" La pierre précieuse, voire de grand prix aux yeux de certains, qu'est l'émeraude, se voit insultée par un morceau de verre habilement truqué, s'il ne se rencontre personne qui soit capable de procéder à un examen et de démasquer la faute. Et lorsque de l'airain a été mêlé à l'argent, qui donc, s'il n'est connaisseur, pourra aisément le vérifier ? "(Saint Irénée, Contre les hérésies)


samedi 29 avril 2017

Calvin et sa logique impitoyable

Luther a développé sa doctrine selon des principes tirés de son expérience et des circonstances, de l’adversité et de ses contrariétés. Ainsi elle contient des incohérences et des contradictions au point que les néfastes conséquences dans la vie réelle sont prévisibles. De sa révolte intérieure et de sa haine, ne peuvent naître que de la violence et des divisions. Nettement plus intelligent et habité par une âme de chef, Calvin est un homme logique et rigoureux, beaucoup plus efficace que Luther. Non seulement il a pensé sa doctrine mais il a aussi discerné les causes des erreurs de son devancier. De manière générale, il n’apporte pas de réelles nouveautés doctrinales, puisant ses idées dans celles de Luther, Melanchthon, Zwingli et Bucer. Cependant, il a structuré avec rigueur et clarté sa doctrine tout en radicalisant certains points, tels que la prédestination, la Cène et l’organisation de l’Église. Il a aussi introduit de nouvelles idées et tiré toutes les conséquences des notions qu’il a reçues au point que sa doctrine s’avère nettement plus opposée à celle de l’Église catholique.


Luther dissémine, développe et radicalise sa doctrine au fur et à mesure qu’il parle et écrit, n’aboutissant finalement à aucune synthèse. La confession de foi des luthériens est dispersée entre plusieurs documents qui ont été rédigés selon des intentions différentes. Calvin n’a pas commis cette faute. Pour connaître sa doctrine, un seul livre suffit. Toute sa doctrine est en effet contenue dans la dernière édition de lInstitution chrétienne. Les différents traités dogmatiques ou de moral qu’il a pu écrire, ses commentaires bibliques, ses controverses ne font que s’y rattacher. Et contrairement encore à son prédécesseur, sa doctrine a été pensée et concoctée dans le silence et le calme de la réflexion. Ainsi contrairement à Luther, voire en réaction contre les conséquences désastreuses de sa doctrine, Calvin a élaboré un système complet et cohérent, qui forme un cadre bien présenté, sous forme d’un dogmatisme impérieux

Cependant, l’évolution des éditions de l’Institution chrétienne montre une certaine évolution de Calvin. La première édition, datée de 1536, contient de larges emprunts des ouvrages de Luther. Les idées sont essentiellement tirées des catéchismes de Luther, de la Captivité de Babylone et enfin de la Liberté chrétienne. La doctrine qu’il enseigne n’est pas éloignée de celle du « réformateur ». Comme Luther, Calvin professe la corruption radicale de l’homme, la justification de la foi seule au sens luthérien, en vertu de l’imputation des mérites de Notre Seigneur Jésus-Christ, l’inutilité des œuvres, vu qu’elles sont dépourvues de valeur. Mais Calvin se montre indépendant envers Luther et ses ouvrages. Il ne veut avoir aucun maître et ne dépendre d’aucun livre. Sur la question des images dans les églises, si Luther se montre tolérant en pratique tout en les condamnant, Calvin ne les admet ni en principe ni en pratique. Il réclame nettement leur destruction. Nous voyons ainsi la logique de Calvin. Sa doctrine n’est pas que vaine pensée. Il veut appliquer ce qu’il croit.

L’influence des autres chefs de la « réforme », tels Zwingli et Bucer, se fait ressentir dès la deuxième édition de l’Institution chrétienne, parue en 1539. Il partage la conception de la nature et de la Providence de Dieu de Zwingli mais contrairement à lui, et suivant Bucer, il les tire de la Sainte Écriture et non du raisonnement puisque l’homme en est incapable tant il est corrompu. Le seul moyen d’arriver à la connaissance de Dieu est d’entendre sa Parole. Or cette Parole est consignée dans la Sainte Écriture. Par conséquent, Calvin affirme nettement que la Sainte Bible seule contient tout ce que nous devons savoir. Il professe un biblicisme intégral. En outre, selon toujours le « réformateur » français, la Sainte Écriture porte en elle l’autorité doctrinale et sa certitude. Selon Calvin, seule la conscience de l’homme, son esprit illuminé par le Saint Esprit, découvre le vrai sens de la Parole.

Toujours comme Luther, Calvin ne voit en l’homme que corruption. « Nous sommes produits de semence immonde, nous naissons souillés d’infection du péché. » Il professe l’évidence du péché originel. Ses mots sont sans équivoque. « L’homme est un singe, une bête indomptée et féroce, une ordure » qui tend nécessairement au mal. Sa doctrine est encore plus rigoureuse que celle de Luther. La nature humaine est si profondément corrompue que l’homme est incapable de lutter. La lutte lui est même interdite. Ce n’est pas un serf mais un esclave sans aucune liberté. Seule la foi au sens luthérien peut le sauver. Ainsi sans la grâce de Dieu, l'homme est incapable de faire et de vouloir le bien. «Vouloir est de l'homme. Vouloir le mal est de nature corrompue. Vouloir le bien est de grâce. »[3] Ou bien encore, « tout ce qui est de bien au cœur humain est oeuvre de pure grâce. » [4]

Cependant, contrairement à Luther, Calvin ne part pas de son expérience intérieure pour bâtir sa doctrine. Plus proche de Zwingli, il la tire de sa conception de Dieu. Il le conçoit en effet comme une volonté infinie qui ne souffre d’aucune limite. Il ne peut donc y avoir une place à la liberté humaine qui poserait une limite à sa toute-puissance. Il s’ensuit que Dieu seul est libre. Laisser la moindre puissance à l’âme humaine, ce serait « obscurcir la gloire de Dieu et se dresser contre lui ». Plus il magnifie la puissance et la souveraineté de Dieu, plus il piétine la nature humaine. Sa conception sur Dieu n’accepte aucune atténuation.

Tout ce qui arrive est même voulu par Dieu, le mal comme le bien. Et tout est déterminé pour sa glorification personnelle. Ainsi, Calvin arrive tout naturellement à la prédestination comme un principe de droit. Il enseigne que Dieu a prédestiné certains hommes au ciel et les autres à l’enfer, et cela uniquement pour sa gloire. « Nous appelons prédestination le conseil éternel de Dieu, par lequel il a déterminé ce qu’il doit faire d’un chacun homme. Car il ne les créé pas tous en pareille condition, mais ordonne les uns à la vie éternelle, les autres à l’éternelle damnation. » Si la masse humaine est une masse de perdition, Dieu en choisit certains auxquels Il octroie la grâce inamissible et la certitude du salut pour manifester sa miséricorde. Sa sentence décide donc du sort de chacun. « Ceux qu’il a préordonnés, il les a appelés ; ceux qu’il a appelés, il les a justifié. »[1] Calvin s’écarte nettement de la doctrine luthérienne. Elle sera combattue par des protestants dont Melanchthon qui, comme nous l’avons vu penche nettement, vers une collaboration de l’homme dans son salut.

