Pourtant, en Amérique Latine, dans les années 60 et 70, l’Église a fait l’objet de vives critiques pour son attitude à l’égard de la pauvreté. De bons penseurs, évêques, théologiens et experts de toute sorte, lui reprochent non seulement de ne pas faire assez pour ce combat mais de concevoir les pauvres comme objets de charité au lieu de les rendre acteurs de leur propre histoire. Et comme dans d’autres matières, ils lui demandent de rompre avec sa doctrine traditionnelle afin d’agir en faveur de la libération intégrale de l’homme par lui-même. Tout un courant de pensée, connu sous le nom de théologie de la libération [1], draine ces critiques et, par ses réseaux et son dynamisme, parvient à influencer de nombreuses autorités ecclésiastiques, y compris au sein de deuxième concile de Vatican. En 1968, prenant pour appui ce concile, la conférence de Medellin [2] apparaît comme son heure de victoire, une nouvelle Pentecôte, à partir de laquelle naît une nouvelle forme d’Église.
Mais, à partir de la fin des années 70, elle provoque la réaction des évêques et de Rome, jusqu’ici plutôt favorables pour ce mouvement. Dès l’arrivée du pape Jean-Paul II (1978-2005), la théologie de la libération est en effet remise en cause au point qu’en 1982, la congrégation pour la doctrine de la foi finit par la condamner dans l’instruction Libertatis nuntius [3] Revenons sur ce texte qui définit les dérives théologiques d’un courant de pensée dangereux pour la foi et le christianisme…
Un temps de forte aspiration à la justice et de profond sentiment de frustration
L’Église n’est pas insensible à la misère de son temps. L’instruction rappelle les nombreuses interventions du Magistère de l’Église, depuis Paul VI, « pour répondre au défi lancé à notre époque par l’oppression et la faim » dans le but de réveiller les « consciences chrétiennes au sens de la justice, de la responsabilité sociale et de la solidarité avec les pauvres et les opprimés »(V, 1). De même, il ne peut être oublié « la somme immense de labeur désintéressé dépensé par des chrétiens […] qui s’efforcent d’apporter aide et soulagement aux innombrables détresses qui sont les fruits de la misère. »(VI, 1)
Objectif de l’instruction : alerter sur des dérives théologiques
L’instruction prévient que cette « mise en garde » ne doit pas être mal interprétée. Elle n’est pas une remise en cause de l’aide indispensable que des chrétiens apportent aux démunis « dans un authentique esprit évangélique à l’option préférentielle pour les pauvres »(avant-propos), ni un encouragement ou un appui à tous ceux qui demeurent « indifférents ou neutres devant les problèmes tragiques et pressants de la misère et de la justice. » L’Église continue à condamner « les abus, les injustices et les atteintes à la liberté, où que ce soit et quels qu’en soient les auteurs », mais ce n’est pas le but de l’instruction. Celle-ci a pour raison d‘être de signaler des dérives théologiques qui « aboutissent inéluctablement à trahir la cause des pauvres. »(avant-propos)
C’est pourquoi l’instruction s’applique, à la lumière de l’Évangile, à étudier le sens de l’aspiration des peuples à la justice et discerner les expressions, théoriques et pratiques, qui sont données de cette aspiration. Elle vise en fait rapidement à l’expression « théologie de la libération », qu’elle définit comme « une préoccupation privilégiée, génératrice d'engagement pour la justice, portée aux pauvres et aux victimes de l'oppression. »(III, 3) Mais, de cette approche, elle distingue « plusieurs manières, souvent inconciliables, de concevoir la signification chrétienne de la pauvreté et le type d’engagement pour la justice qu’elle requiert. »(III, 3)
Un faux combat
L’instruction affirme dès le départ ce que l’Église entend par « libération de l’homme ». Celle-ci est « d’abord et principalement libération de la servitude radicale de péché. »(avant-propos) Le péché est, selon la définition de l’Église, « un manquement à l’amour véritable, envers Dieu et envers le prochain » ou encore plus précisément et concrètement « la désobéissance volontaire à la loi de Dieu » [4].
