" La pierre précieuse, voire de grand prix aux yeux de certains, qu'est l'émeraude, se voit insultée par un morceau de verre habilement truqué, s'il ne se rencontre personne qui soit capable de procéder à un examen et de démasquer la faute. Et lorsque de l'airain a été mêlé à l'argent, qui donc, s'il n'est connaisseur, pourra aisément le vérifier ? "(Saint Irénée, Contre les hérésies)


jeudi 16 janvier 2014

Croire pour comprendre ( partie 3/3) dans le domaine religieux

Dans les deux articles précédents, nous avons montré que quotidiennement, nous croyons avant de comprendre, non par paresse ou incrédulité mais par nécessité et par sagesse. Telle personne digne de croyance nous communique une nouvelle et nous le croyons. Telle émission reconnue nous délivre de la connaissance et nous la croyons aussi.  Les relations entre le maître et l'élève nécessite avant tout des liens de confiance et d'amitié intellectuelle. Ce que nous faisons donc tous les jours avec sagesse devons-nous y renoncer en matière de religion ? « Fais-moi voir qu'en fait de religion, il n'y a pas de honte à croire avant de savoir » [1](23). S’il faut un maître pour connaître des choses profanes, combien il est alors plus sage de se confier à un maître véritable pour atteindre la connaissance de Dieu ? Connaissance si élevée et encore plus difficile à atteindre !


Cette connaissance n’est pas impossible comme le proclame l’Église catholique. Il est possible de connaître l’existence de Dieu et certaines de ses qualités par la seule force de la raison mais ce n’est une « affaire considérable » [1](X, 23) que tous les hommes ne sont pas capables de le faire.  Arpenter les chemins sinueux et difficiles de la raison n’est pas en effet une chose sans risque. Nombre d’hommes intelligents se sont égarés et n’ont jamais atteint leur destination. En matière profane, l’histoire de la Science recèle de nombreux exemples. Que d’écueils en effet dans la recherche de la Vérité, y compris en Science ? L’histoire de la Science suffirait à nous en convaincre. 

Est-il alors sage de proposer une démarche sûre pour des hommes peu doués dans ce domaine si périlleux ? Est-il déraisonnable de vouloir imposer un tel chemin pour des hommes qui n’ont guère le temps de la rigueur et de la prudence ?

« Supposons que tu viennes avec toute la sincérité de l'âme prendre des leçons sur la religion, et que tu sois du petit nombre de ces hommes capables de saisir les raisonnements par lesquels on arrive à la connaissance certaine de la nature divine ; les autres hommes qui ne sont pas doués d'un esprit aussi heureux, devra-t-on leur refuser l'entrée de la religion, ou bien les conduire lentement et par degrés jusqu'au fond du sanctuaire ? » [1]. Si nous croyons – et c’est encore une affaire de croyance – que la religion est une affaire considérable pour l’homme, pourrons-nous accepter de repousser et de rejeter des hommes par incompréhension ? « Nul homme, désireux d'une chose aussi importante, ne saurait mériter à tes yeux qu'on l'abandonne ou qu'on le repousse » [1]. Le Ciel n'est pas seulement accessible à une élite intellectuelle. Le véritable bonheur est accessible à tous...


Mais plus encore, il est avantageux de croire avant de comprendre. Plus encore que la connaissance du profane, la connaissance du religieux nécessite un état d’âme. Sans purification, pas de regard apte à se porter sur les choses sacrées. « N'es-tu pas d'avis que si cet homme ne croit d'abord parvenir à son but, s'il ne recoure à la prière, et ne se purifie par un certain genre de vie en se soumettant à quelques préceptes élevés et nécessaires, il ne saurait comprendre une doctrine qui est la vérité pure ? »[1]. 

Ainsi, « pour moi, croire avant le raisonnement, lorsque l'on n'est pas capable de comprendre le raisonnement, et préparer par la foi même son âme à recevoir les semences de la vérité, c'est là une chose non-seulement très salutaire, mais tellement nécessaire que sans elle les âmes malades ne peuvent revenir à la santé. » [1](31). La croyance n’est donc pas blâmable ! Elle est une nécessité…

Même si nous sommes capables d’accéder à cette connaissance par la raison, et compte tenu de l’importance de la matière et des risques d’égarement, ne souhaitons pas « avancer quelque temps sur une voie parfaitement sûre, plutôt que d'être pour soi-même une cause de danger, et pour les autres un exemple de témérité ? » (24). Nous avons besoin de sûreté dans notre démarche, indispensable à la sérénité et à la paix intérieure.

Et comment pouvons-nous chercher Dieu sans croire qu’il existe ? « C'est avec raison que cette doctrine si majestueuse de l'Église catholique a établi que, pour arriver à la religion, il faut avant tout avoir la foi » (29). 

