" La pierre précieuse, voire de grand prix aux yeux de certains, qu'est l'émeraude, se voit insultée par un morceau de verre habilement truqué, s'il ne se rencontre personne qui soit capable de procéder à un examen et de démasquer la faute. Et lorsque de l'airain a été mêlé à l'argent, qui donc, s'il n'est connaisseur, pourra aisément le vérifier ? "(Saint Irénée, Contre les hérésies)


lundi 26 mars 2012

Le Coran incréé, une contradiction fondamentale...

Si nous voulons remettre en cause le Coran, nous nous heurtons rapidement à un « dogme » musulman : son caractère incréé, qui lui confère l'infaillibilité. Pour éviter les malentendus, nous précisons que le terme de Coran utilisé dans cet article ne concerne pas sa forme matérielle, c'est-à-dire le livre, mais par ce terme, nous désignons la parole éternelle de Dieu, contenue ou incarnée dans le Coran, ou encore la « mère des Livres » retranscrit dans le Coran et modèle de tous les autres livres saints, ou plus simplement la parole de Dieu. Mais, nous avons pu constater que certains musulmans considèrent aussi la forme matérielle comme incréée, ce qui ne semble pas néanmoins être communément admis ... 


Que signifie le terme d'incréé ? Créer signifie : faire advenir un être d'une autre nature que soi (1). Il est évident que seule une créature est créée. En affirmant que le Coran est incréé, les musulmans veulent bien dire qu'il n'est pas une créature. Que peut-il être ? 

Comme les musulmans, nous croyons que Dieu a tout créé. Il est le créateur du ciel et de la terre, c'est-à-dire de toute chose (2). Si une chose est créée, cela signifie donc qu'elle n'est pas Dieu. Mais, si la chose n'est pas créée, qu'est-elle ? Serait-elle quelque chose différente de Dieu ? Anathème me répondront les musulmans. Dire qu'une chose n'est pas une créature signifie qu'elle n'est pas créée donc qu'elle est Dieu. Être une créature est donc la seule manière possible de ne pas être Dieu. Le Coran est par conséquent Dieu. Anathème m'accuseront les musulmans... 

Dieu et sa parole ne peuvent pas être identiques. Il existe nécessairement un rapport entre Dieu et sa parole, le premier étant source de la seconde, le premier produisant quelque chose que nous appelons parole. Si la parole et Dieu étaient uns, comment distinguerons-nous Dieu de sa parole ? Nous voyons alors poindre une contradiction apparente. Le « dogme » du Coran incréé implique que la relation entre Dieu et sa parole est telle qu'elle comporte une différence et une identité. Ils sont plusieurs tout en étant un... 

Nous, chrétiens, nous disons que la Parole de Dieu a été engendrée et non créée. Engendrer signifie : faire advenir un être du même genre que soi. Donc la Parole de Dieu est Dieu. Nous sommes ainsi confronter à la même contradiction que celle de la doctrine islamique. Comment le christianisme concilie-t-il identité et différence ? Par le dogme de la Trinité. La Parole de Dieu, ou encore dit le Verbe, est Fils de Dieu. Elle est une Personne divine comme notre Père et le Saint Esprit, Trois Personnes divines en un seul Dieu. Le dogme de la Trinité est la réponse du christianisme à cette contradiction qui n'en est pas une. 

L'islam refuse d'envisager la parole éternelle de Dieu comme une personne parce que cela lui paraît incompatible avec l'unicité de Dieu. Il voit dans la doctrine chrétienne un dédoublement de Dieu, contraire au monothéisme. Mais, comment l'islam répond à la contradiction énoncée plus haut ? Quel est le statut de la parole éternelle de Dieu ? 

L'islam affirme à la fois que la parole de Dieu est incréée, donc n'est pas une créature de Dieu, et qu'elle n'est pas aussi Dieu lui-même. Il y aurait donc quelque chose qui ne serait ni Dieu, ni une créature de Dieu ? Or, entre être Dieu ou ne pas l'être, il n'y a pas de milieu possible. Nous sommes probablement devant une difficulté fondamentale de l'islam. 



Néanmoins, l'islam est conscient de cette contradiction. Pour y répondre, il a élaboré la doctrine des attributs de Dieu. Elle déclare que comme l'omnipotence ou l'omniscience, la parole de Dieu ne constitue pas une « entité » indépendante de Dieu, qui aurait son existence propre, et qu'elle est absolument inséparable de lui. Les musulmans pensent ainsi éviter tout dualisme et tout rupture dans l'unité de Dieu. Mais, est-ce vraiment une solution ou une autre difficulté encore plus grande à surmonter ? 

La parole de Dieu est « un attribut pré-éternel d'Allah, un attribut par lequel Il ordonne, interdit et informe, cette parole est exprimée dans ce qu'Allah a révélé à ses Messagers comme livres, tels le Coran, la Thora ou l'Évangile » (Cheikh Mohamed Saîd Ramadane Al Boutti dans Les grandes vérités de l'univers, trad. fr. www.Aslama.com. ). 

Qu'est-ce qu'un attribut ? Ce terme désigne, selon la philosophie grecque, reprise par les musulmans, une certaine forme de l'être qui se distingue de celle du sujet. L'attribut est attribut de quelque chose ou de quelqu'un, en quoi ou en qui il est présent. Il est en outre inséparable du sujet dont il est l'attribut. Il désigne en quelque sorte ce qui fait qu'un sujet est ce qu'il est. L'attribut s'oppose à l'accident qui n'est rien d'essentiel, d'indispensable pour le sujet. Cet homme a les yeux bleus. Voilà un accident. Il est mortel. Voilà l'attribut... 

Mais, cette inséparabilité ne signifie pas nécessairement qu'il n'existe pas de lien entre l'attribut et le sujet dont il est attribut. Certes, ils peuvent s'identifier au point que nous puissions croire qu'il n'existe plus de lien entre eux, c'est-à-dire que les liens sont si forts qu'ils ne peuvent se rompre. Donc dire que la parole de Dieu est un attribut de Dieu ne signifie pas qu'il n'existe pas de lien entre eux. Dans le sujet qui nous préoccupe, c'est encore plus évident. Il y a Dieu et sa parole donc il existe bien un rapport de provenance entre les deux, une certaine relation. Être source de parole signifie bien « produire quelque chose ». Cette « chose » est bien le fruit d'une action dont le résultat est la parole. Si ce résultat n'est rien, cela signifie que l'action n'a pas été efficace, que Dieu n'a pas parlé. 