Par le péché, l’homme se détourne de Dieu au point que, s’il est grave, il perd la vie surnaturelle de l’âme qui lui a été donnée par la grâce divine. Séparée de Dieu, son âme est dans un état de mort spirituel. C’est pourquoi le péché est dit mortel. S’il est plus léger, l’âme est affaiblie et abîmée. Le deuxième effet du péché est l’obligation de subir une peine selon l’acte commis. Le pécheur se met dans un état d’injustice et de colère. Alors que Dieu lui a promis son bonheur éternel, l’homme se met, par sa faute, dans un état de déchéance, se rendant esclave du péché.
Nous comprenons alors tous les efforts que l’Église mène pour éviter à l’homme de tomber dans le péché et dans sa servitude, et en cas de chute, pour le libérer de son état de pécheur afin qu’il retrouve la voie que son maître et fondateur lui a ouvert au prix de son sang. Ainsi, « son but et son terme est la liberté des enfants de Dieu. »(avant-propos)
Ainsi, l’instruction rappelle que la liberté pour un chrétien consiste en « la vie nouvelle de grâce, fruit de la justification »(IV, 2) ou qui se caractérise par « la vie dans l’Esprit ». Pour vivre libre, Notre Seigneur Jésus-Christ « nous a libérés du péché et de la servitude de la loi et de la chair, qui est la marque de la condition de l’homme pécheur. »(IV, 2)
Erreur de priorité…
Ainsi, dès son introduction, l’instruction rappelle l’ordre de ses priorités quand nous devons étudier la libération de l’homme. « Discerner clairement ce qui est fondamental et ce qui appartient aux conséquences est aussi une condition indispensable d’une réflexion théologique sur la libération. »(avant-propos) Elle condamne donc tous ceux qui mettent au premier plan et de manière unilatérale « la libération des servitudes d’ordre terrestre et temporel, de telle sorte qu’ils semblent faire passer au second plan la libération du péché, et par-là ne plus lui attribuer pratiquement l’importance première qui est la sienne. »(avant-propos)
Une mauvaise cible
Il est alors faux de considérer les structures économiques, sociales ou politiques comme la cause principale et unique du mal et donc de remédier à ce mal ou de créer un « homme nouveau » par l’instauration de nouvelles structures. Certes, il faut avoir le courage de changer des structures iniques et génératrices d’iniquités, mais, « fruit de l’action de l’homme, les structures, bonnes ou mauvaises, sont des conséquences avant d’être des causes. » (IV, 15). Car « la racine du mal réside donc dans les personnes libres et responsables, qui doivent être converties par la grâce de Jésus-Christ, pour vivre et agir en créatures nouvelles, dans l’amour du prochain, la recherche efficace de la justice, de la maîtrise de soi et de l’exercice des vertus. »(IV, 15)
Si le premier impératif est de révolutionner radicalement les rapports sociaux et de critiquer la recherche de la perfection personnelle, dont le principe demeure la charité, cela revient à ne plus distinguer « le caractère absolu de la distinction du bien et du mal »(IV, 15), et par conséquent à ruiner les fondements de l’éthique.
Fausse interprétation de la Sainte Écriture
L’instruction précise donc l’interprétation correcte des textes bibliques qu’utilisent les « théologies de la libération », principalement l’Exode. Si effectivement Dieu a libéré les Hébreux de la domination des Égyptiens, « cette libération est ordonnée à la fonction du peuple de Dieu et au culte de l’Alliance célébré au Mon Sinaï. »(IV, 3) Elle ne peut donc être réduite à « une libération de nature principalement et exclusivement politique. »(IV, 3) Cet événement annonce aussi une autre libération, une libération définitive que Dieu a promis à son peuple. De même, dans les psaumes, c’est de Dieu seul qu’est attendu le salut et le remède de toute misère et détresse, et non de l’homme. Et comme en témoigne encore le récit de l’exode, Dieu ne cesse d’intervenir pour soutenir son peuple.
