" La pierre précieuse, voire de grand prix aux yeux de certains, qu'est l'émeraude, se voit insultée par un morceau de verre habilement truqué, s'il ne se rencontre personne qui soit capable de procéder à un examen et de démasquer la faute. Et lorsque de l'airain a été mêlé à l'argent, qui donc, s'il n'est connaisseur, pourra aisément le vérifier ? "(Saint Irénée, Contre les hérésies)


samedi 8 juillet 2017

Le concile de Trente, une ouverture miraculeuse, signe de vérités

En 1520, Luther en appelle à un «  libre concile ». Plus de vingt ans après, il s’ouvre dans la ville de Trente. Trop tard, diront certaines voix. On ironise même sur ce concile qui voit son ouverture ajournée puis reportée à maintes reprises. Mais au lieu de se plaindre, nous devrions plutôt nous étonner que ce concile ait eu lieu en dépit de nombreux obstacles et d’un contexte particulièrement défavorable. Essayons de comprendre pourquoi il a fallu tant de temps pour que se réunisse le concile tant attendu.


Les dangers qui menacent  la chrétienté

La bulle de convocation du concile que publie Paul IV le 22 mai 1542 évoque toutes les difficultés de convoquer un concile. Les maux sont en effet nombreux, la situation dramatique. Les « affaires de la chrétienté » sont « presque réduites à la dernière extrémité », « menaçaient ruine de tous côtés ». Il décrit aussi les « pressants périls de la chrétienté ». Elle est « dans une si grande épouvante et un danger si universel », c’est-à-dire la désunion de la chrétienté alors qu’elle est menacée de toute part.

Les menaces qui pèsent sur la chrétienté sont de deux ordres, intérieur et extérieur. Elle s’explique en partie par la discorde qui sépare l’Empereur germanique et le roi de France, « les deux princes que Dieu a rendu les maîtres et les arbitres du capital des affaires »[1]. L’Europe est déchirée par leurs luttes incessantes. Le Pape n’oublie pas les schismes, les dissensions et les hérésies qui rompent aussi la paix. Par délicatesse, les protestants ne sont pas mentionnés dans la bulle. Pourtant, ce sont bien eux qui y sont visés. Leurs erreurs ne sont pas non plus évoquées.

Paul III insiste davantage sur la menace des forces turques qui profitent de cette situation pour attaquer l’Europe de l’Est et les côtes italiennes. La menace turque est de plus en plus pressante au point qu’il est indispensable de fortifier la côte italienne pour la défendre contre les incursions de la flotte musulmane. Il voit dans cette situation dramatique la colère de Dieu qu’attisent les péchés et les crimes des Chrétiens. Mais insiste-il sur cette menace pour répondre aux appels de l’Empereur Charles Quint, le prince le plus menacé ? Le concile de Trente ne traitera pas en fait de cette question de manière directe. Il cherchera plutôt à unir les forces de l’Église et des princes catholiques pour faire face aux dangers qui les menacent.

De dangereux appels à un concile libre national

Le 20 novembre 1520, en réponse à la bulle pontificale Exurge Domine, qui le condamne, Luther en appelle à un « concile libre et chrétien ». Poussées par ses libelles et ses discours enflammés, d’autres voix réclament un concile. « Tout le monde crie : concile, concile, et on le veut en Allemagne »[2]. La diète qui réunit les États allemands de l’Empire, dont certains ont embrassé les idées de Luther, ne cesse aussi de réclamer ce concile. En 1523, à Nuremberg, elle promulgue un texte dans lequel il prie le Pape Adrien VI de convoquer un « libre concile chrétien, en un lieu convenable de la nation germanique » avec le consentement de l’Empereur. L’année suivante, une nouvelle diète réclame « un concile universel ou national », puis encore en 1529, un « concile général libre de la nation allemande ».

