" La pierre précieuse, voire de grand prix aux yeux de certains, qu'est l'émeraude, se voit insultée par un morceau de verre habilement truqué, s'il ne se rencontre personne qui soit capable de procéder à un examen et de démasquer la faute. Et lorsque de l'airain a été mêlé à l'argent, qui donc, s'il n'est connaisseur, pourra aisément le vérifier ? "(Saint Irénée, Contre les hérésies)


vendredi 28 juillet 2017

Le concile de Trente, un concile encore d'actualité

« Référence indispensable de grandeur catholique pour certains, début au contraire de la fermeture de l'Église à la modernité pour les autres » [1], le concile de Trente est une référence incontournable dans l’histoire du christianisme, et dans le christianisme lui-même. Pourtant, il demeure encore bien méconnu ou dénaturé par de nombreux clichés. Il est sans-doute pour des chrétiens un objet du passé ou un souvenir d’un temps où le christianisme innervait encore la société. Or comme tout concile, il n’est pas à ranger dans les reliques de notre passé. La foi peut y retrouver de plus vives lumières, la charité un plus grand élan. Mais au-delà des vérités qu’il a affermies et de la discipline qu’il a restaurée, le concile de Trente est aussi belle leçon de vérité et de courage, de foi et de charité, voire un véritable miracle par ses effets sur l’Église. En ce temps où une nouvelle crise la mine, dévastant les églises, où la déchristianisation ne rencontre plus de résistances, où la société semble s’éloigner de toutes valeurs chrétiennes, il est aussi assurément un bel objet de méditation. Il ne peut ainsi nourrir notre espérance. Quand l’Église fait face à ses épreuves, elle en sort encore plus grandie…

La clarté dogmatique

Le concile de Trente traite avec sérieux et sans passion les questions doctrinales que les protestants ont soulevées, à savoir les sources de la foi, la justification et les sacrements. Luther puis Calvin ont remis en question la doctrine catholique du salut, le premier excluant du salut la participation de l’homme quand le second, avec une logique implacable, a affirmé la double prédestination. Le salut de l'homme est ainsi naturellement au centre des débats doctrinaux. Le concile définit ainsi clairement et fermement l'enseignement de l'Église sur ces points contestés tout en dénonçant les erreurs. Sur ces sujets, le dogme est suffisamment formulé pour distinguer ce qu'il faut croire et ce qu'il ne faut pas croire, séparant nettement le protestantisme du catholicisme. Préoccupé de sûreté doctrinale et de fidélité, l’Église s’est désormais prononcée de manière solennelle sur les points attaqués. L'Église assume ainsi avec vigueur son rôle de magister.

Les textes dogmatiques comprennent une partie doctrinale suivie d’anathèmes, c’est-à-dire de sentences qui condamnent une erreur et retranchent de l’Église celui qui y adhère. Le concile de Trente a ainsi lancé plus de condamnations que tous les conciles antérieurs. Cela se comprend rapidement quand nous songeons au pullulement des thèses qui circulaient en Europe depuis le début du XVIe siècle. Après l’affichage de ses fameuses thèses, Luther a engagé une véritable guerre d’informations et de libelles, répandant ses idées sur toute l’Allemagne. Grâce à l’imprimerie, les idées protestantes ont pu rapidement se diffuser. L’impact de cette invention sur la diffusion des idées est considérable. « Il fut probablement vendu, entre 1517 et 1520, plus de 300 000 exemplaires des trente écrits de Luther… On ne saurait trop estimer le rôle qu’a joué l’imprimerie dans la diffusion des idées religieuses. Sans son recours, une révolution d’une telle amplitude n’aurait guère pu se produire. »[2] 

En outre, au cours de nombreux débats et colloques, les prétendus « réformés » peuvent librement parler et remettre en question l’enseignement traditionnel de l’Église sans aucune inquiétude. Les clercs capables de s’opposer à leur dialectique sont peu nombreux. Comme nous l’avons noté, le clergé n’est guère formé pour répondre efficacement à leurs discours et pour donner aux fidèles des réponses satisfaisantes. Un abîme les sépare de la communauté chrétienne. Luther soulève des questions qui touchent concrètement la vie chrétienne.

Enfin, les demi-accommodements de Melanchthon ou le dogmatisme du calvinisme font hésiter de nombreux chrétiens. Des dignitaires religieux et des princes cherchent des compromis pour tenter de vaines unions autour de déclarations au double sens. À Ratisbonne, le colloque a failli aboutir. Mais les silences ont été probablement trop pesants.



 
Le XVIe siècle est finalement un temps difficile pour les esprits et les âmes. Le concile de Trente rompt avec cette période de doute et d’hésitation par la netteté et la clarté de ses textes doctrinales et par la condamnation des erreurs. Il n’est plus possible ni de transiger avec l’erreur ni d’errer dans les malentendus. Certes, il apporte un certain durcissement ou raidissement mais il donne une sûreté indispensable au moment même où le protestantisme affermit également sa doctrine.

Faut-il croire alors que le concile de Trente a consacré définitivement la division de l’Église ? Les faits historiques montrent clairement que la rupture est antécédente au concile. Forts de leur succès et sûrs de leurs thèses, les protestants ont refusé de débattre et de se remettre en question. Ils sont en position de vainqueurs au moment où les Pères conciliaires se réunissent. Le Saint Empire germanique est prête à embrasser la nouvelle foi. Leurs propositions et leurs attitudes présomptueuses ne peuvent que raidir les catholiques. Le durcissement doctrinal de l’Église répond à celui du protestantisme.

Par ses affirmations dogmatiques et par ses condamnations, l’Église fait front aux thèses hérétiques des protestants. Le catholique ne peut plus hésiter. Elle lui apporte une sûreté doctrinale inestimable.

La réforme catholique

L’Église a pris conscience des abus qui affligent de nombreux chrétiens, c'est-à-dire l'ignorance des prêtres, le laisser-aller des autorités religieuses ou encore l'irrespect envers les choses divines. Une de ses décisions les plus décisives est de relever le niveau des prêtres, notamment par la formation et de manière pratique par la création de séminaires. Une de ses préoccupations est aussi de rendre plus digne la religion chrétienne et de refuser tout scandale ou mœurs indignes non seulement au cours des différentes célébrations mais aussi au sein du clergé. Un véritable combat est engagé contre les scandales qui affligent l’Église. La fin des tolérances et des négligences est donc sonnée. Ce combat s’appuie sur l'autorité des évêques que le concile réaffirme et renforce contre tous les abus et dispenses qui ont fini par l’amoindrir. Il fait plus encore. Il rappelle leurs responsabilités et leurs devoirs à l'égard des fidèles.

Avec des prêtres plus savants et plus dignes, moins objet de scandales et de colère, la religion chrétienne s’élève alors en spiritualité et demeure plus crédible. Les âmes avides de Dieu peuvent s’y nourrir. La morale y gagne aussi.

Une Église au nouveau visage

En outre, l’Église sort de cette épreuve mieux organisée, son unité renforcée, sa hiérarchie raffermie. Quelle différence avec le protestantisme qui évolue en se divisant ? Quel contraste avec le luthéranisme qui, pour éviter l’anarchie, s’est soumis aux pouvoirs des princes ? Quelle opposition avec le calvinisme qui se renferme dans la théocratie ? Le Pape sort grandi du concile comme les évêques qui voient leur autorité gagner en efficacité. L’Église s’enrichit de la complémentarité entre ces deux autorités, l’une centrale, l’autre locale. Sans le vouloir, le concile de Trente a certainement contribué à donner à l’Église plus de visibilité et de clarté dans son organisation, répondant ainsi aux doctrines protestantes qui remettent en cause justement son caractère visible. Étrange ironie. L’Église est plus que jamais une société à la fois spirituelle et matérielle.

Un esprit de réforme profond et sérieux a ainsi guidé les travaux du concile. À la fois doctrinal et disciplinaire, il a accompli une œuvre extraordinaire en dépit des nombreux obstacles. Le succès du concile se manifeste surtout par les tâches qu’il a confiées au Pape.

Les autres œuvres de Trente

Le concile de Trente ne se réduit pas à des décrets. Avant de se quitter, les Pères conciliaires confient effet au Saint-Siège le soin de mener plusieurs projets de réforme à leurs termes. Ils lui demandent notamment de rédiger et de publier un catéchisme, de réformer le missel et le bréviaire.




 
Lors de la congrégation générale du 5 avril 1546, sous Paul III, est née l’idée d’un catéchisme « à l’usage des enfants et des adultes illettrés ». Luther innove semble-t-il en publiant son Grand puis son Petit catéchisme en 1529, écrits en langue vernaculaires et adaptés aux chrétiens. Calvin excelle avec l’Institution chrétienne en 1536 puis en 1541. Ce sont des moyens efficaces pour répandre les thèses protestantes auprès d’une population non instruites. Des catholiques répondent à leur tour par la publication de Catéchismes, Georges Witzel en 1535, Johann Dietenberg en 1537 puis Jean Gropper en 1538.

