" La pierre précieuse, voire de grand prix aux yeux de certains, qu'est l'émeraude, se voit insultée par un morceau de verre habilement truqué, s'il ne se rencontre personne qui soit capable de procéder à un examen et de démasquer la faute. Et lorsque de l'airain a été mêlé à l'argent, qui donc, s'il n'est connaisseur, pourra aisément le vérifier ? "(Saint Irénée, Contre les hérésies)


samedi 27 juillet 2019

L'abbé Grégoire, un curé engagé


En 1989, le bicentenaire de la révolution s’achève par la « panthéonisation » d’un curé. Il est le premier et seul religieux à avoir cet honneur. Cet homme est l’abbé Henri Grégoire (1750-1831), le chef de l’Église constitutionnelle. Il a aussi œuvré pour la révolution. En présence du président de la république, ses cendres sont transférées au panthéon avec deux autres révolutionnaires, Gaspard Monge et Nicolas de Condorcet. L’abbé Grégoire rejoint ainsi Voltaire dans cette église désinfectée. Surprenant symbole…

L’abbé Grégoire a joué un rôle considérable au début de la révolution de 1789. Son histoire est sans-doute celle de plusieurs autres curés. Il est aussi le symbole d’une certaine conception de l’Église au service de l’État, d’une Église insérée totalement dans l’État. Ainsi, dans le cadre de notre étude, il serait intéressant de nous intéresser à cet illustre personnage. Nous allons donc le suivre jusqu’aux bancs de l’assemblée nationale…

La formation de l’abbé Grégoire

D’une famille modeste, Henri Grégoire est né dans une commune de Lorraine, relevant du diocèse de Metz et donc du royaume de France. Il fait ses études auprès des nobles dans un collège fondé et pris en main par l’abbé Cherrier, curé d’Emberménil. Il étudie notamment la grammaire de Port-Royal, un ouvrage de langue française d’Antoine Arnauld et de Claude Lancelot. Il étudie aussi les œuvres de Racine et de Pascal. A-t-il été initié au jansénisme ? Il en a sans-doute été imprégné. En 1763, il entre au collège des Jésuites de Nancy puis en 1768, en faculté de philosophie. C’est au cours de ces études qu’il fréquente le chevalier de Solignac, ancien secrétaire du duc de Lorraine Stanislas. Le chevalier de Solignac aurait initié Henri Grégoire à un des avatars du jansénisme, connu sous le nom de figurisme.

Le figurisme est une théologie de l’histoire qu’a enseignée l’abbé Duguet (1649-1733) au séminaire oratorien de Saint-Magloire à Paris. Il est ensuite développé par l’abbé d’Ettemare (1682-1770), mort en Hollande en 1770. Ses disciples sont essentiellement des jansénistes. Selon le figurisme, la persécution qu’ils connaissent depuis la publication de l’Unigenitus [1] a été prédite par la Sainte Écriture au travers des tribulations du peuple juif. Ce sont en fait les épreuves attendues de l’Église souffrante. Les figuristes se fondent sur une interprétation de la Sainte Écriture. Elle est censée expliquer la situation des jansénistes et leur persécution, et par conséquent elle révélerait leur innocence. Les épreuves vécues par les Hébreux et les Juifs annonceraient donc la véracité du jansénisme. En outre, le refus du Christ par les Juifs serait une figure de ce qui se produit depuis le temps de Saint-Cyran. Quand le peuple élu perd peu à peu la vérité, il se dessèche. Seule une poignée reste fidèle. Mais cette poignée a besoin de sang neuf pour s’épanouir et se développer. Tel aurait été le rôle joué par les Gentils. De même, les partisans du figurisme considèrent que l’Église dépérit et a donc besoin d’une régénération qui proviendrait de la conversion des Juifs. Ainsi, les figuristes sont-ils préoccupés de l’apostolat auprès des Juifs. Enfin, un certain courant millénariste imprègne le figurisme. Les épreuves subies par les jansénistes seraient les signes de la fin du monde. Le livre de Grégoire, intitulé Histoire des sectes religieuses [2], est fortement inspiré du figurisme millénariste [3]. Il est publié au début du XIXe siècle.

Entré au séminaire de Metz, Grégoire a pour professeur de philosophie et de théologie l’abbé Lamourette (1742-1794). Celui-ci est l’un des auteurs du discours de Mirabeau sur la constitution civile du clergé. En 1791, il sera le premier évêque constitutionnel, celui de Lyon.

Enfin, pour ces deux dernières années de théologie, Grégoire suit les cours de l’abbé Sanguiné à Pont-à-Mousson. Il est le disciple de François-Martin Thiébaut, professeur au séminaire Saint-Simon de Metz puis supérieur de cette maison.

Thiébaut (1727-1795) est l’auteur de nombreux ouvrages, notamment de la Dissertation sur la juridiction respective des évêques et des curées, publiée en 1786. Il tend à rapprocher, voire à confondre « disciples » et « apôtres », c’est-à-dire curés et évêques. « Comme les curés ne sont pas supérieurs à leurs vicaires de droit divin, de même les évêques ne le sont pas, de droit divin, des curés. Tout ceci est affaire de sage et salutaire discipline. »[4] En un mot, Thiébaut professe des idées richéristes [5]. Ce professeur a formé de nombreux curés dont Grégoire. Il sera élu député aux états généraux et démissionnera le 4 novembre 1789. Il sera un adversaire de la constitution civile du clergé. Il finit par émigrer en 1792.

