" La pierre précieuse, voire de grand prix aux yeux de certains, qu'est l'émeraude, se voit insultée par un morceau de verre habilement truqué, s'il ne se rencontre personne qui soit capable de procéder à un examen et de démasquer la faute. Et lorsque de l'airain a été mêlé à l'argent, qui donc, s'il n'est connaisseur, pourra aisément le vérifier ? "(Saint Irénée, Contre les hérésies)


vendredi 31 janvier 2014

La dhimmitude


« Faites-leur la guerre jusqu'à ce qu’ils payent le tribut de leurs propres mains et qu’ils soient soumis » (IX, 29). Ce verset est essentiel pour comprendre le statut du non-musulman dans un État musulman. Bet Ye’or le désigne sous le terme de dhimmitude. Il correspond à un ensemble de règles mettant effectivement le non-musulman dans un état de soumission, c’est-à-dire d’infériorité et d’humiliation. Dans un article, nous avons évoqué quelques témoignages anciens décrivant ce qu’était en pratique la dhimmitude. Dans cet article, nous allons plutôt définir les règles qui régissaient le statut du dhimmi jusqu'au XIXe siècle…



Origine de la dhimmitude

Le terme de dhimmi signifie contrat et correspond à la notion de tribut. Il tient son origine d’un contrat établi entre Mahomet et les Juifs de l’oasis de Khaybar. Vaincus par les troupes musulmanes, les Juifs ont signé un pacte avec les musulmans pour continuer à vivre leur religion et garder leur terre moyennant la remise de la moitié de leurs récoltes aux musulmans. Ce contrat n’était pas définitif, Mahomet étant libre de l’abroger. Ce cas s’est répété au cours de la conquête des troupes musulmanes. Effrayées des exactions commises par les tribus arabes, des populations ont préféré signer de tels actes de soumissions. Les chrétiens et les juifs n’avaient pas d’autres choix que de se rendre s’ils ne voulaient pas connaître la mort ou l’esclavage. Un contrat les liait finalement à leurs nouveaux maîtres. La guerre se terminait donc par l’acquittement d’un tribut, en nature, en espèce ou encore en force de travail.

Statut du non-musulman

Au lendemain de leur victoire, les conquérants devaient concilier la fragilité de leur pouvoir et la faiblesse de leur effectif avec la logique inégalitaire de l’Islam. Le réalisme politique et le Coran ont alors donné naissance à « un système d’organisation politique et social dont le maître mot est la discrimination, sur la base de critère d’appartenance religieuse »[1].

Un « traité de protection » garantissait aux non-musulmans la sécurité des personnes et des biens ainsi qu’une certaine liberté de culte et d’auto-administration. En échange, ils devaient fournir un certain tribut en espèce, en nature et en corvées. Ils devaient aussi respecter des règles établissant leur infériorité par rapport aux musulmans. Ce traité n’était valable qu’à l’égard des communautés confessionnelles officielles. Les non-musulmans n’avaient de droit qu’en fonction de leur appartenance à ces communautés.

Le Coran était le fondement du régime juridique des juifs et des chrétiens. Sur la base religieuse, ils établissaient un système strictement confessionnel organisant, jusqu'au niveau du détail, la vie des communautés religieuses. Deux principes : séparation et discrimination. Par le premier, les non-musulmans gardaient une certaine autonomie au sein de leur communauté. Par le second, ils devaient se plier à des règles, à des interdits, à des restrictions qui marquent leur infériorité par rapport aux musulmans.

« Humiliation et dérision doivent être le lot de ceux qui désobéissent à Allah »[2]. Les non-musulmans étaient minoritaires de droit, et non de fait, des hôtes tolérés et marginaux. Ils devaient donc s’accommoder de leur situation et se plier aux règles de vie de ceux qui les avaient vaincus[3].

Le sol islamisé

Le statut de dhimmi se fonde sur un principe fondamental du dogme et du droit musulman : tout territoire conquis par des musulmans devient la propriété de l’Islam. Il constitue le « dâr al-islam ». La loi islamique s’applique sur cette terre et sur tous ceux qui y habitent, y compris les non-musulmans. Cette loi définit un ensemble de règles auxquelles les non-musulmans doivent se soumettre. Ces prescriptions définissaient la dhimmitude. Ceux qui étaient soumis à ces règles sont les dhimmis…

Compte tenu du principe du sol conquis, aucune terre du « dâr al-islam » ne devait appartenir à un non-musulman. Les dhimmis pouvaient cependant en principe conserver la possession du sol, en retirer l’usufruit et en hériter. En réalité, ils étaient dépossédés de leurs terres, de leur bétail et de leurs biens. Les paysanneries juives et chrétiennes finirent par disparaître en Orient.

La pression fiscale

Comme l’évoque le Coran, le dhimmi était soumis à un tribut essentiellement sous deux formes :
  • le « kharaz », impôt foncier pour qu’il jouisse de ses terres comme tributaires et usufruitiers ;
  • la « jyzya », une capitation pesant sur chaque individu, en principe mâle et majeur, une sorte de rançon.

A ces deux impôts s’ajoutaient une taxe couvrant les dépenses et l’entretien des collecteurs d’impôts, une somme globale consacrée aux réquisitions, des impôts extraordinaires, l’entretien et l’habillement des musulmans. Les dhimmi fournissaient aussi toutes sortes d’objets. Enfin, ils étaient réquisitionnés pour de lourdes corvées : constructions, routes, navigation, y compris pour la flotte de guerre. Les communautés devaient aussi acquitter d’un impôt .

L’oppression fiscale était forte au point que les juifs et les chrétiens fuyaient leurs terres et tentaient de se cacher là où ils pouvaient espérer se soustraire au fisc. Des mesures étaient alors mises en place pour enrayer l’exode : recensement de la population, passeport, interdiction de voyager, etc. Les supplices n’y manquaient pas. Les dhimmi en fuite étaient traqués.

Pour se dédommager de ceux qui étaient insolvables ou des communautés incapables de payer, l’État s’emparait de leurs femmes et de leurs enfants pour en faire des esclaves. Des témoignages nous décrivent une situation déplorable, « tableau de paysans et d‘artisans dépouillés, contraints à se cacher et à fuir de lieux en lieux – population traquée et exploitée, sur laquelle s’élevèrent les fastes des califes abbassides et la richesse de l’umma »[4]. Les Coptes se révoltèrent à plusieurs reprises, la plupart furent alors massacrés ou déportés.

