" La pierre précieuse, voire de grand prix aux yeux de certains, qu'est l'émeraude, se voit insultée par un morceau de verre habilement truqué, s'il ne se rencontre personne qui soit capable de procéder à un examen et de démasquer la faute. Et lorsque de l'airain a été mêlé à l'argent, qui donc, s'il n'est connaisseur, pourra aisément le vérifier ? "(Saint Irénée, Contre les hérésies)


mercredi 8 janvier 2014

Croire pour comprendre (partie 1/3) : contre le manichéisme, une leçon toujours actuelle...


Ancien manichéen, Saint Augustin est probablement l’adversaire le plus redoutable du manichéisme. Il en a clairement compris les principes et peut donc les réfuter efficacement. Le succès d’un combat dépend fortement de la connaissance exacte que nous avons de nos adversaires. Le manichéisme appuie notamment son discours sur deux points : 

- une forte critique à l’égard du christianisme, accusé de vouloir imposer la Vérité par la seule force de l’autorité ;

- sa prétention de la trouver par la seule démarche de la raison

Saint Augustin porte d’abord son attaque sur ces deux points et en vient à approfondir les relations entre la raison et la foi, et notamment au rôle de l'autorité dans la connaissance de la vérité. Sa leçon reste encore pertinente non seulement pour défendre notre foi face au rationaliste mais aussi pour retrouver des principes de l’enseignement…

Un chrétien n’est pas un crédule…

Saint Augustin défend l’Église, « soucieuse de défendre la règle de foi et l’autorité vivante que cette règle de foi postule, soucieuse tout autant de préserver l’exercice de l’intelligence dans les lignes de la règle de foi et d’accord avec la tradition et les Saints Pères »[1]. Il nous rappelle le cadre dans lequel doit s’exercer notre intelligence à l’égard de la foi. L’Église ne nous demande pas de ne pas réfléchir mais nous donne des règles pour réfléchir efficacement et sereinement. La foi n’implique pas nécessairement la crédulité. 

Certes nous ne pouvons ignorer ni la foi du charbonnier ni les fautes commises au nom de la foi mais nous ne devons pas non plus oublier les nombreux chrétiens savants comme les œuvres chrétiennes qui reflètent toute la puissance de la raison au service de la foi…

Croire que l’Église incite l’homme à être crédule, c’est se montrer bien ignorant de notre histoire et se laisser porter par une crédulité affligeante…

La difficulté de connaître

Dans un de ses ouvrages, Saint Augustin s’adresse à Honoratus, un « esprit cultivé, indépendant, très épris de réflexion critique et, semble-t-il, personnage haut placé »[2](Introduction). Après l’avoir entraîné au manichéisme lorsque lui-même il était manichéen, il veut désormais le convertir au catholicisme. « Tu sais, mon cher Honorat, que si nous sommes tombés dans les pièges de ces sectaires, c'est uniquement parce que, écartant une autorité redoutable, ils disaient se servir de la raison pure et simple pour mener à Dieu ceux qui voudraient les entendre, et pour les délivrer de toute espèce d'erreur »[2](Introduction).

Saint Augustin part de leur expérience commune, de leur désir de vérité. « La vérité qui fut dès notre première jeunesse, comme tu le sais, l’objet de notre amour le plus ardent » [1]. Mais il avoue son impuissance passée à satisfaire son désir. Il ne suffit pas de vouloir pour accéder à la vérité. « Jour et nuit, je m’efforce de contempler [Notre Seigneur] : mais, à cause de mes péchés et de ma routine, le regard de mon âme souffre encore de la blessure de mes vieilles idées. Je reconnais donc mon impuissance et souvent je pleure dans ma prière […]. Je ne nie pas qu’il existe pour l’âme un bien vraiment unique et ineffable visible à la pensée ; mais j’avoue en pleurant et gémissant que je ne suis pas encore capable de le contempler » [2](II, 4).

