Dans notre quête de Vérité, nous cherchons avant tout celui qui détient une connaissance sûre et la maîtrise. Ainsi pourrons-nous croire que ce que nous savons est vrai. Car il y a « une profonde différence entre estimer que l’on sait et croire, sur l’autorité d’un témoignage, ce que l’on comprend qu’on ne sait pas » [1](XII, 25). Par nous-mêmes, pouvons-nous en effet savoir que nous sommes dans le vrai ? Seul un témoignage jugé crédible permet de nous en assurer. Ce jugement est finalement la base de notre connaissance.
Ainsi avant même de comprendre les paroles du maître, l’élève est obligé de croire en son maître. Il croit aussi être capable et digne de l’entendre. De même, le maître doit croire que son élève est suffisamment capable et digne de le comprendre. Cette mutuelle confiance est la base de l’enseignement et de la connaissance.
La nécessité d’un maître
Nous recherchons un maître car nous connaissons nos limites et notre ignorance. Nous savons combien il est difficile de connaître. Seuls, nous ne pouvons guère faire ce long chemin de la véritable connaissance. Nous n’en avons ni le temps, ni les capacités. Comment l’homme pourrait-il avancer dans la connaissance s’il ne s’appuie pas sur ceux qui connaissent déjà ? Mais avant même de se nourrir de connaissance, faut-il avant tout savoir ce que nous ne savons pas ? Se poser de bonnes questions est plus essentiel encore que d’y répondre ! Mais faut-il encore avoir un maître pour nous apprendre à nous les poser…
Un des grands dangers dans la quête de la Vérité n’est pas de ne pas savoir mais de méconnaître ses véritables capacités ou plutôt d’avoir une fausse croyance sur soi. « Personne ne se fait une idée exacte de ses capacités ; il faut pousser celui qui les sous-estime, modérer celui qui les surfait, de peur que l’un ne soit abattu par le découragement, l’autre jeté à l’abîme par la présomption » [1](X, 23). La recherche de la Vérité s’appuie donc sur la connaissance de soi, connaissance qui ne peut être acquise que par le regard extérieur et par une main experte et délicate. N’est-ce pas l’un des rôles fondamentaux des professeurs ? Combien d’élèves ont-ils brillé par leur intelligence grâce aux efforts pédagogiques des enseignants qui ont su les motiver et leur donner confiance ? Toute connaissance s’appuie donc sur une croyance, au moins sur l’estime ou non de soi.
Saint Augustin distingue :
- ceux qui croient savoir ce qu’ils ne savent pas. Comment peuvent-ils alors gagner de la connaissance sans d’abord acquérir cette droite raison, c’est-à-dire cette vertu qui nous écarte de la détestable présomption ? « Nulle action n’est accomplie correctement si elle ne procède de la droite raison » [1](XII, 27) ;
- ceux qui sont conscients de ne pas savoir et qui ne cherche pas de manière à trouver.;
- ceux encore qui ne pensent pas savoir et ne veulent pas chercher.
Comment celui qui s’est persuadé qu’il sait déjà peut-il être capable d’apprendre ? Comment pouvons-nous ouvrir un livre si nous sommes déjà persuadés de ne pas le comprendre ? Comment enfin pouvons-nous poser une question à un maître si nous sommes persuadés qu’elle est stupide ou inutile ?
La connaissance réfléchie
La connaissance est inutile si elle n’est pas associée à « la certitude de la connaissance réfléchie »[1]. C’est ce que nous appelons « comprendre ». « Comprendre est affaire de raison ». Le savoir est donc fortement associé à une démarche rationnelle mais tous les hommes sont-ils capables de la mener sur tous les sujets et à tous les niveaux de complexité ? Nous sommes tous doués d’intelligence. En théorie, nous sommes tous capables d’accéder au même niveau de connaissance mais en pratique, que d’illusions ! Non seulement, l’intelligence doit être convenablement formée pour qu’elle s’exerce correctement, ce qui nécessite une éducation et une formation, du temps et des moyens auxquels tous ne peuvent pas prétendre. La réflexion nécessite un apprentissage et de l’exercice. Notre formation dépend aussi du milieu social dans lequel nous vivons sans oublier peut-être notre héritage génétique qui pourrait favoriser ou non l’acquisition de connaissances. La réalité nous fait rapidement comprendre que nous ne sommes pas tous naturellement égaux devant la connaissance. Une telle égalité n’est qu’une fiction, une négation de la réalité…
Si nous devons laisser à tous le soin de comprendre avant de croire, c’est-à-dire de faire dépendre leurs certitudes de leurs seules capacités intellectuelles, nous serions conduits à laisser la plupart des hommes dans l'ignorance. La Vérité ne serait finalement accessible qu’aux savants ou aux hommes motivés et libres de toute occupation, et surtout chanceux. Une part infime de l’humanité ne serait alors que dans le vrai… La Vérité est-elle alors l’apanage d’une élite ?… La masse est-elle donc condamnée à l’ignorance et à l’erreur ?
Enfin, nous entendons souvent que la connaissance permet de nous purifier. Or « prétendre voir le vrai pour se purifier l’esprit, alors précisément qu’il faut le purifier pour voir, c’est évidemment renverser l’ordre et commencer par la fin »[1] (XVI, 34). L’homme est incapable par lui-même de fixer son regard sur le vrai s’il n’est d’abord purifié. C’est justement le rôle du maître de former son regard et de le tourner vers la Vérité afin qu’il soit capable de connaître. Le maître doit ainsi mettre l’élève dans les dispositions intérieures nécessaires pour apprendre avant de lui transmettre ses connaissances.
Le nécessaire recours à l’autorité
Compte tenu de nos faiblesses et du peu de temps que nous pouvons nous consacrer à l’étude, nous sommes dans l’obligation de nous appuyer sur l’autorité de maîtres sages et motivés si nous voulons atteindre la Vérité. Non seulement nous saurons mais de plus nous gagnerons en sérénité car leur autorité nous assure la certitude de ce que nous possédons, et par conséquent, nous serons dans la paix.
Ainsi pour connaître, faut-il nous appuyer sur une autorité compétente. Elle forme nos regards, nous motive et nous guide dans nos quêtes, nous transmet un savoir authentique, nous exerce à l’exercice de l’intelligence mais avant tout nous met dans les conditions d’apprendre. Ensuite, notre propre raison nous conduit à la compréhension et à d'autres connaissances. Se remettre à une autorité est preuve de sagesse…
Mais si « l’autorité ne va jamais sans raison » (Saint Augustin, De vera religione, XXIV, 45), elle nécessite avant tout de la croyance. Et l’autorité réclame la foi en elle. Il est donc nécessaire de croire avant de comprendre. C’est tellement nécessaire que nous le faisons tous les jours…
[1] Saint Augustin, De utilitate Credendi.
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