Luther et Calvin se
sont heurtés à un sentiment que nous pouvons tous connaître. Habités par une sincère
volonté d’aimer Dieu de toutes nos forces, nous éprouvons tant de
difficultés et de déconvenues à suivre les exigences de cet amour que nous
finissons par remettre en cause ce que nous faisons et ce que nous croyons.
Tout nous paraît finalement dérisoire et pure vanité.
Le pharisien et le publicain |
Luther a accusé l’Église
de favoriser cette sécurité illusoire et de faire développer l’hypocrisie en
fondant le salut dans les œuvres. Ainsi affirme-t-il la doctrine de la
justification par la foi seule. Mais Luther ne montre-t-il pas par là sa
méconnaissance de l’enseignement de l’Église ? Certes, il dénonce le
risque de pélagianisme mais à force de vouloir l’éviter, ne commet-il pas une
autre erreur aussi dramatique ?
Le risque du pélagianisme
Cela nous ramène à l’idée
selon laquelle l’homme serait capable de gagner son salut par ses seules
forces. Si nous obéissons à la loi, nous irons au paradis. En suivant la messe
tous les jours, nous mettrons finalement un pied au paradis. En clair, nos
œuvres seraient-elles causes de notre salut ? Cette idée est au cœur du pélagianisme [4] contre lequel l’Église avec Saint Augustin a vivement combattu. Selon la
doctrine de Pelage, notre volonté de pratiquer le bien suffit pour
mériter notre salut. Elle nous renvoie aux idées modernes qui voient dans la
sincérité de notre intention et dans le bien de nos actes la source même de
notre salut. Faisons le bien et le ciel est assuré ! La doctrine de Pelage
provient de sa conception du péché originel : notre volonté n’a pas été
corrompue par le péché d’Adam. Il nie en fait le péché originel, ne voyant en
Adam qu’un mauvais exemple de transgression à ne pas imiter. Chaque homme est donc
suffisamment libre et puissant pour gagner son bonheur éternel, affirme-t-il.
Par ses grâces, Dieu ne ferait qu’aider et soutenir la volonté de l’homme sans
agir sur son libre-arbitre. En clair, la nature humaine serait l’unique source de
la force morale suffisante pour aller au ciel.
L’Église a fermement
condamné toute forme de pélagianisme. Saint Augustin en est l’un de ses plus
grands adversaires. Face à une notion toute-puissante de la nature, il défend
les droits de la grâce. Dans ses ouvrages de combat, il décrit l’humanité comme
une masse damnée et exalte la volonté toute-puissante et souveraine de Dieu,
source absolue de tout bien. Une certaine lecture de Saint Augustin peut alors nous
conduire à une erreur. En oubliant le contexte dans lequel il écrit et en forçant
ses paroles, nous pouvons sans difficulté croire que la grâce est l’unique et
seule source du salut, et que l’homme a perdu tout libre arbitre. Telle est l'erreur de Luther...
Dieu, seul maître de notre
salut
Compte tenu de son
expérience tourmentée et des leçons volontaristes de la philosophie occamiste, Luther
n’a retenu de Saint Augustin que ce qu’il voulait bien entendre. Dans sa
cellule, il éprouve l’inefficacité de ses exercices en dépit de sa volonté. Mais
en fait, que cherche-t-il dans ses jeûnes et ses calices si ce n’est d’apaiser
sa conscience ? Ai-je assez fait pour être agréable à Dieu ? Comme
tant d’autres, il accumule ses exercices dans l’espoir de contenter son
âme et d’apaiser ses scrupules. En clair, il ne compte que lui_même et dans ses
pratiques pour gagner non le salut mais « la sécurité de la fausse paix ». Il imite les Juifs du temps
de Notre Seigneur qui mettaient leur salut dans la pratique de leurs coutumes
au point d’oublier l’essentiel. La lettre a tué l’esprit. L’expérience
malheureuse de Luther est néanmoins un risque qui peut nous toucher. Nous
risquons en effet de croire que notre salut réside en nous, c’est-à-dire dans
nos pratiques et dans nos exercices religieux.
