La constitution civile de
clergé organise l’Église ou plutôt en crée une nouvelle, l’Église dite
constitutionnelle. Ce n’est ni le clergé de France, réunie en assemblée ou en
concile national ni un pape qui la met en place. C’est une loi, mieux encore un
décret que vote l’assemblée constituante à partir d’un projet élaboré par d’autres
députés. Elle met en place une nouvelle
Église entièrement soumis à l’État et composée d’évêques et de curés
fonctionnaires. C’est sans-doute la première fois dans l’histoire qu’une telle
chose se produise. Les innovations sont encore bien plus surprenantes dans
cette constitution. Sous le prétexte d’un retour aux origines en vue de
régénérer le clergé de France, nous découvrons en effet bien des nouveautés.
Nous pouvons donc ne pas être surpris de la réaction du clergé de France et de
la papauté.
La réaction du clergé
Mgr de Boisgelin (1732-1804) |
En découvrant les mesures, les évêques protestent vigoureusement
contre l’abus de pouvoir que représente le projet de constitution civile du
clergé. Le principal adversaire est Mgr
de Boisgelin, archevêque d’Aix. Le 30 octobre 1790, au nom des évêques du
royaume, il dénonce publiquement la constitution dans une brochure intitulée Exposition
des principes sur la constitution civile du clergé. Elle est signée par
30 archevêques et évêques, membres de l’assemblée, et par 93 autres évêques.
Dans les diocèses, des
évêques comme ceux d’Amiens, de Toulouse et de Senez publient des mandements,
affichant leurs réserves sur la constitution. Certains évêques en appellent à
un concile national. L’évêque de Soissons réagit plus durement. L’évêque de Boulogne
proteste encore vigoureusement.
Pourtant, en dépit des protestations
et des condamnations, les plupart des
évêques acceptent la constitution sous réserve de l’avis du pape.
L’attitude du roi est identique. Tout en étant conscient des erreurs qu’elle
contient, Louis XVI publie la constitution civile du clergé, le 24 août 1790, en
retardant sa promulgation dans l’attente de l’avis du pape qu’il réclame. Pourtant,
le 23 juillet, un bref du pape l’a
condamné sans ambiguïté.
Mais dans son ensemble, le
clergé feint d’ignorer la constitution, même si parmi le bas clergé, certains
curés acceptent la constitution, voire la célèbrent dans leurs sermons.
Exposition des principes sur
la constitution civile du clergé
La brochure intitulée Exposition
des principes sur la constitution civile du clergé définit clairement,
et d’une manière modérée mais décidée, les
principales erreurs de la constitution civile du clergé. Mgr Boisgelin souligne
l’abus de compétence de l’assemblée nationale et récuse les justifications de
Martineau, le rapporteur du projet. Ce n’est ni un retour à « l’ancienne
discipline » et encore moins une régénération de l’Église « Il semble qu’on raisonne sur la discipline
de l’Église comme sur le gouvernement des États. »[1] L’Église ne peut guère obéir à des
pensées humaines et s’organiser comme une administration civile.
Les décrets « sont établis comme les lois absolues d’une
autorité souveraine, sans aucune dépendance de l’autorité de l’Église, sans
aucun recours aux formes canoniques. »[2]
L’assemblée nationale agit comme si elle
se met au-dessus de l’Église, au-dessus de la juridiction ecclésiastique
que seule l’Église a établie. Alors que la puissance civile devrait concourir
avec la puissance ecclésiastique pour faire respecter les règles de l’Église,
elle se donne des droits qui relèvent du pape ou de l’évêque. « La puissance civile doit concourir avec
celle de l’Église, pour désigner les limites des diocèses et des métropoles,
dans les états où la religion catholique est reconnue comme la religion
nationale ; parce que la
puissance civile protège l’exercice de la juridiction des évêques et des
métropolitains, et qu’elle maintient, dans l’étendue des territoires désignés,
l’exécution des canons de l’Église. »[3]
De quel droit, la constitution civile du clergé supprime-t-elle des charges
ecclésiastiques et des titres pourtant antiques et nécessaires ? Mgr
Boisgelin revient sur la suppression des vœux monastiques et des ordres
religieux pour dénoncer l’abus de la
puissance civile. Cette dernière peut protéger l’exécution des lois, leur
retirer la protection et la force mais elle ne peut pas les proscrire. « Les lois humaines ne peuvent pas arracher de
ses inaccessibles fondements la loi sainte établie dans la conscience des fidèles. »[4]
Mgr Boisgelin dénonce aussi l’unilatéralisme des décisions prises au
mépris des lois ecclésiastiques et des accords conclus. L’assemblée
nationale a ainsi réorganisé les diocèses sans consulter le pape, enfreignant
ainsi le concordat de Bologne et au mépris de ses droits.
