" La pierre précieuse, voire de grand prix aux yeux de certains, qu'est l'émeraude, se voit insultée par un morceau de verre habilement truqué, s'il ne se rencontre personne qui soit capable de procéder à un examen et de démasquer la faute. Et lorsque de l'airain a été mêlé à l'argent, qui donc, s'il n'est connaisseur, pourra aisément le vérifier ? "(Saint Irénée, Contre les hérésies)


samedi 29 avril 2017

Calvin et sa logique impitoyable

Luther a développé sa doctrine selon des principes tirés de son expérience et des circonstances, de l’adversité et de ses contrariétés. Ainsi elle contient des incohérences et des contradictions au point que les néfastes conséquences dans la vie réelle sont prévisibles. De sa révolte intérieure et de sa haine, ne peuvent naître que de la violence et des divisions. Nettement plus intelligent et habité par une âme de chef, Calvin est un homme logique et rigoureux, beaucoup plus efficace que Luther. Non seulement il a pensé sa doctrine mais il a aussi discerné les causes des erreurs de son devancier. De manière générale, il n’apporte pas de réelles nouveautés doctrinales, puisant ses idées dans celles de Luther, Melanchthon, Zwingli et Bucer. Cependant, il a structuré avec rigueur et clarté sa doctrine tout en radicalisant certains points, tels que la prédestination, la Cène et l’organisation de l’Église. Il a aussi introduit de nouvelles idées et tiré toutes les conséquences des notions qu’il a reçues au point que sa doctrine s’avère nettement plus opposée à celle de l’Église catholique.


Luther dissémine, développe et radicalise sa doctrine au fur et à mesure qu’il parle et écrit, n’aboutissant finalement à aucune synthèse. La confession de foi des luthériens est dispersée entre plusieurs documents qui ont été rédigés selon des intentions différentes. Calvin n’a pas commis cette faute. Pour connaître sa doctrine, un seul livre suffit. Toute sa doctrine est en effet contenue dans la dernière édition de lInstitution chrétienne. Les différents traités dogmatiques ou de moral qu’il a pu écrire, ses commentaires bibliques, ses controverses ne font que s’y rattacher. Et contrairement encore à son prédécesseur, sa doctrine a été pensée et concoctée dans le silence et le calme de la réflexion. Ainsi contrairement à Luther, voire en réaction contre les conséquences désastreuses de sa doctrine, Calvin a élaboré un système complet et cohérent, qui forme un cadre bien présenté, sous forme d’un dogmatisme impérieux

Cependant, l’évolution des éditions de l’Institution chrétienne montre une certaine évolution de Calvin. La première édition, datée de 1536, contient de larges emprunts des ouvrages de Luther. Les idées sont essentiellement tirées des catéchismes de Luther, de la Captivité de Babylone et enfin de la Liberté chrétienne. La doctrine qu’il enseigne n’est pas éloignée de celle du « réformateur ». Comme Luther, Calvin professe la corruption radicale de l’homme, la justification de la foi seule au sens luthérien, en vertu de l’imputation des mérites de Notre Seigneur Jésus-Christ, l’inutilité des œuvres, vu qu’elles sont dépourvues de valeur. Mais Calvin se montre indépendant envers Luther et ses ouvrages. Il ne veut avoir aucun maître et ne dépendre d’aucun livre. Sur la question des images dans les églises, si Luther se montre tolérant en pratique tout en les condamnant, Calvin ne les admet ni en principe ni en pratique. Il réclame nettement leur destruction. Nous voyons ainsi la logique de Calvin. Sa doctrine n’est pas que vaine pensée. Il veut appliquer ce qu’il croit.

L’influence des autres chefs de la « réforme », tels Zwingli et Bucer, se fait ressentir dès la deuxième édition de l’Institution chrétienne, parue en 1539. Il partage la conception de la nature et de la Providence de Dieu de Zwingli mais contrairement à lui, et suivant Bucer, il les tire de la Sainte Écriture et non du raisonnement puisque l’homme en est incapable tant il est corrompu. Le seul moyen d’arriver à la connaissance de Dieu est d’entendre sa Parole. Or cette Parole est consignée dans la Sainte Écriture. Par conséquent, Calvin affirme nettement que la Sainte Bible seule contient tout ce que nous devons savoir. Il professe un biblicisme intégral. En outre, selon toujours le « réformateur » français, la Sainte Écriture porte en elle l’autorité doctrinale et sa certitude. Selon Calvin, seule la conscience de l’homme, son esprit illuminé par le Saint Esprit, découvre le vrai sens de la Parole.