Or que sommes-nous face à
Dieu ? Nous ne sommes que poussières. Et dans un temps de crise, où
l’homme se perd dans la débauche et la folie, ses faiblesses et sa misère sont
encore plus criantes. Ne cherchons-nous pas nous-aussi dans nos pratiques
religieuses une trompeuse consolation ? La volonté d’aimer Dieu peut être
tellement grande que l’homme ne peut voir que l’abîme qui le sépare de sa vie éternelle.
L’expérience quotidienne montre combien les chutes sont nombreuses et les
exigences de la foi élevées. Tout cela nous paraît bien au-dessus de nos
forces. Le salut est-il alors à la portée de l’homme ?
Conscients de la vanité et
de la misère humaine, nous pouvons alors, comme Luther et Calvin, en arriver à
une solution radicale : ne voir en l’homme que corruption et donc refuser
à ses œuvres toute valeur méritoire pour son salut. Nous dirions aujourd’hui,
comme nous l’entendons souvent, que seule l’authenticité de notre foi suffit. Ayons
confiance en Dieu. Croyons que Dieu nous sauvera au nom des mérites de Notre
Seigneur Jésus-Christ et nous serons sauvés. Aimons Dieu et vivons comme nous
voulons puisque tout dépend de Dieu en fin de compte …
La foi, signe
d’élection ?
Mais, comme l’a bien
compris Luther, une telle conception de la justification conduit naturellement
à renier à l’homme toute liberté dans son salut. Or si le salut dépend du bon
vouloir de Dieu, pourquoi devrions-nous alors nous en inquiéter ? Calvin
est d’une logique encore plus implacable. Sa doctrine conduit à affirmer que l’homme
est prédestiné au salut ou à la damnation, à la vie ou à la mort. Nous n’avons
plus à gagner notre salut. Seul Dieu le donne sans aucun mérite de notre part. Le
terme de « mérite » n’a
plus aucun sens. Faut-il alors trembler d’angoisse ? Non, nous répondent
Luther et Calvin. Car la confiance que nous avons en Dieu est signe de notre
prédestination au salut. Notre quiétude religieuse repose sur notre propre
intimité ou encore dans les sentiments religieux que nous éprouvons. Mais
quelles différences avec la « sécurité
de la fausse paix » que Luther a dénoncée ?
Un Dieu indifférent ?
Or si nous oublions les
principes des réformateurs, c’est-à-dire la corruption radicale de l’homme et
la perte de tout libre arbitre, nous pouvons, ô comble d’ironie, croire que
notre salut ne dépend plus de notre vie et que Dieu ne se soucie guère de nos actions.
En clair, nous finissons par vivre comme si Dieu était absent de notre vie et
donc par croire que nous sommes pleinement libres ! Tel est le paradoxe
fondamental de la conception religieuse de Luther. Sa doctrine a vraiment
libéré les mœurs et les vices. Ses successeurs, et surtout Calvin, et les
princes et magistrats l’ont bien compris, et par conséquent ont mis en place des
structures, voire une véritable théocratie pour encadrer les fidèles afin que
cette liberté ne devienne pas libertinage et anarchie. Ils ont aussi nettement enseigné
que les bonnes œuvres sont signes de l’élection divine.
L’influence de l’occamisme
Lors de sa formation
universitaire, Luther a découvert l’occamisme de Gabriel Biel (1420/25-1495).
L’occamisme est une philosophie qui apporte une réponse à la question des
universaux : quelle est la valeur des idées générales ? La question a
longtemps passionné le Moyen-âge. Il s’agit de savoir si des termes qui
expriment une idée générale, comme les mots beau, vrai, bien, humanité, infini,
etc. correspondent à un objet réellement existant ou se réduisent à des mots et
à des concepts. Dans le premier cas, nous parlons de réalisme, dans le second
de nominalisme. Le franciscain Guillaume Ockham (1285-1347) défend le nominalisme. Il prétend
que les mots exprimant des idées générales ne sont que des mots et de pures
abstractions de l’esprit sans correspondance à une réalité. L’intelligence ne
peut donc connaître que le sensible, l’individuel. La raison ne peut donc rien
nous apprendre sur les vérités de foi. La croyance n’est alors accessible que
par un acte de la volonté, qui est la faculté maîtresse de l’âme. La foi est
alors chose personnelle, indémontrable, indépendante de la raison. Foi et
raison sont ainsi dissociées.