Hindous forcés à subir l'humiliation
lors du paiement de la taxe Jizya
La « jizya » devait être acquittée individuellement au cours d’une cérémonie publique humiliante. En payant, le dhimmi était frappé à la nuque ou sur la tête, symbole de l’humiliation. Cette pratique était encore courante au XXe au Maroc et au Yémen. Au Moyen-âge, le dhimmi recevait un reçu de la «  jizya » sous forme de parchemin qu’il devait porter au cou ou sous forme d’un sceau scellé sur le poignet ou la poitrine. Voyager sans ce reçu pouvait signifier la mort.  Avec leurs vêtements distinctifs[5], les dhimmi étaient rapidement reconnaissables aux agents du fisc qui pouvaient leur demander la quittance sous peine d’emprisonnement immédiat.


Statut d’infériorité du dhimmi

Un musulman ne pouvait être sous l’autorité d’un non-musulman. Certaines professions lui étaient donc interdites, notamment les fonctions publiques mais aussi les activités privées dans lesquelles il aurait pu diriger du personnel musulman. A plusieurs reprises, les califes leur interdisaient des postes gouvernementaux ou de fonctionnaires.

Inégalité juridique

Un musulman ne pouvait avoir tort devant un non-musulman. Dans tout litige entre un musulman et un dhimmi, il ne pouvait y avoir d’égalité, encore moins d'équité. Le serment d’un dhimmi contre celui d’un musulman n’avait pas de validité juridique. « Le refus de recevoir le témoignage du dhimmi se fonde selon le hadith, sur la nature perverse et mensongère de l’infidèle qui s’entête à nier la supériorité de l’Islam »[6]. Le non-musulman était finalement dans l’impossibilité de contredire l’accusation d’un musulman. Il se trouvait dans une situation tragique dans le cas d’une accusation de blasphème, délit puni par la peine capitale. Seule la conversion le sauvait. « Il sera toujours impossible de prouver qu’un Turc est un faux témoin, et jamais un Turc ne portera témoignage contre un autre Turc en faveur d’un Chrétien ; c’est leur usage, c’est leur pratique constante »[7].

La loi islamique appliquait la loi du talion. « O vous qui avez un cœur ! Vous trouverez dans la peine du talion et dans la crainte qu’elle inspire la sûreté de vos jours » (II, 175). Or cette loi ne s‘appliquait qu’entre individus égaux. Elle était donc inapplicable entre un musulman et un dhimmi, en raison de la qualité humaine jugée inférieure de ce dernier. A égalité de délit, la pénalité était par exemple de moitié si la victime d’un musulman était un dhimmi. Menacer un Turc était puni d’une main coupée. Si un dhimmi osait le frapper, il était brûlé vif. Il pouvait encore espérer racheter la vie à force d’argent après bien des tourments. L’exécution d’un musulman, même coupable, était interdite si l’offensé était un dhimmi.

Discrimination religieuse

Selon les conditions de la conquête et des traités, la construction de nouvelles églises ou monastères était interdite. Seule était permise la rénovation des édifices religieux antérieurs à la conquête selon le bon vouloir des autorités. Ils ne pouvaient néanmoins être ni agrandis, ni modifiés. Dans certaines provinces, comme en Espagne ou en Syrie, les musulmans confisquaient la moitié des églises qui, par la suite, finissaient logiquement par être transformées en mosquées. Souvent, elles furent détruites ou transformées en étables.

Dans tout le dar al-islam, de nombreuses prohibitions religieuses étaient appliquées : sonneries de cloches, exposition des croix, des bannières et des icônes et autres objets de culte. Certains théologiens musulmans acceptaient des processions lorsque les chrétiens étaient majoritaires. Les enterrements et les cérémonies devaient être silencieux. Les cimetières chrétiens furent souvent  rasés et profanés.

Conclusion




Au cours des siècles, le Coran et des textes de lois, associés au pragmatisme politique, ont modelé la dhimmitude et érigé un archétype dans les perceptions collectives. Si les règles d’autrefois sont actuellement abrogées, ce modèle persiste dans les mentalités et les comportements. Au cours des siècles, se fondant sur le Coran et les hadiths, les jurisconsultes ont construit une société profondément discriminatoire et humiliante pour les non-musulmans.

Comme nous l’avons évoqué dans le précédent article, des décrets concernaient l’abaissement des maisons, le port de vêtements restrictifs et l'usage des montures, l’expulsion des postes de prestige, des pratiques de conversions forcées. Tout était bon pour souligner la supériorité des musulmans… Quelles cruelles souffrances pour les dhimmi ! Et pourtant, c'étaient eux les administrateurs, les secrétaires, les lettrés, les artisans, les paysans ! Autour d’eux subsistaient les témoignages de leur génie dans les monuments, dans les arts, dans les sculptures ! Cruelle différence entre leur statut et la réalité…

Lorsque le chrétien ou le juif est battu par un musulman, sa vie et sa protection se rachète. S’il ne se convertit pas, l’homme n’est plus qu’une somme d’argent, qu’un objet d’humiliations, de mépris. « Non seulement sa vie est monnayable, ... étant méprisable, le pouvoir qui l’épargne en est d’autant plus magnanime » [8]. Le dhimmi n’a finalement que le droit de se soumettre à ses vainqueurs. Il est condamné à être plein de gratitude envers son maître qui le tolère. Car il appartient au « dâr al-islam ».

Au Hijaz, terre originel des musulmans, où règne l’Islam, il n’y a plus de tolérance. Pour le non-musulman, c’est l’exil, la conversion ou le glaive. Le « dâr al-islam » est encore une terre de guerre. Le non-musulman est enfermé définitivement dans une condition de vaincus, sans aucune issue, sans aucune espérance si ce n’est le reniement de son âme, la négation de lui-même…



Références

[1] Jean-Pierre Valognes, Vie et Mort des chrétiens d’Orient, chapitre II, Fayard, 1994.
[2] Juriste musulman Ibn Qayyim al-Jawziyya cité dans Vie et Mort des chrétiens d’Orient.
[3] Dans le livre Vie et Mort des chrétiens d’Orient, on ose lire que les non-musulmans étaient des « minorités » qui devaient se plier aux règles de « celui qui les accueille » ! C’est justement ce que veulent faire croire les musulmans. Car il na faut pas oublier que les musulmans ont été des envahisseurs.
[4] Bet Ye’or, Chrétientés d’Orient entre jihad et dhimmitude, Chapitre II.
[5] Jaunes pour les Juifs, bleus pour les chrétiens.
[6] Bet Ye’or, Chrétientés d’Orient entre jihad et dhimmitude, Chapitre II. Voir Bohkari, Les Traditions islamiques, Paris, 1903-1914.
[7] Chevalier d’Arvieux, 
Mémoires du chevalier d’Arvieuxtome V. Confirmé aussi par un chroniquer arménien du XVIIème siècle, Arakel de Tauriz, Livre d’Histoire, 1874-1876.
[8] Bet Ye’or, Chrétientés d’Orient entre jihad et dhimmitude, Chapitre VIII.

lundi 27 janvier 2014

Le paradoxe d'Olbers: la nuit peut révéler de profondes vérités

« Au sein d’un Univers homogène, infini dans le temps et l’espace, toute ligne de visée doit aboutir à la surface d’une étoile, et toute portion du ciel avoir l’éclat du Soleil. Pourquoi donc le ciel est-il noir la nuit ? […] En un demi-millénaire, plusieurs réponses ont été proposées ; pourtant, l’énigme n’a vraiment été comprise qu’à la fin du XXe siècle. La solution moderne révèle la profonde signification cosmologique de l’obscurité nocturne. L’histoire du paradoxe d’Olbers révèle l’ampleur des changements dans notre conception de l’Univers »[1].

Nous sommes si habitués aux choses qui nous entourent qu’elles nous paraissent normales. L’habitude crée en quelque sorte la normalité. Prenons un exemple simple : la nuit. Pourquoi est-elle noire ? L’obscurité du ciel nocturne est pourtant une énigme, connue sous le nom de paradoxe d’Olbers du nom d’un astronome allemand, Heinrich Olbers, qui écrivit un article déterminant sur ce sujet.
Une nuit normalement lumineuse dans l’Univers de Newton
Retournons au XIXe siècle. La physique de Newton domine les sciences. Elle suppose un Univers infiniment grand, éternel et invariable, rempli d’étoiles semblables. C’est un Univers stable qui tourne mécaniquement selon des lois invariables. Selon la loi de gravité, l’Univers n’a pas de centre autour duquel il tourne sinon il s’effondrerait sur ce point. Il est par conséquent rempli uniformément d’étoiles. Cela signifie que si nous regardons le ciel, nous devrions voir des étoiles dans toutes les directions. Ou encore si nous traçons une ligne droite dans le ciel à travers l’Univers, nous devrions toujours rencontrer une étoile.

Selon une loi dite seconde loi de la Thermodynamique, l’énergie va des objets chauds vers les objets froids de telle sorte que sur une longueur de temps, les différences de températures tendent à s’atténuer. Ainsi les étoiles irradient de l’énergie sous forme de lumière. De plus, selon la physique classique, la lumière se propage en ligne droite.
Ainsi dans toutes les directions où nous portons un regard, nous devrions voir une étoile donc une lumière. Le ciel tout entier devrait alors briller ...  « S'il y a réellement des soleils dans tout l'espace infini, leur ensemble est infini et alors le ciel tout entier devrait être aussi brillant que le Soleil. Car toute ligne que j'imagine tirer à partir de nos yeux rencontrera nécessairement une étoile fixe quelconque, et par conséquent tout point du ciel devrait nous envoyer de la lumière stellaire »[2].
Deux explications erronées
Nous expliquons souvent l’obscurité de la nuit en proposant deux explications hâtives en apparence sensées et pourtant erronées. Première explication possible : il fait noir parce que le Soleil ne nous éclaire plus. En fait, la lumière du Soleil nous cache la lumière des étoiles. Une fois retiré, il devrait laisser sa place à la lumière des autres étoiles. Deuxième explication : les étoiles sont trop éloignées. Nouvelle erreur…
Prenons le problème sous un autre angle. Imaginons la Terre au centre d’une sphère qui contient beaucoup d’étoiles. Imaginons un nombre important d’étoiles contenues dans l’enveloppe de la sphère. Supposons que chaque étoile ait en soi la même luminosité. La luminosité de chaque étoile dépend de sa luminosité absolue et aussi de sa distance par rapport à la Terre - plus précisément elle est inversement proportionnelle au carré de sa distance par rapport à nous. Ainsi l’ensemble des étoiles diffusent une luminosité égale au nombre d’étoiles contenues dans l’enveloppe de la sphère multipliée par la luminosité de chacune puis divisée par le carré de leur distance. Cette distance équivaut au rayon de la sphère. Nous pourrions penser que plus l’enveloppe est éloignée, moins elle est lumineuse. Est-ce vraiment exacte ?

Si les étoiles sont plus éloignées, cela signifie que le rayon de la sphère est plus grand et par conséquent que la surface de l’enveloppe est aussi plus grande. Elle contient donc plus d’étoiles, compte tenu de la répartition uniforme des étoiles dans l’espace. Or la surface d’une sphère croît avec le carré du rayon. Donc le nombre d’étoiles croît avec le carré de son rayon. Mais nous savons aussi que la luminosité de chaque étoile est réduite selon le carré du rayon. Conclusion : le nombre d’étoiles compense leur éloignement. L’enveloppe contribue finalement à la luminosité du ciel et pas uniquement les étoiles.
Or dans un Univers infini et immuable, il y a une infinie d’enveloppes d’étoiles autour de la Terre, chacune apportant sa luminosité. Le ciel doit donc être infiniment brillant. Les étoiles les plus proches occultent les étoiles les plus lointaines comme notre Soleil occulte celle de toutes les étoiles lorsqu'il fait jour. Le ciel devrait être finalement aussi brillant que sur la surface du Soleil !
La conclusion de notre raisonnement est naturellement absurde. Pourtant, notre raisonnement est exact. Donc une de nos hypothèses de départ est fausse. Nous pourrions croire que la voie lactée a un nombre réduit d’étoiles. Rapportons alors le raisonnement non plus aux étoiles mais aux galaxies. Nous obtiendrons la même conclusion. Quelle est donc l’hypothèse fausse ?

