Luther a développé sa doctrine selon des principes
tirés de son expérience et des circonstances, de l’adversité et de ses
contrariétés. Ainsi elle contient des incohérences et des contradictions au
point que les néfastes conséquences dans
la vie réelle sont prévisibles. De sa révolte intérieure et de sa haine, ne
peuvent naître que de la violence et des divisions. Nettement plus intelligent et habité par une âme de chef, Calvin est un homme logique et rigoureux, beaucoup
plus efficace que Luther. Non seulement il a pensé sa doctrine mais il a aussi
discerné les causes des erreurs de son devancier. De manière générale, il
n’apporte pas de réelles nouveautés doctrinales, puisant ses idées dans celles de Luther,
Melanchthon, Zwingli et Bucer. Cependant, il a structuré avec rigueur et clarté
sa doctrine tout en radicalisant certains points, tels que la prédestination,
la Cène et l’organisation de l’Église. Il a aussi introduit de nouvelles idées
et tiré toutes les conséquences des notions qu’il a reçues au point que sa
doctrine s’avère nettement plus opposée à celle de l’Église catholique.
Luther dissémine, développe et radicalise sa doctrine au fur et à mesure qu’il parle et écrit, n’aboutissant finalement à aucune synthèse. La confession de foi des luthériens est dispersée entre plusieurs documents qui ont été rédigés selon des intentions différentes. Calvin n’a pas commis cette faute. Pour connaître sa doctrine, un seul livre suffit. Toute sa doctrine est en effet contenue dans la dernière édition de l’Institution chrétienne. Les différents traités dogmatiques ou de moral qu’il a pu écrire, ses commentaires bibliques, ses controverses ne font que s’y rattacher. Et contrairement encore à son prédécesseur, sa doctrine a été pensée et concoctée dans le silence et le calme de la réflexion. Ainsi contrairement à Luther, voire en réaction contre les conséquences désastreuses de sa doctrine, Calvin a élaboré un système complet et cohérent, qui forme un cadre bien présenté, sous forme d’un dogmatisme impérieux…
Cependant, l’évolution des éditions de l’Institution
chrétienne montre une certaine évolution de Calvin. La première
édition, datée de 1536, contient de larges emprunts des ouvrages de Luther. Les
idées sont essentiellement tirées des catéchismes de Luther, de la Captivité
de Babylone et enfin de la Liberté chrétienne. La doctrine
qu’il enseigne n’est pas éloignée de celle du « réformateur ». Comme Luther, Calvin professe la corruption
radicale de l’homme, la justification de la foi seule au sens luthérien, en
vertu de l’imputation des mérites de Notre Seigneur Jésus-Christ, l’inutilité
des œuvres, vu qu’elles sont dépourvues de valeur. Mais Calvin se montre
indépendant envers Luther et ses ouvrages. Il ne veut avoir aucun maître
et ne dépendre d’aucun livre. Sur la question des images dans les églises, si
Luther se montre tolérant en pratique tout en les condamnant, Calvin ne les
admet ni en principe ni en pratique. Il réclame nettement leur destruction.
Nous voyons ainsi la logique de Calvin. Sa doctrine n’est pas que vaine pensée.
Il veut appliquer ce qu’il croit.
L’influence des autres chefs de la
« réforme », tels Zwingli et Bucer, se fait ressentir dès la deuxième
édition de l’Institution chrétienne, parue en 1539. Il partage la conception
de la nature et de la Providence de Dieu de Zwingli mais contrairement à lui,
et suivant Bucer, il les tire de la Sainte Écriture et non du raisonnement
puisque l’homme en est incapable tant il est corrompu. Le seul moyen d’arriver
à la connaissance de Dieu est d’entendre sa Parole. Or cette Parole est
consignée dans la Sainte Écriture. Par conséquent, Calvin affirme nettement que
la Sainte Bible seule contient tout ce que nous devons savoir. Il professe un
biblicisme intégral. En outre, selon toujours le « réformateur » français, la Sainte Écriture porte en elle
l’autorité doctrinale et sa certitude. Selon Calvin, seule la
conscience de l’homme, son esprit illuminé par le Saint Esprit, découvre le
vrai sens de la Parole.
