À la fin de XVIIIe siècle, une
tempête extraordinaire s’abat sur le royaume de France, une tempête si violente
qu’en peu de temps, elle le fera disparaître. Elle durera de nombreuses et
longues années jusqu’à atteindre les rudes plaines de Russie. Avec la même
puissance, elle ravagera l’Europe, apportant souffrances et cruautés dans
d’innombrables chaumières, forgeant ainsi les XIXe et XXe siècles, siècles de
guerre et terreur. Aujourd’hui encore,
notre société en est tributaire…
Pourtant, dans une naïveté
insoutenable, le 14 juillet 1790, la foule est en liesse à Paris, sur le Champ
de Mars. Personne ne soupçonne peut-être la tempête qui emportera les royaumes.
Leurs jours sont pourtant comptés. Les évêques et les prêtres prévoient-ils le
malheur qui bientôt fera couler le sang de nombreux martyrs sur cette terre
chrétienne ? Qui imagine en ce jour de la fête de la Fédération qu’une
intolérable persécution s’abattra sur l’Église ? Désillusion terrible,
insouciance sans nom, imprudence condamnable…
Ce qui a été d’abord une
question financière puis sociale devient en une année une question religieuse. L’Église va en effet connaître une terrible
épreuve. Cette épreuve a un nom, un visage, un texte : la constitution civile du clergé. Le
décret est signé hâtivement le 12 juillet 1790, un an à peine après la prise de
la Bastille et deux jours avant la Fête de la Fédération. Ce décret est la
cause d’une profonde déchirure et d’immenses douleurs.
Aujourd’hui, avec le recul
que nous donne l’histoire, toute cette tragédie nous apparaît cohérente,
terriblement cohérente. Comment pourrait-on renverser l’édifice ancien sans
toucher à la religion qui lui est intimement liée ? Rien de surprenant
dans ce décret lorsque nous étudions en effet les événements et les doctrines
qui le précèdent. La constitution civile
est un aboutissement. Elle n’est pas une surprise de l’histoire…
La constitution civile du
clergé, une œuvre inévitable
Il est vraisemblable que la
constitution civile du clergé n’ait pas été prévue comme bien d’autres
événements de la révolution mais elle paraît inéluctable dès le début de la
révolution. Suivons en effet quelques actes de ce drame.
Le 4 août 1789, l’assemblée
constituante[1]
proclame la suppression des privilèges[2].
La mesure ne touche pas uniquement les nobles et les villes, elle touche aussi
les clercs. Elle défend l’égalité de tous devant la loi. Les membres du clergé ne peuvent donc plus revendiquer le moindre
privilège ou immunités ainsi que leur état de clerc, d’évêque ou de prêtre.
Ils sont « citoyens » comme tout autre. C’est déjà une révolution,
lourde de conséquences. La proclamation devient effective le 11 août[3].
En ce jour, l’assemblée supprime la dîme, principale revenue de l’Église et de
son clergé, et d’autres impôts comme les annates. Le procès-verbal précise
alors qu’il faudra « aviser aux
moyens de subvenir à la dépense du Culte divin, à l'entretien des ministres des
autels, au soulagement des pauvres, aux réparations et reconstructions des
églises et presbytères et à tous les établissements, séminaires, écoles,
collèges, hôpitaux, communautés et autres, à l'entretien desquels elles sont
actuellement affectées. »[4]
Le 2 novembre 1789, sur proposition de Mgr Talleyrand, « les biens du clergé sont mis à la
disposition de la nation ; à charge pour celle-ci de pourvoir aux nécessités
de culte ».
Le principal problème que
doit en effet régler l’assemblée et qui mine le royaume depuis très longtemps est d’ordre financier. Il a besoin
d’argent s’il ne veut pas connaître la banqueroute. La suppression des dîmes et
des annates, et la mise à disposition des biens de l’Église à l’État,
sont-elles proposées et acceptés dans un élan de mouvement généreux qui souffle
sur l’assemblée ? Qui pourrait le croire ?