Influencé par de telles
idées, Luther a toujours refusé de concilier la foi et la raison. « La raison est contraire à la foi »,
affirme-t-il. De même, si le bien et le mal n’ont aucune réalité, rien n’est ni
bon ni mauvais. Le bien et le mal dépendent de Dieu. Est bien ce qui fait
l’objet de son « acceptation ».
Par conséquent, par une simple acceptation divine, nous pouvons être justifiés.
Or si nous voulons le bien pour obtenir le salut en sachant que le bien n’est
bien que s’il est accepté par Dieu selon son bon vouloir, nous éprouverons sans
difficulté les mêmes tourments que Luther. Quel tiraillement en effet pour la
conscience !
Partisan de l’occamisme,
Guillaume Biel approfondit encore les idées d’Occam, allant affirmer une
liberté et une puissance absolues de Dieu au point que Dieu pourrait haïr
Dieu ! Une telle pensée conduit à accentuer encore l’abîme infini qui
sépare l’homme de Dieu et à faire naître la méfiance au sujet des facultés de
l’intelligence humaine. L’homme paraît finalement un misérable débris, vu dans
la perspective de l’absolue toute-puissance et liberté de Dieu ! Est-il
alors possible qu’il puisse œuvrer pour le bien ? Que dire alors de sa
participation à l’œuvre de notre salut ? Comment pourrait-Il « accepter » nos œuvres ?
Selon les Pélagiens,
l’homme est capable par ses seules forces d’atteindre la béatitude, Dieu est finalement exclu dans l’œuvre de son salut. Influencé par Gabriel Biel et une
lecture orientée de Saint Augustin, Luther n’y voit aucune participation
humaine. Deux solutions bien radicales… Pour y voir plus clair, revenons en
fait aux premières heures de l’humanité, c’est-à-dire à cet instant suprême où
le destin de l’homme est entre les mains d’Adam.
Le retour au péché originel
et à la nécessité du salut
Dieu a créé toute chose
ici-bas. Après avoir créé le ciel et la terre, et les avoir comblés de créatures, Il
forme l’homme et la femme, en les dotant d’une âme immortelle et d’un corps
périssable. Ils sont créés à la ressemblance et à l’image de Dieu. Mais
désobéissant à sa volonté, Adam et Ève commettent la faute irréparable et
reçoivent le châtiment de leur désobéissance. Ils sont chassés du paradis. Par
leur faute, ils ont perdu l’état de grâce dans lequel ils étaient formés. Mais
ce méfait personnel atteint tout le genre humain. Le péché d’Adam est passé à
toute sa postérité.
Depuis ce jour maudit, tous
les hommes naissent ainsi enfants de colère. Certes, en naissant, ils n’ont pas
commis de mauvaises actions, mais par la faute d’Adam, ils sont mis dans un
état mauvais et errent dans un monde qui n’est pas le leur. Souillé du péché
originel, l’homme connaît la mort de l’âme. S’il meurt avec ce péché originel,
il subira dans l’au-delà les châtiments éternels qui sont réservés aux hommes
réprouvés. Sans l’œuvre du salut, l'homme est voué à la mort.
Des conceptions de l’homme
déchu différentes
Que devient l’homme né
dans le péché originel ?