Le terme de « concile national » n’est pas anodin. Il sera repris par les rois de France lorsqu’ils s’opposeront au concile de Trente. Un tel concile, réunissant les Pères d’une même origine, est une menace pour l’Église car non seulement il remet en cause l’autorité du Pape et sa capacité de mener la réforme mais l'appel à un concile national fait surtout craindre un schisme. Certes, les conciles régionaux ont existé dès les premiers siècles du christianisme. Néanmoins, l’intention est différente. Pour les partisans d’un concile national, il ne s’agit pas de régler une affaire régionale mais de définir un remède national hors de l’autorité du Pape, le tout dirigé par l’Empereur ou un roi. C’est exactement la solution que propose Luther : laisser à l’autorité politique les soins de la réforme. Le risque de sécession et de plus grande division ne cesse de grandir.

Le Pape s’oppose fortement à cette exigence. Conscient des enjeux, non seulement il montre que la question ne concerne pas uniquement la « nation germanique » mais surtout il refuse la constitution d’église nationale, qui serait finalement l’issue fatale de tels conciles. Il veille à la catholicité de l’Église.

 Le refus des protestants

La deuxième exigence des protestants qui doit attirer notre attention est celle concernant la liberté du concile. Ce terme est en fait très ambigu. Luther et ses disciples entendent par là quelque chose de précis. Ils ne cesseront de demander que les évêques soient libérés de leurs serments et obligations à l’égard du Pape afin qu’ils puissent parler et délibérer librement. Or les catholiques entendent par liberté selon l’usage habituel des conciles antérieurs. Mais dans les premières discussions, tout cela est bien implicite, chacun cherchant à comprendre ce qu’il veut bien entendre.

Il faut attendre l’année 1553 pour que l'ambiguïté soit enfin levée. Lorsqu’un légat propose en effet aux princes luthériens la convocation d’un « libre concile », ces derniers, après avoir consulté Luther et Melanchthon, définissent clairement leurs exigences. Ils rejettent déjà l’obéissance systématique à ses décisions et réclament comme seule autorité celle de la Sainte Écriture. Comme le dira plus tard un Père conciliaire de Trente, à quoi bon se remettre à un concile si dès le départ, on refuse de se soumettre à ses décisions ?

Mais finalement pourquoi Luther veut-il un concile ? Pour que l’Église catholique reconnaisse ses erreurs. « Nous sommes absolument sûrs d’avoir le Saint-Esprit avec nous et nous n’avons pas besoin de concile, mais la chrétienté en a besoin, pour reconnaître les erreurs dans lesquelles elle a été plongée si longtemps »[3]. Ils veulent un tribunal qui juge et condamne Rome. Ils veulent mettre fin à l’autorité pontificale. Telle est la liberté qu’exige Luther. « Ce qui sort de ma bouche n’est pas ma colère, mais la colère de Dieu. » Il n’a plus besoin de l’Église si ce n’est pour accabler ses adversaires. Ainsi quand Luther parle de « libre concile », il songe à une chambre d’enregistrement. Il veut réunir les Pères pour qu’ils ratifient ce qu’il veut. Est-cela le libre concile ?

Affirmation du protestantisme - XVIe siècle

Fort du succès et de la consolidation de la Réforme, les princes protestants réaffirment leur position à la tenue d’un « libre concile ». À leur demande, Luther écrit les articles de Smalkalde qui approfondissent davantage les divergences avec l’Église catholique. Ils refusent en outre que le concile soit présidé par la Pape et exigent que la Sainte Écriture soit seule règle de la foi, rompant ainsi avec les antiques usages. Mais finalement, au fur et à mesure de l’expansion de la nouvelle foi, ils le trouvent inutiles.

Paul III n’y croit plus. « Les luthériens […] ont refusé le lieu qui leur était proposé, sans aucun égard pour les autres nations chrétiennes, et ils ont ajouté d’autres conditions injustes et malhonnêtes. Ils ont ainsi démontré qu’ils ne veulent d’aucun concile. Il ne reste donc plus qu’à traiter l’affaire entre catholiques. »[4] Dans sa bulle de convocation, Paul IV mentionne les conditions que les protestants ont posées pour participer au concile, des conditions qu’il ne peut que refuser car« contraires à l’usage ancien de nos prédécesseurs, à l’état présent du temps, à la liberté de l’Église, à la dignité du Saint-Siège, et à la nôtre ». 

