Les historiens reconnaissent
de manière unanime l’œuvre réalisée par le concile de Trente. Mais après avoir
souligné son efficacité, certains dénoncent aussitôt ses limites. Il aurait
endurci les structures de l’Église et enrégimenté la masse des fidèles au point
de les gêner dans leur insertion dans le monde moderne. D’autres parlent d’une
Église qui se serait adaptée aux menaces et aux abus au point de s‘être transformée
en une nouvelle Église. « Il fallut
bien pourtant, parce que les temps avaient changé, que les chefs de la
résistance, papes évêques, théologiens, hostiles aux hommes et aux pensées
nouvelles, constituassent une nouvelle religion, ce catholicisme tridentin »[1].
Le terme de « tridentine »
est aussi associé à la théologie ou à la messe comme si le concile de
Trente en aurait été l’auteur.
Ainsi tout en admirant
l’œuvre accomplie, certains voient dans cette Église, qualifiée de combat, une Église
adaptée en son temps mais devenue aujourd’hui désuète. Ils admirent donc ce
concile pour son utilité dans la grave crise que l’Église a connue mais ils
demandent que ce concile soit désormais dépassé, et finalement, disons-le,
oublié. L’Église se changerait ainsi de réforme en réforme, se purifiant et se
renouvelant sans cesse. La perpétuelle réforme, telle serait le sens de
l’Église…
Or une telle pensée
n’est-elle pas contradictoire avec le terme même de catholique que nous associons
à l’Église ? La catholicité marque en effet son caractère universel,
c’est-à-dire sa continuité dans le temps comme dans l’espace. Elle s’opposerait
aussi à son deuxième caractère indéfectible qu’est celui de son unité. Nous
voyons donc rapidement qu’une telle pensée contredit fondamentalement l’idée
même de l’Église instituée par notre Seigneur Jésus-Christ. Le concile de
Trente ne peut donc être un concile d’un moment comme le concile de Nicée ne
peut être celui d’une époque. Ainsi la question que soulèvent les critiques est
la validité temporelle du concile de Trente ou encore son autorité à travers le
temps qui passe…
Affermir la foi ou
combattre les abus ?
Charles Quint |
Dès le début et jusqu’à la
fin, le concile connaît la même problématique. Il est confronté à deux
exigences, en apparence contradictoires. Rappelons que certains princes, et
surtout l’Empereur Charles-Quint, souhaitent avant tout que le concile se
penche surtout sur la réforme de l’Église. Ils demandent donc de ne pas perdre
de temps dans des questions dogmatiques. Ils n’y voient même aucun intérêt puisque
tous semblent partager la même foi. Charles Quint et les rois de France veulent
en priorité rétablir l’unité religieuse de leur État. De peur que
l’affermissement de la foi endurcisse la position protestante, ils veulent
délaisser les questions doctrinales. La vision du Pape est différente. Conscient
de la position intransigeante des protestants, il veut surtout que le concile
s’occupe avant tout de la doctrine et des dogmes que les prétendus réformés ont remis
en cause afin de raffermir la foi des catholiques et de soutenir les hésitants.
