" La pierre précieuse, voire de grand prix aux yeux de certains, qu'est l'émeraude, se voit insultée par un morceau de verre habilement truqué, s'il ne se rencontre personne qui soit capable de procéder à un examen et de démasquer la faute. Et lorsque de l'airain a été mêlé à l'argent, qui donc, s'il n'est connaisseur, pourra aisément le vérifier ? "(Saint Irénée, Contre les hérésies)


lundi 20 mai 2013

La loi de complexification, une erreur de perception



Teilhard et ses disciples prétendent concilier le christianisme avec la science moderne, et plus spécialement avec l’évolutionnisme, à partir d’une théorie étrange mêlant sciences, philosophie et religion. Or la loi de complexité sur laquelle elle est fondée est remise en cause par les évolutionnistes eux-mêmes mais également par les sciences. Les principes de la théorie évolutionniste, appuyées par les découvertes scientifiques, notamment génétiques, ne peuvent en effet donner du sens à l’histoire de la vie. Suivre cette voie est imprudent et dangereux. Elle ne peut que nous éloigner de la science...


La science ne peut donner du sens à la vie. C’est pourquoi le scientifique évolutionniste et épistémologue Stephen Jay Gould [1] s’oppose de manière virulente à tous ces évolutionnistes inconséquents qui persistent dans cette voie. Il est aussi un « adversaire acharné de Teilhard » [2] pour d’autres raisons. Certes, nous pouvons ne pas être d’accord avec sa vision du monde et son interprétation scientifique mais nous ne pouvons pas ne pas l’entendre, surtout lorsqu’il dénonce le mythe du progrès… 


Dans L‘Éventail de la vie, Gould se demande en quoi le progrès caractérise-t-il l’histoire de la vie. Comment pouvons-nous voir une tendance dans les multiples variations qui affectent la vie ? Cette tendance vient-elle de notre perception ou d’une cause extérieure ? Serait-elle en effet le résultat d’un préjugé ou de nos connaissances ? Le scientifique a en effet le mérite de poser de bonnes questions sur un sujet si complexe. Il se demande avant tout si l’idée de progrès est une réalité ou le fruit de notre conscience. Si nous sommes plutôt victimes de nos préjugés, alors comment pouvons-nous nous tromper en dépit de nos connaissances scientifiques ? Sa réflexion est intéressante car elle nous montre comment une idée parvient à dominer les esprits en dépit de sa fausseté. 

Première erreur : considérer un point particulier d’un système pour le système lui-même 

Selon Gould, l’erreur principale est de se focaliser sur un point spécifique d’un système tout en le considérant comme représentatif du système lui-même. Prenons un exemple. Regardons les images des manuels scolaires qui décrivent de manière chronologique l’évolution de l’homme à partir d’une souche unicellulaire. A partir d’un schéma simple, nous visualisons l’histoire de la vie selon une succession de transformations : cellules, bactéries, poissons, reptiles, mammifères, primates, hommes. Teilhard rajoute l’atome, la molécule, les corps organiques, etc. Dans cette série, les choses deviennent apparemment plus complexes. Encore faut-il définir ce qu’est la complexité, mais c’est un autre sujet. Néanmoins, nous penserons qu’effectivement, la vie semble se complexifier depuis la cellule jusqu’à l’homme ou depuis l’atome jusqu’à nous. L’image porte donc admirablement l’idée de complexification de la vie… 


Posons-nous de bonnes questions. Que représente cette chaîne dans l’arbre de la vie selon la théorie de l’Évolution ?... Une petite lignée insignifiante au regard de l’ensemble des organismes vivants, une lignée négligeable du point de vue chronologique et quantitatif. Objectivement, pouvons-nous en effet caractériser l’histoire de la vie par cette seule lignée ? Qu’est-ce qu’en effet cette lignée par rapport à toutes celles qui ont donné lieu à la biodiversité ?... Elle est en outre singulière puisque nous y sommes inclus. 


L’image biaise en fait la réalité. Elle ne représente pas l’histoire de la vie mais une aventure particulière, celle d’une lignée particulière. Pouvons-nous alors croire qu’elle est représentative de l’histoire de la vie ? Ne représente-t-elle pas plutôt une vision anthropologique de la vie ? Une vie entièrement tournée vers l’homme ? L’homme au centre de la vie… Elle s’appuie en effet avant tout sur une conviction, un présupposé : l’homme est l’apogée de la vie. Or, n’est-ce pas ce que certains évolutionnistes essayent de prouver ? La foi peut nous le dire, non la science. Teilhard élabore sa théorie non sur des principes scientifiques mais bien sur ses propres conceptions religieuses ou philosophiques.

