" La pierre précieuse, voire de grand prix aux yeux de certains, qu'est l'émeraude, se voit insultée par un morceau de verre habilement truqué, s'il ne se rencontre personne qui soit capable de procéder à un examen et de démasquer la faute. Et lorsque de l'airain a été mêlé à l'argent, qui donc, s'il n'est connaisseur, pourra aisément le vérifier ? "(Saint Irénée, Contre les hérésies)


lundi 27 janvier 2014

Le paradoxe d'Olbers: la nuit peut révéler de profondes vérités

« Au sein d’un Univers homogène, infini dans le temps et l’espace, toute ligne de visée doit aboutir à la surface d’une étoile, et toute portion du ciel avoir l’éclat du Soleil. Pourquoi donc le ciel est-il noir la nuit ? […] En un demi-millénaire, plusieurs réponses ont été proposées ; pourtant, l’énigme n’a vraiment été comprise qu’à la fin du XXe siècle. La solution moderne révèle la profonde signification cosmologique de l’obscurité nocturne. L’histoire du paradoxe d’Olbers révèle l’ampleur des changements dans notre conception de l’Univers »[1].

Nous sommes si habitués aux choses qui nous entourent qu’elles nous paraissent normales. L’habitude crée en quelque sorte la normalité. Prenons un exemple simple : la nuit. Pourquoi est-elle noire ? L’obscurité du ciel nocturne est pourtant une énigme, connue sous le nom de paradoxe d’Olbers du nom d’un astronome allemand, Heinrich Olbers, qui écrivit un article déterminant sur ce sujet.
Une nuit normalement lumineuse dans l’Univers de Newton
Retournons au XIXe siècle. La physique de Newton domine les sciences. Elle suppose un Univers infiniment grand, éternel et invariable, rempli d’étoiles semblables. C’est un Univers stable qui tourne mécaniquement selon des lois invariables. Selon la loi de gravité, l’Univers n’a pas de centre autour duquel il tourne sinon il s’effondrerait sur ce point. Il est par conséquent rempli uniformément d’étoiles. Cela signifie que si nous regardons le ciel, nous devrions voir des étoiles dans toutes les directions. Ou encore si nous traçons une ligne droite dans le ciel à travers l’Univers, nous devrions toujours rencontrer une étoile.

Selon une loi dite seconde loi de la Thermodynamique, l’énergie va des objets chauds vers les objets froids de telle sorte que sur une longueur de temps, les différences de températures tendent à s’atténuer. Ainsi les étoiles irradient de l’énergie sous forme de lumière. De plus, selon la physique classique, la lumière se propage en ligne droite.
Ainsi dans toutes les directions où nous portons un regard, nous devrions voir une étoile donc une lumière. Le ciel tout entier devrait alors briller ...  « S'il y a réellement des soleils dans tout l'espace infini, leur ensemble est infini et alors le ciel tout entier devrait être aussi brillant que le Soleil. Car toute ligne que j'imagine tirer à partir de nos yeux rencontrera nécessairement une étoile fixe quelconque, et par conséquent tout point du ciel devrait nous envoyer de la lumière stellaire »[2].
Deux explications erronées
Nous expliquons souvent l’obscurité de la nuit en proposant deux explications hâtives en apparence sensées et pourtant erronées. Première explication possible : il fait noir parce que le Soleil ne nous éclaire plus. En fait, la lumière du Soleil nous cache la lumière des étoiles. Une fois retiré, il devrait laisser sa place à la lumière des autres étoiles. Deuxième explication : les étoiles sont trop éloignées. Nouvelle erreur…
Prenons le problème sous un autre angle. Imaginons la Terre au centre d’une sphère qui contient beaucoup d’étoiles. Imaginons un nombre important d’étoiles contenues dans l’enveloppe de la sphère. Supposons que chaque étoile ait en soi la même luminosité. La luminosité de chaque étoile dépend de sa luminosité absolue et aussi de sa distance par rapport à la Terre - plus précisément elle est inversement proportionnelle au carré de sa distance par rapport à nous. Ainsi l’ensemble des étoiles diffusent une luminosité égale au nombre d’étoiles contenues dans l’enveloppe de la sphère multipliée par la luminosité de chacune puis divisée par le carré de leur distance. Cette distance équivaut au rayon de la sphère. Nous pourrions penser que plus l’enveloppe est éloignée, moins elle est lumineuse. Est-ce vraiment exacte ?

Si les étoiles sont plus éloignées, cela signifie que le rayon de la sphère est plus grand et par conséquent que la surface de l’enveloppe est aussi plus grande. Elle contient donc plus d’étoiles, compte tenu de la répartition uniforme des étoiles dans l’espace. Or la surface d’une sphère croît avec le carré du rayon. Donc le nombre d’étoiles croît avec le carré de son rayon. Mais nous savons aussi que la luminosité de chaque étoile est réduite selon le carré du rayon. Conclusion : le nombre d’étoiles compense leur éloignement. L’enveloppe contribue finalement à la luminosité du ciel et pas uniquement les étoiles.
Or dans un Univers infini et immuable, il y a une infinie d’enveloppes d’étoiles autour de la Terre, chacune apportant sa luminosité. Le ciel doit donc être infiniment brillant. Les étoiles les plus proches occultent les étoiles les plus lointaines comme notre Soleil occulte celle de toutes les étoiles lorsqu'il fait jour. Le ciel devrait être finalement aussi brillant que sur la surface du Soleil !
La conclusion de notre raisonnement est naturellement absurde. Pourtant, notre raisonnement est exact. Donc une de nos hypothèses de départ est fausse. Nous pourrions croire que la voie lactée a un nombre réduit d’étoiles. Rapportons alors le raisonnement non plus aux étoiles mais aux galaxies. Nous obtiendrons la même conclusion. Quelle est donc l’hypothèse fausse ?

Une question insoluble
Au XVIe siècle, le mathématicien et astronome Thomas Diggs est, semble-t-il, le premier à envisager un Univers infini contrairement aux idées de l’époque, tournées vers le modèle ptoléméen, c’est-dire vers un Univers fini et centré sur la Terre [3]. Diggs disperse les étoiles au hasard dans l’espace infini. Mais il se heurte au problème de la nuit. Pourquoi cette infinité d’étoiles ne rend-elle pas lumineuse le ciel nocturne ? Pour l’expliquer, il propose alors une des solutions en apparence sensée : le ciel est obscur car la luminosité des étoiles lointaines est trop faible pour être vue. Mais cette solution ne tient pas comme nous l’avons vu. Kepler comprend en effet que « même si chaque étoile lointaine est trop faible pour être vue individuellement, le flux lumineux collectif de toutes ces étoiles devraient faire briller le ciel nocturne »[4]. Képler propose une autre solution : l’obscurité de la nuit s’explique simplement par la finitude de l’Univers. Dans un Univers infini aux étoiles dispersées dans tout l’espace, « la voûte céleste entière serait aussi lumineuse que le Soleil » [5]. Entre les étoiles, nous voyons en effet la muraille noire qui entoure l’Univers. Au XVIIIe siècle, un autre astronome, Halley, reprend l’argument de Diggs et rejette celui de Kepler.
En 1744, le mathématicien suisse Jean-Philippe Loys de Cheseaux analyse plus sérieusement la question. Au bout d’un certain nombre de calculs, il démontre en effet qu’une étoile devrait être visible dans n’importe quelle direction de l’espace. Selon ses calculs, la luminosité de la nuit serait égale à 180 000 fois supérieure à celle de la surface du Soleil ! Il en vient à conclure que : soit les étoiles ne sont pas réparties uniformément dans l’espace infini, soit que quelques choses nous empêchent de voir la lumière des étoiles lointaines. Il suppose alors que la matière interstellaire absorbe de la lumière au fur et à mesure qu’elle se propage à travers l’espace.
En 1826, Heinrich Olbers reprend cette idée d’absorption d’énergie par la matière interstellaire. Une question le perturbe : que devient cette énergie ? La matière devrait à son tour chauffer et irradier de la lumière selon la seconde loi de la thermodynamique. Finalement, la matière elle-même devrait être à son tour lumineuse. C’est pourquoi, en 1831, Johns Herschel invalide la théorie d’un milieu interstellaire absorbant l’énergie…
Edward Fournier d’Albe suggère que les étoiles ne sont pas réparties uniformément mais que certaines d’entres elles pourraient être alignées. On en vient alors à penser à un déficit d’étoiles.
La nuit est obscure car l’Univers n’a pas toujours existé…
Heinrich Olbers (1758-1840)
Le paradoxe d’Olbers s’explique pourtant simplement. La lumière voyage à travers l’espace selon une vitesse finie. Lorsque nous regardons le ciel, nous ne voyons pas en fait les étoiles telles qu'elles sont mais telles qu’elles étaient du fait de la distance qui les sépare de la Terre et du temps nécessaire pour que la lumière parcourt l’étendue qui nous sépare d'elles. La lumière de la galaxie M31 d'Andromède que nous voyons aujourd'hui a été émise il y a plus de 2 millions d'années. Il n’y a plus finalement d’énigme si nous posons l’acte de la création de l’Univers. Le ciel n’est pas lumineux car toutes les régions célestes ne sont pas accessibles. La nuit est noire car la lumière de la plupart des étoiles n’ont pas encore eu le temps de parvenir jusqu'à nous. « Les étoiles ne brillent que depuis dix milliards d’années et n’ont pas émis assez de rayonnement pour rendre lumineux le ciel nocturne » [6]. A un moment, des étoiles n’existaient pas, mieux, les étoiles n’existaient pas. L’Univers a un âge fini. Il a un commencement..