Mais comme le dira l’un
des légats pontificaux, l’archevêque Réginald Pole, est-il possible de dissocier
l’indissociable ? Est-il en effet possible de régler des problèmes
disciplinaires sans traiter de leur fondement doctrinal ? La réforme dans
l’Église est indissociable à la question dogmatique. La résidence des évêques,
un sujet clé de la réforme, n’est pas seulement un problème relevant de la
discipline de l’Église. Elle touche aussi des questions théologiques. Au
cours du débat, les Pères conciliaires se divisent en effet sur sa
justification dogmatique. La lutte contre les abus sur la messe est
difficilement saisissable sans avoir défini au préalable ce qu’elle est. Ainsi dès
le départ, les Pères décident pour chaque sujet de traiter de l’aspect
doctrinal puis de son aspect disciplinaire. Concernant les sources de la foi,
le concile veut d’abord résoudre le problème dogmatique de leur fondement puis
ensuite travailler pour réprimer les abus qui se manifestent dans
l’interprétation et l’enseignement de la Sainte Écriture. Contre l’avis du Pape
et des princes, le concile dessine ainsi sa voie…
Le long traitement des
sujets
Le deuxième principe d’organisation
porte plus sur la manière de traiter un sujet donné. Pour éviter la confusion
et des débats stériles, les Pères du concile sont d’abord rassemblés en groupes,
chacun présidé par un légat et auquel sont associés des experts, théologiens ou
canonistes. Ils sont ensuite réunis en assemblée plénière chaque semaine afin
de confronter les bilans de chaque groupe. Lors d’une congrégation générale,
les décrets font enfin l’objet d’un vote quand se dégage une large unanimité. Le
nombre important de Pères conciliaires et d’experts lors de la dernière phase
du concile demande néanmoins quelques arrangements. À partir de la 23ème session, certains Pères conciliaires se réunissent entre les sessions pour
préparer le travail.
Seuls les légats ont le
droit de proposer un sujet à traiter au cours d’une session. Il donnera lieu à
un décret soit dogmatique, soit disciplinaire. La chronologie des sessions est
rigoureusement définie, même si elles seront prorogées selon les difficultés
rencontrées.
Le concile suit une règle
d’or : un projet de décret est proposé aux Pères conciliaires s’il est
préalablement discuté de manière complète au sein de la congrégation. Avant de
débattre, ils entendent les théologiens ou les canonistes
sur les points que les prélats ont eux-mêmes définis. Les experts sont
regroupés dans une commission constituée selon la nature du sujet et
leur compétence. Lors de la dernière phase du concile, en raison du nombre important
d’experts, ils sont choisis indépendamment de leur spécialité. La commission
d’experts est chargée de rassembler les textes et décisions concernant le
sujet, ou toute attestation écrite ou orale. Leurs activités se déroulent entre
deux sessions. Leurs travaux sont en général encadrés par des questions ou des
orientations qu’ont définies préalablement les Pères conciliaires. De manière
générale, la commission doit travailler à partir des accusations des
protestants, les regroupant à partir de leurs ouvrages. Les théologiens définissent
les références des œuvres à partir desquels ils ont relevé les erreurs. Ils
montrent une bonne connaissance de la doctrine des « réformateurs », surtout au cours de la dernière phase du
concile. Néanmoins, comme ils doivent répondre à des points précis, leurs
travaux peuvent manquer de hauteur et de synthèse. Dans le domaine
disciplinaire, ils peuvent étudier des projets de réforme qu’ont proposés des
évêques ou des États. Les théologiens et les canoniques apportent aussi aux
Pères conciliaire une aide précieuse tout au long des discussions.
Les actes du concile ont
conservé les réponses des théologiens ou canonistes, parfois dans des résumés.
Certains experts ont aussi élaboré une véritable somme sur un sujet précis. Leur
unanimité diffère selon les questions. Ils sont ainsi unanimes pour estimer que
la pratique de la communion des laïcs sous la seule espèce du pain relève d’un
précepte de l’Église et non de droit divin. Leurs opinions divergent sur la
question de l’interdiction absolue de la communion sous les deux espèces. Ces
divergences s’expliquent en partie par leur appartenance à des écoles
théologiques.
Mais, et c’est un point à
souligner, les Pères conciliaires ne se satisfont pas du seul travail des
experts pour établir des décrets. À partir de leur exposé, ils modifient les énoncés
des accusations ou les propositions de réforme. Pour rectifier des textes, de
nouvelles commissions sont constituées. Chacune propose un texte qui de
nouveau fait l’objet d’un nouvel examen par l’assemblée. Les prélats mènent de
nouveau la discussion sur le texte proposé, le font corriger à plusieurs
reprises, font encore examiner les nouveaux textes à de nouvelles commissions.
