" La pierre précieuse, voire de grand prix aux yeux de certains, qu'est l'émeraude, se voit insultée par un morceau de verre habilement truqué, s'il ne se rencontre personne qui soit capable de procéder à un examen et de démasquer la faute. Et lorsque de l'airain a été mêlé à l'argent, qui donc, s'il n'est connaisseur, pourra aisément le vérifier ? "(Saint Irénée, Contre les hérésies)


vendredi 31 mai 2013

Démasquer l'erreur et présenter la vérité

Pour défendre et transmettre la foi, devons-nous toujours exposer les erreurs et les comportements indignes, surtout à une époque où l'information, la bonne comme la pire, est accessible à tous ? 

Nous avons pris comme principe de notre action la citation de Saint Irène de Lyon. La meilleur façon de lutter contre l'erreur est de la démasquer en l'exposant clairement et en présentant la vérité telle qu'elle est enseignée par l'Eglise. Notre action comprend deux phases : 

  • démasquer l'erreur :
    • présenter la doctrine ou la théorie erronée telle qu'elle est exposée par leur auteur, en partant si possible de leurs propos, puis à partir de leurs disciples et des différents commentateurs partisans ou adversaires ;
    • fournir des informations permettant de comprendre la doctrine ou la théorie ;
    • identifier les erreurs, les sources et les principes d'où elles découlent, en s'aidant des commentateurs et des critiques ;
  • présenter la vérité :
    • présenter la doctrine remise en cause selon l'enseignement de l'Eglise ;
    • puiser les arguments dans la Révélation, la Sainte Ecriture et la Tradition, sous la lumière de la foi.

Notre action a donc un double aspect négatif et positif afin que l'esprit se détourne de l'obscurité pour se tourner vers la lumière. Car dans le domaine uniquement naturel, nous sommes convaincus que transmettre la foi nécessite avant tout une prise de conscience. Aujourd'hui, dans notre société déstructurante qui perd progressivement sa culture chrétienne et se dilue dans l'indifférentisme, le scepticisme et l'amoralisme, nous avons surtout besoin de tourner notre regard vers la lumière et de quitter les ténèbres dans lesquels nous sommes plongés progressivement. L'homme sommeille dans un monde de pensées qui n'est pas le monde dans lequel il vit. Il est enfermé dans un cadre de plus en plus éloigné de la vérité. Briser son sommeil et éveiller en lui un autre regard...Qu'il se pose déjà de bonnes questions ! Et il pourra être libre d'entendre la vérité...

Exposer uniquement le "mal" est insuffisant et devient même dangereux. 

En exposant uniquement l'erreur, nous biaisons la réalité. Elle apparaît sous son seul aspect mauvais. Et c'est si simple d'accuser quand nous ne sommes pas à la barre ! Certes l'obscurité est grande mais que de lumières aussi autour de nous ! Rien n'est perdu. Au contraire, nous sommes convaincu de la victoire de Dieu. Ce n'est qu'une question de temps. Un jour, les murs de la prison s'écrouleront. L'Eglise recèle en outre un trésor fabuleux que nous devons préserver de l'oubli et de l'altération. La culture chrétienne est une richesse incommensurable que nous ne devons pas perdre. 


Si nous exposons uniquement le mal, nous contribuerions en outre au pessimisme ambiant, au relativisme, à une attitude démobilisatrice. A force d'insister sur des imperfections, certes réelles mais bénignes, sur un diamant, il risque de perdre toute valeur et d'être finalement jeté alors qu'il est encore précieux. Notre but n'est pas de détruire et d'avilir mais d'éclairer et de construire.

Enfin, si nous voulons toujours pointer du doigt l'erreur et la faute, nous risquions de toujours réagir au gré des informations et finalement tomber dans l'erreur et dans la désinformation. Car dans le monde dans lequel nous vivons, nous sommes imprégnés d'informations de toutes sortes au point de perdre le recul et la sérénité, indispensables au jugement. Nous ne voulons pas réagir mais agir. Certes, cela demande du temps et du travail, de la patience et surtout de la volonté. Que de volonté en effet pour surmonter l'indignation, pour ne pas répondre à l'instant ! Or aujourd'hui, nous devons absolument vérifier nos informations et nos sources, les remettre dans leur contexte, les examiner soigneusement avec un sens critique en pensant aux dommages possibles. Nous n'y parvenons pas toujours, mais ce travail est essentiel, voire cruciale. Une image, un discours pris dans des conditions particulières peut causer un scandale inutile et nuisible lorsqu'elle est portée à la connaissance de tous sans précaution. Il peut y avoir maladresse par précipitation ou manipulation. Nous ne voulons pas commettre de telles erreurs si faciles et si répandues notamment dans les médias...

Notre  objectif est d'essayer de comprendre et de juger afin que l'erreur apparaisse et que la vérité triomphe. Certes, nous condamnons les erreurs, comme l'évolutionnisme et le teilhardisme, mais nous essayons de les comprendre pour les démasquer. Nous voulons aller au-delà des premières impressions pour en trouver la cause, le mal véritable. Les symptômes ne nous suffisent pas. L'exemple de la pièce "Sur le Concept du Visage de Dieu" est un exemple frappant. Au delà des images insultantes et offensantes, se trouve une philosophie beaucoup plus dangereuse et insidieuse qui nous ramène à Antonin Artaud [1] et à la déstructuration de notre société. Nous la vivons tous les jours, notamment dans l'Education nationale avec des programmes encore plus odieux [2]. 

Cette étude a enfin l'avantage de nous nourrir de la culture chrétienne, de nous faire approfondir notre foi et notre connaissance de la foi. Que d'avancée depuis plus d'un an ! Et ce travail est ouvert à tous...

Rendons grâces à Dieu et prions pour les pécheurs...

Priez pour vos serviteurs...

Deo gratias



[1] Voir Émeraude, article 'Sur le Concept du Visage de Dieu", novembre 2011, "Antonin Artaud : le théâtre de la cruauté", janvier 2012.
[2] Le programme 2012-2013 en bac L est assez éloquent : "les mains libres" d'Eluard. Les lycéens sont-ils assez mûrs pour affronter un tel livre, empreint d'érotisme, sans oublier les dessins de Man Ray ?

lundi 27 mai 2013

Les relations entre l'Islam et les non-musulmans (3ème partie) : le christianisme

Pour poursuivre notre étude sur les relations entre l’Islam et les non-musulmans, nous allons désormais nous concentrer sur le christianisme, et plus spécialement sur Notre Seigneur Jésus-Christ et Sainte Marie… 

Îsâ ou Jésus ?
Notre Seigneur porte le nom d’"Îsâen arabe alors que les Arabes chrétiens l’appellent "Yasû’", « Dieu sauve ». Jésus provient du grec « Jesu », lui-même tiré du nom araméen, issu de « Yeshua » ou « Yâsha’ », signifiant « sauver ». C’est une forme de « Yehoshua’ », qui en Hébreux signifie « le Seigneur est mon salut ». 

D'où vient ce nom ? Le Professeur Manfred Kropp, « une sommité autant du point de vue théorique que pratique dans le domaine sémantique » [1] nous apporte une réponse. Il nous donne les différentes représentations syriaques de la forme araméenne « Ysû » : « 'ysw’' en syriaque, vocalisé en « Yêsû » en syriaque occidentale et « îsô’» en syriaque oriental » [2]. Si nous prenons comme hypothèse que la transmission est essentiellement orale, « les choses s’expliquent facilement » par évolution sémantique progressive du terme « îsô’» en « 'îsâ». Cette évolution se retrouve aussi dans d’autres noms musulmans. A.L. Premare [3] nous donne une information intéressante : on aurait trouvé la graphie de « Îsâ » dans des graffitis arabes dans le Neguev, au sud d'Israël. Ils dateraient des origines de l’Islam. Nous pouvons en déduire que ce nom ne dépend pas du Coran. Il provient probablement de l’influence chrétienne. Cette explication ne fait pas cependant l’unanimité parmi les islamologues. Certains la rejettent, considérant que les différences sont trop importantes pour l’expliquer par une évolution sémantique simple [4].