L’abbé Grégoire, une vie active
Lithographie de Ducarme,
publiée par Blaisot.
Revenu à Metz, Grégoire se prépare à son ordination sacerdotale. Le 1er avril 1775, il devient prêtre. Il est envoyé comme vicaire à Château-Salins puis à Marimont. Dès 1776, il adhère à la société philanthropique et charitable de Nancy.

Cette société est issue de la société philanthropique de Strasbourg, créée par des personnalités protestantes. Les préoccupations des membres sont pédagogiques et sociales. Ils veulent se comporter en philosophes pratiques sans se perdre de temps en théories et bavardages. Ces sociétés comprennent des gens riches, sensibles à la culture des lettres et à la bienfaisance, et des gens instruits et laborieux, prêts à se dévouer pour une cause d’intérêt général. Les buts sont d’améliorer l’agriculture, d’apporter une instruction raisonnable à la jeunesse dépourvue, de soutenir les vieillards et les indigents, de créer des dépôts de charité publique.


En 1782, l’abbé Grégoire devient curé d’Emberménil. Dès son arrivée, il enlève les statues de l’église paroissiale. Il supprime en effet tout ce qui lui semble superflu ou propre à distraire les fidèles de la liturgie. Il surprend aussi ses paroissiens par ses offices épurés. Plus tard, il écrira un traité sur la liturgie en langue vulgaire.

Très actif dans sa paroisse, l’abbé Grégoire ouvre une école d’agriculture et installe une bibliothèque. Il est vrai que le nombre de paroissiens est plutôt faible, environ 360, ce qui lui permet de voyager en Suisse et d’examiner les progrès effectués dans l’agriculture et le fonctionnement de la Confédération helvétique. Il a aussi beaucoup de relations avec des protestants et des Juifs.

Sa passion demeure la poésie. Grégoire a déjà participé à un prix littéraire, dont le sujet concerne la tolérance politique à l’égard des Juifs. Il semble l’avoir gagné. En 1788, il participe de nouveau à un concours littéraire sur un thème très proche : existe-t-il des moyens pour rendre les Juifs plus utiles et plus heureux ? Il remporte de nouveau le prix [6], ce qui lui donne un certain prestige auprès des autres curés.

L’abbé Grégoire, un homme engagé en politique

En juin 1787, par édit royal, chaque province doit former des assemblées provinciale des trois ordres (clergé, noblesse, tiers-état) afin d’étudier les réformes financières à mettre en place dans le royaume. Il devra servir de prélude aux États généraux. L’abbé Grégoire est l’un des douze commissaires du clergé en charge de l’organisation des États provinciaux.

Parmi les membres du clergé de l’assemblée de Nancy, un seul curé est nommé, ce qui provoque un vif mécontentement au sein des prêtres. Guilbert, curé de Saint Sébastien de Nancy, réclame notamment plus d’équité pour le bas clergé et demande une représentation proportionnelle à leur nombre et à leur poids de revenus imposables. Dans son discours, il s’exclame : « Nous sommes d’abord citoyens, toutes les autres qualités s’effacent devant celle-là. Mais comme curés nous avons des droits. »[7] Son inspiration est essentiellement d’ordre politique. Guilbert voit avant tout dans le curé un prêtre de la patrie, c’est-à-dire un citoyen dont les autres qualités doivent s’effacer. De quels droits parlent-ils en effet ? « Et c’est tout d’abord, d’être compris avec le tiers et comme le tiers dans toutes les impositions pécuniaires ; et ensuite d’obtenir pour le clergé séculier de second ordre une représentation aux états provinciaux et généraux. »[8]

L’abbé Grégoire et deux autres curés diffusent son discours à leurs confrères du diocèse de Metz. Il est accompagné d’une circulaire [9] dans laquelle ils mobilisent les énergies et demande à ses collègues de profiter de la réunion des États généraux et de disposer de représentants pour faire valoir leurs droits. « Dans une circulaire imprimée, j’avais stimulé l’énergie des curés, écrasés par la domination épiscopale, mais justement révérée des ordres laïcs qui, témoins habituels de leurs vertus, de leurs bienfaits, dans tous les cahiers réclamèrent en leur faveur. »[10] Nous sentons dans ses paroles le mépris et la colère qu’il éprouve à l’égard les évêques.

Un syndicat de curé est aussi fondé à l’exemple des curés dauphinois. Depuis 1786, des syndicats de curés se créent en effet dans les provinces pour réclamer plus de droits. Grégoire devient membre d’un syndicat des curés des diocèses de Nancy comme onze autres collègues. Il s’affirme avec autorité et éclat.

En route vers la Révolution de 1789

En 1788, Louis XVI convoque les États-généraux afin de leur demander de consentir à un effort fiscal du royaume pour résoudre la crise financière dans lequel il se trouve. La convocation nécessite l’élection de députés par ordre selon des modalités qu’un édit royal précise et des cahiers de doléances. Comme tout baillage, celui de Lunéville fait office de circonscription électorale.

Depuis 1484, il est de tradition d’accompagner la réunion des États-généraux par des cahiers de doléances où les populations expriment leurs plaintes et demandent des réformes. Ces cahiers constituent une sorte de relevés de ce que les députés élus doivent demander, presque un mandat impératif [11]. Chaque baillage rédige un cahier de doléance par ordre.