Le refus du Pape est fondamental. Face à l’opposition des protestants, le concile ne cherchera pas à les ramener à l’Église catholique mais plutôt à unir solidement les catholiques et à rassurer les hésitants. Ainsi par la position ferme et sans appel des protestants, le concile de Trente ne pourra pas être un concile de réconciliation ou de retour à l’unité.

Cependant, après d’interminables négociations, des représentants des princes protestants de Brandebourg, de Wurtemberg, de Strasbourg et de Saxe viendront au concile de Trente en 1551 sous le pontificat de Jules III. Ils seront entendus par les Pères conciliaires mais les conditions qu’ils rappellent sont de nouveau inacceptables. Elles n’ont pas évolué. Certains des représentants sont même désinvoltes envers les légats en tant que représentants du Pape. Ils seront aussi vainement attendus lors du dernier épisode du concile.

Les risques d’un concile

Charles Quint
La convocation d’un concile n’est pas une solution miraculeuse. Le dernier concile, celui de Latran V, a été un échec. L’histoire montre aussi qu’il peut s’avérer dangereux pour l’Église catholique. Il peut même aggraver la situation qu’il est censé résoudre.

Au XVIe siècle, le Pape et la Curie romaine craignent surtout un retour du conciliarisme, c’est-à-dire l’idée selon laquelle l’autorité du concile est supérieure à celle du Pape. Il renie donc la primauté du Pape au profit de la seule autorité du concile. Ce dernier serait une sorte d’assemblée législative représentative de tous les évêques. Le conciliarisme a été une réponse à la crise d’autorité au niveau du Saint Siège, notamment lors du grand schisme où trois papes se disputaient le siège de Rome. Elle s’est imposée lors des conciles de Constance (1414-1418) et de Bâle (1432-1434). À la fin du XVe siècle, elle perd de l’importance avec le rétablissement de l’autorité des Papes. Le Ve Concile de Latran (1512-1517) le condamne définitivement par la bulle Pastor aeternus gregem.

Cependant les Papes craignent que le conciliarisme profite de la situation pour se réveiller. Luther en montre suffisamment le risque. Des rois comme l’Empereur n’hésitent pas non plus à menacer l’autorité du Pape en faisant appel à un concile pour lui imposer leurs exigences. Charles Quint oppose cette arme au Pape Clément VI lorsque ce dernier rejoint le camp de ses ennemis. Il demande sa convocation pour contester sa politique et finalement juger le Pape. « Si le pape continue de brandir les armes contre nous et refuse de les déposer, s’il ne veut pas adhérer à la paix universelle, alors il faudra le considérer, non plus comme un père, mais comme un chef de parti, non comme un pasteur, mais comme un envahisseur, et ainsi on ne pourra plus le regarder comme un juge équitable. Puisqu’il n’y a donc plus de juge supérieur auquel nous devrions nous soumettre, alors, tout ce qui nous est rapproché et pourra nous être reproché à l’avenir …, tout cela, nous le pensons, devra être soumis à la connaissance et au jugement du saint concile universel de la chrétienté »[5].

François Ier
Le danger du conciliarisme n’est pas éteint au temps du concile de Trente. Avant sa deuxième session, certains Pères cherchent à imposer l’expression « universalem Ecclesiam repaesentans », rappelant ainsi le souvenir du concile de Constance. Leur suggestion est refusée. Un des légats pontificaux profite de cet incident pour affirmer la doctrine traditionnelle de l’Église : le concile doit être convoqué par le Pape et présidé par lui ou ses délégués, et c’est au titre de cette convocation qu’il représente toute l’Église. Il ne faut donc pas « juger comme des conciles de Bâle et de Constance où, en l’absence du pape, beaucoup s’attribuèrent son autorité. »[6]

Ainsi la convocation d’un concile n’est pas chose aisée pour le Pape qui peut alors craindre un affaiblissement de son autorité. Or il a besoin de garder une autorité suffisamment grande pour mener la réforme dont l’Église a besoin à un moment où justement elle est malmenée par les princes. Pour éviter un tel danger, d’autres solutions ont été menées.

Une réforme par le Pape seul ?

Au début des négociations pour la réunion d’un concile et jusqu’à l’élection de Paul III, en 1534, les Papes ne sont en fait guère enthousiastes à cette idée. Peu confiants en l’efficacité d’un concile, comme l’a montré le Vème Concile de Latran, ils préfèrent mener eux-mêmes les réformes. Ils sont en effet persuadés qu’ils peuvent régler seuls les problèmes que soulèvent les protestants. Lorsque le concile sera suspendu, Paul IV puis Jules III essaieront aussi de mener des réformes à leur niveau en formant à Rome des commissions d’évêques. Ils subiront de graves revers.

Les résistances aux réformes sont en particulier importantes au niveau de la Curie romaine. Elles viennent notamment de ceux qui ont trop d’intérêts à ne rien voir changer ou de ceux qui veulent défendre des coutumes prétendues inviolables, voire divines. Il faut du temps pour renouveler les hommes et les esprits. Les méthodes expéditives de Paul IV soulèveront de l’indignation et de la colère même dans le camp des réformés. À sa mort, Rome se soulèvera. Le principal obstacle demeure néanmoins les Papes eux-mêmes. Ils sont plus dignes que leurs prédécesseurs et tentent de montrer par leur exemple une véritable vie chrétienne. Le népotisme est encore pratiqué par les Papes. Le pontificat d’Adrien VI ne dure guère et ses successeurs comme Léon X ou Clément VI paraissent trop faible et indécis pour mener de réelles réformes. Les Papes demeurent encore trop politiques. Lorsque Charles Quint veut un concile, Clément VI n’est pas pressé de satisfaire son adversaire en dépit de ses déclarations. Il n’oublie pas qu’il a été son prisonnier après le saccage de Rome en 1527.

Réforme et concile pour le Pape Paul III

La position pontificale à l’égard du concile change radicalement à partir de l’élection du Pape Paul III en 1534. Le concile devient en effet une véritable priorité pour le Saint-Siège. Un effort diplomatique est mené auprès des princes pour obtenir leur consentement et faire cesser les guerres, conditions préalables à toute convocation. Des nonces sont envoyés en Allemagne, en France, à Vienne pour convaincre Charles Quint et les rois et trouver un accord de paix. Pendant tout son pontificat, le Pape mène de dures et de longues négociations pour qu’un jour de 1545, le concile de Trente s’ouvre enfin.

Pour justifier le recours au concile, Paul III précise dans sa bulle de convocation que ses propres forces ne suffisent pas. Selon la tradition qu’ont suivie ses prédécesseurs, il a recours au concile œcuménique comme « à un remède excellent et très convenable ». Il fait donc œuvre de continuité. Mais sa décision doit s’appuyer sur « le sentiment des princes » dont le concours sera utile et avantageux. Il parle de l’Empereur Charles Quint et du roi de France, François Ier, « les deux principaux appuis et soutiens du christianisme ». À partir de Paul III, les Papes ne cesseront pas de négocier avec les princes pour qu’ils y adhèrent. Mais ils sont confrontés aux intérêts de chacun et à des conditions jugées parfois inacceptables.

Tout en étant résolu pour le concile et sans attendre son ouverture, Paul III mène des réformes. Pour y parvenir, une commission est chargée de proposer des solutions. Elle publie le document intitulé Consilium de emendenda Ecclesia (1537) qui, après avoir rappelé les responsabilités du Pape et de la Curie romaine dans les désordres de l’Église, propose un programme de réformes que devra examiner un futur concile. Certaines mesures sont radicales et font l’objet de protestations de la part de la Curie romaine. Les résistances à la réforme sont encore plus fortes. Ce texte sera repris lors du dernier épisode du concile pour mettre en place les plus importants décrets disciplinaires.

Mais Paul III n’est pas suffisamment fort pour résister aux pressions des conservateurs et des gens en place. Néanmoins, sans suivre les recommandations du Concilium, il parvient à améliorer les organes de la Curie romaine. En outre, par le choix judicieux d’évêques et de cardinaux réformateurs, le clan de la réforme est plus nombreux et puissant. Leur influence sera déterminante pour l’avenir. Il faut néanmoins du temps …

Un contexte peu favorable à un concile

Il est difficile de réunir tous les évêques de l’Église catholique quand la guerre menace entre les nations chrétiennes ou quand elles sont profondément divisées. Les princes doivent ainsi accepter d’envoyer leurs évêques au concile. Si les rois sont en guerre avec l’Empereur, ils ne laisseront pas leurs évêques rejoindre un concile en terre d’empire. Et si l’un est en faveur du concile, son adversaire y sera naturellement opposé, chacun voyant dans l’autre une manœuvre politique. Ils doivent aussi le rejoindre en toute quiétude. Enfin, ils doivent pouvoir travailler dans de bonnes conditions, loin de toute pression, avec la participation en bonne intelligence des deux principaux princes de la Chrétienté.