En 1551, le roi des Romains puis empereur Ferdinand charge l’Université de Viennes et les Jésuites de rédiger un résumé de théologie. Saint Pierre Casinius en est finalement chargé de cette tâche. Il rédige trois œuvres graduées et adaptées aux âges : un catéchisme supérieur (1554), un catéchisme pour enfant (1556) et un catéchisme moyen (1558).

En 1563, le concile de Trente élabore à son tour une première ébauche de catéchisme. Il est envoyé au Pape Pie IV qui le confie à trois prélats éminents. Une première édition est publiée en 1566 sous Saint Pie V. Ce n’est ni un abrégé à l’usage des fidèles ni un manuel destiné à l’enseignement de la théologie. C’est un exposé doctrinal susceptible de compléter l’instruction théologique des prêtres et de leur faciliter la prédication et l’enseignement du catéchisme.

Lors du débat sur les abus dans la célébration de la messe, le concile note, dans les divers missels, des détails théologiquement contestables et des divergences rituelles. Un décret confie au Pape Pie IV le soin de réviser le missel en 1563. Saint Pie V l’achève. Une bulle de 1570 promulgue un nouveau missel qui, sans apporter de grandes innovations, devient l’exemplaire type pour toutes les églises, avec l’obligation de s’y conformer. Seuls les missels en usage depuis plus de deux cents ans sont autorisés. Une telle décision fait alors cesser les diversités entre les pays et même les provinces ecclésiastiques pour les rites, les messes, les prières, etc. Une Congrégation des Rites est créé.

Pour donner aux prêtres un contact plus familier avec la Sainte Écriture et en faciliter sa récitation, le bréviaire fait aussi l’objet d’une réforme. Le Bréviaire romain est promulgué sous Saint Pie V le 9 juillet 1568 à partir d’un dossier remis par le concile de Trente.

La révision de la Vulgate a aussi été l’œuvre du Saint Siège. Par le décret du 8 avril 1568, le concile de Trente a défini son authenticité juridique. Mais, le Pape Paul III songe d’abord à la réviser, tâche bien trop lourde pour un concile. Une première bible paraît sous Sixte Quint en 1591. Mais élaborée trop rapidement, elle a été remplacée par une nouvelle Vulgate, la Bible Sixto-Clémentine en 1604 sous Clément VIII.


Ainsi le concile de Trente confie au Saint-Siège de nombreuses tâches afin que la réforme catholique soit concrète. Les Papes les ont pris en compte et par-là ont finalement conduit la réforme à son terme. Son autorité s’en est ainsi renforcée.

L’autorité renforcée du Pape

De manière paradoxale, le concile de Trente renforce l'autorité du Pape. Il devient le garant de l'unité de l'Église et son prestige ne cesse de grandir. Sa part fondamentale dans la réforme est reconnue. Tout en laissant une entière liberté aux Pères conciliaires, il est parvenu à rendre efficace le concile en dépit des nombreuses obstacles. Il s’est surtout opposé aux volontés des princes de constituer des églises nationales. Le concile de Trente est aussi une victoire contre les prétentions des empereurs et des rois.

Pourtant, les décrets conciliaires n’accroissent pas ses pouvoirs. Les textes n’en parlent guère. Le Saint Siège sort raffermi du concile. Il en a assuré la présidence par des légats dévoués et fidèles, et a permis son déroulement en dépit des événements jusqu’à son terme. Son autorité sort en fait grandie par les réformes qu’ils mènent à Rome et par leur zèle à réformer les mœurs du clergé romain. Depuis Pie IV, les Papes veulent achever les mesures prises par le concile, restaurer la vie religieuse, combattre le népotisme, défendre la chrétienté contre le péril musulman. Le gouvernement du Saint Siège est modernisé sous Sixte-Quint par l’établissement de douze congrégations romaines. Une nouvelle papauté voit ainsi le jour, plus adaptée aux Temps modernes.

La réforme dans les évêchés

Le Pape n’est pas le seul à vouloir mener les réformes nécessaires. De nombreux évêques sont aussi attachés à suivre le concile de Trente et à appliquer ses décrets. Le « pionnier de la pastorale moderne » est Saint Charles Borromée (1538-1584). Il a servi d’exemples à de nombreux prélats. Saint François de Sales (1602-1622) est un de ses élèves en France. Ils luttent contre le désordre établi, notamment par les visites pastorales et par la tenue de synode diocésain. En Espagne, des conciles provinciaux mettent en œuvre les décrets conciliaires. Dans les États allemands catholiques, la réforme catholique est plutôt menée de manière énergique par les princes avec l’aide des Jésuites. La collaboration entre les évêques et la compagnie de Jésus permet la régénération de l’Église de Pologne.

La création des séminaires, parfois lente, s’est avérée efficace pour renouveler le clergé et l’élever. Saint Charles Borromée crée le séminaire de Milan en 1564. Puis d’autres le suivent non seulement en Italie comme Rome (1565), Imola et Ravenne (1567) mais aussi en Europe en dépit des guerres, notamment en France. Les réalisations durables dans le royaume de France ne datent que de 1642-1644 avec Saint Vincent de Paul et ses Lazaristes.

La réforme dans les Ordres

Saint Jean Eudes (1601-1680)

Commencée avant le concile de Trente, la réforme des Ordres est encouragé par le décret de la 25ème session. Leur rénovation est un des faits marquants de la réforme catholique. Comme le souhaite les Pères conciliaires, des abbayes se regroupent pour donner naissance à des congrégations comme celle de Saint Maur chez les Bénédictins ou celle des Feuillants chez les Cisterciens. Les Carmes et les Carmélites connaissent la réforme avec Saint Jean de la Croix et Sainte Thérèse d’Avila.

La Compagnie de Jésus prend un rôle prépondérant dans la restauration catholique. Elle se développe rapidement dans différents domaines : collèges, action spirituelle, enseignement théologique, missions d’apostolat. D’autres congrégations de clercs réguliers voient le jour au XVIème siècle comme les Camilliens et les Piaristes.

Se créent aussi des  « compagnies de prêtres » sans vœux particuliers de religion comme les Lazaristes, les Eudistes, les Sulpiciens. Ils sont en charge des séminaires, l’éducation de la jeunesse, les missions populaires.

Un renouveau de vitalité emporte aussi le monde religieux. Toutes les formes de la vocation religieuse sont prises dans ce mouvement extraordinaire. Un grand nombre de congrégations réformées ou nouvelles se donnent avec ardeur à toutes les œuvres d’enseignement, d’éducation religieuse populaire et d’assistance. La restauration de la vie religieuse se manifeste aussi et surtout dans l’œuvre de la mission. Les XVIe et XVIIe siècles marquent l’expansion du christianisme dans le monde entier.

Le soin de l’âme

Saint Camille de Lellis (1550-1614)
Pour répondre à la crise qui la ravage, l’Église a bien compris ses causes : hésitation et compromission avec les erreurs, négligence dans l’enseignement de la foi, laisser-aller dans le clergé, ignorance des prêtres et des fidèles, indulgence devant le péché. Conscient de ses devoirs, le concile de Trente a fermement réagi contre tous les abus, affirmant avec netteté et fermeté ce qu’il faut croire et ne pas croire, et en mettant en place des mesures efficaces pour élever le niveau du clergé et affermir l’autorité ecclésiastique. Au cœur de la réforme se trouve le soin des âmes. Elle rappelle l’œuvre de la Rédemption, la nécessaire collaboration de l’homme à la grâce divine, les moyens mises à sa disposition pour y parvenir. Elle s’attaque aussi à l’homme et lui rappelle ses devoirs, notamment pour les chargés d’âme. Le concile de Trente veut changer l’homme par la religion tout en demeurant fidèle à cette même religion. Un souffle nouveau a réveillé les âmes. La vie du peuple chrétien a été ainsi profondément modifiée. Le peuple chrétien est mieux suivi, mieux instruit. Le catéchisme et la liturgie y joue un rôle considérable.

Le concile de Trente est parvenu à réformer le peuple chrétien par l’action continue des Papes et des évêques. Leur autorité affermie a notamment permis de redresser la situation. La réforme a aussi été rendue possible grâce à la détermination d’hommes et de femmes habités par une volonté déterminée de remplir leur devoir et de servir de leur mieux Notre Seigneur Jésus-Christ. Que de courage et de patience fructueux chez de nombreux Papes et évêques !

