Les dangers qui menacent la chrétienté
La bulle de convocation du
concile que publie Paul IV le 22 mai 1542 évoque toutes les difficultés de
convoquer un concile. Les maux sont en effet nombreux, la situation dramatique.
Les « affaires de la chrétienté »
sont « presque réduites à la
dernière extrémité », « menaçaient
ruine de tous côtés ». Il décrit aussi les « pressants périls de la chrétienté ». Elle est « dans une si grande épouvante et un danger si
universel », c’est-à-dire la désunion de la chrétienté alors qu’elle
est menacée de toute part.
Les menaces qui pèsent sur
la chrétienté sont de deux ordres, intérieur et extérieur. Elle s’explique en
partie par la discorde qui sépare l’Empereur germanique et le roi de France,
« les deux princes que Dieu a rendu
les maîtres et les arbitres du capital des affaires »[1].
L’Europe est déchirée par leurs luttes incessantes. Le Pape n’oublie pas les
schismes, les dissensions et les hérésies qui rompent aussi la paix. Par
délicatesse, les protestants ne sont pas mentionnés dans la bulle. Pourtant, ce
sont bien eux qui y sont visés. Leurs erreurs ne sont pas non plus évoquées.
Paul III insiste davantage
sur la menace des forces turques qui profitent de cette situation pour attaquer
l’Europe de l’Est et les côtes italiennes. La menace turque est de plus en plus
pressante au point qu’il est indispensable de fortifier la côte italienne pour
la défendre contre les incursions de la flotte musulmane. Il voit dans cette
situation dramatique la colère de Dieu qu’attisent les péchés et les crimes des
Chrétiens. Mais insiste-il sur cette menace pour répondre aux appels de
l’Empereur Charles Quint, le prince le plus menacé ? Le concile de Trente
ne traitera pas en fait de cette question de manière directe. Il cherchera
plutôt à unir les forces de l’Église et des princes catholiques pour faire face
aux dangers qui les menacent.
De dangereux appels à un
concile libre national
Le 20 novembre 1520, en
réponse à la bulle pontificale Exurge Domine, qui le condamne,
Luther en appelle à un « concile
libre et chrétien ». Poussées par ses libelles et ses discours
enflammés, d’autres voix réclament un concile. « Tout le monde crie : concile, concile, et on le veut en
Allemagne »[2].
La diète qui réunit les États allemands de l’Empire, dont certains ont embrassé
les idées de Luther, ne cesse aussi de réclamer ce concile. En 1523, à
Nuremberg, elle promulgue un texte dans lequel il prie le Pape
Adrien VI de convoquer un « libre
concile chrétien, en un lieu convenable de la nation germanique » avec
le consentement de l’Empereur. L’année suivante, une nouvelle diète réclame
« un concile universel ou national »,
puis encore en 1529, un « concile
général libre de la nation allemande ».
Le terme de « concile national » n’est pas anodin. Il sera repris par les rois de
France lorsqu’ils s’opposeront au concile de Trente. Un tel concile, réunissant
les Pères d’une même origine, est une menace pour l’Église car non seulement
il remet en cause l’autorité du Pape et sa capacité de mener la réforme mais l'appel à un concile national fait surtout craindre un schisme. Certes, les conciles régionaux ont existé dès
les premiers siècles du christianisme. Néanmoins, l’intention est différente.
Pour les partisans d’un concile national, il ne s’agit pas de régler une
affaire régionale mais de définir un remède national hors de l’autorité du
Pape, le tout dirigé par l’Empereur ou un roi. C’est exactement la solution que
propose Luther : laisser à l’autorité politique les soins de la réforme. Le
risque de sécession et de plus grande division ne cesse de grandir.
Le Pape s’oppose fortement
à cette exigence. Conscient des enjeux, non seulement il montre que la question
ne concerne pas uniquement la « nation
germanique » mais surtout il refuse la constitution d’église
nationale, qui serait finalement l’issue fatale de tels conciles. Il veille à la
catholicité de l’Église.