Les livres prophétiques insistent sur le devoir de pratiquer la justice à l’égard des hommes pour demeurer fidèle à Dieu. C’est pourquoi Amos fulmine contre les riches qui oppriment les pauvres et les puissants qui commettent des iniquités.
Le Nouveau Testament reprend ses exigences tout en les élevant et en les approfondissant, ou encore en les perfectionnant. Car il n’y a pas de limite pour la charité. L’’instruction note que Notre Seigneur Jésus-Christ ne réclame pas un changement de conditions politiques et sociales. L’affranchissement qu’Il apporte est offert aux hommes libres comme aux esclaves. Saint Paul souligne dans ses épîtres les exigences de la charité fraternelle et de la miséricorde. Il nous révèle encore davantage que « le péché est le mal le plus profond » et que « la première libération, référence de tous les autres, est celle du péché. »(IV, 12)
Emprunts à l’idéologie marxiste incompatibles avec la foi
L’instruction définit en quoi le marxisme est incompatible avec la conception chrétienne de l’homme et de la société. Il contient des erreurs qui menacent directement les vérités de foi sur la destinée éternelle des personnes ainsi que sur la dignité humaine. Intégrer une analyse qui s’intègre dans le marxisme ne peut que produire de « ruineuses contradictions ».
L’usage d’expressions telles que « lutte des classes » n’est pas neutre. Ces expressions portent une signification que la doctrine marxiste lui a donnée et demeurent imprégnées de l’interprétation marxiste. Un tel usage est alors source de grave ambiguïté.
L’instruction reproche alors aux théologiens de la libération leur manque de précaution et de critique suffisante. Ainsi, elle « entend attirer l’attention des pasteurs, théologiens et de tous les fidèles, sur les déviations et les risques de déviation ruineux pour la foi et la vie chrétienne, que comportent certaines formes de théologie de la libération qui recourent, d’une manière insuffisamment critique, à des concepts empruntés à divers courants de la pensée marxiste. » (avant-propos) L’instruction demande un examen critique nature épistémologique et théologique.
Science et idéologie inséparables dans le marxisme
Des théologiens appliquent l’analyse marxiste, qu’ils jugent comme « une analyse scientifique des causes structurelles de la misère »(VII,2), à la situation du tiers-monde et spécialement à celle de l’Amérique latine. Or, le terme de « scientifique » appliqué à l’analyse, qui « exerce une fascination quasi-mystique », est faux. L’erreur de ces théologiens est de l’accepter sans porter d’examen critique de nature épistémologique.
Le marxisme constitue « une conception totalisante du monde » qui intègre des données de la réalité à une structure philosophico-idéologique, des « a priori idéologiques […] présupposés à la lecture de la réalité sociale. » ou encore un « amalgame épistémologiquement hybride » (VII, 6) au point d’être dans l’incapacité de distinguer ce qui relève de la science ou de l’idéologie. Ainsi, en croyant accepter ce qui se présente comme une analyse, nous sommes entraînés à accepter en même temps l’idéologie. « C'est pourquoi il n'est pas rare que ce soient les aspects idéologiques qui prédominent dans les emprunts que nombre de « théologiens de la libération » font à des auteurs marxistes. »(VII, 6)
L’instruction reprend la mise en garde de Paul VI sur le lien existant entre la pensée et la pratique dans le cadre du marxisme : « il serait illusoire et dangereux d'en arriver à oublier le lien intime qui les unit radicalement, d'accepter les éléments de l'analyse marxiste sans reconnaître leurs rapports avec l'idéologie, d'entrer dans la pratique de la lutte des classes et de son interprétation marxiste en négligeant de percevoir le type de société totalitaire à laquelle conduit ce processus. »[6]
Absence de discernement de nature théologique
Puisque « c’est à la lumière de la foi qui fournit à la théologie ses principes »(VII,10), le théologien doit faire l’objet d’un discernement critique de nature théologique avant d’apporter dans ses réflexions des éléments philosophiques, des sciences sociales ou d’autres disciplines. Cette utilisation ne peut qu’être d’ordre instrumental. « Autrement dit, le critère ultime et décisif de vérité ne peut être, en dernière instance, qu'un critère lui-même théologique. »(VII, 10) C’est à la lumière de la foi qu’il doit juger de la validité et du degré de la validité de cet apport.
