" La pierre précieuse, voire de grand prix aux yeux de certains, qu'est l'émeraude, se voit insultée par un morceau de verre habilement truqué, s'il ne se rencontre personne qui soit capable de procéder à un examen et de démasquer la faute. Et lorsque de l'airain a été mêlé à l'argent, qui donc, s'il n'est connaisseur, pourra aisément le vérifier ? "(Saint Irénée, Contre les hérésies)


mercredi 7 janvier 2015

Les manuscrits bibliques : argument apologétique

Les textes bibliques que nous lisons ne sont pas les œuvres originales. Cela signifie-t-il automatiquement qu’ils ne sont pas dignes de confiance ? Les siècles qui nous séparent d’eux nous les rendent inaccessibles au point qu’ils peuvent légitimement troubler certaines consciences. Nous ne pouvons ignorer les effets du temps et les diverses manipulations humaines qui ont pu les maltraiter. Cependant, nous en possédons des copies très anciennes, de différentes origines, plus ou moins complètes, parfois des traces. Ces manuscrits ou fragments bibliques peuvent-ils apaiser nos craintes ? Certes, ils nous révèlent un trésor inestimable mais renforcent-ils nos inquiétudes ou les allègent ? De plus, nous sommes parfois démunis face aux attaques contre l’intégrité de la Sainte Écriture. Les médias en sont friands. Telle découverte remettrait ainsi régulièrement en cause tel Livre Saint. Dans cet article, nous allons donc nous attarder sur ces écrits antiques et sur leurs études...
L’abondance des manuscrits anciens
Aujourd'hui, nous estimons à plus de six mille manuscrits [1] relatifs à la Bible hébreu sans compter les versions grecques, araméennes, etc. et à vingt cinq mille manuscrits  concernant le Nouveau Testament. En 1986, nous comptions plus de six mille manuscrits uniquement en grec ancien. Il en existe d’autres de langue syriaque, latine, copte, etc. Certains ne sont que des fragments qui ne contiennent que des chapitres, voire que des versets de la Sainte Écriture. Ces manuscrits sont rarement complets.
Comme le soulignent souvent les spécialistes du domaine, nous avons actuellement plus de manuscrits bibliques que de copies d’œuvres littéraires antiques. Ils sont en outre plus proches des textes originaux et plus anciens que les livres profanes. Or si l'intégrité des textes sacrés est souvent remise en cause, ce n'est guère le cas des autres livres antiques.  
Fragment ancien de l'Évangile selon Saint Jean
Papyrus Rylands P52
La datation de ces manuscrits évolue entre le IIIe siècle avant Jésus-Christ et le IXe siècle après l'ère chrétienne. Avant la découverte des manuscrits de Qumrân, les fragments les plus anciens de l’Ancien Testament dataient du IIe siècle (papyrus Ryland II [2]), voire du Ier siècle avant Jésus-Christ (papyrus Nash [3] ). Un fragment du livre de Samuel daterait du IIIe siècle avant Jésus-Christ. Le manuscrit le plus vieux relatif au Nouveau Testament est un fragment de l’Évangile selon Saint Jean, daté de 125. Des manuscrits du IVe siècle, entre 330 et 360, contiennent en très grande partie la Sainte Bible. La Septante complète la plus ancienne dont nous disposons date du IXe siècle. La célèbre découverte des manuscrits de la mer Morte nous ramène à une période comprise entre le début du IIIe siècle avant Jésus-Christ et le IIe siècle après Jésus-Christ. Nous retrouvons l’ensemble de la Sainte Écriture sauf le livre d’Esther.