La certitude de l’élection divine est donc une idée centrale de Calvin. Mais cette certitude n’est point découragement. Il y voit une force extraordinaire, capable de transformer ses disciples en apôtres, qui ne reculeraient pas devant la mort s’il le fallait pour défendre leur foi. Elle est donc exaltation. Si nous avons la foi, nous sommes donc prédestinés à la vie éternelle. Celui qui éprouve le témoignage de son élection ne peut donc céder au découragement, bien au contraire…

Mais ceux qui ne sentent pas ce témoignage, sont-ils éprouvés et donc voués à la damnation, sans aucun espoir ? Tout en défendant le mystère insondable de la justice divine, Calvin enseigne que lorsque l’homme commet le mal, il le commet contre Dieu. Il en appelle en la conscience de chacun. Mais s’ils sont damnés, qu’importe la conscience ? Qu'importent ses cris ? Elle peut toujours dénoncer le crime. En vain. C'est un homme damné. Là réside une véritable contradiction dans la pensée de Calvin. « Il y a là, on n’en serait douter, la faille la plus grave du système, obligé de rétablir la liberté dans l’ordre moral tout en la refusant dans l’ordre théologique. »[2]

Ainsi selon Calvin, l’homme doit bien se conduire non pour se sauver mais parce qu’il est sauvé. Luther enseigne aussi cette idée  mais de manière plus hésitante. Si nous nous comportons comme des saints, nous prouvons notre foi donc notre élection divine. Une telle idée élève certainement la vie spirituelle du croyant. Cependant, il n’a nul besoin de sacrifice ou de renoncement. Cela n'a plus de sens. Le croyant doit accepter l’état dans lequel Dieu l’a placé et doit user modérément de tous les biens qu’Il a daigné lui donner.

Comme Zwingli, Calvin admet uniquement deux sacrements : le baptême et la Cène. Ce ne sont que des signes extérieurs de la justification obtenue par la foi seule. Ils ne sont donc pas nécessaires au salut puisque dans le cas contraire, cela lierait la puissance de Dieu à des éléments matériels et à des signes sensibles. Sa doctrine est encore tirée de sa conception volontariste sur Dieu. Mais dans la question de la Cène, Calvin est proche de celle de Bucer. Il nie la présence réelle qu’admet Luther, mais contre Zwingli, il professe que la Cène est plus qu’une commémoration, plus qu’une union symbolique de l’âme avec Notre Seigneur Jésus-Christ. Il enseigne une présence spirituelle. Le corps du Christ est donné virtuellement aux communiants pour leur donner force, vie et confiance à ceux qui sont prédestinés.

Calvin est aussi proche des idées de Zwingli concernant le culte. Il cherche la simplicité, écartant toute forme extérieure : images, ornements, orgues, etc. La Cène est écartée du service divin. Elle n’a lieu que quatre fois par an avec participation de toute la communauté.

Contrairement à Luther, Calvin conçoit l’Église comme une société invisible de parfaits mais professe une Église visible composée de tous les prédestinés, élus et damnés, instituée par Dieu pour Le glorifier chacun à sa manière. L’expérience lui a montré que l’État et les hommes doivent être fortement encadrés, établissant des formulaires de foi précis et des dogmes, définissant une morale austère et une discipline rigide. Il crée une organisation indépendante de l’État, le Consistoire, doté d’une ferme autorité pour se faire obéir. Là aussi, sa doctrine est en réaction complète contre le luthéranisme.


Calvin emprunte donc des éléments doctrinaux de ses prédécesseurs, les poussant à l’extrême, les serrant jusque dans leurs dernières conséquences, cherchant à se parer aux défauts et aux manques qu’il a pu constater. Il en réalise une véritable synthèse, qui, par sa cohérence et sa rigueur, peut convaincre l'intelligence. C'est pourquoi elle est radicale comme la logique humaine. Luther et Melanchthon gardent une certaine sentimentalité et sont guidés par une certaine humanité. La doctrine de Calvin est froide, implacable. Mais, justement, c'est une oeuvre impitoyablement logique, d'une logique humaine, trop humaine. Et l'application de sa doctrine dans la vie réelle en montre toutes ses faiblesses. Il lui manque l'essentiel...


Notes et références

[1] Calvin, Institution chrétienne, livre III, chap. XXI, 7.
[2] Daniel-Rops, L’Église de la Renaissance et de la Réforme, Une Révolution religieuse : la réforme protestante, VI, Fayard, 1955.
[3] Calvin, Institution chrétienne, édition de 1559, livre II, chap. III, 5, dans article " Calvinisme", André Dumas, Dictionnaire  de l'histoire du christianisme, 2000, Albin Michel.
[4] Calvin, Institution chrétienne, édition de 1559, livre II, chap. II, 6 dans Histoire Générale de l'Eglise, Abbé A. Boulenger, Tome III, Les Temps Modernes, Volume II, 1ère partie, La réforme protestante, Vitte, 198.

samedi 22 avril 2017

Calvin, le procureur de Dieu

Luther a ébranlé l’Occident chrétien, séparant et divisant les consciences. Refusant toute opposition et réagissant avec fureur à toute contrariété, pris de haine contre le Pape, il a développé une doctrine en rupture avec celle de l’Église catholique. Ses discours ont enflammé les cœurs et ravagé les campagnes. Ses paroles ont livré les âmes à leurs passions,  apportant désordre et violence. Face aux révoltes, les maîtres de ce monde, princes et magistrats, ont pris en main les rênes de la prétendue réforme de peur de voir la société se perdre dans l’immoralité et l’anarchie. En Suisse, l’autre « réformateur », Zwingli, déchaîne aussi ses partisans avant qu’il ne meurt sur un champ de bataille. La fureur des « innovateurs » ne s’abat pas uniquement sur l’Église catholique. Elle divise aussi le camp des « réformateurs ». Ils se déchirent à coup de pamphlets injurieux et de menaces terribles. Certes, face à l’ennemi commun, ils s’unissent dans leurs propos véhéments, mais la désunion est grande entre eux. Combat de personnalité, combat d’idées également. Par leurs disputes, ils montrent combien leurs idées sont erronées et leurs critiques infondées. Ce temps de révolte et de violence nous suffit pour nous détourner de leurs folles doctrines qui prétendaient apporter la vérité et le salut au monde.

Il est facile de se lancer dans les critiques et de détruire ce qui a été longuement mûri et bâti au cours des siècles, surtout lorsque de criants abus fragilisent l’édifice. Il est encore plus aisé de concevoir un système et de convaincre une foule prête à entendre de beaux discours qui le bercent dans ses illusions et semblent répondre à ses intérêts. Mais dur est de construire dans le temps. Plus dur encore de s’opposer à ses rêves.

Luther a réussi à imposer ses idées et à enlever à l’Église catholique une partie de ses fidèles. Embourbée dans de profonds abus, Rome vacille sous ses coups redoutables. Les terres germaniques de l’Empire et la Suisse sont emportées par une tempête qui les mettra à feu et à sang. La révolte gagne d’autres pays comme l’Angleterre et la France, puis l’Est de l’Europe. Le succès de Luther est rapide …

Sans l’appui et le soutien des princes et des magistrats, Luther aurait-il pu réussir ? Sa révolte a permis aux politiques de prendre la main sur les âmes. La situation peut paraître paradoxale. La confusion entre le religieux et le temporel est si grande que l’Église catholique connaît de graves maux, maux qui ont conduit les hommes à suivre Luther qui finalement conduit le temporel à diriger le religieux ! Ce sont finalement les princes et les magistrats qui en sortent vainqueurs de la révolte de Luther. Triste réussite à vraie dire...