Toujours comme Luther, Calvin ne voit en l’homme que corruption. « Nous sommes produits de semence
immonde, nous naissons souillés d’infection du péché. » Il professe
l’évidence du péché originel. Ses mots sont sans équivoque. « L’homme est un singe, une bête indomptée et
féroce, une ordure » qui tend nécessairement au mal. Sa
doctrine est encore plus rigoureuse que celle de Luther. La nature humaine est
si profondément corrompue que l’homme est incapable de lutter. La lutte lui est
même interdite. Ce n’est pas un serf mais un esclave sans aucune liberté.
Seule la foi au sens luthérien peut le sauver. Ainsi sans la grâce de Dieu, l'homme est incapable de faire et de vouloir le bien. «Vouloir est de l'homme. Vouloir le mal est de nature corrompue. Vouloir le bien est de grâce. »[3] Ou bien encore, « tout ce qui est de bien au cœur humain est oeuvre de pure grâce. » [4]
Cependant, contrairement à Luther, Calvin ne part pas
de son expérience intérieure pour bâtir sa doctrine. Plus proche de Zwingli, il
la tire de sa conception de Dieu. Il le conçoit en effet comme une volonté
infinie qui ne souffre d’aucune limite. Il ne peut donc y avoir une place à la
liberté humaine qui poserait une limite à sa toute-puissance. Il s’ensuit que
Dieu seul est libre. Laisser la moindre puissance à l’âme humaine, ce serait
« obscurcir la gloire de Dieu et se
dresser contre lui ». Plus il magnifie la puissance et la souveraineté de
Dieu, plus il piétine la nature humaine. Sa conception sur Dieu n’accepte
aucune atténuation.
Tout ce qui arrive est même voulu par Dieu, le mal
comme le bien. Et tout est déterminé pour sa glorification personnelle. Ainsi,
Calvin arrive tout naturellement à la prédestination comme un principe de droit.
Il enseigne que Dieu a prédestiné certains hommes au ciel et les autres à
l’enfer, et cela uniquement pour sa gloire. « Nous appelons prédestination le conseil éternel de Dieu, par lequel il
a déterminé ce qu’il doit faire d’un chacun homme. Car il ne les créé pas tous
en pareille condition, mais ordonne les uns à la vie éternelle, les autres à
l’éternelle damnation. » Si la masse humaine est une masse de
perdition, Dieu en choisit certains auxquels Il octroie la grâce inamissible et
la certitude du salut pour manifester sa miséricorde. Sa sentence décide donc
du sort de chacun. « Ceux qu’il a
préordonnés, il les a appelés ; ceux qu’il a appelés, il les a justifié. »[1]
Calvin s’écarte nettement de la doctrine luthérienne. Elle sera combattue par
des protestants dont Melanchthon qui, comme nous l’avons vu penche nettement,
vers une collaboration de l’homme dans son salut.
La certitude de l’élection divine est donc une idée centrale de Calvin. Mais cette certitude n’est point découragement. Il y voit une force extraordinaire, capable de transformer ses disciples en apôtres, qui ne reculeraient pas devant la mort s’il le fallait pour défendre leur foi. Elle est donc exaltation. Si nous avons la foi, nous sommes donc prédestinés à la vie éternelle. Celui qui éprouve le témoignage de son élection ne peut donc céder au découragement, bien au contraire…
La certitude de l’élection divine est donc une idée centrale de Calvin. Mais cette certitude n’est point découragement. Il y voit une force extraordinaire, capable de transformer ses disciples en apôtres, qui ne reculeraient pas devant la mort s’il le fallait pour défendre leur foi. Elle est donc exaltation. Si nous avons la foi, nous sommes donc prédestinés à la vie éternelle. Celui qui éprouve le témoignage de son élection ne peut donc céder au découragement, bien au contraire…
Mais ceux qui ne sentent pas ce témoignage, sont-ils
éprouvés et donc voués à la damnation, sans aucun espoir ? Tout en
défendant le mystère insondable de la justice divine, Calvin enseigne que
lorsque l’homme commet le mal, il le commet contre Dieu. Il en appelle en la
conscience de chacun. Mais s’ils sont damnés,
qu’importe la conscience ? Qu'importent ses cris ? Elle peut toujours dénoncer le crime. En vain. C'est un homme damné. Là réside une véritable contradiction dans la pensée de Calvin. « Il y a là, on n’en serait douter, la faille la plus grave du système,
obligé de rétablir la liberté dans l’ordre moral tout en la refusant dans
l’ordre théologique. »[2]
Ainsi selon Calvin, l’homme doit bien se conduire non
pour se sauver mais parce qu’il est sauvé. Luther enseigne aussi cette
idée mais de manière plus hésitante. Si
nous nous comportons comme des saints, nous prouvons notre foi donc notre élection divine. Une
telle idée élève certainement la vie spirituelle du croyant. Cependant, il n’a nul besoin
de sacrifice ou de renoncement. Cela n'a plus de sens. Le croyant doit accepter l’état dans lequel Dieu l’a placé et doit user
modérément de tous les biens qu’Il a daigné lui donner.