Conclusion

Notre temps est certes différent de celui qui affligé l’Église au XVIe siècle. Mais aujourd’hui, les troubles qui la désolent ont probablement les mêmes causes. Des discours sèment le doute et des pratiques antiques sont remises en question. Par les médias puis par les systèmes de communication modernes que nous connaissons, les erreurs se diffusent sans aucune maîtrise alors que les fidèles sont de plus en plus ignorants de leur foi et coupés de la culture chrétienne. La connaissance religieuse et la culture chrétienne de la majorité des fidèles sont affligeantes, voire désespérantes. De nombreux responsables d’âmes ont abandonné le devoir. Ils comptent leurs heures, savourent leurs congés et attendent leur retraite. Que dire encore des scandales qui régulièrement défrayent les chroniques ! Les hommes d’Église ont perdu de la crédibilité par leur silence, leurs hésitations ou par l'indignité de certains d'entre eux. L’esprit du monde a gagné bien des cœurs et des âmes…

Le concile de Trente devrait nous faire réfléchir sur les moyens de redresser la situation et de combattre les maux qui dénaturent l’Église. La clarté et la fermeté dans la foi comme dans la discipline sont encore plus nécessaire aujourd’hui qu’elles ne l’étaient au XVIe siècle. Nous devons lutter contre les mêmes ennemis, Satan, l’esprit du monde et nous-mêmes. Le combat est inhérent à la vie chrétienne. L’oublier, c’est nécessairement retomber dans la même décadence. Il est temps de sortir de sa naïveté. Qui peut encore croire que la vérité s’affirme simplement en l’exposant ? Qui peut vraiment croire que le monde accepte si facilement la parole de Dieu ? Qui peut enfin croire que le véritable bonheur est si simple et sans combat ? S’il est si facile à l’homme de s’unir à Dieu, pourquoi Notre Seigneur Jésus-Christ est-Il mort sur la Croix après tant de supplices ? Pourquoi tant de larmes et de sang dans notre Histoire ?…






Notes et références
[1] La Croix, 22 janvier 2014, Le Concile de Trente, ce qui s’est vraiment passé, John O’Malley, édition Lessius.
[2] Elizabeth L. Eisenstein, Gérard Mansuy, L’avènement de l’imprimerie et la Réforme, dans Annales. Économies. Sociétés. Civilisation, 26ème année, n°6, 1971, www.persee.fr.

samedi 22 juillet 2017

Le Concile de Trente, une véritable leçon d'une vraie réforme

Dans la cathédrale de Trente, un évêque en chape et mitre est à genoux en terre. Il regarde le grand autel d’un air étonné et joyeux. Un autre pleure, assis, les mains sur le visage. À ses côtés, un autre prélat chante un psaume avec allégresse. D’autres crient de toutes leurs forces. Une église vibre ainsi au grès des acclamations et des louanges. Nombreux sont en larmes. Puis, aux premières paroles d’un Te Deum solennel, toute la cathédrale se met à chanter comme une seule voix. Enfin, les dernières paroles dissipées, le cardinal Morone bénit lentement l’assemblée d’un signe de croix et dit une dernière fois « Révérendissimes Pères, allez en paix. » C’est par ces mots que le concile de Trente se termine ...

Après la publication des derniers décrets dogmatiques et réformateurs, le cardinal Girolamo Morone (1509-1580) se lève et d’une voix solennelle s’adresse à l’assemblée des prélats :  « Illustrissimes Seigneurs et Révérendissimes Pères, vous plaît-il qu’à la louange Dieu Tout-Puissant, on mette fin à ce saint concile œcuménique et que pour l’ensemble et le détail de ce qui a été par lui décrété et défini sous les Pontifes romains Paul III et Jules III, d’heureuse mémoire, et de notre saint Seigneur Pie IV, confirmation soit demandée au bienheureux pontife romain au nom de ce saint synode par les légats et présidents ? »[1] Commencé en 1545, plusieurs fois interrompu, sous une menace persistante, le concile a débuté à Trente, puis s’est poursuivi à Bologne pour y revenir et s’achever en 1563. En dépit de cette longue histoire, le concile de Trente ne forme qu’un seul et unique concile.

À l’appel de son nom, chaque évêque répond par un « placet », approuvant ainsi le décret de clôture. Lorsque le dernier achève une très longue série, le cardinal Morone peut être satisfait. Sa joie est certaine. Sur son visage, nous pouvons lire une paix sereine et profonde. Sa tâche n’a pas été facile. Des légats pontificaux en sont morts d’épuisement ou de découragement.


Nous l’imaginons songeur. Pense-t-il aux longues négociations que Paul III a du mener pour ouvrir ce concile pourtant tant désiré ? En tant que nonce, le Pape l’a envoyé à Vienne pour annoncer au roi de Bohême et de Hongrie la convocation du concile. Il a aussi participé au vain colloque de Ratisbonne où catholiques et protestants ont cherché à conclure un compromis. Après cet échec, il a été envoyé à la diète de Spire auprès des évêques en Allemagne pour promouvoir le concile et le faire accepter. Il se souvient de ces deux longues années au château de Saint-Ange où suspect d’hérésie, il a été emprisonné avant d’être innocenté. Songe-t-il alors à Paul IV aux mesures radicales ? Vouloir corriger les abus de manière si intransigeante et implacable n’a fait que soulever l’indignation et la colère ! Ou se souvient-il plutôt de cette attente interminable à Trente, où légat, il est chargé d’ouvrir un concile sans participant et finalement de le suspendre avant même qu’il ne commençât ? Se souvient-il encore de ce jour de mars 1563 où Pie IV le désigne pour remplacer un des légats décédé alors que le concile est enlisé dans une profonde division. À son tour, mais avec une plus grande diplomatie et habilité, il assume la lourde charge de diriger une assemblée nombreuse. Il réussit à mener les débats jusqu’à leurs termes, évitant les ruptures et réduisant les oppositions. Le cardinal Morone peut se rappeler de cette aventure aux multiples péripéties. Il est l'un des acteurs qui ont sauvé le concile. Quelle joie doit-il éprouver en ce jour où les Pères conciliaires acceptent enfin sa clôture !

« Je ne saurai dire ce que fut la joie spirituelle de tous, leur gratitude envers Dieu, leur action de grâce, lorsque le concile tint sa séance ultime. […] Un déchaînement d’acclamations et d’applaudissements stupéfiant en l’honneur du Pape, marque cette dernière séance »[2] Pie IV peut aussi être fier d’avoir été l’un des instruments de cette œuvre qui s’avèrera décisive. Selon l’avis unanime des commentateurs, le concile de Trente a permis à l’Église catholique de renaître et de s’affermir. « Tout fut fait par l’inspiration de Dieu », répond-il à ceux qui le félicitent de ce succès.

Pensons à ces prétendus réformateurs, qui rient de ce concile jugé inutile et vain. Profitant de la crise qui touche et blesse profondément l’Église, ils développent un nouvel esprit chrétien, fondent une nouvelle religion chrétienne, la divisant en de multiples églises rivales. Pour lutter contre les abus qui ravagent l’Église, ils trouvent comme seul remède l’affirmation de nouvelles doctrines et la suppression de nombreuses pratiques religieuses, objets de déviation. On propose de supprimer le malade pour détruire la maladie ! La rupture est leur solution, la nouveauté, le remède. L’un s’appuie sur son expérience religieuse, l’autre sur une logique implacable. Sentiment et raison, de là sortira la « réforme ». L’Église catholique a choisi une autre solution, celle d’affirmer sa foi et de se débarrasser des abus tout en restant fidèle à elle-même.

La lutte contre les abus

Saint François de Salles
Regardons d’abord les décrets de réforme. Les principales règles disciplinaires consistent en grande partie à supprimer toutes les dispenses et les privilèges qui nuisent à l’autorité de l’évêque, y compris celles provenant des Papes et de la curie romaine. Ses principales tâches sont alors d’identifier les abus, d’« innover »[3] les décrets et décrétales en vigueur, de les préciser et de les renforcer. Les Pères conciliaires corrigent aussi des textes législatifs anciens qui eux-aussi remettent en cause l’autorité des évêques ou affaiblissent la discipline. Le concile de Trente tient donc à supprimer tous ces abus, quelle que soit leur origine, en remettant en vigueur nombre de décrétales et en les appliquant, avec parfois plus de sévérité. Ainsi, la réforme catholique ne s’appuie pas sur des dispositions révolutionnaires. Le concile invente rarement une disposition nouvelle. Pour s’opposer aux abus, il n’a pas cherché à supprimer l’objet de cet abus mais sa véritable cause tout en maintenant les principes traditionnels.