Une question insoluble
Au XVIe siècle, le mathématicien et astronome Thomas Diggs est, semble-t-il, le premier à envisager un Univers infini contrairement aux idées de l’époque, tournées vers le modèle ptoléméen, c’est-dire vers un Univers fini et centré sur la Terre [3]. Diggs disperse les étoiles au hasard dans l’espace infini. Mais il se heurte au problème de la nuit. Pourquoi cette infinité d’étoiles ne rend-elle pas lumineuse le ciel nocturne ? Pour l’expliquer, il propose alors une des solutions en apparence sensée : le ciel est obscur car la luminosité des étoiles lointaines est trop faible pour être vue. Mais cette solution ne tient pas comme nous l’avons vu. Kepler comprend en effet que « même si chaque étoile lointaine est trop faible pour être vue individuellement, le flux lumineux collectif de toutes ces étoiles devraient faire briller le ciel nocturne »[4]. Képler propose une autre solution : l’obscurité de la nuit s’explique simplement par la finitude de l’Univers. Dans un Univers infini aux étoiles dispersées dans tout l’espace, « la voûte céleste entière serait aussi lumineuse que le Soleil » [5]. Entre les étoiles, nous voyons en effet la muraille noire qui entoure l’Univers. Au XVIIIe siècle, un autre astronome, Halley, reprend l’argument de Diggs et rejette celui de Kepler.
En 1744, le mathématicien suisse Jean-Philippe Loys de Cheseaux analyse plus sérieusement la question. Au bout d’un certain nombre de calculs, il démontre en effet qu’une étoile devrait être visible dans n’importe quelle direction de l’espace. Selon ses calculs, la luminosité de la nuit serait égale à 180 000 fois supérieure à celle de la surface du Soleil ! Il en vient à conclure que : soit les étoiles ne sont pas réparties uniformément dans l’espace infini, soit que quelques choses nous empêchent de voir la lumière des étoiles lointaines. Il suppose alors que la matière interstellaire absorbe de la lumière au fur et à mesure qu’elle se propage à travers l’espace.
En 1826, Heinrich Olbers reprend cette idée d’absorption d’énergie par la matière interstellaire. Une question le perturbe : que devient cette énergie ? La matière devrait à son tour chauffer et irradier de la lumière selon la seconde loi de la thermodynamique. Finalement, la matière elle-même devrait être à son tour lumineuse. C’est pourquoi, en 1831, Johns Herschel invalide la théorie d’un milieu interstellaire absorbant l’énergie…
Edward Fournier d’Albe suggère que les étoiles ne sont pas réparties uniformément mais que certaines d’entres elles pourraient être alignées. On en vient alors à penser à un déficit d’étoiles.
La nuit est obscure car l’Univers n’a pas toujours existé…
Heinrich Olbers (1758-1840)
Le paradoxe d’Olbers s’explique pourtant simplement. La lumière voyage à travers l’espace selon une vitesse finie. Lorsque nous regardons le ciel, nous ne voyons pas en fait les étoiles telles qu'elles sont mais telles qu’elles étaient du fait de la distance qui les sépare de la Terre et du temps nécessaire pour que la lumière parcourt l’étendue qui nous sépare d'elles. La lumière de la galaxie M31 d'Andromède que nous voyons aujourd'hui a été émise il y a plus de 2 millions d'années. Il n’y a plus finalement d’énigme si nous posons l’acte de la création de l’Univers. Le ciel n’est pas lumineux car toutes les régions célestes ne sont pas accessibles. La nuit est noire car la lumière de la plupart des étoiles n’ont pas encore eu le temps de parvenir jusqu'à nous. « Les étoiles ne brillent que depuis dix milliards d’années et n’ont pas émis assez de rayonnement pour rendre lumineux le ciel nocturne » [6]. A un moment, des étoiles n’existaient pas, mieux, les étoiles n’existaient pas. L’Univers a un âge fini. Il a un commencement..

La solution est devenue envisageable en 1901, au moment où Kelvin a songé à la distance des étoiles en termes du temps de parcours de la lumière qui nous parvient. Il montre que les étoiles ne peuvent pas briller indéfiniment. « A la question de savoir où est passé l’essentiel de la lumière stellaire, Kelvin répond qu’elle ne nous est tout simplement pas encore parvenue » [7].
Pourquoi une solution si tardive ?
« Grâce à la nuit noire, ils [les philosophes des temps passés] auraient pu et dû réaliser qu’il y avait bien un début à l’Univers, et un début pas si éloigné dans le temps comparé à l’âge des étoiles »[8]. Comment cela se fait-il que tant de scientifiques n’aient pas parvenu à la même conclusion ?
Pourtant, au XVIIe siècle[9], la communauté scientifique savait que la lumière avait une vitesse finie. Imprégnée de culture chrétienne, elle pouvait penser à la Création. Est-ce leur peu de foi qui les ont conduits à un tel échec ? A-t-elle été si conditionnée par son époque qu’elle a fini par ne plus voir ? Quand Lemaître a proposé la solution de Big Bang, les scientifiques l’ont aussitôt rejetée, croyant voir une tentative de justification du dogme catholique. « Cela tient au dédain dans lequel est tenue la métaphysique, et consciemment ou non, les premiers cosmologistes des années vingt aux années soixante n’appréhendèrent pas le véritable apport métaphysique de leurs travaux » [10]. Les scientifiques ont aussi ignoré Edgard Poe et Mark Twain qui avaient montré que le paradoxe d’Olbers s’expliquait par la finitude temporelle de l’Univers. « La seule manière de rendre compte des vides que trouvent nos télescopes dans d'innombrables directions est de supposer cet arrière-plan invisible placé à une distance si prodigieuse qu'aucun rayon n'ait jamais pu parvenir jusqu'à nous » [11]. L’article de Kelvin ne reçut que peu d’attention…
Une autre réponse possible ?
Une autre solution pourrait aussi expliquer cette énigme : l’expansion de l’Univers. Hubble a en effet proposé l’idée d’un Univers qui s’étend au fur et à mesure du temps. Cette expansion serait alors responsable de la dissipation de l’énergie des étoiles. Bondi a alors proposé comme solution du paradoxe d’Olbers un Univers infini en expansion. « La solution spectaculaire de Bondi par la seule expansion de l’Univers eut un grand succès, mais la découverte en 1965 du fond de rayonnement micro-onde cosmique prouva que nous vivons bien dans un Univers d’âge fini, qui a connu un état primordial chaud et dense » [12].
L’obscurité de la nuit est ainsi un motif supplémentaire pour croire en un commencement de l’Univers et donc à la Création. La Nature révèle bien des vérités à celui qui sait la regarder.  L’Univers est une source inépuisable de questions fondamentales et finalement de profondes vérités. « Ce qu’il faut remarquer, c’est qu’il suffit souvent de quelques observations simples et d’une réflexion approfondie pour révéler des vérités profondes sur notre Univers »[13]. Hier au nom de la Raison et de la Science, des scientifiques se moquaient de l’idée même d’une création. Désormais, la Science leur demande de s’y soumettre s’ils veulent bien être raisonnables. Curieuse ironie de l’Histoire !
 « A travers les trous entre les étoiles, nous retrouvons l’origine de l’Univers »[14].




Références
[1] Jean-Marc Lévy-Leblond, Université de Nice, Pourquoi la nuit est-elle noire ?, août 2008, une traduction de David Newton, Le paradoxe d’Olbers et ses solutions, département de physique et d’astronomie de l’Université de Leeds.
[2] H. Olbers, La transparence cosmique in article http://www.futura-sciences.com, 10 mai 2010.
[3] Diggs décrit son modèle dans son livre Parfaite description des orbes célestes, Londres, 1576.
[4] Jean-Marc Lévy-Leblond, Université de Nice, Pourquoi la nuit est-elle noire ?
[5] Kepler, Conversation avec le messager céleste, 1610, répondant au livre de Galilée, Le messager des étoiles.
[6] Jean-Marc Lévy-Leblond, Université de Nice, Pourquoi la nuit est-elle noire ? 

