" La pierre précieuse, voire de grand prix aux yeux de certains, qu'est l'émeraude, se voit insultée par un morceau de verre habilement truqué, s'il ne se rencontre personne qui soit capable de procéder à un examen et de démasquer la faute. Et lorsque de l'airain a été mêlé à l'argent, qui donc, s'il n'est connaisseur, pourra aisément le vérifier ? "(Saint Irénée, Contre les hérésies)


vendredi 24 mai 2013

Sir Francis Galton, le père de l'eugénisme moderne

« L’eugénisme de Galton est un programme de sélection artificielle pour produire une race humaine supérieure » [1]. 


Sir Francis Galton (1822-1911) a utilisé le premier le terme d’eugénisme en 1883 [2]. A ce titre, il est reconnu comme le père de l’eugénisme moderne. Il a inspiré les politiques eugénistes et a fait développer l’eugénisme britannique. Saisi par la théorie de l’évolution de Darwin, son cousin, il est convaincu que l’homme peut continuer la sélection naturelle par la science. Cependant, sans lui enlever la paternité de l’eugénisme moderne, il faut bien avouer que depuis deux siècles, les théories eugénistes se sont bien développées et lui ont fourni les bases intellectuelles nécessaires dont il avait probablement besoin. Cet article a pour but de vous faire connaître le père de l’eugénisme moderne… 



Galton est un homme de science britannique du XIXème siècle, un « génie victorien »[3], « un génie à l’état pur » [4]. Il a foi en la science, et particulièrement dans la statistique, la mesure, le nombre. Sa fiche signalétique sur Wikipédia est exemplaire : « anthropologue, explorateur, géographe, inventeur, météorologue, proto-généticien, psychométrique et statisticien ». Parmi ses exploits, nous pouvons en effet signaler la découverte du caractère unique des empreintes digitales et l’usage qu’on pouvait en faire en criminologie, la mise au point du procédé de « photographie composite » [5], à l’origine des méthodes actuelles de morphing [6], la fondation de la psychométrie [7], l’invention de méthodes statistiques, notamment en psychologie, la découverte de nouvelles lois de probabilité, etc. 


Il est incontestablement un homme brillant qui touche à tout. En étudiant de plus près ses découvertes, nous pouvons constater qu’elles tournent en fait presque toutes vers un même sujet : la mensuration biométrique. Il est en effet « l’apôtre de la quantification » [8]. Il est surtout fasciné par les statistiques, « cette science pleine de beauté et d’intérêt » [9]. « Galton avait une tournure d’esprit essentiellement mathématique et statistique, il adorait compter » [10]. 



A partir d’observations biologiques, il identifie des caractères identitaires mesurables de l’individu puis les mesure pour en dresser un portrait générique physio-psychologique. Il applique ensuite la théorie des probabilités et les méthodes statistiques sur ces données et finalement sur l’homme. Ainsi peut-il inventer « l’homme-moyenne », classer les êtres humains et les hiérarchiser … 



Galton est un évolutionniste convaincu. La publication de L’Origine des Espèces de Darwin est une révélation pour lui. La théorie de l’évolution lui permet d’envisager que les talents, les facultés intellectuelles, les caractères psychologiques et physiques sont le résultat de l’évolution. Plus besoin de faire intervenir Dieu… En outre, il est convaincu que les qualités physiques et intellectuelles sont héréditaires, l’environnement jouant un rôle secondaire. La science serait-elle donc capable de les contrôler ? 

Les inégalités, notamment sociales, sont donc naturelles et s’expliquent par des facteurs héréditaires. « Selon Galton et ses contemporain, la pauvreté correspond à un état biologique : il est pauvre car il est déterminé biologiquement ainsi » [11]. Si la qualité d’un homme est finalement biologique, il est alors possible de l’améliorer biologiquement. « Quand j’eus compris que l’hérédité des qualités mentales, sur lesquelles j’avais fait mes recherches, était réelle, et que l’hérédité était un moyen de développer des qualités humaines, beaucoup plus puissant que le milieu, je désirai explorer l’échelle des qualités dans des sens différents, en vue d’établir dans quelle mesure l’enfantement, tout au moins théoriquement, pouvait modifier la race humaine. Une nouvelle race pouvait être créée, possédant en moyenne un degré de qualité égal à celui rencontré jusqu’ici dans les cas exceptionnels » [12]. L’eugénique est le moyen, selon Galton, de créer cette « nouvelle race ». 