Nous ne sommes pas dans le cas de l'omnipotence qui n'est pas une réalité distincte de Dieu, mais seulement une notion par laquelle nous pouvons caractériser ce que Dieu est. L'omnipotence n'est pas le fruit d'une action. Elle est plutôt un état, la puissance de réaliser une œuvre. Elle n'est donc pas distincte du sujet en lequel elle se trouve. La capacité de parler est aussi une puissance, qui réalisée, devient acte, c'est-à-dire le fait de parler. Il faut distinguer le fait de parler et la parole effectivement prononcée. La parole n'est donc pas un attribut de Dieu. Elle est le résultat d'une activité et a une existence propre. 

Il existe donc un rapport entre Dieu et sa parole, rapport qui les distingue bien. Quel est ce rapport ? De quelle façon Dieu est-il source de sa parole ? En la créant ? Non, dit l'islam. En l'engendrant ? Non, dit encore islam. C'est un attribut. Non plus. Mais, cette œuvre est-elle Dieu ou n'est-elle pas Dieu ? La question reste sans réponse. Selon l'islam, la parole de Dieu n'est ni Dieu, ni une créature de Dieu, ce qui est impossible. Nous pourrons même accuser les musulmans de vouloir associer à Dieu une chose qui est ni Dieu, ni une créature. Seraient-ils des « associateurs » comme ils nous accusent de l'être ? 

Les musulmans ont perçu très rapidement cette difficulté fondamentale. Au IXème siècle, une école théologique, le mu'tazilisme, a été consciente de cette contradiction. Elle a logiquement réfuté la doctrine du Coran incréé. Elle n'a pas cru que Dieu ait délivré aux hommes un livre ayant l'attribut d'éternité comme Dieu. Elle a rapidement compris que la croyance en un Coran incréé contredisait la foi en l'unicité divine car elle impliquait une association à Dieu. Elle a plutôt considéré le Coran comme une création, un fait d'histoire qui s'explique par des circonstances et des hommes. Le calif Al-Ma'mûm soutient cette doctrine et l'impose comme doctrine officielle en 827, en dépit de la résistance de la haute hiérarchie musulmane. Il tente de l'imposer par la force, notamment en instaurant une police et une justice de la pensée. Mais, en 847, un de ses successeurs revient au « dogme » du Coran incréé. A son tour, il a interdit de professer la création du Coran sous peine de mort. Aujourd'hui, il demeure un « dogme inviolable », ... 


1 La définition de créer est pris au sens large. La création ex nihilo a un sens restrictif. 
2 Parfois, nous attribuons à la Révélation un caractère divin au sens où elle a pour source Dieu Lui-même. C'est aussi dans ce sens que nous pouvons dire que la création est divine.

vendredi 23 mars 2012

Incomplétude des théories


En 1931, un mathématicien et logicien, Kürt Godel (1906-1978) annonce deux théorèmes qui à cette époque ne semblent pas troubler la communauté des mathématiciens, encore moins celle des sciences. Aujourd'hui, ils semblent révolutionner l'esprit des scientifiques au point que les sciences aient changé de statut et de prétentions... 

A cette époque, certains scientifiques pensaient pouvoir démontrer toutes les vérités par déduction et les représenter dans un modèle mathématique. En effet, aujourd'hui, que pouvons-nous voir et admirer parfois sur les écrans de nos ordinateurs ? Un monde virtuel, semblable à celui que nous connaissons. Aujourd'hui, les expériences nucléaires comme l'entraînement au vol peuvent être simulés. Or, qu'est-ce que l'informatique si ce n'est des opérations appliquées sur des nombres naturels, c'est-à-dire de l'arithmétique ? Nous pouvons encore croire aujourd'hui que le monde peut se modéliser et être expliqué sous forme mathématique. Tel est le prodige dont nous sommes témoins, prodige qui n'est pourtant qu'une illusion... 

Connaissez-vous le paradoxe du menteur ? « Tous les crétois sont des menteurs, c'est un crétois qui le dit... ». Que pouvez-vous dire de cette proposition ? Est-elle vraie ou fausse ?... Quelle que soit la réponse que vous allez donner, vous allez vous tromper ! 

Prenons un autre exemple. Supposons que l'homme soit capable de construire une machine qui répond vraie ou fausse à une affirmation qu'on lui donne, sans se tromper. Posons-lui alors l'affirmation suivante : « la machine ne répondra jamais vraie à cette question ». Qu’elle réponde vrai ou faux, dans les deux cas elle dit faux. Elle ne peut donc pas répondre sans se tromper. Mais, la proposition est vraie puisque la machine ne pourra jamais répondre vrai. Cette phrase est une vérité que la machine ne pourra pas découvrir. 


Ces deux paradoxes vous montrent ce qu'est l'incomplétude d'une théorie. Dans une théorie « convenable », il existe des propositions dont la véracité ou la fausseté est indémontrable. Cela est vrai pour l'arithmétique, et par conséquent pour toutes les sciences qui l'utilisent. Les deux théorèmes inattendus de Kürt Godel est donc d'une portée énorme. 

Avant de vous exposer ces théorèmes sous une forme simple et compréhensible, commençons par le commencement, c'est-à-dire par des définitions. Une théorie est un ensemble de formules écrites avec des symboles puisés dans un ensemble de symboles appelé langage. Les éléments d'une théorie contiennent un ensemble d'axiomes. Une théorie est dite consistante si et seulement s'il est impossible à démontrer à la fois une formule et sa négation. C'est le principe de la non-contradiction. Elle est dite récursive s'il est possible de démontrer si une formule donnée fait partie des axiomes de la théorie. Une formule est dite décidable dans une théorie si cette dernière la démontre (ou sa négation). On démontre à partir de ses axiomes et avec les règles de la logique si la formule est vraie ou fausse. Une théorie est dite complète si et seulement si elle est consistante et si toute formule est décidable. 

Revenons maintenant aux deux théorèmes de Gögel : 
  • si une théorie est consistante et récursive contenant l'arithmétique, alors il existe des formules indécidables, c'est-à-dire que cette théorie est incomplète ; 
  • aucune théorie consistante et récursive contenant l'arithmétique n'est capable de démontrer sa propre consistance. 
Que signifie la formule « consistante et récursive contenant l'arithmétique »? 

Pouvoir repérer les axiomes de sa propre théorie est normal (récursivité). En outre, une théorie doit en général accepter le principe de la non-contradiction (consistance). Une chose ne peut pas être vraie et fausse en même temps. Ainsi, toute théorie élaborée par l'homme est généralement basée sur la consistance et la récursivité. Une théorie contenant l'arithmétique signifie qu'elle est capable de produire des résultats mathématiques simples, telles que les opérations élémentaires entre les nombres naturels. 
En conclusion, les théories mathématiques et la plupart des théories scientifiques satisfont parfaitement ces hypothèses. Ce sont des théories « convenables ». 

