" La pierre précieuse, voire de grand prix aux yeux de certains, qu'est l'émeraude, se voit insultée par un morceau de verre habilement truqué, s'il ne se rencontre personne qui soit capable de procéder à un examen et de démasquer la faute. Et lorsque de l'airain a été mêlé à l'argent, qui donc, s'il n'est connaisseur, pourra aisément le vérifier ? "(Saint Irénée, Contre les hérésies)


vendredi 31 janvier 2014

La dhimmitude


« Faites-leur la guerre jusqu'à ce qu’ils payent le tribut de leurs propres mains et qu’ils soient soumis » (IX, 29). Ce verset est essentiel pour comprendre le statut du non-musulman dans un État musulman. Bet Ye’or le désigne sous le terme de dhimmitude. Il correspond à un ensemble de règles mettant effectivement le non-musulman dans un état de soumission, c’est-à-dire d’infériorité et d’humiliation. Dans un article, nous avons évoqué quelques témoignages anciens décrivant ce qu’était en pratique la dhimmitude. Dans cet article, nous allons plutôt définir les règles qui régissaient le statut du dhimmi jusqu'au XIXe siècle…



Origine de la dhimmitude

Le terme de dhimmi signifie contrat et correspond à la notion de tribut. Il tient son origine d’un contrat établi entre Mahomet et les Juifs de l’oasis de Khaybar. Vaincus par les troupes musulmanes, les Juifs ont signé un pacte avec les musulmans pour continuer à vivre leur religion et garder leur terre moyennant la remise de la moitié de leurs récoltes aux musulmans. Ce contrat n’était pas définitif, Mahomet étant libre de l’abroger. Ce cas s’est répété au cours de la conquête des troupes musulmanes. Effrayées des exactions commises par les tribus arabes, des populations ont préféré signer de tels actes de soumissions. Les chrétiens et les juifs n’avaient pas d’autres choix que de se rendre s’ils ne voulaient pas connaître la mort ou l’esclavage. Un contrat les liait finalement à leurs nouveaux maîtres. La guerre se terminait donc par l’acquittement d’un tribut, en nature, en espèce ou encore en force de travail.

Statut du non-musulman

Au lendemain de leur victoire, les conquérants devaient concilier la fragilité de leur pouvoir et la faiblesse de leur effectif avec la logique inégalitaire de l’Islam. Le réalisme politique et le Coran ont alors donné naissance à « un système d’organisation politique et social dont le maître mot est la discrimination, sur la base de critère d’appartenance religieuse »[1].

Un « traité de protection » garantissait aux non-musulmans la sécurité des personnes et des biens ainsi qu’une certaine liberté de culte et d’auto-administration. En échange, ils devaient fournir un certain tribut en espèce, en nature et en corvées. Ils devaient aussi respecter des règles établissant leur infériorité par rapport aux musulmans. Ce traité n’était valable qu’à l’égard des communautés confessionnelles officielles. Les non-musulmans n’avaient de droit qu’en fonction de leur appartenance à ces communautés.

Le Coran était le fondement du régime juridique des juifs et des chrétiens. Sur la base religieuse, ils établissaient un système strictement confessionnel organisant, jusqu'au niveau du détail, la vie des communautés religieuses. Deux principes : séparation et discrimination. Par le premier, les non-musulmans gardaient une certaine autonomie au sein de leur communauté. Par le second, ils devaient se plier à des règles, à des interdits, à des restrictions qui marquent leur infériorité par rapport aux musulmans.

« Humiliation et dérision doivent être le lot de ceux qui désobéissent à Allah »[2]. Les non-musulmans étaient minoritaires de droit, et non de fait, des hôtes tolérés et marginaux. Ils devaient donc s’accommoder de leur situation et se plier aux règles de vie de ceux qui les avaient vaincus[3].

Le sol islamisé

Le statut de dhimmi se fonde sur un principe fondamental du dogme et du droit musulman : tout territoire conquis par des musulmans devient la propriété de l’Islam. Il constitue le « dâr al-islam ». La loi islamique s’applique sur cette terre et sur tous ceux qui y habitent, y compris les non-musulmans. Cette loi définit un ensemble de règles auxquelles les non-musulmans doivent se soumettre. Ces prescriptions définissaient la dhimmitude. Ceux qui étaient soumis à ces règles sont les dhimmis…

Compte tenu du principe du sol conquis, aucune terre du « dâr al-islam » ne devait appartenir à un non-musulman. Les dhimmis pouvaient cependant en principe conserver la possession du sol, en retirer l’usufruit et en hériter. En réalité, ils étaient dépossédés de leurs terres, de leur bétail et de leurs biens. Les paysanneries juives et chrétiennes finirent par disparaître en Orient.