L’eugénisme est la « science de l’amélioration de la race qui ne se borne nullement aux questions d’unions judicieuses, mais qui, particulièrement dans le cas de l’homme, s’occupe de toutes les influences susceptibles de donner aux races les mieux douées un plus grand nombre de chances de prévaloir sur les races les moins bonnes » [13]. Il s’agit avant tout d’étudier tout ce qui permet de promouvoir les désirables. Sa définition prend aussi en compte les facteurs héréditaires et environnementaux. Il ne se borne pas au contrôle des mariages et des unions. 
En 1904, Galton propose une autre définition : « étude des facteurs socialement contrôlables qui peuvent élever ou abaisser les qualités raciales des générations futures, aussi bien physiquement que mentalement » [14]. La deuxième définition est plus précise et restrictive. Elle prend désormais en compte tout ce qui touche les indésirables. Elle définit la nature de ses qualités : physique et mentale. Enfin, la dernière définition restreint l’eugénisme au champ social… La « race » peut donc s’élever en étudiant et en manipulant les qualités physiques et morales en vue des désirables au détriment des indésirables… 

Galton propose d’appliquer à l’homme la sélection artificielle puisqu’elle est efficace dans la reproduction des animaux. « L’amélioration du cheptel humain ne posait aucune difficulté insurmontable » [15]. On peut « obtenir par une sélection attentive, les races de chiens et de chevaux dotées de qualités spéciales […] et qu’il serait souhaitable de produire une race humaine supérieurement dotée par les moyens semblables » [16]. L’eugénisme ne se borne pas à étudier ; il est destiné à trouver des solutions pratiques, concrètes, efficaces pour parvenir à l’objectif fixé : créer une race humaine supérieure

Il est aussi un moyen de garantir la puissance de l’Angleterre. L’eugénisme permettra en effet de lutter contre la dégénérescence des élites, les « désirables », que constituent les ingénieurs, les médecins, les professions libérales, les hommes d’État, etc. Il doit encourager la reproduction des élites et freiner la reproduction des faibles. 

Mais pour être efficace, l’eugénisme doit apparaître comme un état d’esprit. Pour cela, Galton propose de faire de l’eugénisme une religion « laïque, substitut scientifique aux religions officielles », prônée par « une sorte de clergé scientifique » et d’« interdire sévèrement toutes les formes de charité sentimentale qui sont nuisibles pour la race » [17]. Elle développera néanmoins « les liens de l’espèce », « prend en considération les familles et les sociétés dans leur entièreté », « étend la philanthropie aux générations futures ». 

Le but de Galton est donc de faire de l’eugénisme une discipline scientifique à part entière et de l’introduire « dans la conscience nationale comme une religion ». Pour cela, il intervient dans des conférences, fonde plusieurs revues, stimule la création de sociétés eugéniques, crée un laboratoire… La prudence et de la discrétion sont aussi nécessaires. « Il est avant tout nécessaire, pour que les progrès de l’eugénisme soient couronnés de succès, que ses défenseurs procèdent avec discrétion et ne prétendent pas à une efficacité plus grande que celle que le futur pourrait confirmer » [18]. 

Pour appliquer son programme eugéniste, fallait-il encore prouver qu’effectivement les facultés intellectuelles étaient héréditaires pour que la sélection puisse agir. Ne seraient-elles pas plutôt sensibles aux facteurs environnementaux, au climat, à l’éducation, à la religion, au régime politique, à la richesse, etc. ? Par la statistique, il tente de distinguer et d’évaluer les parts respectives de l’hérédité et de l’acquis. Il cherche alors par tous les moyens de collecter des données statistiques d’anthropométriques tant physiques que psychologiques. Il mènera notamment des enquêtes par des questionnaires biaisées [19]. Il fonde un Laboratoire d’anthropométrique pour encourager la collecte d’informations… 

« L’opposition radicale entre hérédité et environnement était une idée propre à Galton tout à fait originale pour l’époque » [20]. On pensait à l’époque que toute variation héréditaire était d’abord variation acquise. L’enfant ressemble à ses parents car il provient d’eux. Avec la théorie d’évolution de Darwin, certains scientifiques pensent qu’il n’y a plus réellement de distinction entre les deux facteurs de variation que sont l’hérédité et l’environnement. Plus exactement, il y a interdépendance. « Il n’y a pas de séparation stricte entre deux systèmes de causalité distincts : ce qui environnemental, acquis, peut devenir progressivement héréditaire, et inversement, ce qui est héréditaire peut être transformé sous l’action de l’environnement » [20]. Ces deux facteurs finissent par se confondre à long terme. Telle était en particulier la théorie d’Alphonse de Candolle, un adversaire de Galton. 