Quelles sont les conséquences pratiques de ces théorèmes ? 

Aucune théorie mathématique et scientifique n'est capable de démontrer l'entièreté des formules écrites dans son propre langage. L'ensemble des « vérités démontrées » ne constitue donc pas l'ensemble des vérités. De manière formelle, on a montré scientifiquement les limites du raisonnement. Il peut en effet avoir des vérités indémontrables dans une théorie ! Comment ? Et certains scientifiques rejetaient les vérités de foi, prétendant qu'elles ne pouvaient être démontrées ? Devons-nous aussi rejeter les théories car elles ne peuvent être entièrement démontrées ? … 

Autre conséquence : il n'y a pas de moyen automatique, donc informatique, de savoir si une formule donnée est vraie ou pas. L'ordinateur ne peut donc pas être un moyen fiable pour prouver la véracité d'une formule. C'est l'échec des scientifiques qui voulaient modéliser le monde par un modèle mathématique. Le monde virtualisé ne pourra jamais être la réalité. 

La dernière conséquence principale est le lien important existant entre les « vérités » d'une théorie et le langage avec lequel elle est exprimée. Pour démontrer la consistance d'une théorie, il en faut une plus forte. 

En conclusion de cet article, qui peut paraître compliquer et audacieux, les théorèmes de l'incomplétude montrent que la vérité ne peut pas être exprimée en terme de démonstrabilité. Une chose vraie n'est pas toujours prouvable en science, comme en science, nous pouvons aussi dire des choses fausses sans qu'on puisse démontrer le contraire. La vérité est finalement plus importante que l'ensemble des connaissances possibles. La science affirme en outre qu'elle ne pourra jamais être certaine de la véracité de ses théories et donc atteindre la plénitude de la vérité... Quel pas de géant accompli ! Gardons donc à l'esprit ces théorèmes contre tous les positivistes et scientistes qui peuvent encore subsister ici-bas...

lundi 19 mars 2012

Une raison si peu raisonnable ? Réponse à Louis Rougier (2/2)

[Cet article est une réponse au livre de Louis Rougier intitulé Celse contre les Chrétiens, la réaction païenne sous l'empire romain, que nous avons décrit dans l'article précédent (cf Louis Rougier, la raison contre le christianisme).]


Nous sommes frappés par les connaissances de Louis Rougier et par sa logique en apparence implacable, mais fait-il œuvre de vérité ? 

Comme nous l'avons plusieurs fois mentionné, Louis Rougier reprend certaines accusations de Celse, mêmes les plus grotesques (1). Depuis Origène, nous savons combien l'auteur antique est si peu philosophe et raisonnable qu'il peut paraître. Nous sommes alors surpris que Louis Rougier ait pu reprendre les dénonciations d'un auteur si peu crédible. En parlant d'un de ses autres ouvrages, la Scolastique et le Thomisme, un universitaire nous dit que « jamais il ne discute de la fragilité de ses sources. Il les prend toutes telles qu'il en a hérité, mélangeant les genres littéraires, ne cherchant pas à profiter de la critique des sources pour affiner ou complexifier sa propre réflexion. » (3). Nous pouvons reprendre la même critique. Certes, il refuse une fois de suivre Celse sur ces croyances aux démons, à la vertu de la prière, et d'autres bienfaits surnaturels, mais, en général, il l'approuve sans la moindre critique. 

Comment peut-il en effet remettre en doute ses accusations quand il le considère comme « le véritable initiateur de l'exégèse scientifique » dont « l'érudition est celle d'un docteur de l'Église » (VI, p.113) ! Celse « n'est pas un sophiste qui veut duper son adversaire ; c'est un parfait honnête homme » (IV, p.81). « Il ne fait appel qu'au sentiment les plus élevés » (I, p.21). Nous croyons rêver... 

Mais parfois, en reprenant des accusations de Celse, il semble être gêné car lui-aussi, il ne connaît pas les sources de son maître à penser. Il tente alors de le justifier en s'appuyant sur des penseurs antiques qu'il l'aurait « vraisemblablement » inspiré sans cependant nous donner des références qui confirmeraient ses propos. 

Notre première surprise en lisant son livre fut surtout de voir aucune remarque, aucune objection sur l'œuvre d'Origène à partir duquel il a pu reconstituer le Contre Celse. Il ne parle jamais, non plus, de La Cité de Dieu de Saint Augustin, qui répond à ceux qui voyaient déjà dans le christianisme le responsable de la chute de l'empire. Louis Rougier semble oublier les auteurs catholiques qui peuvent contredire ses pensées ou apporter quelques lumières. Néanmoins, il ne les oublie pas quand ils peuvent soutenir sa thèse, n'hésitant pas parfois à dénaturer leur pensée, sans donner évidemment les références de leurs citations. Ainsi, Saint Thomas aurait dit que « l'hérésie est un péché par lequel on mérite d'être exclu du monde par la mort » (IV, p.88). Il fait de même avec la Sainte Bible. Il insinue par de nombreuses citations du Nouveau Testament que le chrétien ne peut qu'être, par son cosmopolitisme, un adversaire de l'État. Mais, peut-il comprendre la Sainte Écriture quand à son tour, il confond complaisance et miséricorde ? 

Nous sommes encore plus surpris quand nous découvrons des extraits de Celse introuvables dans l'œuvre d'Origène ! (2) Celse aurait ainsi dénoncé des divergences entre les Évangiles. Or, Origène avait justement souligné l'absence d'une telle critique dans son livre, pourtant une des plus sérieuses et des plus faciles. Est-ce une incompréhension de l'œuvre d'Origène qui le conduit à une mauvaise reconstitution du livre de Celse ? Est-ce aussi cette incompréhension qui le pousse à écrire qu' « Origène, le plus grand érudit chrétien, s'étonne d'avoir tant de choses à apprendre de lui » (VI, p.113) ? N'a-t-il pas compris qu'il s'agissait d'une ironie de la part d'Origène, Celse se vantant de tout savoir sur le christianisme1 ?... 

Les faiblesses (1) que nous avons trouvées dans Exposé de la vérité se retrouvent naturellement dans l'ouvrage de Louis Rougier. Les premiers chrétiens auraient « horreur de toute personne instruite, de toute société polie » (III, p.54). D'où vient cette affirmation ? La résurrection des corps aurait été acceptée par les Juifs au temps d'Antiochus Epiphane. Comment le sait-il ? Ils accusent les premiers chrétiens d'être des hypocrites, mais quelle est l'argumentation ? Le civisme prôné par les apologistes chrétiens est « toute extérieure, ce loyalisme est de forme pure, plein de réticences et de menaces » (V, p.95). Pour se justifier, il cite Tertullien, un apologiste particulièrement dur, en déformant sa pensée déjà bien atypique dans le christianisme. 