Les Pères conciliaires sont aussi conscients que les décrets doivent être applicables pour être appliquées. Règle fondamentale souvent oubliée de nos jours ! Nombre de points étaient déjà définis dans le droit antérieur mais ils se sont montrés insuffisants et leur application déficiente. L’une des décisions les plus pratiques a consisté à créer des séminaires. À quoi bon de demander que les prêtres soient à la hauteur de leur charge s’ils ne sont pas formés ? Les textes sont aussi suffisamment précis et clairs pour qu’ils ne soient pas que de simples principes soumis à diverses interprétations. Dans les décrets, ils rappellent d’abord leur intention puis prévoient tous les cas d’application afin d’en identifier les obstacles. N’oublions pas que les Pères conciliaires font aussi partie de ceux qui les appliqueront. Ils sont donc nécessairement réalistes et pragmatiques. Ainsi le concile définit sérieusement des points de discipline à observer. Il prévoit leur organisation et leur contrôle, sans oublier les sanctions en cas d’infraction. Remarquons une plus grande sévérité dans les peines. Le temps de la tolérance, de l’indulgence ou de l’indifférence est nettement terminé…

Saint Vincent de Paul


Nous pouvons alors être surpris par l’ampleur de la tâche entreprise ainsi que par la diversité des sujets débattus. Il est clair que le concile a cherché à « souligner l’importance du rôle des évêques, responsable en dernière analyse du bon ordre à faire respecter dans le fonctionnement normal des institutions. »[4] Les Pères conciliaires, aidés des canonistes, définissent les dispositions qui permettent aux évêques d’exercer leur charge en leur donnant les moyens. Le soin de l’âme n’est pas seulement souligné dans les textes. Elle se trouve réalisable sans les restrictions que de nombreuses institutions parasitaires ont apportées au cours du temps. Le concile de Trente constitue ainsi solidement le fondement essentiel de l’œuvre réformatrice.

Un exemple de décret disciplinaire

Prenons un exemple. Après avoir longuement traité de la messe sous l’aspect dogmatique, les Pères conciliaires s’attaquent aux abus concernant sa célébration. Ils cherchent à poursuivre tous les abus existants et à les condamner, puis définit les moyens pour les réprimer.

Le concile est conscient que des pratiques incompatibles se sont introduites dans la célébration de la messe. À partir d’une enquête menée par sept Pères désignés, on définit un catalogue de fautes, de négligence et de laisser-aller de la part des célébrants et des participants selon un classement par chapitre (célébration, habits, lieu et temps, tenue de l’assistance). Ce compendium logiquement constitué a pour but d’éveiller la responsabilité des évêques sur les principaux problèmes liés aux honoraires puis à la dignité religieuse de la célébration tant de l’officiant que de l’assistance. Il dénonce la cupidité, l’irrévérence et la superstition.

À partir du compendium, un premier projet de décret est établi et soumis aux discussions. Deux attitudes s’opposent. Certains Pères conciliaires veulent simplement exciter chez les évêques le sens de leur devoir. Ils doivent s’informer des abus qui règnent dans leur diocèse et les réprimer. Ils veulent ainsi se remettre aux évêques. D’autres veulent une législation détaillant les fautes et les sanctions. Un premier projet insiste finalement sur la responsabilité des évêques et leur devoir de veiller et de sanctionner. Il sera finalement voté sans peine.

Le texte comprend un préambule et onze articles. La volonté du concile est clairement exprimée dans les premières lignes : le saint sacrifice de la messe exige « le maximum de pureté intérieure, de dévotion et de piété extérieures ». La définition dogmatique de la messe est en effet le fondement de la réforme disciplinaire. Les décrets dogmatiques et disciplinaires sont ainsi cohérents. Il demande alors aux évêques de remplir leur devoir.

Puis le décret dénonce les impiétés commises, les superstitions ou tout ce qui pourrait être cause d’exactions financières. Il accuse l’indignité du célébrant, du lieu et de la cérémonie. Pour s’y opposer, il met en place des règles pour garantir la dignité de la célébration et définit l’autorité de l’Église comme seule pouvant approuver les pratiques, cérémonies ou prières sans oublier les pratiques légitimées par leur ancienneté.

Le sérieux des débats dogmatiques

Pour comprendre l’œuvre que réalise le concile de Trente dans le domaine dogmatique, nous vous proposons aussi de nous pencher sur l’élaboration d’un des principaux décrets, celui de la justification, le texte fondamental du concile.

Les Pères conciliaires sont d’abord conscients de la difficulté de leurs tâches car aucun concile n’a encore traité ce sujet et peu de théologiens en ont parlé. Mais, ils savent que là réside une des thèses fondamentales de Luther. Elle est en effet au cœur des prétentions des luthériens. Ils ne veulent donc point simplement la condamner sans examen. Ils veulent la juger sans passion. De juin à décembre 1456, elle fera l’objet de longs et sérieux débats.

Selon les règles du concile, l’étude du sujet commence par l’exposé des théologiens mineurs devant les Pères conciliaires. Ils l’ont étudié selon l’orientation fournie par les prélats sous forme de questions. Elles reprennent les principales thèses des « réformateurs ». Pour répondre aux questions, trente-quatre théologiens mineurs prennent la parole en séance publique du 22 au 28 juin 1546. Les autorités qu’ils évoquent sont restreintes : deux passages du Nouveau Testament, les conciles de Milèves et d’Orange, et le rituel du baptême. Leurs discours ainsi que les débats montrent que le cœur du sujet tourne autour de l’état où la justification peut se réaliser. À partir de ce constat, un schéma est élaboré ainsi qu’une nouvelle liste d’erreurs.

Pendant que les Pères conciliaires discutent sur les états de justification, un projet de décret est proposé par des théologiens. Mais jugé trop scolaire et imparfait dans sa rédaction, il n’est pas approuvé. Séripando, le général des Augustins, élabore un nouveau projet. Plus cohérent, il différencie clairement la doctrine catholique de la doctrine luthérienne. Il fait d’abord l’objet d’un examen par les théologiens avant d’être discuté par des prélats. La doctrine dite de la double justification, que propose Séripando, oppose les thomistes et les scotistes. Le sujet est alors mis en examen aux théologiens toujours sous forme de questions élaborées par les Pères conciliaires. Les partisans de la doctrine restent toutefois minoritaires. La doctrine sera finalement rejetée…
Un troisième projet est élaboré, puis à partir de nouvelles propositions de modifications, un autre projet est encore présenté. Pour résoudre une nouvelle question, il est demandé aux théologiens de donner une interprétation d’un verset de Saint Paul. Les théologiens ne s'entendent pas, chacun défendant les opinions de leurs écoles. Le légat rappelle aux théologiens qu’ils doivent avant tout consulter les Pères et la tradition de l’Église. Un dossier patristique leur est même remis. L’étude de ce texte scripturaire fait ensuite l’objet du débat. L’interprétation donne lieu à un vote. Enfin, un cinquième puis un sixième projet sont rédigés. Après une étude minutieuse du dernier projet, le décret de la justification est unanimement approuvé.

Il est certainement fastidieux de rappeler les différents examens qui ont abouti au décret mais quel plus beau moyen pour montrer tout le soin que les Pères conciliaires ont pris pour définir clairement et sans malentendus la doctrine catholique de la justification ! « C’était, semble-t-il, la première fois qu’une assemblée conciliaire s’était donnée pour objet, non pas seulement de rechercher et de condamner des erreurs, mais d’étudier sous toutes ses faces, avec une ampleur aussi considérable dans la discussion, un problème doctrinal. »[5] Quelle différence avec les doctrines protestantes sorties d’une âme tourmentée ou d’une intelligence subtile !

Ainsi, après plusieurs mois de libre discussion, la doctrine catholique de la justification est ainsi clairement définie. Elle s’inspire de la doctrine augustinienne, se fonde sur la Sainte Écriture avec des versets de Saint Paul dont l’interprétation est définie, et sur les conciles africains unanimement reconnus. Elle est enfin « affermie par deux ou trois siècles de réflexion théologique. »[6]

La liberté des Pères conciliaires

Les Pères conciliaires n’ont pas pris en compte les opinions d’écoles, refusant de se prononcer dans les questions librement discutées. Ils veulent s’appuyer sur la Sainte Écriture, les décisions des anciens conciles, sur les Pères de l’Église. Ils refusent de cautionner des thèses encore en discussion. Il n’y a pas de liberté sans recul ni prudence.

S’ils ont joué un rôle important, les théologiens ne sont pas véritablement les auteurs des textes. Ils ont été sérieusement entendus sans qu’ils imposent leur point de vue. Les Pères conciliaires demeurent maîtres des débats, dirigent les travaux et maintiennent leur liberté de décisions.

Les Pères conciliaires laissent volontairement certaines imprécisions pour ne retenir que l’essentiel. Le but est clairement de définir la doctrine catholique et de la distinguer de la doctrine protestante sur les questions fondamentales que les protestants ont remises en cause, sans passion et avec sérieux. Il est donc erroné de rechercher dans les textes des réponses à d’autres questions.

Affermir clairement la foi

Saint Laurent de Brindes (1559-1619)
Avec les textes dogmatiques, le concile de Trente formule nettement ce qu’un catholique doit croire. L’Église catholique a en effet clairement exprimé sa profession de foi. Face aux multiples erreurs des protestants, elle les a examinées avec sérieux et rigueur puis identifier les points de sa foi menacés avant de les déterminer avec plus de précision et leur opposer la vérité, notamment sur les trois fondamentales remises en cause, c’est-à-dire sur les sources de la foi et bases de la doctrine, sur le rôle de la grâce et des œuvres, et sur les sacrements, spécialement l’Eucharistie.