Le refus des protestants
Il faut attendre l’année
1553 pour que l'ambiguïté soit enfin levée. Lorsqu’un légat propose en effet
aux princes luthériens la convocation d’un « libre concile », ces derniers, après avoir consulté Luther et
Melanchthon, définissent clairement leurs exigences. Ils rejettent déjà l’obéissance
systématique à ses décisions et réclament comme seule autorité celle de la
Sainte Écriture. Comme le dira plus tard un Père conciliaire de Trente, à quoi
bon se remettre à un concile si dès le départ, on refuse de se soumettre à ses
décisions ?
Mais finalement pourquoi
Luther veut-il un concile ? Pour que l’Église catholique reconnaisse ses
erreurs. « Nous sommes absolument
sûrs d’avoir le Saint-Esprit avec nous et nous n’avons pas besoin de concile,
mais la chrétienté en a besoin, pour reconnaître les erreurs dans lesquelles
elle a été plongée si longtemps »[3].
Ils veulent un tribunal qui juge et condamne Rome. Ils veulent mettre fin à
l’autorité pontificale. Telle est la liberté qu’exige Luther. « Ce qui sort de ma bouche n’est pas ma colère,
mais la colère de Dieu. » Il n’a plus besoin de l’Église si ce n’est
pour accabler ses adversaires. Ainsi quand Luther parle de « libre concile », il songe à une
chambre d’enregistrement. Il veut réunir les Pères pour qu’ils ratifient ce
qu’il veut. Est-cela le libre concile ?
Affirmation du protestantisme - XVIe siècle |
Fort du succès et de la consolidation de la Réforme, les princes protestants réaffirment leur position à la tenue d’un « libre concile ». À leur demande, Luther écrit les articles de Smalkalde qui approfondissent davantage les divergences avec l’Église catholique. Ils refusent en outre que le concile soit présidé par la Pape et exigent que la Sainte Écriture soit seule règle de la foi, rompant ainsi avec les antiques usages. Mais finalement, au fur et à mesure de l’expansion de la nouvelle foi, ils le trouvent inutiles.
Paul III n’y croit plus.
« Les luthériens […] ont refusé le
lieu qui leur était proposé, sans aucun égard pour les autres nations
chrétiennes, et ils ont ajouté d’autres conditions injustes et malhonnêtes. Ils
ont ainsi démontré qu’ils ne veulent d’aucun concile. Il ne reste donc plus
qu’à traiter l’affaire entre catholiques. »[4]
Dans sa bulle de convocation, Paul IV mentionne les conditions que les
protestants ont posées pour participer au concile, des conditions qu’il ne peut
que refuser car« contraires à
l’usage ancien de nos prédécesseurs, à l’état présent du temps, à la liberté de
l’Église, à la dignité du Saint-Siège, et à la nôtre ».
Le refus du Pape est
fondamental. Face à l’opposition des protestants, le concile ne cherchera pas à
les ramener à l’Église catholique mais plutôt à unir solidement les catholiques
et à rassurer les hésitants. Ainsi par la position ferme et sans appel des
protestants, le concile de Trente ne pourra pas être un concile de réconciliation
ou de retour à l’unité.
Cependant, après
d’interminables négociations, des représentants des princes protestants de Brandebourg,
de Wurtemberg, de Strasbourg et de Saxe viendront au concile de Trente en 1551
sous le pontificat de Jules III. Ils seront entendus par les Pères conciliaires
mais les conditions qu’ils rappellent sont de nouveau inacceptables. Elles
n’ont pas évolué. Certains des représentants sont même désinvoltes envers les
légats en tant que représentants du Pape. Ils seront aussi vainement attendus
lors du dernier épisode du concile.
Les risques d’un concile
Charles Quint |
Au XVIe siècle, le Pape et
la Curie romaine craignent surtout un retour du conciliarisme, c’est-à-dire
l’idée selon laquelle l’autorité du concile est supérieure à celle du Pape. Il
renie donc la primauté du Pape au profit de la seule autorité du concile. Ce
dernier serait une sorte d’assemblée législative représentative de tous les
évêques. Le conciliarisme a été une réponse à la crise d’autorité au niveau du
Saint Siège, notamment lors du grand schisme où trois papes se disputaient le
siège de Rome. Elle s’est imposée lors des conciles de Constance (1414-1418) et
de Bâle (1432-1434). À la fin du XVe siècle, elle perd de l’importance avec le
rétablissement de l’autorité des Papes. Le Ve Concile de Latran (1512-1517) le
condamne définitivement par la bulle Pastor aeternus gregem.
Cependant les Papes
craignent que le conciliarisme profite de la situation pour se réveiller.
Luther en montre suffisamment le risque. Des rois comme l’Empereur n’hésitent
pas non plus à menacer l’autorité du Pape en faisant appel à un concile pour lui
imposer leurs exigences. Charles Quint oppose cette arme au Pape Clément VI
lorsque ce dernier rejoint le camp de ses ennemis. Il demande sa convocation
pour contester sa politique et finalement juger le Pape. « Si le pape continue de brandir les armes
contre nous et refuse de les déposer, s’il ne veut pas adhérer à la paix
universelle, alors il faudra le considérer, non plus comme un père, mais comme
un chef de parti, non comme un pasteur, mais comme un envahisseur, et ainsi on
ne pourra plus le regarder comme un juge équitable. Puisqu’il n’y a donc plus
de juge supérieur auquel nous devrions nous soumettre, alors, tout ce qui nous
est rapproché et pourra nous être reproché à l’avenir …, tout cela, nous le
pensons, devra être soumis à la connaissance et au jugement du saint concile
universel de la chrétienté »[5].
François Ier |
Ainsi la convocation d’un
concile n’est pas chose aisée pour le Pape qui peut alors craindre un
affaiblissement de son autorité. Or il a
besoin de garder une autorité suffisamment grande pour mener la réforme dont
l’Église a besoin à un moment où justement elle est malmenée par les princes.
Pour éviter un tel danger, d’autres solutions ont été menées.
Une réforme par le Pape
seul ?
Au début des négociations
pour la réunion d’un concile et jusqu’à l’élection de Paul III, en 1534, les
Papes ne sont en fait guère enthousiastes à cette idée. Peu confiants en
l’efficacité d’un concile, comme l’a montré le Vème Concile de Latran, ils
préfèrent mener eux-mêmes les réformes. Ils sont en effet persuadés qu’ils
peuvent régler seuls les problèmes que soulèvent les protestants. Lorsque le
concile sera suspendu, Paul IV puis Jules III essaieront aussi de mener des
réformes à leur niveau en formant à Rome des commissions d’évêques. Ils
subiront de graves revers.
Réforme et concile pour le
Pape Paul III
La position pontificale à
l’égard du concile change radicalement à partir de l’élection du Pape Paul III en
1534. Le concile devient en effet une véritable priorité pour le Saint-Siège. Un
effort diplomatique est mené auprès des princes pour obtenir leur consentement
et faire cesser les guerres, conditions préalables à toute convocation. Des
nonces sont envoyés en Allemagne, en France, à Vienne pour convaincre Charles
Quint et les rois et trouver un accord de paix. Pendant tout son pontificat,
le Pape mène de dures et de longues négociations pour qu’un jour de 1545, le concile
de Trente s’ouvre enfin.
Pour justifier le recours
au concile, Paul III précise dans sa bulle de convocation que ses propres
forces ne suffisent pas. Selon la tradition qu’ont suivie ses prédécesseurs, il
a recours au concile œcuménique comme « à un remède excellent et très convenable ». Il fait donc œuvre
de continuité. Mais sa décision doit s’appuyer sur « le sentiment des princes » dont le concours sera utile et
avantageux. Il parle de l’Empereur Charles Quint et du roi de France, François
Ier, « les deux principaux appuis et
soutiens du christianisme ». À partir de Paul III, les Papes ne
cesseront pas de négocier avec les princes pour qu’ils y adhèrent. Mais ils
sont confrontés aux intérêts de chacun et à des conditions jugées parfois inacceptables.
Tout en étant résolu pour
le concile et sans attendre son ouverture, Paul III mène des réformes. Pour y
parvenir, une commission est chargée de proposer des solutions. Elle publie le
document intitulé Consilium de emendenda Ecclesia (1537) qui, après avoir rappelé les
responsabilités du Pape et de la Curie romaine dans les désordres de l’Église, propose
un programme de réformes que devra examiner un futur concile. Certaines mesures
sont radicales et font l’objet de protestations de la part de la Curie romaine.
Les résistances à la réforme sont encore plus fortes. Ce texte sera repris lors
du dernier épisode du concile pour mettre en place les plus importants décrets
disciplinaires.
Mais Paul III n’est pas
suffisamment fort pour résister aux pressions des conservateurs et des gens en
place. Néanmoins, sans suivre les recommandations du Concilium, il parvient à
améliorer les organes de la Curie romaine. En outre, par le choix judicieux
d’évêques et de cardinaux réformateurs, le clan de la réforme est plus nombreux
et puissant. Leur influence sera déterminante pour l’avenir. Il faut néanmoins
du temps …
Un contexte peu favorable
à un concile
Il est difficile de réunir
tous les évêques de l’Église catholique quand la guerre menace entre les
nations chrétiennes ou quand elles sont profondément divisées. Les princes
doivent ainsi accepter d’envoyer leurs évêques au concile. Si les rois sont en
guerre avec l’Empereur, ils ne laisseront pas leurs évêques rejoindre un
concile en terre d’empire. Et si l’un est en faveur du concile, son adversaire
y sera naturellement opposé, chacun voyant dans l’autre une manœuvre politique.
Ils doivent aussi le rejoindre en toute quiétude. Enfin, ils doivent pouvoir
travailler dans de bonnes conditions, loin de toute pression, avec la
participation en bonne intelligence des deux principaux princes de la
Chrétienté.
Début de la guerre de Smalkalde (1546) |
les invite aussi, ou à leurs représentant, d’y assister.
Les années qui précèdent
le Concile de Trente sont des années de guerre. De 1526 à 1530, la France et
l’Empereur sont en guerre. L’Italie est l’un des principaux théâtres d’affrontements.
Rome est même saccagé par les lansquenets impériaux en 1527. Le Pape Clément
VII est fait prisonnier. Elle reprend en 1536 pour trois longues années. En
1542, une nouvelle guerre fait suspendre le concile. Et lorsque les armes se
taisent, la paix n’est qu’illusion. Chacun se prépare à de futurs conflits,
mettant en place des ligues pour affaiblir leurs adversaires. Le temps n’est
pas à la réconciliation.
Et les Turcs menacent
encore l’Occident et plus précisément le Saint Empire Germanique. L’Empereur a
besoin d’une croisade et donc d’un concile seul capable de lever les forces
chrétiennes. Mais, la France se réjouit de cette menace qui affaiblit son
ennemi. Elle se lie même aux Turcs. En 1542, le Saint Empire Germanique lutte finalement
seul contre les Turcs. En 1543, les Turcs prennent la capitale de la Hongrie.
Des troupes franco-turques assiègent Nice, ville impériale.
Des princes peu
enthousiastes
L’empereur Charles Quint
manifeste à plusieurs reprises une forte volonté de réunir le concile, se
présentant ainsi comme un des promoteurs résolus, mais parfois aussi, il s’y
oppose ou brandit l’arme d’un concile national. Sa position changeante
s’explique par sa situation politique. Menacé par les Turcs et les Français, il
a besoin d’alliés, notamment du Pape. Il est en outre affaibli par les
divisions qu’il doit faire cesser. Les princes luthériens n’hésitent pas à lui
poser des conditions pour lui donner les forces armées dont il a besoin.
Soucieux de l’unité religieuse de son empire, il ne peut pas non plus ne pas
entendre les exigences de la Diète, surtout en position de faiblesse.
Le roi François Ier
(1515-1547) est hésitant. Il ne cesse pas de se dérober devant la volonté des
Papes. Il cherche avant tout à affaiblir son adversaire, l’Empereur, tout en
défendant les intérêts de son royaume contre les prérogatives pontificales. Il se souvient du Vème Concile de Latran, une victoire de la Papauté contre les prétentions françaises. Le Pape parvient
à supprimer définitivement la Pragmatique Sanction pour la remplacer par un
concordat et ainsi affaiblir le gallicanisme. En outre, à partir de 1539, François Ier abandonne toute idée du concile, privilégiant la méthode des colloques pour
rapprocher et réconcilier les catholiques et les protestants. Le royaume de
France est aussi divisé.
