" La pierre précieuse, voire de grand prix aux yeux de certains, qu'est l'émeraude, se voit insultée par un morceau de verre habilement truqué, s'il ne se rencontre personne qui soit capable de procéder à un examen et de démasquer la faute. Et lorsque de l'airain a été mêlé à l'argent, qui donc, s'il n'est connaisseur, pourra aisément le vérifier ? "(Saint Irénée, Contre les hérésies)


vendredi 23 mars 2012

Incomplétude des théories


En 1931, un mathématicien et logicien, Kürt Godel (1906-1978) annonce deux théorèmes qui à cette époque ne semblent pas troubler la communauté des mathématiciens, encore moins celle des sciences. Aujourd'hui, ils semblent révolutionner l'esprit des scientifiques au point que les sciences aient changé de statut et de prétentions... 

A cette époque, certains scientifiques pensaient pouvoir démontrer toutes les vérités par déduction et les représenter dans un modèle mathématique. En effet, aujourd'hui, que pouvons-nous voir et admirer parfois sur les écrans de nos ordinateurs ? Un monde virtuel, semblable à celui que nous connaissons. Aujourd'hui, les expériences nucléaires comme l'entraînement au vol peuvent être simulés. Or, qu'est-ce que l'informatique si ce n'est des opérations appliquées sur des nombres naturels, c'est-à-dire de l'arithmétique ? Nous pouvons encore croire aujourd'hui que le monde peut se modéliser et être expliqué sous forme mathématique. Tel est le prodige dont nous sommes témoins, prodige qui n'est pourtant qu'une illusion... 

Connaissez-vous le paradoxe du menteur ? « Tous les crétois sont des menteurs, c'est un crétois qui le dit... ». Que pouvez-vous dire de cette proposition ? Est-elle vraie ou fausse ?... Quelle que soit la réponse que vous allez donner, vous allez vous tromper ! 

Prenons un autre exemple. Supposons que l'homme soit capable de construire une machine qui répond vraie ou fausse à une affirmation qu'on lui donne, sans se tromper. Posons-lui alors l'affirmation suivante : « la machine ne répondra jamais vraie à cette question ». Qu’elle réponde vrai ou faux, dans les deux cas elle dit faux. Elle ne peut donc pas répondre sans se tromper. Mais, la proposition est vraie puisque la machine ne pourra jamais répondre vrai. Cette phrase est une vérité que la machine ne pourra pas découvrir. 


Ces deux paradoxes vous montrent ce qu'est l'incomplétude d'une théorie. Dans une théorie « convenable », il existe des propositions dont la véracité ou la fausseté est indémontrable. Cela est vrai pour l'arithmétique, et par conséquent pour toutes les sciences qui l'utilisent. Les deux théorèmes inattendus de Kürt Godel est donc d'une portée énorme. 

Avant de vous exposer ces théorèmes sous une forme simple et compréhensible, commençons par le commencement, c'est-à-dire par des définitions. Une théorie est un ensemble de formules écrites avec des symboles puisés dans un ensemble de symboles appelé langage. Les éléments d'une théorie contiennent un ensemble d'axiomes. Une théorie est dite consistante si et seulement s'il est impossible à démontrer à la fois une formule et sa négation. C'est le principe de la non-contradiction. Elle est dite récursive s'il est possible de démontrer si une formule donnée fait partie des axiomes de la théorie. Une formule est dite décidable dans une théorie si cette dernière la démontre (ou sa négation). On démontre à partir de ses axiomes et avec les règles de la logique si la formule est vraie ou fausse. Une théorie est dite complète si et seulement si elle est consistante et si toute formule est décidable. 

Revenons maintenant aux deux théorèmes de Gögel : 
  • si une théorie est consistante et récursive contenant l'arithmétique, alors il existe des formules indécidables, c'est-à-dire que cette théorie est incomplète ; 
  • aucune théorie consistante et récursive contenant l'arithmétique n'est capable de démontrer sa propre consistance. 
Que signifie la formule « consistante et récursive contenant l'arithmétique »? 

Pouvoir repérer les axiomes de sa propre théorie est normal (récursivité). En outre, une théorie doit en général accepter le principe de la non-contradiction (consistance). Une chose ne peut pas être vraie et fausse en même temps. Ainsi, toute théorie élaborée par l'homme est généralement basée sur la consistance et la récursivité. Une théorie contenant l'arithmétique signifie qu'elle est capable de produire des résultats mathématiques simples, telles que les opérations élémentaires entre les nombres naturels. 
En conclusion, les théories mathématiques et la plupart des théories scientifiques satisfont parfaitement ces hypothèses. Ce sont des théories « convenables ». 

Quelles sont les conséquences pratiques de ces théorèmes ? 

Aucune théorie mathématique et scientifique n'est capable de démontrer l'entièreté des formules écrites dans son propre langage. L'ensemble des « vérités démontrées » ne constitue donc pas l'ensemble des vérités. De manière formelle, on a montré scientifiquement les limites du raisonnement. Il peut en effet avoir des vérités indémontrables dans une théorie ! Comment ? Et certains scientifiques rejetaient les vérités de foi, prétendant qu'elles ne pouvaient être démontrées ? Devons-nous aussi rejeter les théories car elles ne peuvent être entièrement démontrées ? … 

Autre conséquence : il n'y a pas de moyen automatique, donc informatique, de savoir si une formule donnée est vraie ou pas. L'ordinateur ne peut donc pas être un moyen fiable pour prouver la véracité d'une formule. C'est l'échec des scientifiques qui voulaient modéliser le monde par un modèle mathématique. Le monde virtualisé ne pourra jamais être la réalité. 

La dernière conséquence principale est le lien important existant entre les « vérités » d'une théorie et le langage avec lequel elle est exprimée. Pour démontrer la consistance d'une théorie, il en faut une plus forte. 

En conclusion de cet article, qui peut paraître compliquer et audacieux, les théorèmes de l'incomplétude montrent que la vérité ne peut pas être exprimée en terme de démonstrabilité. Une chose vraie n'est pas toujours prouvable en science, comme en science, nous pouvons aussi dire des choses fausses sans qu'on puisse démontrer le contraire. La vérité est finalement plus importante que l'ensemble des connaissances possibles. La science affirme en outre qu'elle ne pourra jamais être certaine de la véracité de ses théories et donc atteindre la plénitude de la vérité... Quel pas de géant accompli ! Gardons donc à l'esprit ces théorèmes contre tous les positivistes et scientistes qui peuvent encore subsister ici-bas...

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