" La pierre précieuse, voire de grand prix aux yeux de certains, qu'est l'émeraude, se voit insultée par un morceau de verre habilement truqué, s'il ne se rencontre personne qui soit capable de procéder à un examen et de démasquer la faute. Et lorsque de l'airain a été mêlé à l'argent, qui donc, s'il n'est connaisseur, pourra aisément le vérifier ? "(Saint Irénée, Contre les hérésies)


lundi 26 mars 2012

Le Coran incréé, une contradiction fondamentale...

Si nous voulons remettre en cause le Coran, nous nous heurtons rapidement à un « dogme » musulman : son caractère incréé, qui lui confère l'infaillibilité. Pour éviter les malentendus, nous précisons que le terme de Coran utilisé dans cet article ne concerne pas sa forme matérielle, c'est-à-dire le livre, mais par ce terme, nous désignons la parole éternelle de Dieu, contenue ou incarnée dans le Coran, ou encore la « mère des Livres » retranscrit dans le Coran et modèle de tous les autres livres saints, ou plus simplement la parole de Dieu. Mais, nous avons pu constater que certains musulmans considèrent aussi la forme matérielle comme incréée, ce qui ne semble pas néanmoins être communément admis ... 


Que signifie le terme d'incréé ? Créer signifie : faire advenir un être d'une autre nature que soi (1). Il est évident que seule une créature est créée. En affirmant que le Coran est incréé, les musulmans veulent bien dire qu'il n'est pas une créature. Que peut-il être ? 

Comme les musulmans, nous croyons que Dieu a tout créé. Il est le créateur du ciel et de la terre, c'est-à-dire de toute chose (2). Si une chose est créée, cela signifie donc qu'elle n'est pas Dieu. Mais, si la chose n'est pas créée, qu'est-elle ? Serait-elle quelque chose différente de Dieu ? Anathème me répondront les musulmans. Dire qu'une chose n'est pas une créature signifie qu'elle n'est pas créée donc qu'elle est Dieu. Être une créature est donc la seule manière possible de ne pas être Dieu. Le Coran est par conséquent Dieu. Anathème m'accuseront les musulmans... 

Dieu et sa parole ne peuvent pas être identiques. Il existe nécessairement un rapport entre Dieu et sa parole, le premier étant source de la seconde, le premier produisant quelque chose que nous appelons parole. Si la parole et Dieu étaient uns, comment distinguerons-nous Dieu de sa parole ? Nous voyons alors poindre une contradiction apparente. Le « dogme » du Coran incréé implique que la relation entre Dieu et sa parole est telle qu'elle comporte une différence et une identité. Ils sont plusieurs tout en étant un... 

Nous, chrétiens, nous disons que la Parole de Dieu a été engendrée et non créée. Engendrer signifie : faire advenir un être du même genre que soi. Donc la Parole de Dieu est Dieu. Nous sommes ainsi confronter à la même contradiction que celle de la doctrine islamique. Comment le christianisme concilie-t-il identité et différence ? Par le dogme de la Trinité. La Parole de Dieu, ou encore dit le Verbe, est Fils de Dieu. Elle est une Personne divine comme notre Père et le Saint Esprit, Trois Personnes divines en un seul Dieu. Le dogme de la Trinité est la réponse du christianisme à cette contradiction qui n'en est pas une. 

L'islam refuse d'envisager la parole éternelle de Dieu comme une personne parce que cela lui paraît incompatible avec l'unicité de Dieu. Il voit dans la doctrine chrétienne un dédoublement de Dieu, contraire au monothéisme. Mais, comment l'islam répond à la contradiction énoncée plus haut ? Quel est le statut de la parole éternelle de Dieu ? 

L'islam affirme à la fois que la parole de Dieu est incréée, donc n'est pas une créature de Dieu, et qu'elle n'est pas aussi Dieu lui-même. Il y aurait donc quelque chose qui ne serait ni Dieu, ni une créature de Dieu ? Or, entre être Dieu ou ne pas l'être, il n'y a pas de milieu possible. Nous sommes probablement devant une difficulté fondamentale de l'islam. 



Néanmoins, l'islam est conscient de cette contradiction. Pour y répondre, il a élaboré la doctrine des attributs de Dieu. Elle déclare que comme l'omnipotence ou l'omniscience, la parole de Dieu ne constitue pas une « entité » indépendante de Dieu, qui aurait son existence propre, et qu'elle est absolument inséparable de lui. Les musulmans pensent ainsi éviter tout dualisme et tout rupture dans l'unité de Dieu. Mais, est-ce vraiment une solution ou une autre difficulté encore plus grande à surmonter ? 