Combien en effet il lui est difficile et douloureux de connaître et de saisir la Vérité ! A travers ses écrits, nous voyons en effet un homme épris de connaissance, profondément et sincèrement soucieux de connaître la Vérité. Même la plus grande volonté ne suffit pas. Il est si facile de se tromper et de croire être dans le vrai ! Nous pouvons être profondément sincères dans l’erreur. 

Le véritable obstacle dans la quête de la Vérité est d’ordre spirituel et moral. La Vérité se doit avant tout d’être accompagnée de la Sagesse. Est sage celui qui ne se confie pas en ses propres forces. Est alors sage celui qui a recourt à la sagesse de celui qui sait. Notre âme « demeure, nous le constatons, dans l’erreur et la déraison jusqu’à ce qu’elle ait atteint et acquis la sagesse, en quoi justement, d’ailleurs, consiste peut-être la vraie religion » [2](VII, 14). Il est illusoire et dangereux de se reposer sur sa seule raison pour être dans le Vrai. Pour être dans le Vrai faut-il avant tout être  dans les dispositions pour l’être…

Savoir sans croire, impossible…

Les manichéens prétendent ne pas croire sans savoir. Mais, « dans la vie pratique, je ne vois vraiment pas comment un homme pourrait ne rien croire » [2](XII, 25). S’ils ne veulent pas croire ce qu’ils ne savent pas, il leur est alors impossible d’éduquer des enfants. 

Regardons notre proche passé. Depuis les années 68, des expériences ont été menées pour que les élèves –aujourd'hui appelés apprenants - apprennent d’eux-mêmes ce qu’ils ne savent pas. Cette expérience a aussi été menée dans des séminaires catholiques. Ils devaient par eux-mêmes apprendre. Le rôle du maître consistait alors à leur apprendre à apprendre. Nous savons aujourd'hui combien ces idées ont été naïves et dangereuses, contraires aux principes même de l’éducation ! Nous payons encore chèrement le prix de cette folie qui pourtant s’acharne à persister. Car connaître sans croire ou connaître sans maître, c’est véritablement folie…

Le maître est détenteur d’un savoir et d’une sagesse. Il transmet non seulement ses connaissances mais aussi cette sagesse. Pour cela, l’élève doit croire en lui comme le maître doit croire en son élève. Avant toute transmission, un lien de confiance doit s’établir entre eux. La croyance est donc préalable à la connaissance sans que cela soit blâmable. Elle est même le fondement de toute relation sociale, de toute société…

Comment connaître le Vrai ?





Saint Augustin rappelle à son ami qu’ils ont aimé un idéal que bien peu de personnes sont capables d’atteindre : avoir les mêmes connaissances que celles des maîtres réputés. A ce désir s’est associée une volonté de fer. Ils ont effectivement fait des efforts extraordinaires pour atteindre leur objectif. Sans ce désir et cette volonté, il est bien vain d’espérer atteindre cet idéal. Or parmi la masse des ignorants, bien peu d’hommes y parviennent, à s’en servir encore moins, à s’y illustrer fort rares. Il leur manque en effet soit cet amour de la Vérité, soit la volonté de la connaître, voire ces deux moteurs de la connaissance …

Pourquoi la multitude ne parvient-elle pas à atteindre la Vérité ? « C’était simplement parce que lui échappait la méthode même de la recherche » [2](VIII, 20). Faut-il déjà en effet apprendre à la trouver ! Comment en effet reconnaître la Vérité parmi tout ce qui est possible de trouver et de comprendre ? « Ne connaissant rien à la poésie, tu n’oserais pas aborder Térence sans un initiateur » [2](VIII, 17). Il est avant tout nécessaire de se rapprocher de celui qui sait. Ce n’est qu’au travers de maîtres incontestables dans leur matière qu’il est possible de connaître. 

