" La pierre précieuse, voire de grand prix aux yeux de certains, qu'est l'émeraude, se voit insultée par un morceau de verre habilement truqué, s'il ne se rencontre personne qui soit capable de procéder à un examen et de démasquer la faute. Et lorsque de l'airain a été mêlé à l'argent, qui donc, s'il n'est connaisseur, pourra aisément le vérifier ? "(Saint Irénée, Contre les hérésies)


lundi 16 juin 2014

De l'usage antique du dogme

Si le terme de dogme date de l’antiquité, la définition actuelle semble être toute récente. Les premières tentatives pour le définir formellement dateraient du XVIIe siècle. L’Église l’approprie définitivement au XIXe siècle au lendemain du Concile de Vatican I. Certaines voix peuvent alors relativiser son rôle, voire le rejeter. Il est même devenu scandaleux pour les bons esprits de se soumettre à des vérités immuables et universelles. Ce serait, disent-ils, oublier les inéluctables changements sémantiques que subit un mot. Les plus radicaux parlent d’inventions purement humaines. Mais ce discours est aussi subtil qu’il est faux. Les nombres entiers doivent-ils leur existence de leur définition formelle qui date du XIXe siècle ? Si le sens d’un mot peut effectivement varier au cours du temps, il est important de ne pas confondre le mot et ce qu’il signifie. L’Église n’a pas en effet attendu le XVIe siècle ou le XXe siècle pour proposer des vérités comme étant révélées par Dieu et objets de foi divine et catholique.

En soulignant l'élaboration progressive d’une définition, on veut peut-être atteindre l’objet même de la définition en confondant l’énoncé et le sens qu’il exprime. Le mot dogme n’est pas le seul terme auquel cette démarche est appliquée. Subtile manœuvre qu’il faut déceler pour parer à des coups qui peuvent être mortels. Concernant le mot « dogme », montrons qu’il est effectif depuis les premiers siècles du christianisme…

Pour cela, nous allons nous rendre au IVe siècle dans une ville impériale devenue aujourd'hui insignifiante. Nous sommes en 325 à Nicée, aujourd'hui Isnik en Turquie. 318 évêques sont réunis pour représenter toute l’Église. Si la très grande grande majorité est issue de la partie orientale de l’empire romain, la partie occidentale est aussi représentée. Le Pape est représenté par Osius, évêque de Cordoue. Il préside cette assemblée, le véritable premier concile de l’histoire. Une telle assemblée peut enfin être réunies En 313, par l’édit de Milan, les chrétiens obtiennent la liberté de culte mais en 323, certains d'entre eux sont encore persécutés par Licinius (v.263-325) en guerre contre l’empereur Constantin (272-337). Les persécutions cessent enfin en septembre 324. 

Concile de Nicée,
fresque de l'église Saint Spyridion à Nauplie
Si à la fin de l’année 324, les chrétiens sont effectivement libérés de toute persécution, ils ne sont guère en paix. L’ennemi se trouve désormais à l’intérieur même des églises : la division doctrinale les déchire. Certes, ce n’est pas la première fois que la doctrine est remise en cause. Dans ses épîtres, Saint Paul s’oppose déjà à certaines erreurs, en particulier le judéo-christianisme. Mais cette affaire a pris une importance considérable et touche tout l’empire. L'empereur d'y mêle. Le premier concile œcuménique est en effet convoqué à Nicée pour mettre un terme aux terribles discordes survenues à la suite d’une rupture entre Arius, prêtre d’une église d’Alexandrie et son évêque Alexandre. L’arianisme divise les chrétiens…

L’empereur Constantin est persuadé que la convocation d’une telle assemblée aboutira rapidement à un pardon mutuel entre les protagonistes. Il qualifie en effet ces querelles de futiles et de lamentables car elles ne sont fondées que sur des questions qu'il juge sans importance. Quelle erreur d’appréciation ! Il faudra attendre au moins cinquante ans et deux conciles pour venir à bout de la première hérésie d’importance de l’histoire de l’Église.

Mais le concile de Nicée est un événement capital pour le christianisme au-delà des questions doctrinales et disciplinaires qu’il doit traiter. Pour la première fois de l’histoire de l’Église, l’ensemble des évêques sont réunis pour traiter ensemble des problèmes de foi. Ils prendront des décisions que tous les chrétiens devront appliquer. Les Pères du concile définissent en particulier une profession de foi, le célèbre symbole de Nicée, suivie d’un appendice. Quelle est la valeur de cette décision ?

Rappelons que le concile œcuménique est une forme extraordinaire de Magistère de l’Église. Le symbole de foi associée à son appendice est donc une promulgation solennelle de l’Église.

Pour faire cesser les disputes, un des Pères du concile, Eusèbe de Césarée, propose que l’union se fasse autour d’un symbole de foi que son église emploie pour l’admission au baptême. L’ensemble des Pères l’acceptent comme universellement admis par les églises. Mais il est insuffisamment précis pour résoudre la cause de la querelle. Il laisse encore des échappatoires aux protagonistes. Après de nombreuses discussions sur la doctrine arienne et après avoir entendu Arius, le symbole de Nicée est adopté par une très grande majorité des Pères. Dix-sept refusent dans un premier temps de le signer. Seuls deux évêques et Arius finissent par le refuser. Les deux évêques sont excommuniés et déposés… 

Icône montrant 4 évêques du Concile de Nicée
aux côtés de l'empereur de Constantin,
tenant ensemble le texte du symbole
Toute personne ne souscrivant pas à ce symbole fait l’objet d’une excommunication. Il est donc indéniable que la profession de foi est promulguée comme étant obligatoire à tout chrétien désirant être en communion de foi avec l’Église. Le Pape Damase (366-384) parle même de l’inviolabilité du symbole de Nicée. « Tout ce symbole composé à Nicée, en accord avec l’autorité apostolique, doit être conservé fermement et constamment »[2]. L’enseignement de l’Église est clair et ferme.

Le symbole de foi de Nicée est bien considéré comme étant immuable par les Pères du concile. Il est en effet exposé comme tel par l’Église. Les conciles œcuméniques qui suivront celui de Nicée réaffirment de manière solennelle le symbole de Nicée. Il est lu pour vérifier qu’un enseignement est en accord ou non avec ce que croit l’Église. Le symbole est donc une référence pour juger de l’orthodoxie d’une doctrine. Il est la « foi infaillible des Pères », «  la pierre sur laquelle repose la foi »[2].

Enfin, le symbole de foi est défini comme l'expression de la vérité révélée par Dieu. Les expressions du symbole ont été empruntées pour la plupart du Nouveau Testament. Il utilise aussi des mots philosophiques qui définissent plus précisément la vérité contenue dans la Sainte Écriture. Les Pères conciliaires interprètent la Bible à la lumière de la Tradition, refusant toute interprétation libre de la Sainte Écriture.  Ils veulent donc exprimer une vérité de foi contenue dans le dépôt sacré et non établir une théorie ou une nouveauté selon leur expérience religieuse. « Les Pères, en matière de foi, n'ont jamais dit : - On a décrété ainsi, mais – Ainsi croit l'Église catholique ; et ils ont aussitôt confessé ce qu'ils croyaient, afin de montrer manifestement que leur pensée n'était pas nouvelle, mais apostolique. »[1] Ils ont formulé le symbole de Nicée pour répondre à une difficulté liée à une divergence doctrinale et plus précisément à une mauvaise interprétation de la Sainte Écriture.

Finalement, « la Bible et la Tradition, transmises par le magistère de l’Église, trouvent une synthèse doctrinale dans le symbole de Nicée, proclamée par les Église d’Orient et d’Occident comme règle indiscutable et indéniable de la foi chrétienne »[2]. La décision du Concile de Nicée répond parfaitement à la définition d’un dogme.

L’appendice du symbole est encore plus clair. Il est rédigé sous forme d’anathèmes. Après avoir défini sous forme positive la profession de foi, les Pères du concile condamnent comme opposées à la foi des propositions considérées formellement comme étant désormais hérétiques, c’est-à-dire contraires à la foi.

En conclusion, si la définition du « dogme » est plutôt récente, il ne faut pas oublier que son usage remonte aux premiers temps de l’Église. Au IVe siècle, dans un contexte enfin favorable, elle a solennellement promulgué son premier dogme et ses premiers anathèmes. L’énonciation de la vérité révélée ainsi exposée est certes nouvelle mais la croyance en cette vérité n’est pas une invention. Cette formule définit réellement la vérité à laquelle nous devons encore croire pour être en communion de foi avec l’Église. 

Pourtant, les bons esprits voudront peut-être utiliser notre exemple pour montrer que le dogme est progressif, adaptable, approximatif puisque le Concile de Nicée a été contesté et a donné lieu à de nouvelles professions de foi. Rappelons cependant que notre seule intention était de souligner l’usage antique du dogme pour montrer qu’il n’est pas une invention du XVI ou du XIXe siècle. Dans un prochain article, nous allons poursuivre notre étude pour répondre de nouveau aux bons esprits. Nous entrerons en fait au cœur des contestations actuelles qui font de nombreux ravages dans les esprits et les âmes. Le développement des dogmes est un sujet très délicat et complexe que nous ne pouvons pas en effet ignorer…




[1] Saint Athanase, Sur les Synodes, 5.
[2] Ignacio Ortiz de Urbina, Histoire des conciles œcuméniquesNicée et Constantinople, Tome I, Fayard, 1963.
[3] Il a aussi pour but d'uniformiser la date de Pâques.

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