Dans notre article, nous désignerons « Îsâ » par le terme chrétien de Jésus comme le fait le traducteur Hamidallah. Il y a en effet bien identification entre ces deux termes. « Îsâ » n'a en soi aucune signification, ce qui est étrange car surtout dans les textes sacrés, les noms reflètent la nature profonde de l’être. Le nom même de Jésus porte en fait le désaccord qui existe entre les chrétiens et les musulmans.

Le Coran appelle aussi Jésus « Verbe de Dieu » (IV, 171), traduit par « souffle » dans la traduction d’Hamidallah. Selon la tradition islamique, il est appelé ainsi car il est « le fruit de la parole créatrice de Dieu » [5]. Le Coran attribue aussi à Jésus le titre de Messie, « al-masîb » de l’hébreu « mashiah » dont l’équivalent en grec est « Christ ». 

Jésus monte au paradis
Jésus, prophète éminent, porteur de l’ «Injil »

Jésus a reçu des révélations à partir d’un livre, l’« Injil ». Ce terme, traduit par « Évangile », est probablement une déformation du terme « euanggelion » [6], qui signifie en grec « bonne nouvelle ». En effet, il faut rappeler que l’Évangile ne désigne ni un texte ni un livre mais bien une « bonne nouvelle ». Contrairement à l’idée musulmane, une prophétie biblique n’est pas la transmission d’un texte céleste, consubstantiel à Dieu, mais un message, une annonce. 



Selon le Coran, l’« Injil », sous sa forme originelle, a été perdu. Les livres actuels n'en sont qu’une déformation et une falsification. Seul le Coran peut donc prétendre assumer le rôle de guide fiable. Cette affirmation permet ainsi d’enlever aux chrétiens tout recours à leurs livres sacrés. Le Coran devient la seule référence, ce qu’un chrétien ne peut évidemment accepter. Cela rompt toute discussion.

Jésus, confirmateur, législateur et annonciateur

Jésus est venu accomplir une double mission : confirmer la Torah afin de rectifier les erreurs commises par les Juifs et modifier des lois. « Je vous confirme ce qu’il y a dans la Torah révélée avant moi, et je vous rends licite une partie de ce qui était interdit » (III. 50). 

Il serait venu aussi annoncer la venue du dernier prophète, Mahomet : « quand Jésus fils de Marie dit : O enfants d’Israël, je suis vraiment le Messager d’Allah [envoyé] à vous, confirmateur de ce qui, dans la Thora, est antérieur à moi, et annonciateur d’un Messager à venir après moi, dont le nom sera Ahmed » (LXI, 6, Hamidallah). Mais dans certaines traductions et selon certains commentateurs, ce verset  peut aussi signifier que c’est bien Jésus celui qui est annoncé [7]. Un petit rappel : dans le Coran original, nous ne trouvons aucune trace de Mohammed en tant que nom d’une personne mais l’adjectif « hmd ». La traduction « hmd » par « Ahmed » provient d’une interprétation abusive du traducteur [8]. Ce verset fait allusion à l’Évangile selon Saint Jean qui annonce l’arrivée du Paraclet. Selon les musulmans, le mot grec original était « periklytos », i.d. « glorieux » ou « plus loué » et non « parakletos », i.d. « consolateur ». Or, « plus loué » s’écrit « hmd » en arabe. Mais cela revient à modifier profondément le sens de plusieurs textes ...

La filiation ambiguë de Sainte Marie 

Jésus, Marie
Miniature persanne

Le Coran présente la naissance de Jésus comme un prodige. Il est né de Marie (« Maryam ») en arabe. Le nom est dérivé de « Meryem », en hébreu, qui signifie « servante, aimée de Dieu ». 


Il existe une controverse sur sa filiation. Le Coran nous révèle en effet que Marie est fille d’Imram. Or Imram, ou Amram en Hébreu, est le père d’Aaron et de Moïse dans la Sainte Écriture (Ex., 18-20), qui effectivement ont une sœur aînée appelée Marie. Le Coran a-t-il alors confondu deux personnes qui portent le même nom et distantes de plus de mille ans ? Les musulmans nous proposent deux explications.




Certains nous rapportent qu’Imram désigne l’ancêtre de Marie et non le père direct. Donc Marie ne descendrait pas de David, qui descend de Juda. Ils contredisent donc les prophéties juives. 
Pourquoi Marie est-elle aussi appelée « sœur d’Aaron » (XIX, 28)? Or le terme de « sœur de » comme « frère de » se rapportent toujours à un contemporain. On peut nous répondre que les Juifs « se donnaient comme noms ceux des prophètes et des pieux ayant vécu avant eux » [9]. Marie a donc deux frères qui portent le même nom que les fils d'Amram...
D’autres nous présentent Imram comme le véritable père de Marie que la tradition chrétienne nomme Joachim. Imram et Joachim sont donc la même personne. « Il est dit dans la révélation coranique : Marie fille d’Imrân. Mais qu’on sache que le mot Iimrân a comme sens en hébreu Yû’aquim »[10]. Or une petite explication des termes en arabe montre que cela est bien invraisemblable. En Hébreu, « Yû’aquim » signifie « Dieu met debout », ou encore « Dieu tiendra promesse ». « Imrâm » signifie « emplir une endroit de vie », voire « Dieu crée la vie ». Quel rapport ?
Dans les deux cas, Marie aurait deux frères. Contrairement à ce que nous décrivent la tradition chrétienne et les textes apocryphes, Anne (Hannah en arabe) et Joaquim n’ont eu qu’un enfant. 
Les coïncidences sont nombreuses et troublantes entre les deux Marie, la sœur de Moïse et la mère de Jésus. Nous ne pouvons pas ne pas soupçonner une réelle confusion entre les deux personnes…

Marie dans le Coran, femme éminente…

« O Marie, certes Allah t’a élue et purifiée et Il t’a élue au-dessus des femmes des mondes » (II, 42). Marie est demeurée vierge. « Et celle [la vierge Marie] qui avait préservé sa chasteté ! Nous insufflâmes en elle un souffle de vie venant de Nous et fîmes d’elle ainsi que de son fils, un signe [miracle] pour l’univers » (XXII, 91). Reprenant la salutation évangélique, Sainte Marie est présentée comme la mère de Jésus qui a su préserver sa virginité. Sa virginité est un prodige sans cesse rappelé lorsqu’elle est invoquée. 



Un Saint Esprit méconnu

Le Coran mentionne un « Saint Esprit » dans le prodige de la naissance de Jésus et dans ses missions auquel il apporte assistance. « Nous avons donné des preuves à Jésus fils de Marie, et Nous l’avons renforcé du Saint-Esprit » (II, 87). Selon un des premiers biographes de Mohammed, Ibn Ishaq, ce terme invoque l’ange Gabriel. Il peut aussi figurer « à titre d’énergie divine médiatrice entre Dieu et ses envoyés »[11]. Nous sommes loin du sens biblique de l’expression « Esprit de Dieu » ou « Esprit Saint ».

Jésus, fils de Marie

Le Coran reconnaît de grands mérites à Marie au point qu’elle semble avoir une certaine préséance sur Notre Seigneur. Ce dernier n’est en effet toujours citée qu’à travers la formule « fils de Marie ». « […] Elle bénéficie d’une position enviable dans le Coran. Elle est la seule femme dont le nom soit mentionné ; elle est exaltée pour sa pureté (3, 42) et sa virginité perpétuelle est reconnue (21, 91) ; elle est donnée en exemple aux croyants (66, 11) »[12]. Cette association affirme la filiation naturelle de Jésus et s'oppose à la formule « Fils de Dieu », utilisée par les Chrétiens. 

Cette filiation, sans cesse évoquée, peut nous paraître anodine mais elle est en fait exceptionnelle et donc riche en informations. Car généralement les Musulmans comme les Juifs associent toujours la filiation par le père et non par la mère. Cette formule marque donc l’absence de père dans la génération du fils et souligne par conséquent le prodige de sa naissance. 