La solution est devenue envisageable en 1901, au moment où Kelvin a songé à la distance des étoiles en termes du temps de parcours de la lumière qui nous parvient. Il montre que les étoiles ne peuvent pas briller indéfiniment. « A la question de savoir où est passé l’essentiel de la lumière stellaire, Kelvin répond qu’elle ne nous est tout simplement pas encore parvenue » [7].
Pourquoi une solution si tardive ?
« Grâce à la nuit noire, ils [les philosophes des temps passés] auraient pu et dû réaliser qu’il y avait bien un début à l’Univers, et un début pas si éloigné dans le temps comparé à l’âge des étoiles »[8]. Comment cela se fait-il que tant de scientifiques n’aient pas parvenu à la même conclusion ?
Pourtant, au XVIIe siècle[9], la communauté scientifique savait que la lumière avait une vitesse finie. Imprégnée de culture chrétienne, elle pouvait penser à la Création. Est-ce leur peu de foi qui les ont conduits à un tel échec ? A-t-elle été si conditionnée par son époque qu’elle a fini par ne plus voir ? Quand Lemaître a proposé la solution de Big Bang, les scientifiques l’ont aussitôt rejetée, croyant voir une tentative de justification du dogme catholique. « Cela tient au dédain dans lequel est tenue la métaphysique, et consciemment ou non, les premiers cosmologistes des années vingt aux années soixante n’appréhendèrent pas le véritable apport métaphysique de leurs travaux » [10]. Les scientifiques ont aussi ignoré Edgard Poe et Mark Twain qui avaient montré que le paradoxe d’Olbers s’expliquait par la finitude temporelle de l’Univers. « La seule manière de rendre compte des vides que trouvent nos télescopes dans d'innombrables directions est de supposer cet arrière-plan invisible placé à une distance si prodigieuse qu'aucun rayon n'ait jamais pu parvenir jusqu'à nous » [11]. L’article de Kelvin ne reçut que peu d’attention…
Une autre réponse possible ?
Une autre solution pourrait aussi expliquer cette énigme : l’expansion de l’Univers. Hubble a en effet proposé l’idée d’un Univers qui s’étend au fur et à mesure du temps. Cette expansion serait alors responsable de la dissipation de l’énergie des étoiles. Bondi a alors proposé comme solution du paradoxe d’Olbers un Univers infini en expansion. « La solution spectaculaire de Bondi par la seule expansion de l’Univers eut un grand succès, mais la découverte en 1965 du fond de rayonnement micro-onde cosmique prouva que nous vivons bien dans un Univers d’âge fini, qui a connu un état primordial chaud et dense » [12].
L’obscurité de la nuit est ainsi un motif supplémentaire pour croire en un commencement de l’Univers et donc à la Création. La Nature révèle bien des vérités à celui qui sait la regarder.  L’Univers est une source inépuisable de questions fondamentales et finalement de profondes vérités. « Ce qu’il faut remarquer, c’est qu’il suffit souvent de quelques observations simples et d’une réflexion approfondie pour révéler des vérités profondes sur notre Univers »[13]. Hier au nom de la Raison et de la Science, des scientifiques se moquaient de l’idée même d’une création. Désormais, la Science leur demande de s’y soumettre s’ils veulent bien être raisonnables. Curieuse ironie de l’Histoire !
 « A travers les trous entre les étoiles, nous retrouvons l’origine de l’Univers »[14].




Références
[1] Jean-Marc Lévy-Leblond, Université de Nice, Pourquoi la nuit est-elle noire ?, août 2008, une traduction de David Newton, Le paradoxe d’Olbers et ses solutions, département de physique et d’astronomie de l’Université de Leeds.
[2] H. Olbers, La transparence cosmique in article http://www.futura-sciences.com, 10 mai 2010.
[3] Diggs décrit son modèle dans son livre Parfaite description des orbes célestes, Londres, 1576.
[4] Jean-Marc Lévy-Leblond, Université de Nice, Pourquoi la nuit est-elle noire ?
[5] Kepler, Conversation avec le messager céleste, 1610, répondant au livre de Galilée, Le messager des étoiles.
[6] Jean-Marc Lévy-Leblond, Université de Nice, Pourquoi la nuit est-elle noire ? 

[7] Jean-Marc Lévy-Leblond, Université de Nice, Pourquoi la nuit est-elle noire ?
[8] John Gribbin, A la poursuite du Big Bang, Interlude 1, 
1992, Flammarion.
[9] En 1676, Ole Römer démontre que la vitesse de la lumière est finie.
[10] John Gribbin, A la poursuite du Big Bang, Interlude 1.
[11] E. Poe, Eureka in article http://www.futura-sciences.com, 10 mai 2010.
[12] Jean-Marc Lévy-Leblond, Université de Nice, Pourquoi la nuit est-elle noire ?
[13] John Gribbin, A la poursuite du Big Bang, Interlude 1.
[14] Ed. Harrisson, The Dark Night Sky Paradox, 1977.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire