« Référence indispensable de grandeur
catholique pour certains, début au contraire de la fermeture de l'Église à la
modernité pour les autres » [1], le
concile de Trente est une référence incontournable dans l’histoire du christianisme,
et dans le christianisme lui-même. Pourtant, il demeure encore bien méconnu ou
dénaturé par de nombreux clichés. Il est sans-doute pour des chrétiens un objet
du passé ou un souvenir d’un temps où le christianisme innervait encore la
société. Or comme tout concile, il n’est pas à ranger dans les reliques de
notre passé. La foi peut y retrouver de plus vives lumières, la charité un plus
grand élan. Mais au-delà des vérités qu’il a affermies et de la discipline
qu’il a restaurée, le concile de Trente est aussi belle leçon de vérité et de
courage, de foi et de charité, voire un véritable miracle par ses effets sur l’Église. En ce temps
où une nouvelle crise la mine, dévastant les églises, où la déchristianisation
ne rencontre plus de résistances, où la société semble s’éloigner de toutes
valeurs chrétiennes, il est aussi assurément un bel objet de méditation. Il ne
peut ainsi nourrir notre espérance. Quand l’Église fait face à ses épreuves,
elle en sort encore plus grandie…
La
clarté dogmatique
Le
concile de Trente traite avec sérieux et sans passion les questions doctrinales
que les protestants ont soulevées, à savoir les sources de la foi, la
justification et les sacrements. Luther puis Calvin ont remis en question la
doctrine catholique du salut, le premier excluant du salut la participation de
l’homme quand le second, avec une logique implacable, a affirmé la double
prédestination. Le salut de l'homme est ainsi naturellement au centre des
débats doctrinaux. Le concile définit ainsi clairement et fermement
l'enseignement de l'Église sur ces points contestés tout en dénonçant les
erreurs. Sur ces sujets, le dogme est suffisamment formulé pour distinguer ce
qu'il faut croire et ce qu'il ne faut pas croire, séparant nettement le
protestantisme du catholicisme. Préoccupé de sûreté doctrinale et de fidélité,
l’Église s’est désormais prononcée de manière solennelle sur les points
attaqués. L'Église assume ainsi avec vigueur son rôle de magister.
Les
textes dogmatiques comprennent une partie doctrinale suivie d’anathèmes,
c’est-à-dire de sentences qui condamnent une erreur et retranchent de l’Église
celui qui y adhère. Le concile de Trente a ainsi lancé plus de condamnations
que tous les conciles antérieurs. Cela se comprend rapidement quand nous
songeons au pullulement des thèses qui circulaient en Europe depuis le début du
XVIe siècle. Après l’affichage de ses fameuses thèses, Luther a engagé une
véritable guerre d’informations et de libelles, répandant ses idées sur toute
l’Allemagne. Grâce à l’imprimerie, les idées protestantes ont pu rapidement se
diffuser. L’impact de cette invention sur la diffusion des idées est
considérable. « Il fut probablement
vendu, entre 1517 et 1520, plus de 300 000 exemplaires des trente écrits
de Luther… On ne saurait trop estimer le rôle qu’a joué l’imprimerie dans la
diffusion des idées religieuses. Sans son recours, une révolution d’une telle
amplitude n’aurait guère pu se produire. »[2]
En
outre, au cours de nombreux débats et colloques, les prétendus « réformés » peuvent librement parler
et remettre en question l’enseignement traditionnel de l’Église sans aucune
inquiétude. Les clercs capables de s’opposer à leur dialectique sont peu
nombreux. Comme nous l’avons noté, le clergé n’est guère formé pour répondre efficacement
à leurs discours et pour donner aux fidèles des réponses satisfaisantes. Un
abîme les sépare de la communauté chrétienne. Luther soulève des questions qui
touchent concrètement la vie chrétienne.
Enfin,
les demi-accommodements de Melanchthon ou le dogmatisme du calvinisme font
hésiter de nombreux chrétiens. Des dignitaires religieux et des princes
cherchent des compromis pour tenter de vaines unions autour de déclarations au
double sens. À Ratisbonne, le colloque a failli aboutir. Mais les silences ont
été probablement trop pesants.