L’importance apologétique de ces manuscrits
Ces manuscrits sont très importants pour la défense de la foi, notamment pour réfuter ceux qui remettent en cause le canon biblique, l’intégrité et l'authenticité des Livres Saints. Face aux découvertes archéologiques et paléographiques, certaines voix peuvent désormais se taire. Par exemple, un manuscrit [4] daté de 200 environ est formé de neuf lettres de Saint Paul dont l’épître des Hébreux, ce qui signifie qu’à cette époque, cette dernière lettre était déjà reconnue comme étant celle de Saint Paul, fait remarquable qu'il faut rappeler à tous ceux qui doutent encore de l’authenticité de cette épître. Il montre aussi qu’à cette date, elle avait la même valeur sacrée que les autres lettres. Le fragment de Saint Jean est aussi très précieux. Sa date est estimée à 125, c’est-à-dire moins de quarante ans après la mort de l’Apôtre. L’original est donc encore plus ancien. Or selon une hypothèse classique, ce livre aurait été écrit par un homonyme qui aurait vécu à une époque plus récente. Cette hypothèse est désormais difficile à tenir.
Rouleau d'Isaïe (manuscrit de Qumrân)
Ces manuscrits sont aussi remarquables pour évaluer la valeur de la transmission de la Parole sacrée. La première question légitime et naturelle que nous pouvons en effet nous poser porterait sur l’intégrité des textes : sont-ils différents ou non de nos livres actuels ? Quel est l'écart pouvons-nous en effet constater entre ces manuscrits anciens et les versions bibliques que nous lisons aujourd'hui ? Sont-ils importants ou superficiels ? Selon de nombreux spécialistes, les différences entre les versions bibliques sont très minimes. « Les textes découvertes dans la grotte numéro un de Qumrân sont identiques aux textes actuels pour plus de 95%. Les différences ne concernent que des détails sans signification : orthographe, emploi de mots synonymes, quelques erreurs de copie… »[5] Les différences ne semblent porter que sur des points de grammaires ou d’orthographe et non sur le sens. Concernant le Nouveau Testament, « nous pouvons partir de l’hypothèse solidement fondée que le texte employé dans les versions bibliques courantes est pratiquement identique à l’original  »[6]. On parle de 98% de textes garantis. Cette opinion provenant du milieu évangélique est aussi partagée par l’ensemble des spécialistes catholiques ou non.
« On peut dire avec certitude qu’aucune autre œuvre de l’Antiquité n’a été transmise avec autant d’exactitude. »[7] Il faut donc prendre conscience de la quantité et de la qualité des manuscrits bibliques que nous possédons. Ils sont de loin supérieurs à tout ce que nous avons pour les textes classiques de l’antiquité. Les discussions actuelles ne portent pas réellement sur le contenu des textes mais sur le canon biblique comme nous l’évoqueront dans le prochain article.
D'autres sources aussi anciennes
Les versions anciennes de la Sainte Écriture nous sont aussi connues par les citations des Pères de l’Église ou des juifs et par leurs commentaires. L’un des manuscrits le plus significatif est par exemple le Diatesseron, daté du IIIe siècle. C’est une compilation des Évangiles en un seul. Selon Eusèbe de Césarée, il serait l’œuvre de Tatien (120, mort après 173). Nous prenons ainsi contact indirectement aux textes en vigueur à l’époque. Nous pouvons aussi évaluer la reconnaissance des textes bibliques dans certaines communautés ou régions, voire leur réception dans toutes les communautés chrétiennes.
Les citations bibliques peuvent aussi être comparées aux fragments dont nous disposons, ce qui permet de consolider leur datation et évaluer leur intégrité. Le Diateresson de Tatien montre en particulier que tous les évangiles actuels ont au moins été écrits avant l’année 170.
L’étude des manuscrits
Les manuscrits bibliques se distinguent par :
  • leur support : le matériel (pierre, papyrus, parchemin, etc.) et la forme (rouleaux, codex, etc.) ;
  • leur usage : lectionnaire, littéraire, commentaire, glossaire, talisman ;
  • l’écriture : le style de l’écriture, le type de lettres, la forme des lettres, la ligature (signes liant deux caractères ou plus), l’esprit (signes de prononciation), etc. ;
  • la langue : grec ancien, hébreu, araméen, latin, etc.

C’est par l’étude de ces différents aspects d’un manuscrit qu’il est possible d’obtenir certaines informations, notamment sa date. 
Les matériaux de l’écriture : papyrus et parchemin
Plusieurs matériaux ont été utilisés pour l’écriture au cours de l’antiquité : tablette d’argile, tablette de bois, papyrus, parchemin plus ou moins fin. Les Juifs écrivaient habituellement sur des papyrus, des parchemins ou encore sur des tablettes de bois.

Né vers 3000 ans avant Jésus-Christ, le papyrus était le matériau le plus répandu avant l’ère chrétienne. Le tracé avec une plume et de l'encre sur un papyrus revenait certes plus cher que la gravure de signes dans l'argile humide mais le résultat était plus durable et le document plus facile à utiliser et à transporter. Les plantes de papyrus bordaient autrefois les rives du Nil. Les tiges étaient coupées et dépouillées de leur écorce, puis on découpait la moelle en bandes longues et minces, que l'on plaçait côte à côte pour former une feuille. On disposait une deuxième couche perpendiculairement à la première. Après avoir imbibé le tout d'une colle faite de farine de froment, on pressait les feuilles et on les faisait sécher. Enfin, chaque feuille était frottée avec de l'huile de cèdre. Ce matériau se conservait si bien que, dans le climat sec de l'Égypte, il a survécu pendant des siècles jusqu'à notre époque. Jusqu'au VIIIe siècle, le papyrus fut utilisé comme support d'écriture. Sa durée de conservation est estimée à 20 ans.
Né au IIe siècle avant Jésus-Christ, le parchemin était préparé à partir de peaux d'animaux [8], spécialement à l'eau de chaux. Comme sur le papyrus, on écrivait sur le parchemin avec de l'encre mais ce dernier se conservait plus longtemps, et, grâce à sa résistance, on avait toujours la possibilité de le gratter et d'y écrire à nouveau par-dessus. Ainsi une même feuille de parchemin pouvait être utilisée plusieurs fois. Malheureusement, au Moyen Âge, on effaçait les vieux manuscrits avec de la pierre ponce et du sable pour les réutiliser. Ensuite, on y écrivait ou peignait maintes fois encore. Parfois même on en fabriquait des semelles de chaussures. Des techniques modernes, comme la photographie à la lumière ultraviolette ou un procédé chimique, permettent de nos jours de faire apparaître un texte ancien,  sur un parchemin réutilisé. De tels parchemins écrits plusieurs fois sont appelés palimpsestes [9]. Le manuscrit intitulé « Ephraemi rescriptus » numéroté C4, daté du Ve siècle, est un texte biblique qui a été recouvert au XIIe par une version grecque d’un traité de Saint Ephrem.
Outre ces matériaux d'écriture, on a aussi utilisé le cuir, beaucoup moins fin. Il était préparé à partir de peaux d'animaux. Le procédé était cependant moins coûteux et, à la différence du parchemin, la peau n'était pas traitée à l'eau de chaux mais au tannin.
Selon une tradition rabbinique, les textes sacrés juifs devaient être écrits sur des peaux non refendues, ou « gewil ». Les Juifs en Égypte utilisaient plutôt le papyrus pour les écritures profanes ou pour des textes sacrés destinés à l’usage privé. Les Chrétiens ont plutôt utilisé le papyrus pour les copies de l’Écriture Sainte. Mais peut-être à cause de l’étendue des Livres saints, ils ont fini par utiliser le parchemin.
L’encre était un mélange fait de suie et de gomme arabique, conservé à l'état solide. Le copiste la délayait à l'eau à mesure qu'il en avait besoin. Sa plume, appelée calame, était une simple tige de roseau dont une des extrémités, ramollie dans de l'eau, ressemblait plutôt à un fin pinceau.