Conscient probablement de cette situation paradoxale, un autre prétendu « réformateur » va tenter de redresser la situation, apportant ordre et autorité là où il y avait désordre et individualisme, soumettant le temporel au religieux. Cet homme, c’est Calvin…

La formation de Calvin

Jean Cauvin (1509-1564), « calvinus » en latin, d’où le nom de Calvin, est le fils d’un personnage puissant de Noyon. Il est d’une bourgeoisie aisée. De bonne heure, il perd sa mère qui l’a éveillé à la foi et à la piété. Son père autoritaire et violent se remarie. Sa nouvelle épouse n’a pas la même tendresse. Elle est plutôt indifférente. Son enfance explique probablement la tristesse et la gravité qui le caractérisent. C’est en effet un homme « froid et résolu, réservé, mais capable de violences terribles, et sévères aux autres autant qu’à soi. »[1]

Calvin est destiné à une carrière ecclésiastique. C’est un brillant élève. Son intelligence et sa force de travail lui permettent de suivre de bonnes études à Paris, grâce aussi aux revenus[2] de son père et de la protection d’une puissante famille de Noyon. Au collège de la Marche, à Paris, il suit les cours de Mathurin Cordier (1479-1564) qui devient son maître. C’est un éminent prêtre humaniste, soucieux des lettres mais aussi du développement d’un français correct. En 1524, il entre au célèbre collège de Montaigu. Les élèves y sont soumis à une sévère discipline. Ils doivent par exemple se dénoncer les uns les autres. Calvin se montre particulièrement impitoyable pour ses camarades : il surveille tous leurs actes et relève leur moindre faute. Il est surnommé « l’accusatif ». Dans cette école, on apprend aussi à raisonner et à argumenter. Calvin apprend ainsi la dialectique et tout l’art de la controverse.

Alors que Calvin s‘apprêtait à commencer la théologie à la Sorbonne, son père refuse qu’il entre dans les ordres et l’envoie à l’université d’Orléans puis à Bourges pour des études de droit. Après la scolastique, il découvre le droit mais surtout l’hellénisme avec l’humaniste et luthérien Melchior Wolmar (1492-1560). À la mort de son père en 1531, Calvin retourne à Paris et poursuit ses études de lettres au Collège des lecteurs royaux, que le roi vient d’instituer, le futur Collège de France. Il suit les cours de grec et d’hébreu. Il publie en 1532 des commentaires sur De clementia de Sénèque. Ainsi finit-il sa formation d’humaniste.

Vers le protestantisme

Pendant de nombreuses années, Calvin côtoie un milieu favorable aux idées religieuses nouvelles. À Paris, il côtoie des hommes qui discutent des écrits d’Érasme, de Lefèvre d’Etaples, de Luther, de Melanchthon. Son maître Wolmar est un luthérien convaincu. Un de ses cousins, Pierre Robert, le futur Olivétain, est déjà gagné à la « réforme ». Selon Théodore de Bèze, son disciple, il l’aurait instruit à la nouvelle religion. À Orléans et à Bourges, les questions religieuses passionnent la jeunesse. De retour à Paris, il est introduit dans la famille de Cop, médecin du roi, qui adhère aux idées audacieuses du groupe de Meaux. Sans être luthériens, ses partisans, les « fabristes », nom tiré de leur chef Lefèvre d’Etaples, défend une religion toute personnelle et des thèses toutes équivoques, qui rappellent étrangement celles de Luther. Calvin lit aussi des œuvres de Luther. Soulignons que le spectacle des abus de l’Église ne semble pas avoir joué un grand rôle dans son adhésion aux idées luthériennes. L’idée que les scandales du catholicisme soit à l’origine de la prétendue réforme est bien erronée …

Naturellement, au contact de ce beau monde, Calvin s’interroge à son tour sur la nature de l’homme et sur la valeur des pratiques religieuses extérieures. En 1532, dans ses commentaires sur De clementia de Sénèque, il s’interroge sur les hommes qui pèchent sans motif et sur les prédicateurs qui « vendent les tristes pratiques de sainteté ». Maintes pointes frondeuses visent la scolastique et l’Église. Il ne cesse pas pourtant d’être un bon catholique, participant notamment à une prière publique en vue d’obtenir la cessation de la peste à Noyon. Lors d’un conflit de libelles entre des « fabristes », qui veulent « épurer » l’Église, et les gens de la Sorbonne, qui s’opposent à leurs propositions de réforme, Calvin prend parti pour Gérard Roussel, un des réformistes. C’est chez lui qu’il rencontre le luthérien Etienne de la Forge, qui l’influencera fortement, et de nombreux partisans exaltés de Luther.

Puis, le 1er novembre 1533, Nicolas Cop, fils du médecin du roi, prononce un discours inaugurant sa charge de recteur temporaire à l’université de Paris. Dans l’église des Mathurins, il commente le sermon de Notre Seigneur Jésus-Christ sur la montagne de manière peu conformiste. C’est en fait un vrai manifeste contre la théologie traditionnelle sur la valeur des œuvres. Il soutient la doctrine luthérienne de la justification par la foi seule à l’exclusion des œuvres. Il contient des passages du commentaire de Saint Matthieu par Luther. Or Nicolas Cop est un ami de Calvin. Certains disent, encore aujourd’hui, que Calvin l’a sous-doute rédigé ou du moins a participé à sa rédaction. Dénoncé par des franciscains, le discours provoque tant d’agitation que Nicolas Cop est convoqué par le Parlement. Il s’empresse alors de quitter Paris pour rejoindre Bâle. Alerté à temps, Calvin quitte aussi précipitamment la capitale pour se réfugier chez un ami luthérien. En mai 1534, résignant tous ses bénéfices, il finit par abandonner la foi catholique. « Au respect va succéder la haine, une haine farouche et implacable, et tous ses efforts vont tendre à la détruire pour édifier sur ses ruines une Église nouvelle, reconstruite soi-disant sur le modèle de l’Église primitive. »[3]

Dans une lettre qu’il adresse au cardinal Sadolet en 1539, Calvin nous renseigne sur les motifs de sa rupture. Il lui déclare qu’il a longtemps gardé la foi de son enfance et a fidèlement suivi les pratiques religieuses malgré le peu de confiance qu’elles lui inspiraient du fait qu’elles ne lui apportaient pas une suffisante tranquillité de conscience. Retenu par le respect à l’égard de l’Église, il a résisté aux idées nouvelles mais tourmenté par une grande inquiétude religieuse, Il a fini par adopter la doctrine consolante de la justification par la foi seule qu’il a découverte par les œuvres de Luther ou par ses relations avec le groupe de Meaux.

Mais contrairement à Luther, Calvin est un homme profondément logique ou rationnel. Il tire rigoureusement toutes les conséquences de la justification par la foi seule. Si l’homme est corrompu par le péché originel au point de ne plus être libre et ne pas pouvoir se justifier par les œuvres, il en conclut que c’est Dieu seul qui sauve ou damne, sans mérite ou démérite de sa part. En clair, les moyens proposés par l’Église sont inutiles contrairement à ce qu’Elle enseigne. Si Elle se trompe, c’est qu’Elle n’est pas infaillible. Il faut donc chercher une autre autorité à laquelle il peut se rapporter. Pour Calvin, c’est la Sainte Écriture. Elle est la seule règle de foi. Il est alors décidé de détruire la religion catholique.

Première tentative pour imposer son idéal

La situation en France change. La protestantisme s'est bien répandu dans le royaume. Mais les protestants commencent à être persécutés après l’affaire des Placards. Dans la nuit du 17 au 18 octobre 1534, un « réformateur » placarde des affiches offensantes et injurieuses pour les catholiques à Paris et sur les principales villes du royaume jusque sur les murs des appartements royaux du roi François 1er. Le roi s’indigne, le Parlement et la Sorbonne protestent. Un édit est publié, demandant l’extermination de l’hérésie.