Enfin, « la première condition d'une analyse est la totale docilité à l'égard de la réalité à décrire. C'est pourquoi une conscience critique doit accompagner l'usage des hypothèses de travail que l'on adopte. »(VII,13) Or, par principe, ces hypothèses reflètent un point de vue particulier, soulignant des aspects du réel au détriment d’autres. Or en recourant à une conception totalisant telle que le marxisme, cette limitation est ignorée.
Une subversion du sens de la vérité
L’instruction définit alors les composantes du noyau idéologique auquel se réfère des théologies de la libération et en arrive à conclure à une subversion du sens de la vérité, une vérité qui n’existe que dans et par la praxis, c’est-à-dire dans le combat de la classe révolutionnaire.
En outre, « la loi fondamentale de l'histoire qui est la loi de la lutte des classes implique que la société est fondée sur la violence »(VIII, 6), une violence à laquelle doit répondre la contre-violence révolutionnaire, permettant de renverser le rapport de domination des riches sur les pauvres. En entrant dans ce processus, on « fait » la vérité, on agit « scientifiquement ». « En conséquence, la conception de la vérité va de pair avec l'affirmation de la violence nécessaire, et par là avec celle de l'amoralisme politique. »(VIII, 7) Les réformes radicales et courageuses ne se réfèrent donc plus à une éthique.
Et cette loi de la lutte de classe touche toutes les disciplines et en constituent l’élément déterminant. « De fait, c'est le caractère transcendant de la distinction du bien et du mal, principe de la moralité, qui se trouve implicitement nié dans l'optique de la lutte des classes. »(VIII, 9) C’est un système totalisant qui n’épargne rien.
La subversion du christianisme
Le sens même du pauvre est perverti. « L’Église des pauvres » telle qu’ils la définissent « signifie alors une Église de classe, qui a pris conscience des nécessités de la lutte révolutionnaire comme étape vers la libération et qui célèbre cette libération par la liturgie. »(IX, 10) Nous retrouvons la même perversion dans l’expression « Église du peuple », « l'Église du peuple opprimé qu'il s'agit de « conscientiser » en vue de la lutte libératrice organisée »(IX, 12), une Église où, pour certains, le peuple est objet de foi. Une nouvelle conception de l’Église apparaît donc…
Cette conception de l’Église conduit à la critiquer dans sa structure sacramentelle et hiérarchique. La hiérarchie et le Magistère sont désignés comme des représentants la classe dominante qu’il faut combattre. « Théologiquement, cette position revient à dire que c'est le peuple qui est la source des ministères et qu'il peut donc se doter des ministres de son choix, selon les besoins de sa mission révolutionnaire historique. »(IX, 13) Et puisque la hiérarchie et le Magistère appartiennent à la classe des oppresseurs, ils ne font que refléter les intérêts de leur classe. Par conséquent, leurs discours sont par principe discrédités. Le point de vue de la classe opprimée et révolutionnaire constitue le seul point de vue de la vérité. « Dans cette perspective, on substitue à l’orthodoxie comme droite règle de la foi, l'idée d'orthopraxie comme critère du vrai. »(X, 3) Donc la Tradition est écartée.
Un christianisme dénaturé
En considérant la lutte des classes comme moteur de l’histoire, celle-ci devient une « notion centrale ». Il n’y a plus qu’une histoire. En supprimant la distinction entre histoire du salut et histoire profane, des théologiens de la libération tendent par là à « identifier le Royaume de Dieu et son devenir au mouvement de libération humaine et à faire de l’histoire elle-même le sujet de son propre développement comme processus, à travers la lutte des classes, de l’autorédemption de l’homme. »(IX, 3) Des théologiens vont même identifier Dieu et l’histoire et à définir la foi comme « fidélité à l’histoire », c’est-à-dire à un engagement politique à l’égard d’un messianisme temporel. « En conséquence, la foi, l'espérance et la charité reçoivent un nouveau contenu : elles sont « fidélité à l'histoire », « confiance dans le futur », « option pour les pauvres ». Autant dire qu'elles sont niées dans leur réalité théologale. »(IX, 6)
Finalement, les vérités de foi sont subordonnées à un critère politique, lui-même dépendant de la théorie de la lutte des classes. La lecture de la Sainte Écriture se plie aussi à ce critère.
