expérience ou maturité religieuse. Il ne résulte pas en effet d’une élaboration progressive d’une idée ou d’une opinion que l'Eglise aurait ensuite admise de manière autoritaire et provisoire avant qu'elle ne le modifie pour répondre au sentiment religieux ou à l'intelligence de la foi. Le dogme serait alors comme une expression approximative de la vérité, la vérité absolue étant inatteignable. Nous serions ainsi proches de la notion de la « vérité scientifique » qui au fur et à mesure progresse dans la connaissance par théories successives.
Or soyons assurés. Dans le développement du dogme, il n’y a pas d’ « évolution des dogmes passant d’un sens à un autre différent de celui que l’Église avait d’abord tenu »[11].
Dogme, une proposition du Magistère
Le dogme a en outre valeur réelle de connaissance. Il nous transmet des connaissances vraies, objectivement sûres et s’imposant obligatoirement. Le dogme nécessite donc une institution dépositaire du pouvoir d’enseigner, dit magistère, capable de proclamer la vérité révélée. Ce pouvoir d’enseignement est exercé par l’ÉgliseDans son sens religieux ou étymologique, le dogme a en effet toujours été une proposition du magistère et non une expression juste de l’expérience religieuse
Les proclamations de foi peuvent être solennelles ou extraordinaires, c’est-à-dire promulguées solennellement par un concile œcuménique ou par le pape usant explicitement de son infaillibilité[12]. Cela ne concerne que peu de dogmes. Généralement, ils sont définis pour défendre les vérités importantes que remettent en cause des hérésies. Tel est le dogme de la divinité de Notre Seigneur Jésus-Christ défini par le Concile de Nicée (325).
Les proclamations de foi ne nécessitent pas toujours un jugement solennel. Elles peuvent être exercées par le magistère sous la forme ordinaire et universelle. L’enseignement ordinaire se fait par les évêques dans les diocèses sous différentes formes (prédication, professions de foi baptismales, catéchisme, etc.) ou par la pratique ecclésiastique (sacrifice de la messe, prière liturgique, sacrements). Il est universel si cet enseignement est identique en tout lieu et en tout temps. Sans cette universalité, point de dogmes...

Depuis le  XXe siècle, il est de plus en plus courant de considérer le dogme uniquement s'il a été proclamé de manière solennelle, ce qui peut être considéré comme une erreur .
Vérité de foi et vérités catholiques
Les dogmes contiennent des éléments fondamentaux sur lesquels reposent toutes les autres vérités. Ce sont les articles de foi. Ils contiennent aussi de grandes vérités fondamentales concernant Dieu, la Création, la Rédemption et les fins dernières (dits dogmes généraux) et des vérités particulières contenues dans ces grandes vérités (dits dogmes spéciaux). Certains dogmes sont incompréhensibles. D'autres peuvent être accessibles à la raison d’une certaine manière comme l’existence de Dieu.
Tout ce que nous savons être vrai dans la doctrine religieuse n’est pas un dogme même si comme toute vérité, elle mérite l’adhésion de notre intelligence. La différence entre ces vérités et les dogmes est l’autorité qui en garantie la véracité. L’Église propose en effet des vérités, dites vérités catholiques, qui ne possèdent pas le premier critère d’un dogme : elles ne sont pas contenues dans la Révélation. Elles ne sont donc pas présentées comme telles. Elles sont acceptées sur l’autorité de l’Église seule.
Parfois il est plus aisé de se mouvoir dans la lumière en s’éloignant de l’obscurité. Ainsi la dénonciation et la définition d’une erreur précisent et clarifient indirectement un dogme. Ainsi la vérité de foi se connaît aussi par le jugement qu’apporte l’Église sur des déviations doctrinales. Une proposition est ainsi qualifiée d’hérésie quand elle contredit directement un dogme. Quand l’opinion réprouvée concerne une vérité catholique, la censure la qualifie d’erreur. L’erreur provient d’une faiblesse de l’intelligence quand l’hérésie se fonde sur une volonté mauvaise.
Ne craignons point les dogmes
Comment finalement pouvons-nous vivre notre foi si nous écartons les dogmes ? Les négliger ou les dénigrer revient à rejeter l’autorité de l’Église et surtout l’autorité de Dieu. Sur quel motif pourrons-nous alors fonder notre foi si nous osons les mépriser ?... Sur notre conscience ou sur notre cœur ? Qui serait assez fou pour bâtir une cathédrale sur du sable ?! … Sur notre raison ? Est-il possible de se fier à notre intelligence si faible et limitée ? La science elle-même s’en méfie... Rien en nous ne peut donc naturellement garantir de manière absolue que notre foi est celle des Apôtres et de tous ceux qui les ont suivis sur la voie du salut… Sans les dogmes, que devient finalement la communion de la foi ? Tout s’écroulerait comme un château de cartes. Tout ne serait que vent et paroles éphémères. Un bateau sans gouvernail errant sur l’océan à la merci d’une tempête…
Mais en fait pouvons-nous vivre "sans dogme" ? Certes nous pouvons ne pas prononcer ce mot si maudit et conspué mais tous les masques et les silences ne peuvent guère cacher un fait indiscutable : nous vivons tous selon des dogmes. Même l’anarchiste a ses « vérités ». Aujourd'hui une forte opinion tend à nous faire croire que les vérités ne sont qu’une invention sociale. Elle seraient donc sans valeur, relatives et remplaçables. Effectivement chaque homme se construit au fil des ans. La question essentielle est de connaître la source de ces vérités et le motif de notre adhésion.
Devons-nous craindre de détenir de manière définitive les vérités que Dieu a bien voulu nous révéler ? Devons-nous avoir peur de les proclamer ? Au contraire, nous devons sans cesse louer Dieu de nous avoir accordé cette grâce infinie ! Alléluia ! Les seules craintes qui nous habitent sont de Lui manquer de gratitude et de nous enfler de ses grâces au point de ne point vivre selon sa volonté ….


