" La pierre précieuse, voire de grand prix aux yeux de certains, qu'est l'émeraude, se voit insultée par un morceau de verre habilement truqué, s'il ne se rencontre personne qui soit capable de procéder à un examen et de démasquer la faute. Et lorsque de l'airain a été mêlé à l'argent, qui donc, s'il n'est connaisseur, pourra aisément le vérifier ? "(Saint Irénée, Contre les hérésies)


lundi 27 mai 2013

Les relations entre l'Islam et les non-musulmans (3ème partie) : le christianisme

Pour poursuivre notre étude sur les relations entre l’Islam et les non-musulmans, nous allons désormais nous concentrer sur le christianisme, et plus spécialement sur Notre Seigneur Jésus-Christ et Sainte Marie… 

Îsâ ou Jésus ?
Notre Seigneur porte le nom d’"Îsâen arabe alors que les Arabes chrétiens l’appellent "Yasû’", « Dieu sauve ». Jésus provient du grec « Jesu », lui-même tiré du nom araméen, issu de « Yeshua » ou « Yâsha’ », signifiant « sauver ». C’est une forme de « Yehoshua’ », qui en Hébreux signifie « le Seigneur est mon salut ». 

D'où vient ce nom ? Le Professeur Manfred Kropp, « une sommité autant du point de vue théorique que pratique dans le domaine sémantique » [1] nous apporte une réponse. Il nous donne les différentes représentations syriaques de la forme araméenne « Ysû » : « 'ysw’' en syriaque, vocalisé en « Yêsû » en syriaque occidentale et « îsô’» en syriaque oriental » [2]. Si nous prenons comme hypothèse que la transmission est essentiellement orale, « les choses s’expliquent facilement » par évolution sémantique progressive du terme « îsô’» en « 'îsâ». Cette évolution se retrouve aussi dans d’autres noms musulmans. A.L. Premare [3] nous donne une information intéressante : on aurait trouvé la graphie de « Îsâ » dans des graffitis arabes dans le Neguev, au sud d'Israël. Ils dateraient des origines de l’Islam. Nous pouvons en déduire que ce nom ne dépend pas du Coran. Il provient probablement de l’influence chrétienne. Cette explication ne fait pas cependant l’unanimité parmi les islamologues. Certains la rejettent, considérant que les différences sont trop importantes pour l’expliquer par une évolution sémantique simple [4].

Dans notre article, nous désignerons « Îsâ » par le terme chrétien de Jésus comme le fait le traducteur Hamidallah. Il y a en effet bien identification entre ces deux termes. « Îsâ » n'a en soi aucune signification, ce qui est étrange car surtout dans les textes sacrés, les noms reflètent la nature profonde de l’être. Le nom même de Jésus porte en fait le désaccord qui existe entre les chrétiens et les musulmans.

Le Coran appelle aussi Jésus « Verbe de Dieu » (IV, 171), traduit par « souffle » dans la traduction d’Hamidallah. Selon la tradition islamique, il est appelé ainsi car il est « le fruit de la parole créatrice de Dieu » [5]. Le Coran attribue aussi à Jésus le titre de Messie, « al-masîb » de l’hébreu « mashiah » dont l’équivalent en grec est « Christ ». 

Jésus monte au paradis
Jésus, prophète éminent, porteur de l’ «Injil »

Jésus a reçu des révélations à partir d’un livre, l’« Injil ». Ce terme, traduit par « Évangile », est probablement une déformation du terme « euanggelion » [6], qui signifie en grec « bonne nouvelle ». En effet, il faut rappeler que l’Évangile ne désigne ni un texte ni un livre mais bien une « bonne nouvelle ». Contrairement à l’idée musulmane, une prophétie biblique n’est pas la transmission d’un texte céleste, consubstantiel à Dieu, mais un message, une annonce. 



Selon le Coran, l’« Injil », sous sa forme originelle, a été perdu. Les livres actuels n'en sont qu’une déformation et une falsification. Seul le Coran peut donc prétendre assumer le rôle de guide fiable. Cette affirmation permet ainsi d’enlever aux chrétiens tout recours à leurs livres sacrés. Le Coran devient la seule référence, ce qu’un chrétien ne peut évidemment accepter. Cela rompt toute discussion.

Jésus, confirmateur, législateur et annonciateur

Jésus est venu accomplir une double mission : confirmer la Torah afin de rectifier les erreurs commises par les Juifs et modifier des lois. « Je vous confirme ce qu’il y a dans la Torah révélée avant moi, et je vous rends licite une partie de ce qui était interdit » (III. 50). 