Toujours comme Luther, Calvin ne voit en l’homme que corruption. « Nous sommes produits de semence immonde, nous naissons souillés d’infection du péché. » Il professe l’évidence du péché originel. Ses mots sont sans équivoque. « L’homme est un singe, une bête indomptée et féroce, une ordure » qui tend nécessairement au mal. Sa doctrine est encore plus rigoureuse que celle de Luther. La nature humaine est si profondément corrompue que l’homme est incapable de lutter. La lutte lui est même interdite. Ce n’est pas un serf mais un esclave sans aucune liberté. Seule la foi au sens luthérien peut le sauver. Ainsi sans la grâce de Dieu, l'homme est incapable de faire et de vouloir le bien. «Vouloir est de l'homme. Vouloir le mal est de nature corrompue. Vouloir le bien est de grâce. »[3] Ou bien encore, « tout ce qui est de bien au cœur humain est oeuvre de pure grâce. » [4]

Cependant, contrairement à Luther, Calvin ne part pas de son expérience intérieure pour bâtir sa doctrine. Plus proche de Zwingli, il la tire de sa conception de Dieu. Il le conçoit en effet comme une volonté infinie qui ne souffre d’aucune limite. Il ne peut donc y avoir une place à la liberté humaine qui poserait une limite à sa toute-puissance. Il s’ensuit que Dieu seul est libre. Laisser la moindre puissance à l’âme humaine, ce serait « obscurcir la gloire de Dieu et se dresser contre lui ». Plus il magnifie la puissance et la souveraineté de Dieu, plus il piétine la nature humaine. Sa conception sur Dieu n’accepte aucune atténuation.

Tout ce qui arrive est même voulu par Dieu, le mal comme le bien. Et tout est déterminé pour sa glorification personnelle. Ainsi, Calvin arrive tout naturellement à la prédestination comme un principe de droit. Il enseigne que Dieu a prédestiné certains hommes au ciel et les autres à l’enfer, et cela uniquement pour sa gloire. « Nous appelons prédestination le conseil éternel de Dieu, par lequel il a déterminé ce qu’il doit faire d’un chacun homme. Car il ne les créé pas tous en pareille condition, mais ordonne les uns à la vie éternelle, les autres à l’éternelle damnation. » Si la masse humaine est une masse de perdition, Dieu en choisit certains auxquels Il octroie la grâce inamissible et la certitude du salut pour manifester sa miséricorde. Sa sentence décide donc du sort de chacun. « Ceux qu’il a préordonnés, il les a appelés ; ceux qu’il a appelés, il les a justifié. »[1] Calvin s’écarte nettement de la doctrine luthérienne. Elle sera combattue par des protestants dont Melanchthon qui, comme nous l’avons vu penche nettement, vers une collaboration de l’homme dans son salut.

La certitude de l’élection divine est donc une idée centrale de Calvin. Mais cette certitude n’est point découragement. Il y voit une force extraordinaire, capable de transformer ses disciples en apôtres, qui ne reculeraient pas devant la mort s’il le fallait pour défendre leur foi. Elle est donc exaltation. Si nous avons la foi, nous sommes donc prédestinés à la vie éternelle. Celui qui éprouve le témoignage de son élection ne peut donc céder au découragement, bien au contraire…

Mais ceux qui ne sentent pas ce témoignage, sont-ils éprouvés et donc voués à la damnation, sans aucun espoir ? Tout en défendant le mystère insondable de la justice divine, Calvin enseigne que lorsque l’homme commet le mal, il le commet contre Dieu. Il en appelle en la conscience de chacun. Mais s’ils sont damnés, qu’importe la conscience ? Qu'importent ses cris ? Elle peut toujours dénoncer le crime. En vain. C'est un homme damné. Là réside une véritable contradiction dans la pensée de Calvin. « Il y a là, on n’en serait douter, la faille la plus grave du système, obligé de rétablir la liberté dans l’ordre moral tout en la refusant dans l’ordre théologique. »[2]