[7] Jean-Marc Lévy-Leblond, Université de Nice, Pourquoi la nuit est-elle noire ?
[8] John Gribbin, A la poursuite du Big Bang, Interlude 1, 
1992, Flammarion.
[9] En 1676, Ole Römer démontre que la vitesse de la lumière est finie.
[10] John Gribbin, A la poursuite du Big Bang, Interlude 1.
[11] E. Poe, Eureka in article http://www.futura-sciences.com, 10 mai 2010.
[12] Jean-Marc Lévy-Leblond, Université de Nice, Pourquoi la nuit est-elle noire ?
[13] John Gribbin, A la poursuite du Big Bang, Interlude 1.
[14] Ed. Harrisson, The Dark Night Sky Paradox, 1977.

vendredi 24 janvier 2014

Invariance de la vitesse de la lumière : un détail source de bouleversement

Dans un milieu homogène, la vitesse de la lumière est constante, indépendamment du mouvement ou de la direction de la source émettrice. Elle est de l’ordre de 300 000 kilomètres par seconde. Tel est l’un des principes sur lequel repose la théorie de la relativité. Elle s’appuie aussi sur un deuxième principe : aucun objet ne peut dépasser la vitesse de la lumière.



Conséquence de l’invariance de la vitesse de la lumière : un temps qui se détend et se contracte…


Si nous marchons sur un tapis roulant à une certaine vitesse, notre vitesse de marche par rapport à une personne immobile correspond à celle du tapis à laquelle s’ajoute la vitesse du marcheur par rapport au tapis. C’est ce que nous appelons la composition des vitesses. Imaginons maintenant que nous marchions à la vitesse de la lumière par rapport au tapis. Alors, compte tenu des deux principes exposés, par rapport à notre observateur immobile ou par rapport au tapis, nous marchons exactement à la même vitesse comme si finalement le tapis roulant n’avait aucun effet sur le marcheur.




La vitesse est le rapport entre une distance parcourue par un mobile et la durée de son déplacement. Le temps se mesure à l’aide d’une horloge, la distance à l’aide d’un étalon de mesure. Si une voiture roule à 50 km/h, elle parcourra 50 kilomètres en une heure. Si nous disons que la vitesse est constante, cela signifie que le rapport entre la distance et la durée est exactement constant. Si la vitesse de la lumière ne varie pas en fonction du référentiel choisi, nous en déduisons que ce rapport est constant quelque soit l’état de l’observateur. Or la distance varie en fonction du référentiel. Par rapport à une gare, un voyageur assis dans un train en mouvement parcourt une distance égale à celle du train alors que son déplacement par rapport au conducteur du train est nul. Si la distance varie et que la vitesse ne varie pas en fonction du référentiel, nous en déduisons logiquement que la durée du mouvement varie en fonction du référentiel de manière opposée à la variation de la distance. Si la distance croît, la durée décroit, et inversement. Plus le mouvement est rapide, plus la montre ralentit !…

Qu’est-ce que cela signifie ? Revenons au tapis roulant. Vu d’un observateur immobile, le marcheur a parcouru la longueur du tapis. Vu du tapis, la distance qu’il a effectivement parcourue est plus faible que celle du tapis. C’est effectivement le but du tapis roulant. Ne pas trop se fatiguer… Donc comme la variation de la durée est opposée à celle de la distance, la durée du déplacement du marcheur est plus courte dans le référentiel de l’observateur que dans le référentiel du tapis. En un mot, soit le temps se contracte dans le référentiel de l’observateur, soit il se détend dans le référentiel du tapis

Renversement de regard

Newton a introduit la notion de mouvement en donnant comme principe qu’il était relatif à un référentiel. Depuis, nous étudions tout mouvement en fonction d’un repère et des trois dimensions de l’espace (longueur, largeur, profondeur). Dans cette physique, le temps est représenté par une unique variable à une dimension. Ainsi, avons-nous l’habitude de tracer le temps sous forme d’une droite, chaque point de la droite représentant un instant. Newton a aussi pris comme principe que ce temps était absolu, invariant par rapport à un référentiel. L’invariance de la vitesse de la lumière rend ce principe caduc. 

Newton a en fait défini la vitesse à partir de la distance et de la durée de déplacement, considérées comme principes premiers de sa théorie. Or, avec une vitesse fixe de la lumière, la vitesse devient principe premier. Variables en fonction de la vitesse de l’observateur, la distance et la durée du mouvement se définissent donc désormais en fonction de la vitesse, et non l’inverse. Nous renversons le regard de la physique classique

Définitions variables du temps physique

La notion du temps physique est apparue avec Newton. Ses successeurs ont su élaborer des opérateurs capables de la manipuler. Mais qu’est-ce que finalement le temps dans la physique classique ? 


Horloge atomique
La seconde a été initialement définie comme la 1/86 400ième partie du jour solaire moyen, la durée du jour évoluant entre 23 h 59 min 39 s et 24 h 00 min 30 s. Elle correspond au « temps universel ». Mais la durée du jour variant, les scientifiques lui ont donné en 1956 une autre définition : 1/31 556 925, 9747ième de la durée de l'année tropique, c’est-à-dire la durée séparant deux équinoxes de printemps successives. Le temps correspondant est le « temps des Éphémérides ». Cette définition n’est encore guère fiable. En 1967, on a trouvé une meilleure définition du temps. Au lieu de prendre comme repère l’espace céleste, les scientifiques vont la rechercher dans l’infiniment petit à partir de mécanismes atomiques très précis. La durée ainsi calculée ne varie d’une seconde tous les 1 500 000 ans. Cette nouvelle définition de la seconde donne le « temps atomique international ».

Que pouvons-nous conclure de ces différentes définitions du temps ? Le temps manipulé par la physique n’est finalement que la mesure de l’évolution temporelle d’un phénomène physique. C’est le tic-tac « immuable » d’une horloge. Nous recherchons le mouvement temporel le plus régulier possible à travers le temps. Mais est-ce du temps ? Ce n’est que la traduction mécanique d’un mouvement qui perdure régulièrement dans le temps. Le temps physique n’est que la succession du tic et du tac de l’horloge… 

Confirmation expérimentale de la variation du temps

Quand nous disons que le temps varie en fonction du référentiel, nous disons en fait que ce mouvement régulier accélère ou ralentit en fonction du mouvement de l’observateur. Une expérience a été menée pour confirmer ou non l’hypothèse. Deux horloges précises parfaitement synchrones, à l’abri de toute secousse, ont fonctionné en même temps, l’une immobile sur la terre, l’autre immobile dans un avion volant à une vitesse très élevée. Il a été découvert qu’effectivement, l’horloge disposé dans l’avion était en retard par rapport à sa consœur, restée sur terre. 

Cette variance du temps physique n’est pas perceptible à notre échelle puisque il faut atteindre une vitesse élevée pour qu’elle soit sensible. Néanmoins, elle est utilisée dans de nombreuses applications comme la géolocalisation par le GPS.

Le temps physique, tel qu’il a été formalisé et retenu par la Science, n’est que la mesure de la variation temporelle du mouvement. Comme le mouvement spatial d’un objet, cette variation varie en fonction du référentiel. Plus un objet est en mouvement, plus le temps associé ralentit. Telle est donc la conclusion qui a été tirée de l’invariance de la vitesse de la lumière. 





mardi 21 janvier 2014

Qu'est-ce que la lumière ?...

« Si nous savions ce qu'est un rayon de lumière, nous saurions beaucoup de choses » (Louis de Broglie). Qu’est-ce que la lumière ? Cette question peut paraître insolite dans notre essai apologétique. Elle peut aussi écarter les esprits les moins scientifiques. Elle peut enfin nous égarer dans des polémiques sans fin. Nous allons néanmoins tenter de répondre à cette question qui au-delà de la Science, nous conduira vers une meilleure connaissance de la Création mais aussi vers des questions fondamentales sur l’intelligibilité du MondeCette étude nous aidera aussi à mieux comprendre nos limites dans l’ordre de la connaissance scientifique. 
Puis comment pouvons-nous défendre notre foi face à certaines propositions supposées scientifiques sans connaître les principes qui les fondent ? Le scientisme et le déterminisme laplacien ne résistent pas en effet face à de telles questions et aux réponses que la Science a apportées.  Enfin, nous aborderons peu à peu des erreurs qui aujourd'hui sèment la confusion dans les esprits et égarent les intelligences dans le scepticisme et le relativisme. Nous allons donc tenter d’exposer la question de la lumière, source de bien de révolutions dans notre manière de penser.
Théorie corpusculaire contre théorie ondulatoire
Depuis le XVIIe siècle, les scientifiques se sont débattus sur la nature de la lumière. Deux conceptions se sont longtemps affrontées. Fidèles à Newton, certains scientifiques concevaient la lumière comme un flux de particules porteur d’énergie (théorie corpusculaire) quand d’autres l’imaginèrent comme une vibration de particules qui se transmettent de proche en proche dans le milieu qui nous entoure (théorie ondulatoire). Dans la théorie corpusculaire, les particules seraient émises dans le milieu par les corps lumineux, à une extrême vitesse. Dans la théorie ondulatoire, la lumière est plutôt semblable à une onde sonore qui se propage dans l’air ou aux vagues qui se déplacent sur la mer.
La victoire de la théorie ondulatoire
Au XIXe siècle, des expériences convainquirent les scientifiques que la théorie ondulatoire était plus conforme à la réalité. La lumière fut donc perçue comme une pure propagation mécanique à partir d’une source. Mais cette hypothèse ne tenait pas sans l’existence d’un milieu pour la porter. L’onde sonore a besoin d’air pour se propager comme les rides sur l’eau ont besoin effectivement d’eau. La théorie ondulatoire nous oblige alors à émettre l’hypothèse de l’existence d’un milieu invisible dans l’espace : l’éther. La lumière fut donc représentée comme une vibration qui se propage de proche en proche dans l’éther.
Toujours au XIXe siècle, le scientifique James Clark Maxwell (1831 - 1879) précisa la nature électromagnétique de la lumière. Il élabora quatre lois qui décrivent la façon dont le rayonnement électromagnétique se propage sous forme d’onde. Elles sont à l’origine de la conception d’objets quotidiens aussi familiers que le poste de télévision ou la radio. Maxwell découvrit aussi que la vitesse de la lumière était fixe : environ 300 000 km par seconde. Cette dernière découverte allait bouleverser toute la science…
A l’aube du XXème siècle, l’homme avait-il enfin résolu une des questions qui le tourmentaient depuis la nuit des temps ?
Quelques questions bouleversantes
La lumière sous forme d’onde n’est pas compréhensible sans l’existence de l’éther. Les scientifiques cherchèrent donc à découvrir les propriétés de ce milieu invisible. Ses propriétés paraissaient étranges. Il devait être constitué de charges électriques dont le changement de polarisation permettrait à la lumière de se propager. Il devait traverser certains corps, ne pas les ralentir dans leur mouvement. Il avait aussi des propriétés propres au solide. Étrange milieu que l’éther…
Un jour, dans son bureau, un homme se posa une question : que se passerait-il si nous nous déplacions à la vitesse de la lumière en tenant devant nous un miroir ? Rappelons que si notre image se reflète sur le miroir, cela signifie que la lumière se propage de notre visage jusqu'au miroir. Si nous voyons notre visage sur le miroir, cela revient à dire que la lumière va plus vite que la vitesse de notre mouvement, qui est, rappelons-nous, la vitesse de la lumière. Or la vitesse de la lumière est fixe. Donc la lumière ne peut pas aller plus vite que notre mouvement. En conclusion, il n’est pas possible de se voir. Mais si le miroir ne reflète pas notre visage, nous savons alors que nous bougeons à la vitesse de la lumière. Nous connaissons notre vitesse. Cela signifie alors que notre mouvement est indépendant d’un référentiel. Notre vitesse nous est en effet connue dans notre propre mouvement. Pour être plus clair, cela reviendrait à connaître la vitesse d’une voiture en prenant comme repère  la voiture en mouvement ! Cette conclusion s’oppose évidemment à la mécanique classique et à notre bon sens. La vitesse de la voiture n’est connue qu’en fonction d'un repère fixe par rapport à la voiture, par exemple la route. Un mouvement n’est en effet perceptible que par rapport à un objet fixe, à un référentiel. Douloureuse contradiction...
Des théories incompatibles !
En effet, depuis au moins le cardinal Nicolas de Cues (1401 -1464) et surtout depuis Newton, nous savons que tout mouvement est relatif à un référentiel. Un voyageur assis dans un train sait qu’il quitte la gare quand il regarde le quai qui reste immobile. Si deux trains circulent dans le même sens à la même vitesse, un voyageur assis dans le premier train ne saura pas qu’il bouge en regardant le second train. Il a besoin d’un repère fixe. Le mouvement se détermine à partir d’un objet immobile. La vitesse répond à la même exigence. En outre, comme la vitesse est la mesure d’une distance parcourue en un temps fixé, il faut aussi une montre qui mesure le temps. Tout mouvement est ainsi déterminé en fonction d’un référentiel (espace, temps).
Le scénario, appelé parfois  « expérience de la pensée », que définit le jeune homme dans son bureau expose en fait une contradiction de la physique classique : le mouvement de la lumière peut être défini sans le rapporter à un référentiel. Si la lumière a une vitesse fixe, cela revient à dire qu’elle est indépendante de tout repère. Une simple question, certes irréaliste, montre l’incompatibilité des théories de la physique classique. Nous pouvons alors comprendre toute l’inquiétude de cet homme qui a finalement remis en cause des théories scientifiques réputées inébranlables. « Quand j’étais jeune il m’arrivait de passer des semaines dans un état second, comme quelqu'un qui devait encore à l’époque surmonter l’état de stupéfaction causé par sa rencontre avec ce genre de questions ». Cet homme était Einstein (1879 - 1955). Par la seule réflexion et sans aucune expérience, il est arrivé à ébranler les certitudes scientifiques de son époque…
La fin des certitudes
Revenons à notre train et à la lumière. Un voyageur assis dans un TGV ne peut pas déterminer son mouvement sans préciser le référentiel dans lequel il le définit. Il est immobile dans le train mais il bouge dans le paysage supposé fixe. Il n’est pas possible de percevoir son mouvement en se référant à un objet fixe du train. Or Einstein montre que le mouvement de la lumière est détectable à partir d’un référentiel interne au mouvement. Dans l’hypothèse de la théorie ondulatoire de la lumière, nous concluons alors que l’éther est un milieu au repos absolu. Le mouvement de la lumière est identifiable car l’éther est immobile. Cette propriété est assez insolite. L’air qui se trouve dans l’habitacle de notre voiture qui roule est « emporté » par la vitesse de notre véhicule. L’éther est insensible au mouvement de la voiture.