Contre l’idée selon laquelle la Sainte Écriture seule suffit pour trouver la Révélation, par simple contact avec les textes sacrés, le concile rappelle que les deux sources de la foi sont la Sainte Écriture et la Tradition, égales en autorité et qu’elle-seule assure la mission enseignante et veille à leur parfaite intégrité. Contre l’individualisme protestant et le sentiment personnel, il oppose l’universalité et la catholicité de l’Église, et le principe d’autorité. C’est l’Église qui permet à chacun de tirer de la Sainte Écriture ce qu’ils en peuvent espérer, ce qu’il faut croire, ce qu’il ne faut pas croire.

Contre les doctrines de justification par la foi seule et de la double prédestination, le concile oppose le double rôle de la foi et des œuvres, le libre arbitre de l’homme et l’infinie bonté de Dieu, l’exigence de la coopération de l’homme à l’action de la miséricorde divine dans la justification. Cette dernière est considérée comme une régénération intérieure par laquelle l’homme devient fils de Dieu, et non pas une simple imputation des mérites du Christ. Sûr de son enseignement, il rappelle avec justesse que le dogme central du christianisme est la Rédemption, la charité du Christ, l’amour de Dieu et non la chute, le péché ou la terreur du châtiment divin. Le concile se montre ainsi plus optimiste que les protestants.

Contre les remises en cause des sacrements, le concile rappelle que Notre Seigneur Jésus-Christ n’a pas donné ses bienfaits en un temps et des circonstances fixes mais qu’Il est perpétuellement agissant dans ses sacrements, où l’action ineffable de la grâce rencontre la foi, l’élan et l’effort du fidèle pour le mener vers le salut. Ce ne sont pas seulement des aliments pour la foi des fidèles, des signes de foi comme disent les « réformateurs », ils contiennent réellement la grâce qu’ils signifient et ils la confèrent à ceux qui les reçoivent, à moins qu’ils n’y mettent obstacle par leurs mauvaises dispositions. Le concile définit chaque sacrement, son essence et son action. Aux diverses et multiples thèses protestantes sur l’Eucharistie, points de division dans le protestantisme, elle en donne une définition claire, précise, sublime. Sacrement offert aux hommes pour leur salut, il est aussi et avant tout un sacrifice offert à Dieu, ce que les protestants unanimes refusent d’admettre, un sacrifice qui, reproduisant celui du Calvaire, applique éternellement l’œuvre de la Rédemption. Elle proclame enfin le rôle central de la messe dans l’œuvre du salut.

Deux voies

Revenons aux origines du protestantisme. Depuis sa révolte, à partir de son sentiment religieux, Luther développe ses idées, allant d’audaces en audaces au fur et à mesure des résistances. De manière radicale, il impose une révolution dans la religion chrétienne, supprimant des pratiques pour cause d’abus et refusant toute autorité en matière religieuse. Ses discours enflammés provoquent de furieuses illusions et de véritables révoltes. Faute de cohérence et sujette à de nombreuses contradictions, son œuvre finit par enflammer les âmes et par jeter la société dans la violence. Les princes finissent par la prendre en main, définissant même ce que les chrétiens doivent croire.

Plus intellectuel que sentimental, Calvin élabore l’Institution de la religion chrétienne et d’une manière implacable, il impose une discipline et des pratiques religieuses à ses disciples. Conscient des fautes du Luther qui ont livré son église aux princes, il décide de soumettre l’autorité civile à la seule puissance religieuse, inventant ainsi la théocratie dans l’histoire du christianisme.

Saint Charles de Borromée
L’Église catholique a choisi une autre voie ou plutôt a suivi une voie qu’elle a menée depuis ses origines, celle du concile. Conscient des dangers et soucieux de combattre les abus, le concile de Trente a élaboré des décrets dogmatiques et disciplinaires après de longs travaux menés avec rigueur et sérieux, laissant aux Pères conciliaires toute liberté pour s’exprimer avec l’aide des théologiens et des canonistes. Les travaux sont menés dans le souci d’apporter une véritable réponse à la crise. Les décrets se caractérisent par leur clarté, leur fermeté et leur prudence. Dans le domaine dogmatique, le concile répond aux questions qu’ont soulevées les protestants en s’appuyant sur la Sainte Écriture et la Tradition et selon l’enseignement de l’Église, refusant de cautionner une opinion d’école. Dans le domaine disciplinaire, le concile renforce l’autorité des évêques afin qu’ils suppriment les abus, contrôlent et sanctionnent. Il combat avec fermeté les dispenses, les négligences, les fautes tout en rappelant les responsabilités de la hiérarchie. L’autorité de l’Église y est affirmée et consolidée. Ainsi aux thèses du protestantisme, le concile de Trente oppose l’Église.

Conclusion

Une Église ne naît pas du concile. Elle se ressaisie plutôt. Elle se relève certainement. Elle mobilise ses forces pour affronter la crise qui l’affecte. Le protestantisme n’est ni sa cible ni son véritable ennemi. Elle cherche avant tout à combattre les doutes et les hésitations, les abus et les négligences, les abandons dans le domaine tant dogmatique que disciplinaire. Elle cherche donc à s’attaquer aux véritables causes de la crise, c’est-à-dire à l’ignorance, à l’indiscipline, au laisser-aller du clergé. Elle définit clairement et fermement son enseignement sur les sujets qui méritent une plus grande précision. Elle rappelle au clergé ses responsabilités et ses devoirs. Elle lui donne aussi les moyens de s’élever. Elle renforce l’autorité des évêques. Elle réveille en lui le sens de la religion, notamment le sens du sacré. Elle rejette aussi l’influence du monde et des princes dans les affaires de l’Église. Le remède n’est pas révolutionnaire. Il est celui de toute réforme véritablement chrétienne. Elle rappelle le sens de la fidélité à Notre Seigneur Jésus-Christ tout en se dotant de moyens applicables pour l’assumer. Mais, n’oublions pas, « tout fut fait par l’inspiration de Dieu ». Aucune réforme n’est possible sans l’aide de Dieu…




Notes et références
[1] Concilium Tridentinum, IX, 1108, Diarorium, Actorum, Epistolarum, Tractatuum nova collectio, Fribourg, 1901, dans Histoire des conciles œcuméniques, Le Concile de Trente, 1561-1563, Tome XI, chapitre XII.
[2] Pelotti, dans L’Église de la Renaissance et de la Réforme, Une ère de renouveau : la réforme catholique, chap. II, Fayard, 1955.
[3] C’est-à-dire remettre en vigueur.
[4] Histoire des conciles œcuméniques, Le Concile de Trente, 1561-1563, Tome XI, chapitre XI.
[5] P. Cavallera, La session VI du concile de Trente, dans Bulletin de la littérature ecclésiastique, Toulouse, 1943 dans Histoire des conciles œcuméniques, Latran V et Trente,  Tome X, chapitre III.
[6] Histoire des conciles œcuméniques, Latran V et Trente,  Tome X, chapitre III.

vendredi 14 juillet 2017

Le concile de Trente, un concile libre, un concile de l'Église

Les historiens reconnaissent de manière unanime l’œuvre réalisée par le concile de Trente. Mais après avoir souligné son efficacité, certains dénoncent aussitôt ses limites. Il aurait endurci les structures de l’Église et enrégimenté la masse des fidèles au point de les gêner dans leur insertion dans le monde moderne. D’autres parlent d’une Église qui se serait adaptée aux menaces et aux abus au point de s‘être transformée en une nouvelle Église. « Il fallut bien pourtant, parce que les temps avaient changé, que les chefs de la résistance, papes évêques, théologiens, hostiles aux hommes et aux pensées nouvelles, constituassent une nouvelle religion, ce catholicisme tridentin »[1]. Le terme de « tridentine » est aussi associé à la théologie ou à la messe comme si le concile de Trente en aurait été l’auteur.

Ainsi tout en admirant l’œuvre accomplie, certains voient dans cette Église, qualifiée de combat, une Église adaptée en son temps mais devenue aujourd’hui désuète. Ils admirent donc ce concile pour son utilité dans la grave crise que l’Église a connue mais ils demandent que ce concile soit désormais dépassé, et finalement, disons-le, oublié. L’Église se changerait ainsi de réforme en réforme, se purifiant et se renouvelant sans cesse. La perpétuelle réforme, telle serait le sens de l’Église…

Or une telle pensée n’est-elle pas contradictoire avec le terme même de catholique que nous associons à l’Église ? La catholicité marque en effet son caractère universel, c’est-à-dire sa continuité dans le temps comme dans l’espace. Elle s’opposerait aussi à son deuxième caractère indéfectible qu’est celui de son unité. Nous voyons donc rapidement qu’une telle pensée contredit fondamentalement l’idée même de l’Église instituée par notre Seigneur Jésus-Christ. Le concile de Trente ne peut donc être un concile d’un moment comme le concile de Nicée ne peut être celui d’une époque. Ainsi la question que soulèvent les critiques est la validité temporelle du concile de Trente ou encore son autorité à travers le temps qui passe

Affermir la foi ou combattre les abus ?