Selon les « réformateurs », l’homme a perdu toute liberté, devenant incapable de faire le moindre bien. Il naît totalement corrompu. Il ne discerne même pas le bien. Il a perdu toute liberté et à sa place règne la concupiscence. Et la concupiscence n’est rien d’autre que le péché pour Luther. L’homme est donc naturellement incliné vers le péché. Il y a même nécessité de le commettre. En outre, n’ayant plus de liberté, il est voué au bon plaisir de Dieu. Selon toujours les « réformateurs », l’homme demeure toujours dans cet état mauvais…
Selon les « réformateurs », l’homme a perdu toute liberté, devenant incapable de faire le moindre bien. Il naît totalement corrompu. Il ne discerne même pas le bien. Il a perdu toute liberté et à sa place règne la concupiscence. Et la concupiscence n’est rien d’autre que le péché pour Luther. L’homme est donc naturellement incliné vers le péché. Il y a même nécessité de le commettre. En outre, n’ayant plus de liberté, il est voué au bon plaisir de Dieu. Selon toujours les « réformateurs », l’homme demeure toujours dans cet état mauvais…
Le pélagien ne voit dans
le péché d’Adam qu’un mauvais exemple qui incline l’homme vers le péché. La
faute originelle n’atteint pas la nature de l’homme. Il n’y a donc pas de péché
originel mais de péché d’origine qui n’atteint qu’Adam.
Pour l’Église catholique,
l’homme est blessé par le péché originel. Il n’est pas atteint définitivement
comme le présuppose les premiers « réformateurs ».
Il dispose encore d’un libre arbitre mais ce dernier a été incliné et affaibli
par le péché du premier homme. Il dispose toujours d’une intelligence et d’une
volonté mais elles ont été touchées. Par le péché originel, l’homme n’a donc perdu
aucune partie essentielle de sa nature. Elle n’a pas été altérée de manière
absolue. Il garde certes une certaine liberté mais, comme nous enseigne
l’Église catholique, elle demeure inutile pour accomplir des œuvres de justice
nécessaires à la vie éternelle. Il a en fait perdu toute liberté surnaturelle.
Différentes conceptions de
la justification : imputation ou transformation
Dans la doctrine
protestante, l’homme ne peut pas changer d’état. Il est irréversible. Dans la
doctrine catholique, l’homme peut changer d’état mais seul, il en est
incapable. Cela dépasse ses capacités. Pour l’Église catholique, c’est Notre
Seigneur Jésus-Christ qui fait passer l’homme de l’état d’enfant de colère à
celui d’enfant de Dieu, de l’état de péché et d’injustice dans l’état de
justice et de sainteté des enfants de Dieu. La Rédemption est l’œuvre qui
permet à l’humanité de passer de l’état de mort spirituelle à l’état de vie. Le
sacrifice de la Croix est l’œuvre dite objective de la Rédemption. Lorsque ses
effets touchent l’homme individuellement, lui donnant pardon et justification,
nous parlons de l’œuvre subjective de la Rédemption. Tous les hommes, sans
exception, peuvent être pardonnés et justifiés. L’application de l’œuvre
rédemptrice de Notre Seigneur Jésus-Christ à chaque homme en particulier
s’appelle la justification ou la sanctification.
Pour être justifiés, c’est-à-dire
pour renaître enfants de Dieu et retrouver la liberté surnaturelle, nous devons
être baptisés. Le péché originel est alors effacé par le seul mérite de Notre
Seigneur Jésus-Christ. Ne demeure dans l’homme que la concupiscence, qui n’est
pas coupable par elle-même. La concupiscence n’est pas péché comme le croyait
Luther mais elle nous entraîne au péché. Elle est amour désordonné des plaisirs
des sens, curiosité malsaine, attachement excessif aux biens de la terre,
estime exagérée de soi, etc. Elle est une suite du péché originel. Elle n’est
pas péché…
Or pour Luther, le péché
originel n’est jamais détruit. Il est toujours présent dans l’homme. Il est ainsi
définitivement corrompu. Quand Luther parle de justification, il n’entend donc pas
de changement d’état mais de recouvrement. L’homme est justifié lorsque les
mérites de Notre Seigneur Jésus-Christ le recouvrent, le voilent en quelques
sortes. Retenons simplement que le salut lui est imputé de manière extérieure. Or
pour l’Église catholique, la justification est intérieure à l’âme. Elle est une
réalité. L’homme est véritablement renouvelé. Il devient enfant de Dieu. Pour Luther, il n’y a aucune transformation.