Faut-il
croire alors que le concile de Trente a consacré définitivement la division de
l’Église ? Les faits historiques montrent clairement que la rupture est
antécédente au concile. Forts de leur succès et sûrs de leurs thèses, les
protestants ont refusé de débattre et de se remettre en question. Ils sont en
position de vainqueurs au moment où les Pères conciliaires se réunissent. Le
Saint Empire germanique est prête à embrasser la nouvelle foi. Leurs
propositions et leurs attitudes présomptueuses ne peuvent que raidir les
catholiques. Le durcissement doctrinal de l’Église répond à celui du
protestantisme.
Par
ses affirmations dogmatiques et par ses condamnations, l’Église fait front aux
thèses hérétiques des protestants. Le catholique ne peut plus hésiter. Elle lui
apporte une sûreté doctrinale inestimable.
La
réforme catholique
L’Église
a pris conscience des abus qui affligent de nombreux chrétiens, c'est-à-dire
l'ignorance des prêtres, le laisser-aller des autorités religieuses ou encore
l'irrespect envers les choses divines. Une de ses décisions les plus décisives
est de relever le niveau des prêtres, notamment par la formation et de manière
pratique par la création de séminaires. Une de ses préoccupations est aussi de
rendre plus digne la religion chrétienne et de refuser tout scandale ou mœurs
indignes non seulement au cours des différentes célébrations mais aussi au sein
du clergé. Un véritable combat est engagé contre les scandales qui affligent
l’Église. La fin des tolérances et des négligences est donc sonnée. Ce combat
s’appuie sur l'autorité des évêques que le concile réaffirme et renforce contre
tous les abus et dispenses qui ont fini par l’amoindrir. Il fait plus encore. Il
rappelle leurs responsabilités et leurs devoirs à l'égard des fidèles.
Avec
des prêtres plus savants et plus dignes, moins objet de scandales et de colère,
la religion chrétienne s’élève alors en spiritualité et demeure plus crédible.
Les âmes avides de Dieu peuvent s’y nourrir. La morale y gagne aussi.
Une
Église au nouveau visage
En
outre, l’Église sort de cette épreuve mieux organisée, son unité renforcée, sa
hiérarchie raffermie. Quelle différence avec le protestantisme qui évolue en se
divisant ? Quel contraste avec le luthéranisme qui, pour éviter
l’anarchie, s’est soumis aux pouvoirs des princes ? Quelle opposition avec
le calvinisme qui se renferme dans la théocratie ? Le Pape sort grandi du
concile comme les évêques qui voient leur autorité gagner en efficacité.
L’Église s’enrichit de la complémentarité entre ces deux autorités, l’une
centrale, l’autre locale. Sans le vouloir, le concile de Trente a certainement
contribué à donner à l’Église plus de visibilité et de clarté dans son
organisation, répondant ainsi aux doctrines protestantes qui remettent en cause
justement son caractère visible. Étrange ironie. L’Église est plus que jamais
une société à la fois spirituelle et matérielle.
Un
esprit de réforme profond et sérieux a ainsi guidé les travaux du concile. À la
fois doctrinal et disciplinaire, il a accompli une œuvre extraordinaire en
dépit des nombreux obstacles. Le succès du concile se manifeste surtout par les
tâches qu’il a confiées au Pape.
Les
autres œuvres de Trente
Le
concile de Trente ne se réduit pas à des décrets. Avant de se quitter, les
Pères conciliaires confient effet au Saint-Siège le soin de mener plusieurs
projets de réforme à leurs termes. Ils lui demandent notamment de rédiger et de
publier un catéchisme, de réformer le missel et le bréviaire.
En
1551, le roi des Romains puis empereur Ferdinand charge l’Université de Viennes
et les Jésuites de rédiger un résumé de théologie. Saint Pierre Casinius en est
finalement chargé de cette tâche. Il rédige trois œuvres graduées et adaptées
aux âges : un catéchisme supérieur (1554), un catéchisme pour enfant (1556) et
un catéchisme moyen (1558).
En
1563, le concile de Trente élabore à son tour une première ébauche de
catéchisme. Il est envoyé au Pape Pie IV qui le confie à trois prélats
éminents. Une première édition est publiée en 1566 sous Saint Pie V. Ce n’est
ni un abrégé à l’usage des fidèles ni un manuel destiné à l’enseignement de la
théologie. C’est un exposé doctrinal susceptible de compléter l’instruction
théologique des prêtres et de leur faciliter la prédication et l’enseignement
du catéchisme.
Lors
du débat sur les abus dans la célébration de la messe, le concile note, dans
les divers missels, des détails théologiquement contestables et des divergences
rituelles. Un décret confie au Pape Pie IV le soin de réviser le missel en
1563. Saint Pie V l’achève. Une bulle de 1570 promulgue un nouveau missel qui,
sans apporter de grandes innovations, devient l’exemplaire type pour toutes les
églises, avec l’obligation de s’y conformer. Seuls les missels en usage depuis
plus de deux cents ans sont autorisés. Une telle décision fait alors cesser les
diversités entre les pays et même les provinces ecclésiastiques pour les rites,
les messes, les prières, etc. Une Congrégation des Rites est créé.
Pour
donner aux prêtres un contact plus familier avec la Sainte Écriture et en
faciliter sa récitation, le bréviaire fait aussi l’objet d’une réforme. Le Bréviaire
romain est promulgué sous Saint Pie V le 9 juillet 1568 à partir d’un
dossier remis par le concile de Trente.
La
révision de la Vulgate a aussi été l’œuvre du Saint Siège. Par le décret du 8
avril 1568, le concile de Trente a défini son authenticité juridique. Mais, le
Pape Paul III songe d’abord à la réviser, tâche bien trop lourde pour un
concile. Une première bible paraît sous Sixte Quint en 1591. Mais élaborée trop
rapidement, elle a été remplacée par une nouvelle Vulgate, la Bible
Sixto-Clémentine en 1604 sous Clément VIII.
Ainsi le concile de Trente confie au Saint-Siège de nombreuses tâches afin que la réforme catholique soit concrète. Les Papes les ont pris en compte et par-là ont finalement conduit la réforme à son terme. Son autorité s’en est ainsi renforcée.
L’autorité
renforcée du Pape
De
manière paradoxale, le concile de Trente renforce l'autorité du Pape. Il
devient le garant de l'unité de l'Église et son prestige ne cesse de grandir.
Sa part fondamentale dans la réforme est reconnue. Tout en laissant une entière
liberté aux Pères conciliaires, il est parvenu à rendre efficace le concile en
dépit des nombreuses obstacles. Il s’est surtout opposé aux volontés des
princes de constituer des églises nationales. Le concile de Trente est aussi
une victoire contre les prétentions des empereurs et des rois.
Pourtant,
les décrets conciliaires n’accroissent pas ses pouvoirs. Les textes n’en
parlent guère. Le Saint Siège sort raffermi du concile. Il en a assuré la
présidence par des légats dévoués et fidèles, et a permis son déroulement en
dépit des événements jusqu’à son terme. Son autorité sort en fait grandie par
les réformes qu’ils mènent à Rome et par leur zèle à réformer les mœurs du
clergé romain. Depuis Pie IV, les Papes veulent achever les mesures prises par
le concile, restaurer la vie religieuse, combattre le népotisme, défendre la
chrétienté contre le péril musulman. Le gouvernement du Saint Siège est
modernisé sous Sixte-Quint par l’établissement de douze congrégations romaines.
Une nouvelle papauté voit ainsi le jour, plus adaptée aux Temps modernes.
La
réforme dans les évêchés
Le
Pape n’est pas le seul à vouloir mener les réformes nécessaires. De nombreux
évêques sont aussi attachés à suivre le concile de Trente et à appliquer ses
décrets. Le « pionnier de la
pastorale moderne » est Saint Charles Borromée (1538-1584). Il a servi
d’exemples à de nombreux prélats. Saint François de Sales (1602-1622) est un de
ses élèves en France. Ils luttent contre le désordre établi, notamment par les
visites pastorales et par la tenue de synode diocésain. En Espagne, des
conciles provinciaux mettent en œuvre les décrets conciliaires. Dans les États
allemands catholiques, la réforme catholique est plutôt menée de manière
énergique par les princes avec l’aide des Jésuites. La collaboration entre les
évêques et la compagnie de Jésus permet la régénération de l’Église de Pologne.
La
création des séminaires, parfois lente, s’est avérée efficace pour renouveler
le clergé et l’élever. Saint Charles Borromée crée le séminaire de Milan en
1564. Puis d’autres le suivent non seulement en Italie comme Rome (1565),
Imola et Ravenne (1567) mais aussi en Europe en dépit des guerres, notamment en
France. Les réalisations durables dans le royaume de France ne datent que de
1642-1644 avec Saint Vincent de Paul et ses Lazaristes.