Comme Zwingli, Calvin admet uniquement deux
sacrements : le baptême et la Cène. Ce ne sont que des signes extérieurs
de la justification obtenue par la foi seule. Ils ne sont donc pas nécessaires
au salut puisque dans le cas contraire, cela lierait la puissance de Dieu à des
éléments matériels et à des signes sensibles. Sa doctrine est encore tirée de sa
conception volontariste sur Dieu. Mais dans la question de la Cène, Calvin est
proche de celle de Bucer. Il nie la présence réelle qu’admet Luther, mais contre
Zwingli, il professe que la Cène est plus qu’une commémoration, plus qu’une
union symbolique de l’âme avec Notre Seigneur Jésus-Christ. Il enseigne une
présence spirituelle. Le corps du Christ est donné virtuellement aux
communiants pour leur donner force, vie et confiance à ceux qui sont
prédestinés.
Calvin est aussi proche des idées de Zwingli concernant le culte. Il cherche la simplicité, écartant toute forme
extérieure : images, ornements, orgues, etc. La Cène est écartée du
service divin. Elle n’a lieu que quatre fois par an avec participation de toute
la communauté.
Contrairement à Luther, Calvin conçoit l’Église comme
une société invisible de parfaits mais professe une Église visible composée de
tous les prédestinés, élus et damnés, instituée par Dieu pour Le glorifier
chacun à sa manière. L’expérience lui a montré que l’État et les hommes doivent
être fortement encadrés, établissant des formulaires de foi précis et des
dogmes, définissant une morale austère et une discipline rigide. Il crée une
organisation indépendante de l’État, le Consistoire, doté d’une ferme autorité
pour se faire obéir. Là aussi, sa doctrine est en réaction complète contre le
luthéranisme.
Calvin emprunte donc des éléments doctrinaux de ses prédécesseurs, les poussant à l’extrême, les serrant jusque dans leurs dernières conséquences, cherchant à se parer aux défauts et aux manques qu’il a pu constater. Il en réalise une véritable synthèse, qui, par sa cohérence et sa rigueur, peut convaincre l'intelligence. C'est pourquoi elle est radicale comme la logique humaine. Luther et Melanchthon gardent une certaine sentimentalité et sont guidés par une certaine humanité. La doctrine de Calvin est froide, implacable. Mais, justement, c'est une oeuvre impitoyablement logique, d'une logique humaine, trop humaine. Et l'application de sa doctrine dans la vie réelle en montre toutes ses faiblesses. Il lui manque l'essentiel...
Notes et références
[1]
Calvin, Institution chrétienne, livre III, chap. XXI, 7.
[2]
Daniel-Rops, L’Église de la Renaissance et de la Réforme, Une
Révolution religieuse : la réforme protestante, VI, Fayard, 1955.
[3] Calvin, Institution chrétienne, édition de 1559, livre II, chap. III, 5, dans article " Calvinisme", André Dumas, Dictionnaire de l'histoire du christianisme, 2000, Albin Michel.
[4] Calvin, Institution chrétienne, édition de 1559, livre II, chap. II, 6 dans Histoire Générale de l'Eglise, Abbé A. Boulenger, Tome III, Les Temps Modernes, Volume II, 1ère partie, La réforme protestante, Vitte, 198.
[3] Calvin, Institution chrétienne, édition de 1559, livre II, chap. III, 5, dans article " Calvinisme", André Dumas, Dictionnaire de l'histoire du christianisme, 2000, Albin Michel.
[4] Calvin, Institution chrétienne, édition de 1559, livre II, chap. II, 6 dans Histoire Générale de l'Eglise, Abbé A. Boulenger, Tome III, Les Temps Modernes, Volume II, 1ère partie, La réforme protestante, Vitte, 198.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire