Si le terme de dogme date de l’antiquité, la définition
actuelle semble être toute récente. Les premières tentatives pour le définir formellement dateraient du
XVIIe siècle. L’Église l’approprie définitivement au XIXe siècle au lendemain
du Concile de Vatican I. Certaines voix peuvent alors relativiser son rôle,
voire le rejeter. Il est même devenu scandaleux pour les bons esprits de se
soumettre à des vérités immuables et universelles. Ce serait, disent-ils,
oublier les inéluctables changements sémantiques que subit un mot. Les plus
radicaux parlent d’inventions purement humaines. Mais ce discours est aussi
subtil qu’il est faux. Les nombres entiers doivent-ils leur existence de leur
définition formelle qui date du XIXe siècle ? Si le sens d’un mot peut
effectivement varier au cours du temps, il est important de ne pas confondre le
mot et ce qu’il signifie. L’Église n’a pas en effet
attendu le XVIe siècle ou le XXe siècle pour proposer des vérités comme étant
révélées par Dieu et objets de foi divine et catholique.
En soulignant l'élaboration progressive d’une
définition, on veut peut-être atteindre l’objet même de la définition en confondant l’énoncé
et le sens qu’il exprime. Le mot dogme n’est pas le seul
terme auquel cette démarche est appliquée. Subtile manœuvre qu’il faut déceler
pour parer à des coups qui peuvent être mortels. Concernant le mot « dogme », montrons qu’il est
effectif depuis les premiers siècles du christianisme…
Pour cela, nous allons nous rendre au IVe siècle dans
une ville impériale devenue aujourd'hui insignifiante. Nous sommes en 325 à
Nicée, aujourd'hui Isnik en Turquie. 318 évêques sont réunis pour représenter
toute l’Église. Si la très grande grande majorité est issue de la partie
orientale de l’empire romain, la partie occidentale est aussi représentée. Le
Pape est représenté par Osius, évêque de Cordoue. Il préside cette assemblée,
le véritable premier concile de l’histoire. Une telle assemblée peut enfin être réunies En 313, par l’édit de Milan, les chrétiens obtiennent la liberté de culte mais en 323, certains d'entre eux sont encore persécutés par Licinius (v.263-325) en guerre contre l’empereur Constantin (272-337). Les persécutions cessent enfin en septembre 324.
Concile de Nicée, fresque de l'église Saint Spyridion à Nauplie |
Si à la fin de l’année 324, les chrétiens sont
effectivement libérés de toute persécution, ils ne sont guère en paix. L’ennemi
se trouve désormais à l’intérieur même des églises : la division
doctrinale les déchire. Certes, ce n’est pas la première fois que la doctrine
est remise en cause. Dans ses épîtres, Saint Paul s’oppose déjà à certaines erreurs, en particulier le judéo-christianisme. Mais
cette affaire a pris une importance considérable et touche tout l’empire. L'empereur d'y mêle. Le
premier concile œcuménique est en effet convoqué à Nicée pour mettre un terme
aux terribles discordes survenues à la suite d’une rupture entre Arius, prêtre d’une église
d’Alexandrie et son évêque Alexandre. L’arianisme divise les chrétiens…
L’empereur Constantin est persuadé que la convocation
d’une telle assemblée aboutira rapidement à un pardon mutuel entre les
protagonistes. Il qualifie en effet ces querelles de futiles et de lamentables car
elles ne sont fondées que sur des questions qu'il juge sans importance. Quelle erreur
d’appréciation ! Il faudra attendre au moins cinquante ans et deux conciles pour
venir à bout de la première hérésie d’importance de l’histoire de l’Église.
Mais le concile de Nicée est un événement capital
pour le christianisme au-delà des questions doctrinales et disciplinaires qu’il doit traiter. Pour la première fois de l’histoire de l’Église, l’ensemble des
évêques sont réunis pour traiter ensemble des problèmes de foi. Ils prendront
des décisions que tous les chrétiens devront appliquer. Les Pères du concile
définissent en particulier une profession de foi, le célèbre symbole de Nicée,
suivie d’un appendice. Quelle est la valeur de cette décision ?
Rappelons que le concile œcuménique est une forme extraordinaire de Magistère de
l’Église. Le symbole de foi associée à son appendice est donc une promulgation solennelle de l’Église.