Sa méthode est nettement une imposture quand il montre, avec une neutralité apparente et déconcertante, que les premiers chrétiens s'opposaient à la philosophie grecque, mais sans donner les raisons de leur refus comme il ne prend pas la peine de préciser que ce refus ne fut pas unanime et qu'il fut rejeté par l'Église. Cependant, sa plus grande imposture est de confondre la philosophie grecque et le paganisme sous un même terme : l'hellénisme, concept qui n'existait pas à cette époque. Or, l'hellénisme est pris aussi dans le sens de rationalisme. En jouant sur ces confusions, il parvient à des conclusions redoutables, notamment l'opposition entre la foi et la raison... Mais, il existe bien d'autres confusions aussi surprenantes ( théocratie / césaropapisme, adoration / honneur, adoration / vénération). 

A notre grand regret, nous avons trouvé aucune réfutation précise du livre de Louis Rougier (2). Nous avons néanmoins trouvé une critique qui résume probablement une de ses fautes : « il n'est pas correct de parer la culture antique de toutes les vertus, et le judéo-christianisme de tous les défauts » (4). Certes, tout ne serait pas mauvais dans le christianisme : « tout n'est pas condamnable, en effet, dans la doctrine des Juifs et des Chrétiens ; seulement, ce qu'il peut y avoir de bon dans leurs maximes provient toujours de plagiats » (VI, p.121) ! Cette tendance manichéenne se retrouve aussi dans un autre ouvrage de Louis Rougier, la Scolastique et le Thomisme. « Sa méthode, en apparence strictement objective, est en réalité dominé par un a priori » (5). Opposé foncièrement au christianisme, Louis Rougier use de son érudition comme une arme aiguisée pour imposer sa vision. Mais, où se trouve son esprit critique ? Est-ce cela l'esprit moderne conduit par la raison ? 

Pour mieux comprendre sa méthode, il est intéressant de reprendre des critiques formulées contre La Scolastique et le Thomisme. Celles de Mgr Bruno de Solange nous éclairent particulièrement : « M. Rougier, qui prétend parler au nom de la pensée moderne […] apparaît simplement comme un esprit encyclopédique qui a tenté de dresser en un synthèse impressionnante toutes les disciplines scientifiques modernes contre la Scolastique et le Dogme chrétien. Mais les éléments de sa construction sont, pour une bonne part, de valeur douteuse. Il a accepté un peu tout ce qui s'offrait à lui comme allié dans sa tâche destructrice, sans le passer au crible d'un examen critique : pseudo-histoire et pseudo-science. Lui qui se donne comme un adepte du relativisme a mis beaucoup d'absolu dans des affirmations où, de l'aveu des Maîtres en la matière, il entre beaucoup plus d'hypothèses que de certitude. De ces éléments hétérogènes, il a formé un ensemble composite qui n'a de l'unité que de l'apparence.» (6). Mgr de Solange nous apprend aussi l'incompétence de Louis Rougier dans l'histoire des origines chrétiennes et plus encore en exégèse ! Soulignons que jamais, Louis Rougier ne relève les erreurs exégétiques de Celse et ses incompréhensions manifestes de la Sainte Ecriture. Il « avale » bien majestueusement toutes ses critiques. Nous sommes véritablement sidérés qu'« un des plus grands esprits de notre temps » (7) ait cautionné tant d'accusations infondées et erronées. 

Finalement, quelle ironie ! Louis Rougier accuse le christianisme d'être éloigné de la raison quand son livre manque cruellement de raison ! Il se pare des vertus d'un esprit scientifique quand il lui manque sérieusement d'esprit critique ! Comme pour Celse, ce n'est point la vérité qui le guide, mais la haine contre le christianisme.... 

Nous pouvons néanmoins louer et admirer sa « virtuosité logique » (5). Il manipule brillamment des connaissances et des concepts pour parvenir à sa fin d'une manière remarquable. « Il présente son approche des choses sous le mode de l'argumentation logique (il faut admirer sa capacité de synthèse et sa manière de poser des raisonnements) » (5). Mais, nous ne pouvons pas jouer ainsi de la connaissance et de la vérité.


Références :


2 Nous avons trouvé une critique rapide du livre de Louis Rougier sur le site christocentrix.over-blog.fr qui résume son manque de rigueur scientifique. Il souligne un fait intéressant qui nous a permis de relire son livre avec plus d'attention : des paragraphes entiers restituées par Louis Rougier seraient de son crû. Nous en avons en effet trouvé un. 

Philosophia Scientae - Numéro 10-2 – Article « La Scolastique et le Thomisme », la réception du livre de Louis Rougier en 1925 par le milieu scolastique de Jacques Courcier, de l'université de Paris IV Sorbonne, Institut catholique de Paris, article mis en ligne le 9 juin 2011, éditeur Université Nancy 2.  

4 Ibid. Cette critique est reprise d'un article d'Alphandery (1881-1932) paru dans la Revue de l'histoire des religions (1926), considérée plutôt comme adversaire de l'Eglise.

5 Ibid. Jacques Courcier cite Pierre Jaccard, protestant, qui critique la méthode qu'utilise Louis Rougier dans son livre La Scolastique et le Thomisme . Nous retrouvons la même méthode dans Contre Celse. 

6 Article de Mgr Bruno de Solages paru dans la Revue Thomiste, cité dans l'article « La Scolastique et le Thomisme », la réception du livre de Louis Rougier en 1925 par le milieu scolastique de Jacques Courcier.

7 Philosophia Scientiæ - Numéro 10-2 – Avant propos de Jean-Claude Pont de l'université de Genève, article mis en ligne le 9 juin 2011, éditeur Université Nancy 2, http://philosophiascientiae.revues.org/456, colloque intitulé Louis Rougier, vie et œuvre d'un écrivain engagé, réunissant de nombreux chercheurs de tout horizon..

jeudi 15 mars 2012

Louis Rougier, la raison contre le christianisme (1/2)...