Calvin fuit la France. Il rejoint d’abord Strasbourg, ville de Bucer, puis se rend à Bâle, haut lieu de la « réforme » en 1535, sans-doute pour rejoindre Nicolas Cop. Il reprend avec ardeur ses études littéraires et bibliques, étudiant la théologie qu’il connaît peu. C’est dans cette ville qu’il finit de rédiger l’Institution de la religion chrétienne, véritable manifeste et programme d’action, ou encore exposé complet de ce qui deviendra le calvinisme. « Je voudrais que ce livre confessât la foi des fidèles pourchassés », écrit-il dans la dédicace qu’il adresse au roi. Son ouvrage est un véritable succès dans les rangs protestants. Il est reconnu comme étant le livre fondamental du protestantisme. Calvin s’impose comme un maître et un chef, une des grandes personnalités de la « réforme ». Mais à Bâle, il ne parvient pas à passer ses idées sur le plan des faits. Il voyage alors en Italie mais le bûcher ne l’attire guère. Profitant d’un édit de tolérance, il se rend une dernière fois en France où son autorité grandit. Puis, souhaitant s’installer à Strasbourg, il quitte définitivement sa patrie pour prendre la route du sud, par la Savoie et Genève. Mais Genève ne sera pas une ville étape. Calvin y reste sur l’insistance de Guillaume Farel.

Genève est une ville impériale, fière de sa liberté, une liberté cependant menacée par le duc de Savoie. Le gouvernement est exercé par l’évêque et par le peuple, lequel exprime ses vœux dans le conseil général, qui délègue son autorité à trois conseils, le Petit conseil, le Sénat et le Grand conseil. 

Ancien élève de Lefèvre d’Étaples, Guillaume Farel (1489-1565) est un prédicateur que Berne, gagnée à la « réforme », envoie à travers la Suisse pour répandre les idées luthériennes. Il se rend alors à Genève pour introduire la foi nouvelle. Or il y rencontre de véritables difficultés. La population a certes embrassé le protestantisme mais beaucoup plus par hostilité contre l’évêque et le duc de Savoie que par conviction et esprit de foi. 

En 1532, l’évêque est chassé, laissant les conseils seuls maîtres de la ville. Après une dispute publique, qui semble avoir été remportée par les luthériens, la messe catholique est interdite. En 1535, soutenus par François Ier et les Bernois, les Genevois parviennent à repousser le duc de Savoie, appelé à l’aide par les catholiques. Cependant, un groupe de catholiques convaincus s’y maintient et tente de regagner le terrain perdu. Enfin, Farel est opposé à un autre groupe qui pour défendre la liberté de leur cité a combattu en faveur de la  « réforme » tout en étant indifférent aux questions religieuses. Se sentant impuissant face à tant de résistance et d'indifférence, Farel voit en Calvin l’homme de la situation. Il réussit à le convaincre de rester à Genève.

Nommé « lecteur de la Sainte Écriture en l’église de Genève », Calvin enseigne la Sainte Écriture devant un public réduit. Les Genevois ne se montrent peu empressés à l’entendre. Lors d’une dispute publique à Lausanne en 1536, entre protestants et catholiques, puis dans une rencontre entre les luthériens et les zwingliens, Calvin se révèle brillant controversiste et excellent orateur. Son autorité à Genève en sort grandie.

De retour à Genève, Calvin décide avec Farel d’organiser la nouvelle Église suivant son idéal. Par les Articles sur la Discipline ecclésiastique, rédigés en novembre 1536, ils demandent la destruction de toutes les images dans les églises, la suppression de toutes les croix, la proscription de la messe, l’obligation d’assister au service divin, réduit à des prêches, accompagnés de prières et de chants de psaumes, la pratique de la Cène quelques fois l’an. Ils réussissent ainsi à substituer au culte catholique le culte réformé. Pour implanter leurs doctrines, ils publient ensuite un catéchisme puis une confession de foi à partir de son Institution. Ils obtiennent du Grand conseil un décret ordonnant aux citoyens d’adhérer à cette confession sous peine de bannissement. Enfin, ils veulent réformer les mœurs de la ville. Pour cela, ils obtiennent le pouvoir d’excommunication, c’est-à-dire le droit d’écarter de la cène ceux dont les mœurs ne correspondent pas à la dignité de chrétien. « La force de l’Église est dans la discipline, et la force de la discipline est dans l’excommunication », dit en chaire le terrible prédicateur. Il demande alors la création d’un organisme chargé de surveiller la vie privée de chaque citoyen et d’écarter de la cène ceux qui en sont indignes.

La réaction des Genevois est vive. Sa demande est de trop pour eux qui n’ont pas voulu se débarrasser de l’autorité du duc de Savoie pour se plier au joug de ces deux étrangers, qui veulent non seulement imposer leurs doctrines mais aussi s’ingérer dans leur vie. Beaucoup d’entre eux refusent d’adhérer à la confession de foi. Les Bernois s’opposent aussi à Calvin car ce dernier ne se conforme pas à leurs usages liturgiques. Lors des élections du 3 février 1538, la majorité du Grand Conseil passe aux adversaires de Calvin et de Farel. Il leur est demandé de ne plus se mêler à la politique et de suivre les usages liturgiques de Bernes. Calvin refuse de se soumettre à leurs décisions. Il est alors interdit de prêcher. Pour riposter, le jour de Pâques, il refuse de distribuer la cène à un peuple qu'il considère comme dissolu, sacrilège, blasphémateur. La population se trouve ainsi excommuniée. L’effusion de sang est évitée de justesse. Le Grand Conseil finit par les expulser de Genève. En dépit de leur intervention auprès du synode des pasteurs suisses, devant lequel Calvin s’accuse de ses maladresses, les Genevois confirment l’arrêt d’exil.

Les raisons du succès de Calvin

Appelé par Bucer, Calvin se rend à Strasbourg, où collaborent les autorités civiles et religieuses. Il dirige une petite communauté de réfugiés français. Menant une vie relativement calme et studieuse, il reprend ses études bibliques, participe aux colloques qu’organise Charles Quint pour réconcilier les chrétiens et gagne en autorité. Il se montre plus souple, moins exigeant. Avec la publication en français de son Institution, sa notoriété devient incontestable. Elle se répand partout. Puis un jour, il voit venir à lui une délégation de Genevois le suppliant de revenir dans leur ville.

Genève est l’objet d’un violent désordre entre les partis protestants, qui s’opposent en véritables clans ennemis, se bannissant mutuellement. Profitant des dissensions entre les « réformés », les catholiques commencent à progresser. Mais les élections du 8 février 1840 permettent la victoire des partisans de Guillaume Farel. Le conseil vote alors une mention réclamant le retour de Calvin. Après avoir résisté pendant plus d’un an aux sollicitations des Genevois, Calvin finit par céder. Le 13 septembre 1541, il revient à Genève en triomphateur, c’est-à-dire en maître absolu. De 1541 à 1561, Calvin se consacre alors entièrement à l’organisation de l’Église calviniste, cherchant à appliquer son Institution. Sa ville sera son œuvre…

Lors de son séjour à Strasbourg, Calvin a cherché à comprendre son échec. D’une part, il a compris que la théorie de la justification par la foi sans les œuvres aggrave le relâchement des mœurs. Pour réduire les méfaits de la doctrine sans l’abandonner, Calvin affirme la nécessité des bonnes œuvres comme signe de la foi. Par les bonnes œuvres, l’homme montre qu’il a la foi. Si nous nous comportons comme des saints, nous prouvons notre élection ! Nous constatons que face au même constat que Luther, Calvin arrive à la même solution mais avec plus de fermeté et de logique. Sa doctrine garde plus solidement une morale. 

D’autre part, il constate que l’autorité civile s’est attribuée un pouvoir suprême. Il professe alors que l’État doit être soumis à l’Église, même si les deux autorités, civiles et religieuses, doivent coopérer pour maintenir la pureté des mœurs et de la doctrine. Les magistrats ne doivent toutefois agir que sous les directives des pasteurs, unissant leurs efforts pour la gloire de Dieu. Finalement, Calvin impose la théocratie. Et surtout, en écartant le pouvoir des autorités civile sur la religion, l’Église de Calvin n’est plus limitée aux intérêts de la cité, elle devient universelle. tout le contraire du luthéranisme...