En un instant, toute la richesse matérielle de l’Église de
France est dissipée, richesse destinée à financer ses actions, ses missions
et bien-sûr tous ses membres. Osons rappeler qu’une partie de cette richesse
proviennent de dons des fidèles pour des intentions particulières.
Appartiennent-ils vraiment à ces clercs qui n’ont aucun mandat ? Rappelons
en effet que les députés n’ont aucun mandat représentatif. Ils sont là à
l’origine pour être des portes paroles de leur baillage ou de leur
sénéchaussée, munis des cahiers de doléance. Seule l’assemblée du clergé, voire
un concile national, peuvent prétendre prendre une telle décision.
Qu’importe ! En un mot, ils donnent tout à l’État. Les biens de l’Église sont donc nationalisés pour être ensuite
vendus. Plus tard, le clergé n’aura même plus l’administration de ses biens.
Les acquéreurs n’auront pas affaire à lui. Ne doutons pas qu’ils seront alors
d’âpres défenseurs de la révolution !
Cet acte de générosité a
cependant une limite. Car l’Église doit encore vivre et poursuivre ses
œuvres. La nation se charge alors d’assumer ses charges financières de
l’Église. Elle finance le culte et salarie les membres du clergé, devenant
ainsi des salariés de l’État, c’est-à-dire des fonctionnaires. Leur fonction
est désormais assumée par l’État. Mais leur statut de fonctionnaire passera-t-il
avant leur état de clerc ?...
Toutefois, en finançant
l’Église, l’État a désormais un droit de
regard sur l’organisation du clergé et sur le choix des clercs. Ainsi, se
donne-t-il le droit d’ériger des règles. Comme une constitution doit régir la
nation – tel est l’objectif premier de l’assemblée constituante -, le clergé
doit aussi avoir la sienne. Et comme la constitution de la nation est une loi
fondamentale au-dessus du roi, celle du clergé doit son tour être au-dessus de
l’Église elle-même ! En un mot, l’État
se donne des pouvoirs pour régir l’Église de France, soumise désormais à la loi.
L’Église soumise au
despotisme de l’assemblée nationale
L’esprit qui règne dans
l’assemblée constituante influence sans aucun doute les travaux qui ont conduit
à la constitution civile du clergé. Quelques jours avant la nationalisation des
biens ecclésiastiques, de sa propre initiative et sans aucune relation avec la
papauté, l’assemblée fait disparaître
des ordres et congrégations religieux à vœux solennels, le 13 février 1790,
à l’exception des communautés vouées à l’éducation publique et purement
charitables. Ainsi disparaissent les Carmes, les Bénédictins, les chanoines
réguliers, etc. Seule compte finalement
leur utilité envers la nation. Selon Barnave, « il suffit que l’existence des moines soit incompatible avec les droits
de l’homme, avec les besoins de la société, nuisible à la religion, et inutile
à tous les autres objets auxquels on a voulu la consacrer » pour
décider leur suppression. Puis, rajoute-t-il, « les ordres religieux sont […] incompatibles avec l’ordre social et le
bonheur public ; vous devez les détruire sans restriction. »[5]
Lors de la suppression de la
dîme, les députés ont longuement discuté sur son rachat. Selon l’abbé Sieyès,
elle est une véritable propriété de l’Église et donc sa disparition mérite
indemnité mais Mirabeau soutient qu’elle
n’existe qu’en fonction du service public dont l’Église est chargée. La
nation peut donc la supprimer sans indemnité. De même, Mgr Talleyrand justifie
la nationalisation des biens ecclésiastiques en soulignant l’utilité sociale de l’Église. « Le clergé n’est pas un propriétaire à l’instar des autres
propriétaires, puisque les biens dont il jouit et dont il ne peut disposer ont
été donnés non pour l’intérêt des personnes, mais pour le service des
fonctions. »[6]
La seule difficile réside dans le bénéficiaire de ces fonctions. Le
bénéficiaire n’est pas l’État mais des communautés et des fidèles, morts ou
vivants.