« Nous sommes certes les détenteurs d’une extraordinaire invention de l’évolution appelée conscience […]. Mais comment tenir cette invention pour l’aboutissement suprême d’une dynamique fondamentale de la vie alors que 80% des organismes multicellulaires […] connaissent un magnifique succès évolutif et ne manifestent au cours du temps aucune tendance à la complexité neurologique […] ? » [3]. 


Finalement, en focalisant l’attention sur des particularités et en cherchant à les traduire sur un ensemble très vaste, sur toute l’histoire de la vie, le mythe du progrès finit par s'imposer. C’est la faiblesse du raisonnement inductif, si caractéristique de certains scientifiques empiristes. Nous avons déjà évoqué cette erreur dans la théorie originelle de l’évolution : la théorie restreinte a été généralisée à l’ensemble de la vie [4]. Teilhard applique aussi ce principe. Ce qui est vrai chez les uns peut être aussi être appliqué chez les autres quelle que soit leur nature [5]. C’est méconnaître absolument la complexité et la diversité de la vie… Cette erreur porte parfois le nom de réductionnisme

L’orgueil à la source du mythe du progrès ? 

Gould voit dans cette vision anthropocentrique le signe de l’arrogance humaine. « Nous nous raccrochons au progrès […] parce que nous sommes pas encore prêts pour la révolution darwinienne et qu’il est notre meilleur espoir de préserver notre arrogance dans un monde en évolution. Telles sont, à mon sens, les seules raisons qui expliquent pourquoi l’argument du progrès, malgré sa pauvreté et son invraisemblance, conserve aujourd’hui une telle emprise sur nous » [6]. Le mythe du progrès dans l’évolution est « le produit d’un préjugé social et d’un espoir psychologique », et non le résultat d’observations scientifiques. Ce n’est que pure illusion…



La foi explique la place particulière et privilégiée de l’homme dans l’œuvre de la Création mais rejette la vision anthropologique de la vie. Nous ne pouvons pas nous appuyer sur la science pour y croire. La science peut nous révéler la beauté de l’œuvre et nous aider à y voir un chef d’œuvre. « Quand j’étais jeune, j’étais croyant par tradition car ma famille l’était. C’est ainsi que, petit à petit, mon activité scientifique a approfondi ma foi » [7]. Car « la beauté du monde est un signe. Or, la science, pour moi, dévoile cette beauté du monde ». La science peut témoigner mais elle est incapable de donner du sens. 

Vision trompeuse de l’histoire de la vie… 



« De nombreuses régressions sont survenus en chemin, mais la moyenne globale au cours de l’histoire de la vie s’est déplacée du simple et du rare vers le plus complexe et le plus nombreux. Durant le dernier milliard d’années, les animaux ont dans l’ensemble évolué vers le haut en termes de taille du corps, de techniques d’alimentation et de défense, de complexité comportementale et cérébrale, d’organisation sociale et de précision dans la maîtrise de l’environnement. […] Le progrès est donc une propriété de l’évolution de la vie dans son ensemble […]. Il serait absurde de nier tout cela » [8].

Il serait en effet absurde de nier que la vie soit plus diverse et complexe qu’à l’origine, si évidemment on croit à l’évolution. Mais aujourd’hui, selon Gould, les évolutionnistes savent que l’histoire de la vie est « un buisson absolument touffu comprenant aujourd’hui d’innombrables ramilles ; et non une autoroute ou une échelle avec un sommet » [9]. La vision de la vie change profondément si nous oublions cet ensemble diffus et si nous nous focalisons sur une lignée, c’est-à-dire sur une zone particulière d’un système fortement complexe. 

Autre erreur : confondre conséquences et causes 

La science montre la diversité de la vie par d’innombrables variations aussi bien dans le temps que dans l’espace. Pour essayer de bien saisir les mécanismes qui ont donné lieu à la biodiversité, on recherche peut-être une tendance dans ce qui n’est peut-être qu’un ensemble de variations aléatoires, d’événements sans relations. Car on veut créer du sens dans ce qu’est finalement que du non-sens. En clair, l’erreur n’est-elle pas de confondre ce qu’on voit et ce qui l’a produit, les conséquences avec les causes ? Ce n’est pas parce que l’homme semble plus complexe qu’un poisson et que ce dernier est plus ancien que l’homme que nous pouvons affirmer que cette complexité a été voulue. Nous constatons le fait mais nous en ignorons la cause par cette simple observation… 

Mais me direz-vous, selon les thèses évolutionnistes, à l’origine, le monde était peuplé d’organismes monocellulaires et aujourd’hui, nous voyons se déployer les mammifères et les hommes, êtres beaucoup plus complexes. Certes, … mais aujourd’hui encore la grande majorité des organismes sont encore unicellulaires. En outre, comment voulez-vous faire évoluer un tel organisme ? Il ne peut que se complexifier ou disparaître si vous voulez le faire évoluer. La complexité peut simplement être une conséquence passive du développement de la vie. 

