« Faites-leur la guerre jusqu'à ce qu’ils
payent le tribut de leurs propres mains et qu’ils soient soumis » (IX,
29). Ce verset est essentiel pour comprendre le statut du non-musulman dans un
État musulman. Bet Ye’or le désigne sous le terme de dhimmitude. Il correspond
à un ensemble de règles mettant effectivement le non-musulman dans un état de
soumission, c’est-à-dire d’infériorité et d’humiliation. Dans un article, nous avons évoqué
quelques témoignages anciens décrivant ce qu’était en pratique la dhimmitude.
Dans cet article, nous allons plutôt définir les règles qui régissaient le
statut du dhimmi jusqu'au XIXe siècle…
Origine de la dhimmitude
Le terme de dhimmi
signifie contrat et correspond à la notion de tribut. Il tient son origine d’un
contrat établi entre Mahomet et les Juifs de l’oasis de Khaybar. Vaincus par
les troupes musulmanes, les Juifs ont signé un pacte avec les musulmans pour
continuer à vivre leur religion et garder leur terre moyennant la remise de la
moitié de leurs récoltes aux musulmans. Ce contrat n’était pas définitif,
Mahomet étant libre de l’abroger. Ce cas s’est répété au cours de la conquête des
troupes musulmanes. Effrayées des exactions commises par les tribus arabes, des populations ont préféré signer de tels actes
de soumissions. Les chrétiens et les juifs n’avaient pas d’autres choix que de
se rendre s’ils ne voulaient pas connaître la mort ou l’esclavage. Un contrat
les liait finalement à leurs nouveaux maîtres. La guerre se terminait donc par
l’acquittement d’un tribut, en nature, en espèce ou encore en force de travail.
Statut du non-musulman
Au lendemain de leur
victoire, les conquérants devaient concilier la fragilité de leur pouvoir et la
faiblesse de leur effectif avec la logique inégalitaire de l’Islam. Le réalisme
politique et le Coran ont alors donné naissance à « un système d’organisation politique et social dont le maître mot est la
discrimination, sur la base de critère d’appartenance religieuse »[1].
Un « traité de protection » garantissait
aux non-musulmans la sécurité des personnes et des biens ainsi qu’une certaine
liberté de culte et d’auto-administration. En échange, ils devaient fournir un
certain tribut en espèce, en nature et en corvées. Ils devaient aussi respecter
des règles établissant leur infériorité par rapport aux musulmans. Ce traité n’était
valable qu’à l’égard des communautés confessionnelles officielles. Les non-musulmans n’avaient de droit qu’en fonction de leur
appartenance à ces communautés.
Le Coran était le fondement
du régime juridique des juifs et des chrétiens. Sur la base
religieuse, ils établissaient un système strictement confessionnel organisant,
jusqu'au niveau du détail, la vie des communautés religieuses. Deux principes :
séparation et discrimination. Par le premier, les non-musulmans gardaient une
certaine autonomie au sein de leur communauté. Par le second, ils devaient se
plier à des règles, à des interdits, à des restrictions qui marquent leur
infériorité par rapport aux musulmans.
« Humiliation et dérision doivent être le lot
de ceux qui désobéissent à Allah »[2].
Les non-musulmans étaient minoritaires de droit, et non de fait, des hôtes
tolérés et marginaux. Ils devaient donc s’accommoder de leur situation et se
plier aux règles de vie de ceux qui les avaient vaincus[3].
Le sol islamisé
Le statut de dhimmi se
fonde sur un principe fondamental du dogme et du droit musulman : tout
territoire conquis par des musulmans devient la propriété de l’Islam. Il
constitue le « dâr al-islam ».
La loi islamique s’applique sur cette terre et sur tous ceux qui y habitent,
y compris les non-musulmans. Cette loi définit un ensemble de règles
auxquelles les non-musulmans doivent se soumettre. Ces prescriptions définissaient
la dhimmitude. Ceux qui étaient soumis à ces règles sont les dhimmis…
Compte tenu du principe du
sol conquis, aucune terre du « dâr
al-islam » ne devait appartenir à un non-musulman. Les dhimmis pouvaient
cependant en principe conserver la possession du sol, en retirer l’usufruit et
en hériter. En réalité, ils étaient dépossédés de leurs terres, de leur bétail
et de leurs biens. Les paysanneries juives et chrétiennes finirent par disparaître
en Orient.
La pression fiscale
Comme l’évoque le Coran, le
dhimmi était soumis à un tribut essentiellement sous deux formes :
- le « kharaz », impôt foncier pour qu’il jouisse de ses terres comme tributaires et usufruitiers ;
- la « jyzya », une capitation pesant sur chaque individu, en principe mâle et majeur, une sorte de rançon.
A ces deux impôts s’ajoutaient
une taxe couvrant les dépenses et l’entretien des collecteurs d’impôts, une
somme globale consacrée aux réquisitions, des impôts extraordinaires,
l’entretien et l’habillement des musulmans. Les dhimmi fournissaient aussi
toutes sortes d’objets. Enfin, ils étaient réquisitionnés pour de lourdes
corvées : constructions, routes, navigation, y compris pour la flotte de guerre.
Les communautés devaient aussi acquitter d’un impôt .
L’oppression fiscale était
forte au point que les juifs et les chrétiens fuyaient leurs terres et tentaient
de se cacher là où ils pouvaient espérer se soustraire au fisc. Des mesures étaient
alors mises en place pour enrayer l’exode : recensement de la population,
passeport, interdiction de voyager, etc. Les supplices n’y manquaient pas. Les
dhimmi en fuite étaient traqués.
Pour se dédommager de ceux
qui étaient insolvables ou des communautés incapables de payer, l’État s’emparait
de leurs femmes et de leurs enfants pour en faire des esclaves. Des témoignages
nous décrivent une situation déplorable, « tableau de paysans et d‘artisans dépouillés, contraints à se cacher et
à fuir de lieux en lieux – population traquée et exploitée, sur laquelle
s’élevèrent les fastes des califes abbassides et la richesse de l’umma »[4].
Les Coptes se révoltèrent à plusieurs reprises, la plupart furent alors
massacrés ou déportés.
Hindous forcés à subir l'humiliation lors du paiement de la taxe Jizya |
La « jizya » devait être acquittée
individuellement au cours d’une cérémonie publique humiliante. En payant, le
dhimmi était frappé à la nuque ou sur la tête, symbole de l’humiliation. Cette
pratique était encore courante au XXe au Maroc et au Yémen. Au Moyen-âge, le
dhimmi recevait un reçu de la « jizya » sous forme de parchemin qu’il devait porter au cou ou sous forme d’un sceau scellé
sur le poignet ou la poitrine. Voyager sans ce reçu pouvait signifier la mort. Avec leurs vêtements distinctifs[5],
les dhimmi étaient rapidement reconnaissables aux agents du fisc qui pouvaient
leur demander la quittance sous peine d’emprisonnement immédiat.
Statut d’infériorité du
dhimmi
Un musulman ne pouvait
être sous l’autorité d’un non-musulman. Certaines professions lui étaient donc
interdites, notamment les fonctions publiques mais aussi les activités privées
dans lesquelles il aurait pu diriger du personnel musulman. A plusieurs
reprises, les califes leur interdisaient des postes gouvernementaux ou de
fonctionnaires.
Inégalité juridique
Un musulman ne pouvait
avoir tort devant un non-musulman. Dans tout litige entre un musulman et un
dhimmi, il ne pouvait y avoir d’égalité, encore moins d'équité. Le serment d’un dhimmi contre celui
d’un musulman n’avait pas de validité juridique. « Le refus de recevoir le témoignage du dhimmi se fonde selon le hadith,
sur la nature perverse et mensongère de l’infidèle qui s’entête à nier la
supériorité de l’Islam »[6].
Le non-musulman était finalement dans l’impossibilité de contredire
l’accusation d’un musulman. Il se trouvait dans une situation tragique dans le
cas d’une accusation de blasphème, délit puni par la peine capitale. Seule la
conversion le sauvait. « Il
sera toujours impossible de prouver qu’un Turc est un faux témoin, et jamais un
Turc ne portera témoignage contre un autre Turc en faveur d’un Chrétien ;
c’est leur usage, c’est leur pratique constante »[7].
La loi islamique appliquait
la loi du talion. « O vous qui avez
un cœur ! Vous trouverez dans la peine du talion et dans la crainte qu’elle
inspire la sûreté de vos jours » (II, 175). Or cette loi ne s‘appliquait
qu’entre individus égaux. Elle était donc inapplicable entre un musulman et un
dhimmi, en raison de la qualité humaine jugée inférieure de ce dernier. A
égalité de délit, la pénalité était par exemple de moitié si la victime d’un
musulman était un dhimmi. Menacer un Turc était puni d’une main coupée. Si un
dhimmi osait le frapper, il était brûlé vif. Il pouvait encore espérer racheter
la vie à force d’argent après bien des tourments. L’exécution d’un musulman,
même coupable, était interdite si l’offensé était un dhimmi.