Mgr Boisgelin dénonce aussi
les nouveautés et donc le prétendu retour à l’Église primitive. Contrairement
au rapport de Martineau, les usages que
la constitution veut imposer ne sont pas une reprise de « l’ancienne discipline ». Depuis
quand, des évêques sont élus sans aucune influence du clergé ?! Car « il y a des départements dans lequel on ne
compte pas un ecclésiastique parmi les électeurs. »[5] En outre, si
les ecclésiastiques peuvent concourir à des élections, ils y sont admis en tant
que citoyens et non en tant qu’ecclésiastiques. Du jamais vu, nous dit-il. Et
les électeurs ne sont pas obligatoirement des catholiques. Ils peuvent être
protestants, juifs, athées… ! Certes, la constitution impose aux élections
l’assistance à la messe mais elle ne précise aucune obligation d’être
catholique. Et depuis quand, une
ordination dépend du consentement et du choix du peuple ? Quelle
nouveauté également d’enlever aux évêques le droit de choisir et de nommer les curés !
« Il n’y a pas une loi
ecclésiastique, ou civile, qui ait remis la nomination des curés au sort des
élections. »[6] Mgr Boisgelin dévoile ainsi tous les mensonges de Martineau…
En outre,
Mgr Boisgelin démontre que la
constitution civile du clergé ne respecte pas les « libertés gallicanes ». Il rappelle notamment le rôle des
conciles provinciaux et nationales pour veiller au respect des lois
ecclésiastiques. Il n’en est plus question dans la constitution civile du
clergé.
Enfin,
Mgr Boisgelin rappelle la hiérarchie ecclésiastique qui monte « jusqu’à cette première chaire apostolique,
l’église de Rome, le siège du chef de l’église universelle qui tient, de droit
divin, la primauté d’honneur et de juridiction dans l’Église, dont la
surveillance maintient dans l’univers catholique l’uniformité de la discipline
et de la foi, et dont la communion est le centre de l’unité. »[7]
Ainsi
sans recourir à l’Église et à sa
hiérarchie, la constitution civile du clergé détruit ses fondements et innove de manière unilatérale. « Si la puissance civile veut faire des
changements, dans l’ordre de la religion, sans le concours de l’Église, elle
contredit les principes et ne les détruit pas ; elle contredit les
principes, et détruit même les moyens qui peuvent féconder l’exécution de ses
vues. »[8] C’est une
véritable révolution ecclésiologique, soumettant totalement l’Église à
l’État, le religieux aux pouvoirs civils.
Les
masques tombent…
Abbé Maury (1746-1817) |
L’Exposition
demande donc de ne rien faire sans entendre le chef de l’Église, sans recourir
à un concile national puis œcuménique selon les règles ecclésiastiques et
gallicanes. Lors des discussions de la constitution à l’assemblée nationale,
Mgr Boisgelin a déjà proposé aux députés « de consulter l’Église Gallicane dans un Concile National... c’est là
que nous chercherons à concilier les intérêts de la religion, dont nous sommes
les dépositaires, avec ceux de l’État, dont vous êtes les arbitres et les
juges. »[9] Il souligne ainsi la distinction des
périmètres de responsabilité de chaque pouvoir et prône la nécessité du dialogue entre les deux pouvoirs. Avec
d’autres évêques et députés, il lui demande donc de faire appel au pape. Mais
en vain, ces propositions ne sont guère écoutées. Les évêques ont clairement
conscience que la constitution civile du clergé risque d’instaurer un schisme. Ils ont aussi pris conscience de la fausseté de l’assemblée nationale.
Ils quitteront l’hémicycle.
Enfin,
toujours au cours des débats sur la constitution, Mgr Boisgelin revient sur la notion de réforme. Il ne s’agit pas
de transformer l’organisation de l’Église mais de supprimer les causes de la
crise. « Ce ne sont pas les règles
et les institutions de l’Église qui sont les abus et qu’il faut réformer. »[10] C’est
oublier que les députés reprennent en partie le discours des gallicans et des
jansénistes. Treilhard rappelle en effet que c’est par un retour aux origines,
« à la pureté primitive »[11], que l’Église pourra se relever. Ce prétendu
retour à l’Église primitive est une apparence qui ne trompe que les sots, nous
dit clairement Emery.
Mgr
Boisgelin n’est pas le seul à mener le combat au sein de l’assemblée nationale.
L’abbé Maury est
l’autre adversaire. Il s’attaque aux auteurs de la constitution civile du
clergé et remet en cause directement le comité ecclésiastique en dénonçant leur
incompétence. Ainsi s’écrit-il en pleine assemblée : « Votre comité ecclésiastique ! Où je ne vois
pas un seul évêque, et à peine un petit nombre de curés connus par la haine
qu'ils ont vouée au clergé, c'est votre comité qui a usurpé le pouvoir
exécutif, qui s'est fait modestement roi de France [...]. Quel est le décret
qui l'a institué pouvoir exécutif ? »[12]
Il remet donc en question les
compétences mêmes de l’assemblée et sa prétention de vouloir régir un domaine
qui n’est pas le sien. Les pouvoirs temporel et religieux sont ainsi
confondus non du fait de l’Église mais du pouvoir temporel.