La biologie et la génétique nous apprennent aussi que l’organisme ne peut évoluer que « prudemment », dans des conditions très précises. Toute variation trop importante peut en effet lui être fatale. Des modifications de gènes peuvent par exemple entraîner l’arrêt du développement d’un embryon. Toute vie est en effet en quelques sortes encadrées par des barrières qu’elle ne peut pas dépasser sans périr. La limite droite au-delà de laquelle il n’est plus possible d’évoluer pourrait être considérée par erreur comme une finalité alors qu’elle n’est qu’une barrière infranchissable. Et ces limites empêchent finalement toute évolution, encore moins toute tendance… 




Un système peut évoluer uniquement que dans un sens et jusqu’à un certaine limite. La moyenne des variations observées pourra croître vers cette limite et donnera l’impression qu’effectivement, elle suit une tendance. Gould choisit un autre exemple dans le sport. Les sportifs atteignent rapidement des records dans une discipline puis progressivement, ils s’approchent peu à peu d’un plafond infranchissable. Si nous n’observons que les élites, nous verrons en effet que les progrès s’affaiblissent mais si notre regard porte sur l’ensemble des sportifs, nous verrons peut-être des progrès significatifs. Nous nous plaindrons de l’absence de record alors qu’en réalité, le niveau d’ensemble a progressé. Se focaliser uniquement sur les élites en oubliant les limites des capacités humaines donne une interprétation erronée de la réalité. 

Une vision faussée par des erreurs d’interprétation et l’emploi d’outils statistiques inadaptés 

Autre erreur de perspectives encore plus flagrantes auxquelles nous sommes peut-être plus intéressés. Les statistiques… Prenez une population de garçons de même taille. Nous voulons savoir s’ils deviennent obèses avec le temps. Ils pèsent en moyenne ce que nous pouvons attendre. Cinq ans plus tard, la moyenne dépasse dix kilos du poids attendu. Que pouvons-nous en conclure ? Que l’obésité est une tendance chez les garçons actuels ? Certains de ses enfants, une minorité peut-être, seront peut-être obèses quand d’autres poursuivront normalement leur croissance, voire maigriront. Devons-nous conclure de manière générale à l’obésité de l’ensemble ? La distribution des variations nous permettra en fait de mieux percevoir la réalité. La moyenne est en effet nettement insuffisante et trompeuse dans de nombreux cas. La statistique possède d’autres mesures plus pertinentes adaptées à la situation. « Le choix correct repose sur une connaissance de tous les facteurs en jeu … et sur une foncière honnêteté ». Or connaître tous les facteurs en jeu revient à connaître le système étudié. Pouvons-nous alors honnêtement les connaître dans le cas qui nous intéresse : l’histoire de la vie ? Pourtant, combien de fois jugeons-nous uniquement sur la moyenne, comme ces évolutionnistes qui vous donnent en moyenne l’évolution des dimensions crâniennes des primates pour prouver qu’elles n’ont cessé de grandir ? 




Posons-nous encore une question de bon sens. Sur quelles données pouvons-nous fonder la loi de complexification ? Comment pouvons-nous mesurer l’"évolution" de la boîte crânienne des primates depuis leur « apparition » ? Comment peut-on suivre l’évolution de la complexité neurologique des organismes vivants depuis quelques milliards d’années ? Par les fossiles ? Or les fossiles sont déjà en nombre insuffisants pour justifier la théorie de l’évolution. Il n’est pas en fait possible d’avoir des mesures statistiques adéquates. Et les neurones ne se fossilisent pas [10]. Nous savons aussi combien les fossiles sont si peu bavards. Selon Gould, « au-delà des deux premières transitions, aucun organisme de cette séquence n’est un ancêtre direct de l’organisme suivant » [11]. C’est le problème des chaînons manquants [12]. En clair, nous n’avons pas suffisamment de données statistiques fiables pour bâtir des mesures adaptées. Notre perception ne peut qu’en être biaisée. Tout graphique statistique fausse la réalité… 

Autre erreur : tendance à construire du sens là où il n’y a aucun sens… 

Gould explique cette erreur par une tendance bien humaine : celle de raconter une histoire. « Nous aimons forger des histoires et sommes nous-mêmes le produit de l’histoire » [13]. Devant des faits qui se succèdent sans relations apparentes, nous essayons d’en fabriquer du sens. Laissez un enfant regarder un film qu’il ne pourra pas comprendre. Et pourtant, à partir des images qu’il verra, il pourra peut-être vous raconter une histoire, différentes de celle du film, une histoire construite selon sa propre cohérence… 