Nous pouvons enfin noter un dernier support pour l’écriture, beaucoup plus ancien : les tablettes de bois enserrées dans un cadre en relief. Parfois, ces tablettes étaient enduites d’une cire sur laquelle on pouvait écrire au moyen d’un stylet.
Nous pouvons constater que les juifs n’écrivaient pas sur la pierre. Le matériel est donc périssable. Ainsi les documents écrits de l’époque antique sont assez rares. Pour les préserver du temps, il faut en effet un sol sec, fort rare en Judée et en Galilée.
Les formes des supports : volumina et codex
Les premiers supports étaient sous forme de rouleaux que nous retrouvons encore dans les synagogues. Des feuillets étaient cousues les uns à la suite des autres, obtenant ainsi un rouleau du livre pouvant atteindre six à neuf mètres de long. Il s’enroulait autour de deux bâtons sous forme de cylindre. Le « volumina » désigne ces feuillets de papyrus ou de parchemins enroulés sur eux-mêmes.
Vers le Ve siècle avant Jésus-Christ, les tablettes de bois étaient composées de feuilles. Elles étaient rassemblées les unes aux autres au moyen de lanières passées dans des trous. L’ensemble formant une sorte de tronc d’arbre, il a pris le nom de codex [10]. A la fin du Ier et début IIe siècle, les tablettes ont été remplacées par des parchemins ou des papyrus, devenant le codex proprement dit. Ce procédé a l’avantage de permettre l’écriture sur les deux côtés du feuillet. Il est donc plus rentable. Il est aussi moins encombrant. Des codex de poche ont ainsi été retrouvés (7,6 cm sur 5 cm). Le papyrus sous la forme de codex était courant à partir du IIe siècle.
Contrairement au rouleau, le codex permet de retrouver plus facilement un passage grâce à la notion de page. Sur les rouleaux, le texte est écrit en colonne parallèle, relativement étroite alors que la lecture du codex suit les pages comme nos livres actuels. Cette disposition a une très grande influence sur les rapports que nous avons avec le texte. Une citation biblique est souvent approximative lorsqu'elle provient d’un rouleau, la recherche d'un verset étant fastidieuse. Elle est dite de mémoire. En revanche, dans un codex, il est possible de retrouver très facilement la phrase recherchée et de la citer textuellement d'où l'exactitude des citations.
Codex sinaïticus
Le codex a aussi l’avantage de rassembler dans un même volume les textes sacrés et donc de former une Bible, ce qui permet d’identifier le canon lorsque nous trouvons un codex qui contient les Livres Saints, chose plus difficile, voire impossible, lorsqu'ils sont sous forme de rouleaux. Les Livres Saints représentent en effet trente ou quarante rouleaux de papyrus quand un seul volume de codex peut les contenir en totalité comme nous le montrent le Vaticanus et le Sinaïticus. La datation d’un codex permet ainsi indirectement d'identifier le canon reconnu à l’époque de la copie.
Moins chers, plus discrets et plus pratiques que les rouleaux, les codex ont été surtout employés par les chrétiens. « Alors que les écrits classiques circulaient longtemps encore sous forme de rouleaux, le codex semblait surtout convenir aux écrits chrétiens. »[11] Ils correspondent plus à l’apostolat.
Enfin, la partie la plus abîmée d'un rouleau correspond aux premiers versets du livre sacré quand celle d'un codex concerne plutôt la fin du dernier livre. Ainsi certains extraits des Livres Saints (début ou fin) n'existent pas dans des manuscrits. Certains critiques les remettent alors en cause, oubliant en fait la fragilité des rouleaux ou des codex.