Une justification
définitive ?
Une fois acquise, l’homme
ne peut pas perdre la justification selon la foi luthérienne. Les termes de
« perte » ou de « gain » sont par ailleurs
inappropriés puisque l’homme n’y a aucune part. Sans que Luther ne le dise
ouvertement, contrairement à Calvin, il est donc prédestiné à la vie ou à la mort
éternelle. Tout est donc joué de toute éternité. Le justifié doit donc être
certain de son salut. La foi au sens de confiance justifie même le prédestiné.
L’Église catholique nous
enseigne que la justification peut se perdre par le péché mortel comme elle
peut se retrouver par la pénitence. Comme elle peut se perdre encore et se
recouvrer tout le long de la vie, la justification n’est donc pas une fois
gagnée ou définitive. Elle est en outre incertaine au sens où l’homme ne peut
pas être certain, d’une certitude de foi, de sa propre justification. Cela ne
signifie pas que nous devons vivre dans l’angoisse. Nous ne cherchons pas à
multiplier les petits moyens de salut pour échapper à cette incertitude et à
cette angoisse. L’Église catholique rejette uniquement la certitude de foi avec
son caractère d’illusion personnelle. L’enseignement de Notre Seigneur
Jésus-Christ est suffisamment clair pour nous donner la certitude de notre
salut. Il nous a donné une espérance absolument sûre de notre salut. Nous nous
en remettons finalement à Dieu. Le point de vue catholique est donc
théocentrique. Le point de vue de Luther est anthropocentrique. Il construit sa
certitude sur son propre jugement, sa propre expérience.
Si dans la conception
catholique il y a aucune certitude de son salut, l’homme a néanmoins un devoir
moral de s’assurer de la réalité et de la sincérité de sa foi et de son
repentir. Il dispose de moyens pour connaître son état de grâce, notamment par
ses fruits comme le demande Notre Seigneur Jésus-Christ. Il doit donc s’examiner
pour voir si la charité habite en lui. Quel que soit son examen, la crainte
subsistera toujours. Car celui qui ne craint pas Dieu perd ce que Dieu lui a
donné, nous dit Saint Augustin[1].
Qu’il craigne en effet ce que « l’œil
du juge voit peut-être dans ta conscience ce que tu n’as pas vu »[2] !
Luther n’a plus cette
inquiétude. Pour gagner la paix, il a évacué toute idée de coopération humaine
dans la justification, donc toute incertitude relevant de la faiblesse et des
vicissitudes humaines. D’autres reposent cette certitude dans les actes
répétitifs et bien sensibles de la pratique religieuse, allant jusqu’à exclure
en pensée toute action divine dans leur salut. Tel est le pélagien.
Le luthérien ou le
pélagien attribue donc le salut soit uniquement à Dieu, soit uniquement à
l’homme, sans qu’il n’y ait coopération, soutien ou résistance. L’Église
catholique enseigne la coopération entre Dieu et l’homme dans l’œuvre de salut
même si la cause totale, et non unique, est Dieu.
La grâce est un don
surnaturel que Dieu nous accorde à cause des mérites de Notre Seigneur
Jésus-Christ, mort sur la croix pour nous sauver. Comme tout don, elle est
gratuite, sans nécessité, sans contrepartie. L’Église catholique enseigne que
l’homme ne peut être justifié sans la grâce. L’homme est donc incapable par
lui-même de récupérer l’état de vie. Il a besoin de Dieu qui seul peut le
justifier par sa grâce en vertu de la Rédemption de Notre Seigneur Jésus-Christ.
La grâce est même absolument nécessaire pour toute action salutaire, y compris pour
le commencement de l’œuvre du salut. Nous ne pouvons pas, sans la grâce,
arriver à la foi. Le commencement, l’accroissement et la persévérance jusqu’à
la fin de l’homme dans l’état de grâce nécessitent la grâce. Dieu est bien la
cause totale de notre justification. Mais Il n’en est pas le seul acteur.