Charles Quint



L’organisation des activités conciliaires est l’objet des premières réunions du concile de Trente. Les décisions prises sont très intéressantes comme nous allons le voir. En dépit de son transfert et de ses suspensions, elles seront appliquées pendant toute la durée du concile en dépit des évolutions dans sa composition comme dans sa présidence. Les Pères conciliaires de 1547 ne sont pas en effet les mêmes que ceux de 1562.

Dès le début et jusqu’à la fin, le concile connaît la même problématique. Il est confronté à deux exigences, en apparence contradictoires. Rappelons que certains princes, et surtout l’Empereur Charles-Quint, souhaitent avant tout que le concile se penche surtout sur la réforme de l’Église. Ils demandent donc de ne pas perdre de temps dans des questions dogmatiques. Ils n’y voient même aucun intérêt puisque tous semblent partager la même foi. Charles Quint et les rois de France veulent en priorité rétablir l’unité religieuse de leur État. De peur que l’affermissement de la foi endurcisse la position protestante, ils veulent délaisser les questions doctrinales. La vision du Pape est différente. Conscient de la position intransigeante des protestants, il veut surtout que le concile s’occupe avant tout de la doctrine et des dogmes que les prétendus réformés ont remis en cause afin de raffermir la foi des catholiques et de soutenir les hésitants.

Mais comme le dira l’un des légats pontificaux, l’archevêque Réginald Pole, est-il possible de dissocier l’indissociable ? Est-il en effet possible de régler des problèmes disciplinaires sans traiter de leur fondement doctrinal ? La réforme dans l’Église est indissociable à la question dogmatique. La résidence des évêques, un sujet clé de la réforme, n’est pas seulement un problème relevant de la discipline de l’Église. Elle touche aussi des questions théologiques. Au cours du débat, les Pères conciliaires se divisent en effet sur sa justification dogmatique. La lutte contre les abus sur la messe est difficilement saisissable sans avoir défini au préalable ce qu’elle est. Ainsi dès le départ, les Pères décident pour chaque sujet de traiter de l’aspect doctrinal puis de son aspect disciplinaire. Concernant les sources de la foi, le concile veut d’abord résoudre le problème dogmatique de leur fondement puis ensuite travailler pour réprimer les abus qui se manifestent dans l’interprétation et l’enseignement de la Sainte Écriture. Contre l’avis du Pape et des princes, le concile dessine ainsi sa voie…

Le long traitement des sujets

Le deuxième principe d’organisation porte plus sur la manière de traiter un sujet donné. Pour éviter la confusion et des débats stériles, les Pères du concile sont d’abord rassemblés en groupes, chacun présidé par un légat et auquel sont associés des experts, théologiens ou canonistes. Ils sont ensuite réunis en assemblée plénière chaque semaine afin de confronter les bilans de chaque groupe. Lors d’une congrégation générale, les décrets font enfin l’objet d’un vote quand se dégage une large unanimité. Le nombre important de Pères conciliaires et d’experts lors de la dernière phase du concile demande néanmoins quelques arrangements. À partir de la 23ème session, certains Pères conciliaires se réunissent entre les sessions pour préparer le travail. 

Seuls les légats ont le droit de proposer un sujet à traiter au cours d’une session. Il donnera lieu à un décret soit dogmatique, soit disciplinaire. La chronologie des sessions est rigoureusement définie, même si elles seront prorogées selon les difficultés rencontrées.

Le concile suit une règle d’or : un projet de décret est proposé aux Pères conciliaires s’il est préalablement discuté de manière complète au sein de la congrégation. Avant de débattre, ils entendent les théologiens ou les canonistes sur les points que les prélats ont eux-mêmes définis. Les experts sont regroupés dans une commission constituée selon la nature du sujet et leur compétence. Lors de la dernière phase du concile, en raison du nombre important d’experts, ils sont choisis indépendamment de leur spécialité. La commission d’experts est chargée de rassembler les textes et décisions concernant le sujet, ou toute attestation écrite ou orale. Leurs activités se déroulent entre deux sessions. Leurs travaux sont en général encadrés par des questions ou des orientations qu’ont définies préalablement les Pères conciliaires. De manière générale, la commission doit travailler à partir des accusations des protestants, les regroupant à partir de leurs ouvrages. Les théologiens définissent les références des œuvres à partir desquels ils ont relevé les erreurs. Ils montrent une bonne connaissance de la doctrine des « réformateurs », surtout au cours de la dernière phase du concile. Néanmoins, comme ils doivent répondre à des points précis, leurs travaux peuvent manquer de hauteur et de synthèse. Dans le domaine disciplinaire, ils peuvent étudier des projets de réforme qu’ont proposés des évêques ou des États. Les théologiens et les canoniques apportent aussi aux Pères conciliaire une aide précieuse tout au long des discussions.

Les actes du concile ont conservé les réponses des théologiens ou canonistes, parfois dans des résumés. Certains experts ont aussi élaboré une véritable somme sur un sujet précis. Leur unanimité diffère selon les questions. Ils sont ainsi unanimes pour estimer que la pratique de la communion des laïcs sous la seule espèce du pain relève d’un précepte de l’Église et non de droit divin. Leurs opinions divergent sur la question de l’interdiction absolue de la communion sous les deux espèces. Ces divergences s’expliquent en partie par leur appartenance à des écoles théologiques.

Mais, et c’est un point à souligner, les Pères conciliaires ne se satisfont pas du seul travail des experts pour établir des décrets. À partir de leur exposé, ils modifient les énoncés des accusations ou les propositions de réforme. Pour rectifier des textes, de nouvelles commissions sont constituées. Chacune propose un texte qui de nouveau fait l’objet d’un nouvel examen par l’assemblée. Les prélats mènent de nouveau la discussion sur le texte proposé, le font corriger à plusieurs reprises, font encore examiner les nouveaux textes à de nouvelles commissions. Les amendements sont enfin adoptés séance tenante. Soulignons que les Pères conciliaires ont une entière liberté pour exprimer leur avis en toute franchise.

Lorsque les accusations ou les propositions disciplinaires sont acceptés de manière unanime, une partie doctrinale est alors rajoutée au texte. Elle est aussi longuement discutée par les Pères conciliaires. Lorsque les textes discutés en congrégation générale donnent lieu à des remarques ou des questionnements, ces derniers sont formulés à leur tour sous forme de questions. Les théologiens ou canonistes fournissent aux évêques la matière nécessaire pour qu’ils puissent y répondre. Le travail est ainsi organisé de manière rigoureuse tout en gagnant du temps. 

Après les discussions, lorsqu’une très grande majorité semble approuver le texte, vient un vote au cours duquel certains Pères peuvent encore demander des corrections, voire l’associer à des conditions. Après ces nouvelles modifications, un vote est encore organisé… Parfois, un mot, une expression font l’objet d’un vote. S’ils n’obtiennent pas une franche majorité ou si une question reste sans réponse claire, les Pères conciliaires refusent se prononcer ou reportent la question à une autre session. Tel est le cas des rapports entre la Sainte Écriture et la Tradition ou de leurs valeurs respectives. Faute d’unanimité, le concile de Trente ne se prononce pas sur la qualité et la valeur des sources de la foi. La vérité et la règle de foi sont contenues dans les livres écrits et dans les traditions non-écrites, telle est la décision du Concile, sans autre précision. Enfin, quand l’unanimité est acquise, à la congrégation générale, en séance solennelle, le décret final, constitué d’un texte doctrinal et des canons, est soumis à un dernier vote. Le sujet de la prochaine session est ensuite défini.

Le rôle des légats pontificaux

Cardinal del Monte, un des légats
Les légats président le concile, en l’absence du Pape, conformément aux traditions ecclésiastiques. Ils représentent aussi le concile dans ses rapports avec les États et les princes, non sans être soumis au contrôle des Pères conciliaires. Ils accueillent les représentants des monarchies et des républiques, leurs orateurs, définissent les préséances. Ils se rendent auprès des souverains s’il est nécessaire pour le bon déroulement des débats.

Au niveau du concile, le rôle du légat consiste à maintenir l’ordre et l’impartialité dans le déroulement des débats. Il s’agit surtout d’éviter les intrigues de certains pays, notamment des princes qui veulent préserver leurs intérêts, ou de voir s’affronter vainement des opinions théologiques. Ils doivent aussi diriger les travaux préparatoires, les débats des congrégations, compter les voix et déclarer en quel sens s’est formée une majorité. Le choix des légats est donc crucial. Le succès du concile vient très certainement du choix judicieux des Papes.

Si une grande liberté règne au sein des débats, le concile ne dispose pas d’une autorité sans limite. Les légats pontificaux doivent notamment veiller aux droits du souverain Pontife et à son autorité. Que deviendraient les réformes si aucune autorité n’est capable de les mener à bien contre tous les obstacles ? Puis, certains sujets relèvent uniquement du Pape comme la réforme de la Curie romaine.

Un concile libre ?