Le despotisme religieux de Calvin

En 1541, le 20 novembre, Calvin fait approuver les Ordonnances ecclésiastiques que le Conseil de Genève promulgue. Elles définissent le statut de la ville, y établissant le règne de Dieu. Il constitue l’Église de Genève en guide et en censeur. Il impose une discipline rigide et met en place les moyens pour surveiller les mœurs des citoyens. Une véritable terreur est installée avec l’accord d’un peuple, ou du moins ceux qui l’approuvent. Ses adversaires sont néanmoins nombreux, y compris chez les pasteurs. À force de lutter, Calvin parvient à dompter les pasteurs, ou plutôt à les épurer, puis à restreindre les pouvoirs de l’autorité civile et enfin à supprimer le régime démocratique, qui lui a été octroyé par les évêques. Il réussit finalement à se débarrasser de ses adversaires, notamment par de multiples exécutions. Gruet, qui ose afficher un manifeste contre le régime mis en place et sa doctrine, est arrêté, torturé, décapité. Il a aussi demandé l’aide de François Ier. Bolsec accuse également Calvin d’être hérétique. Il est aussitôt banni. Cependant, dans les élections de 1553, Calvin perd la majorité. Son règne est menacé. Mais l’affaire Servet lui procure une victoire définitive.

L'affaire Servet

Avant son arrivée à Genève, Michel Servet est connu pour deux ouvrages contre le dogme de la Sainte Trinité. Pratiquant le libre examen, il étudie avec vigueur la Sainte Écriture. Or il n’y trouve aucune preuve de la doctrine trinitaire. Convaincu d’être guidé par le Saint Esprit, Servet veut alors ramener le christianisme à sa pureté, croyant qu’il a été falsifié par les Pères de l’Église puis par l’Église et enfin par les réformateurs. Il conçoit un christianisme gnostique, mêlé de platonisme et de nombreuses élucubrations. Les réformistes de Bâle et de Strasbourg l’ont condamné. Or, dans son Institution, Calvin évoque peu le dogme trinitaire au point que certains de ses adversaires l’accusent aussi d’hérésie. En outre, Servet remet en question le cœur de la doctrine de Calvin et de sa piété, c'est-à-dire l’exaltation de la divinité de Notre Seigneur Jésus-Christ. Il s’oppose alors violemment à Servet. « Je ne souffrirai pas qu’il s’en retourne vivant », écrit-il à Farel.

En 1353, Servet arrive à Genève après quatre mois d’errance. Convoqué par l'Inquisition, il vient de fuir la France. Il a été dénoncé comme hérétique. Il semble en fait que Calvin ait joué un rôle dans cette dénonciation. Des lettres que Servet lui a envoyées ont en effet été remises aux autorités catholiques. 

À peine est-il arrivé à Genève que Servet est arrêté. Calvin l'a accusé d’hérésie et de blasphème. Un procès est ouvert. On n’hésite pas à demander aux enquêteurs inquisitoriaux des pièces à conviction. Au lieu de se défendre, Servet attaque Calvin de manière maladroite. Certains bourgeois de la ville le soutiennent afin de détrôner Calvin. Il devient alors vite un enjeu entre les calvinistes et leurs adversaires. Finalement, Servet est condamné à mort. Il est brûlé vif avec ses écrits. Ce n’est pas vraiment pour des raisons religieuses qu’il a connu un tel sort. Ce qui était en cause est d'ordre politique. C’était Servet ou Calvin. Sa condamnation est une approbation de son œuvre. Après l’affaire Servet, l’autorité de Calvin est indiscutable. Il devient le maître absolu de la cité.

Une étrange intolérance

Servet n’est pas le seul à mourir pour s’être opposé à Calvin. Ce dernier entend ainsi châtier les coupables, c'est-à-dire les résistants à sa politique, sans le moindre scrupule. Pourtant, ne prétend-il pas que l’homme ne peut ni accomplir le bien ni se sauver par ses actes, ne disposant pas de liberté ? Par conséquent, selon sa doctrine, il devrait être irresponsable de ses actes ! Pourquoi doit-il donc juger les Genevois si sévèrement et les conduire à la mort ? « Il faut procurer leur bonheur malgré eux. » Il faut les contraindre au bien puisque les hommes sont des pécheurs par nature. Telle est la conviction de Calvin. Seul maître de Genève, il accentue sa domination et renforce la discipline. Une véritable dictature morale s’abat sur la ville. Il est le « Procureur de Dieu ».

Calvin ne s’occupe pas uniquement de doctrine et de discipline. Il oeuvre pour bâtir des hôpitaux, des asiles de nuit, des ouvroirs. Il introduit l’industrie de la laine et de la soie. Genève lui doit aussi une organisation économique efficace. Aucun domaine ne lui est étranger. Il finit par tout réglementer, y compris la propreté des latrines. Effets naturels du totalitarisme...

Une de ses autres œuvres est la création de l’Académie de Genève, destinée à la formation des pasteurs. Elle attirera de nombreux auditeurs de toute l’Europe. Contrairement à Luther, Calvin donne à son Église les moyens de se fournir d’un corps pastoral de bonne qualité et finalement d’une élite protestante.

Finalement, par le travail acharné de Calvin et par son intransigeance implacable, Genève finit par être un des phares du protestantisme, voire une nouvelle Rome, d’où rayonne sa doctrine, où règne un nouveau pape au pouvoir sans égal.

Conclusion

Perspicace et brillant orateur, Calvin est certainement l’un des esprits les plus vigoureux de son temps. Sûr de lui-même, il dispose d’une volonté froide et inflexible à la hauteur de son intelligence, qui fait de lui un véritable chef. Rigoureux et clair dans ses écrits et ses discours, « nul mieux que Calvin n’a l’art de bien poser les problèmes et de les résoudre par des raisonnements serrés et parfaitement enchaînés dans un ordre lumineux »[4]. Il réussit à exprimer ses pensées dans des formules brèves et fortes qui se gravent facilement dans l’esprit. Ainsi armé d’une ténacité incroyable et servi par belles qualités littéraires, il surmonte toutes les adversités. Car il est convaincu qu’il tient sa mission de Dieu. Il est persuadé qu’il est dans la vérité. Il a appris néanmoins à être tempérant aux intransigeances de sa doctrine. Il se plie aux circonstances.

Contrairement à Luther, Calvin a donc mis en place une organisation et une élite capables de propager sa doctrine, de concentrer les efforts et de l’imposer. Il a donné à la « réforme » un principe d’autorité suffisamment fort. Cependant, si Genève devient une capitale du protestantisme au temps du « réformateur », le calvinisme ne se cloisonne pas dans les murs de la cité. Calvin construit une Église à vocation universelle. Sa doctrine gagne l’Écosse, les Pays-Bas, la Hongrie. Néanmoins, s’il absorbe le zwinglianisme et se substitue au luthéranisme dans de nombreuses régions, il se heurte aux luthériens qui refusent toute négociation. Ainsi, le protestantisme doit à Calvin son ordre, ses cadres, ses méthodes et ce visage grave si facilement reconnaissable. Calvin lui a donné l’idée-force du chef, inflexible et droit, intraitable avec ceux qui ne partagent pas ses convictions.

Lorsque nous regardons le travail de Calvin, nous pouvons constater qu’il a bâti une nouvelle Église, reprenant les mêmes idées d’autorité et d’universalisme de l’Église catholique, cherchant à le rendre indépendante des pouvoirs temporels. Il a pris conscience des néfastes conséquences de la doctrine luthérienne. Grâce à lui, le protestantisme a évité l’anarchie et la dissolution dans lesquelles il sombrait. Mais à quel prix ! 

Certes Calvin impressionne par sa puissance de travail, sa force de volonté et son génie d’organisation mais il a certainement oublié les deux plus grands préceptes que Notre Seigneur Jésus-Christ nous a laissés : l’humilité et la bonté. Plus sûr de lui-même et de ses convictions, tyrannique et sans scrupule pour se défendre, d’un cœur endurci, Calvin est surtout l’homme de la rupture décisive. Avec rigueur, il est l’homme qui a contribué à dresser un mur infranchissable entre l’Église catholique et son œuvre. Qui pourrait oublier cette faute ?




Notes et références

[1] Daniel-Rops, L’Église de la Renaissance et de la Réforme, Une Révolution religieuse : la réforme protestante, VI, Fayard, 1955.
[2] Calvin se voit attribuer des bénéfices d’une chapellerie puis d’une cure.
[3] Abbé Boulanger, Histoire générale de l’Église, Tome III, Les Temps Modernes, Volume VII, XVIème et XVIIème siècle, 1ère partie, La Réforme protestante, n°58, Librairie catholique Emmanuelle Vitte, 1938.
[4] Abbé A. Boulanger, Histoire générale de l’Église, Tome III, Volume VII, 1ère partie, n°68.

samedi 15 avril 2017

Au bon plaisir de Dieu

Dieu est-il un tyran ou un libertaire à notre égard ? Impose-t-Il sa loi à tous les hommes sans que ces derniers ne puissent ne rien faire pour se défaire de son emprise ? Ou leur accorde-t-Il toute liberté sans leur imposer la moindre contrainte si ce n’est celle de la nature ou de leur imagination ? Dans les deux cas, Il n’est guère Celui qui aime. Le tyran comme le libertaire n’aiment guère ceux qu’Il soumet soit à sa tyrannie soit à leurs propres envies.

Dieu veut nous sauver d'un désir infini

Certes, Dieu est Tout-puissant et nul ne peut résister à sa volonté. Sa souveraineté est sans limite et qui pourrait la contester ? Dieu veut la sanctification de tous les hommes. Selon notre Credo, qui remonte aux premiers temps du christianisme, nous professons que Notre Seigneur Jésus-Christ est mort pour sauver tous les hommes. Pourtant tous les hommes sont-ils sauvés ? Le Verbe est venu ici-bas et Il n’a pas été reçu. Non, il y a beaucoup d’appelés mais peu d’élus. Dans la prière que Notre Seigneur Jésus-Christ nous a laissée, la prière par excellence de tout chrétien, que disons-nous ? Que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel ! Nos paroles remettent-elles en cause la toute-puissance de Dieu ?  Quelle folle pensée ! Nous exprimons à Notre Père notre désir de soumettre notre volonté à la sienne et celle de toutes les créatures. Pourtant, tout est soumis à Dieu. Les choses pourraient-elles vraiment se faire hors de la volonté de Dieu ? Non, évidemment. En Dieu il n’y a ni impuissance ni ignorance. Il est la perfection même. Que signifie donc cette demande ?  Y aurait-il contradiction ?

La volonté divine de sauver tous les hommes est un désir de Dieu au sens où Dieu le souhaite mais ne l’impose pas. Dans la prière du Pater, nous demandons que ses souhaits se réalisent, en particulier en nous. Dieu aurait-Il des désirs ou des souhaits comme tout homme ? Nous ne pouvons guère parler de Dieu sans user de notre vocabulaire et de notre façon de parler. Nous n’avons pas d’autres moyens de nous exprimer. Pauvres et misérables moyens dont nous disposons…

Quand un ange vient présenter sa salutation à Sainte Marie et lui annonce le divin mystère de l’Incarnation, elle lui répond par un fiat. « Voici la servante du Seigneur, qu’il me soit fait selon sa parole. »(Luc, I, 38) Et par sa réponse, le mystère peut s’accomplir. Elle aurait pu dire non. Abraham aurait pu refuser de sacrifier son fils. Jérusalem aurait pu ne pas être détruite ni par Nabuchodonosor ni par les troupes romaines si la volonté de Dieu était de la préserver comme Il l’a souvent dit.  Quand Notre Seigneur « fut proche de Jérusalem, à la vue de cette ville, il pleura sur elle » (Luc, XIX, 41). Que signifieraient ces larmes si elles ne venaient pas d’un cœur désireux de la sauver tout en voyant sa perte « parce que tu n’as pas connu le temps où tu as été visitée. » (Luc, XIX, 44) Si Dieu avait voulu, tout cela n’aurait pas eu lieu. Sa volonté aurait été faite sans aucune difficulté. « Le Verbe était la vraie lumière qui éclaire tout homme venant en ce monde. Il était dans le monde, et le monde a été fait par lui, et le monde ne l’a point connu. Il est venu dans son héritage, et les siens ne l’ont pas reçu. » (Jean, I, 9-11) Sans liberté en l’homme, l’histoire de la chute et de la Rédemption n’aurait pas eu lieu. « A tous ceux qui l’ont reçu, à ceux qui croient en son nom, il a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu » (Jean, I, 13).

Imaginons un époux et son épouse. S’ils s’aiment vraiment, l’un ne cherche-t-il pas à toujours répondre à la volonté de l’autre ? Que l’un des deux ait soif, l’autre ne voudrait-il pas étancher sa soif ? L’un est épuisé, l’autre ne voudrait pas lui apporter le réconfort dont il a besoin ? Dans une véritable amitié, y a-t-il la place à l’ordre et au commandement ?

La logique de Calvin est sans faille. Si Dieu est tout-puissant tel qu’il l’entend, l’homme ne mérite rien, ses œuvres sont sans mérite. De même, Luther peut accuser la folle prétention humaine de vouloir gagner son salut s’il pense qu’il n’est qu’un être corrompu. Mais c’est finalement oublier que Dieu peut émettre des désirs. Tout en Lui n’est pas volonté absolue. Le désir n’est pas incompatible à la puissance. Il est aussi puissant pour proposer sans imposer, appeler sans être entendu, parler sans être écouté.

Si on ne L’entend pas, si on ne L’écoute pas, si on Lui désobéit, est-ce la faute de Dieu ? Est-ce de sa faute que les Hébreux aient murmuré dans le désert, que David et Salomon aient péché, que des Juifs aient adoré Balaam ? Est-ce de sa faute que Judas ait trahi Notre Seigneur Jésus-Christ et que des Juifs n’aient pas voulu Le suivre ? Pire encore. Si sa volonté s’imposait en toute circonstance, Dieu serait sans aucun doute l’auteur de nos péchés. Emporté dans leur logique, certains Luthériens ont prêché cette abomination, affirmant que le mal comme le bien venaient de Dieu. Effectivement, si l’homme n’a aucune liberté, comment pourrait-on lui rendre responsable des maux qui l’accablent ?
Dieu impose-t-il les vérités de foi ? Saint Jean nous le dit bien. Ce sont ceux qui L’ont reçu qui peuvent devenir ses enfants. Écoutant parler Notre Seigneur Jésus-Christ, une femme est admirative. « Heureux le sein qui vous a porté, et les mamelles que vous avez sucées ! ». Mais Il lui répond : « Heureux plutôt ceux qui écoutent la parole de Dieu et qui la gardent ! »(Luc, XI, 27-28) Que signifieraient ces paroles si l’homme n’avait aucune liberté ? Que signifierait même croire si Dieu imposait notre croyance sans que nous puissions rien dire ?