Selon les conditions de la
conquête et des traités, la construction de nouvelles églises ou monastères était
interdite. Seule était permise la rénovation des édifices religieux antérieurs
à la conquête selon le bon vouloir des autorités. Ils ne pouvaient néanmoins
être ni agrandis, ni modifiés. Dans certaines provinces, comme en Espagne ou en
Syrie, les musulmans confisquaient la moitié des églises qui, par la suite, finissaient
logiquement par être transformées en mosquées. Souvent, elles furent détruites ou
transformées en étables.
Dans tout le dar al-islam,
de nombreuses prohibitions religieuses étaient appliquées : sonneries de
cloches, exposition des croix, des bannières et des icônes et autres objets de
culte. Certains théologiens musulmans acceptaient des processions lorsque les
chrétiens étaient majoritaires. Les enterrements et les cérémonies devaient
être silencieux. Les cimetières chrétiens furent souvent rasés et profanés.
Conclusion
Au cours des siècles, le
Coran et des textes de lois, associés au pragmatisme politique, ont modelé la
dhimmitude et érigé un archétype dans les perceptions collectives. Si les
règles d’autrefois sont actuellement abrogées, ce modèle persiste dans les
mentalités et les comportements. Au cours des siècles, se fondant sur le Coran
et les hadiths, les jurisconsultes ont construit une société profondément
discriminatoire et humiliante pour les non-musulmans.
Comme nous l’avons évoqué
dans le précédent article, des décrets concernaient l’abaissement des maisons,
le port de vêtements restrictifs et l'usage des montures, l’expulsion des postes de prestige,
des pratiques de conversions forcées. Tout était bon pour souligner la supériorité
des musulmans… Quelles cruelles souffrances pour les dhimmi ! Et pourtant,
c'étaient eux les administrateurs, les secrétaires, les lettrés, les artisans,
les paysans ! Autour d’eux subsistaient les témoignages de leur génie dans
les monuments, dans les arts, dans les sculptures ! Cruelle différence
entre leur statut et la réalité…
Lorsque le chrétien ou le
juif est battu par un musulman, sa vie et sa protection se rachète. S’il ne se
convertit pas, l’homme n’est plus qu’une somme d’argent, qu’un objet
d’humiliations, de mépris. « Non
seulement sa vie est monnayable, ... étant méprisable, le pouvoir qui
l’épargne en est d’autant plus magnanime » [8].
Le dhimmi n’a finalement que le droit de se soumettre à ses vainqueurs. Il est
condamné à être plein de gratitude envers son maître qui le tolère. Car il
appartient au « dâr al-islam ».
Au Hijaz, terre originel
des musulmans, où règne l’Islam, il n’y a plus de tolérance. Pour le non-musulman, c’est l’exil, la
conversion ou le glaive. Le « dâr
al-islam » est encore une terre de guerre. Le non-musulman est enfermé
définitivement dans une condition de vaincus, sans aucune issue, sans aucune
espérance si ce n’est le reniement de son âme, la négation de lui-même…
[1] Jean-Pierre Valognes, Vie et Mort des chrétiens d’Orient, chapitre II, Fayard, 1994.
[2] Juriste musulman Ibn Qayyim al-Jawziyya cité dans Vie et Mort des chrétiens d’Orient.
[3] Dans le livre Vie et Mort des chrétiens d’Orient, on ose lire que les non-musulmans étaient des « minorités » qui devaient se plier aux règles de « celui qui les accueille » ! C’est justement ce que veulent faire croire les musulmans. Car il na faut pas oublier que les musulmans ont été des envahisseurs.
[4] Bet Ye’or, Chrétientés d’Orient entre jihad et dhimmitude, Chapitre II.
[5] Jaunes pour les Juifs, bleus pour les chrétiens.
[6] Bet Ye’or, Chrétientés d’Orient entre jihad et dhimmitude, Chapitre II. Voir Bohkari, Les Traditions islamiques, Paris, 1903-1914.
[7] Chevalier d’Arvieux, Mémoires du chevalier d’Arvieux, tome V. Confirmé aussi par un chroniquer arménien du XVIIème siècle, Arakel de Tauriz, Livre d’Histoire, 1874-1876.
[8] Bet Ye’or, Chrétientés d’Orient entre jihad et dhimmitude, Chapitre VIII.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire