« Au sein d’un Univers homogène, infini dans
le temps et l’espace, toute ligne de visée doit aboutir à la surface d’une
étoile, et toute portion du ciel avoir l’éclat du Soleil. Pourquoi donc le ciel
est-il noir la nuit ? […] En un
demi-millénaire, plusieurs réponses ont été proposées ; pourtant, l’énigme n’a
vraiment été comprise qu’à la fin du XXe siècle. La solution moderne révèle la
profonde signification cosmologique de l’obscurité nocturne. L’histoire du
paradoxe d’Olbers révèle l’ampleur des changements dans notre conception de
l’Univers »[1].
Nous
sommes si habitués aux choses qui nous entourent qu’elles nous paraissent
normales. L’habitude crée en quelque sorte la normalité. Prenons un exemple
simple : la nuit. Pourquoi est-elle noire ? L’obscurité du ciel
nocturne est pourtant une énigme, connue sous le nom de paradoxe d’Olbers du
nom d’un astronome allemand, Heinrich Olbers, qui écrivit un article
déterminant sur ce sujet.
Une
nuit normalement lumineuse dans l’Univers de Newton
Retournons
au XIXe siècle. La physique de Newton domine les sciences. Elle suppose un
Univers infiniment grand, éternel et invariable, rempli d’étoiles semblables.
C’est un Univers stable qui tourne mécaniquement selon des lois invariables.
Selon la loi de gravité, l’Univers n’a pas de centre autour duquel il tourne
sinon il s’effondrerait sur ce point. Il est par conséquent rempli uniformément
d’étoiles. Cela signifie que si nous regardons le ciel, nous devrions voir des
étoiles dans toutes les directions. Ou encore si nous traçons une ligne droite
dans le ciel à travers l’Univers, nous devrions toujours rencontrer une étoile.
Selon
une loi dite seconde loi de la Thermodynamique, l’énergie va des objets chauds
vers les objets froids de telle sorte que sur une longueur de temps, les
différences de températures tendent à s’atténuer. Ainsi les étoiles irradient
de l’énergie sous forme de lumière. De plus, selon la physique classique, la lumière se propage en ligne
droite.
Ainsi dans toutes les directions où
nous portons un regard, nous devrions voir une étoile donc une lumière. Le ciel
tout entier devrait alors briller ... « S'il y a réellement des soleils dans
tout l'espace infini, leur ensemble est infini et alors le ciel tout entier
devrait être aussi brillant que le Soleil. Car toute ligne que j'imagine tirer
à partir de nos yeux rencontrera nécessairement une étoile fixe quelconque, et
par conséquent tout point du ciel devrait nous envoyer de la lumière stellaire »[2].
Deux
explications erronées
Nous expliquons souvent l’obscurité de la nuit en proposant deux explications hâtives en apparence
sensées et pourtant erronées. Première explication possible : il fait noir
parce que le Soleil ne nous éclaire plus. En fait, la lumière du Soleil nous
cache la lumière des étoiles. Une fois retiré, il devrait laisser sa place à la lumière des autres étoiles. Deuxième explication : les étoiles sont trop
éloignées. Nouvelle erreur…
Prenons
le problème sous un autre angle. Imaginons la Terre au centre d’une sphère qui contient
beaucoup d’étoiles. Imaginons un nombre important d’étoiles contenues
dans l’enveloppe de la sphère. Supposons que chaque étoile ait en soi la même
luminosité. La luminosité de chaque étoile dépend de sa luminosité absolue et
aussi de sa distance par rapport à la Terre - plus précisément elle est
inversement proportionnelle au carré de sa distance par rapport à nous. Ainsi l’ensemble
des étoiles diffusent une luminosité égale au nombre d’étoiles contenues dans
l’enveloppe de la sphère multipliée par la luminosité de chacune puis divisée
par le carré de leur distance. Cette distance équivaut au rayon de la sphère.
Nous pourrions penser que plus l’enveloppe est éloignée, moins elle est
lumineuse. Est-ce vraiment exacte ?
Si
les étoiles sont plus éloignées, cela signifie que le rayon de la sphère est
plus grand et par conséquent que la surface de l’enveloppe est aussi plus
grande. Elle contient donc plus d’étoiles, compte tenu de la répartition
uniforme des étoiles dans l’espace. Or la surface d’une sphère croît avec le
carré du rayon. Donc le nombre d’étoiles croît avec le carré de son rayon. Mais
nous savons aussi que la luminosité de chaque étoile est réduite selon le carré
du rayon. Conclusion : le nombre d’étoiles compense leur éloignement. L’enveloppe
contribue finalement à la luminosité du ciel et pas uniquement les étoiles.
Or dans
un Univers infini et immuable, il y a une infinie d’enveloppes d’étoiles autour
de la Terre, chacune apportant sa luminosité. Le ciel doit donc être infiniment
brillant. Les étoiles les plus proches occultent les étoiles les plus
lointaines comme notre Soleil occulte celle de toutes les étoiles lorsqu'il
fait jour. Le ciel devrait être finalement aussi brillant que sur la surface du
Soleil !
La
conclusion de notre raisonnement est naturellement absurde. Pourtant, notre
raisonnement est exact. Donc une de nos hypothèses de départ est fausse. Nous
pourrions croire que la voie lactée a un nombre réduit d’étoiles. Rapportons alors
le raisonnement non plus aux étoiles mais aux galaxies. Nous obtiendrons la
même conclusion. Quelle est donc l’hypothèse fausse ?
Une
question insoluble
Au XVIe siècle, le mathématicien
et astronome Thomas Diggs est, semble-t-il, le premier à envisager un Univers infini
contrairement aux idées de l’époque, tournées vers le modèle ptoléméen,
c’est-dire vers un Univers fini et centré sur la Terre [3]. Diggs
disperse les étoiles au hasard dans l’espace infini. Mais il se heurte au
problème de la nuit. Pourquoi cette infinité d’étoiles ne rend-elle pas
lumineuse le ciel nocturne ? Pour l’expliquer, il propose alors une des solutions en
apparence sensée : le ciel est obscur car la luminosité des étoiles lointaines
est trop faible pour être vue. Mais cette solution ne tient pas comme nous
l’avons vu. Kepler comprend en effet que « même si chaque étoile lointaine est trop faible pour être vue
individuellement, le flux lumineux collectif de toutes ces étoiles devraient
faire briller le ciel nocturne »[4]. Képler propose une autre solution : l’obscurité de la nuit s’explique simplement par la finitude de
l’Univers. Dans un Univers infini aux étoiles dispersées dans tout l’espace, « la voûte céleste entière serait aussi
lumineuse que le Soleil » [5].
Entre les étoiles, nous voyons en effet la muraille noire qui entoure
l’Univers. Au XVIIIe siècle, un autre astronome, Halley, reprend l’argument
de Diggs et rejette celui de Kepler.
En
1744, le mathématicien suisse Jean-Philippe Loys de Cheseaux analyse plus
sérieusement la question. Au bout d’un certain nombre de calculs, il démontre
en effet qu’une étoile devrait être visible dans n’importe quelle direction de
l’espace. Selon ses calculs, la luminosité de la nuit serait égale à 180 000
fois supérieure à celle de la surface du Soleil ! Il en vient à conclure
que : soit les étoiles ne sont pas réparties uniformément dans l’espace
infini, soit que quelques choses nous empêchent de voir la lumière des étoiles
lointaines. Il suppose alors que la matière interstellaire absorbe de la
lumière au fur et à mesure qu’elle se propage à travers l’espace.
En
1826, Heinrich Olbers reprend cette idée d’absorption d’énergie par la matière interstellaire.
Une question le perturbe : que devient cette énergie ? La matière
devrait à son tour chauffer et irradier de la lumière selon la seconde loi de
la thermodynamique. Finalement, la matière elle-même devrait être à son tour
lumineuse. C’est pourquoi, en 1831, Johns Herschel invalide la théorie d’un
milieu interstellaire absorbant l’énergie…
Edward
Fournier d’Albe suggère que les étoiles ne sont pas réparties uniformément mais
que certaines d’entres elles pourraient être alignées. On en vient alors à
penser à un déficit d’étoiles.
La
nuit est obscure car l’Univers n’a pas toujours existé…
Heinrich Olbers (1758-1840) |
Le paradoxe d’Olbers s’explique
pourtant simplement. La lumière voyage à travers l’espace selon une vitesse
finie. Lorsque nous regardons le ciel, nous ne voyons pas en fait les étoiles telles qu'elles sont mais telles qu’elles étaient du
fait de la distance qui les sépare de la Terre et du temps nécessaire pour que la lumière parcourt
l’étendue qui nous sépare d'elles. La lumière de la galaxie M31 d'Andromède que nous
voyons aujourd'hui a été émise il y a plus de 2 millions d'années. Il n’y a
plus finalement d’énigme si nous posons l’acte de la création de l’Univers. Le
ciel n’est pas lumineux car toutes les régions célestes ne sont pas accessibles.
La nuit est noire car la lumière de la plupart des étoiles n’ont pas encore eu le temps de parvenir
jusqu'à nous. « Les étoiles ne
brillent que depuis dix milliards d’années et n’ont pas émis assez de
rayonnement pour rendre lumineux le ciel nocturne » [6].
A un moment, des étoiles n’existaient pas, mieux, les étoiles n’existaient pas.
L’Univers a un âge fini. Il a un commencement..
La solution est devenue envisageable
en 1901, au moment où Kelvin a songé à la distance des étoiles en termes du
temps de parcours de la lumière qui nous parvient. Il montre que les étoiles ne
peuvent pas briller indéfiniment. « A la question de savoir où est passé
l’essentiel de la lumière stellaire, Kelvin répond qu’elle ne nous est tout
simplement pas encore parvenue »
[7].
Pourquoi une solution si tardive ?
« Grâce à la nuit noire, ils [les
philosophes des temps passés] auraient pu
et dû réaliser qu’il y avait bien un début à l’Univers, et un début pas si
éloigné dans le temps comparé à l’âge des étoiles »[8].