Les amendements sont enfin adoptés séance tenante. Soulignons que les Pères
conciliaires ont une entière liberté pour exprimer leur avis en toute
franchise.
Lorsque les accusations ou
les propositions disciplinaires sont acceptés de manière unanime, une partie
doctrinale est alors rajoutée au texte. Elle est aussi longuement discutée par
les Pères conciliaires. Lorsque les textes discutés en congrégation générale
donnent lieu à des remarques ou des questionnements, ces derniers sont formulés
à leur tour sous forme de questions. Les théologiens ou canonistes fournissent
aux évêques la matière nécessaire pour qu’ils puissent y répondre. Le travail
est ainsi organisé de manière rigoureuse tout en gagnant du temps.
Après les discussions,
lorsqu’une très grande majorité semble approuver le texte, vient un vote au
cours duquel certains Pères peuvent encore demander des corrections, voire
l’associer à des conditions. Après ces nouvelles modifications, un vote est
encore organisé… Parfois, un mot, une expression font l’objet d’un vote. S’ils
n’obtiennent pas une franche majorité ou si une question reste sans réponse
claire, les Pères conciliaires refusent se prononcer ou reportent la question à
une autre session. Tel est le cas des rapports entre la Sainte Écriture et la
Tradition ou de leurs valeurs respectives. Faute d’unanimité, le concile de
Trente ne se prononce pas sur la qualité et la valeur des sources de la foi. La
vérité et la règle de foi sont contenues dans les livres écrits et dans les
traditions non-écrites, telle est la décision du Concile, sans autre précision. Enfin, quand l’unanimité
est acquise, à la congrégation générale, en séance solennelle, le décret final,
constitué d’un texte doctrinal et des canons, est soumis à un dernier vote. Le
sujet de la prochaine session est ensuite défini.
Le rôle des légats
pontificaux
Cardinal del Monte, un des légats |
Au niveau du concile, le
rôle du légat consiste à maintenir l’ordre et l’impartialité dans le
déroulement des débats. Il s’agit surtout d’éviter les intrigues de certains
pays, notamment des princes qui veulent préserver leurs intérêts, ou de voir
s’affronter vainement des opinions théologiques. Ils doivent aussi diriger les
travaux préparatoires, les débats des congrégations, compter les voix et
déclarer en quel sens s’est formée une majorité. Le choix des légats est donc
crucial. Le succès du concile vient très certainement du choix judicieux des
Papes.
Si une grande liberté
règne au sein des débats, le concile ne dispose pas d’une autorité sans limite.
Les légats pontificaux doivent notamment veiller aux droits du souverain
Pontife et à son autorité. Que deviendraient les réformes si aucune autorité
n’est capable de les mener à bien contre tous les obstacles ? Puis,
certains sujets relèvent uniquement du Pape comme la réforme de la Curie
romaine.
Un concile libre ?
Certains commentateurs
regrettent l’absence de prélats franchement hostiles au Saint Siège. Il est
vrai qu’en fin de concile, sur les deux cents participants environ,
cent-cinquante évêques sont des Italiens. Pourtant, le Pape a rappelé à
l’ensemble des évêques de la Chrétienté leur obligation de participer au concile.
Pie IV a ainsi rameuté un nombre important d’évêques Italiens pour éviter que
le concile ne soit qu’un conciliabule. C’est encore oublier que nombre
d’évêques n’ont pas pu venir au concile en raison de l’opposition de leur
souverain ou du contexte belliqueux dans lequel se trouve leur diocèse. S’il
est vrai qu’une majorité de Pères conciliaires sont Italiens, ces derniers
n’oppriment pas la minorité. Dans les discussions, les évêques espagnols ou
français parlent en toute liberté et défendent leurs positions. Certaines propositions
italiennes ne sont pas non plus prises en compte, notamment la suprématie de
l’autorité pontificale. « Si la
composition du Concile donnait un grand avantage au Saint-Siège et aux légats,
ils n’eurent garde d’en abuser. Ils avaient de récents malheurs à
déplorer ; ils pouvaient en craindre de nouveaux. La prudence se joignit
au scrupule pour leur prescrire la modération, ils maintinrent leur majorité et
défendirent son droit, mais ne s’en servirent pas pour opprimer la majorité.