Fort de ses qualités littéraires et de sa réputation, l’abbé Grégoire rédige en grande partie le cahier de doléance du clergé de Lunéville [12]. Il est composé de trois parties. Dans la première partie, l’article 9 définit que « les propriétés des trois ordres seront sacrées ». Dans la troisième partie, consacrée au clergé, il demande l’abolition des annates (art. 2), le maintien des « libertés gallicanes » (art. 3), le remplacement de l’assemblée du clergé par des conciles nationaux et régionaux (art. 4). Quelques articles réclament en fait le respect des canons du concile de Trente, notamment le respect de la résidence (art. 5). L’article 6 fait allusion à l’injustice dont les curés font l’objet. Pour défendre « leurs droits communs parfois opposés à ceux des évêques  […] ils seront autorisés à se syndiquer et à ester collectivement à l’abri de ces entreprises. »[13] Des articles concernent l’abolition du régime de commende et une augmentation du revenu des curés. Certains articles sont spécifiques à la Lorraine.

Le ton est net, direct, impératif. Les demandes sont catégoriques. Nous sommes en effet surpris par le style employé. Il n’est ni pompeux ni verbeux. Remarquons aussi que de nombreux articles concernent l’État et son organisation, et n’entrent pas dans les préoccupations du clergé. Quelques articles concernent les impôts et certains droits ou privilèges. Les auteurs s’engagent dans des considérations qui ne relèvent pas de leur périmètre de responsabilité. Enfin, les dix signataires, nous trouvons deux réguliers et huit curés.

Le cahier de doléance est associé à des instructions particulières pour les députés. Elles définissent notamment les articles jugés plus importants. Elles préviennent que si les impôts sont discutés avant d’avoir fixé la Constitution, les députés se retireront. Cela manifeste bien le rôle qu’ils veulent jouer aux États généraux. Pour ces députés, ils n’ont donc pas pour finalité de régler les problèmes financiers, contrairement à l’objectif fixé par le roi. Les députés insisteront notamment sur les articles 4 et 6.

L’élection de l’abbé Grégoire

Pour représenter le baillage à l’assemblée de Nancy, deux curés dont l’abbé Grégoire sont élu. Le procès-verbal définit les pouvoirs qui leur sont conférés, « pouvoirs nécessaires et suffisants pour proposer, remontre, aviser et consentir tout ce qui peut concerner les besoins de l’État, la réforme des abus, l’établissement d’un ordre fixe et durable dans toutes les parties de l’administration, la prospérité générale du Royaume, la conservation et la gloire de la Religion, … »[14] De nouveau, il définit comme finalité des États généraux l’’établissement de la constitution de la monarchie. Cette députation est étrange. Tout semble faire croire que les deux élus représenteront le baillage aux États généraux alors qu’ils ne sont que les représentants du bailliage à l’assemblée provinciale.

Le 6 avril 1789, l’assemblée provinciale se réunit pour élire les députés de la circonscription de Nancy à Versailles, soit deux ecclésiastiques, deux membres de la noblesse et quatre représentants du Tiers-états. Ils porteront les cahiers de doléance des différents baillages. La circonscription comprend six baillages. Quarante députés-électeurs les représentent. Ils s’assemblent par ordre pour élire leurs représentants. Pour le clergé, le premier élu est Mgr de la Fare. Il est choisi à l’unanimité. Il sera un farouche adversaire de la révolution. L’abbé Grégoire est le deuxième député. Son élection nécessite trois tours et à une majorité très faible contrairement à ce qui est souvent affirmé.

L’abbé Grégoire à la veille de la révolution

En arrivant à Versailles, l’abbé Grégoire rencontre le breton Jean-Denis Lanjuinais (1753-1827), élu député du Tiers-état de la sénéchaussée de Rennes. Ce dernier est l’un des principaux auteurs du cahier de doléances dans lequel est défini un programme politique ambitieux. Dans ses Mémoires, il le définit comme « savant légiste, homme probe et religieux, mais furieusement attaché aux libertés gallicanes, adversaire à la cour de Rome et de la bulle condamnant le jansénisme »[15]. Rapidement, ces deux réformateurs radicaux se lient d’amitié et jurent de combattre le « despotisme ». C’est en effet ainsi qu’il juge la royauté. C’est par Lanjuinais qu’il découvre le club breton, qui deviendra le club des Jacobins. Grégoire y adhère. Dans ses Mémoires, il nous décrit le rôle qu’il jouera dans les débats des États généraux.

Fondé le 30 avril 1789, le club breton réunit, au café Amaury à Versailles, quelques députés aux états-généraux élus de la Bretagne. Ce n’est pas une nouveauté pour les Bretons. Lorsque les États généraux de Bretagne sont convoqués, les députés et leurs suppléants se réunissent quelques jours avant pour se concerter et rédiger des mémoires nécessaires et utiles à la défense de leurs intérêts. Les députés bretons reprennent donc cette coutume et se réunissent à Versailles afin de préparer les séances. En outre, les élections en Bretagne ont été marquées par un violent conflit entre la noblesse et le Tiers-États en raison de la demande de ce dernier d’une meilleure représentation aux états de Bretagne et d’une réforme fiscale. La situation se dégénère. Des émeutes éclatent.