Début de la guerre de Smalkalde (1546)



Néanmoins, les princes ne s’entendent guère et ne se pressent pas pour répondre aux vœux du Pape. Pourtant la situation s’empire, « la Hongrie se trouvant accablée par les Turcs, les Allemands en grand danger, et tous les autres abattus de terreur et d’affliction ». Le protestantisme poursuit son expansion. Paul III est donc résolu de passer outre des princes. Ainsi convoque-t-il le concile dans la ville de Trente le premier jour de novembre. Cette ville est présentée comme étant la plus commode pour accueillir les évêques et prélats d’Allemagne comme ceux de France et d’Espagne. Il est bien conscient des difficultés du temps et du contexte défavorable mais le temps presse et l’urgence est grande. Paul III se remet à la miséricorde de Dieu et à sa puissance qui « opère et accomplit ce qui surpasse les conseils des hommes ». Il demande donc aux princes de « laisser partir promptement et sans retardement les évêques et prélats pour le concile ». Il 
les invite aussi, ou à leurs représentant, d’y assister.

Les années qui précèdent le Concile de Trente sont des années de guerre. De 1526 à 1530, la France et l’Empereur sont en guerre. L’Italie est l’un des principaux théâtres d’affrontements. Rome est même saccagé par les lansquenets impériaux en 1527. Le Pape Clément VII est fait prisonnier. Elle reprend en 1536 pour trois longues années. En 1542, une nouvelle guerre fait suspendre le concile. Et lorsque les armes se taisent, la paix n’est qu’illusion. Chacun se prépare à de futurs conflits, mettant en place des ligues pour affaiblir leurs adversaires. Le temps n’est pas à la réconciliation.

Et les Turcs menacent encore l’Occident et plus précisément le Saint Empire Germanique. L’Empereur a besoin d’une croisade et donc d’un concile seul capable de lever les forces chrétiennes. Mais, la France se réjouit de cette menace qui affaiblit son ennemi. Elle se lie même aux Turcs. En 1542, le Saint Empire Germanique lutte finalement seul contre les Turcs. En 1543, les Turcs prennent la capitale de la Hongrie. Des troupes franco-turques assiègent Nice, ville impériale.

Des princes peu enthousiastes

L’empereur Charles Quint manifeste à plusieurs reprises une forte volonté de réunir le concile, se présentant ainsi comme un des promoteurs résolus, mais parfois aussi, il s’y oppose ou brandit l’arme d’un concile national. Sa position changeante s’explique par sa situation politique. Menacé par les Turcs et les Français, il a besoin d’alliés, notamment du Pape. Il est en outre affaibli par les divisions qu’il doit faire cesser. Les princes luthériens n’hésitent pas à lui poser des conditions pour lui donner les forces armées dont il a besoin. Soucieux de l’unité religieuse de son empire, il ne peut pas non plus ne pas entendre les exigences de la Diète, surtout en position de faiblesse.

Le roi François Ier (1515-1547) est hésitant. Il ne cesse pas de se dérober devant la volonté des Papes. Il cherche avant tout à affaiblir son adversaire, l’Empereur, tout en défendant les intérêts de son royaume contre les prérogatives pontificales. Il se souvient du Vème Concile de Latran, une victoire de la Papauté contre les prétentions françaises. Le Pape parvient à supprimer définitivement la Pragmatique Sanction pour la remplacer par un concordat et ainsi affaiblir le gallicanisme. En outre, à partir de 1539, François Ier abandonne toute idée du concile, privilégiant la méthode des colloques pour rapprocher et réconcilier les catholiques et les protestants. Le royaume de France est aussi divisé.