Pouvons-nous être surpris
d’un tel abus de pouvoir ? Il
est vrai que l’assemblée constituante agit comme a agi le pouvoir royal depuis
le milieu du XVIIIe siècle. Cependant, bien des choses ont évolué. Alors que
dans l’ancien régime, le roi était présenté comme l’incarnation de la nation,
l’assemblée proclame dans l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme
et du citoyen que la souveraineté réside essentiellement dans la
nation. Or, par représentation, la nation, c’est l’assemblée. Elle est
constituante. Elle a donc pour mission de définir la nouvelle organisation de
l’État. Elle est souveraine, et comme l’était le roi, le souverain peut tout.
Et comme l’Église fait partie de l’État, l’assemblée peut alors régir
l’Église comme elle le souhaite. Elle a donc pour vocation de définir les
règles sans même se demander si elle en a la compétence. Le député Treilhard
dira même qu’ « un État peut admettre ou ne pas admettre une
religion. » Un autre député, Camus, rajoute que « l’Église est dans l’État, l’État n’est pas dans l’Église ; nous sommes une convention nationale. Nous
avons assurément le pouvoir de changer une religion. Mais nous ne le
ferons pas. »[7]
Le principe de la souveraineté nationale
implique un droit sur l’Église. Nous pouvons frémir d’une telle prétention…
Le comité ecclésiastique,
divisé puis épuré
Pour traiter les questions
concernant le clergé, l’assemblée
nationale crée le comité ecclésiastique. Il est l’un des trente-quatre
comités constitués par les députés. Il est fondé, par décret, le 12 août 1789,
au lendemain de la suppression de la dîme. Son rôle est notamment de rédiger
une constitution pour l’Église de France. Il comprend quinze membres élus par
l’assemblée, dont cinq députés du clergé, trois députés de la noblesse et sept
du Tiers-États. Il est présidé par Mgr de Bonal, évêque de Clermont. Un
deuxième évêque, Mgr de Mercy, évêque de Luçon, fait aussi partie du comité.
Le 5 février 1790, en raison
d’un blocage dans les discussions et sous prétexte d’une surcharge de travail,
le comité est remanié par le doublement de l’effectif. Un membre du comité
ecclésiastique, Durand de Maillane, justifie ce blocage par l’hétérogénéité du
comité. En fait, il évoque la division
des membres entre conservateurs et progressistes, deux partis de force égale.
En augmentant les effectifs, on efforce d’isoler les vues trop divergentes,
c’est-à-dire peu progressistes. Les nouveaux membres sont en effet nommés par
scrutin de liste.
En mai 1790, après plusieurs
mois d’inactivité, huit membres de la noblesse et du clergé démissionnent, dont
Mgr de Bonal et Mgr de Mercy. Il n’y a
donc plus d’évêque dans le comité. Des choix de l’assemblée expliquent en
partie ces démissions : le 13 février, suppression des ordres religieux,
et le 13 avril, refus de reconnaître la religion catholique comme seule
religion d’État. Par ses départs, les
députés du tiers-états deviennent majoritaires dans le comité. Désormais, il
a libre court pour élaborer une constitution comme il l’entend. Présidé par
Jean-Baptiste Treilhard[8]
(1742-1810) puis par Jean Denis Lanjuinais (1753-1827), le comité comprend
douze avocats ou juristes, six curés, recteurs ou prieurs, deux scientifiques[9],
un noble d’épée, un négociant. Parmi les avocats, notons deux spécialistes en
droit canon.
Le comité ecclésiastique
répartit son travail entre trois sections. La première s’occupe de la
constitution civile du clergé et de l’administration de ses biens. La seconde
traite de la vente des biens du clergé et de la liquidation de ses dettes. La
troisième s’occupe des mémoires adressés au comité et de la suite à donner.
Pierre Toussaint Durand de Maillane,
gallican notoire, l’avocat Louis Simon Martineau
(1733-1799) et l’abbé Louis Alexandre Expilly
(1743-1794) sont respectivement les rapporteurs de ces trois commissions.
Les objectifs et les
principes de la constitution civile du clergé
Louis Simon Martineau |
Le comité a donc pris
« comme base de son travail les
maximes de son ancienne discipline. »[12]
Le discours ne peut que réjouir les gallicans, voire les jansénistes. Depuis huit
ou neuf cents ans, de nombreuses tentatives ont échoué, nous déclare le
rapporteur de la loi. « Il fallait,
Messieurs, toute la force de la Révolution dont nous sommes témoins ; il
fallait toute la puissance dont vous êtes revêtus, pour entreprendre et
consommer un aussi grand ouvrage. » [13]
Martineau soulève alors les
trois questions que doivent traiter les députés, à savoir les titres, offices
et emplois ecclésiastiques à conserver ou à supprimer, la manière de pourvoir
aux offices et emplois ecclésiastiques et enfin les traitements qu’il faudra
leur assurer.
Toussaint Durand de Maillane |
Comme la religion est utile
à la nation, c’est à elle de fournir aux évêques et prêtres les moyens dont ils
ont besoin pour exercer leur fonction, moyens suffisants et nécessaires.
« Assurer au ministre de la
religion, à chacun suivant son rang, et l’importance ou l’étendue de ses
fonctions, une subsistance abondante, mais modeste ; c’est là le but que
nous avons eu en vue. »[14]
Les principes de la
constitution civile du clergé reposent donc sur l’utilité sociale de l’Église. Celle-ci explique et justifie le
soin que l’État lui apporte mais selon la mesure de son utilité.
Soulignons que rien n’évoque la moindre discussion avec la papauté ou avec
l’assemblée du clergé. Tout se fait de
manière unilatérale.
La constitution en elle-même
La constitution civile du
clergé désigne le décret définissant le statut de l’Église de France. Il est
composé de 88 articles, sans préambule. Elle les regroupe en quatre
titres : offices ecclésiastiques (I), nominations aux bénéfices (II),
traitements (III) et résidence (IV). Nous allons nous attarder sur les deux
premiers titres.
Le premier article important
concerne le redécoupage du territoire
ecclésiastique. Les diocèses sont en effet redécoupés afin de correspondre
aux départements nouvellement créés. Ainsi, ils passent de 135 à 83. Les
évêchés ainsi que les sièges métropolitains sont fixés. Aucun siège « établi sous la dénomination d’une puissance
étrangère » (titre I, art. 4) ne doit être reconnu. Il est aussi
interdit de reconnaître l’autorité « de
ses délégués résidant en France ou ailleurs » Le terme ne trompe pas.
C’est surtout Rome qui est visée. Le nombre de paroisses est aussi fortement
réduit.
Tous
les titres et les bénéfices que la loi ne précise pas sont déclarés éteints,
comme les canonicats, les chapelles, les chapitres réguliers et séculiers, les
abbayes et prieurés en règle et en commende. Le titre de chanoine est aussi
supprimé...
Pour
diriger son diocèse, l’évêque n’est plus seul. Il
ne peut en effet faire acte de juridiction sans en avoir délibéré avec un
conseil qui se tient de manière permanente auprès de lui (titre I, art. 14).
Certaines décisions sur les limites des paroisses, leur suppression ou leur
réunion, sont aussi prises en relation avec les assemblées administratives (titre
I, art. 17 et 18).
Tous
les évêques et les curés sont désormais élus par le peuple
selon les règles fixées par la constitution (titre II, art. 1). Ce mode de
nomination est en fait appliqué à tout fonctionnaire[15].
Puisque désormais salariés par l’État, ils sont eux-aussi des fonctionnaires.
Le titre II définit les conditions d’éligibilité. Le corps
électoral est celui des assemblées départementales pour l’élection des évêques,
et celui des districts pour celle des curés comme pour tout fonctionnaire.