Étant en repos absolu, l’éther serait alors un parfait référentiel à partir duquel il serait possible de déterminer tous les mouvements. Les physiciens vont alors tenter de déterminer le mouvement de la Terre par rapport à l’éther. Mais à la fin du XIXe siècle, une expérience [5] montre que l’éther est aussi « emporté » par le mouvement de la Terre. Cruelle contradiction ! La vitesse de la lumière, qui se propage dans l’éther, serait alors modifiée par le mouvement de la Terre ?! Cela devient incompréhensible ! Or de nouvelles mesures confirment que la vitesse de la lumière est fixe. La théorie est-elle donc fausse ? Les différentes branches de la Science se contredisent… Les scientifiques ne comprennent plus rien. Toutes leurs certitudes s’écroulent
Quand vous marchez dans un TGV dans la même direction et dans le même sens que ceux du train, votre vitesse par rapport à un observateur immobile sur un quai est la vitesse du train à laquelle s’ajoute la vitesse de votre marche. C’est ce que nous appelons la composition des vitesses. Or les expériences que nous avons mentionnées précédemment montrent que la vitesse de la lumière est invariable que le train soit en mouvement ou au repos. Elle n’obéit donc pas à cette loi de composition…
Certains scientifiques ont tenté de porter secours à la théorie en supposant de nouvelles propriétés de l’éther. Nous retrouvons alors un réflexe scientifique courant : quand une théorie est contredite par des expériences, la théorie est complexifiée par de nouvelles hypothèses pour sauver les apparences. Les successeurs de Ptolémée ont en effet surchargé le modèle géocentrique au point de le rendre très complexe. Parfois, il est plus sage de rejeter le modèle. Comme Copernic à l’égard du géocentrisme, Einstein décide de rejeter l’hypothèse de l’éther et de redéfinir de nouveaux principes. Une nouvelle théorie va naître, celle de la relativité…
A en perdre son latin…
Einstein a démontré l’incompatibilité des théories de la physique classique et leurs limites. Une expérience va poser un nouveau problème à la communauté scientifique.
Une expérience avait montré la nature ondulatoire de la lumière. Cette expérience est connue sous le nom de « trous de Young » du nom de son inventeur. Nous allons la décrire de manière très simple. Imaginons une cloison qui dispose de deux trous sur un axe horizontal. Un faisceau lumineux est envoyé sur cette cloison. Il la traverse alors uniquement par les deux fentes. Nous obtenons en quelques sortes deux sources lumineuses. Au-delà de cette cloison est disposé un écran sur lequel se projettent les faisceaux lumineux qui proviennent des deux trous. Sur cet écran, nous pouvons alors voir alternativement des franges claires et foncées. C’est ce qu’on appelle une interférence.  Les deux faisceaux, qui passent simultanément par les deux fentes, se croisent. C’est une manifestation classique d’une onde qui se décompose. La lumière devrait donc être une onde puisqu'elle se manifeste comme une onde.

Clichée obtenu en envoyant de la lumière
avec une faible intensité à travers des fentes d'Young
Des scientifiques ont réalisé une expérience identique [1] mais en remplaçant dans un premier temps le faisceau lumineux par un faisceau d’électrons. Un faisceau d’électrons est envoyé sur la cloison qui dispose de deux fentes. Les électrons qui passent par les fentes laissent ensuite une tache brillante sur l’écran, ce qui permet d’enregistrer leur impact. Si une des deux fentes est obstruée, nous observons une seule tâche lumineuse. Or quand les deux trous sont ouverts, nous retrouvons des bandes claires et sombres successivement. Le faisceau d’électrons se comporte donc comme une onde. Les électrons qui passent à travers une fente s’interfèrent avec les électrons qui passent par l’autre fente, créant ainsi une interférence. 
La lumière serait-elle un faisceau de particules ?
Dans un deuxième temps, les scientifiques ont envoyé des particules l’une après l’autre sur la cloison. Nous pouvons alors imaginer que des particules passent par la première fente ou par la seconde, ou par aucune. En localisant son impact sur l’écran, il est possible de déterminer par quelle fente une particule est passée. En outre, en bouchant successivement une des deux fentes, ils ont calculé la probabilité qu’une particule passe par la première ou par la deuxième fente. Les deux fentes étant de nouveau ouvertes, les scientifiques constatent sans grande surprise que la répartition des particules sur l’écran obéisse aux probabilités calculées. Tel est le comportement normal des particules…
Les scientifiques ont ensuite envoyé des électrons un par un sur la cloison, espérant évidemment retrouver le même résultat. Après avoir calculé les différents taux de probabilité avec l’une des deux fentes obstruée, ils font la même expérience avec les deux fentes ouvertes. Comme dans le cas précédent, chaque électron est d’abord localisé sur l’écran conformément aux différentes probabilités. Mais après un certain temps, sur l’écran se dessinent des franges plus ou moins épaisses d’impacts, c’est-à-dire des interférences comme dans le cas des ondes. 
Les impacts se regroupent en effet par petits paquets compacts. Si l’un des deux trous est de nouveau obstrué, cette interférence disparaît. Les scientifiques sont abasourdis : chaque électron individuel se comporte comme une onde ! S’interfère-t-il avec lui-même comme s’il était un paquet de particules ? Se divise-t-il devant la cloison pour passer en même temps dans les deux fentes ? Tout se passe en effet comme si l’électron passait par les deux fentes en même temps !... Les scientifiques ne sont qu’au début de leur cauchemar. 