Louis Rougier dénonce, dans son livre Celse contre les Chrétiens, la réaction païenne sous l'empire romain, « l'éclipse mentale, le sommeil magique que le christianisme, véritable mancenillier mystique, a fait subir à la pensée humaine, pendant plus de quinze siècles » (1) (IX, p.161). Selon ce philosophe, « parmi les maladies internes de l'empire romain figure en première position la foi nouvelle : le christianisme » (avant propos, p.8). Tout dans le christianisme semblerait en effet s'opposer à l'hellénisme (traduisons la raison) : difficultés intellectuelles des dogmes, répugnance sentimentale, danger social et politique. Il présente le christianisme comme le fossoyeur de la civilisation antique, « le cas le plus extraordinaire d'envoûtement collectif » (IX, p.158). 

Cet article a pour but de présenter les accusations de Louis Rougier avant d'aborder, dans l'article suivant, une critique de ses méthodes  ...


Louis Rougier (1889-1982) 

Présentons d'abord rapidement le personnage. Selon certains chercheurs universitaires, « Rougier est, au plan philosophique, l’un des plus grands esprits de son temps » (2). Agrégé de philosophie, il est considéré comme le spécialiste de la logique et la philosophie des sciences. Il serait « le plus grand représentant français de l'école de l'empirisme logique » (3). Profondément antichrétien, il a écrit de nombreux œuvres contre le christianisme et la scolastique. Il a tenté de prouver par ses ouvrages l'impossible synthèse entre la foi et la raison antique. Depuis quelques années, des scientifiques tentent de le faire connaître. « Après un long temps d’ostracisme, suivi d’une période d’oubli, la haute figure philosophique de Louis Rougier fait surface dans le panorama scientifique contemporain et s’installe paisiblement » (2). 

Son engagement ne se limitait pas aux sciences. Il est aussi intervenu dans l'économie et la politique. D'abord ardent opposant du libéralisme et du capitalisme, il en devient un des promoteurs. Anti-gaulliste, proche des milieux pétainistes, Louis Rouvier a exercé une grande influence sur la Nouvelle Droite. Il fera partie du comité de patronage de la Nouvelle École et deviendra l'une des têtes pensantes du GRECE (4). Alain de Benoist, fondateur et principal animateur de ce mouvement, serait « un intime et un disciple philosophique de Rougier » (5). 


Le christianisme, facteur d'obscurité 

Le christianisme et l'hellénisme seraient radicalement opposés. Louis Rougier juge notamment les pensées chrétiennes indignes de Dieu, contradictoires et figées par des dogmes. Les philosophes grecques n'auraient pas pu les accepter. Il accuse aussi l'aveuglement de la foi qui abolit tout esprit critique nécessaire aux méthodes scientifiques. Il oppose enfin le croyant et le savant, le premier perdant son temps dans la connaissance de Dieu, le second préférant la connaissance de la nature. Sans le triomphe du christianisme, la pensée grecque aurait conduit au développement de la science positive et au libre exercice de la raison. Mais le christianisme n'aurait pas seulement arrêté ce progrès, il aurait surtout séparé de manière irrévocable la religion et la science. « Ce sont les principes de cette science et de cette morale qui entrèrent en lutte ouverte avec les dogmes judéo-chrétiens, si bien que le conflit de la science et de la morale laïque avec la religion date de la formation même de la dogmatique chrétienne, à partir du second siècle » (III, p.45). Le christianisme aurait ainsi encouragé l'ignorance.... 

Cette ignorance serait encore accentuée par le fait que le christianisme aurait substitué à la recherche de la vérité et de sa contemplation, réservée nécessairement à une aristocratie ou une élite, l'idéal morale et « démocratique des humbles et des simples de cœur » (III, p.51). Louis Rougier énonce dans son livre les dangers de ne pas réserver à l'élite la recherche de la vérité. Cette « démocratisation » serait alors source de médiocrité

Louis Rougier montre en outre l'incompatibilité entre les morales païenne et chrétienne. La première, considérée comme une science, ou intellectualisée, serait fondée sur l'effort de soi et révèle donc un certain optimisme en l'homme. La seconde, étant bâtie sur la doctrine paulinienne du péché, donc sur l'insuffisance de l'homme et la nécessité du secours divin, serait une morale radicalement pessimiste. La notion de mal serait aussi différente entre les deux pensées : l'une, erreur de jugement, l'autre, « acte d'une volonté perverse » (II, p.31). 

Enfin, prétendant au monopole de la vérité, le christianisme se serait posé « en persécutrice de la pensée libre » (I, p.29). Louis Rougier affirme avec insistance que le christianisme aurait donné naissance au délit d'opinion et à la plus cruelle des intolérances. Les théories théocratiques, permettant à l'Église d'user du bras séculier, aurait brisé la liberté religieuse qui était le principe du monde antique. « Le christianisme, auquel on fait gloire d'avoir apporté au monde la liberté de conscience, y a généralisé la forme la plus intolérable de l'intolérance, l'intolérance religieuse, armant, à son service, le bras séculier contre la liberté de pensée » (IV, p.89). 

Louis Rougier décrit en effet la société païenne « éminemment tolérante en matière religieuse, parce que polythéiste ou sceptique » (I, p.18). « Le résultat de cette liberté de pensée fut le développement de la science positive et de la morale indépendante. » (III, p.45). Longuement, il montre que la religion romaine serait essentiellement une religion administrative et civique, destinée à renforcer l'autorité de l'État, à fortifier l'empire et assurer sa cohésion, et à discipliner l'âme des peuples. L'État n'intervenait dans la religion que pour faire respecter l'ordre publique et les bonnes mœurs. Il présente donc la religion comme un instrument d'ordre qu'aurait combattu le christianisme par des pensées révolutionnaires. 

Le christianisme contre l'ordre établi.... 

Reprenant les objections de Celse, Louis Rougier dénonce à son tour la complaisance du christianisme envers les pécheurs et les faibles, « complaisance qui ne tendait à rien moins qu'à bouleverser toute l'échelle des valeurs de la civilisation antique » (III, p.47). Elle encouragerait les faibles et les mauvais à demeurer dans leur médiocrité. Il nous apprend que selon les chrétiens, « le repentir serait supérieur à l'innocence » (III, p.48). Ces derniers enseigneraient aussi que « le pécheur, lavé par les larmes de la repentance, est plus agréable au Seigneur que l'homme probe qui n'a jamais bronché » (III, p.48). Le christianisme exalterait aussi le paria, l'imprévoyant, l'hypocrite.... 

Comme les utopistes du XXème siècle, les chrétiens aurait été « des réformateurs dangereux, des idéalistes impossibles » (III, p.48), qui auraient favorisé le désordre et affaibli la société. Or, assailli de toute part, l'empire avait besoin de toutes les forces pour se défendre. La réaction de l'Empire romain, c'est-à-dire la persécution, serait donc juste et légitime. L'origine des persécutions serait donc d'ordre politique et non religieuse. Les autorités de l'Église aurait même été conscientes des dangers qu'aurait présentés ces révolutionnaires. Pour les écarter de la société, elles auraient inventé le monachisme et les œuvres missionnaires. Elle aurait ainsi réussi à éliminer le « romantisme social » (III, p.49) des premiers chrétiens. 