Dieu désire notre salut, Il ne l'impose pas

Dieu nous propose les vérités de foi à croire et Il veut que nous y croyions. Il veut qu’elles soient crues par tous les hommes sans néanmoins les imposer à leur âme. « Dieu ne nous signifie sa volonté que comme un désir de sa part, c’est-à-dire sans un vouloir absolu. »[1] Cela explique pourquoi certains croient, d’autres non. Nous pouvons Lui obéir ou Lui désobéir, lui être fidèles ou nous égarer dans notre propre vision du monde. Comprenons bien que si Dieu voulait absolument, nous ne pourrions que connaître et non croire.

Dieu nous permet de Lui résister par désobéissance, même s’Il veut que nous Le suivions par obéissance. « Il veut que nous puissions résister, Il désire que nous ne résistions pas ; il permet néanmoins que nous résistions si nous le voulions. »[2] Lorsque nous résistons, Dieu n’y est pour rien. C’est parce que nous sommes libres que nous pouvons résister. La résistance manifeste notre liberté car Dieu nous permet de laisser notre volonté à notre libre-arbitre. La multiplicité des croyances et des religions traduisent la capacité humaine d’agir selon sa volonté. Dieu le permet. Il laisse faire. Mais quand Dieu désire que nous suivions sa volonté, « il appelle, exhorte, incite, inspire, il vient à notre aide et nous secourt. »[3] Quand il appelle les ouvriers à sa vigne, le père de famille ne leur impose pas le travail. Ils viennent parce qu’ils acceptent d’être embauchés mais avant d’être embauchés, faut-il qu’ils soient appelés.

La volonté de Dieu de nous sauver ne relève pas de sa volonté absolue mais bien d’un véritable désir. Et pour que son désir soit réalisé, Dieu nous donne tous les moyens nécessaires. Le médecin veut que nous guérissions. Pour cela, il nous fournit les remèdes nécessaires et nous impose parfois un régime draconien. Mais en fait, il n’exprime qu’un désir. Nous pouvons ne pas l’écouter et vivre sans ses remèdes et sans suivre le régime. Si nous résistons à ses préconisations, le mal risque d’empirer et la dégradation de notre état, nous ne la devrons qu’à nous-mêmes. C’est parce que Dieu désire notre salut qu’Il nous en donne les moyens. Là se manifeste toute sa volonté. Et non seulement Il nous éclaire de sa lumière mais Il nous réchauffe, nous soutient jusqu’au jour où la lumière nous embrasera. Aucun moyen ne nous manque pour que nous suivions sa voie jusqu’au bout. Mais, par notre seule volonté, nous pouvons prendre un autre chemin et nous cacher de sa lumière. Il suffit de se détourner de Lui…

Ainsi la volonté de salut que Dieu a souvent exprimée est une vraie volonté. Il nous accorde suffisamment de grâces pour que nous parvenions au bonheur éternel sans cependant agir contre notre nature. Sa bonté nous sauve, notre mépris nous condamne.

Dieu nous donne tous les moyens pour nous sauver

Cependant, pour être sauvé, il ne suffit pas de vouloir être sauvés et d’en prendre les moyens. Il faut aussi recevoir toutes les grâces qu’Il nous a préparées pour nous et qu’Il nous offre. « Il faut, avec la plus ferme résolution, vouloir et saisir les grâces que Dieu nous réserve. Notre volonté doit en effet correspondre en toutes choses à celles de Dieu. La volonté divine veut nous sauver, nous le voulons aussi ; elle nous montre les moyens, nous voulons les prendre ; elle nous offre ses grâces, à nous de les faire nôtres, puisque nous désirons le salut, comme elle le désire pour nous, et parce qu’elle le désire » [4]. Le salut est ainsi l’union de deux volontés, l’une qui propose, l’autre qui s’y soumet librement. La volonté de Dieu est première, gratuite, miséricordieuse. Sans elle, point de salut. La volonté de l’homme est une réponse à celle de Dieu. Nous dirions même que le salut résulte de la rencontre et de l’union de deux désirs.

Mais un désir est toujours précédé d’un amour. On ne désire que ce que l’on n'aime pas. Si Dieu désire notre salut, c’est qu’Il nous aime. Si nous résistons à son désir, c’est que nous ne désirons pas son salut, que nous L'aimons pas. Et c’est l’amour qui porte la volonté à se soumettre à celle de Dieu. Pourquoi l’homme ne désire pas son salut ? Pourquoi sa volonté rejette-t-elle le désir de Dieu ? Parce que l’amour n’habite pas en lui. Pour comprendre cela, nous devons nous pencher plus longuement sur la volonté et le désir…

Qu'est-ce que la volonté ?



 
La volonté est la faculté de commander nos mouvements tant extérieurs qu’intérieurs. Nos yeux n’ont pas de volonté. L’oreille n’obéit à personne. Sans intelligence, ils ne font que percevoir ce que le monde extérieur leur soumet. Si nous voulons que les yeux ne voient pas, nous devons les détourner ou les fermer.

Nous ne pouvons pas parler de la volonté sans parler du bien. C’est même parce que nous sommes attirés à un bien que nous le voulions. Le bien est souvent défini par ce que chacun désire. Mais la volonté est aussi la faculté qui tend au bien, du moins à ce qu’elle tient pour tel. « La volonté donc, apercevant le bien que lui indique l’intelligence, éprouve aussitôt un certain plaisir, une certaine complaisance, qui la font se mouvoir et incliner doucement mais puissamment vers ce bien qu’elle aime, afin de s’unir à lui. Et pour parvenir à cette union, l’intelligence se met en quête des moyens les plus appropriés. » [5] Il y a une telle convenance entre la volonté et le bien qu’elle génère de la « complaisance » qui elle-même meut la volonté et, dans un mouvement qui tend à l’y unir, la pousse vers le bien. Tel est l’amour.

L’amour n’est ni la volonté elle-même ni la complaisance. « Le véritable amour, c’est le mouvement et l’écoulement du cœur dans ce qui est aimé. » [6] Certes sans complaisance, il n’y a pas d’amour. Elle naît en elle et ne peut durer sans elle sans se confondre avec elle. Le mouvement dure jusqu’à la jouissance de l’union.

Qu'est-ce que le désir ?

On parle de désir quand le bien se trouve éloigné ou absent, ou que l’union ne peut se réaliser autant qu’on le souhaiterait. Le désir est le mouvement d’amour par lequel le cœur aspire à cet objet absent. « Le désir n’est pas autre chose que l’appétit ou la convoitise des choses que nous n’avons pas, mais que nous aimerions avoir.»[7] L’amour procure de la joie si le bien est atteint, de l’espérance quand on estime pouvoir l’obtenir sinon le désespoir. Il procure de la crainte quand on fuit ce qui lui est contraire. Si ce qui lui est contraire advient, il y a tristesse. Si l’objet est considéré comme un mal, nous le haïssons. Il n’y a plus mouvement vers l’union mais recul pour s’en éloigner. Si le mal est présent, la tristesse est là. Toutes ces sentiments, amour, désir espérance, désespoir, haine, tristesse, etc. sont des passions ou des émotions qui meuvent la volonté. Toutes ont affaire avec le bien ou le mal [8], ou estimées comme tel. Mais comme nous l’avons dit, le bien et le mal meuvent la volonté tant que la volonté veuille bien y consentir. Tant qu’elle ne consente pas, la volonté domine. Et lorsqu’elle consente à une passion, c’est elle qui la domine.

Si les biens sont inatteignables, le désir n’est qu’une velléité, des vœux sans lendemain. Et lorsqu’elle prend conscience de cette impossibilité ou de l’extrême difficulté à les atteindre, la volonté cesse tout mouvement. Un désir peut aussi s’arrêter quand il demeure incompatible avec un autre plus fort. Le désir de ne pas rendre malade son ami peut être supérieur au désir de l’embrasser.Une volonté est donc gouvernée par un amour mais « la volonté n’aime que ce qu’elle veut aimer »[9]. Mais lorsqu’elle s’attache à un amour, c’est ce dernier qui s’empare d’elle et elle s’y soumet tant que cet amour subsiste en elle. Mais la volonté peut aussi s’en défaire pour s’attacher à un autre. Si l’homme résiste aux désirs de Dieu, c’est que sa volonté ne veut point se détacher d’un autre amour, l’amour de soi et du monde par exemple.