»[2]
Enfin, le terme d’« italien »
ne signifie pas en grand-chose en terme politique puisque la péninsule
italienne est un ensemble disparate d’États et de villes plus ou moins soumis
au Saint Siège, à l’Empire, à la France ou à un autre royaume.
Les critiques les plus
nombreuses semblent en fait considérer le concile comme une pure chambre
d’enregistrement des décisions du Pape ou au contraire comme un parlement représentatif
qui exercerait toute l’autorité qu’il se serait arrogé. Les débats montrent
clairement la liberté dont disposent les Pères conciliaires pour traiter les
sujets proposés. Certaines questions sont traitées pendant des mois en dépit
des légats pontificaux ou des princes. Lorsque le concile demande au Pape de
prendre position sur un point précis, ce dernier lui rappelle ses
responsabilités.
Un concile libre de
la papauté ?
Cardinal Morone, un des derniers et plus important légat |
Il est vrai que les sujets
de session sont uniquement donnés par les légats pontificaux. Eux-seuls
disposent en effet du droit de présenter les propositions aux Pères
conciliaires. Cependant, ils sont suffisamment sages pour accepter celles qui
proviennent des membres de l’assemblée comme des souverains. Ainsi par
nécessité, ils laisse débattre le concile sur la question difficile et
dangereuse du « droit divin »
des évêques en dépit de l’opposition de Rome. Ce droit fait notamment l’objet
de protestation de la part des évêques et orateurs espagnols lors de la
dernière phase du concile. Or cette décision s’avère décisive pour le
succès du concile. Elle est nécessaire pour maintenir le bon ordre dans la
suite des débats conciliaires. Les légats ont en effet pour rôle d’assurer la
continuité et la cohérence des travaux. Ils ont aussi pour mission d’animer les
débats et d’organiser le déroulement des travaux dans le bon ordre. Ils représentent
certes le Pape et sont soumis à ses directives mais il est évident que les
évêques peuvent librement exprimer leur opinion personnelle.
Il est vrai aussi que le
Pape reste attentif aux discussions. Il est inquiet de tout ce qui peut
entamer l’autorité pontificale ou entraver son action. Mais il est surtout
soucieux de maintenir unis les Pères conciliaires. Il a le rôle de
choisir avec soin ceux qui présideront le concile. D’abord au nombre de trois lors
de la première phase puis de cinq à la dernière période, les légats pontificaux
reçoivent du Pape deux directives. La première directive est de maintenir une
liaison permanente entre Rome et Trente. Les légats lui présentent les objets
des sessions et les travaux des assemblées. Ils lui soulèvent aussi des
difficultés ou des problèmes. En fait, le Pape est préoccupé de
l’efficacité du concile et n’apprécie guère les pertes de temps en débats
inutiles. C’est pourquoi il leur demande de maintenir entre les Pères, en dépit
de leur divergence, la volonté commune et la cohésion. Elles sont indispensables
au succès du concile.
Parfois, les Pères
conciliaires eux-mêmes demandent aux légats de soumettre une proposition au
Pape, surtout sur des questions qui divisent l’assemblée pour faire avancer les
travaux. Plusieurs fois, le concile se dessaisit en faveur du Saint Père sur
demande des légats ou des Pères conciliaires lorsque les divisions au sein de
l’assemblée empêchent d’obtenir rapidement une solution ou lorsqu’elle demeure
contraire aux désirs de Rome ou des princes. C’est par exemple le cas pour la
décision définitive au sujet de la communion sous les deux espèces. Certains
Pères peuvent aussi subordonner leur vote au jugement du Pape. De manière
générale, Rome refuse de telles demandes surtout à propos de questions très
importantes. Ce serait nuire à l’autorité du concile. Ainsi pour éviter toute
perte de crédibilité du concile, indispensable pour réaliser la réforme tant
attendue, le Pape recommande aux légats de s’abstenir. Il a ainsi laissé au
concile toute liberté pour son transfert à Bologne. Et c’est par vote que les
Pères conciliaires l’ont accepté en toute conscience.