La vérité de Notre Seigneur Jésus-Christ nous rend libre
Or, comme le souligne l’instruction, toute libération authentique a « pour piliers indispensables, la vérité sur Jésus-Christ, le Sauveur, la vérité sur l’Église, la vérité sur l’homme et sur sa dignité »(XI, 5) et que « la défense efficace de la justice » doit s’appuyer sur « la vérité de l’homme, créé à l’image de Dieu et appelé à la grâce de la filiation divine ».
Ce combat doit être mené avec des moyens conforme à la dignité humaine et ne peut recourir systématiquement et délibéré à la violence aveugle. S’il est nécessaire de réformer radicalement des structures, il ne faut pas oublier que « la source des injustices est dans le cœur des hommes. »(XI, 8) C’est en convertissant les hommes que des changements sociaux pourront se faire. « L'inversion entre moralité et structures est imprégnée d'une anthropologie matérialiste incompatible avec la vérité de l'homme. »(XI, 8) Et la naissance d’un homme nouveau ne peut s’obtenir par de structures nouvelles. Car toute vraie nouveauté vient du Saint Esprit. Et « Dieu est le maître de l’histoire. »(XI, 8)
Les dangers de certaines théologies de la libération
Ainsi, des théologies de la libération reposent sur le mythe de la lutte des classes et sur des illusions. Ce n’est qu’un mirage que nous devons justement nous libérer. Ainsi, elles « proposent du contenu de la foi et de l’existence chrétienne une interprétation novatrice qui s’écarte gravement de la foi de l’Église, bien plus, qui en constitue la négation pratique. » (VI, 10) L’instruction définit comme source de corruption du « généreux engagement initial en faveur des pauvres » deux fautes : « des emprunts non critiqués à l’idéologie marxiste » et « le recours aux thèses d’une herméneutique biblique marquée par le rationalisme ». Enfin, l’instruction s’étonne que les « théologies de la libération » ne portent que vers les pauvres et délaissent les jeunes. Il est vrai aussi qu’elle néglige d’autres catégories de personnes faibles et démunis, comme les malades et les personnes âgées.
L’instruction s’achève par différents appels aux pasteurs pour qu’ils forment davantage les fidèles sur le sens véritable et intégrale du salut.
Le renouvellement des condamnations dans une approche plus positive
La nouvelle instruction ne remplace pas la précédente. Elle rappelle en effet que les aspirations à la libération « revêtent parfois, aux plan théorique et pratiques, des expressions qui ne sont pas toujours conformes à la vérité de l’homme telle qu’elle se manifeste à la lumière de sa création et de sa rédemption »(1). Ainsi, nous renvoie-t-elle vers l’instruction Libertatis nuntius. Les avertissements que celle-ci dénonce « apparaissent toujours plus opportuns et pertinents. »(1).
Sans être aussi ferme que la précédente, l’instruction condamne donc de nouveau « la théorie qui voit dans la lutte des classes le dynamisme structurel de la vie sociale », le « mythe de la révolution » ou encoure le recours systématique à la violence. Il y a « une moralité des moyens »(78)
Elle conclue qu’« une théologie de la liberté et de la libération [..] constitue une exigence de notre temps » mais elle en avertit les dangers. « Ce serait une grave perversion que de capter les énergies de la religiosité populaire pour les détourner vers un projet de libération purement terrestre, qui se révélerait très tôt être une illusion et une cause de nouvelles servitudes. Ceux qui ainsi cèdent aux idéologies du monde et à la prétendue nécessité de la violence ne sont plus fidèles à l'espérance, à sa hardiesse et à son courage, tels que les magnifie l'hymne au Dieu de miséricorde que la Vierge nous enseigne »(98) dans son Magnificat.