Les impacts sont  aléatoires. Si nous répétons l’expérience, les impacts seront en effet différents mais nous obtiendrons toujours des bandes sombres et claires. Le phénomène semble être probabilistique.



Pour savoir ce qu’il se passe au niveau des fentes, les scientifiques vont alors chercher à localiser l’électron au niveau de la cloison en utilisant un détecteur. De nombreuses mesures sont donc réalisées en envoyant électron un par un. Selon le détecteur, l’électron passe tantôt par une fente, tantôt par une autre. Soulagement ! Mais consternation : ils ne retrouvent plus le dessin de diffraction sur l’écran ! Ils observent deux tâches lumineuses. En clair, quand les scientifiques essayent de détecter un électron au niveau des fentes, il se comporte comme une particule mais quand ils n’utilisent pas de détecteur, il se comporte comme une onde, comme s’il était passé simultanément par les deux trous ! Les résultats de l’expérience sont donc différents selon les méthodes d’observation. La mesure interfère-elle avec le comportement des particules ?…
Nous en concluons donc :
  • qu’un électron peut avoir un comportement de particule comme un comportement d’onde ;
  • que le fait de vouloir le détecter conduit à lui faire changer de comportement. 

Nous sommes aux antipodes de la physique classique !
Et si la lumière …
Impacts des photons isolés
au fur et à mesure après passage
dans les fentes de Young
Les effets photoélectriques [4] sont compréhensibles si nous considérons la lumière sous forme d’onde. Mais si nous effectuons certaines mesures, les résultats obtenus sont incompatibles aux lois qui régissent les ondes. Elles correspondent plus à une nature corpusculaire. La lumière peut-elle avoir comme l’électron deux comportements différents ?
Dans l’expérience des fentes, la lumière a un comportement ondulatoire, dans l’effet photoélectrique, elle se comporte comme un ensemble de corpuscules. La lumière est aujourd'hui définie comme un ensemble de photons qui se manifestent soit de manière ondulatoire, soit de manière corpusculaire. Mais les deux aspects, corpusculaires et ondulatoires, sont indissociables. La lumière se comporte à la fois comme une onde et comme un flux de particules, et non séparément.



Allons plus loin dans l’invraisemblance
En reprenant les suggestions d’Einstein sur la dualité onde/ corpuscule de la lumière, le physicien Louis de Broglie suggère une autre hypothèse : la dualité appliquée à la lumière pourrait être étendue à la matière. La matière pourrait en effet posséder la double entité corpusculaire et ondulatoire, être corpuscule et onde à la fois. Dans la vie quotidienne, l’un de ses aspects est négligeable. C’est pourquoi certaines choses apparaissent sous forme d’onde, d’autres sous forme corpusculaire. Mais au niveau des particules, les deux aspects ne peuvent être négligés… Des expériences confirment son hypothèse…

Conclusion
A la fin du  XIXe siècle, des scientifiques pensaient avoir atteint les lois fondamentales de la physique au point de clamer la triomphe de la raison au détriment de la philosophie et de la métaphysique. Mais le début du XXe siècle annonce un revirement spectaculaire de la pensée scientifique. L’inébranlable certitude laisse sa place à une profonde inquiétude. La communauté scientifique s’agite pour trouver des explications. Une intense activité se déploie dans les laboratoires et les universités. Des découvertes s’enchaînent rapidement. Les idées virevoltent. Des scientifiques talentueux apparaissent et se succèdent sans discontinuité. Un monde nouveau finit par naître. Au début du XXe siècle, en très peu de temps, la connaissance de notre Monde a été bouleversée.
Les concepts que nous utilisons couramment dans la physique classique sont-ils devenus un obstacle à la compréhension de la réalité dans l’infiniment petit ? Devons-nous inventer d’autres concepts plus complexes, toujours plus abstraits, toujours plus éloignés de la réalité ? Plus nous abstrayons la réalité, plus elle devient explicable. Plus nous nous éloignons de la réalité, plus nous la saisissons. Telle est le paradoxe que nous révèlent la théorie de la relativité et la physique quantique. « Par l’évolution des théories, la physique est sans doute arrivée à donner de l’Univers une image construite, construite d’une façon abstraite, mais autrement plus approchée du réel que ne l’étaient les images de Ptolémée et de Newton »[2].
Nous croyons connaître alors que finalement notre ignorance est incommensurable. La réalité se soumet difficilement à nos modèles dérisoires. La Nature recèle des mystères encore plus grands que ce que nous croyons. Cette douloureuse expérience de la physique devrait nous rendre davantage plus humbles devant les limites de la Science et de la Raison. Cela ne signifie pas que nous ne pouvons pas connaître – loin de nous le scepticisme - mais que la connaissance nécessite avant tout prudence et humilité. La pensée scientifique ne peut saisir toute la réalité telle qu’elle est. La connaissance ne se bâtit pas uniquement à partir de la raison et de l’expérience. Que dirait aujourd'hui Laplace devant l’aveu actuel de la Science ? Exclurait-il encore Dieu comme hypothèse ? Pourtant, des scientifiques essayent de trouver la formule qui expliquerait tout comme il existe des savants qui pensent avoir trouvé les clés de la vie au point de jouer les apprentis sorciers. Quelles expériences dramatiques leur feront-ils prendre conscience de leurs vanités ?
« Il y a plus de questions que de réponses – et plus je découvre, moins je sais » (Johnny Nash)[3].




Références

[1] En 1927, Davisson et Germer ont effectué une autre expérience, plus simple à réaliser. Elle aboutit aux mêmes conclusions (diffractions des électrons dans un cristal de nickel). L’expérience des fentes de Young est plus tardive car plus complexe à réaliser. La première réalisation date de 1961 (Claus Jönsson).
[2]Aline Lizotte, Le Monde que je vois, 1980.
[3] Cité dans John Gribbin, A la poursuite du Big Bang, Interlude deux, 1992, Flammarion.

[4] L'effet photoélectrique désigne "l'émission d'électrons par un matériau soumis à l'action de la lumière" et parfois par extension "l'ensemble des phénomènes électriques d'un matériau provoqué par l'action de la lumière" (Wikipédia).


[5] Expérience de Michelson et Morley (entre 1881 et 1887).