 
Les protestants se plaignent du manque de liberté du concile de Trente. Pour justifier leur position, ils dénoncent par exemple le fait que leurs théologiens, prêtre ou laïcs, ne puissent pas délibérer. Leur principal grief est l’absence d’indépendance des évêques. Ils seraient liés au Pape par un serment. Cette accusation peut nous faire sourire quand nous voyons la soumission des luthériens aux autorités politiques. C’est surtout oublier que depuis l’origine, le concile n’admet comme membres les évêques et les évêques seuls. Le Pape ne fait que se soumettre aux règles traditionnelles. Enfin, dans les négociations que mènent les légats pontificaux avec des princes luthériens, il s’avère surtout que les protestants ne veulent point suivre les décisions d’un concile si elles s’opposent à leur doctrine. Ils exigent même la possibilité de ne pas obéir à ses décrets avant même de débattre !

Certains commentateurs regrettent l’absence de prélats franchement hostiles au Saint Siège. Il est vrai qu’en fin de concile, sur les deux cents participants environ, cent-cinquante évêques sont des Italiens. Pourtant, le Pape a rappelé à l’ensemble des évêques de la Chrétienté leur obligation de participer au concile. Pie IV a ainsi rameuté un nombre important d’évêques Italiens pour éviter que le concile ne soit qu’un conciliabule. C’est encore oublier que nombre d’évêques n’ont pas pu venir au concile en raison de l’opposition de leur souverain ou du contexte belliqueux dans lequel se trouve leur diocèse. S’il est vrai qu’une majorité de Pères conciliaires sont Italiens, ces derniers n’oppriment pas la minorité. Dans les discussions, les évêques espagnols ou français parlent en toute liberté et défendent leurs positions. Certaines propositions italiennes ne sont pas non plus  prises en compte, notamment la suprématie de l’autorité pontificale. « Si la composition du Concile donnait un grand avantage au Saint-Siège et aux légats, ils n’eurent garde d’en abuser. Ils avaient de récents malheurs à déplorer ; ils pouvaient en craindre de nouveaux. La prudence se joignit au scrupule pour leur prescrire la modération, ils maintinrent leur majorité et défendirent son droit, mais ne s’en servirent pas pour opprimer la majorité. »[2] Enfin, le terme d’« italien » ne signifie pas en grand-chose en terme politique puisque la péninsule italienne est un ensemble disparate d’États et de villes plus ou moins soumis au Saint Siège, à l’Empire, à la France ou à un autre royaume.

Les critiques les plus nombreuses semblent en fait considérer le concile comme une pure chambre d’enregistrement des décisions du Pape ou au contraire comme un parlement représentatif qui exercerait toute l’autorité qu’il se serait arrogé. Les débats montrent clairement la liberté dont disposent les Pères conciliaires pour traiter les sujets proposés. Certaines questions sont traitées pendant des mois en dépit des légats pontificaux ou des princes. Lorsque le concile demande au Pape de prendre position sur un point précis, ce dernier lui rappelle ses responsabilités.

Un concile libre de la papauté ?

Cardinal Morone,
un des derniers et plus important légat
Les protestants voient dans le concile une assemblée sous la mainmise du Pape. Ainsi posent-ils comme première condition à toute participation la libération des évêques de toute obédience à son égard. Ils remettent ainsi en question la liberté des débats. Cela peut nous faire sourire quand nous voyons les princes protestants diriger les luthériens et imposer leur confession de foi ou quand Calvin impose à la ville de Genève une véritable dictature religieuse.

Il est vrai que les sujets de session sont uniquement donnés par les légats pontificaux. Eux-seuls disposent en effet du droit de présenter les propositions aux Pères conciliaires. Cependant, ils sont suffisamment sages pour accepter celles qui proviennent des membres de l’assemblée comme des souverains. Ainsi par nécessité, ils laisse débattre le concile sur la question difficile et dangereuse du « droit divin » des évêques en dépit de l’opposition de Rome. Ce droit fait notamment l’objet de protestation de la part des évêques et orateurs espagnols lors de la dernière phase du concile. Or cette décision s’avère décisive pour le succès du concile. Elle est nécessaire pour maintenir le bon ordre dans la suite des débats conciliaires. Les légats ont en effet pour rôle d’assurer la continuité et la cohérence des travaux. Ils ont aussi pour mission d’animer les débats et d’organiser le déroulement des travaux dans le bon ordre. Ils représentent certes le Pape et sont soumis à ses directives mais il est évident que les évêques peuvent librement exprimer leur opinion personnelle.

Il est vrai aussi que le Pape reste attentif aux discussions. Il est inquiet de tout ce qui peut entamer l’autorité pontificale ou entraver son action. Mais il est surtout soucieux de maintenir unis les Pères conciliaires. Il a le rôle de choisir avec soin ceux qui présideront le concile. D’abord au nombre de trois lors de la première phase puis de cinq à la dernière période, les légats pontificaux reçoivent du Pape deux directives. La première directive est de maintenir une liaison permanente entre Rome et Trente. Les légats lui présentent les objets des sessions et les travaux des assemblées. Ils lui soulèvent aussi des difficultés ou des problèmes. En fait, le Pape est préoccupé de l’efficacité du concile et n’apprécie guère les pertes de temps en débats inutiles. C’est pourquoi il leur demande de maintenir entre les Pères, en dépit de leur divergence, la volonté commune et la cohésion. Elles sont indispensables au succès du concile.

Parfois, les Pères conciliaires eux-mêmes demandent aux légats de soumettre une proposition au Pape, surtout sur des questions qui divisent l’assemblée pour faire avancer les travaux. Plusieurs fois, le concile se dessaisit en faveur du Saint Père sur demande des légats ou des Pères conciliaires lorsque les divisions au sein de l’assemblée empêchent d’obtenir rapidement une solution ou lorsqu’elle demeure contraire aux désirs de Rome ou des princes. C’est par exemple le cas pour la décision définitive au sujet de la communion sous les deux espèces. Certains Pères peuvent aussi subordonner leur vote au jugement du Pape. De manière générale, Rome refuse de telles demandes surtout à propos de questions très importantes. Ce serait nuire à l’autorité du concile. Ainsi pour éviter toute perte de crédibilité du concile, indispensable pour réaliser la réforme tant attendue, le Pape recommande aux légats de s’abstenir. Il a ainsi laissé au concile toute liberté pour son transfert à Bologne. Et c’est par vote que les Pères conciliaires l’ont accepté en toute conscience.

Il est donc nécessaire que le Saint-Siège et le concile communiquent. Cependant, les communications sont difficiles et lentes, ce qui explique une certaine lenteur, voire de l’ennui et de la lassitude de la part des Pères conciliaires. Les légats peuvent ajourner les délibérations pour attendre une réponse du Pape. Les courriers peuvent aussi se croiser, créant une certaine confusion. Néanmoins, le Pape fait confiance aux légats et approuve généralement ce qu’ils décideront, leur laissant ainsi une très grande liberté d’action.

S’il se préoccupe peu des débats dogmatiques, laissant les Pères conciliaires décider, le Pape est plus soucieux des propositions d’ordre disciplinaire. Elles peuvent remettre en cause les droits pontificaux et les pratiques de la Curie romaine, voire ruiner le Saint-Siège. Les légats pontificaux ont pour mission de refuser tout débat remettant en cause l’action pontificale à Rome. Pourtant, les cardinaux font l’objet de directives de la part du concile. Et, en dépit des vœux du Pape, le concile décide de décréter sur la réforme dans le domaine disciplinaire. Plus d’une fois, il discute de matières que la Saint Père ne souhaite pas.

Ainsi soulignons-le, de manière générale, le Pape donnent aux légats et aux Pères conciliaires une véritable liberté d’action. Les entraves proviennent plutôt des princes.

Un concile libre des princes ?

Cardinal de Lorraine
La lutte entre Charles-Quint et François Ier puis Henri II empoisonnent les activités des trois premières phases du concile. La dernière phase est plus tranquille en dépit des divergences d’intérêts entre l’Empereur, l’Espagne et le roi de France. La participation des évêques dépend de leur bon vouloir des princes. Sous Paul III, les Pères conciliaires sont quasiment italiens. Aucun évêque italien n’a paru sous Jules III. Au cours de la dernière phase, les évêques allemands sont quasiment absents. Lors de la période bolonaise du concile, Charles-Quint s’oppose à toute promulgation de décrets pourtant votés. En dépit de ces entraves, les activités conciliaires demeurent de très bonne qualité et de grande ampleur.

Des Pères conciliaires peuvent aussi agir selon des directives de leur prince. Les représentants des États sont présents aux sessions et peuvent à leur tour intervenir pour faire valoir la position de leur maître. Charles-Quint interviendra au cours du concile par l’intermédiaire de ses évêques pour ralentir certains travaux ou empêcher la publication de certains décrets. Le roi de France use du cardinal de Lorraine pour se faire entendre. L’ambassadeur espagnol sème le trouble et la division au sein du concile pour faire valoir l’honneur de son souverain.