Il serait venu aussi annoncer la venue du dernier prophète, Mahomet : « quand Jésus fils de Marie dit : O enfants d’Israël, je suis vraiment le Messager d’Allah [envoyé] à vous, confirmateur de ce qui, dans la Thora, est antérieur à moi, et annonciateur d’un Messager à venir après moi, dont le nom sera Ahmed » (LXI, 6, Hamidallah). Mais dans certaines traductions et selon certains commentateurs, ce verset  peut aussi signifier que c’est bien Jésus celui qui est annoncé [7]. Un petit rappel : dans le Coran original, nous ne trouvons aucune trace de Mohammed en tant que nom d’une personne mais l’adjectif « hmd ». La traduction « hmd » par « Ahmed » provient d’une interprétation abusive du traducteur [8]. Ce verset fait allusion à l’Évangile selon Saint Jean qui annonce l’arrivée du Paraclet. Selon les musulmans, le mot grec original était « periklytos », i.d. « glorieux » ou « plus loué » et non « parakletos », i.d. « consolateur ». Or, « plus loué » s’écrit « hmd » en arabe. Mais cela revient à modifier profondément le sens de plusieurs textes ...

La filiation ambiguë de Sainte Marie 

Jésus, Marie
Miniature persanne

Le Coran présente la naissance de Jésus comme un prodige. Il est né de Marie (« Maryam ») en arabe. Le nom est dérivé de « Meryem », en hébreu, qui signifie « servante, aimée de Dieu ». 


Il existe une controverse sur sa filiation. Le Coran nous révèle en effet que Marie est fille d’Imram. Or Imram, ou Amram en Hébreu, est le père d’Aaron et de Moïse dans la Sainte Écriture (Ex., 18-20), qui effectivement ont une sœur aînée appelée Marie. Le Coran a-t-il alors confondu deux personnes qui portent le même nom et distantes de plus de mille ans ? Les musulmans nous proposent deux explications.




Certains nous rapportent qu’Imram désigne l’ancêtre de Marie et non le père direct. Donc Marie ne descendrait pas de David, qui descend de Juda. Ils contredisent donc les prophéties juives. 
Pourquoi Marie est-elle aussi appelée « sœur d’Aaron » (XIX, 28)? Or le terme de « sœur de » comme « frère de » se rapportent toujours à un contemporain. On peut nous répondre que les Juifs « se donnaient comme noms ceux des prophètes et des pieux ayant vécu avant eux » [9]. Marie a donc deux frères qui portent le même nom que les fils d'Amram...
D’autres nous présentent Imram comme le véritable père de Marie que la tradition chrétienne nomme Joachim. Imram et Joachim sont donc la même personne. « Il est dit dans la révélation coranique : Marie fille d’Imrân. Mais qu’on sache que le mot Iimrân a comme sens en hébreu Yû’aquim »[10]. Or une petite explication des termes en arabe montre que cela est bien invraisemblable. En Hébreu, « Yû’aquim » signifie « Dieu met debout », ou encore « Dieu tiendra promesse ». « Imrâm » signifie « emplir une endroit de vie », voire « Dieu crée la vie ». Quel rapport ?
Dans les deux cas, Marie aurait deux frères. Contrairement à ce que nous décrivent la tradition chrétienne et les textes apocryphes, Anne (Hannah en arabe) et Joaquim n’ont eu qu’un enfant. 
Les coïncidences sont nombreuses et troublantes entre les deux Marie, la sœur de Moïse et la mère de Jésus. Nous ne pouvons pas ne pas soupçonner une réelle confusion entre les deux personnes…

Marie dans le Coran, femme éminente…

« O Marie, certes Allah t’a élue et purifiée et Il t’a élue au-dessus des femmes des mondes » (II, 42). Marie est demeurée vierge. « Et celle [la vierge Marie] qui avait préservé sa chasteté ! Nous insufflâmes en elle un souffle de vie venant de Nous et fîmes d’elle ainsi que de son fils, un signe [miracle] pour l’univers » (XXII, 91). Reprenant la salutation évangélique, Sainte Marie est présentée comme la mère de Jésus qui a su préserver sa virginité. Sa virginité est un prodige sans cesse rappelé lorsqu’elle est invoquée. 