Il est donc nécessaire que
le Saint-Siège et le concile communiquent. Cependant, les communications sont difficiles
et lentes, ce qui explique une certaine lenteur, voire de l’ennui et de la
lassitude de la part des Pères conciliaires. Les légats peuvent ajourner les
délibérations pour attendre une réponse du Pape. Les courriers peuvent aussi se
croiser, créant une certaine confusion. Néanmoins, le Pape fait confiance aux
légats et approuve généralement ce qu’ils décideront, leur laissant ainsi une
très grande liberté d’action.
S’il se préoccupe peu des
débats dogmatiques, laissant les Pères conciliaires décider, le Pape est plus
soucieux des propositions d’ordre disciplinaire. Elles peuvent remettre en
cause les droits pontificaux et les pratiques de la Curie romaine, voire ruiner
le Saint-Siège. Les légats pontificaux ont pour mission de refuser tout débat remettant
en cause l’action pontificale à Rome. Pourtant, les cardinaux font l’objet de
directives de la part du concile. Et, en dépit des vœux du Pape, le concile
décide de décréter sur la réforme dans le domaine disciplinaire. Plus d’une
fois, il discute de matières que la Saint Père ne souhaite pas.
Ainsi soulignons-le, de
manière générale, le Pape donnent aux légats et aux Pères conciliaires une
véritable liberté d’action. Les entraves proviennent plutôt des princes.
Un concile libre des
princes ?
Cardinal de Lorraine |
Des Pères conciliaires
peuvent aussi agir selon des directives de leur prince. Les représentants des
États sont présents aux sessions et peuvent à leur tour intervenir pour faire
valoir la position de leur maître. Charles-Quint interviendra au cours du
concile par l’intermédiaire de ses évêques pour ralentir certains travaux ou
empêcher la publication de certains décrets. Le roi de France use du cardinal
de Lorraine pour se faire entendre. L’ambassadeur espagnol sème le trouble et
la division au sein du concile pour faire valoir l’honneur de son souverain.
Mais cette pression a des
limites. Des évêques nous donnent un beau témoignage sur leur liberté. Écoutons
en effet l’un des Pères conciliaires dont le duc lui demande de se rallier à la
majorité conciliaire contre l’opposition espagnole qui soutient le « droit divin » de l’épiscopat. « J’ai donné mon votum selon ma conscience et
je ne puis le changer, dussé-je pour cela donner ma vie. Je suis tout dévoué au
Pape et je vous dois obéissance, mon cher duc, pour tout ce qui regarde les
affaires séculières, mais le salut de mon âme m’est trop cher pour que je
puisse voter, au concile, contre ma conviction que j’estime la meilleure. […]
Je suis persuadé que les prélats qui vont droit leur chemin, sincèrement et
sans esprit de servilité, rendent plus service au Saint-Siège et au pape en
définitive que d’autres »[3].
Ainsi les légats comme les
Pères conciliaires montrent une certaine indépendance à l’égard de l’Empereur. Contre
sa volonté, ils traitent des points dogmatiques puis décident de transférer le
concile à Bologne. Ils n’hésitent pas non plus à protester contre toute
immiscions des princes dans les débats. Les légats jouent alors un rôle
primordial. Ils font souvent l’objet de critiques et de fortes pressions. Sans l’appui du Pape, auraient-ils pu mener à
bien leurs missions ?
Un concile fermé au
protestant ?
Et les protestants ?
Ne revenons pas aux longues et interminables négociations de Paul III pour les
inviter au concile. Ne retenons pas les accueils peu plaisants que reçoivent les
légats pontificaux dépêchés par le Pape pour inviter les princes convertis à la
« Réforme » au concile.