Notons aussi que les élections des curés ne peuvent se faire qu’une fois par an
puisque l’assemblée du district ne se réunit qu’annuellement. Cela signifie aussi
qu’un électeur peut ne pas être
catholique ni chrétien ni croyant. Aucun critère religieux n’est en effet
imposé. Seul compte les critères de fortune. Au cours du débat à l’assemblée,
il a été demandé de faire participer certains membres du clergé en leur qualité
d’ecclésiastiques ou de les faire élire par le clergé. Toutes ces propositions
ont été rejetées. « C’est au peuple,
c’est à lui, qui nomme les autres officiers publics, c’est à lui en qui réside
la souveraineté qu’appartient le doit de choisir les ministres du culte et
surtout les évêques. Le transférer à d’autres, c’est attenter au droit du
souverain. »[16]
Le clergé est donc totalement inséré
dans l’État, exerçant une fonction au profit du peuple comme tout au autre
fonctionnaire. Il doit donc se soumettre au peuple qui en est le souverain.
Mais surtout, avant d’être membre du clergé, il est d’abord un simple citoyen comme
nous l’avons déjà précisé. Donner à l’un d’eux un rôle particulier, « c’est rompre l’égalité du droit politique,
qui est à la base de la Constitution ; c’est donner au clergé une influence
politique particulière ; c’est le reconstituer en corps isolé. » Le
but est véritablement de supprimer le
clergé comme un corps particulier au sein de la nation. Enfin, au nom de la
liberté d’opinion, l’assemblée refuse d’écarter les non-catholiques aux
élections ! De quel droit un protestant peut-il ne pas participer à
l’élection d’un évêque catholique ?
Cependant, pour réduire ce
risque, l’assemblée décide d’insérer les
élections dans un cérémonial catholique. Elle se déroule à l’issue de la
messe paroissiale, à laquelle sont tenus assistés tous les électeurs (titre II,
art. 4, 6, 30). La proclamation des résultats est faite à l’église avant une
messe solennelle célébrée à cet effet (titre II, art. 31).
Les évêques et curés
nouvellement élus doivent ensuite se présenter à leur supérieur ecclésiastique
pour en recevoir l’investiture canonique après examen de leur doctrine et de
leurs mœurs, le curé auprès de l’évêque (titre II, art. 35, 36), l’évêque
auprès du métropolitain ou à l’évêque le plus ancien s’il est métropolitain
(titre II, art. 16, 17). En cas de refus, ils peuvent faire appel à la puissance civile,
c’est-à-dire au tribunal soit du département, soit du district. Cela revient à
donner un pouvoir aux juges et donc aux législateurs sur l’organisation interne
de l’Église et subordonner les
règlements canoniques à la loi civile.
Le nouvel évêque doit
publiquement deux serments : une profession de foi catholique, apostolique
et romaine auprès de son supérieur (titre II, art. 18) et avant sa consécration
et « en présence des officiers
municipaux, du peuple et du clergé » (titre II, art. 21), un engagement de fidélité à la nation, au
roi et à la constitution civile du clergé.
Ensuite, tout nouvel évêque doit informer le pape « comme au chef visible de l’Église
universelle en témoignage de l’unité de foi et de la communion qu’il doit
entretenir avec lui » (titre II, art. 19), non dans l’attente d’une confirmation. L’article est explicite :
« le nouvel évêque ne pourra
s’adresser au pape pour en obtenir aucune confirmation ».
Conclusion
La constitution civile du
clergé organise le clergé subordonne les évêques et les curés à la volonté de
la population et des conseils. Elle porte ainsi gravement atteinte à la discipline de l’Église. Elle établit aussi une église indépendante du pape. Les
mesures qu'elle préconise aboutissent donc « à une dégradation générale des pouvoirs religieux, le pape perdant son
autorité sur les évêques, ceux-ci celle qu'ils avaient sur leur clergé et les
curés eux-mêmes se trouvant placés dans la dépendance de fait de leurs
électeurs »[17].
Pire encore. L’Église ainsi constituée devient une véritable administration de l’État, régie par les mêmes règles.
Les clercs, évêques et prêtres, ne sont que des fonctionnaires de l’État. La constitution n’a de « civile » que dans l’effet obtenu. Pour
l’État, seule compte désormais l’utilité de l’Église à l’égard de la nation, utilité que seule l’assemblée nationale
peut évidemment évaluer.