De la part de l’homme
Toujours selon la doctrine
catholique, la nécessité de la grâce pour la justification n’enlève pas à
l’homme sa capacité d’accomplir un certain nombre d’œuvres naturellement
bonnes, sans le secours d’aucune espèce de grâces. Un païen ou un pécheur peuvent
en effet en accomplir. Ils sont capables de discerner le bien et d’en faire. Il
n’est donc pas besoin de la foi pour donner de la bonté à des actions. Toutes
les actions d’un païen ou d’un pécheur ne sont pas des péchés. En clair, l’état
de grâce n’est pas nécessaire pour accomplir des choses bonnes et pour les
discerner. D’après Luther, l’homme ne peut par lui-même que pécher. Tout est
même péché dans l’homme. Rejetant absolument ce pessimisme, l’Église catholique
enseigne toutefois qu’il est moralement impossible à l’homme pécheur
d’accomplir toute la loi morale avec ses seules forces naturelles. La grâce lui
est aussi nécessaire pour réaliser des
actions bonnes d’ordre naturel difficiles. Enfin, la grâce ne peut être méritée
par aucune bonne œuvre appartenant à l’ordre naturel...
La nécessaire coopération
Mais, Dieu veut que tous
les hommes soient sauvés. L’universalité du salut est nettement affirmée dans
la doctrine catholique. Calvin le refuse catégoriquement puisque il affirme la
prédestination. Les uns sont prédestinés au salut, les autres à la damnation.
Selon la doctrine catholique, Dieu donne donc à tous, quels que soient son
rang, son sexe, sa race, son origine, etc., les grâces nécessaires pour cela
mais selon des mesures différentes, non seulement pour éviter le mal mais encore
pour se convertir comme pour observer ses commandements. La prédestination est ainsi
fermement repoussée dans l’enseignement de l’Église.
Mais la volonté divine de
sauver tous les hommes n’implique pas que tous les hommes soient subjectivement sauvés.
Car selon la doctrine catholique, la volonté humaine conserve sous l’influence
de la grâce sa liberté. Dieu veut par la grâce conduire l’homme au bien mais ce
dernier peut refuser de coopérer avec la grâce. Il peut refuser la main tendue
de Dieu. Il peut ne pas vouloir entendre cette voix qui lui demande de le suivre. Il peut refuser de tourner son âme vers la lumière qui l’attire. Il
peut ne pas choisir Dieu en dépit de son appel insistant. Par son refus, il rend
alors stérile ou inefficace la grâce divine. Cette main secourable est toujours
là, comme cette voix ou ce soleil brillant. Dieu propose sa grâce. Il ne
l’impose pas. Dans la doctrine catholique, l’homme coopère avec la grâce pour
se transformer.
La foi entendue
différemment
La première et principale
disposition pour la justification est la foi, nous dit l’Église catholique.
Sans la foi, il n’est pas possible d’arriver à la justification. Mais
contrairement à Luther qui assimile la foi à la confiance, dans la doctrine de
l’Église catholique, la foi est entendue comme l’adhésion aux vérités révélées
par Dieu. Elle est avant tout un acte de volonté. Elle ne se réduit pas à un
acte de connaissance. Or s’il y a acte de volonté, il y a choix, c’est-à-dire acceptation
ou refus. Par conséquent une part de liberté est laissée à l’homme. Dans la
conception luthérienne, cet acte n’a pas de sens.
Selon la doctrine
catholique, la foi au sens où l’Église l’a définie ne suffit pas. Il y a la
charité. La foi sans charité est une foi morte et donc inefficace. La foi
justifie seule quand elle est vivante, c’est-à-dire complétée par la charité.
Pour Luther et surtout pour Calvin, la pratique des vertus est uniquement signe
de salut. La charité en est exclue. Elle est inconcevable dans la conception de
ces « réformateurs ».