Selon le Coran, Jésus est donc le fils de Marie, et non le Fils de Dieu. C’est un homme et un serviteur d‘Allah. « O gens du Livre (Chrétiens), n’exagérez pas dans votre religion, et ne dites d’Allah que la vérité. Le Messie Jésus, fils de Marie, n’est qu’un Messager d’Allah » (IV, 171). Le Coran fulmine contre cette croyance qui s’oppose à l’unicité divine. « […] Les Chrétiens disent que le Christ fils de Marie, comme Seigneur en dehors d’Allah, alors qu’on leur a commandé que d’adorer un Dieu unique. Pas de divinité à part lui ! Gloire à Lui ! Il est au-dessus de ce qu’Ils [lui] associent » (IX, 30).

Selon certains commentateurs, Jésus apparaît supérieur aux autres prophètes tout en demeurant toujours un homme. « Pour Allah, Jésus est comme Adam qu’Il créa de poussière, puis il lui dit : « sois » et il fut » (III, 59). Jésus apparaît comme subordonné à Dieu, apprenant tout de Lui, y compris l’écriture (III, 48). 

(à suivre)




Références
[1] Pourquoi le Coran utilise-t-il le nom d’’Îsâ pour celui de Yasû’ ? Utilisé par les chrétiens arabes depuis toujourswww.lemessieetsonprophete.com.
[2] Le messie et son prophète cité dans Pourquoi le Coran utilise-t-il le nom d’’Îsâ pour celui de Yasû’? 
[3] A.-L. de Premare, La fondation de l’Islam (2002), cité dans Pourquoi le Coran utilise-t-il le nom d’’Îsâ pour celui de Yasû’
[4] Amélie Neuve-Église, La figure du Christ dans l’Islamwww.teheran.ir
[5] Marie-Thérèse Urvoy, Dictionnaire du Coran, article « Jésus », Robbert Laffon, Collection Bouquins, septembre 2007. 
[6] Mark Durie, ‘Issa, le « Jésus » musulman
[7] Petit Guide du Coran, interprétation de Bertuel. 
[8] Émeraude, août 2012, article « Mahomet, une légende ?».
[9] Hadith rapporté par Muslim, n°2135, at-Tirmidhi, n°3155, Ahmad, n°17492, cité par un blog musulman, 14 septembre 2008, article « Quid de verset où Marie mère de Jésus est nommée sœur d’Aaron ? ». Il existe aussi de longues discussions pour comprendre le véritable sens de ce hadith.
[10] Hamza Boubakeur, Le Coran, traduction et commentaire, cité par « Quid de verset où Marie mère de Jésus est nommée sœur d’Aaron ? ».
[11] Petit Guide du Coran, Dictionnaire des Concepts
[12] Eglise catholique du Var, Chrétiens et musulmans, avons-nous le même Dieu ?, http://www.diocese-frejus-toulon.com

vendredi 24 mai 2013

Sir Francis Galton, le père de l'eugénisme moderne

« L’eugénisme de Galton est un programme de sélection artificielle pour produire une race humaine supérieure » [1]. 


Sir Francis Galton (1822-1911) a utilisé le premier le terme d’eugénisme en 1883 [2]. A ce titre, il est reconnu comme le père de l’eugénisme moderne. Il a inspiré les politiques eugénistes et a fait développer l’eugénisme britannique. Saisi par la théorie de l’évolution de Darwin, son cousin, il est convaincu que l’homme peut continuer la sélection naturelle par la science. Cependant, sans lui enlever la paternité de l’eugénisme moderne, il faut bien avouer que depuis deux siècles, les théories eugénistes se sont bien développées et lui ont fourni les bases intellectuelles nécessaires dont il avait probablement besoin. Cet article a pour but de vous faire connaître le père de l’eugénisme moderne… 



Galton est un homme de science britannique du XIXème siècle, un « génie victorien »[3], « un génie à l’état pur » [4]. Il a foi en la science, et particulièrement dans la statistique, la mesure, le nombre. Sa fiche signalétique sur Wikipédia est exemplaire : « anthropologue, explorateur, géographe, inventeur, météorologue, proto-généticien, psychométrique et statisticien ». Parmi ses exploits, nous pouvons en effet signaler la découverte du caractère unique des empreintes digitales et l’usage qu’on pouvait en faire en criminologie, la mise au point du procédé de « photographie composite » [5], à l’origine des méthodes actuelles de morphing [6], la fondation de la psychométrie [7], l’invention de méthodes statistiques, notamment en psychologie, la découverte de nouvelles lois de probabilité, etc. 


Il est incontestablement un homme brillant qui touche à tout. En étudiant de plus près ses découvertes, nous pouvons constater qu’elles tournent en fait presque toutes vers un même sujet : la mensuration biométrique. Il est en effet « l’apôtre de la quantification » [8]. Il est surtout fasciné par les statistiques, « cette science pleine de beauté et d’intérêt » [9]. « Galton avait une tournure d’esprit essentiellement mathématique et statistique, il adorait compter » [10]. 



A partir d’observations biologiques, il identifie des caractères identitaires mesurables de l’individu puis les mesure pour en dresser un portrait générique physio-psychologique. Il applique ensuite la théorie des probabilités et les méthodes statistiques sur ces données et finalement sur l’homme. Ainsi peut-il inventer « l’homme-moyenne », classer les êtres humains et les hiérarchiser … 



Galton est un évolutionniste convaincu. La publication de L’Origine des Espèces de Darwin est une révélation pour lui. La théorie de l’évolution lui permet d’envisager que les talents, les facultés intellectuelles, les caractères psychologiques et physiques sont le résultat de l’évolution. Plus besoin de faire intervenir Dieu… En outre, il est convaincu que les qualités physiques et intellectuelles sont héréditaires, l’environnement jouant un rôle secondaire. La science serait-elle donc capable de les contrôler ? 

Les inégalités, notamment sociales, sont donc naturelles et s’expliquent par des facteurs héréditaires. « Selon Galton et ses contemporain, la pauvreté correspond à un état biologique : il est pauvre car il est déterminé biologiquement ainsi » [11]. Si la qualité d’un homme est finalement biologique, il est alors possible de l’améliorer biologiquement. « Quand j’eus compris que l’hérédité des qualités mentales, sur lesquelles j’avais fait mes recherches, était réelle, et que l’hérédité était un moyen de développer des qualités humaines, beaucoup plus puissant que le milieu, je désirai explorer l’échelle des qualités dans des sens différents, en vue d’établir dans quelle mesure l’enfantement, tout au moins théoriquement, pouvait modifier la race humaine. Une nouvelle race pouvait être créée, possédant en moyenne un degré de qualité égal à celui rencontré jusqu’ici dans les cas exceptionnels » [12]. L’eugénique est le moyen, selon Galton, de créer cette « nouvelle race ». 




L’eugénisme est la « science de l’amélioration de la race qui ne se borne nullement aux questions d’unions judicieuses, mais qui, particulièrement dans le cas de l’homme, s’occupe de toutes les influences susceptibles de donner aux races les mieux douées un plus grand nombre de chances de prévaloir sur les races les moins bonnes » [13]. Il s’agit avant tout d’étudier tout ce qui permet de promouvoir les désirables. Sa définition prend aussi en compte les facteurs héréditaires et environnementaux. Il ne se borne pas au contrôle des mariages et des unions. 
En 1904, Galton propose une autre définition : « étude des facteurs socialement contrôlables qui peuvent élever ou abaisser les qualités raciales des générations futures, aussi bien physiquement que mentalement » [14]. La deuxième définition est plus précise et restrictive. Elle prend désormais en compte tout ce qui touche les indésirables. Elle définit la nature de ses qualités : physique et mentale. Enfin, la dernière définition restreint l’eugénisme au champ social… La « race » peut donc s’élever en étudiant et en manipulant les qualités physiques et morales en vue des désirables au détriment des indésirables… 

Galton propose d’appliquer à l’homme la sélection artificielle puisqu’elle est efficace dans la reproduction des animaux. « L’amélioration du cheptel humain ne posait aucune difficulté insurmontable » [15]. On peut « obtenir par une sélection attentive, les races de chiens et de chevaux dotées de qualités spéciales […] et qu’il serait souhaitable de produire une race humaine supérieurement dotée par les moyens semblables » [16]. L’eugénisme ne se borne pas à étudier ; il est destiné à trouver des solutions pratiques, concrètes, efficaces pour parvenir à l’objectif fixé : créer une race humaine supérieure

Il est aussi un moyen de garantir la puissance de l’Angleterre. L’eugénisme permettra en effet de lutter contre la dégénérescence des élites, les « désirables », que constituent les ingénieurs, les médecins, les professions libérales, les hommes d’État, etc. Il doit encourager la reproduction des élites et freiner la reproduction des faibles. 