Laissons encore le temps perdus par les interminables négociations pour définir
les sauf-conduits des probables intervenants protestants.
Les légats pontificaux attendent avec patience les théologiens protestants. Ils n’hésitent pas à
retarder des débats pour qu’ils puissent y participer au risque de bloquer les
activités conciliaires et de lasser dangereusement les Pères
conciliaires. Enfin, en dépit de leur crainte d’une confrontation avec les
protestants, des orateurs luthériens ont pu s’exprimer librement.
Les protestants influencent néanmoins les débats de manière indirecte. C’est à partir de leurs thèses que les Pères
conciliaires traitent des questions de foi. Elles sont tirées des textes
représentatifs et jugés significatifs des doctrines protestantes. Le travail
des théologiens en dégage les points fondamentaux. L’évolution des débats
montre par ailleurs une meilleure connaissance du protestantisme lors de la
dernière phase du concile. Les Pères conciliaires traitent aussi de leurs
arguments scripturaires définissant ainsi l’interprétation catholique de
certains versets.
Des débats difficiles
Le concile connaît de réelles et graves difficultés internes. Certains points dogmatiques, encore jamais
débattus dans un concile, s’avèrent très complexes, ce qui explique une
certaine lenteur. Les différentes interruptions du concile n’ont pas non plus favorisé la
bonne marche des travaux. Certains sujets, comme le mariage, sont traités à
trois reprises. Si les textes des Pères conciliaires transférés à Bologne n’ont
pas été repris par leurs successeurs, leur travail a néanmoins été utile et a
permis d’accélérer les débats tout en les approfondissant.
La deuxième interruption
du concile a mis en péril le concile. Pie IV a voulu non seulement le
reconduire en dépit des résistances mais aussi le continuer. L’Empereur et le
roi de France veulent au contraire ouvrir un nouveau concile, refusant donc
tous les décrets déjà promulgués et tous les travaux déjà effectués. Mais Pie
IV œuvre magnifiquement pour qu’il n’y ait qu’un seul concile de Trente. De
même, Paul III et Jules III assure l’unité du concile en dépit de son
transfert et de ses suspensions. Les Papes maintiennent dnc l’unité du concile
pendant les dix-huit longues années. Cela s’avère important pour lui donner de
la crédibilité et de l’authenticité de ses décisions. Avec le concile, le pouvoir
pontifical s’affermit non pas par les décrets mais par l’autorité et
les efforts que les Papes manifestent pour donner à l’Église la réforme que
tous les Chrétiens appellent de toute leur âme. Quelle différence avec les
activités certes conquérantes des Protestants mais si dispersées, divisant plus
les âmes et les cœurs, y compris au sein de leur camp !
Les difficultés au sein
des débats expliquent les différentes qualités des décrets. La doctrine de la
justification a fait l’objet d’une discussion et d’une rédaction remarquables
tant par les soins apportés que par l’ampleur des points abordés. La question
de l’Ordre est moins décisive. Elle donne lieu à de nombreuses controverses
acharnées entre différentes positions. Certains veulent défendre l’autorité
pontificale contre les gallicans ou les épiscopaliens, plus portés sur le
« droit divin » des évêques,
droit qui peut remettre en cause l’autorité du Pape, défendue par d’autres
Pères conciliaires. L’absence d’unanimité donne lieu à des compromis prudents
qui ne compromettent pas l’avenir. Le concile se révèle ainsi d’une très grande
prudence.
Un concile vraiment
universel
Lorsqu’une question
n’apporte pas de réponse franche et décisive et soulève de nombreux débats
stériles, voire des querelles et polémiques, les Pères du concile refusent de
la traiter. La complexité de la question ou le manque de maturité des prélats
peuvent expliquer leur impossibilité de s’entendre. Les légats recherchent en
effet l’unanimité de l’assemblée et refusent de perdre du temps dans des
questions qui n’ont point de véritables réponses. Certains sujets sont ainsi
écartés comme la question des traditions ecclésiastiques et des conciles
approuvés en dépit des rappels de la Curie romaine. Sur ce sujet, le concile
s’est montré nettement indépendant de Rome.
Les théories de certaines
écoles, thomiste, scotiste ou encore dominicaine ou franciscaine, sont
entendues mais ne sont pas notifiées. Les Pères conciliaires refusent en effet de
cautionner une proposition qui n’est défendue que par une école. Lorsqu’ils
débattent sur l’origine du sacrement de l’Eucharistie, ils refusent de choisir
si son institution est de forme médiate ou immédiate, sujet qui divise les
théologiens. Ils ne les valident pas, ni ne les rejettent. En clair, le concile
ne prend pas position comme il ne se prononce pas entre deux grands docteurs de
l’Église. Les décrets sur les sacrements ne reprennent pas les termes
scolastiques de « matière »
et de « forme » en usage
pourtant dans les écoles. Le concile se montre ainsi au-dessus des tendances et ds opinions.
La principale objection des Pères conciliaires est d’affirmer la foi face à la
doctrine protestante, posant les principaux fondamentaux des sujets qu’elle
remet en question. Cela est nettement suffisant pour répondre à la crise que
l’Église connaît. Lorsqu’ils débattent sur le péché originel, le concile ne
cherche pas évidemment à savoir s’il est conforme avec les thèses
évolutionnistes.
Conclusion
L’organisation des débats,
le sérieux des discussions, la liberté d’expression qui s’y manifestent, le
refus de suivre les pressions venues de toute part montrent incontestablement
la liberté du concile de Trente. Que se serait-il passé si effectivement, écoutant les exigences des protestants, le concile se serait séparé du
Pape ? Qui aurait garanti l’unité et la continuité du concile face
aux souverains et aux écoles théologiques ? Qui aurait appliqué les règles que
le concile a définies ? N’oublions pas qu’en se séparant de Rome, les
luthériens se sont soumis au joug des princes. Le succès incontesté du concile
de Trente montre indiscutablement l’importance qu’a jouée le Pape sans lequel la liberté des Pères conciliaires n’aurait été que
faiblesse devant l’insatiable ambition et vanité des hommes.
Il ne faut pas non plus oublier
les causes de la crise de l’Église au temps de Luther, notamment l’implication
des souverains et des laïcs dans son organisation. Que d’abus en effet dans le
système des commendes ou dans l’accumulation des bénéfices ! La réforme catholique consiste à redonner une plus grande indépendance à l’Église, notamment à diminuer le
rôle de l’État dans le choix des évêques et des prêtres. Tout le contraire du
luthéranisme…
Néanmoins, si les Pères
conciliaires se montrent libres sous la direction de légats conscients de
l’importance de leurs tâches, le concile montre aussi de la prudence, soit au
niveau dogmatique lorsque les prélats se révèlent divisés, refusant
d’agréer une opinion théologique, soit au niveau disciplinaire afin de garantir
l’efficacité pratique des décrets. Cette prudence permet de garantir la
liberté de l’Église. Et sans cette volonté de liberté, comment le Saint Esprit
pourrait-il souffler sur les Pères conciliaires ?
Notes et références
[1]
L. Fèvre, Une question mal posée : Les origines de la Réforme français et le
problème général des causes de la Réforme, dans la Revue historique, CLXI,
1929 dans L’Église de la Renaissance et de la réforme, Une
ère de renouveau, la Réforme catholique, Daniels-Rops, II.
[2]
Albert Desjardins, La liberté des Pères au Concile de Trente, extrait de la Revue
critique de Législation et de Jurisprudence, libraires du Conseil
d’État, 1870.
[3]
Pietro Camaiani, évêque de Fiesole, lettre adressé au duc Cosme de Florence, 21
janvier 1562, dans Histoire des conciles œcuméniques, Le Concile de Trente,
1561-1563, Tome XI, Conclusion.
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