L’échec des tentatives de
réconciliation
Colloque de Poissy, 1561 |
Un concile improbable
Mais qui pourrait encore
croire à un concile en 1545 ? Toutes les tentatives ont échoué en dépit de
longues et d’interminables négociations. L’atermoiement des princes les
freine. La guerre sans cesse renaissante ne laisse guère de répit. Les
évêques et les abbés sont d’abord convoqués à Mantoue pour le 23 mai 1537 puis l’ouverture
du concile est reportée au 1er novembre de la même année, et encore
au 1er mai 1538 puis finalement à une date indéterminée. Luther et
Henri VIII tournent en dérision ce concile « nulle part ». Qui croit encore au concile ?
Le choix de la ville pour
réunir le concile manifeste toute la difficulté de sa convocation. Elle est en
effet un véritable casse-tête pour le Pape. Pour éviter qu’un clan prédomine
dans les débats et influence les décisions, Paul III veut que toutes les
nationalités y participent. Cherchant donc l’accord de tous les grands princes,
il est obligé de prendre en compte les besoins de chacun. Or le choix de la
ville du concile est important. Les évêques doivent être en sécurité, sans
craindre l’intervention d’une armée quelconque, tout en permettant aux princes
d’intervenir dans les débats, notamment par l’intermédiaire de leurs
représentants. Elle ne doit pas non plus être sous l’obédience d’un des princes
afin de ne pas mécontenter ses adversaires.
Écoutant François Ier,
Paul III refuse l’idée d’un concile en terre allemande comme le propose Charles Quint
qui veut contenter les princes luthériens. En accord avec l’Empereur, Paul III
propose en 1533 la ville de Mantoue, qui a l’avantage d’être une ville
italienne en terre impériale. Mais, François Ier recommande Turin, ville plus
proche de son royaume. Puis après quelques atermoiements, en 1535, il souhaite
seulement un concile « en un lieu
convenable, sûr, où Sa Majesté puisse intervenir, comme les autres,
pacifiquement. » Elle abandonne finalement le choix de Turin et
accepte à son tour la ville de Mantoue en 1535. Un concile est donc convoqué
dans cette ville en 1537. Plus de trois ans d’âpres discussions ! Mais
Mantoue ne dispose d’aucune citadelle. Or la guerre risque de reprendre. La
protection du concile nécessite donc une véritable armée. Or comment un concile
peut-il délibérer sous les armes ! Est-ce cela un concile libre ?
Paul III y refuse. À son grand regret, il rejette ce choix, reportant une
nouvelle fois le concile. Paul III propose donc Vicence qui relève de Venise.
Finalement, en 1541, après d’âpres négociations, Trente, ville italienne mais
en terre d’Empire, est proposée. Comme François 1er n’en veut pas,
Paul III refuse ce choix. Il propose Cambrai. Ainsi les négociations doivent
reprendre. Et après encore de multiples négociations, la ville de Trente est de
nouveau choisie en 1542…
Trente se prépare donc à
accueillir les évêques de toute l’Église catholique. Mais très peu d’évêques
arrivent dans la ville. En mai 1543, ils sont une dizaine, à peu près tous
Italiens. Aucun évêque français ni espagnol. La guerre entre les impériaux et
les Français fait rage. L’Europe est encore en guerre depuis juillet 1542. En
1543, le roi d’Angleterre Henri VIII s’unit à Charles Quint. Une armée anglaise
débarque à Calais. En septembre 143, les troupes françaises s’emparent du
duché de Luxembourg. Charles Quint prend Cambrai en novembre. Plus tard, en
avril 1544, les Français battent une armée impériale en Italie alors que
Charles Quint avance sur Paris et que, depuis juillet, l’Angleterre assiège
Boulogne-sur-Mer. Le concile risque d’être dissous avant même d’être
ouvert ! Une nouvelle bulle finit par le suspendre. « La guerre, le refus de Trente par la France,
la duplicité de l’Empereur, qui tantôt pressait, tantôt retardait la réunion du
concile, la participation insignifiante des évêques, presque tous italiens,
autant de raisons qui ont incliné Paul III vers la suspension. »[7]
La volonté de neutralité
Le choix de la ville
révèle en fait la forte volonté du Paul III d’être neutre entre les puissances
du moment. Elle explique aussi ses hésitations. Contrairement à son
prédécesseur, il garde une position impartiale dans le conflit qui oppose
Charles Quint et François Ier. Ménageant la France et refusant la suprématie
impériale, il s’efforce de maintenir un certain équilibre des forces et des
influences. Il refuse de s’allier au parti impérial qui accepte le concile sous
condition d’une alliance contre la France. Il intervient aussi auprès des
protagonistes pour faire cesser la guerre. La trêve de Nice en 1538 n’aurait
pas eu lieu sans sa ténacité.
Cependant, lasse des
négociations qui traînent et des prolongations répétitives du concile, la
Papauté finit aussi par perdre tout espoir. Dans un mémoire daté de 1542, des
canonistes proposent même ne plus y songer et de réunir plutôt une assemblée
d’évêques qui délibérera sur la foi et la réforme en forme d’un conseil du
pape.
Puis, contre toute
attente, la paix revenue en 1544, une nouvelle bulle de convocation Laetare
Jerusalem (19 novembre 1544)
est publiée pour un concile le 15 mars 1545 dans la ville de Trente. Mais de
nouveau, des négociations entre le Pape et l’Empereur font surseoir son
ouverture. Cependant, progressivement, des évêques, des généraux d’Ordre
religieux, des abbés arrivent, en grande majorité italiens. Finalement, après
de nombreuses hésitations, le concile s’ouvre le 13 décembre 1545…
Conclusion
L’histoire de la
convocation du Concile de Trente est particulièrement instructive. Elle montre
d’abord l’importance du contexte politique dans les affaires de l’Église
catholique. Le religieux imprègne la société et les hommes. Il ne peut vivre et
se développer sans qu’ils interviennent, le perturbent ou la favorisent. Et
l’Église n’est point hors du monde, indifférente au monde. Elle ne peut se
désintéresser des hommes et des sociétés, et des princes qui les gouvernent. Elle
est bien ancrée dans une réalité qu’elle ne peut méconnaître. Elle ne se nourrit pas
d’utopie. Pour son malheur, en dépit de la crise que rencontrent l’Église et
l’Europe chrétienne, les chefs d’États ne sont guère à la hauteur. Que de
négociations ! Que de duplicité ! Ils sont sans aucun doute bien
responsables de la division qui déchire la chrétienté. La dépendance des hommes
de l’Église à l’autorité politique est une des causes de la crise qu’elle
traverse. La réforme catholique réussira à retrouver une certaine
indépendance à l’égard des princes contrairement à Luther qui finalement se
soumet à leur autorité.
La position des
protestants devient aussi de plus en plus nette. Consolidés dans de nombreux
États, assurés de l’appui des princes, ils affermissent leur volonté de changer
l’Église selon leurs vues sans aucun esprit de réconciliation. Ils rompent de
nouveau avec l’histoire, confirmant leur volonté d’innovation. Par leur
décision, les protestants éloignent le concile de tout rapprochement. Il est
donc faux de voir dans l’origine du concile la volonté de combattre le
protestantisme ou d’y trouver la cause de la séparation. Devant leur
obstination et l’échec de toute recherche de réconciliation, peu à peu, le Pape
comprend la nécessité de raffermir la foi catholique et de rassurer les hésitants.
Enfin, sans la volonté de
certaines personnalités, le concile aurait été abandonné. L’indécision des
Papes a certes grandement ralenti son ouverture mais il est indéniable que
l’esprit de la réforme catholique a atteint le chef de l’Église. Il est déjà en
mouvement, agissant partout. Mais face aux conservateurs, aux intérêts de
certains dignitaires et organismes de la Curie romaine, face à l’opposition des
souverains et à leurs privilèges, le Pape ne peut à lui-seul accomplir les
réformes indispensables. Il se remet aux remèdes traditionnels de l’Église
qu’est le concile. Dans l’histoire, le concile a été un moyen pour l’Église de
résoudre les difficultés et les hérésies, de surmonter les obstacles et de
poursuivre son chemin. Cette vérité historique s’avère encore juste au XVIe
siècle. La réforme qu’entreprend l’Église est une continuité de toutes les
réformes qu’elle a déjà connues, « dans
le droit fil de la plus vieille tradition »[8].
C’est une réforme dans l’Église et par l’Église.
Face à tant d’obstacles,
l’ouverture du concile est un véritable miracle. Le 13 décembre 1545, contre
tout espoir, malgré les échecs répétitifs de nombreuses convocations sans
lendemain, de suspensions souvent prévisibles, en dépit des pamphlets ironiques
des adversaires de l’Église, le concile s’ouvre solennellement dans la
cathédrale Saint-Vigile de la ville de Trente. Menacé par la guerre et la
peste, il sera encore suspendu à nombreuses reprises. Il durera finalement
dix-huit longues années. Travail laborieux et de longue haleine mais quelle
œuvre ! De nos jours, pris dans l’effervescence du moment, ballotés par
les médias et les réseaux sociaux, perturbé par l’immédiateté de nos
communications, nos regards ne songent guère à scruter l’horizon lointain. Un
chef d’État français ne voit pas au-delà de son quinquennat. La continuité de
cette œuvre ne peut donc que nous surprendre, nous qui manquons tant de recul
et de véritables ambitions. Mais l’Église ne mesure pas le temps. Elle est
patiente…
Qui aurait cru aux succès
éclatants du concile de Trente lorsqu’il s’ouvre le 13 décembre 1545 ? Comme
un arbre qui grandit tout en étant le même, l’Église s’est ressaisie et s’est
profondément réformée, faisant front contre l’erreur et l’immoralité, assurant
la sûreté doctrinale et l’épanouissement de la vie chrétienne autour d’une
Papauté rénovée. Un véritable mystère ! Signe éclatant de l’Esprit de Dieu
agissant dans l’âme de l’Église. Voie impénétrable que celle de la Providence…
Notes et références
[1] Bulle de Paul III, souverain pontife pour la convocation du saint concile de Trente, œcuménique et général, dans Histoire du concile de Trente, S. J., cardinalt Sforza Pallavicino.
[1] Bulle de Paul III, souverain pontife pour la convocation du saint concile de Trente, œcuménique et général, dans Histoire du concile de Trente, S. J., cardinalt Sforza Pallavicino.
[2]
Le nonce extraordinaire du Pape en Allemagne, Jérôme Aléandre, à Jules de
Médicis, vice-chancelier de l’Église romain, Latran V et Trente, Histoire
des conciles œcuméniques, tome X, Fayard, 1975.
[3]
Luther, lors d’une rencontre entre le nonce Vergerio et les princes luthériens
au château de l’électeur de Saxe, le 7 novembre 1535, dans Latran V et Trente, Histoire
des conciles œcuméniques
[4]
Paul III, Instructions données au nonce Guidiccioni le30 avril 1537 pour sa
mission auprès de Charles Quint dans Concilium Tridentinum, IV,
Diarorium, Actorum, Epistolarum, Tractatuum nova collectio, Fribourg, 1901,
dans Latran
V et Trente, Histoire des conciles œcuméniques.
[5]
Charles Quint, 17 septembre 1526, dans Le Plat, Monumentorum ad historiam concilii Tridentini …
spectantium amplissima collectio, II, 288 dans Latran V et Trente, Histoire
des conciles œcuméniques.
[6]Del
Monte (1487-1555), légat pontifical lors de la première phase du Concile à
Trente, futur pape sous le nom de Jules III (1550-1555), Concilium Tridentinum, I,
10.
[7]
Latran
V et Trente, Histoire des conciles œcuméniques.
[8]
Daniel-Rops, L’Église de la Renaissance et de la Réforme, Une ère de renouveau, La
Réforme Catholique, chap. I.
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