Mais pour être efficace, l’eugénisme doit apparaître comme un état d’esprit. Pour cela, Galton propose de faire de l’eugénisme une religion « laïque, substitut scientifique aux religions officielles », prônée par « une sorte de clergé scientifique » et d’« interdire sévèrement toutes les formes de charité sentimentale qui sont nuisibles pour la race » [17]. Elle développera néanmoins « les liens de l’espèce », « prend en considération les familles et les sociétés dans leur entièreté », « étend la philanthropie aux générations futures ». 

Le but de Galton est donc de faire de l’eugénisme une discipline scientifique à part entière et de l’introduire « dans la conscience nationale comme une religion ». Pour cela, il intervient dans des conférences, fonde plusieurs revues, stimule la création de sociétés eugéniques, crée un laboratoire… La prudence et de la discrétion sont aussi nécessaires. « Il est avant tout nécessaire, pour que les progrès de l’eugénisme soient couronnés de succès, que ses défenseurs procèdent avec discrétion et ne prétendent pas à une efficacité plus grande que celle que le futur pourrait confirmer » [18]. 

Pour appliquer son programme eugéniste, fallait-il encore prouver qu’effectivement les facultés intellectuelles étaient héréditaires pour que la sélection puisse agir. Ne seraient-elles pas plutôt sensibles aux facteurs environnementaux, au climat, à l’éducation, à la religion, au régime politique, à la richesse, etc. ? Par la statistique, il tente de distinguer et d’évaluer les parts respectives de l’hérédité et de l’acquis. Il cherche alors par tous les moyens de collecter des données statistiques d’anthropométriques tant physiques que psychologiques. Il mènera notamment des enquêtes par des questionnaires biaisées [19]. Il fonde un Laboratoire d’anthropométrique pour encourager la collecte d’informations… 

« L’opposition radicale entre hérédité et environnement était une idée propre à Galton tout à fait originale pour l’époque » [20]. On pensait à l’époque que toute variation héréditaire était d’abord variation acquise. L’enfant ressemble à ses parents car il provient d’eux. Avec la théorie d’évolution de Darwin, certains scientifiques pensent qu’il n’y a plus réellement de distinction entre les deux facteurs de variation que sont l’hérédité et l’environnement. Plus exactement, il y a interdépendance. « Il n’y a pas de séparation stricte entre deux systèmes de causalité distincts : ce qui environnemental, acquis, peut devenir progressivement héréditaire, et inversement, ce qui est héréditaire peut être transformé sous l’action de l’environnement » [20]. Ces deux facteurs finissent par se confondre à long terme. Telle était en particulier la théorie d’Alphonse de Candolle, un adversaire de Galton. 

Pour prouver sa théorie, Galton distingue vigoureusement deux composantes dans la constitution de l’organisme : la « nature » et la « nurture ». Un caractère est dit naturel s’il était héréditaire, c’est-à-dire susceptible d’évoluer. La « nurture » regroupe l’ensemble « des conditions externes à l’espèce, aussi bien physiques que culturelles : nourriture, climat, éducation, environnement socioculturel, etc. » [20]. Cela signifie que les variations sous l’effet de la « nurture » devaient être pratiquement sans effet sur la « nature » de l’organisme ou de sa lignée. L’enfant ressemble à ses parents car ils sont les produits d’une cause commune sous-jacente. Ainsi, selon Galton, la continuité des lignées embryonnaires explique seule les qualités de l’individu. Par conséquent, la volonté personnelle ne permet pas de les acquérir. « Je ne supporte pas l’hypothèse parfois exprimée, et souvent sous-entendue, surtout dans les contes écrits pour apprendre aux enfants à être sages, que les bébés naissent pratiquement semblables et que les seules actions créatrices de différence entre garçon et garçon, et entre homme et homme, sont les attentions soutenues et l’effort moral » [21]. Le déterminisme individuel précède la naissance ; l’eugénisme est justifié… 

Ainsi, armé de multiples données qu’il a collectées et des outils de la statistique, Galton tente de montrer que pour faire perfectionner l’espèce humaine, l’éducation est impuissante et qu’il faut agir biologiquement sur l’homme. La solution est donc uniquement d’ordre biologique. Or sa théorie se développe au moment où les « élites » occidentales semblent percevoir une dégénérescence de l’homme occidental et craint la perte de son hégémonie sur le monde. En outre, les dépenses liées aux mesures sociales sont de moins en moins appréciées. L’eugénisme, une solution pertinente pour les"élites" ?… 



Références
[1] D. Aubert-Marson, Sir Francis Galton : le fondateur de l’eugénisme, revue M/S Médecine Sciences, juin – juillet 2009, n° 25., http://mon.univ-montp2.fr/.
[2] F. Galton, Hereditary Genius : Inquiries into Human Faculty and its Development, 1869. 
[3] Forrest, DW Galton : the life and work of a Victorian genius, 1974, dans D. Aubert-Marson, Sir Francis Galton : le fondateur de l’eugénisme.
[4] Kevles Dj., Au nom de l’eugénisme, 1995, dans cité dans [1]
[5] A partir d’une multitude de clichés individuels, on peut isoler une physionomie typique et on parvient à un portrait type. 
[6] Technique consistant à « transformer de la façon la plus naturelle et la plus fluide un dessin initial vers un dessin final » (Wikipédia). Elle permet de transformer un visage en un autre, par exemple pour simuler le vieillissement.
[7] « L’art d’imposer la mesure et le nombre sur les opérations de l’esprit, comme dans la pratique de déterminer les temps de réaction des différentes personnes » (Francis Galton, Brain, 1879, www.w3.uohpsy.univ-tlse2.fr). 
[8] Gould, cité dans [1]
[9] F. Galton, cité dans [1].
[10] Thuillier, P. Galton, un grand bourgeois de la science. La Recherche 1975 cité dans cité dans [1]
[11] D. Aubert-Marson, Sir Francis Galton : le fondateur de l’eugénisme
[12] F. Galton, Mémoires, cité dans [1]
[13] F. Galton, Hereditary Genius : Inquiries into Human Faculty and its Development, cité dans [1].
[14] F. Galton, cité par Abbé Arnaud Sélégny, article « L’ère chrétienne » dans les Cahiers Saint Raphaël, Eugénisme : trier les hommes, n°91, Juin 2008. 
[15] F. Galton, Hereditary Genius : Inquiries into Human Faculty and its Development, dans D. Aubert-Marson, Sir Francis Galton : le fondateur de l’eugénisme
[16] F. Galton, Hereditary Geniuscité dans [1]
[17] F. Galton, The Americain Journal of Sociology, 1905, cité dans [1]
[18] F. Galton, Essays in eugenics, 1909, cité dans [1]
[19] Charles Lenay montre en effet que l’enquête mené par F Galton est biaisée dans Francis Galton : inné et acquis chez les grands hommes de la Société royale de Londres dans Bulletins et Mémoires de la Société d’anthropologie de Paris, Nouvelle Série, tome 6, fascicules 1-2, 1994, http://www.persee.fr. 
[20] Charles Lenay, Francis Galton : inné et acquis chez les grands hommes de la Société royale de Londres 
[21] F. Galton, Hereditary Genius : Inquiries into Human Faculty and its Development, 1869, réédition 1962, Charles Lenay, Francis Galton : inné et acquis chez les grands hommes de la Société royale de Londres.

lundi 20 mai 2013

La loi de complexification, une erreur de perception



Teilhard et ses disciples prétendent concilier le christianisme avec la science moderne, et plus spécialement avec l’évolutionnisme, à partir d’une théorie étrange mêlant sciences, philosophie et religion. Or la loi de complexité sur laquelle elle est fondée est remise en cause par les évolutionnistes eux-mêmes mais également par les sciences. Les principes de la théorie évolutionniste, appuyées par les découvertes scientifiques, notamment génétiques, ne peuvent en effet donner du sens à l’histoire de la vie. Suivre cette voie est imprudent et dangereux. Elle ne peut que nous éloigner de la science...