L’échec des tentatives de réconciliation

Colloque de Poissy, 1561
Nombreux sont ceux qui ne manifestent guère d’enthousiasme pour le concile. Pour rétablir l’unité religieuse et cesser les divisions, ils privilégient la méthode des colloques. Charles Quint est aussi plus intéressé par ce moyen pour parvenir à la réconciliation religieuse. Ces efforts de rapprochement par des rencontres ont aussi la faveur de nombreux théologiens catholiques et d’humanistes. Paul III ne semble pas s’y opposer. Il voit peut-être dans ces entretiens une étape préparatoire à un futur concile. Mais la politique de réconciliation et d’union que mène l’Empereur et bien d’autres princes s’avère illusoire devant le raidissement des protagonistes et la consolidation du protestantisme. Des querelles de procédures freinent terriblement les négociations. C’est souvent un signe d’une volonté de ne pas parvenir à l’unité. Après l’échec du colloque de Ratisbonne, en mai 1541, la solution du concile apparaît de nouveau comme le remède le plus judicieux.

Un concile improbable

Mais qui pourrait encore croire à un concile en 1545 ? Toutes les tentatives ont échoué en dépit de longues et d’interminables négociations. L’atermoiement des princes les freine. La guerre sans cesse renaissante ne laisse guère de répit. Les évêques et les abbés sont d’abord convoqués à Mantoue pour le 23 mai 1537 puis l’ouverture du concile est reportée au 1er novembre de la même année, et encore au 1er mai 1538 puis finalement à une date indéterminée. Luther et Henri VIII tournent en dérision ce concile « nulle part ». Qui croit encore au concile ?

Le choix de la ville pour réunir le concile manifeste toute la difficulté de sa convocation. Elle est en effet un véritable casse-tête pour le Pape. Pour éviter qu’un clan prédomine dans les débats et influence les décisions, Paul III veut que toutes les nationalités y participent. Cherchant donc l’accord de tous les grands princes, il est obligé de prendre en compte les besoins de chacun. Or le choix de la ville du concile est important. Les évêques doivent être en sécurité, sans craindre l’intervention d’une armée quelconque, tout en permettant aux princes d’intervenir dans les débats, notamment par l’intermédiaire de leurs représentants. Elle ne doit pas non plus être sous l’obédience d’un des princes afin de ne pas mécontenter ses adversaires.

Écoutant François Ier, Paul III refuse l’idée d’un concile en terre allemande comme le propose Charles Quint qui veut contenter les princes luthériens. En accord avec l’Empereur, Paul III propose en 1533 la ville de Mantoue, qui a l’avantage d’être une ville italienne en terre impériale. Mais, François Ier recommande Turin, ville plus proche de son royaume. Puis après quelques atermoiements, en 1535, il souhaite seulement un concile « en un lieu convenable, sûr, où Sa Majesté puisse intervenir, comme les autres, pacifiquement. » Elle abandonne finalement le choix de Turin et accepte à son tour la ville de Mantoue en 1535. Un concile est donc convoqué dans cette ville en 1537. Plus de trois ans d’âpres discussions ! Mais Mantoue ne dispose d’aucune citadelle. Or la guerre risque de reprendre. La protection du concile nécessite donc une véritable armée. Or comment un concile peut-il délibérer sous les armes ! Est-ce cela un concile libre ? Paul III y refuse. À son grand regret, il rejette ce choix, reportant une nouvelle fois le concile. Paul III propose donc Vicence qui relève de Venise. Finalement, en 1541, après d’âpres négociations, Trente, ville italienne mais en terre d’Empire, est proposée. Comme François 1er n’en veut pas, Paul III refuse ce choix. Il propose Cambrai. Ainsi les négociations doivent reprendre. Et après encore de multiples négociations, la ville de Trente est de nouveau choisie en 1542…