Le christianisme, une « imposture » ... 

Louis Rougier mentionne un autre danger du christianisme : le « romantisme du péché », sa « séduction suprême» (III, p.49). Il aurait donné naissance à l'amour courtois, à l'apologie romantique de la passion, « à la volupté de l'âme, à la fascination du péché […], à la divinisation de l'amour », qui seraient « la grande magie du christianisme » (III, p.50). C'est par cette « magie » que la religion chrétienne aurait triomphé. 

Ce triomphe s'expliquerait aussi par un prosélytisme indigne. Les chrétiens se seraient tournés vers les plus faibles et les plus promptes à être dupés. Le christianisme primitif aurait été la religion des « ignominieux », des « désespérés » (III, p.56). Elle aurait ainsi attiré tous les nantis de la société. « Le christianisme eut des pardons pour tous les crimes ; plus on est pécheur, plus on lui appartient » (III, p.56). Or, la philosophie nous enseignerait la libération de l'âme par la recherche de la vérité, une libération que seule pourrait arriver une élite. Elle nécessiterait donc des efforts que ne pourraient mener les « classes populaires ». Mais, face à cette « imposture », qui encouragerait les crimes, les philosophes païens auraient associé leur lutte à une cause perdue d'avance : la défense de leurs cultes. La victoire du christianisme sur le paganisme reposerait aussi sur une erreur des philosophes païens. 

En outre, les accusations que les chrétiens portaient contre le paganisme se retourneraient aujourd'hui contre eux-mêmes. Louis Rougier revient notamment sur l'accusation d'idolâtrie portée contre les religions antiques. Après leur victoire, les chrétiens auraient imité le paganisme par le culte des saints, des reliques et des images, multipliant à leur tour les formes d'idolâtries. La vénération auprès des empereurs chrétiens serait similaire à celui du culte des empereurs, que les premiers chrétiens avaient pourtant refusé. Les pratiques actuelles montreraient la justesse de la critique de Celse et l'hypocrisie des chrétiens. Ils auraient repris les pratiques qu'ils avaient pourtant condamnées. 

Le christianisme, le « vampire de l'empire »... 

Le christianisme renverserait les valeurs et l'ordre du monde antique par leur utopisme et par leur complaisance envers les faibles. Le refus de suivre la dévotion et la coutume s'opposerait aussi au civisme, à l'ordre publique et à la tradition. 

Reprenant encore une attaque de Celse, il dénonce la liberté des chrétiens de juger bon d'obéir aux lois qu'ils veulent bien suivre. Louis Rougier les compare de nouveau à des révolutionnaires. « Les chrétiens apparurent aux classes cultivées de la société païennes comme, sous la Révolution, les jacobins aux vieilles monarchies de l'Europe et, de nos jours, les bolcheviks à nos sociétés capitalistes » (V, p.91). Les chrétiens auraient même constitué un État dans un État, ce que l'empire ne pouvait accepter. 

Au moment où l'empire était en danger, les chrétiens auraient été perçus, par leurs doctrines, leur morale et leur comportement, comme des déserteurs et des idéalistes inutiles, qui auraient ruiné « le sentiment patriotique » (I, p.22). « Ils constituèrent par leur détachement de la chose publique un parti de déserteurs » (V, p.96). Enfin, aggravant la situation, les querelles entre chrétiens auraient épuisé l'État et donc favorisé la chute de l'empire. Reprenant la condamnation de Nietzsche, Louis Rougier accuse le christianisme d'être « le vampire de l'empire » (V, p.99). 

Louis Rougier voit dans le christianisme le responsable de la fin du monde antique et des valeurs civilisatrices. Il le condamne d'avoir détruit l'hellénisme, porteur de science et de progrès, et d'avoir interrompu son œuvre civilisatrice. Mais de manière plus insidieuse, il montre que le christianisme a agi comme un mouvement révolutionnaire. D'abord réactionnaires et portés contre l'ordre établi, puis prenant le pouvoir de manière perfide par la manipulation, les chrétiens auraient ensuite mis en place un autre ordre qui asservirait encore plus les hommes pour asseoir leur domination, n'hésitant pas à user des moyens qu'ils avaient condamnés et à commettre de nouveaux crimes... 

Prochain article : une raison si peu raisonnable, une réponse aux accusations de Louis Rougier...

1 Celse contre les Chrétiens, la réaction païenne sous l'empire romain, édition Copernic. Son livre est composé de deux parties, la première exposant ces accusations, la seconde restituant Exposé de la vérité de Celse à partir de l'œuvre d'Origène. Cet article présente les accusations qu'il expose dans sa première partie. 

2 Philosophia Scientiæ - Numéro 10-2 – Avant propos de Jean-Claude Pont de l'université de Genève, article mis en ligne le 9 juin 2011, éditeur Université Nancy 2, http://philosophiascientiae.revues.org/456, colloque intitulé Louis Rougier, vie et œuvre d'un écrivain engagé, réunissant de nombreux chercheurs de tout horizon.. 

3 Cité dans la couverture du livre Celse contre les Chrétiens, la réaction païenne sous l'empire romain, édition Copernic. 

4 Groupement de recherche et d'études pour la civilisation européenne. Société de pensée à vocation intellectuelle de la mouvance nationale dirigée par Alain de Benoist. Elle rejette la religion chrétienne et le monothéisme et invite à un retour du paganisme. 

5 Philosophia Scientae – Cahier spécial 7, 50-64 – article Louis Rougier : itinéraire intellectuelle et politique, des années vingt à Nouvelle Ecole d'Olivier Dard de l'université Paul Verlaine (Metz), éditeur Université Nancy 2, mis en ligne 8 juin 2011,  http://philosophiascientiae.revues.org/429

lundi 12 mars 2012

La vocation de l'art selon les Papes


Depuis le XXème siècle, l'art semble s'éloigner définitivement de la foi. Autrefois au service de l'Eglise, il peut devenir aujourd'hui un puissant instrument contre la religion. Ce divorce n'a pas laissé indifférents les papes qui, à plusieurs reprises, sont intervenus pour rappeler son rôle et ses bienfaits, tout en insistant particulièrement sur les responsabilités de tous les acteurs, depuis les artistes jusqu'aux diffuseurs. Dans leurs écrits et leurs allocutions, ils ont ainsi montré ce qu'est la vocation de l'art. 