La science ne peut donner du sens à la vie. C’est pourquoi le scientifique évolutionniste et épistémologue Stephen Jay Gould [1] s’oppose de manière virulente à tous ces évolutionnistes inconséquents qui persistent dans cette voie. Il est aussi un « adversaire acharné de Teilhard » [2] pour d’autres raisons. Certes, nous pouvons ne pas être d’accord avec sa vision du monde et son interprétation scientifique mais nous ne pouvons pas ne pas l’entendre, surtout lorsqu’il dénonce le mythe du progrès… 


Dans L‘Éventail de la vie, Gould se demande en quoi le progrès caractérise-t-il l’histoire de la vie. Comment pouvons-nous voir une tendance dans les multiples variations qui affectent la vie ? Cette tendance vient-elle de notre perception ou d’une cause extérieure ? Serait-elle en effet le résultat d’un préjugé ou de nos connaissances ? Le scientifique a en effet le mérite de poser de bonnes questions sur un sujet si complexe. Il se demande avant tout si l’idée de progrès est une réalité ou le fruit de notre conscience. Si nous sommes plutôt victimes de nos préjugés, alors comment pouvons-nous nous tromper en dépit de nos connaissances scientifiques ? Sa réflexion est intéressante car elle nous montre comment une idée parvient à dominer les esprits en dépit de sa fausseté. 

Première erreur : considérer un point particulier d’un système pour le système lui-même 

Selon Gould, l’erreur principale est de se focaliser sur un point spécifique d’un système tout en le considérant comme représentatif du système lui-même. Prenons un exemple. Regardons les images des manuels scolaires qui décrivent de manière chronologique l’évolution de l’homme à partir d’une souche unicellulaire. A partir d’un schéma simple, nous visualisons l’histoire de la vie selon une succession de transformations : cellules, bactéries, poissons, reptiles, mammifères, primates, hommes. Teilhard rajoute l’atome, la molécule, les corps organiques, etc. Dans cette série, les choses deviennent apparemment plus complexes. Encore faut-il définir ce qu’est la complexité, mais c’est un autre sujet. Néanmoins, nous penserons qu’effectivement, la vie semble se complexifier depuis la cellule jusqu’à l’homme ou depuis l’atome jusqu’à nous. L’image porte donc admirablement l’idée de complexification de la vie… 


Posons-nous de bonnes questions. Que représente cette chaîne dans l’arbre de la vie selon la théorie de l’Évolution ?... Une petite lignée insignifiante au regard de l’ensemble des organismes vivants, une lignée négligeable du point de vue chronologique et quantitatif. Objectivement, pouvons-nous en effet caractériser l’histoire de la vie par cette seule lignée ? Qu’est-ce qu’en effet cette lignée par rapport à toutes celles qui ont donné lieu à la biodiversité ?... Elle est en outre singulière puisque nous y sommes inclus. 


L’image biaise en fait la réalité. Elle ne représente pas l’histoire de la vie mais une aventure particulière, celle d’une lignée particulière. Pouvons-nous alors croire qu’elle est représentative de l’histoire de la vie ? Ne représente-t-elle pas plutôt une vision anthropologique de la vie ? Une vie entièrement tournée vers l’homme ? L’homme au centre de la vie… Elle s’appuie en effet avant tout sur une conviction, un présupposé : l’homme est l’apogée de la vie. Or, n’est-ce pas ce que certains évolutionnistes essayent de prouver ? La foi peut nous le dire, non la science. Teilhard élabore sa théorie non sur des principes scientifiques mais bien sur ses propres conceptions religieuses ou philosophiques.

« Nous sommes certes les détenteurs d’une extraordinaire invention de l’évolution appelée conscience […]. Mais comment tenir cette invention pour l’aboutissement suprême d’une dynamique fondamentale de la vie alors que 80% des organismes multicellulaires […] connaissent un magnifique succès évolutif et ne manifestent au cours du temps aucune tendance à la complexité neurologique […] ? » [3]. 


Finalement, en focalisant l’attention sur des particularités et en cherchant à les traduire sur un ensemble très vaste, sur toute l’histoire de la vie, le mythe du progrès finit par s'imposer. C’est la faiblesse du raisonnement inductif, si caractéristique de certains scientifiques empiristes. Nous avons déjà évoqué cette erreur dans la théorie originelle de l’évolution : la théorie restreinte a été généralisée à l’ensemble de la vie [4]. Teilhard applique aussi ce principe. Ce qui est vrai chez les uns peut être aussi être appliqué chez les autres quelle que soit leur nature [5]. C’est méconnaître absolument la complexité et la diversité de la vie… Cette erreur porte parfois le nom de réductionnisme

L’orgueil à la source du mythe du progrès ? 

Gould voit dans cette vision anthropocentrique le signe de l’arrogance humaine. « Nous nous raccrochons au progrès […] parce que nous sommes pas encore prêts pour la révolution darwinienne et qu’il est notre meilleur espoir de préserver notre arrogance dans un monde en évolution. Telles sont, à mon sens, les seules raisons qui expliquent pourquoi l’argument du progrès, malgré sa pauvreté et son invraisemblance, conserve aujourd’hui une telle emprise sur nous » [6]. Le mythe du progrès dans l’évolution est « le produit d’un préjugé social et d’un espoir psychologique », et non le résultat d’observations scientifiques. Ce n’est que pure illusion…



La foi explique la place particulière et privilégiée de l’homme dans l’œuvre de la Création mais rejette la vision anthropologique de la vie. Nous ne pouvons pas nous appuyer sur la science pour y croire. La science peut nous révéler la beauté de l’œuvre et nous aider à y voir un chef d’œuvre. « Quand j’étais jeune, j’étais croyant par tradition car ma famille l’était. C’est ainsi que, petit à petit, mon activité scientifique a approfondi ma foi » [7]. Car « la beauté du monde est un signe. Or, la science, pour moi, dévoile cette beauté du monde ». La science peut témoigner mais elle est incapable de donner du sens. 

Vision trompeuse de l’histoire de la vie… 



« De nombreuses régressions sont survenus en chemin, mais la moyenne globale au cours de l’histoire de la vie s’est déplacée du simple et du rare vers le plus complexe et le plus nombreux. Durant le dernier milliard d’années, les animaux ont dans l’ensemble évolué vers le haut en termes de taille du corps, de techniques d’alimentation et de défense, de complexité comportementale et cérébrale, d’organisation sociale et de précision dans la maîtrise de l’environnement. […] Le progrès est donc une propriété de l’évolution de la vie dans son ensemble […]. Il serait absurde de nier tout cela » [8].

Il serait en effet absurde de nier que la vie soit plus diverse et complexe qu’à l’origine, si évidemment on croit à l’évolution. Mais aujourd’hui, selon Gould, les évolutionnistes savent que l’histoire de la vie est « un buisson absolument touffu comprenant aujourd’hui d’innombrables ramilles ; et non une autoroute ou une échelle avec un sommet » [9]. La vision de la vie change profondément si nous oublions cet ensemble diffus et si nous nous focalisons sur une lignée, c’est-à-dire sur une zone particulière d’un système fortement complexe. 