Les députés bretons sont donc bien préparés à œuvrer efficacement au sein de l’assemblée. Ils savent ce qu’ils veulent. Par ailleurs, les cahiers de doléance de la Bretagne sont les mieux élaborés, grâce notamment à une très bonne concertation entre les différents députés bretons. Nous y retrouvons les principales mesures qui seront ensuite adoptées à l’assemblée. Lanjuinais et Le Chapelier en sont les membres les plus influents. Le premier est une des premières figures de l’assemblée nationale et prend une part active dans l’élaboration de la constitution civile du clergé et dans la suppression des ordres et congrégation religieux à vœux solennels. Le Chapelier préside l’assemblée le jour célèbre du 4 août. Il est surtout connu pour la loi du 14 juin 1791 qui interdit toute association ou coalition entre citoyens de même profession, supprimant ainsi toute corporation et syndicat. Le duc d’Aquilon, qui proposera le rachat des privilèges en ce fameux jour du 4 août, appartient aussi au club breton.

Très rapidement, des députés du clergé breton puis des députés de d’autres provinces adhèrent au club breton. Il comprend une centaine de membres en août 1789. Lorsque l’assemblée nationale est transférée à Paris, le club s’installe dans la bibliothèque de Jacobin de la rue Saint-Honoré et change de nom. Il devient la Société de la Révolution puis la Société des Amis de la Constitution, plus connu sous le nom de club Jacobin. Tous les grands ténors de la révolution y appartiendront…

Conclusions

Jeu de Paume, David, Musée Carnavalet
L'abbé Grégoire au centre
Nous ignorons si l’abbé Grégoire était un gallican, un janséniste ou encore un richériste invétéré avant la révolution de 1789. Nous pouvons néanmoins affirmer qu’il a été influencé par ses différents mouvements au point d’en défendre certaines idées ou du moins d’en être fortement inspiré. Il est aussi imprégné des idées philosophiques du XVIIIe siècle. Il n’est pas le seul curé à adhérer à ses pensées qui ont imprégné la société.

Mais deux points méritent nos attentions. D’une part, comme tant d’autres curés, l’abbé Grégoire s’engage dans le débat politique, raisonnant sur la constitution ou sur les impôts. Il partage naturellement les pensées politiques du Tiers-états. Il voit dans le régime monarchique du XVIIIe siècle le despotisme qu’il faut détruire. Ainsi avant même la réunion des députés à Versailles, il est déjà en relation avec des réformateurs radicaux du Tiers-état. Avant que la tempête dévastatrice ne renverse le trône, il est déjà prêt à s’unir à eux pour emporter l’ancien monde. 

D’autre part, l’abbé Grégoire est très opposé aux évêques, les accusant de dominateur et d’usurpateur. Ses mots sont durs. Venant d’un curé, ils peuvent même choquer. Il stimule les autres curés à profiter de cette période pour gagner des droits et pour rompre leurs prétendues chaînes. Il est déjà un révolutionnaire et pousse ses collègues à adhérer à la révolution. Sans le vouloir peut-être, il sème la violence. Les cahiers de doléance de Lunéville définissent déjà les principales décisions de l’assemblée nationale. C’est ainsi que le richerisme se met en pratique. Finalement, il est un des représentants typiques de la révolution


Notes et références
[1] Voir Émeraude, mai 2019, article « Autour de l’Unigenitus : gallicanisme, richerisme et jansénisme réunis ».
[2] Le titre est plus exactement Histoire des sectes religieuses qui, depuis le commencement du siècle dernier jusqu’à l’époque actuelle, sont nées, se sont modifiées, se sont éteintes dans les quatre parties du monde, Paris, 1810.
[3] Voir Les jansénistes et le millénarisme, Catherine Maire, dans Annales, histoire, sciences sociales, 2018, cairn.info. Selon Catherine Maire, il est difficile de savoir si l’abbé Grégoire était converti au figurisme avant la révolution.
[4] Thiébaut, Dissertation sur la juridiction respective des évêques et des curés, dans L’abbé Grégoire et la démocratie libérale, Taveneaux, Revue d’histoire de l’Église de France, tome 76, n°197, 1990, https://www/persee.fr.
[5] Voir Émeraude, avril 2019,  article « Le richerisme, une forme du gallicanisme : une nouvelle conception de l'Église ».
[6] Son œuvre sera publié sous le titre Essai sur la régénération physique, morale et politique des Juifs, édité à Metz.
[7] Guilbert, Discours prononcé par l’un des curés de la province de Lorraine au nom de tous ses confrères en l’assemblée des trois ordres tenue à Nancy le 20 janvier 1789 dans Les élections et les cahiers du clergé lorrain aux États généraux de 1789, Léon Jérôme, 1889, gallica.
[8] Guilbert, Discours prononcé par l’un des curés de la province de Lorraine au nom de tous ses confrères en l’assemblée des trois ordres tenue à Nancy le 20 janvier 1789 dans Les élections et les cahiers du clergé lorrain aux États généraux de 1789, Léon Jérôme, 1889, gallica.
[9] Le discours est accompagné d’une circulaire adressée le 22 janvier à Messieurs les curés lorrains et autres ecclésiastiques séculiers du diocèse de Metz. Elle est revêtue des signatures de l’abbé Grégoire et de deux autres curés.
[10] Grégoire, Mémoires de Grégoire, édition Carnot, 1837, tome I, chap. III.
[11] En clair, les députés ne sont pas des représentants comme nous l’entendons aujourd’hui. Ce sont plutôt des porte-paroles censés présenter les doléances. Au moment des États généraux de 1789, les députés n’avaient donc pas de pouvoirs légitimes pour faire ce qu’ils ont fait.
[12] Il semble aussi être l’un des initiateurs du cahier de doléance de la communauté d’Embernil. Relevant du clergé, il ne peut le signer.
[13] Cahier de Lunéville dans L’évêché des départements de la Meurthe, Nancy, C. Constantin, 1935, dans L’abbé Grégoire et la démocratie libérale, Taveneaux, www.persee.fr. La totalité du cahier est accessible dans Les élections et les cahiers du clergé lorrain aux États généraux de 1789, Léon Jérôme, 1889, gallica.
[14] Procès-verbal de l’assemblée du clergé de Lunéville, 28 mars 1789, dans Les élections et les cahiers du clergé lorrain aux États généraux de 1789, Léon Jérôme.
[15] Grégoire, Mémoires, Paris, 1989.