En s'appuyant donc sur l'enseignement des Papes depuis Pie XI, notre article a pour but de rappeler leur enseignement, en essayant, par la grâce de Dieu, de rester fidèles à leurs pensées. 


Par sa nature, l'art rend perceptible ce qui est insaisissable. Il est l'art « de saisir du ciel de l'esprit ses trésors et de les revêtir de mots, de couleurs, de formes, d'accessibilité » (1). Il est un langage pour exprimer ce qui est inaccessible directement au sens. Il incarne les réalités du ciel pour les faire découvrir aux hommes. Ainsi, a-t-il joué un rôle d'enseignement essentiel pendant des siècles auprès des chrétiens. 

Les papes ont souvent rappelé que l'art est aussi une aide pour l'homme dans sa vie même, surtout dans une société qui génère tant de désespoir et de tristesse car il lui donne de la joie et de la paix. « Ce monde dans lequel Nous vivons a besoin de beauté pour ne pas sombrer dans le désespoir. La beauté, comme la vérité, est ce qui apporte la joie au cœur des hommes, elle est ce fruit précieux qui résiste à l'usure du temps, qui unit les générations et les fait communiquer dans l'admiration » (2). 

L'art suscite même l'émerveillement et donc l'enthousiasme. « Devant le caractère sacré de la vie et de l'être humain, devant les merveilles de l'univers, l'unique attitude adéquate est celle de l'émerveillement. De cet émerveillement pourra surgir l'enthousiasme [...] » (3) . « Qu'est-ce qui peut redonner l'enthousiasme et la confiance, qu'est-ce qui peut encourager l'âme humaine à retrouver le chemin, à lever le regard vers l'horizon, à rêver d'une vie digne de sa vocation sinon la beauté? » (4.) Or, l'artiste est un « gardien de la beauté » (2). 

Les papes nous rappellent aussi que l'art apporte la concorde et la paix car il améliore la connaissance de l'autre et favorise l'unité du genre humain. « L’art aide les hommes, nonobstant toutes les différences de caractère, d’éducation, de civilisation, à se connaître, à se comprendre, du moins à se deviner mutuellement et, par suite, à mettre en commun leurs ressources respectives en vue de se compléter les uns par les autres » (5). 


« L’art est, à certains égards, l’expression la plus vivante, la plus synthétique de la pensée et du sentiment humain, la plus largement intelligible aussi, puisque, parlant directement aux sens, l’art ne connaît pas la diversité des langues, mais seulement la diversité extrêmement suggestive des tempéraments et des mentalités. De plus, par sa finesse, sa délicatesse, l’art, auditif ou visuel, pénètre dans l’intelligence et la sensibilité de l’auditeur à des profondeurs où la parole, soit écrite, soit parlée, avec sa précision analytique, insuffisamment nuancée, ne saurait atteindre » (5). Pie XII nous décrit les qualités de l'art permettant d'atteindre efficacement l'homme et donc d'agir sur lui

L'art n'est pas seulement un langage capable d'enseigner, d'enthousiasmer et d'apporter la paix. Il est, en quelque sorte, une participation à l'œuvre de la Création. L'art est « l'écho du mystère de la création, auquel Dieu, seul créateur de toutes choses, a voulu en quelque sorte l'associer » (3). Par un don divin, l'artiste imite Dieu. Cette participation ne vient pas évidemment supprimer l'abîme qui existe entre Dieu et sa créature. « L'art de créer qu'atteindra une âme bienheureuse n'est point cet art par essence qui est Dieu, mais bien de cet art une communication et une participation » (6). Mais, « ce qu'ils réussissent à exprimer dans ce qu'ils peignent, ce qu'ils sculptent, ce qu'ils créent, n'est qu'une lueur de la splendeur qui leur a traversé l'esprit pendant quelques instants » (3) . 

Par ses faiblesses, l'homme est bien incapable de reproduire ces beautés célestes. « C'est une expérience partagée par tous les artistes que celle de l'écart irrémédiable qui existe entre l'œuvre de leurs mains, quelque réussie qu'elle soit, et la perfection fulgurante de la beauté perçue dans la ferveur du moment créateur » (3). 

Pour tous ces bienfaits, « l'art doit certainement être compté parmi les plus nobles activités du génie humain puisqu'il cherche à exprimer dans des réalisations humaines ce qui touche à l'infinie beauté divine et pour ainsi dire, à en refléter l'image. » (7). Ainsi, « Dieu l'a associé à son œuvre de donation des valeurs spirituelles en l'appelant à en être porteur et dispensateur, pour le perfectionnement des individus et de la société. » (7). 

L'art est une activité ou un moyen particulièrement efficace. En parlant de la télévision, du cinéma et de la radio, Pie XII nous dit encore que « ces moyens techniques - qui sont, peut-on dire, à portée de la main de chacun - exercent sur l'homme un pouvoir extraordinaire, conduisant aussi bien dans le royaume de la lumière, de la noblesse, de la beauté, que dans le domaine des ténèbres et de la dépravation, à la merci d'instincts effrénés selon que le spectacle propose aux sens des objets honnêtes ou malsains » (6). Ces moyens ne font qu'accroître la puissance de l'art. 


Or, comme tout pouvoir donné par Dieu, il doit atteindre une fin assignée par Dieu. Et cette fin participe au principe suprême de la fin dernière de l'homme. « Cette loi éternelle et immuable oblige l'homme lui-même et toutes ses actions à manifester et, dans la mesure de ses forces, imiter l'infinie perfection de Dieu, à la louange et à la gloire du Créateur. L'homme donc, puisqu'il est né pour parvenir à cette fin suprême, a le devoir de se conformer au divin archétype et d'orienter l'action de toutes ses facultés, aussi bien du corps que de l'esprit, en les ordonnant sagement entre elles et en les soumettant, comme il convient, à la fin à atteindre » (8). 


Ce n'est que par cette fin que nous pouvons juger si effectivement l'art est bon ou non. « C'est donc d'après leur harmonie et leur concordance avec la fin dernière de l'homme que même l'art et ses œuvres doivent être jugés ». Et comme tout instrument, l'homme doit l'user dans le but d'étendre le règne de Notre-Seigneur. Il est « nécessaire et urgent de veiller à ce que les progrès de l'art et de la science et de la technique, véritable dons de Dieu, soient ordonnés à la gloire divine, au salut des âmes, et servent à l'extension du Règne de Jésus-Christ sur la terre afin que nous puissions tous demander, comme l'Église nous enseigne, la grâce d'utiliser les biens temporels de façon à ne pas perdre les biens éternels » (9). 