Autre erreur : confondre conséquences et causes 

La science montre la diversité de la vie par d’innombrables variations aussi bien dans le temps que dans l’espace. Pour essayer de bien saisir les mécanismes qui ont donné lieu à la biodiversité, on recherche peut-être une tendance dans ce qui n’est peut-être qu’un ensemble de variations aléatoires, d’événements sans relations. Car on veut créer du sens dans ce qu’est finalement que du non-sens. En clair, l’erreur n’est-elle pas de confondre ce qu’on voit et ce qui l’a produit, les conséquences avec les causes ? Ce n’est pas parce que l’homme semble plus complexe qu’un poisson et que ce dernier est plus ancien que l’homme que nous pouvons affirmer que cette complexité a été voulue. Nous constatons le fait mais nous en ignorons la cause par cette simple observation… 

Mais me direz-vous, selon les thèses évolutionnistes, à l’origine, le monde était peuplé d’organismes monocellulaires et aujourd’hui, nous voyons se déployer les mammifères et les hommes, êtres beaucoup plus complexes. Certes, … mais aujourd’hui encore la grande majorité des organismes sont encore unicellulaires. En outre, comment voulez-vous faire évoluer un tel organisme ? Il ne peut que se complexifier ou disparaître si vous voulez le faire évoluer. La complexité peut simplement être une conséquence passive du développement de la vie. 

La biologie et la génétique nous apprennent aussi que l’organisme ne peut évoluer que « prudemment », dans des conditions très précises. Toute variation trop importante peut en effet lui être fatale. Des modifications de gènes peuvent par exemple entraîner l’arrêt du développement d’un embryon. Toute vie est en effet en quelques sortes encadrées par des barrières qu’elle ne peut pas dépasser sans périr. La limite droite au-delà de laquelle il n’est plus possible d’évoluer pourrait être considérée par erreur comme une finalité alors qu’elle n’est qu’une barrière infranchissable. Et ces limites empêchent finalement toute évolution, encore moins toute tendance… 




Un système peut évoluer uniquement que dans un sens et jusqu’à un certaine limite. La moyenne des variations observées pourra croître vers cette limite et donnera l’impression qu’effectivement, elle suit une tendance. Gould choisit un autre exemple dans le sport. Les sportifs atteignent rapidement des records dans une discipline puis progressivement, ils s’approchent peu à peu d’un plafond infranchissable. Si nous n’observons que les élites, nous verrons en effet que les progrès s’affaiblissent mais si notre regard porte sur l’ensemble des sportifs, nous verrons peut-être des progrès significatifs. Nous nous plaindrons de l’absence de record alors qu’en réalité, le niveau d’ensemble a progressé. Se focaliser uniquement sur les élites en oubliant les limites des capacités humaines donne une interprétation erronée de la réalité. 

Une vision faussée par des erreurs d’interprétation et l’emploi d’outils statistiques inadaptés 

Autre erreur de perspectives encore plus flagrantes auxquelles nous sommes peut-être plus intéressés. Les statistiques… Prenez une population de garçons de même taille. Nous voulons savoir s’ils deviennent obèses avec le temps. Ils pèsent en moyenne ce que nous pouvons attendre. Cinq ans plus tard, la moyenne dépasse dix kilos du poids attendu. Que pouvons-nous en conclure ? Que l’obésité est une tendance chez les garçons actuels ? Certains de ses enfants, une minorité peut-être, seront peut-être obèses quand d’autres poursuivront normalement leur croissance, voire maigriront. Devons-nous conclure de manière générale à l’obésité de l’ensemble ? La distribution des variations nous permettra en fait de mieux percevoir la réalité. La moyenne est en effet nettement insuffisante et trompeuse dans de nombreux cas. La statistique possède d’autres mesures plus pertinentes adaptées à la situation. « Le choix correct repose sur une connaissance de tous les facteurs en jeu … et sur une foncière honnêteté ». Or connaître tous les facteurs en jeu revient à connaître le système étudié. Pouvons-nous alors honnêtement les connaître dans le cas qui nous intéresse : l’histoire de la vie ? Pourtant, combien de fois jugeons-nous uniquement sur la moyenne, comme ces évolutionnistes qui vous donnent en moyenne l’évolution des dimensions crâniennes des primates pour prouver qu’elles n’ont cessé de grandir ? 




Posons-nous encore une question de bon sens. Sur quelles données pouvons-nous fonder la loi de complexification ? Comment pouvons-nous mesurer l’"évolution" de la boîte crânienne des primates depuis leur « apparition » ? Comment peut-on suivre l’évolution de la complexité neurologique des organismes vivants depuis quelques milliards d’années ? Par les fossiles ? Or les fossiles sont déjà en nombre insuffisants pour justifier la théorie de l’évolution. Il n’est pas en fait possible d’avoir des mesures statistiques adéquates. Et les neurones ne se fossilisent pas [10]. Nous savons aussi combien les fossiles sont si peu bavards. Selon Gould, « au-delà des deux premières transitions, aucun organisme de cette séquence n’est un ancêtre direct de l’organisme suivant » [11]. C’est le problème des chaînons manquants [12]. En clair, nous n’avons pas suffisamment de données statistiques fiables pour bâtir des mesures adaptées. Notre perception ne peut qu’en être biaisée. Tout graphique statistique fausse la réalité… 

Autre erreur : tendance à construire du sens là où il n’y a aucun sens… 

Gould explique cette erreur par une tendance bien humaine : celle de raconter une histoire. « Nous aimons forger des histoires et sommes nous-mêmes le produit de l’histoire » [13]. Devant des faits qui se succèdent sans relations apparentes, nous essayons d’en fabriquer du sens. Laissez un enfant regarder un film qu’il ne pourra pas comprendre. Et pourtant, à partir des images qu’il verra, il pourra peut-être vous raconter une histoire, différentes de celle du film, une histoire construite selon sa propre cohérence… 

Il parle d’une autre tendance bien humaine : « notre puissant désir d’identifier des tendances nous conduit souvent à déceler un mouvement qui n’existe pas ou à invoquer des causes dépourvues de fondement » [14]. La tendance évidente n’est peut-être qu’une suite d’événements aléatoires, de circonstances fortuites… 


Pour donner du sens à la vie, la saisir de manière impartiale dans toute sa réalité, ce que nous ne savons pas faire… 


Gould montre dans son ouvrage, par quelques exemples judicieux, que nos interprétations sont finalement biaisées par notre regard. Nous croyons parfois voir une tendance dans un ensemble de variations quand en réalité, elles ne suivent aucune direction. « Cette erreur commune réside dans le fait que nous pensons une tendance comme le mouvement d’une entité dans une certaine direction, alors qu’elle peut être la conséquence secondaire d’un accroissement ou d‘une diminution des variations au sein d’un système, de l’ouverture ou de la fermeture de l’éventail des possibles » [15]. Nous avons peut-être tendance à oublier de considérer le système dans son ensemble et à porter notre attention de manière partisane sur une partie non représentative de ce système… 

Pour identifier une tendance dans un ensemble de variations, il est donc nécessaire de saisir tout l’ensemble et de connaître le système dans sa totalité. Or la science est non seulement incapable de saisir toute la réalité mais aussi elle reste attachée au système, qu’elle étudie toujours de manière subjective [16]. En clair, nous ne pouvons pas percevoir de nous-mêmes le moindre sens dans l’histoire de la vie, que nous soyons évolutionnistes ou non. 

S’il faut appréhender l’ensemble du système pour identifier un sens à son évolution globale, il faut en effet d’abord s’extraire de ce système. Or l’homme en est aussi incapable puisqu’il en est un élément indissociable. Par la foi, nous savons cependant que Dieu est hors de l’Univers. Lui-seul peut donc nous répondre… Si nous voulons trouver un sens à l’histoire de la vie, il ne faut donc pas se tourner vers la science mais vers Dieu, c’est-à-dire vers une Révélation… 

Cette erreur de perception n’est pas spécifique à la science. Elle peut toucher tout domaine de connaissances. Si nous nous focalisons sur un verset de la Sainte Écriture ou sur l’enseignement d’un Père de l’Église en oubliant le tout auquel il appartient, nous arrivons rapidement à des contre-sens, à des malentendus, à des erreurs. Ainsi, faut-il se tourner vers l’autorité qui dispose de cet enseignement complet et fiable… 