Ainsi la volonté se lie à un bien au point de chercher tous les moyens pour parvenir à atteindre ce bien et à s’y unir. Elle se meut tant qu’elle ne parvient pas à cette union, c’est-à-dire tant que le bien lui est absent. Le désir meut donc la volonté tant que l’union n’est pas réalisée. Mais la volonté n’est qu’une faculté. C’est bien l’homme qui par sa volonté se porte au bien. Quand nous parlons d’union entre la volonté et le bien, nous désignons en fait l’union de l’homme qui exerce sa volonté avec ce qu’il considère comme un bien. L’affinité entre l’amant et la chose aimée est la source de l’amour comme sa finalité consiste dans leur union.

Aimer Dieu, se conformer à sa volonté

Si l’homme voit en Dieu un bien, son cœur cherchera à se conformer à Lui, c’est-à-dire à s’unir à Lui de manière à n’être qu’un. Pendant des siècles, on a enseigné que cet amour à l’égard de Dieu est naturel. Comme nous l’avons déjà vu, l’athéisme est une notion nouvelle dans l’histoire des hommes alors que l’idée de religion était aussi vieille et répandue sur terre que l’homme lui-même. Mais l’idée d’une inclination naturelle de l’homme vers Dieu est aujourd’hui combattue ou plutôt méprisée ; on n’en parle même plus.

Mais en nous, cet amour de Dieu n’est qu’imparfait. Nous sentons en nous cette volonté de tendre vers Dieu mais elle est impuissante dès le commencement. « Ce n’est qu’un certain vouloir, sans vouloir, un vouloir qui voudrait mais  qui ne veut pas, un vouloir stérile, un vouloir sans effet »[10]. Cette impuissance vient de notre nature blessée par le péché originel. Laissés à nos seules forces, nous ne pouvons donc pas aimer Dieu autant que nous voudrions, c’est-à-dire par-dessus tout. Cette inclination n’est pas rien. Elle peut être un moyen pour Dieu de nous attirer à Lui plus facilement.

Dieu nous aime

Notre amour à l’égard de Dieu, s’il est naturel, demeure ainsi bien imparfait. Mais Dieu aime l’homme. Notre Seigneur Jésus-Christ est mort pour nous sauver ! Quelle plus belle preuve d’amour que de livrer sa vie pour d’autres ? Que faut-il de plus pour le prouver ? Quel autre témoignage faut-il donner ? Parce que Dieu nous aime, Dieu veut nous sauver. Son amour nous conduit donc à notre salut. Mais par le salut, Il nous ouvre son cœur. Notre salut nous conduit à son amour. Et pour ceux qui ne comprennent pas, Il nous demande expressément de L’aimer et de L’aimer par-dessus tout. Or l’amour tend à l’union. Dieu veut nous unir à Lui ! Tel est son désir.


Or comment pouvons-nous L’aimer si naturellement nous ne pouvons que L’aimer imparfaitement ? L’amour n’aime guère la demi-mesure. Il tend à croître puisque sa fin est de parvenir à l’union. Il embrase le cœur et Le pousse à l’unir à l’être aimé tant que ce désir se maintient en lui et domine sur tout autre désir.

Et puisque Dieu veut nous unir à Lui, Il nous en donne aussi les moyens. « Il ne se contente pas de faire connaître à tous son extrême désir que nous l’aimions, de telle sorte que tout le monde le sache. Il va même jusqu’à frapper de porte en porte »[11] pour témoigner toutes sortes de bontés. Il nous donne tout ce qu’Il faut pour L’aimer et même au-delà du juste suffisant. Son amour n’a pas de limite. Il met tout en œuvre. Or qui pourrait résister à son amour si ce n’est le refus de l’être aimé ?

Le bon samaritain
Le divin Amant est à la porte. Il frappe. Il appelle l’âme, doucement puis de manière véhémente. Mais Il n’ouvre pas. Il est là, à l’improviste, avant même que nous ayons pu y penser. Il a devancé nos désirs. Il frappe notre cœur et le réveille afin que nous puissions sortir de notre sommeil. Par surprise et sans rien nous demander, Il vient nous réveiller.

Notre Seigneur a témoigné tant d’amour lorsqu’Il était près des siens que nous pouvons ne rien comprendre à l’aveuglement de beaucoup de Juifs. Les miracles n’ont pas suffit pour leur ouvrir leurs esprits. La Sainte Écriture leur a été sourde et donc inutile. Que de signes et de faveurs ! Dieu ne les a pourtant pas exclus de son amour. Notre Seigneur Jésus-Christ est aussi mort pour eux. Dieu ne les a pas rejetés, ce sont eux qui L’ont rejeté. Dieu était à la porte. Ils n’ont jamais voulu Lui ouvrir. Ils ont préféré s’enfermer dans leur certitude que de s’ouvrir à la miséricorde de Dieu et à se conformer à sa volonté. « Nous recevons la grâce de Dieu en vain, lorsque nous la maintenons à la porte de notre cœur, sans que notre cœur y consente. »[12] Parce que libres, nous avons mal usé de notre liberté. Mais ce qu’il s’est passé en terre sainte il y a plus de 2000 ans se répète chaque jour…

C’est donc par amour que nous devrions suivre les commandements de Dieu. C’est par crainte de ne pas suffisamment répondre aux désirs de l’Être aimé que nous devrions nous appliquer à Lui obéir. L’amour n’exclut pas la crainte. Il est aussi indéniablement associé à l’espérance. Car comment pourrions-nous craindre d’être abandonnés par Celui qui a tant fait pour nous sauver ? Comme l’enseigne l’Église catholique, Dieu donne à chacun les grâces suffisantes non seulement pour éviter le mal mais pour nous convertir et donc L’aimer.

L’abîme sépare l’homme de Dieu. Notre misère est grande. Et cet abîme a été comblé par une chose qui devrait non seulement nous effrayer mais aussi et surtout nous réjouir. Notre Seigneur Jésus-Christ est mort pour sauver tous les hommes. Quel plus beau témoignage d’amour ! Que le sang versé pour nous ne soit pas vain ! Soyons toujours attentifs aux grâces divines. Nul n’est condamné si ce n’est pas lui-même...







Notes et références
[1] Saint François de Salle, Traité de l’Amour de Dieu, livre VIII, chap. III, n°627.
[2] Saint François de Salle, Traité de l’Amour de Dieu, livre VIII, chap. III, n°627.
[3] Saint François de Salle, Traité de l’Amour de Dieu, livre VIII, chap. III, n°627.
[4] Saint François de Salle, Traité de l’Amour de Dieu, livre VIII, chap. III, n°635.
[5] Saint François de Salle, Traité de l’Amour de Dieu, livre I, chap. VII, n°68.
[6] Saint François de Salle, Traité de l’Amour de Dieu, livre I, chap. VII, n°70.
[7] Saint François de Salle, Traité de l’Amour de Dieu, livre I, chap. VII, n°72.
[8] Saint François de Salle, Traité de l’Amour de Dieu, livre I, chap. III, n°49.
[9] Saint François de Salle, Traité de l’Amour de Dieu, livre I, chap. I, n°55.
[10] Saint François de Salle, Traité de l’Amour de Dieu, livre I, chap. XVII, n°128.
[11] Saint François de Salle, Traité de l’Amour de Dieu, livre II, chap. VIII, n°172.
[12] Saint François de Salle, Traité de l’Amour de Dieu, livre II, chap. XI, n°184.