Depuis le XXème siècle, l'art semble s'éloigner définitivement de la foi. Autrefois au service de l'Eglise, il peut devenir aujourd'hui un puissant instrument contre la religion. Ce divorce n'a pas laissé indifférents les papes qui, à plusieurs reprises, sont intervenus pour rappeler son rôle et ses bienfaits, tout en insistant particulièrement sur les responsabilités de tous les acteurs, depuis les artistes jusqu'aux diffuseurs. Dans leurs écrits et leurs allocutions, ils ont ainsi montré ce qu'est la vocation de l'art.
En s'appuyant donc sur l'enseignement des Papes depuis Pie XI, notre article a pour but de rappeler leur enseignement, en essayant, par la grâce de Dieu, de rester fidèles à leurs pensées.
Par sa nature, l'art rend perceptible ce qui est insaisissable. Il est l'art « de saisir du ciel de l'esprit ses trésors et de les revêtir de mots, de couleurs, de formes, d'accessibilité » (1). Il est un langage pour exprimer ce qui est inaccessible directement au sens. Il incarne les réalités du ciel pour les faire découvrir aux hommes. Ainsi, a-t-il joué un rôle d'enseignement essentiel pendant des siècles auprès des chrétiens.
Les papes ont souvent rappelé que l'art est aussi une aide pour l'homme dans sa vie même, surtout dans une société qui génère tant de désespoir et de tristesse car il lui donne de la joie et de la paix. « Ce monde dans lequel Nous vivons a besoin de beauté pour ne pas sombrer dans le désespoir. La beauté, comme la vérité, est ce qui apporte la joie au cœur des hommes, elle est ce fruit précieux qui résiste à l'usure du temps, qui unit les générations et les fait communiquer dans l'admiration » (2).
L'art suscite même l'émerveillement et donc l'enthousiasme. « Devant le caractère sacré de la vie et de l'être humain, devant les merveilles de l'univers, l'unique attitude adéquate est celle de l'émerveillement. De cet émerveillement pourra surgir l'enthousiasme [...] » (3) . « Qu'est-ce qui peut redonner l'enthousiasme et la confiance, qu'est-ce qui peut encourager l'âme humaine à retrouver le chemin, à lever le regard vers l'horizon, à rêver d'une vie digne de sa vocation sinon la beauté? » (4.) Or, l'artiste est un « gardien de la beauté » (2).
Les papes nous rappellent aussi que l'art apporte la concorde et la paix car il améliore la connaissance de l'autre et favorise l'unité du genre humain. « L’art aide les hommes, nonobstant toutes les différences de caractère, d’éducation, de civilisation, à se connaître, à se comprendre, du moins à se deviner mutuellement et, par suite, à mettre en commun leurs ressources respectives en vue de se compléter les uns par les autres » (5).
« L’art est, à certains égards, l’expression la plus vivante, la plus synthétique de la pensée et du sentiment humain, la plus largement intelligible aussi, puisque, parlant directement aux sens, l’art ne connaît pas la diversité des langues, mais seulement la diversité extrêmement suggestive des tempéraments et des mentalités. De plus, par sa finesse, sa délicatesse, l’art, auditif ou visuel, pénètre dans l’intelligence et la sensibilité de l’auditeur à des profondeurs où la parole, soit écrite, soit parlée, avec sa précision analytique, insuffisamment nuancée, ne saurait atteindre » (5). Pie XII nous décrit les qualités de l'art permettant d'atteindre efficacement l'homme et donc d'agir sur lui.
L'art n'est pas seulement un langage capable d'enseigner, d'enthousiasmer et d'apporter la paix. Il est, en quelque sorte, une participation à l'œuvre de la Création. L'art est « l'écho du mystère de la création, auquel Dieu, seul créateur de toutes choses, a voulu en quelque sorte l'associer » (3). Par un don divin, l'artiste imite Dieu. Cette participation ne vient pas évidemment supprimer l'abîme qui existe entre Dieu et sa créature. « L'art de créer qu'atteindra une âme bienheureuse n'est point cet art par essence qui est Dieu, mais bien de cet art une communication et une participation » (6). Mais, « ce qu'ils réussissent à exprimer dans ce qu'ils peignent, ce qu'ils sculptent, ce qu'ils créent, n'est qu'une lueur de la splendeur qui leur a traversé l'esprit pendant quelques instants » (3) .
Par ses faiblesses, l'homme est bien incapable de reproduire ces beautés célestes. « C'est une expérience partagée par tous les artistes que celle de l'écart irrémédiable qui existe entre l'œuvre de leurs mains, quelque réussie qu'elle soit, et la perfection fulgurante de la beauté perçue dans la ferveur du moment créateur » (3).
Pour tous ces bienfaits, « l'art doit certainement être compté parmi les plus nobles activités du génie humain puisqu'il cherche à exprimer dans des réalisations humaines ce qui touche à l'infinie beauté divine et pour ainsi dire, à en refléter l'image. » (7). Ainsi, « Dieu l'a associé à son œuvre de donation des valeurs spirituelles en l'appelant à en être porteur et dispensateur, pour le perfectionnement des individus et de la société. » (7).