Trente se prépare donc à accueillir les évêques de toute l’Église catholique. Mais très peu d’évêques arrivent dans la ville. En mai 1543, ils sont une dizaine, à peu près tous Italiens. Aucun évêque français ni espagnol. La guerre entre les impériaux et les Français fait rage. L’Europe est encore en guerre depuis juillet 1542. En 1543, le roi d’Angleterre Henri VIII s’unit à Charles Quint. Une armée anglaise débarque à Calais. En septembre 143, les troupes françaises s’emparent du duché de Luxembourg. Charles Quint prend Cambrai en novembre. Plus tard, en avril 1544, les Français battent une armée impériale en Italie alors que Charles Quint avance sur Paris et que, depuis juillet, l’Angleterre assiège Boulogne-sur-Mer. Le concile risque d’être dissous avant même d’être ouvert ! Une nouvelle bulle finit par le suspendre. « La guerre, le refus de Trente par la France, la duplicité de l’Empereur, qui tantôt pressait, tantôt retardait la réunion du concile, la participation insignifiante des évêques, presque tous italiens, autant de raisons qui ont incliné Paul III vers la suspension. »[7]

La volonté de neutralité

Le choix de la ville révèle en fait la forte volonté du Paul III d’être neutre entre les puissances du moment. Elle explique aussi ses hésitations. Contrairement à son prédécesseur, il garde une position impartiale dans le conflit qui oppose Charles Quint et François Ier. Ménageant la France et refusant la suprématie impériale, il s’efforce de maintenir un certain équilibre des forces et des influences. Il refuse de s’allier au parti impérial qui accepte le concile sous condition d’une alliance contre la France. Il intervient aussi auprès des protagonistes pour faire cesser la guerre. La trêve de Nice en 1538 n’aurait pas eu lieu sans sa ténacité.

Cependant, lasse des négociations qui traînent et des prolongations répétitives du concile, la Papauté finit aussi par perdre tout espoir. Dans un mémoire daté de 1542, des canonistes proposent même ne plus y songer et de réunir plutôt une assemblée d’évêques qui délibérera sur la foi et la réforme en forme d’un conseil du pape.

Puis, contre toute attente, la paix revenue en 1544, une nouvelle bulle de convocation Laetare Jerusalem (19 novembre 1544) est publiée pour un concile le 15 mars 1545 dans la ville de Trente. Mais de nouveau, des négociations entre le Pape et l’Empereur font surseoir son ouverture. Cependant, progressivement, des évêques, des généraux d’Ordre religieux, des abbés arrivent, en grande majorité italiens. Finalement, après de nombreuses hésitations, le concile s’ouvre le 13 décembre 1545…

Conclusion

L’histoire de la convocation du Concile de Trente est particulièrement instructive. Elle montre d’abord l’importance du contexte politique dans les affaires de l’Église catholique. Le religieux imprègne la société et les hommes. Il ne peut vivre et se développer sans qu’ils interviennent, le perturbent ou la favorisent. Et l’Église n’est point hors du monde, indifférente au monde. Elle ne peut se désintéresser des hommes et des sociétés, et des princes qui les gouvernent. Elle est bien ancrée dans une réalité qu’elle ne peut méconnaître. Elle ne se nourrit pas d’utopie. Pour son malheur, en dépit de la crise que rencontrent l’Église et l’Europe chrétienne, les chefs d’États ne sont guère à la hauteur. Que de négociations ! Que de duplicité ! Ils sont sans aucun doute bien responsables de la division qui déchire la chrétienté. La dépendance des hommes de l’Église à l’autorité politique est une des causes de la crise qu’elle traverse. La réforme catholique réussira à retrouver une certaine indépendance à l’égard des princes contrairement à Luther qui finalement se soumet à leur autorité.

La position des protestants devient aussi de plus en plus nette. Consolidés dans de nombreux États, assurés de l’appui des princes, ils affermissent leur volonté de changer l’Église selon leurs vues sans aucun esprit de réconciliation. Ils rompent de nouveau avec l’histoire, confirmant leur volonté d’innovation. Par leur décision, les protestants éloignent le concile de tout rapprochement. Il est donc faux de voir dans l’origine du concile la volonté de combattre le protestantisme ou d’y trouver la cause de la séparation. Devant leur obstination et l’échec de toute recherche de réconciliation, peu à peu, le Pape comprend la nécessité de raffermir la foi catholique et de rassurer les hésitants.