Une reprise des principaux thèmes des théologies de la libération
Elle encourage aussi les communautés ecclésiales de base, qui sont des « motifs de grande espérance pour l’Église », mais à la condition qu’elles vivent en communion avec l’Église dans la fidélité à l’enseignement de « l’intégralité de la foi chrétienne » et « à l’enseignement du Magistère, à l’ordre hiérarchique de l’Église et à la vie sacramentelle. »(69)
L’instruction reprend le terme de « praxis », si cher aux théologiens de la libération, mais en lui donnant une signification chrétienne. Il devient « la mise en œuvre du grand commandement de l’amour », « principe suprême de la morale sociale chrétienne, fondée sur l’Évangile et toute la tradition depuis les temps apostoliques et l’époque des Pères de l’Église jusqu’aux interventions récentes du Magistère. » (71). La « praxis chrétienne », au plan de la société, est éclairée par la doctrine sociale de l’Église, qui fournit « les principes de réflexion » et « les critères de jugement » pour accomplir en profondeur les changements nécessaires pour le bien des hommes et inspire des directives d’action.
Conclusions
Or, si la méthode soulève de légitimes questions et de vrais doutes sur sa pertinence et son efficacité, la question porte surtout sur le regard que nous portons sur la réalité. Est-ce un regard plus ou moins inspiré ou influencé par le marxisme ? Ou est-il porté par la foi ? Les actions qui en découlent sont-elles conformes à la charité et à la morale chrétienne ? Enfin, la lecture de la Sainte Écriture est-elle faite à la lumière de la foi ? Les deux instructions de la Congrégation pour la doctrine de la foi sont particulièrement claires. Sans cette fidélité à la foi, toute théologie est vouée à la déviation et à l’erreur, et donc à l’échec.
Enfin, la nécessité de condamner les erreurs des théologies de la libération et de souligner les dangers qu’elles peuvent générer ne doit pas nous détourner de l’exigence de la charité comme le rappellent les deux instructions. Contrairement aux accusations de ses adversaires, Rome ne se contente pas de tenir son rôle légitime de défenseur de la foi comme tout véritable pasteur. Elles encouragent les chrétiens engagés dans des actions sociales et refusent de donner des arguments à ceux qui demeurent neutres ou indifférents à la misère. Comme elles ne cessent de le réaffirmer, l’Église n’a pas attendu les théologiens de la libération pour combattre toute forme de servitude et aider ceux qui vivent dans la misère sans oublier néanmoins la racine de tout mal, qu’est le péché…
Notes et références
1 Voir Émeraude, avril 2025, article "La théologie de la libération".
2 Voir Émeraude, mai 2025, article "Medellin 1968, une nouvelle Pentecôte en Amérique Latine, naissance d'une nouvelle Église ? ...".
3 Cardinal Joseph Ratzinger, Instruction Libertatis Nuntius sur quelques aspects de la « théologie de la libération », 6 août 1984, Congrégation pour la doctrine de la foi, vatican.va.
4 Chanoine L.-E. Marcel, article « péché », Dictionnaire de culture religieuse et catéchistique, Imprimerie Jacques & Démontrond, 1938.
5 Voir Émeraude, février 2013, article "Péché d'origine, péché originel".
6 Paul VI, Octogesima Adveniens, n°34, à l’occasion du 80e anniversaire de l’encyclique Rerum Novarum, AAS 63, 14 mai 1971.
7 Cardinal Ratzinger, Instruction Libertatis conscientia sur la liberté chrétienne et la libération, Congrégation pour la doctrine de la foi, 22 mars 1986, vatican.va.
8 Leonardo Boff, journal Folha, Sao Paulo, 31 août 1984 dans Théologie de la libération et Realpolitik, Claude-François Jullien, Politique étrangère, année 1984, 49-4, persee.fr.