Pour prouver sa théorie, Galton distingue vigoureusement deux composantes dans la constitution de l’organisme : la « nature » et la « nurture ». Un caractère est dit naturel s’il était héréditaire, c’est-à-dire susceptible d’évoluer. La « nurture » regroupe l’ensemble « des conditions externes à l’espèce, aussi bien physiques que culturelles : nourriture, climat, éducation, environnement socioculturel, etc. » [20]. Cela signifie que les variations sous l’effet de la « nurture » devaient être pratiquement sans effet sur la « nature » de l’organisme ou de sa lignée. L’enfant ressemble à ses parents car ils sont les produits d’une cause commune sous-jacente. Ainsi, selon Galton, la continuité des lignées embryonnaires explique seule les qualités de l’individu. Par conséquent, la volonté personnelle ne permet pas de les acquérir. « Je ne supporte pas l’hypothèse parfois exprimée, et souvent sous-entendue, surtout dans les contes écrits pour apprendre aux enfants à être sages, que les bébés naissent pratiquement semblables et que les seules actions créatrices de différence entre garçon et garçon, et entre homme et homme, sont les attentions soutenues et l’effort moral » [21]. Le déterminisme individuel précède la naissance ; l’eugénisme est justifié… 

Ainsi, armé de multiples données qu’il a collectées et des outils de la statistique, Galton tente de montrer que pour faire perfectionner l’espèce humaine, l’éducation est impuissante et qu’il faut agir biologiquement sur l’homme. La solution est donc uniquement d’ordre biologique. Or sa théorie se développe au moment où les « élites » occidentales semblent percevoir une dégénérescence de l’homme occidental et craint la perte de son hégémonie sur le monde. En outre, les dépenses liées aux mesures sociales sont de moins en moins appréciées. L’eugénisme, une solution pertinente pour les"élites" ?… 



Références
[1] D. Aubert-Marson, Sir Francis Galton : le fondateur de l’eugénisme, revue M/S Médecine Sciences, juin – juillet 2009, n° 25., http://mon.univ-montp2.fr/.
[2] F. Galton, Hereditary Genius : Inquiries into Human Faculty and its Development, 1869. 
[3] Forrest, DW Galton : the life and work of a Victorian genius, 1974, dans D. Aubert-Marson, Sir Francis Galton : le fondateur de l’eugénisme.
[4] Kevles Dj., Au nom de l’eugénisme, 1995, dans cité dans [1]
[5] A partir d’une multitude de clichés individuels, on peut isoler une physionomie typique et on parvient à un portrait type. 
[6] Technique consistant à « transformer de la façon la plus naturelle et la plus fluide un dessin initial vers un dessin final » (Wikipédia). Elle permet de transformer un visage en un autre, par exemple pour simuler le vieillissement.
[7] « L’art d’imposer la mesure et le nombre sur les opérations de l’esprit, comme dans la pratique de déterminer les temps de réaction des différentes personnes » (Francis Galton, Brain, 1879, www.w3.uohpsy.univ-tlse2.fr). 
[8] Gould, cité dans [1]
[9] F. Galton, cité dans [1].
[10] Thuillier, P. Galton, un grand bourgeois de la science. La Recherche 1975 cité dans cité dans [1]
[11] D. Aubert-Marson, Sir Francis Galton : le fondateur de l’eugénisme
[12] F. Galton, Mémoires, cité dans [1]
[13] F. Galton, Hereditary Genius : Inquiries into Human Faculty and its Development, cité dans [1].
[14] F. Galton, cité par Abbé Arnaud Sélégny, article « L’ère chrétienne » dans les Cahiers Saint Raphaël, Eugénisme : trier les hommes, n°91, Juin 2008. 
[15] F. Galton, Hereditary Genius : Inquiries into Human Faculty and its Development, dans D. Aubert-Marson, Sir Francis Galton : le fondateur de l’eugénisme
[16] F. Galton, Hereditary Geniuscité dans [1]
[17] F. Galton, The Americain Journal of Sociology, 1905, cité dans [1]
[18] F. Galton, Essays in eugenics, 1909, cité dans [1]
[19] Charles Lenay montre en effet que l’enquête mené par F Galton est biaisée dans Francis Galton : inné et acquis chez les grands hommes de la Société royale de Londres dans Bulletins et Mémoires de la Société d’anthropologie de Paris, Nouvelle Série, tome 6, fascicules 1-2, 1994, http://www.persee.fr. 
[20] Charles Lenay, Francis Galton : inné et acquis chez les grands hommes de la Société royale de Londres 
[21] F. Galton, Hereditary Genius : Inquiries into Human Faculty and its Development, 1869, réédition 1962, Charles Lenay, Francis Galton : inné et acquis chez les grands hommes de la Société royale de Londres.

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