Pour faire cesser les disputes, un des Pères du
concile, Eusèbe de Césarée, propose que l’union se fasse autour d’un symbole de
foi que son église emploie pour l’admission au baptême. L’ensemble des Pères l’acceptent comme
universellement admis par les églises. Mais il est insuffisamment précis
pour résoudre la cause de la querelle. Il laisse encore des échappatoires aux
protagonistes. Après de nombreuses discussions sur la doctrine arienne et après avoir
entendu Arius, le symbole de Nicée est adopté par une très grande majorité des
Pères. Dix-sept refusent dans un premier temps de le signer. Seuls deux évêques
et Arius finissent par le refuser. Les deux évêques sont excommuniés et
déposés…
Icône montrant 4 évêques du Concile de Nicée aux côtés de l'empereur de Constantin, tenant ensemble le texte du symbole |
Toute personne ne souscrivant pas à ce symbole fait
l’objet d’une excommunication. Il est donc indéniable que la profession de foi est
promulguée comme étant obligatoire à tout chrétien désirant être en communion
de foi avec l’Église. Le Pape Damase (366-384) parle même de l’inviolabilité du
symbole de Nicée. « Tout ce symbole
composé à Nicée, en accord avec l’autorité apostolique, doit être conservé
fermement et constamment »[2]. L’enseignement de l’Église est clair
et ferme.
Le symbole de foi de Nicée est bien considéré comme
étant immuable par les Pères du concile. Il est en effet exposé comme tel par
l’Église. Les conciles œcuméniques qui suivront celui de Nicée réaffirment de
manière solennelle le symbole de Nicée. Il est lu pour vérifier qu’un
enseignement est en accord ou non avec ce que croit l’Église. Le symbole est donc une référence pour juger de l’orthodoxie d’une doctrine. Il est la « foi infaillible des Pères », « la pierre sur laquelle repose la foi »[2].
Enfin, le symbole de foi est défini comme l'expression de la vérité révélée par
Dieu. Les expressions du symbole ont été empruntées pour la plupart du Nouveau
Testament. Il utilise aussi des mots philosophiques qui définissent plus
précisément la vérité contenue dans la Sainte Écriture. Les Pères conciliaires interprètent
la Bible à la lumière de la Tradition, refusant toute interprétation libre de
la Sainte Écriture. Ils veulent donc exprimer une vérité de foi contenue dans le dépôt sacré et non établir une théorie ou une nouveauté selon leur
expérience religieuse. « Les Pères,
en matière de foi, n'ont jamais dit : - On a décrété ainsi, mais – Ainsi croit
l'Église catholique ; et ils ont aussitôt confessé ce qu'ils croyaient, afin de
montrer manifestement que leur pensée n'était pas nouvelle, mais apostolique. »[1]
Ils ont formulé le symbole de Nicée pour répondre à une difficulté liée à une
divergence doctrinale et plus précisément à une mauvaise interprétation de la
Sainte Écriture.
Finalement, « la
Bible et la Tradition, transmises par le magistère de l’Église, trouvent une
synthèse doctrinale dans le symbole de Nicée, proclamée par les Église d’Orient
et d’Occident comme règle indiscutable et indéniable de la foi chrétienne »[2]. La décision du Concile de Nicée répond parfaitement à la définition
d’un dogme.
L’appendice du symbole est encore plus clair. Il est rédigé sous
forme d’anathèmes. Après avoir défini sous forme positive la profession de foi,
les Pères du concile condamnent comme opposées à la foi des propositions
considérées formellement comme étant désormais hérétiques, c’est-à-dire
contraires à la foi.
En conclusion, si la définition du « dogme » est plutôt récente, il ne
faut pas oublier que son usage remonte aux premiers temps de l’Église. Au IVe siècle, dans
un contexte enfin favorable, elle a solennellement promulgué son premier dogme
et ses premiers anathèmes. L’énonciation de la vérité révélée ainsi exposée est
certes nouvelle mais la croyance en cette vérité n’est pas une invention. Cette
formule définit réellement la vérité à laquelle nous devons encore croire pour
être en communion de foi avec l’Église.
Pourtant, les bons esprits voudront
peut-être utiliser notre exemple pour montrer que le dogme est progressif,
adaptable, approximatif puisque le Concile de Nicée a été contesté et a donné
lieu à de nouvelles professions de foi. Rappelons cependant que notre seule intention était de souligner l’usage antique du dogme pour montrer qu’il n’est pas une invention du XVI ou du XIXe siècle. Dans un
prochain article, nous allons poursuivre notre étude pour répondre de nouveau aux bons esprits. Nous entrerons en fait au cœur des contestations actuelles qui
font de nombreux ravages dans les esprits et les âmes. Le développement des dogmes est un sujet très délicat
et complexe que nous ne pouvons pas en effet ignorer…
[1]
Saint Athanase, Sur les Synodes, 5.
[2] Ignacio Ortiz de Urbina, Histoire des conciles œcuméniques, Nicée et Constantinople, Tome I, Fayard, 1963.
[3] Il a aussi pour but d'uniformiser la date de Pâques.
[3] Il a aussi pour but d'uniformiser la date de Pâques.
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