Mais cette pression a des limites. Des évêques nous donnent un beau témoignage sur leur liberté. Écoutons en effet l’un des Pères conciliaires dont le duc lui demande de se rallier à la majorité conciliaire contre l’opposition espagnole qui soutient le « droit divin » de l’épiscopat. « J’ai donné mon votum selon ma conscience et je ne puis le changer, dussé-je pour cela donner ma vie. Je suis tout dévoué au Pape et je vous dois obéissance, mon cher duc, pour tout ce qui regarde les affaires séculières, mais le salut de mon âme m’est trop cher pour que je puisse voter, au concile, contre ma conviction que j’estime la meilleure. […] Je suis persuadé que les prélats qui vont droit leur chemin, sincèrement et sans esprit de servilité, rendent plus service au Saint-Siège et au pape en définitive que d’autres »[3].

Ainsi les légats comme les Pères conciliaires montrent une certaine indépendance à l’égard de l’Empereur. Contre sa volonté, ils traitent des points dogmatiques puis décident de transférer le concile à Bologne. Ils n’hésitent pas non plus à protester contre toute immiscions des princes dans les débats. Les légats jouent alors un rôle primordial. Ils font souvent l’objet de critiques et de fortes pressions.  Sans l’appui du Pape, auraient-ils pu mener à bien leurs missions ?

Un concile fermé au protestant ?

Et les protestants ? Ne revenons pas aux longues et interminables négociations de Paul III pour les inviter au concile. Ne retenons pas les accueils peu plaisants que reçoivent les légats pontificaux dépêchés par le Pape pour inviter les princes convertis à la « Réforme » au concile. Laissons encore le temps perdus par les interminables négociations pour définir les sauf-conduits des probables intervenants protestants.

Les légats pontificaux attendent avec patience les théologiens protestants. Ils n’hésitent pas à retarder des débats pour qu’ils puissent y participer au risque de bloquer les activités conciliaires et de lasser dangereusement les Pères conciliaires. Enfin, en dépit de leur crainte d’une confrontation avec les protestants, des orateurs luthériens ont pu s’exprimer librement.

Les protestants influencent néanmoins les débats de manière indirecte. C’est à partir de leurs thèses que les Pères conciliaires traitent des questions de foi. Elles sont tirées des textes représentatifs et jugés significatifs des doctrines protestantes. Le travail des théologiens en dégage les points fondamentaux. L’évolution des débats montre par ailleurs une meilleure connaissance du protestantisme lors de la dernière phase du concile. Les Pères conciliaires traitent aussi de leurs arguments scripturaires définissant ainsi l’interprétation catholique de certains versets.

Des débats difficiles

Le concile connaît de réelles et graves difficultés internes. Certains points dogmatiques, encore jamais débattus dans un concile, s’avèrent très complexes, ce qui explique une certaine lenteur. Les différentes interruptions du concile n’ont pas non plus favorisé la bonne marche des travaux. Certains sujets, comme le mariage, sont traités à trois reprises. Si les textes des Pères conciliaires transférés à Bologne n’ont pas été repris par leurs successeurs, leur travail a néanmoins été utile et a permis d’accélérer les débats tout en les approfondissant.

La deuxième interruption du concile a mis en péril le concile. Pie IV a voulu non seulement le reconduire en dépit des résistances mais aussi le continuer. L’Empereur et le roi de France veulent au contraire ouvrir un nouveau concile, refusant donc tous les décrets déjà promulgués et tous les travaux déjà effectués. Mais Pie IV œuvre magnifiquement pour qu’il n’y ait qu’un seul concile de Trente. De même, Paul III et Jules III assure l’unité du concile en dépit de son transfert et de ses suspensions. Les Papes maintiennent dnc l’unité du concile pendant les dix-huit longues années. Cela s’avère important pour lui donner de la crédibilité et de l’authenticité de ses décisions. Avec le concile, le pouvoir pontifical s’affermit non pas par les décrets mais par l’autorité et les efforts que les Papes manifestent pour donner à l’Église la réforme que tous les Chrétiens appellent de toute leur âme. Quelle différence avec les activités certes conquérantes des Protestants mais si dispersées, divisant plus les âmes et les cœurs, y compris au sein de leur camp !

Les difficultés au sein des débats expliquent les différentes qualités des décrets. La doctrine de la justification a fait l’objet d’une discussion et d’une rédaction remarquables tant par les soins apportés que par l’ampleur des points abordés. La question de l’Ordre est moins décisive. Elle donne lieu à de nombreuses controverses acharnées entre différentes positions. Certains veulent défendre l’autorité pontificale contre les gallicans ou les épiscopaliens, plus portés sur le « droit divin » des évêques, droit qui peut remettre en cause l’autorité du Pape, défendue par d’autres Pères conciliaires. L’absence d’unanimité donne lieu à des compromis prudents qui ne compromettent pas l’avenir. Le concile se révèle ainsi d’une très grande prudence.

Un concile vraiment universel

Lorsqu’une question n’apporte pas de réponse franche et décisive et soulève de nombreux débats stériles, voire des querelles et polémiques, les Pères du concile refusent de la traiter. La complexité de la question ou le manque de maturité des prélats peuvent expliquer leur impossibilité de s’entendre. Les légats recherchent en effet l’unanimité de l’assemblée et refusent de perdre du temps dans des questions qui n’ont point de véritables réponses. Certains sujets sont ainsi écartés comme la question des traditions ecclésiastiques et des conciles approuvés en dépit des rappels de la Curie romaine. Sur ce sujet, le concile s’est montré nettement indépendant de Rome.

Les théories de certaines écoles, thomiste, scotiste ou encore dominicaine ou franciscaine, sont entendues mais ne sont pas notifiées. Les Pères conciliaires refusent en effet de cautionner une proposition qui n’est défendue que par une école. Lorsqu’ils débattent sur l’origine du sacrement de l’Eucharistie, ils refusent de choisir si son institution est de forme médiate ou immédiate, sujet qui divise les théologiens. Ils ne les valident pas, ni ne les rejettent. En clair, le concile ne prend pas position comme il ne se prononce pas entre deux grands docteurs de l’Église. Les décrets sur les sacrements ne reprennent pas les termes scolastiques de « matière » et de « forme » en usage pourtant dans les écoles. Le concile se montre ainsi au-dessus des tendances et ds opinions. La principale objection des Pères conciliaires est d’affirmer la foi face à la doctrine protestante, posant les principaux fondamentaux des sujets qu’elle remet en question. Cela est nettement suffisant pour répondre à la crise que l’Église connaît. Lorsqu’ils débattent sur le péché originel, le concile ne cherche pas évidemment à savoir s’il est conforme avec les thèses évolutionnistes.

Conclusion

L’organisation des débats, le sérieux des discussions, la liberté d’expression qui s’y manifestent, le refus de suivre les pressions venues de toute part montrent incontestablement la liberté du concile de Trente. Que se serait-il passé si effectivement, écoutant les exigences des protestants, le concile se serait séparé du Pape ? Qui aurait garanti l’unité et la continuité du concile face aux souverains et aux écoles théologiques ? Qui aurait appliqué les règles que le concile a définies ? N’oublions pas qu’en se séparant de Rome, les luthériens se sont soumis au joug des princes. Le succès incontesté du concile de Trente montre indiscutablement l’importance qu’a jouée le Pape sans lequel la liberté des Pères conciliaires n’aurait été que faiblesse devant l’insatiable ambition et vanité des hommes.

Il ne faut pas non plus oublier les causes de la crise de l’Église au temps de Luther, notamment l’implication des souverains et des laïcs dans son organisation. Que d’abus en effet dans le système des commendes ou dans l’accumulation des bénéfices ! La réforme catholique consiste à redonner une plus grande indépendance à l’Église, notamment à diminuer le rôle de l’État dans le choix des évêques et des prêtres. Tout le contraire du luthéranisme…

Néanmoins, si les Pères conciliaires se montrent libres sous la direction de légats conscients de l’importance de leurs tâches, le concile montre aussi de la prudence, soit au niveau dogmatique lorsque les prélats se révèlent divisés, refusant d’agréer une opinion théologique, soit au niveau disciplinaire afin de garantir l’efficacité pratique des décrets. Cette prudence permet de garantir la liberté de l’Église. Et sans cette volonté de liberté, comment le Saint Esprit pourrait-il souffler sur les Pères conciliaires ?



Notes et références

[1] L. Fèvre, Une question mal posée : Les origines de la Réforme français et le problème général des causes de la Réforme, dans la Revue historique, CLXI, 1929 dans L’Église de la Renaissance et de la réforme, Une ère de renouveau, la Réforme catholique, Daniels-Rops, II.
[2] Albert Desjardins, La liberté des Pères au Concile de Trente, extrait de la Revue critique de Législation et de Jurisprudence, libraires du Conseil d’État, 1870.
[3] Pietro Camaiani, évêque de Fiesole, lettre adressé au duc Cosme de Florence, 21 janvier 1562, dans Histoire des conciles œcuméniques, Le Concile de Trente, 1561-1563, Tome XI, Conclusion.