Mais contrairement aux sciences ou aux techniques, l'art a une vocation probablement unique, celle d'entraîner directement l'homme vers la source de toute beauté, vers Dieu Lui-même. Il doit réaliser cette unité divine tant recherchée. « C'est que, par lui, les sens, loin d’appesantir l’âme et de la clouer au sol, lui servent d’ailes au contraire, pour s’élever, des petitesses et des mesquineries passagères, vers l’éternel, vers le vrai, vers le beau, vers le seul vrai bien, vers le seul centre où se fait l’union, où se réalise l’unité, vers Dieu […]. C‘est pourquoi toutes les maximes qui font déchoir l’art de son rôle sublime, le profanent et le stérilisent », le condamnant « à se mouvoir, à se traîner au ras des choses sensibles et matérielles » (5).



Pie XII nous rappelle finalement la vocation propre de l'art : 

« éveiller dans l’esprit et dans l’âme de l’homme, grâce à la transparence de cette nature, le désir des choses que l'œil n’a point vues, que l’oreille n’a point entendues et qui ne sont pas montées jusqu’à son cœur » (5). 





L'art est un reflet des beautés célestes car il s'inspire d'une autre beauté qui nous est ici-bas inaccessible. « Nous jouirons donc d'une vision, ô frères, jamais contemplée par les yeux, jamais entendue par les oreilles, jamais imaginée par la fantaisie : une vision qui dépasse toutes les beautés terrestres, celle de l'or, de l'argent, des bois et des champs, de la mer et du ciel, du soleil et de la lune, des étoiles et des anges; la raison est la suivante: celle-ci est la source de toute autre beauté » (Saint Augustin, Commentaire de l'Évangile selon Saint Jean). Nous comprenons alors que la vocation artistes est une sorte « d'étincelle divine » (3), ce qui implique une lourde responsabilité pour les artistes mais également pour tous ceux qui participent directement ou non à l'art. Jean-Paul II demande donc à tous les artistes à « redécouvrir la profondeur de la dimension spirituelle et religieuse qui en tout temps a caractérisé l'art dans ses plus nobles expressions » (3). 


C'est pourquoi la foi et l'art sont indissociables (10). Le divorce est impossible. « L'artiste est toujours à la recherche du sens profond des choses, son ardent désir est de parvenir à exprimer le monde de l'ineffable. Comment ne pas voir alors quelle grande source d'inspiration peut être pour lui cette sorte de patrie de l'âme qu'est la religion ? N'est-ce pas dans le cadre religieux que se posent les questions personnelles les plus importantes et que se cherchent les réponses existentielles définitives ? » (3).







1. Paul VI, Insegnamenti, II, 313, 7 mai 1964.
2. Paul VI, Enchiridion Vaticanum, 1, clôture du concile de Vatican II, le 8 décembre 1965, cité dans le discours aux artistes de Benoît XVI, le 24 novembre 2009.
3. Jean-Paul II, Lettre aux artistes, le 4 avril 1999.
4. Benoît XVI, Discours aux artistes, 24 novembre 2009.
5. Pie XII, allocution aux artistes, à Rome, le 5 septembre 1950.
6. Nicolas de Cues cité dans Jean-Paul II, Lettre aux artistes, le 4 avril 1999.
7. Pie XII, Miranda Prorsus, lettre encyclique sur le cinéma, la radio et la télévision, 8 septembre 1957.
8. Pie XII, Musicae sacrae disciplina, 25 décembre 1955.
9. Pie XI, encyclique Vigilanti cura, 29 juin 1936.
10 La foi est prise dans un sens général, désignant une conviction religieuse.

vendredi 9 mars 2012

Esprit de vérité

Depuis le commencement du christianisme, la foi et la morale chrétiennes font l'objet de critiques acerbes et parfois violentes. Comme tant d'autres antichrétiens, Louis Rougier  (1889-1982) considère le christianisme comme l'ennemi de la raison et de la science. Il  use de tout son savoir et de ses compétences pour les attaquer. Mais manipuler de vastes connaissances, parfois douteuses et peu fiables, selon une certaine logique, ne suffit pas à justifier des accusations et à fonder une argumentation. Encore faut-il vouloir suivre les exigences de la vérité ! 

Louis Rougier  a vécu à une époque où on prétendait que seule la science pouvait détenir la clé de la connaissance. Toute vérité non démontrée scientifiquement n'était pas considérée comme vraie. Ainsi, certains scientifiques pensaient supprimer rapidement les différentes formes d'ignorances et d'obscurantismes, dont la source serait les religions. Aujourd'hui, la science a abandonné ces prétentions et cherche dorénavant à mieux connaître ses limites. Consciente de sa propre fragilité, elle sait notamment qu'une vérité ou une erreur peut ne pas être démontrée. Les connaissances qu'elles acquièrent sont en outre insuffisantes pour embrasser toute la vérité et expliquer le monde. Si une théorie scientifique vient encore nous affirmer une vérité irrécusable, nous pouvons légitimement nous demander si elle est vraiment scientifique. 

Comme la science, l'art est aussi un moyen de saisir et de faire comprendre la vérité. Mais, faut-il encore respecter la fin pour laquelle il est ordonné. Car il peut aussi bien créer de la lumière que des ténèbres. Mais dans le deuxième cas, est-ce encore de l'art ? 

La question de la connaissance demeure un des enjeux de notre époque, surtout quand nous sommes si submergés d'informations, de données, d'images et de bruits, provenant de multiples sources. Mais, les véritables enjeux que nous connaissons ne sont pas liés aux connaissances en elles-même, mais plutôt à leur origine, à leur manipulation et à leur diffusion. 

Car il existe de nombreux mensonges qui se parent de connaissances et se couvrent de belles vertus philosophiques, scientifiques ou artistiques. Or, ces connaissances peuvent être présentées et agencées selon des intentions peu avouables, des aprioris ou des idéologies, et être confortées par des citations erronées ou détachées de leur contexte. Seules, elles ne suffisent pas pour démontrer des hypothèses et affirmer des vérités qui n'en sont pas. Il faut avant tout les traiter selon un esprit de vérité, c'est-à-dire selon des exigences propres à la vérité. Quelles sont ces exigences ? Le détachement de soi, l'honnêteté, le loyalisme, la rigueur, l'esprit critique, et avant tout l'humilité. Nous ajouterons bien une autre qualité : le sens des responsabilités. Sans cet esprit de vérité, il n'y a pas de science comme il n'y a pas d'art, et encore moins de philosophie... 

Rechercher ou présenter la vérité nécessite avant tout de s'y soumettre. Et nous savons qui est la Vérité, source de toute vérité...