Il parle d’une autre tendance bien humaine : « notre puissant désir d’identifier des tendances nous conduit souvent à déceler un mouvement qui n’existe pas ou à invoquer des causes dépourvues de fondement » [14]. La tendance évidente n’est peut-être qu’une suite d’événements aléatoires, de circonstances fortuites… 


Pour donner du sens à la vie, la saisir de manière impartiale dans toute sa réalité, ce que nous ne savons pas faire… 


Gould montre dans son ouvrage, par quelques exemples judicieux, que nos interprétations sont finalement biaisées par notre regard. Nous croyons parfois voir une tendance dans un ensemble de variations quand en réalité, elles ne suivent aucune direction. « Cette erreur commune réside dans le fait que nous pensons une tendance comme le mouvement d’une entité dans une certaine direction, alors qu’elle peut être la conséquence secondaire d’un accroissement ou d‘une diminution des variations au sein d’un système, de l’ouverture ou de la fermeture de l’éventail des possibles » [15]. Nous avons peut-être tendance à oublier de considérer le système dans son ensemble et à porter notre attention de manière partisane sur une partie non représentative de ce système… 

Pour identifier une tendance dans un ensemble de variations, il est donc nécessaire de saisir tout l’ensemble et de connaître le système dans sa totalité. Or la science est non seulement incapable de saisir toute la réalité mais aussi elle reste attachée au système, qu’elle étudie toujours de manière subjective [16]. En clair, nous ne pouvons pas percevoir de nous-mêmes le moindre sens dans l’histoire de la vie, que nous soyons évolutionnistes ou non. 

S’il faut appréhender l’ensemble du système pour identifier un sens à son évolution globale, il faut en effet d’abord s’extraire de ce système. Or l’homme en est aussi incapable puisqu’il en est un élément indissociable. Par la foi, nous savons cependant que Dieu est hors de l’Univers. Lui-seul peut donc nous répondre… Si nous voulons trouver un sens à l’histoire de la vie, il ne faut donc pas se tourner vers la science mais vers Dieu, c’est-à-dire vers une Révélation… 

Cette erreur de perception n’est pas spécifique à la science. Elle peut toucher tout domaine de connaissances. Si nous nous focalisons sur un verset de la Sainte Écriture ou sur l’enseignement d’un Père de l’Église en oubliant le tout auquel il appartient, nous arrivons rapidement à des contre-sens, à des malentendus, à des erreurs. Ainsi, faut-il se tourner vers l’autorité qui dispose de cet enseignement complet et fiable… 



Références
[1] Stephen Jay Gould (1941-2002), paléontologue américain, professeur de géologie et d’histoire des sciences à l’université de Harvard. Il a écrit de nombreux ouvrages de vulgarisation sur l’évolution. Il a fondé la théorie des équilibres ponctués. 
[2] Gould a accusé Teilhard dans les années 80 d’être un des acteurs du scandale de l’homme de Pilttdown. Il le considérait comme un faux savant. Voir Émeraude, novembre 2012, article « La scandaleuse affaire de l’homme de Piltdown ».
[3] Stephen Jay Gould, L’Éventail du Vivant, chapitre1. 
[4] Émeraudedécembre 2012, article « micro-évolution, macro-évolution »
[5] Émeraude, janvier 2013, article « les grands principes de Teilhard ». 
[6] S. J. Gould, L’Éventail du Vivant, chapitre 2. 
[7] Jean Kovalesky, spécialiste d’astronomie, spécialiste en mécaniste céleste, membre de l’Académie des sciences, entretien dans la revue Ciel et Espace, mai 2013. 
[8] E. G. Wilson, La Diversité de la Vie, Odile Jacob, 1993, traduction de The Diversity of Life, 1992, cité dans S. J. Gould, L’Éventail du Vivant
[9] S. J. Gould, L’Éventail du Vivant, chapitre 2. 
[10] On considère en fait que la complexité du cerveau est proportionnelle à sa taille et donc à la taille de la boîte crânienne. 
[11] S. J. Gould, L’Éventail du Vivant, chapitre 14. 
[12] Voir Émeraude, novembre 2012, article « Uniformitarisme et catastrophisme ». 
[13] S. J. Gould, L’Éventail du Vivant, chapitre 3. 
[14] S. J. Gould, L’Éventail du Vivant, chapitre 3. 
[15] S. J. Gould, L’Éventail du Vivant, chapitre 3. 
[16] Notre propre mesure modifie ce que nous mesurons à un certain niveau de mesure. Nous sommes en quelques sortes nous-mêmes « juge et partie ».

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