L’écriture, objet d’histoire
Le style de l’écriture évolue avec le temps et les peuples. Prenons l’exemple de l’écriture grecque. A l’origine, la forme des lettres variait selon les régions et les cités grecques avant d’avoir leur caractère absolu. L’alphabet que nous connaissons s’est constitué progressivement entre le VIe et le IVe siècle avant Jésus-Christ. Le sens de l’écriture change aussi. L’écriture grecque s’écrivait aussi bien de droite à gauche que de gauche à droite. Le sens peut même être alterné dans un même texte. Le Grec utilisait aussi différents procédés pour séparer les mots. Dans l’écriture archaïque, les mots étaient séparés par une interponction. Dans les documents officiels, le procédé habituellement utilisé était d’aligner les lettres sur la ligne en ménageant une sorte d’alignement vertical des signes écrits, conduisant à des coupures de mots de manière irrationnelle. Les signes de ponctuation ont été longtemps inconnus.
Onciale du IVe siècle, Bible
L’écriture varie aussi en fonction du support de l’écriture. La diffusion du papyrus a conduit au développement des livres au temps de l’époque ptolémaïque. Le livre pouvait être désormais individuel et réservé à un usage personnel. Par conséquent, l’écriture devait être plus commode, plus rapide, moins soignée que l’écriture capitale en usage. Il s’est alors développé l’écriture cursive qui est à l’origine de l’écriture minuscule. L’usage du papier a alors permis le développement gigantesque du livre. Mais en étant moins coûteux, le livre a perdu de l'importance. Il est moins soigné. De plus, la copie des livres n’est plus réservée à une élite, par exemple aux moines. La minuscule se développe. Il permet une écriture plus rapide et plus compacte, une économie de temps et de parchemins. L’arrivée de l’imprimerie a aussi eu un impact sur l’écriture. Le prestige du manuscrit étant grand, l’imprimerie veut l’imiter dans l’écriture et dans la présentation. C’est un retour au style ancien, au style capital, c’est-à-dire à la majuscule.
Il varie également en fonction de l’usage du texte. Les beaux ouvrages utilisent l’onciale, sorte d’écriture de luxe qui reprend le type stylisé de la capitale. Compte tenu de leur prix, ces ouvrages étaient uniques, tel l’Hexaple d’Origène. Plus exposés aux dégradations, ils sont aussi très rares. Vers le VIIIe siècle, l’élaboration de tels livres devient exceptionnelle suite au développement d’écritures locales et des invasions arabes. C’est aussi l’époque où l’usage du codex a prévalu. Au IXe siècle, l’écriture onciale est finalement abandonnée sauf pour les livres à usage liturgique. Pour l’écriture grecque, nous distinguons ainsi l’écriture de librairie, élégante et conventionnelle, et l’écriture cursive, aux lettres liées, utilisée dans les documents non littéraires. 

Nous trouvons donc différents types de lettres : les capitales, les onciales, les cursives et les minuscules. Si une écriture prédomine sur une autre, les anciens écrits, souvent abîmés, sont retranscrits avec la nouvelle écriture. Les exemplaires anciens sont alors négligés et finalement perdus, ce qui peut expliquer l'absence de manuscrits très anciens.
La datation des manuscrits
Plusieurs méthodes permettent de dater des manuscrits anciens. Comme tout matériau archéologique, la datation du support du texte (datation par carbone 14) et les données fournies par le lieu où il a été trouvé en sont des moyens. Il est aussi possible de déterminer la datation par le contenu du texte, par le témoignage ou par la philologie. Enfin, la méthode la plus sûre et précise reste la paléographie [12] au sens large.
Née au XVIIIe siècle, la paléographie désigne littéralement les « manières anciennes d’écrire ». Au sens strict, elle est la science des écritures anciennes. Elle concerne « toutes les recherches qui ont trait à la nature et au développement de l’écriture »[13]. Les supports de l’écriture, c’est-à-dire la matière sur laquelle on écrit et avec laquelle on écrit, l’intéressent aussi. Cette étude est la codicologie. Elle est incluse dans la paléographie au sens large.
Rapidement, au XIXe siècle surtout, la paléographie se développe au contact des nombreux manuscrits qu’on découvre et se constitue en sciences autonomes. Elle se subdivise selon la langue utilisée et l’époque. Ainsi parle-t-on de paléographie grecque, romaine, latine, de l’Occident médiéval et de la Renaissance.
L’écriture manuelle est donc objet d’histoire puisqu'elle évolue avec le temps et les hommes. Et c’est parce qu’elle change que la science de l’écriture permet de dater un écrit en fonction de l'écriture et de son support. La forme et le style des lettres, la ponctuation, les abréviations, l’espacement entre les mots, etc., fournissent en effet de nombreuses informations sur le texte écrit. En comparant ces données avec des textes datés de manière certaine, il est alors possible de le dater à cinquante ans près.
Certes la datation est très approximative. De nombreux éléments peuvent influencer l’écriture : l’âge du copiste, la nature du texte copié, les conditions de la copie… La base sur laquelle fonde la comparaison peut être aussi sujette à caution. Les progrès en typologie, la formalisation des méthodes, l’utilisation des méthodes statistiques et l’usage de l’informatique améliorent néanmoins les méthodes. La part de subjectivité reste toutefois non négligeable.
Il ne faut pas confondre la paléographie et la critique textuelle. Cette dernière a pour but soit de rétablir le texte original en identifiant les erreurs des copistes (« basse critique ») ou de remonter aux sources et découvrir les auteurs de l’ouvrage (« haute critique »).


Cette rapide excursion dans l’univers des manuscrits nous paraît utile non seulement pour mieux approfondir notre culture chrétienne mais aussi pour mieux défendre notre foi. L’archéologie et de manière plus générale l’histoire nous fournissent des arguments apologétiques importants que nous ne devons pas ignorer. Et les faits sont indubitables. Si les datations sont approximatives et peuvent parfois manquer d’objectivité, elles confirment l’historicité des Livres Saints et du canon biblique, ce qui est inestimable compte tenu des attaques actuelles contre le christianisme. La présence de manuscrits si anciens nous donne aussi une autre garantie, celle de l’intégrité substantielle de la Bible, en tout cas pour les versions bibliques approuvées par l’Église. Ces traces historiques indubitables nous réconfortent dans notre combat pour la foi. Qui peut croire qu’elles puissent vraiment nous affaiblir ? C’est notre ignorance qui nous affaiblisse, voire notre indifférence.



Références

[1] Manuscrit est tiré du latin « manu scriptus », « écrit à la main ».
[2] Le papyrus Rylands II contient les chapitres XXIII à XXVIII du Deutéronome de la Septante.
[3] Le papyrus Nash comprend 24 lignes du Deutéronome en quatre fragments.
[4] P46 dans la codification standard.
[5] Gleason Archer, cité dans La Bible en question d’Adrien Guilleminot dans Le judaïsme, GéoHistoire, n°18, décembre 2014-janvier 2015.
[6] Heinrich von Siebenthal, Nos traductions du Nouveau Testament ont-elles une base textuelle fiable ? traduit de l’allemand de la revue Bibel und Gemeinde, 2001.
[7] William Henri Green (1825-1900), professeur à la Faculté théologique de Princeton
[8] Peau de mouton ou de chèvre puis plus tard peaux de veaux appelées « vélin ».
[9] Vient de « palimpstos », « gratté à nouveau ».
[10] 
« Caudex » signifie  « bloc de bois » en latin.
[11] G. Milligan, Here and there among the Papyri.
[12] Les bases de la paléographie grecque ont été jetées par le moine bénédictin du nom de Bernard de Montfaucon (1655-1741).
[13] Alphonse Dain, Introduction à la paléographie dans L’histoire et ses méthodes, sous la direction de Charles Samaran, encyclopédie de la Pléiade, Gallimard, 1961.

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