Références
[1] Stephen Jay Gould (1941-2002), paléontologue américain, professeur de géologie et d’histoire des sciences à l’université de Harvard. Il a écrit de nombreux ouvrages de vulgarisation sur l’évolution. Il a fondé la théorie des équilibres ponctués. 
[2] Gould a accusé Teilhard dans les années 80 d’être un des acteurs du scandale de l’homme de Pilttdown. Il le considérait comme un faux savant. Voir Émeraude, novembre 2012, article « La scandaleuse affaire de l’homme de Piltdown ».
[3] Stephen Jay Gould, L’Éventail du Vivant, chapitre1. 
[4] Émeraudedécembre 2012, article « micro-évolution, macro-évolution »
[5] Émeraude, janvier 2013, article « les grands principes de Teilhard ». 
[6] S. J. Gould, L’Éventail du Vivant, chapitre 2. 
[7] Jean Kovalesky, spécialiste d’astronomie, spécialiste en mécaniste céleste, membre de l’Académie des sciences, entretien dans la revue Ciel et Espace, mai 2013. 
[8] E. G. Wilson, La Diversité de la Vie, Odile Jacob, 1993, traduction de The Diversity of Life, 1992, cité dans S. J. Gould, L’Éventail du Vivant
[9] S. J. Gould, L’Éventail du Vivant, chapitre 2. 
[10] On considère en fait que la complexité du cerveau est proportionnelle à sa taille et donc à la taille de la boîte crânienne. 
[11] S. J. Gould, L’Éventail du Vivant, chapitre 14. 
[12] Voir Émeraude, novembre 2012, article « Uniformitarisme et catastrophisme ». 
[13] S. J. Gould, L’Éventail du Vivant, chapitre 3. 
[14] S. J. Gould, L’Éventail du Vivant, chapitre 3. 
[15] S. J. Gould, L’Éventail du Vivant, chapitre 3. 
[16] Notre propre mesure modifie ce que nous mesurons à un certain niveau de mesure. Nous sommes en quelques sortes nous-mêmes « juge et partie ».

jeudi 16 mai 2013

La loi de complexification, une erreur scientifique

Évolutionniste convaincu et optimiste, le Père Teilhard de Chardin a tenté d’intégrer l’évolutionnisme dans le christianisme au point de vouloir le révolutionner par d’audacieuses innovations. Il souhaite un « changement de priorités » dans l’enseignement et la doctrine chrétienne : le christianisme doit être prioritairement centré sur les relations entre le Christ et l’Univers. Une telle christologie finit par éclipser l’œuvre de la Rédemption, devenue alors secondaire. Le changement de vision qu’il réclame ébranle en profondeur tout le christianisme. 

Retour à la loi de complexification, principe fondamental du teilhardisme 


Pour justifier sa théorie si lourde de conséquences, Teilhard s’appuie sur un principe scientifique : la loi de complexification : « l’Évolution de la Matière se ramène, dans les théories actuelles, à l’édification graduelle, par complication croissante, des divers éléments reconnus par la Physico-chimie. […] Cette découverte fondamentale que tous les corps dérivent, par arrangement d’un seul type initial corpusculaire, est l’éclair qui illumine à nos yeux l’histoire de l’Univers. A sa façon la Matière obéit, dès l’origine, à la grande loi biologique (sur laquelle nous aurons sans cesse à revenir) de complexification » [1]. Toute chose évolue vers un état plus complexe au fur et à mesure du temps. 




Qu’est-ce que la « complexité » selon Teilhard ? « Par « complexité» d'une chose nous entendrons, si vous voulez bien, la qualité que possède cette chose d'être formée d'un plus grand nombre d'éléments, plus étroitement organisés entre eux ». La complexité au sens de Teilhard est concentration et organisation, ou encore unification. La vie évoluerait en se concentrant « en formes toujours plus organisées de Matière ». Ainsi la matière serait-elle passée du Multiple à l’Unité, ou encore selon ses propres termes, le « Multiple inorganisé » vers le « Multiple unifié ». Comme nous l’avons évoqué dans le précédent article, les êtres émergeraient du multiple. 

« De ce point de vue, un atome est plus complexe qu'un électron, une molécule plus complexe qu'un atome, une cellule vivante plus complexe que les noyaux chimiques les plus élevés qu'elle renferme, la différence d'un terme à l'autre ne dépendant pas seulement (j'insiste) du nombre et de la diversité des éléments englobés dans chaque cas, mais au moins autant du nombre et de la variété corrélative des liaisons nouées entre ces éléments. Non pas simple multiplicité donc, mais multiplicité organisée. Non pas simplement complication : mais complication centrée » [2]. 

Teilhard soumet la loi de complexification à toutes les choses de l’Univers sans différencier leur nature, matérielle ou spirituelle. Il l’applique notamment sur l’homme dans toutes ses composantes, sociale, religieuse, etc. Une socialisation de plus en plus forte serait la manifestation visible de cette loi appliquée à la « nature » sociale de l’homme. 
Cette loi conduit à donner un axe de progression au processus de l’évolution. Elle hiérarchise les choses selon une échelle temporelle en fonction d’un niveau de complexification. Plus l’être est complexe, plus il est en aval du processus. Cela revient finalement à donner du sens à ce mouvement. Teilhard en déduit donc que l’être le plus complexe est finalement la finalité de ce processus. 

Notre « scientifique » part ensuite d’un autre principe : le niveau de conscience d'un être est proportionnel à sa complexité. « Plus un vivant est complexe, plus il est conscient ; et, inversement, plus il est conscient, plus il est complexe » [3]. L’homme apparaît donc comme l’être le plus complexe. « L’homme, à en juger par son pouvoir de réflexion […], non seulement vient le premier, indiscutablement, mais il occupe une place à part en tête de tous les autres « très grands complexes » élaborés sur la Terre ». Il en déduit donc que l’homme est « la flèche de l’évolution ». Il est « le plus avancé et donc le plus précieux des éléments planétaires ». 


Une loi scientifique apparemment incontestable 

La loi de complexification est le socle sur lequel Teilhard s’appuie pour donner du sens à l’Évolution et développer sa théorie. « Par sa fraction axiale, vivante, l'Univers dérive, simultanément et identiquement, vers le super-complexe, le super-centré, le super-conscient » [4]. Cette loi est présentée comme étant scientifique. Ce principe est « déjà identifié par la Science » [5]. « Ainsi parle la Science. Et je crois à la Science » [6]. Teilhard et ses disciples ne cessent en effet d’affirmer la véracité scientifique de la loi de complexification. Le monde scientifique la reconnaîtrait même d’une manière unanime. Ainsi peuvent-ils présenter leur doctrine non seulement parfaitement compatible avec la science mais elle est aussi tirée de la science contrairement à l’enseignement traditionnel de l’Église. Teilhard peut aussi s’appuyer sur son expérience scientifique pour confirmer en toute légitimité ce « principe fondamentale ». « La géologie, la paléontologie surtout, […] ont permis à Teilhard de prendre conscience que tout dans l’Univers dérivait, mais pas de façon stérile, bien au contraire, vers une direction précise » [7]. 

Mais finalement dénoncée… 

Or ce principe fondamental est aujourd’hui dénoncé ; il ne fut peut-être jamais unanimement reconnu dans la communauté scientifique. Il repose en outre sur une vision erronée des découvertes scientifiques et s’oppose aux principes mêmes des théories évolutionnistes. Il n’est pas en effet possible de le concilier si facilement avec l’évolutionnisme. Quel paradoxe pour un ardent défenseur de l’évolutionnisme ! 

Une « loi » contradictoire avec les théories d’évolution 

La question centrale est de savoir si la science peut apporter du sens à l’histoire de la vie ou encore identifier une direction à cette histoire. Pour un évolutionniste, il s’agit de savoir si elle est capable de déterminer une finalité dans le processus de l’Évolution et dans ce cas, de la définir. Selon Teilhard, la science aurait prouvé que ce mouvement est directionnel et progresse selon la loi de complexification. 

Rappelons un raisonnement que nous allons souvent utiliser. Tout processus est mû par une cause. Chercher une direction à un mouvement revient à s’interroger sur cette cause. Si un mouvement est dirigé selon une finalité, la finalité se retrouve dans cette cause. Cette cause est alors mue par une intention ou plus exactement par une intelligence... 