Comment cela se fait-il que tant de scientifiques n’aient pas parvenu à la même
conclusion ?
Pourtant,
au XVIIe siècle[9],
la communauté scientifique savait que la lumière avait une vitesse finie.
Imprégnée de culture chrétienne, elle pouvait penser à la Création. Est-ce leur
peu de foi qui les ont conduits à un tel échec ? A-t-elle été si
conditionnée par son époque qu’elle a fini par ne plus voir ? Quand
Lemaître a proposé la solution de Big Bang, les scientifiques l’ont aussitôt
rejetée, croyant voir une tentative de justification du dogme
catholique. « Cela tient au
dédain dans lequel est tenue la métaphysique, et consciemment ou non, les
premiers cosmologistes des années vingt aux années soixante n’appréhendèrent
pas le véritable apport métaphysique de leurs travaux » [10].
Les scientifiques ont aussi ignoré Edgard Poe et Mark Twain qui avaient montré
que le paradoxe d’Olbers s’expliquait par la finitude temporelle de l’Univers. « La seule manière de rendre compte des vides que
trouvent nos télescopes dans d'innombrables
directions est de supposer cet arrière-plan invisible placé à une distance si
prodigieuse qu'aucun rayon n'ait jamais pu parvenir jusqu'à nous »
[11].
L’article
de Kelvin ne reçut que peu d’attention…
Une
autre réponse possible ?
Une autre solution pourrait aussi
expliquer cette énigme : l’expansion de l’Univers. Hubble a en effet
proposé l’idée d’un Univers qui s’étend au fur et à mesure du temps. Cette
expansion serait alors responsable de la dissipation de l’énergie des étoiles. Bondi
a alors proposé comme solution du paradoxe d’Olbers un Univers infini en
expansion. « La solution
spectaculaire de Bondi par la seule expansion de l’Univers eut un grand succès,
mais la découverte en 1965 du fond de rayonnement micro-onde cosmique prouva
que nous vivons bien dans un Univers d’âge fini, qui a connu un état primordial
chaud et dense » [12].
L’obscurité
de la nuit est ainsi un motif supplémentaire pour croire en un commencement de
l’Univers et donc à la Création. La Nature révèle bien des vérités à celui qui sait
la regarder. L’Univers est une
source inépuisable de questions fondamentales et finalement de profondes
vérités. « Ce qu’il faut remarquer,
c’est qu’il suffit souvent de quelques observations simples et d’une réflexion
approfondie pour révéler des vérités profondes sur notre Univers »[13].
Hier au nom de la Raison et de la Science, des scientifiques se moquaient de
l’idée même d’une création. Désormais, la Science leur demande de s’y soumettre
s’ils veulent bien être raisonnables. Curieuse ironie de l’Histoire !
« A
travers les trous entre les étoiles, nous retrouvons l’origine de l’Univers »[14].
Références
[1] Jean-Marc Lévy-Leblond, Université de Nice, Pourquoi la nuit est-elle noire ?, août 2008, une traduction de David Newton, Le paradoxe d’Olbers et ses solutions, département de physique et d’astronomie de l’Université de Leeds.
[2] H. Olbers, La transparence cosmique in article http://www.futura-sciences.com, 10 mai 2010.
[3] Diggs décrit son modèle dans son livre Parfaite description des orbes célestes, Londres, 1576.
[4] Jean-Marc Lévy-Leblond, Université de Nice, Pourquoi la nuit est-elle noire ?
[5] Kepler, Conversation avec le messager céleste, 1610, répondant au livre de Galilée, Le messager des étoiles.
[6] Jean-Marc Lévy-Leblond, Université de Nice, Pourquoi la nuit est-elle noire ?
[7] Jean-Marc Lévy-Leblond, Université de Nice, Pourquoi la nuit est-elle noire ?
[8] John Gribbin, A la poursuite du Big Bang, Interlude 1, 1992, Flammarion.
[9] En 1676, Ole Römer démontre que la vitesse de la lumière est finie.
[10] John Gribbin, A la poursuite du Big Bang, Interlude 1.
[11] E. Poe, Eureka in article http://www.futura-sciences.com, 10 mai 2010.
[12] Jean-Marc Lévy-Leblond, Université de Nice, Pourquoi la nuit est-elle noire ?
[13] John Gribbin, A la poursuite du Big Bang, Interlude 1.
[14] Ed. Harrisson, The Dark Night Sky Paradox, 1977.
[8] John Gribbin, A la poursuite du Big Bang, Interlude 1, 1992, Flammarion.
[10] John Gribbin, A la poursuite du Big Bang, Interlude 1.
[11] E. Poe, Eureka in article http://www.futura-sciences.com, 10 mai 2010.
[12] Jean-Marc Lévy-Leblond, Université de Nice, Pourquoi la nuit est-elle noire ?
[13] John Gribbin, A la poursuite du Big Bang, Interlude 1.
[14] Ed. Harrisson, The Dark Night Sky Paradox, 1977.
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