dimanche 21 juillet 2019

La constitution civile du clergé : division et persécution de l'Église

La nuit de 4 août 1789
haut-relief en bronze
statue de la République, Paris
Revenons en ce jour où des hommes enthousiastes s’apprêtent à supprimer dans un moment de folie toutes les bases d’un régime agonisant. Pourtant, le temps n’est pas à la joie. Le trouble règne à Versailles. Les députés ont peur. Le tocsin a sonné dans les campagnes, propageant la panique. Un duc, fort de la deuxième fortune de France, propose aux paysans de racheter les droits seigneuriaux à des conditions modérés. Un noble sans fortune renchérit. Il propose d’en finir avec les droits féodaux. Un évêque demande à son tour d’abolir les droits de chasse. Ce sacrifice peut nous faire sourire. Un duc furieux d’une telle proposition se venge en proposant la suppression de la dîme en nature. Et peu à peu, pris dans un engrenage de jalousie et d’insouciance, une société s’écroule avec fracas. Des applaudissements et des joies accompagnent ces déclarations. C’est l’ivresse générale, l’exaltation enivrante, l’enthousiasme universel. Lorsque ce vent retombera, les députés prendront le temps de réfléchir. Trop tard. Le mal est fait…

Emportée par une logique implacable, la journée du 4 août 1789 a conduit à bien d’autres décisions. Enfermée dans ses convictions, savamment travaillée et forte du pouvoir qu’elle s’est donnée, l’assemblée nationale décrète loi après loi, construisant une nouvelle société sur la base, dit-elle, de la seule raison. Rien ne lui échappe, y compris l’Église. Elle exhorte à sa régénération et prône la réforme. D’elle-même, elle la transforme comme si elle était une administration comme tant d’autres. Elle dicte son organisation, commande les nominations, ordonne sa soumission. Mais l’Église peut-elle accepter de telles décisions ? Car Notre Seigneur Jésus-Christ n’a pas donné mission aux juristes et magistrats de sauver l’âme des fidèles. Comme le prévoyaient certains évêques, de telles immiscions dans la vie de l’Église au mépris d’elle-même ne peuvent être sans conséquence. Le trouble et la division gagnent les fidèles. Le schisme est proche. La violence aussi…
La fin des désillusions

Le 12 juillet 1790, les députés votent et approuvent la constitution civile du clergé. Elle a été préparée par un comité constitué de juristes et de curés principalement, sans aucune relation avec le Saint-Siège. Le rapporteur est un avocat, Martineau. Aucun concile n’est réuni pour en discuter. Certains évêques protestent contre cet abus de pouvoir. D’autres espèrent encore des accommodements, voire la christianiser. Ils veulent négocier. Le gallicanisme est encore vivace. Dans leur diocèse, des évêques jouent l’indifférence au contraire de nombreux curés qui l’acceptent pour diverses raisons. Certains n’hésitent pas à la célébrer dans leur paroisse. En très grande majorité, les autorités ecclésiastiques la refusent. Hésitant, et en dépit des mises en garde du pape Pie VI, le roi finit par l’approuver le 22 juillet. Certains ouvrages et articles reprochent le silence du pape et justifient le geste de Louis XVI par l’absence de déclaration pontificale formelle. Ignorent-ils tous les échanges qui ont eu lieu entre le pape, le roi et les évêques ? Beaucoup de clercs hésitent aussi. Certains comme les archevêques Champion de Cicé et Lefranc de Pompignan espèrent encore des compromis. Toutefois, un évêque dénonce le silence du clergé. Il craint la division de l’Église.

Mais, le pape Pie VI condamne formellement la constitution civile du clergé et dénonce l’odieuse usurpation. L’heure de la vérité a sonné. Les volontés indépendantistes que le royaume de France a exprimées tout le long du XVIIIe siècle en matière religieuse arrivent à son terme…

Les évêques comprennent vite que les négociations n’ont plus raison d’être. Ce n’est plus le temps de la discussion et des compromis. Des députés veulent appliquer la constitution. Le 16 puis le 20 août 1790, le député et avocat Charles Bouche (1737-1795) se plaint à la tribune de la lenteur de son application. Ce député s’est souvent illustré pour exterminer « l’oppression aristocratico-épiscopale ». C’est lui qui demande un projet de loi pour permettre aux religieux et religieuses de sortir de leur cloître. Cependant, le décret de la constitution n’est toujours pas diffusé. Le roi a en effet retardé sa proclamation. Pressé par des députés, Louis XVI cède de nouveau…

La division du clergé : les assermentés et les insermentés, les jureurs et les réfractaires

Jean Voidel (1758-18/12)
Beaucoup d’évêques protestent contre la constitution civile du clergé. Ce n’est pas aux laïcs de réformer l’Église. Le 26 novembre 1790, Voidel, député de la Moselle, évoque la formation d’une ligue « contre l’État et contre la religion, entre quelques évêques, quelques chapitres et quelques curés. »[1] Il nomme les différents évêques qui refusent d’appliquer la loi ou protestent contre la constitution en attendant la réponse du pape. Son discours décrit les résistances et les oppositions du clergé à l’encontre des décisions prises par l’assemblée.