La parole de Dieu est « un attribut pré-éternel d'Allah, un attribut par lequel Il ordonne, interdit et informe, cette parole est exprimée dans ce qu'Allah a révélé à ses Messagers comme livres, tels le Coran, la Thora ou l'Évangile » (Cheikh Mohamed Saîd Ramadane Al Boutti dans Les grandes vérités de l'univers, trad. fr. www.Aslama.com. ). 

Qu'est-ce qu'un attribut ? Ce terme désigne, selon la philosophie grecque, reprise par les musulmans, une certaine forme de l'être qui se distingue de celle du sujet. L'attribut est attribut de quelque chose ou de quelqu'un, en quoi ou en qui il est présent. Il est en outre inséparable du sujet dont il est l'attribut. Il désigne en quelque sorte ce qui fait qu'un sujet est ce qu'il est. L'attribut s'oppose à l'accident qui n'est rien d'essentiel, d'indispensable pour le sujet. Cet homme a les yeux bleus. Voilà un accident. Il est mortel. Voilà l'attribut... 

Mais, cette inséparabilité ne signifie pas nécessairement qu'il n'existe pas de lien entre l'attribut et le sujet dont il est attribut. Certes, ils peuvent s'identifier au point que nous puissions croire qu'il n'existe plus de lien entre eux, c'est-à-dire que les liens sont si forts qu'ils ne peuvent se rompre. Donc dire que la parole de Dieu est un attribut de Dieu ne signifie pas qu'il n'existe pas de lien entre eux. Dans le sujet qui nous préoccupe, c'est encore plus évident. Il y a Dieu et sa parole donc il existe bien un rapport de provenance entre les deux, une certaine relation. Être source de parole signifie bien « produire quelque chose ». Cette « chose » est bien le fruit d'une action dont le résultat est la parole. Si ce résultat n'est rien, cela signifie que l'action n'a pas été efficace, que Dieu n'a pas parlé. 

Nous ne sommes pas dans le cas de l'omnipotence qui n'est pas une réalité distincte de Dieu, mais seulement une notion par laquelle nous pouvons caractériser ce que Dieu est. L'omnipotence n'est pas le fruit d'une action. Elle est plutôt un état, la puissance de réaliser une œuvre. Elle n'est donc pas distincte du sujet en lequel elle se trouve. La capacité de parler est aussi une puissance, qui réalisée, devient acte, c'est-à-dire le fait de parler. Il faut distinguer le fait de parler et la parole effectivement prononcée. La parole n'est donc pas un attribut de Dieu. Elle est le résultat d'une activité et a une existence propre. 

Il existe donc un rapport entre Dieu et sa parole, rapport qui les distingue bien. Quel est ce rapport ? De quelle façon Dieu est-il source de sa parole ? En la créant ? Non, dit l'islam. En l'engendrant ? Non, dit encore islam. C'est un attribut. Non plus. Mais, cette œuvre est-elle Dieu ou n'est-elle pas Dieu ? La question reste sans réponse. Selon l'islam, la parole de Dieu n'est ni Dieu, ni une créature de Dieu, ce qui est impossible. Nous pourrons même accuser les musulmans de vouloir associer à Dieu une chose qui est ni Dieu, ni une créature. Seraient-ils des « associateurs » comme ils nous accusent de l'être ? 

Les musulmans ont perçu très rapidement cette difficulté fondamentale. Au IXème siècle, une école théologique, le mu'tazilisme, a été consciente de cette contradiction. Elle a logiquement réfuté la doctrine du Coran incréé. Elle n'a pas cru que Dieu ait délivré aux hommes un livre ayant l'attribut d'éternité comme Dieu. Elle a rapidement compris que la croyance en un Coran incréé contredisait la foi en l'unicité divine car elle impliquait une association à Dieu. Elle a plutôt considéré le Coran comme une création, un fait d'histoire qui s'explique par des circonstances et des hommes. Le calif Al-Ma'mûm soutient cette doctrine et l'impose comme doctrine officielle en 827, en dépit de la résistance de la haute hiérarchie musulmane. Il tente de l'imposer par la force, notamment en instaurant une police et une justice de la pensée. Mais, en 847, un de ses successeurs revient au « dogme » du Coran incréé. A son tour, il a interdit de professer la création du Coran sous peine de mort. Aujourd'hui, il demeure un « dogme inviolable », ... 


1 La définition de créer est pris au sens large. La création ex nihilo a un sens restrictif. 
2 Parfois, nous attribuons à la Révélation un caractère divin au sens où elle a pour source Dieu Lui-même. C'est aussi dans ce sens que nous pouvons dire que la création est divine.

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