Revenons aux théories de l’Évolution. Que disent-elles ? L’accumulation de variations avantageuses locales d’une espèce produit un changement évolutif dans l’espèce au point de faire apparaître de nouvelles espèces. Les théories évolutionnistes se disputent sur les moteurs du processus (sélection naturelle, catastrophe, etc.), sur leur importance ou sur leurs modalités (progressivement ou brusquement). Mais toutes reposent sur un même principe : « adaptation locale avantageuse changeant de l’environnement » [8]. De ce principe, nous pouvons en déduire deux conséquences. 

Le processus est d’abord local. Les modifications affectent des êtres particuliers sur une zone spécifique. Elles ne touchent pas de manière uniforme et identique l’ensemble de la vie répandue sur la Terre et l’ensemble des espèces. Elles introduisent des variations multiples. Le processus produit donc essentiellement de la différenciation et de la séparation. Il est donc impossible de voir un progrès global dans ces variations. S’il y a progrès, il ne pourrait qu’être local au sens où elle permettrait à une espèce de survivre dans un environnement fermé devenu hostile et de dominer d’autres espèces. Ce qui peut apparaître un avantage pour une espèce dans une zone aride peut ainsi devenir un désavantage dans une zone humide. Le progrès d’ensemble n’a donc pas de sens dans l’évolutionnisme Il ne peut y avoir qu’un progrès local et relatif… 

Le processus est aussi perçu comme une réponse à des modifications environnementales durables. Il apporte un avantage à l’être par une meilleure adaptation à des conditions de vie changeantes et défavorables. Si nous donnons alors une direction à l’évolution, nous en déduisons que les modifications environnementales sont elles-mêmes dirigées. Les paramètres tels que la température, la pluviosité, la luminosité, la pression, varient-ils en fonction d’une intention ?! Qui pourrait le prétendre ? Leurs variations sont la conséquence de mécanismes physico-chimiques, d’interactions et d’interdépendances de lois subtiles d’équilibres dans un système particulièrement complexe. 

Une « loi » génétiquement inconcevable 




Nous n’adhérons pas à l’évolutionnisme [9]. Il n’est qu’une croyance et nullement un fait avéré et acquis. Notre conviction s’appuie en particulier sur des découvertes scientifiques, notamment génétiques. Nos connaissances sur le fonctionnement des gènes et le développement de l’homme à partir de son ADN, confirmées par de nombreuses lectures sérieuses, nous persuadent en effet l’impossibilité d’une théorie d’évolution globale, expliquant l’origine de la vie à partir d’une souche commune. Elle peut s’avérer néanmoins pertinente localement pour expliquer des différentiations mineures, des variations au sein des espèces [10]. Ces connaissances nous persuadent aussi de l’impossibilité de déterminer un sens dans ces variations génétiques. Pour qu’une variation se réalise efficacement puis se transmette d’une génération à une autre, des gènes doit être modifiés dans des conditions précises sans remettre en cause le fonctionnement global du mécanisme. Donner du sens à cet ensemble de variations revient à donner du sens aux modifications de gènes elles-mêmes. Dans ce cas, ces modifications génétiques répondraient à une intention donc à une intelligence. Mais si cette intelligence est capable de diriger ce mécanisme génétique fort complexe, pourquoi ne créait-elle pas d’elle-même les espèces au lieu de procéder par touches successives, par sélection, par hécatombe ? … 

Une « loi » contestable 

Pourtant, comme l’affirme Teilhard, la complexification de la vie au cours du temps serait une évidence pour la communauté scientifique. Elle serait un fait acquis comme le serait la théorie de l’Évolution. Or la réalité est différente. De nombreux évolutionnistes ont refusé d’admettre la moindre idée de progrès dans l’évolution. 

Ce débat est aussi vieux que l’évolutionnisme lui-même. « Après mûre réflexion, j’ai la ferme conviction qu’il n’existe aucune tendance naturelle au développement progressif » [11]. Darwin s’oppose en particulier au paléontologue Alfred Hyatt, fondateur d’une théorie évolutionniste, aujourd’hui disparue, qui admettait un progrès intrinsèque au processus. Il est vrai que sur ce point, Darwin est plutôt contradictoire. Il admet en effet que les êtres se perfectionnent au cours de l’histoire de la vie, ce qui conduit inéluctablement à donner une finalité à l’évolution. Pour résoudre cette contradiction, il développe un système particulièrement complexe, voire tortueux. Cette position ambiguë est peut-être représentative de l’évolutionnisme et de ses contradictions internes. En effet, croire à une finalité dans l’évolution revient à croire à une intelligence capable de la diriger, donc inévitablement à Dieu. Or Darwin a pour objectif de construire une théorie sans Dieu, sans aucun acteur surnaturel, … Une nature sans intelligence pour la diriger… 

Nous pouvons donc regrouper les évolutionnistes en deux camps d’importance inégale : ceux qui voient une intelligence au commande du processus et ceux qui n’y voient qu’un phénomène aléatoire, sans capitaine à la barre. Le deuxième clan prédomine. Il est donc erroné de croire que la loi de complexification est communément admise par tous les évolutionnistes et encore plus par toutes les scientifiques. Pourtant, le mythe du progrès continue de dominer la littérature et l’enseignement… 

Expliquer la diversité ou l’origine de la vie ? 


Nous pouvons encore séparer les évolutionnistes selon la finalité de leurs travaux ou encore sur la raison même de leurs convictions. Certains veulent trouver dans l’évolutionnisme un processus adaptatif responsable de la diversité de la vie quand d’autres veulent découvrir et expliquer la structure même de la vie et par conséquent son origine. Teilhard fait partie de la deuxième catégorie. Adaptative ou structurelle, une théorie évolutionniste n’a pas la même importance. L’une tente de chercher une explication à une réalité physique observable, l’autre à éluder le mystère de la vie. Quelle est la finalité de la science ?... Pouvons-nous demander à la science d’expliquer l’origine de la vie ? N’est-ce pas signe d’une prétention exagérée, arrogante, ou simplement d’une ignorance profonde quand aujourd’hui, plus consciente de ses limites, la science confesse ses véritables faiblesses ? Ce n’est pas croire en la science de lui donner un tel objectif ; c’est plutôt la méconnaître et l’asservir à ses propres opinions démesurées. 

Pour conclure 

Les théories évolutionnistes ne peuvent pas donner du sens au processus de l’Évolution. Elle n’apporte aucun sens à la réalité et à l’histoire de la vie. La loi de complexification est en outre incompatible avec les découvertes scientifiques. C’est pourquoi, contrairement aux affirmations abusives de Teilhard, elle n’est pas un fait acquis et unanimement reconnue par la communauté scientifique. Au contraire, au fur et à mesure de leurs connaissances, les scientifiques sérieux rejettent cette idée infondée comme ils ont abandonné toute prétention à vouloir expliquer le sens de la vie et à lui donner toute finalité. De véritables théories se sont en outre développées pour essayer de comprendre ce qu’est la complexité tant cette notion est elle-même complexe. Teilhard n’a donc pas fondé une théorie sur une base scientifique mais bien sur une hypothèse purement philosophique, ou plus certainement psychique. Il commet surtout une faute, celle de nous abuser par d’affirmations infondées… 



Références
[1] Teilhard, Le Phénomène Humain, I, chapitre 1. 
[2] Teilhard, L’Avenir de l’Homme, V. 
[3] Teilhard, L’Avenir de l’Homme, V. 
[4] Teilhard, Note sur le Christ évoluteur. 
[5] Teilhard, Le Phénomène Humain, Postface. 
[6] Teilhard, Le Phénomène Humain, I, chapitre 1.
[7] Le Blog de Fred, Teilhard de Chardin, Mémoire, chapitre II, 29 octobre 2012, http://www.viatertia.fr/article-teilhard-de-chardin-memoire-111851227.html. 
[8] Stephen Jay Gould, L’Éventail du Vivant, Le Mythe du Progrès, éditions du Seuil, 1987. 
[9]Voir Émeraude, novembre 2012, article « L’évolutionnisme, une imposture ». 
[10]Voir Émeraude, article « Macro-évolution, micro-évolution ». 
[11] Darwin, Lettre au paléotolongue Alphone Hyatt, 4 décembre 1872, cité par S. J. Gould, L’Éventail du Vivant.