Un Saint Esprit méconnu

Le Coran mentionne un « Saint Esprit » dans le prodige de la naissance de Jésus et dans ses missions auquel il apporte assistance. « Nous avons donné des preuves à Jésus fils de Marie, et Nous l’avons renforcé du Saint-Esprit » (II, 87). Selon un des premiers biographes de Mohammed, Ibn Ishaq, ce terme invoque l’ange Gabriel. Il peut aussi figurer « à titre d’énergie divine médiatrice entre Dieu et ses envoyés »[11]. Nous sommes loin du sens biblique de l’expression « Esprit de Dieu » ou « Esprit Saint ».

Jésus, fils de Marie

Le Coran reconnaît de grands mérites à Marie au point qu’elle semble avoir une certaine préséance sur Notre Seigneur. Ce dernier n’est en effet toujours citée qu’à travers la formule « fils de Marie ». « […] Elle bénéficie d’une position enviable dans le Coran. Elle est la seule femme dont le nom soit mentionné ; elle est exaltée pour sa pureté (3, 42) et sa virginité perpétuelle est reconnue (21, 91) ; elle est donnée en exemple aux croyants (66, 11) »[12]. Cette association affirme la filiation naturelle de Jésus et s'oppose à la formule « Fils de Dieu », utilisée par les Chrétiens. 

Cette filiation, sans cesse évoquée, peut nous paraître anodine mais elle est en fait exceptionnelle et donc riche en informations. Car généralement les Musulmans comme les Juifs associent toujours la filiation par le père et non par la mère. Cette formule marque donc l’absence de père dans la génération du fils et souligne par conséquent le prodige de sa naissance. 

Selon le Coran, Jésus est donc le fils de Marie, et non le Fils de Dieu. C’est un homme et un serviteur d‘Allah. « O gens du Livre (Chrétiens), n’exagérez pas dans votre religion, et ne dites d’Allah que la vérité. Le Messie Jésus, fils de Marie, n’est qu’un Messager d’Allah » (IV, 171). Le Coran fulmine contre cette croyance qui s’oppose à l’unicité divine. « […] Les Chrétiens disent que le Christ fils de Marie, comme Seigneur en dehors d’Allah, alors qu’on leur a commandé que d’adorer un Dieu unique. Pas de divinité à part lui ! Gloire à Lui ! Il est au-dessus de ce qu’Ils [lui] associent » (IX, 30).

Selon certains commentateurs, Jésus apparaît supérieur aux autres prophètes tout en demeurant toujours un homme. « Pour Allah, Jésus est comme Adam qu’Il créa de poussière, puis il lui dit : « sois » et il fut » (III, 59). Jésus apparaît comme subordonné à Dieu, apprenant tout de Lui, y compris l’écriture (III, 48). 

(à suivre)




Références
[1] Pourquoi le Coran utilise-t-il le nom d’’Îsâ pour celui de Yasû’ ? Utilisé par les chrétiens arabes depuis toujourswww.lemessieetsonprophete.com.
[2] Le messie et son prophète cité dans Pourquoi le Coran utilise-t-il le nom d’’Îsâ pour celui de Yasû’? 
[3] A.-L. de Premare, La fondation de l’Islam (2002), cité dans Pourquoi le Coran utilise-t-il le nom d’’Îsâ pour celui de Yasû’
[4] Amélie Neuve-Église, La figure du Christ dans l’Islamwww.teheran.ir
[5] Marie-Thérèse Urvoy, Dictionnaire du Coran, article « Jésus », Robbert Laffon, Collection Bouquins, septembre 2007. 
[6] Mark Durie, ‘Issa, le « Jésus » musulman
[7] Petit Guide du Coran, interprétation de Bertuel. 
[8] Émeraude, août 2012, article « Mahomet, une légende ?».
[9] Hadith rapporté par Muslim, n°2135, at-Tirmidhi, n°3155, Ahmad, n°17492, cité par un blog musulman, 14 septembre 2008, article « Quid de verset où Marie mère de Jésus est nommée sœur d’Aaron ? ». Il existe aussi de longues discussions pour comprendre le véritable sens de ce hadith.
[10] Hamza Boubakeur, Le Coran, traduction et commentaire, cité par « Quid de verset où Marie mère de Jésus est nommée sœur d’Aaron ? ».
[11] Petit Guide du Coran, Dictionnaire des Concepts
[12] Eglise catholique du Var, Chrétiens et musulmans, avons-nous le même Dieu ?, http://www.diocese-frejus-toulon.com

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