La pression fiscale

Comme l’évoque le Coran, le dhimmi était soumis à un tribut essentiellement sous deux formes :
  • le « kharaz », impôt foncier pour qu’il jouisse de ses terres comme tributaires et usufruitiers ;
  • la « jyzya », une capitation pesant sur chaque individu, en principe mâle et majeur, une sorte de rançon.

A ces deux impôts s’ajoutaient une taxe couvrant les dépenses et l’entretien des collecteurs d’impôts, une somme globale consacrée aux réquisitions, des impôts extraordinaires, l’entretien et l’habillement des musulmans. Les dhimmi fournissaient aussi toutes sortes d’objets. Enfin, ils étaient réquisitionnés pour de lourdes corvées : constructions, routes, navigation, y compris pour la flotte de guerre. Les communautés devaient aussi acquitter d’un impôt .

L’oppression fiscale était forte au point que les juifs et les chrétiens fuyaient leurs terres et tentaient de se cacher là où ils pouvaient espérer se soustraire au fisc. Des mesures étaient alors mises en place pour enrayer l’exode : recensement de la population, passeport, interdiction de voyager, etc. Les supplices n’y manquaient pas. Les dhimmi en fuite étaient traqués.

Pour se dédommager de ceux qui étaient insolvables ou des communautés incapables de payer, l’État s’emparait de leurs femmes et de leurs enfants pour en faire des esclaves. Des témoignages nous décrivent une situation déplorable, « tableau de paysans et d‘artisans dépouillés, contraints à se cacher et à fuir de lieux en lieux – population traquée et exploitée, sur laquelle s’élevèrent les fastes des califes abbassides et la richesse de l’umma »[4]. Les Coptes se révoltèrent à plusieurs reprises, la plupart furent alors massacrés ou déportés.

Hindous forcés à subir l'humiliation
lors du paiement de la taxe Jizya
La « jizya » devait être acquittée individuellement au cours d’une cérémonie publique humiliante. En payant, le dhimmi était frappé à la nuque ou sur la tête, symbole de l’humiliation. Cette pratique était encore courante au XXe au Maroc et au Yémen. Au Moyen-âge, le dhimmi recevait un reçu de la «  jizya » sous forme de parchemin qu’il devait porter au cou ou sous forme d’un sceau scellé sur le poignet ou la poitrine. Voyager sans ce reçu pouvait signifier la mort.  Avec leurs vêtements distinctifs[5], les dhimmi étaient rapidement reconnaissables aux agents du fisc qui pouvaient leur demander la quittance sous peine d’emprisonnement immédiat.


Statut d’infériorité du dhimmi

Un musulman ne pouvait être sous l’autorité d’un non-musulman. Certaines professions lui étaient donc interdites, notamment les fonctions publiques mais aussi les activités privées dans lesquelles il aurait pu diriger du personnel musulman. A plusieurs reprises, les califes leur interdisaient des postes gouvernementaux ou de fonctionnaires.

Inégalité juridique

Un musulman ne pouvait avoir tort devant un non-musulman. Dans tout litige entre un musulman et un dhimmi, il ne pouvait y avoir d’égalité, encore moins d'équité. Le serment d’un dhimmi contre celui d’un musulman n’avait pas de validité juridique. « Le refus de recevoir le témoignage du dhimmi se fonde selon le hadith, sur la nature perverse et mensongère de l’infidèle qui s’entête à nier la supériorité de l’Islam »[6]. Le non-musulman était finalement dans l’impossibilité de contredire l’accusation d’un musulman. Il se trouvait dans une situation tragique dans le cas d’une accusation de blasphème, délit puni par la peine capitale. Seule la conversion le sauvait. « Il sera toujours impossible de prouver qu’un Turc est un faux témoin, et jamais un Turc ne portera témoignage contre un autre Turc en faveur d’un Chrétien ; c’est leur usage, c’est leur pratique constante »[7].

La loi islamique appliquait la loi du talion. « O vous qui avez un cœur ! Vous trouverez dans la peine du talion et dans la crainte qu’elle inspire la sûreté de vos jours » (II, 175). Or cette loi ne s‘appliquait qu’entre individus égaux. Elle était donc inapplicable entre un musulman et un dhimmi, en raison de la qualité humaine jugée inférieure de ce dernier. A égalité de délit, la pénalité était par exemple de moitié si la victime d’un musulman était un dhimmi. Menacer un Turc était puni d’une main coupée. Si un dhimmi osait le frapper, il était brûlé vif. Il pouvait encore espérer racheter la vie à force d’argent après bien des tourments. L’exécution d’un musulman, même coupable, était interdite si l’offensé était un dhimmi.