Conclusions
La constitution civile du
clergé soumet clairement l’Église de France à la puissance temporelle, décidant
à sa place et la gouvernant sans aucune relation avec la puissance spirituelle.
Elle a ainsi voulu mettre en place une
nouvelle Église, totalement insérée dans l’État. Elle épouse un ensemble de
théories et de doctrines qui ont été diffusées et défendues en France depuis le
XVIe siècle. Elle est sans-doute la conséquence pratique d’un gallicanisme
radicale et du richerisme. Elle est aussi la conséquence immédiate de l’état
d’esprit des gens du droit, des députés et des révolutionnaires, de leurs folles prétentions de vouloir imposer
leur conception de l’État, un État tout puissant, considéré comme l’incarnation
de la nation et de la raison.
Pourtant, en 1790, la
constitution civile du clergé n’est pas vraiment repoussée en dépit des
protestations de certains évêques. L’Exposition de Mgr Boisgelin demeure
modérée. Le ton reste courtois, les condamnations habilement cachées. Des
évêques l’acceptent, le roi également. Ils attendent la réponse du pape pour
apaiser les choses. Certains osent même croire qu’un accord est possible.
D’autres voient leur salut dans un refus clair et net du Saint-Siège.
Finalement, tous se tournent vers Rome ! Quel contraste avec les discours
des gallicans ecclésiastiques quelques années avant la révolution !
Ils apprennent à leur dépend la
nécessité d’avoir un chef universel indépendant du pouvoir temporel. Ils
découvrent aussi bien tardivement la
nocivité des idées qui ont tant dominé les esprits depuis deux siècles.
En
absence d’autorité forte, universelle et incontestable, la puissance
spirituelle ne peut guère faire face aux prétentions hégémoniques de la
puissance temporelle. Seul face à l’État, qui peut défendre ses
intérêts ? Suppression de la dîme et des ordres religieux, nationalisation
des biens ecclésiastiques, « dans la
réalité brutale des faits, cela équivaut à une énorme amputation, qui laisse le
clergé à la merci de l’État, et plus grave, une intrusion directe dans la forme
même de l’Église catholique »[13].
L’État tente de l’insérer dans ses rouages, de l’utiliser comme un instrument
et de la gouverner comme un ministère quelconque, ne songeant qu’à son utilité.
L’enjeu est de taille. Dans le bref Quod aliquantum, du 10 mars 1791, le
pape Pie VI rappelle l’erreur essentielle : « Nous n’avons pas pour but, en rappelant ces maximes, de provoquer le
rétablissement du régime ancien de la France : le supposer, […] :
nous ne cherchons, vous et moi, nous ne travaillons qu’à préserver de toute
atteinte les droits sacrés de l’Église et du Siège apostolique. »[14]
Les révolutionnaires l’ont bien compris. La religion est d’utilité publique. Par
elle, il touche les âmes. Ce sont
finalement elles qui sont au centre des relations entre l’Église et l’État.
Et lorsque l’État n’aura plus besoin d’elle, il n’hésitera pas à s’en
débarrasser. Et les âmes en seront les victimes…
[1] Mgr Boisgelin, Exposition
des principes sur la Constitution du clergé, par les évêques, députés à l’Assemblée
nationale, 1790.
[2] Mgr Boisgelin, Exposition
des principes, p. 6.
[3] Mgr Boisgelin, Exposition
des principes, p. 9.
[4] Mgr Boisgelin, Exposition
des principes, p.82.
[5] Mgr Boisgelin, Exposition
des principes, p. 37.
[6] Mgr Boisgelin, Exposition
des principes, p.43.
[7] Mgr Boisgelin, Exposition
des principes, p. 60.
[8] Mgr Boisgelin, Exposition
des principes, p. 82.
[9] Mgr Boisgelin, Archives
Parlementaires, première série, Vol. XV, 730c, ,
dans Rome et la Révolution française, Ch. V. La constitution civile du clergé :
l’Église gallicane et le recours à Rome, Gérard
Pelletier, Publication de l’école française à Romme, https:// books.openedition.org.
[10] Mgr Boisgelin, Archives
Parlementaires, première série, Vol. XV, 730c.
[11] Treilhard, Archives
Parlementaires, première série, Vol. XV, 730c.
[12] Marie Henri Jette, La
France Religieuse du XVIIIème siècle.
[13] Jean Meyer, André
Corvisier, La Révolution Française, Tome I, chap. XI, presses
universitaires françaises, 1991.
[14] Pie VI, Bref Quod
aliquantum adressé au cardinal de la Rouchefoucauld, 10 mars 179/1.
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