Son rapport donne alors lieu à un décret qui oblige « tous les évêques et curés » de jurer solennellement « de veiller avec soin sur les fidèles des diocèses et cures qui leur sont confiés, d’être fidèles à la nation, à la loi et au roi, de maintenir de tout leur pouvoir la constitution décrétée par l’assemblée nationale et acceptée par le roi »[2]. Pour cela, ils ont huit jours[3] pour faire ce serment, un jour de dimanche, à la fin de la messe (art. III). Le maire dressera un procès-verbal du serment (art. IV). Si l’évêque ou le curé ne prêtent pas serment dans le délai prescrit, ils seront réputés avoir renoncé à leurs offices et devront être remplacés (art. VI). En cas de refus ou d’opposition, ils perdront tous leurs traitements et seront déchus des droits de citoyens (art. VII). Le décret n’oublie pas tous ceux qui occupent des offices que la constitution civile a supprimés. Ils seront poursuivis comme perturbateurs du repos public et punis (art. VIII). Toutes personnes ecclésiastiques ou laïques qui s’opposeront aux décrets de l’assemblée nationale sanctionnés par le roi seront considérés comme perturbateurs de l’ordre public (art. IX).

Le roi Louis XVI, « la mort dans l’âme », approuve le décret le 26 décembre 1790. Les évêques et les curés ont désormais huit jours pour prêter serment. Le 3 janvier, l’assemblée oblige les prêtes à jurer dans les 24 heures.
Le décret ainsi voté conduit inévitablement à diviser l’Église de France. Il y avait déjà les « assermentés », les clercs élus selon la constitution, et les « insermentés », ceux qui officient sans être élus. Maintenant, il y a les « réfractaires », ceux qui refusent tout serment, et les « constitutionnels » ou dits encore « jureurs », ceux qui acceptent de prêter serment.

La prestation des serments commence en janvier 1791, le plus souvent à l'issue de la messe paroissiale et en présence des autorités civiles. Elle donne lieu à des fêtes patriotiques. Dans son ensemble, le clergé résiste aux menaces. L'immense majorité des évêques et des prêtres refusent catégoriquement de prêter serment[4]. Cependant, poussés par l'abbé Grégoire, 62 prêtres prêtent serment. Sur les 160 évêques, sept seulement acceptent de jurer, parmi lesquels seuls quatre titulaires de diocèses : Mgr de Talleyrand, Mgr Loménie de Brienne, Mgr de Jarente, évêque d'Orléans, et le Font de Savines, évêque de Viviers. Parmi les membres de l'Assemblée, seuls quatre députés acceptent de jurer. Les premières consécrations épiscopales ont lieu le 24 février en l'église de l'Oratoire. Mgr Talleyrand consacre Expilly, évêque du Finistère et Marole, évêque de l'Aisne. Plus tard, Mgr Gobel, évêque auxiliaire de Berne, est élu métropole de Paris. Une nouvelle Église voit ainsi le jour, l'Église constitutionnelle.

Face à l’Église constitutionnelle, se dresse une autre Église, l'Église réfractaire, qui rejette la constitution et les folles prétentions du pouvoir temporel. Les clercs réfractaires émigrent ou acceptent de rester en France pour finir dans la clandestinité ou sur l'échafaud. Il reste en France une vingtaine d'évêques. Beaucoup de prêtres réfractaires continuent d’exercer leur ministère auprès de leurs fidèles et concurrencent avec succès les prêtres jureurs...

La réaction du pape : une condamnation sans appel

Le pape Pie VI réagit rapidement aux événements. Dès le 10 juillet 1790, il répond à un mémoire de Louis XVI, que lui a remis le cardinal Bernis, représentant de la France au Saint Siège. Il alerte le roi sur les dangers de la constitution : « si vous approuvez les décrets relatifs au clergé, vous entraîné par cela même votre nation entière dans l'erreur, le royaume dans le schisme et vous allumez peut-être une guerre de religion ».

Apprenant le vote de la constitution civil du clergé par le roi, le pape est consterné. Louis XVI tente de se justifier et d'obtenir son approbation. Dans un bref du 17 août, Pie VI rappelle qu'il appartient à l'Église seule de statuer sur les choses spirituelles à l'exclusion de toute assemblée politique. L'abus de compétence de l'assemblée nationale est ainsi condamné.


Le 10 mars 1791, Pie VI réagit de nouveau à une lettre de Mgr Boisgelin qui lui a fait parvenir son Exposition des principes sur la constitution civile du clergé [5]. Il condamne de nouveau la constitution et la rejette. Par le bref Quod aliquantum, adressé le même jour à Louis XVI, il affirme son caractère hérétique et rappelle au roi le serment qu’il a prêté au sacre. Il lui communique aussi les censures qu'il a infligées à Mgr de Talleyrand et à Mgr Loménie de Brienne.

Bref du pape Pie VI,
1791



Le 13 avril 1791, Pie VI envoie aux archevêques et évêques de France le bref Charitas quae et une nouvelle lettre au roi. Il condamne formellement la constitution comme schismatique et hérétique, annule toutes les élections épiscopales faites sans son consentement et suspend les prélats consécrateurs.

Finalement, le pape condamne clairement et formellement les mesures définies dans la constitution civile du clergé. Dans un troisième bref, daté du 12 mars 1792, elle est déclarée comme « hérétique, sacrilège, renversant les droits de l'Église [...] contraire à la discipline ecclésiastique ». Il excommunie les évêques et les prêtres élus selon la loi nouvelle, et exige leur rétractation dans un délai de quatre mois. L'Église constitutionnelle devient schismatique...

Mais le pouvoir civil réagit de telle sorte que la condamnation pontificale est ignorée de la masse des prêtres français. Cependant, elle ne peut être méconnue. La décision du pape jette la confusion parmi les jureurs. En apprenant cette condamnation, des assermentés se rétractent, voire démissionnent. D'autres prêtres refusent de prendre contact avec leur évêque constitutionnel.

Ainsi, deux Églises s’opposent, la constitutionnelle condamnée par le pape, la réfractaire condamnée par le pouvoir politique. La première attire mépris et indifférence, la seconde,  reconnaissance et admiration.

Le temps de la persécution



Mais rapidement, les réfractaires sont confondus avec les émigrés et les aristocrates. Ils deviennent des ennemis de la nation et de la patrie. Les révolutionnaires prennent alors toutes les mesures pour imposer la constitution civile du Clergé. Une lente et inéluctable persécution s’abat sur les insermentés...

Le 29 novembre 1791, l'assemblée législative étend l'obligation du serment à la constitution civile de 1791 à tous les ecclésiastiques sous peine « d'être réputés suspects de révolte contre la loi et de mauvaises intentions contre la patrie ». Elle demande de dresser la liste des jureurs et des réfractaires, ces derniers devant être surveillés et tenus pour responsables en cas de troubles d'origine religieuse. « Quel est ce droit que l'Assemblée s'attribue non de faire des lois pour punir les crimes, mais de créer des crimes par des lois ? »[6] Les prêtres réfractaires sont donc traités en suspects.

Le 27 mai 1792, un décret soumet à la déportation, c'est-à-dire à l'exil, tout ecclésiastique que vingt citoyens dénonceront comme insermentés et que le district reconnaîtra comme tel. Tout prêtre passible de déportation qui sera pris en France sera condamné à dix ans de détention. Le roi Louis XVI finit par imposer son veto. Cependant, par dénonciation, les prêtres sont arrêtés, les « patriotes » envahissent les lieux de culte et les maisons des suspects. Des massacres de prêtres sont perpétués en Normandie, au Limousin et en Provence. « C’est dans un climat de demi-folie, dans une psychose de trahison, dans la carence grandissante de toutes les autorités régulières, débordées par les masses et les sans-mandats, qui se produit l'atroce événement qui va, entre la Révolution et l'Église, mettre l'inexpiable, un fleuve de sang »[7]. Le 14 août 1792, les députés ajouteront encore un serment, dit « à la liberté et à l’égalité. » Les insermentés seront renvoyés en Guyane.

Puis arrive le paroxysme de l'horreur : le massacre de septembre. Le 2 septembre, tous les suspects entassés dans les prisons parisiens sont tués. Sont ainsi massacrés environ 250 prêtres dont le vieil archevêque d'Arles, Mgr des Lau et deux évêques de la Rochefoucauld, évêques de Beauvais et de Saintes[8]. Ce massacre se répète dans d'autres villes, à Versailles, Meaux, Lyon, Antibes, en Normandie, etc. Les réfractaires entrent en clandestinité ...

Le 14 août 1793, l'Assemblée Législative impose encore un nouveau serment pour tous, y compris les prêtres : « je jure d'être fidèles à la Nation, et de maintenir la liberté et l'égalité, ou de mourir en les défendant ». Ce serment cherche à désigner les partisans et les adversaires de la Révolution. La formule est assez vague pour que les prêtres puissent ne pas y refuser, n'ayant aucun sens religieux.

L'Assemblée continua de décréter des mesures d'exception contre les prêtres réfractaires, provoquant le soulèvement de l'Ouest de la France, de tout le pays qui s'étend du Nord de Poitou à la Bretagne et aux confins de la Normandie. La fidélité à l'Église est une des causes majeures de cette guerre héroïque et légendaire. C’est le début d’un long conflit entre la France catholique et une France violemment anticléricale, antichrétienne...

La paix religieuse de retour en France ?

Finalement, le 18 septembre 1794, par voie de décret, la convention déclare que « la République ne paie plus les frais d'aucun culte ». Les prestations accordées aux assermentés jureurs sont supprimées. C'est la séparation de l'Église et de l'État, la fin de la constitution civile du clergé et donc de l'Église constitutionnelle 
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Cependant, les événements soulèvent rapidement une nouvelle question. Par abus de compétence et par violence, les révolutionnaires ont écarté l’Église restée fidèle à Rome de la révolution et donc de la république naissante. Les réfractaires ne peuvent guère accepter un tel régime. Le pouvoir temporel est alors partagé entre un régime de tolérance et un régime de sévérité à leur égard. À plusieurs reprises, les terribles décrets de 1792 et 1793 sont remis en vigueur. Des prêtres réfractaires sont désormais déportés à la Guyane.


Afin de s’assurer de la loyauté de la population et celle des clercs, le 5 septembre 1797, un nouveau décret est signé. Il demande à tous les électeurs de se soumettre à un nouveau serment : « je fais serment de haine à la royauté et à l'anarchie, d'attachement et de fidélité à la République et à la Constitution de l'an III ». Un tel serment divise de nouveaux l'Église. Des fidèles considèrent la restauration de la religion comme intimement liée à celle de la royauté. Ils ne peuvent donc prêter un tel serment. En outre, les termes mêmes du serment soulèvent de l’indignation. Comment un chrétien et surtout un prêtre peuvent-ils haïr ? Pourtant, d'autres ne voient pas dans le serment une haine envers une personne, en particulier celle du roi, mais un rejet d'un régime monarchique comme contraire au gouvernement de fait. Le serment, selon eux, se réduit donc à une simple soumission au pouvoir établi. Beaucoup d'évêques et de clercs se rallient au serment. Une nouvelle persécution, diversement appliquée selon les régions, s’abat de nouveau. Elle s'étend dans les pays rattachés à la France comme la Belgique et la Suisse.

Conclusions

La constitution civile du clergé a voulu mettre en place une nouvelle Église, totalement insérée dans l’État. Elle est comme le résultat d’un ensemble de théories et de doctrines qui ont été diffusées et défendues en France depuis le XVIe siècle. Elle est la conséquence pratique d’un gallicanisme radicale mêlé du richerisme. Elle est aussi la conséquence immédiate de l’état d’esprit des gens du droit, des députés et des révolutionnaires, de leurs folles prétentions de vouloir imposer leur conception de l’État, un État tout puissant, considéré comme l’incarnation de la nation.


La constitution et le serment associé ont divisé l’Église de France comme le pressentaient Pie VI et d’autres contemporains. Deux Églises s’opposent, se dressant l'une contre l'autre, l'une constitutionnelle, disposant d'un clergé réduit, qui a les faveurs d’un pouvoir temporel de plus en plus antichrétien, l'autre réfractaire, clandestine ou en fuite, rapidement persécutée, qui réussit à s'organiser et à rester fidèle à Rome. Division et haine, persécution religieuse et guerre civile, telle est l'œuvre néfaste de la constitution civile du clergé. Telle est la prétendue régénération de la révolution… « Fille de l'orgueil conjuré des gallicans, des philosophes et des jansénistes, en dépit de la note d'austérité dont on l'avait revêtue », l’Église constitutionnelle « allait s'amenuiser peu à peu, puis disparaître avec le concordat, tandis que le catholicisme romain que la persécution croyait avoir anéanti, surgirait de l'ombre avec une jeunesse renouvelée »[9] Faut-il attendre que des idées néfastes produisent des maux terribles pour s’apercevoir de leur nocivité ?

La constitution civile du clergé a aussi pour conséquence de lier deux mouvements, celui des catholiques réfractaires et celui des partisans royalistes, et d'associer l'Église à la contre-révolution. Le catholique n’incarne plus le civisme mais le réactionnaire ou pire encore le défenseur des privilèges. Les XIXe et XXe siècles seront l’histoire de cette alliance. L'Église a éprouvé de grandes difficultés pour dissocier ces deux causes et rappeler qu'elle ne peut être liée à aucun régime. Nous revenons alors au cœur du problème, aux conséquences d’une trop grande proximité entre les pouvoirs temporel et spirituel.

La constitution civile du clergé a cependant, et malgré elle, régénéré l'Église de France, qui, sortie des catacombes, s’est retrouvée purifiée des idées et des doctrines qui l'ont conduit à cette catastrophe. Elle s’est rapprochée de Rome au point de se caractériser par sa fidélité à l’égard du pape. Le gallicanisme a vécu ses dernières heures sur les échafauds de la révolution. Lorsque l’Église est insérée dans l’État, le laissant intervenir dans son domaine de responsabilité, non seulement elle perd sa liberté mais elle ne peut plus être à la hauteur de sa vocation. Elle finit par agonir…







Notes et références
[1] Rapport fait par Voidel au nom des comités d’aliénation, ecclésiastique, des rapports et des recherches réunis, séance extraordinaire du vendredi 26 novembre 1790, dans Collection ecclésiastique, ou Recueil complet. Des ouvrages faits depuis l’ouverture des états généraux, relativement au clergé, à sa constitution civile, décrétée par l’assemblée nationale, sanctionnée par le roi, abbé Augustin Barruel, volume 6, 1791.
[2] Abbé Augustin Barruel, Collection ecclésiastique, ou Recueil complet. Des ouvrages faits depuis l’ouverture des états généraux, relativement au clergé, à sa constitution civile, décrétée par l’assemblée nationale, sanctionnée par le roi, art. II, volume 6, 1791.
[3] Huit jours pour ceux qui sont présents dans leur diocèse ou paroisse. Pour les absents : quinze jours qui suivent après leur arrivée dans leur diocèse ou cure.
[4] La statistique des serments varie selon les régions : 8% de jureurs dans le Bas-Rhin, 17% dans la Mayenne, 23% dans le Pas-de-Calais, 90% dans le Loiret, 96% dans le Var. Chiffres données dans Histoire et dictionnaire de la Révolution française, 1789-1799, 1ère partie, Les événements, Jean Tulard, chap. IV, Bouquins, 1987.
[5] Voir Émeraude, juin 2019, article « La constitution civile, un abus de pouvoir ».
[6] Mgr de Boisgelin, Observation sur le serment prescrit aux ecclésiastiques et sur le décret qui l'ordonne, imprimerie de Guerbart, 1791.
[7] Daniel-Rops, L'Église des Révolutions, En face de nouveaux Destins, chap. 1.
[8] Cela représente environ 17% des victimes du 2 septembre.
[9] Marie Henri Jette, La France Religieuse du XVIIIème siècle, Chap. III, I.