Discrimination religieuse

Selon les conditions de la conquête et des traités, la construction de nouvelles églises ou monastères était interdite. Seule était permise la rénovation des édifices religieux antérieurs à la conquête selon le bon vouloir des autorités. Ils ne pouvaient néanmoins être ni agrandis, ni modifiés. Dans certaines provinces, comme en Espagne ou en Syrie, les musulmans confisquaient la moitié des églises qui, par la suite, finissaient logiquement par être transformées en mosquées. Souvent, elles furent détruites ou transformées en étables.

Dans tout le dar al-islam, de nombreuses prohibitions religieuses étaient appliquées : sonneries de cloches, exposition des croix, des bannières et des icônes et autres objets de culte. Certains théologiens musulmans acceptaient des processions lorsque les chrétiens étaient majoritaires. Les enterrements et les cérémonies devaient être silencieux. Les cimetières chrétiens furent souvent  rasés et profanés.

Conclusion




Au cours des siècles, le Coran et des textes de lois, associés au pragmatisme politique, ont modelé la dhimmitude et érigé un archétype dans les perceptions collectives. Si les règles d’autrefois sont actuellement abrogées, ce modèle persiste dans les mentalités et les comportements. Au cours des siècles, se fondant sur le Coran et les hadiths, les jurisconsultes ont construit une société profondément discriminatoire et humiliante pour les non-musulmans.

Comme nous l’avons évoqué dans le précédent article, des décrets concernaient l’abaissement des maisons, le port de vêtements restrictifs et l'usage des montures, l’expulsion des postes de prestige, des pratiques de conversions forcées. Tout était bon pour souligner la supériorité des musulmans… Quelles cruelles souffrances pour les dhimmi ! Et pourtant, c'étaient eux les administrateurs, les secrétaires, les lettrés, les artisans, les paysans ! Autour d’eux subsistaient les témoignages de leur génie dans les monuments, dans les arts, dans les sculptures ! Cruelle différence entre leur statut et la réalité…

Lorsque le chrétien ou le juif est battu par un musulman, sa vie et sa protection se rachète. S’il ne se convertit pas, l’homme n’est plus qu’une somme d’argent, qu’un objet d’humiliations, de mépris. « Non seulement sa vie est monnayable, ... étant méprisable, le pouvoir qui l’épargne en est d’autant plus magnanime » [8]. Le dhimmi n’a finalement que le droit de se soumettre à ses vainqueurs. Il est condamné à être plein de gratitude envers son maître qui le tolère. Car il appartient au « dâr al-islam ».

Au Hijaz, terre originel des musulmans, où règne l’Islam, il n’y a plus de tolérance. Pour le non-musulman, c’est l’exil, la conversion ou le glaive. Le « dâr al-islam » est encore une terre de guerre. Le non-musulman est enfermé définitivement dans une condition de vaincus, sans aucune issue, sans aucune espérance si ce n’est le reniement de son âme, la négation de lui-même…



Références

[1] Jean-Pierre Valognes, Vie et Mort des chrétiens d’Orient, chapitre II, Fayard, 1994.
[2] Juriste musulman Ibn Qayyim al-Jawziyya cité dans Vie et Mort des chrétiens d’Orient.
[3] Dans le livre Vie et Mort des chrétiens d’Orient, on ose lire que les non-musulmans étaient des « minorités » qui devaient se plier aux règles de « celui qui les accueille » ! C’est justement ce que veulent faire croire les musulmans. Car il na faut pas oublier que les musulmans ont été des envahisseurs.
[4] Bet Ye’or, Chrétientés d’Orient entre jihad et dhimmitude, Chapitre II.
[5] Jaunes pour les Juifs, bleus pour les chrétiens.
[6] Bet Ye’or, Chrétientés d’Orient entre jihad et dhimmitude, Chapitre II. Voir Bohkari, Les Traditions islamiques, Paris, 1903-1914.
[7] Chevalier d’Arvieux, 
Mémoires du chevalier d’Arvieuxtome V. Confirmé aussi par un chroniquer arménien du XVIIème siècle, Arakel de Tauriz, Livre d’Histoire, 1874-1876.
[8] Bet Ye’or, Chrétientés d’Orient entre jihad et dhimmitude, Chapitre VIII.

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