Revenons encore sur la
notion de foi au sens de Luther. Il voit la foi dans la confiance dans la grâce
et la miséricorde manifestées dans le Christ, par lesquelles nous est offerte
la rémission des péchés. Certes, il est courageux et audacieux de s’abandonner
ainsi à Dieu mais une telle confiance renferme nécessairement une connaissance très
précise. Elle naît d’une croyance. La confiance en Dieu est donc une
conséquence de la foi en Notre Seigneur Jésus-Christ. Nous avons confiance en
Lui car nous croyons d’abord en Lui.
Surabondance de
grâces ?
Ainsi selon l’Église
catholique, l’homme coopère à son propre salut. Et selon le degré de
coopération, ses bonnes œuvres peuvent augmenter la grâce de justification.
Luther la considère identique, sans différence, chez tous les justifiés puisque
la justification n’est qu’un jugement que prononce Dieu dans l’au-delà sur la
grâce imputée. L’Église catholique enseigne aussi que la justification est la
même pour tous les hommes mais de manière essentielle. Cependant, dans sa
doctrine, la grâce est différente accidentellement selon leurs dispositions et
s’accroît selon le nombre et la valeur de ses bonnes actions accomplies dans
l’état de grâce. Ainsi les bonnes actions ne sont pas seulement des signes de
la justification reçue comme l’affirme Luther, mais elles sont encore une
« cause » de son accroissement
en l’homme justifié. Les bonnes œuvres accomplies avec la grâce sont donc
méritoires devant Dieu. Et les meilleurs bonnes œuvres sont celles de la
charité.
La vue complète et
équilibrée de la justification
Ainsi dans toutes les
questions sur le mérite et le salut, nous devons étudier le sujet du côté de
Dieu et de côté de l’homme puis du côté de l’œuvre, ce que fait l’Église
catholique. Du côté de Dieu, nous devons retenir la promesse divine d’accepter
favorablement nos bonnes œuvres et de les récompenser surnaturellement. Du côté
de l’homme, pour être justifié, il faut deux conditions nécessaires : être
encore dans cette vie temporelle puisque la mort cesse toute activité méritoire
ou déméritoire, et être dans l’état de grâce, c’est-à-dire en union avec Notre
Seigneur Jésus-Christ, sans laquelle il n’y a pas d’œuvre vivante. Cette union
est produite par la foi et la charité. Du côté de l’œuvre, il est nécessaire
qu’elle soit accomplie librement, exempte de contraintes extérieures, qu’elle
soit en elle-même moralement bonne et qu’elle soit faite par un motif
surnaturel au sens où elle doit avoir sa racine dans la grâce et procéder d’un
motif surnaturel.
Conclusion
« La grâce est si gracieuse, elle saisit si gracieusement notre
cœur pour l’attirer, qu’elle ne porte atteinte en rien à la liberté de notre
volonté. Elle touche si puissamment notre esprit mais avec une telle
délicatesse que notre libre-arbitre n’en est nullement forcé. La grâce est
puissante, non pour contraindre les cœurs, mais pour le séduire ; elle est
violente, non pour violenter, mais pour rendre amoureuse notre liberté ;
elle agit avec force, mais avec une telle douceur que notre volonté n’en est
jamais écrasée ; elle nous presse, mais n’oppresse pas. Si bien que nous
pouvons consentir ou résister à ses mouvements, selon que cela nous plaît, ou
non. »[3]
Notes et références
[1] Voir Saint Augustin, Commentaire du psaume XXVII, 11.
[1] Voir Saint Augustin, Commentaire du psaume XXVII, 11.
[2]
Saint Augustin, Sermon XCIII, 14 dans Précis de Théologie dogmatique, Mgr
Bernard Bartmann, Tome II, §131, édition Salvator, 1944.
[3]
Saint François de Salle, Traité de l’Amour de Dieu, n°192,
Sagesse chrétienne, Les éditions du Cerf, 2011.
[4] Voir Émeraude, articles sur le pélagianisme, mars 2013.
[4] Voir Émeraude, articles sur le pélagianisme, mars 2013.
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