Peut-être avons-nous peur de ne pas justifier notre foi et d’évoquer des dogmes que le Monde rejette ? Hommes de peu de foi ! Qu’importe si les hommes de mauvaise volonté ne nous entendent pas ! Qu’importe leurs rires moqueurs et leur persiflage !



Mais il est vrai que nous pouvons rougir de honte si effectivement nous sommes incapables de justifier notre foi à des hommes de bonne volonté. Un chrétien doit connaître sa foi autant qu’il le peut. Il doit savoir aussi répondre aux objections les plus classiques et à ces tirades qui ne blessent que les ignorants. Un chrétien ne peut se contenter d’aller à la messe une fois par semaine et ne jamais s’instruire surtout le jour du dimanche qui est consacré à sa sanctification et à l’approfondissement de sa foi. Un sermon ne suffit pas. La déchristianisation de la société tire probablement son origine de notre ignorance, fruit très probable d’une négligence mortelle. En Égypte, après des siècles de léthargie, nous pouvons noter un réveil spectaculaire de la communauté copte grâce à la mise en place de véritables cours d’enseignement. Une élite religieuse est née de cette volonté de se réapproprier de la culture chrétienne. D'où venait Saint Boniface (v. 680-754) apôtre de l'Allemagne ? Il était un des nombreux moines venus des îles britanniques, préalablement formés et fortifiés dans leur monastère. Toute justification n'est efficace que si elle découle d'une vie intérieure réelle. 
Et si nos capacités sont limitées, sachons le conduire vers un autre plus savant et plus sage. Ce geste est la source de bien de conversions. Savoir accueillir une âme et la remettre à un homme plus compétent, tels sont les actes élémentaires de tout chrétien. Imiter le bon samaritain de la parabole… 
Il est vrai aussique nous pouvons craindre de scandaliser un homme en n’écoutant point son âme, en le brimant d’anathèmes ou en le soûlant de notre suffisance. Saint Paul nous demande bien de ne point scandaliser notre prochain pour des vérités qui ne regardent point le salut. Soyons donc doux et aimables à l’égard des âmes de bonne volonté. Quel est le malade qui aimerait être soigné par un infirmier brutal et sans amabilité ? Notre comportement doit être une lumière qui conforte et consolide nos paroles… Un comportement qui découle aussi d'une véritable vie intérieure...
Ainsi nous chrétiens qui détenons la vérité comme le proclament les Saints et les Martyrs, portons cette grâce dans une charité sans faille avec l’aide de Dieu…





Références
[1] Saint Cyrille d’Alexandrie, Les Stromates, VIII, 5.
[2] Voir Justin Popovitch, Philosophie orthodoxe de la vérité : dogmatique de l’Église orthodoxe, volume I, éditions L’Age d’homme, collection de la lumière du Thabor, 1932, réédition 1982.
[3] Mg Bernard Bartmann, Précis de Théologie dogmatique, introduction, chapitre II, §2, éditions Salvator, 1944.
[4] F. Veron, De la règle de foi catholique, Louvain, 1721 selon B. Sesouë, Histoire des Dogmes, La Parole du Salut, Tome IV, chap.IV, Desclée, 1996.
[5] Déclaration de la Congrégation pour la doctrine de la foi, Mysterium Ecclesiae sous Paul VI, 24 juin 1973, Denzinger 4536.
[6] Mg Bernard Bartmann, Précis de Théologie dogmatique, introduction, chapitre II, §2.
[7] Constitution Dei Filius sur la foi catholique (24 avril 1870), chap.3, Concile de Vatican I, Denzinger 3011.
[8] Dei Filius, chap.3, Denzinger 3008.
[9] Dei Filius, chap.3, Denzinger 3008, et Décret sur la justification, Concile de Trente, 6ème session, 13 janvier 1547, chap. 8, Denzinger 1532.
[10] Dei Filius, chap. 4, Denzinger 3020.
[11] Pie XI, Serment antimoderniste, 1922.
[12] Canon 749 du code de droit canonique.

[13] Voir Saint Cyrille de Jérusalem, Catéchèse 2, 3 et 4.
[14] Voir Saint Grégorien, le Théologien,  Homélie 40, 45.
[15] Voir Saint Grégoire de Nysse, Lettre 24.
[16] Voir Saint Jean Chrysostome,  Sur la Génèse, 11, 5.