La
réforme dans les Ordres
Saint Jean Eudes (1601-1680) |
La
Compagnie de Jésus prend un rôle prépondérant dans la restauration catholique.
Elle se développe rapidement dans différents domaines : collèges, action
spirituelle, enseignement théologique, missions d’apostolat. D’autres
congrégations de clercs réguliers voient le jour au XVIème siècle comme
les Camilliens et les Piaristes.
Se
créent aussi des « compagnies de prêtres » sans vœux
particuliers de religion comme les Lazaristes, les Eudistes, les Sulpiciens.
Ils sont en charge des séminaires, l’éducation de la jeunesse, les missions
populaires.
Un
renouveau de vitalité emporte aussi le monde religieux. Toutes les formes de la
vocation religieuse sont prises dans ce mouvement extraordinaire. Un grand
nombre de congrégations réformées ou nouvelles se donnent avec ardeur à toutes
les œuvres d’enseignement, d’éducation religieuse populaire et d’assistance. La restauration de la vie
religieuse se manifeste aussi et surtout dans l’œuvre de la mission. Les XVIe
et XVIIe siècles marquent l’expansion du christianisme dans le monde entier.
Le
soin de l’âme
Saint Camille de Lellis (1550-1614) |
Le
concile de Trente est parvenu à réformer le peuple chrétien par l’action
continue des Papes et des évêques. Leur autorité affermie a notamment permis de
redresser la situation. La réforme a aussi été rendue possible grâce à la
détermination d’hommes et de femmes habités par une volonté déterminée de
remplir leur devoir et de servir de leur mieux Notre Seigneur Jésus-Christ. Que
de courage et de patience fructueux chez de nombreux Papes et évêques !
Conclusion
Notre
temps est certes différent de celui qui affligé l’Église au XVIe siècle. Mais aujourd’hui,
les troubles qui la désolent ont probablement les mêmes causes. Des
discours sèment le doute et des pratiques antiques sont remises en question. Par
les médias puis par les systèmes de communication modernes que nous
connaissons, les erreurs se diffusent sans aucune maîtrise alors que les
fidèles sont de plus en plus ignorants de leur foi et coupés de la culture
chrétienne. La connaissance religieuse et la culture chrétienne de la majorité
des fidèles sont affligeantes, voire désespérantes. De nombreux responsables
d’âmes ont abandonné le devoir. Ils
comptent leurs heures, savourent leurs congés et attendent leur retraite. Que
dire encore des scandales qui régulièrement défrayent les chroniques !
Les hommes d’Église ont perdu de la crédibilité par leur silence, leurs hésitations ou par l'indignité de certains d'entre eux. L’esprit du monde a gagné bien des cœurs et des
âmes…
Le
concile de Trente devrait nous faire réfléchir sur les moyens de redresser la
situation et de combattre les maux qui dénaturent l’Église. La clarté et la fermeté dans la foi comme dans la discipline sont encore plus
nécessaire aujourd’hui qu’elles ne l’étaient au XVIe siècle. Nous devons lutter
contre les mêmes ennemis, Satan, l’esprit du monde et nous-mêmes. Le combat est
inhérent à la vie chrétienne. L’oublier, c’est nécessairement retomber dans la
même décadence. Il est temps de sortir de sa naïveté. Qui peut encore croire
que la vérité s’affirme simplement en l’exposant ? Qui peut
vraiment croire que le monde accepte si facilement la parole de Dieu ? Qui
peut enfin croire que le véritable bonheur est si simple et sans combat ? S’il
est si facile à l’homme de s’unir à Dieu, pourquoi Notre Seigneur Jésus-Christ
est-Il mort sur la Croix après tant de supplices ? Pourquoi tant de larmes
et de sang dans notre Histoire ?…
Notes et références
[1] La Croix, 22 janvier 2014, Le Concile de Trente, ce qui s’est vraiment passé, John O’Malley, édition Lessius.
[1] La Croix, 22 janvier 2014, Le Concile de Trente, ce qui s’est vraiment passé, John O’Malley, édition Lessius.
[2]
Elizabeth L. Eisenstein, Gérard Mansuy, L’avènement de l’imprimerie et la Réforme,
dans Annales.
Économies. Sociétés. Civilisation, 26ème année, n°6, 1971, www.persee.fr.
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