Enfin devons-nous refuser de ne pas entendre la Science qui aujourd'hui nous apprend que la raison connaît des limites ? Nous ne pouvons pas tout apprendre de la raison. Ainsi devons-nous obligatoirement nous confier à d’autres modes de connaissance dans la compréhension de la réalité

Notre expérience et notre bon sens suffisent à nous montrer combien la recherche de Dieu par notre seule raison est vouée à l’échec. La multitude de religions actuelles et d’opinions athées suffisent à le prouver. Sans cette croyance, nous serions condamnés au scepticisme… 

L’Église nous dit que Dieu même nous a révélé des vérités dont certaines sont inaccessibles à la raison. Si nous croyons en Dieu, comment ne pouvons-nous pas croire qu’Il puisse nous transmettre une telle connaissance ?... Comment enfin purifier notre vie et nos mœurs pour être à même de guider la raison si Dieu ne peut venir à notre secours ? … Et si nous refusons de croire qu’Il peut nous faire connaître, c’est-à-dire éclairer notre intelligence, autant de ne pas chercher ce qu’est la vraie religion… 

Alors si nous croyons en Dieu, nous croyons alors raisonnablement qu’Il a nécessairement établi une autorité capable de "certifier" les connaissances qu’Il a révélées aux hommes. « Si la Providence divine ne préside pas aux choses humaines, inutile de s'occuper de la religion. Mais si l'aspect de l'univers qu'il faut nécessairement faire remonter à une source de beauté et de vérité, si je ne sais quel sentiment intérieur engage les meilleures âmes, soit réunies, soit isolées, à chercher Dieu et à le servir, il faut reconnaître que Dieu lui-même a établi une certaine autorité, qui nous sert comme d'échelle assurée pour nous élever à lui. » [1]. Dieu a du nous donner une assurance que seule peut donner une autorité qu'Il a lui-même garantie. Selon Saint Augustin, cette autorité est accréditée par les miracles et la multitude des croyants. 

L’accès à la Vérité nécessite avant tout la Sagesse. « Il s'agit ici d'arriver à la sagesse, c'est-à-dire de se rapprocher de la Vérité, ce que l'âme souillée assurément ne saurait faire. » [1] Qu’est-ce que la souillure de l’âme ? « […] pour le dire en peu de mots, l'amour de toutes choses, excepté de l'âme et de Dieu ; plus on est purifié de ces souillures, plus on aperçoit facilement la vérité ». Ainsi si nous sommes en quête de Dieu, il est nécessaire avant tout de connaître la pureté de notre âme. « Quand donc un homme ne peut pas apercevoir le vrai, l'autorité est là pour le mettre à même de le faire et pour l'engager à se purifier. ».

Conclusion des trois articles...

Ainsi toute connaissance commence par une croyance, notamment par une appréciation de son savoir et de ses qualités, par la connaissance de soi. Non seulement naturelle, cette démarche est une nécessité tant intellectuelle que sociale. En outre, nous avons besoin d’une autorité indiscutable pour nous guider sereinement dans le chemin du savoir et pour atteindre la Vérité qui apporte la véritable paix. Car nous recherchons avant tout non pas la connaissance en elle-même mais mais la certitude d'être dans le Vrai. La règle que définit l’Église catholique n’est donc pas spécifique à la religion mais à toute recherche de Vérité. 

Nous croyons finalement avant de comprendre. Cette démarche est encore plus nécessaire dans la quête de la vraie religion, compte tenu de l’importance du sujet, de ses difficultés et de nos faiblesses. « Et si toute science, quelque peu importante, quelque facile qu'elle soit, exige les leçons d'un maître pour être comprise, n'est-ce pas le comble de la témérité et de l'orgueil, quand il s'agit de livres remplis d'enseignements divins, de se refuser à entendre leurs interprètes, et de vouloir les condamner sans les connaître ? » [1](35)

Finalement, il est impossible en pratique d’acquérir de la connaissance et encore moins d’adhérer à la religion sans « le joug d’une autorité ». Ce joug nous garantit, surtout pour les moins doués, la véritable quiétude de l'âme et de l'intelligence… 

Il ne s’agit donc pas d’opposer la croyance et la connaissance, la foi et la raison mais de comprendre qu'il est sage de se rallier à une autorité. Sinon, l’homme risque d’être « épuisé et desséché par une longue soif »[1], de rechercher avidement la Vérité sans jamais être sûre de la trouver. Il serait voué au désespoir… ou au scepticisme...

Le véritable enjeu, le seule qui compte finalement, est de se rallier à la bonne autorité. Qui pourrait nous fournir la connaissance dont nous avons besoin en étant sûr de ne pas nous tromper et de ne pas être trompés ? … Le discernement de la véritable autorité est donc primordial… « La question qui se pose aujourd'hui, est celle des autorités auxquelles il faut croire avant qu’on soit capable de réfléchir sur le divin et l’invisible »[2]. Ce jugement se fonde sur ce que nous appelons les motifs de crédibilité. La raison a aussi un rôle essentiel dans la quête de la Vérité…




[1] Saint Augustin, De utilitate Credendi.
[2] Saint Augustin, De vera religione, XXV, 47.

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