Aujourd'hui encore, la connaissance passe par de tels maîtres. De nombreuses informations nous sont accessibles par les livres et par Internet. Nous sommes même submergés d’informations de toute sorte, de tout niveau d’importance. Comment pouvons-nous seuls juger de leur véracité et de leur utilité ? Nous risquons de nous perdre dans l’erreur ou la futilité… 

La crédibilité d’une information se juge notamment par l’autorité de celui qui la livre, autorité qui transparaît par ses titres et ses compétences, par les sources sur lesquelles il s’appuie, références qui revêtent elles-mêmes d’une certaine autorité. La reconnaissance de ses pairs dans son domaine de savoir apporte également crédit à son discours. Un physicien reconnu dans la communauté scientifique a davantage de crédibilité qu’un étudiant. Dans certaines écoles supérieures, les élèves ont tendance à choisir leurs cours en fonction des professeurs et plus particulièrement de leur réputation. D'autres critères apportent de la crédibilité à l’autorité du maître…

Récemment, nous avons rencontré un partisan du « social learning», ou de l'apprentissage par le social. Un adepte de 68 mais modernisé. Au lieu des cours improvisés et libérés de toute contrainte des années 68, il voit la connaissance dans les réseaux sociaux et dans la technologie. Une connaissance acquise par ces moyens se rapproche plus de l’opinion. Il pensait - et le pense sans-doute encore – que le « social » multiplié par Internet est source de vraie connaissance, la multitude se comportant comme un système régulateur qui à partir de nombreux rapports et dialogues qui se nouent fournit du savoir. Non seulement il oubliait la spécificité du monde virtuel mais il confondait connaissance et réflexion. Certes chacun peut apporter son savoir dans une discussion mais qui garantie, évalue et légitime la véracité de ce savoir ? Un expert en informatique n’a aucune légitimité en soi pour nous enseigner l’Histoire. Nous savons aussi que la multitude ne rime pas avec la qualité. Wikipédia n’est pas toujours une référence de connaissance. 


Pour apprendre, il faut nécessairement être l’élève d’un maître qui sait. Principe immuable de l’enseignement. Et plus les relations entre eux se fondent sur la confiance, plus l’élève s’élèvera et surpassera le maître … Sans confiance, point d’efficacité… L’acquisition de connaissance est toujours une question de confiance et donc de croyance. Une amitié entre deux intelligences…



A la recherche de maîtres

Si nous voulons apprendre à observer le ciel, nous allons interroger des astronomes reconnus. Nous allons par exemple chercher un site Web fiable pour récupérer des textes et des vidéos qui nous permettront de nous guider dans notre soif de connaissance. Nous cherchons naturellement le savoir auprès de ceux qui savent et sont reconnus comme tels. Nous cherchons donc avant tout une garantie, celle de ne pas être trompés. Nous voulons aussi gagner du temps. Est-il en effet raisonnable de refaire le chemin que des générations d’astronomes ont déjà parcouru depuis des siècles ? Notre existence ne suffira pas. L’autorité des maîtres nous garantit un accès rapide à un héritage solide et de qualité. Il délivre en quelque sorte une connaissance certifiée, authentique. 

Cette démarche, nous l’appliquons souvent dans notre vie quotidienne. Elle est même devenue cruciale dans une société où l’information en quantité extraordinaire et en qualité très variable est si accessible. Disposer d'une information ne suffit pour connaître et encore moins enseigner. C'est pourquoi les sociétés qui délivrent une formation cherchent avant tout une certification. Elle leur permet en outre de montrer leur excellence. Il ne s’agit pas de se prétendre maître pour l’être. Il est nécessaire d’obtenir une reconnaissance d’une autorité jugée indéfectible. C’est tout le rôle des diplômes et des diverses certifications qui existent aujourd'hui.

(à suivre)



Références
[1] Pierre Batiffol, Le Catholicisme de Saint Augustin, Introduction. 
[2] Saint Augustin, De utilitate Credendi.

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