Enfin, sans la volonté de certaines personnalités, le concile aurait été abandonné. L’indécision des Papes a certes grandement ralenti son ouverture mais il est indéniable que l’esprit de la réforme catholique a atteint le chef de l’Église. Il est déjà en mouvement, agissant partout. Mais face aux conservateurs, aux intérêts de certains dignitaires et organismes de la Curie romaine, face à l’opposition des souverains et à leurs privilèges, le Pape ne peut à lui-seul accomplir les réformes indispensables. Il se remet aux remèdes traditionnels de l’Église qu’est le concile. Dans l’histoire, le concile a été un moyen pour l’Église de résoudre les difficultés et les hérésies, de surmonter les obstacles et de poursuivre son chemin. Cette vérité historique s’avère encore juste au XVIe siècle. La réforme qu’entreprend l’Église est une continuité de toutes les réformes qu’elle a déjà connues, « dans le droit fil de la plus vieille tradition »[8]. C’est une réforme dans l’Église et par l’Église.

Face à tant d’obstacles, l’ouverture du concile est un véritable miracle. Le 13 décembre 1545, contre tout espoir, malgré les échecs répétitifs de nombreuses convocations sans lendemain, de suspensions souvent prévisibles, en dépit des pamphlets ironiques des adversaires de l’Église, le concile s’ouvre solennellement dans la cathédrale Saint-Vigile de la ville de Trente. Menacé par la guerre et la peste, il sera encore suspendu à nombreuses reprises. Il durera finalement dix-huit longues années. Travail laborieux et de longue haleine mais quelle œuvre ! De nos jours, pris dans l’effervescence du moment, ballotés par les médias et les réseaux sociaux, perturbé par l’immédiateté de nos communications, nos regards ne songent guère à scruter l’horizon lointain. Un chef d’État français ne voit pas au-delà de son quinquennat. La continuité de cette œuvre ne peut donc que nous surprendre, nous qui manquons tant de recul et de véritables ambitions. Mais l’Église ne mesure pas le temps. Elle est patiente…

Qui aurait cru aux succès éclatants du concile de Trente lorsqu’il s’ouvre le 13 décembre 1545 ? Comme un arbre qui grandit tout en étant le même, l’Église s’est ressaisie et s’est profondément réformée, faisant front contre l’erreur et l’immoralité, assurant la sûreté doctrinale et l’épanouissement de la vie chrétienne autour d’une Papauté rénovée. Un véritable mystère ! Signe éclatant de l’Esprit de Dieu agissant dans l’âme de l’Église. Voie impénétrable que celle de la Providence…





Notes et références

[1] Bulle de Paul III, souverain pontife pour la convocation du saint concile de Trente, œcuménique et général, dans Histoire du concile de Trente, S. J., cardinalt Sforza Pallavicino.
[2] Le nonce extraordinaire du Pape en Allemagne, Jérôme Aléandre, à Jules de Médicis, vice-chancelier de l’Église romain, Latran V et Trente, Histoire des conciles œcuméniques, tome X, Fayard, 1975.
[3] Luther, lors d’une rencontre entre le nonce Vergerio et les princes luthériens au château de l’électeur de Saxe, le 7 novembre 1535, dans Latran V et Trente, Histoire des conciles œcuméniques
[4] Paul III, Instructions données au nonce Guidiccioni le30 avril 1537 pour sa mission auprès de Charles Quint dans Concilium Tridentinum, IV, Diarorium, Actorum, Epistolarum, Tractatuum nova collectio, Fribourg, 1901, dans Latran V et Trente, Histoire des conciles œcuméniques.
[5] Charles Quint, 17 septembre 1526, dans Le Plat, Monumentorum  ad historiam concilii Tridentini … spectantium amplissima collectio, II, 288 dans Latran V et Trente, Histoire des conciles œcuméniques.
[6]Del Monte (1487-1555), légat pontifical lors de la première phase du Concile à Trente, futur pape sous le nom de Jules III (1550-1555), Concilium Tridentinum, I, 10.
[7] Latran V et Trente, Histoire des conciles œcuméniques.
[8] Daniel-Rops, L’Église de la Renaissance et de la Réforme, Une ère de renouveau, La Réforme Catholique, chap.  I.

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