L'art est une activité ou un moyen particulièrement efficace. En parlant de la télévision, du cinéma et de la radio, Pie XII nous dit encore que « ces moyens techniques - qui sont, peut-on dire, à portée de la main de chacun - exercent sur l'homme un pouvoir extraordinaire, conduisant aussi bien dans le royaume de la lumière, de la noblesse, de la beauté, que dans le domaine des ténèbres et de la dépravation, à la merci d'instincts effrénés selon que le spectacle propose aux sens des objets honnêtes ou malsains » (6). Ces moyens ne font qu'accroître la puissance de l'art.
Or, comme tout pouvoir donné par Dieu, il doit atteindre une fin assignée par Dieu. Et cette fin participe au principe suprême de la fin dernière de l'homme. « Cette loi éternelle et immuable oblige l'homme lui-même et toutes ses actions à manifester et, dans la mesure de ses forces, imiter l'infinie perfection de Dieu, à la louange et à la gloire du Créateur. L'homme donc, puisqu'il est né pour parvenir à cette fin suprême, a le devoir de se conformer au divin archétype et d'orienter l'action de toutes ses facultés, aussi bien du corps que de l'esprit, en les ordonnant sagement entre elles et en les soumettant, comme il convient, à la fin à atteindre » (8).
Ce n'est que par cette fin que nous pouvons juger si effectivement l'art est bon ou non. « C'est donc d'après leur harmonie et leur concordance avec la fin dernière de l'homme que même l'art et ses œuvres doivent être jugés ». Et comme tout instrument, l'homme doit l'user dans le but d'étendre le règne de Notre-Seigneur. Il est « nécessaire et urgent de veiller à ce que les progrès de l'art et de la science et de la technique, véritable dons de Dieu, soient ordonnés à la gloire divine, au salut des âmes, et servent à l'extension du Règne de Jésus-Christ sur la terre afin que nous puissions tous demander, comme l'Église nous enseigne, la grâce d'utiliser les biens temporels de façon à ne pas perdre les biens éternels » (9).
Mais contrairement aux sciences ou aux techniques, l'art a une vocation probablement unique, celle d'entraîner directement l'homme vers la source de toute beauté, vers Dieu Lui-même. Il doit réaliser cette unité divine tant recherchée. « C'est que, par lui, les sens, loin d’appesantir l’âme et de la clouer au sol, lui servent d’ailes au contraire, pour s’élever, des petitesses et des mesquineries passagères, vers l’éternel, vers le vrai, vers le beau, vers le seul vrai bien, vers le seul centre où se fait l’union, où se réalise l’unité, vers Dieu […]. C‘est pourquoi toutes les maximes qui font déchoir l’art de son rôle sublime, le profanent et le stérilisent », le condamnant « à se mouvoir, à se traîner au ras des choses sensibles et matérielles » (5).
Pie XII nous rappelle finalement la vocation propre de l'art :
« éveiller dans l’esprit et dans l’âme de l’homme, grâce à la transparence de cette nature, le désir des choses que l'œil n’a point vues, que l’oreille n’a point entendues et qui ne sont pas montées jusqu’à son cœur » (5).
L'art est un reflet des beautés célestes car il s'inspire d'une autre beauté qui nous est ici-bas inaccessible. « Nous jouirons donc d'une vision, ô frères, jamais contemplée par les yeux, jamais entendue par les oreilles, jamais imaginée par la fantaisie : une vision qui dépasse toutes les beautés terrestres, celle de l'or, de l'argent, des bois et des champs, de la mer et du ciel, du soleil et de la lune, des étoiles et des anges; la raison est la suivante: celle-ci est la source de toute autre beauté » (Saint Augustin, Commentaire de l'Évangile selon Saint Jean). Nous comprenons alors que la vocation artistes est une sorte « d'étincelle divine » (3), ce qui implique une lourde responsabilité pour les artistes mais également pour tous ceux qui participent directement ou non à l'art. Jean-Paul II demande donc à tous les artistes à « redécouvrir la profondeur de la dimension spirituelle et religieuse qui en tout temps a caractérisé l'art dans ses plus nobles expressions » (3).
C'est pourquoi la foi et l'art sont indissociables (10). Le divorce est impossible. « L'artiste est toujours à la recherche du sens profond des choses, son ardent désir est de parvenir à exprimer le monde de l'ineffable. Comment ne pas voir alors quelle grande source d'inspiration peut être pour lui cette sorte de patrie de l'âme qu'est la religion ? N'est-ce pas dans le cadre religieux que se posent les questions personnelles les plus importantes et que se cherchent les réponses existentielles définitives ? » (3).
1. Paul VI, Insegnamenti, II, 313, 7 mai 1964.
2. Paul VI, Enchiridion Vaticanum, 1, clôture du concile de Vatican II, le 8 décembre 1965, cité dans le discours aux artistes de Benoît XVI, le 24 novembre 2009.
3. Jean-Paul II, Lettre aux artistes, le 4 avril 1999.
4. Benoît XVI, Discours aux artistes, 24 novembre 2009.
5. Pie XII, allocution aux artistes, à Rome, le 5 septembre 1950.
6. Nicolas de Cues cité dans Jean-Paul II, Lettre aux artistes, le 4 avril 1999.
7. Pie XII, Miranda Prorsus, lettre encyclique sur le cinéma, la radio et la télévision, 8 septembre 1957.
8. Pie XII, Musicae sacrae disciplina, 25 décembre 1955.
9. Pie XI, encyclique Vigilanti cura, 29 juin 1936.
10 La foi est prise dans un sens général, désignant une conviction religieuse.
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