Le plus étonnant et le plus
scandaleux dans ces mesures résident dans l’abus
du pouvoir de l’assemblée nationale. Sans aucune concertation avec le pape,
elle décide de bouleverser la hiérarchie ecclésiastique. Elle se donne des
droits que même les rois ne se permettaient pas. Elle crée finalement une nouvelle Église, démocratique et
nationale, complètement soumise à l’État, ignorant complètement l’autorité
pontificale.
La constitution civile de
l’État est une sorte d’aboutissement du mouvement gallican associé au
richerisme. Le pouvoir temporel contrôle totalement le pouvoir spirituel,
limite le pouvoir des évêques au profit des curés et le partagent à des
conseils. Mais les gallicans ont été suffisamment sages pour rester en
communion avec Rome et ne point rompre avec le pape, sagesse que l’assemblée
constituant n’a guère suivie…
Notes et références
[2] C’est le vicomte de
Noailles, noble sans fortune, qui propose l’abolition des droits seigneuriaux.
L’évêque de Chartres propose de supprimer les droits de chasse. La réponse du
duc de Châtelet est pertinente : l’évêque nous ôte la chasse, je vais lui
ôter ses dîmes. Chacun enlève à l’autre ses privilèges. Quelle mascarade et
odieuses insouciances !
[3] Décret relatif à l’abolition des
privilèges, art. 5, 11 août 1789.
[4] Procès-verbal, 11
août 1789, Inventaire analytique sur fiches de la sous-série D/XIX, Archives
du comité ecclésiastique, http://www.siv.archives-nationales.culture.gouv.fr.
[5] Barnave, dans Choix
de rapports, opinions et discours, prononcés à la tribune nationale,
Tome II, année 1790, p. 41, Paris, 1818.
[6] Talleyrand, dans Talleyrand,
Louis Madelin, Place des éditeurs, 2014.
[7] Camus, Moniteur,
tome IV dans Histoire de l’anticléricalisme français, Alec Mellor, édition
Mame, 1966.
[8] Rappelons que
Treilhard est le député qui a proposé la suppression des vœux solennels.
[9] Dionis de Séjour
(1734-1794), mathématicien et astronome, et Dupont de Nemours (1739-1817).
[10] Louis Simon Martineau, Rapport de M. Martineau, au nom du comité
ecclésiastique, sur la constitution du clergé, en annexe de la séance
du 21 avril 1790, dans Archives Parlementaires de 1787 à 1860,
Première série (1787-1799), Tome XIII, du 14 avril au 20 avril 1790, Paris,
Librairie Administrative P. Dupont, 1882, www.persee.fr.
[11] Louis Simon Martineau, Rapport de M. Martineau, au nom du comité
ecclésiastique, sur la constitution du clergé.
[12] Louis Simon Martineau, Rapport de M. Martineau, au nom du comité
ecclésiastique, sur la constitution du clergé, en annexe de la séance
du 21 avril 1790, dans Archives Parlementaires de 1787 à 1860.
[13] Louis Simon Martineau, Rapport de M. Martineau, au nom du comité
ecclésiastique, sur la constitution du clergé, en annexe de la séance
du 21 avril 1790, dans Archives Parlementaires de 1787 à 1860.
[14] Louis Simon Martineau, Rapport de M. Martineau, au nom du comité
ecclésiastique, sur la constitution du clergé, en annexe de la séance
du 21 avril 1790, dans Archives Parlementaires de 1787 à 1860.
[15] Lorsque l’Assemblée
constituante se sépare le 30 septembre 1791, l’ensemble des membres des
administrations publiques sont élus directement ou indirectement par les
citoyens actifs. Voir Le nombre et la
raison, la Révolution française et les élections, Patrice Gueniffey,
1993.
[16] Robespierre, Archives
Parlementaires, 1ère série (AP), vol. XVI dans L’Église constitutionnelle et la
Constitution civile du clergé : ruptures et continuités (1790-1801),
Xavier Maréchaux.
[17]
Daniel-Rops, L'Église des Révolutions, Tome I.
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