Ainsi selon Calvin, l’homme doit bien se conduire non pour se sauver mais parce qu’il est sauvé. Luther enseigne aussi cette idée  mais de manière plus hésitante. Si nous nous comportons comme des saints, nous prouvons notre foi donc notre élection divine. Une telle idée élève certainement la vie spirituelle du croyant. Cependant, il n’a nul besoin de sacrifice ou de renoncement. Cela n'a plus de sens. Le croyant doit accepter l’état dans lequel Dieu l’a placé et doit user modérément de tous les biens qu’Il a daigné lui donner.

Comme Zwingli, Calvin admet uniquement deux sacrements : le baptême et la Cène. Ce ne sont que des signes extérieurs de la justification obtenue par la foi seule. Ils ne sont donc pas nécessaires au salut puisque dans le cas contraire, cela lierait la puissance de Dieu à des éléments matériels et à des signes sensibles. Sa doctrine est encore tirée de sa conception volontariste sur Dieu. Mais dans la question de la Cène, Calvin est proche de celle de Bucer. Il nie la présence réelle qu’admet Luther, mais contre Zwingli, il professe que la Cène est plus qu’une commémoration, plus qu’une union symbolique de l’âme avec Notre Seigneur Jésus-Christ. Il enseigne une présence spirituelle. Le corps du Christ est donné virtuellement aux communiants pour leur donner force, vie et confiance à ceux qui sont prédestinés.

Calvin est aussi proche des idées de Zwingli concernant le culte. Il cherche la simplicité, écartant toute forme extérieure : images, ornements, orgues, etc. La Cène est écartée du service divin. Elle n’a lieu que quatre fois par an avec participation de toute la communauté.

Contrairement à Luther, Calvin conçoit l’Église comme une société invisible de parfaits mais professe une Église visible composée de tous les prédestinés, élus et damnés, instituée par Dieu pour Le glorifier chacun à sa manière. L’expérience lui a montré que l’État et les hommes doivent être fortement encadrés, établissant des formulaires de foi précis et des dogmes, définissant une morale austère et une discipline rigide. Il crée une organisation indépendante de l’État, le Consistoire, doté d’une ferme autorité pour se faire obéir. Là aussi, sa doctrine est en réaction complète contre le luthéranisme.


Calvin emprunte donc des éléments doctrinaux de ses prédécesseurs, les poussant à l’extrême, les serrant jusque dans leurs dernières conséquences, cherchant à se parer aux défauts et aux manques qu’il a pu constater. Il en réalise une véritable synthèse, qui, par sa cohérence et sa rigueur, peut convaincre l'intelligence. C'est pourquoi elle est radicale comme la logique humaine. Luther et Melanchthon gardent une certaine sentimentalité et sont guidés par une certaine humanité. La doctrine de Calvin est froide, implacable. Mais, justement, c'est une oeuvre impitoyablement logique, d'une logique humaine, trop humaine. Et l'application de sa doctrine dans la vie réelle en montre toutes ses faiblesses. Il lui manque l'essentiel...


Notes et références

[1] Calvin, Institution chrétienne, livre III, chap. XXI, 7.
[2] Daniel-Rops, L’Église de la Renaissance et de la Réforme, Une Révolution religieuse : la réforme protestante, VI, Fayard, 1955.
[3] Calvin, Institution chrétienne, édition de 1559, livre II, chap. III, 5, dans article " Calvinisme", André Dumas, Dictionnaire  de l'histoire du christianisme, 2000, Albin Michel.
[4] Calvin, Institution chrétienne, édition de 1559, livre II, chap. II, 6 dans Histoire Générale de l'Eglise, Abbé A. Boulenger, Tome III, Les Temps Modernes, Volume II, 1ère partie, La réforme protestante, Vitte, 198.

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